Titre exécutoire et procédures collectives
(Questions choisies)
Estelle SCHOLASTIQUE
Professeur à l'Université Paris XI
Le
titre exécutoire, clé de l'exécution forcée individuelle, subit des
atteintes considérables en cas d'ouverture d'une procédure collective à
l'encontre du débiteur.
Ces atteintes sont relativement connues pendant
le déroulement de la procédure. L'étude explique pourquoi elles doivent
perdurer après son dénouement, qu'il consiste en la continuation ou en
la liquidation de l'entreprise.
I. 01 1. Le titre exécutoire
permet d'obtenir le paiement forcé dès lors que le débiteur n'y
satisfait pas volontairement ou spontanément(1). Il est une condition
de l'exécution forcée(2) « dont il permet l'exercice direct, sans autre
formalité, autorisant aussi bien le recours à la force publique pour
procéder à une expulsion, l'introduction au domicile du saisi pour
exproprier ses biens ou l'appréhension sans sommation de ses avoirs(3)
». Cette force particulière vient de ce que la créance dont l'exécution
est recherchée « a été, à un moment donné, vérifiée, au moins à titre
provisoire, par une autorité dûment habilitée à cet effet, qui en a
fixé le principe, le montant et l'exigibilité(4) ». La vérification
ressort ainsi de la formule exécutoire apposée sur le titre, laquelle
contient « l'ordre adressé par le chef de l'Etat aux agents de la force
publique de faire exécuter l'acte ou de prêter leur concours à cette
exécution(5) ». C'est pourquoi, la loi énumère limitativement les actes
constituant titre exécutoire(6) et permettant de franchir une étape
essentielle de la « course » dont le prix est le paiement.
2.
Les procédures collectives, de leur côté, imposent systématiquement aux
créanciers de faire reconnaî tre leurs droits dans la procédure. La
procédure de déclaration des créances a la nature d'une demande en
justice et manifeste la volonté du créancier d'être payé dans le cadre
de ces procédures judiciaires que sont le redressement et la
liquidation. Ainsi, le titre exécutoire ne permet plus l'exécution
forcée. Dès lors qu'une procédure collective est ouverte, il ne se
suffit pas à lui-même.
En effet, le débiteur en état de
cessation des paiements ne peut plus payer ses dettes et à l'anarchie
des poursuites individuelles, dont l'efficacité dépend du titre
exécutoire, doit succéder l'ordre de la procédure collective. Et,
depuis toujours, la loi de la faillite « oppose précisément à la
poursuite par voie de saisie au profit du seul créancier saisissant, et
le plus diligent, une procédure générale et collective dans le but
d'appréhender tout le patrimoine du débiteur et d'aboutir à une
répartition équitable des pertes », (aujourd'hui au redressement du
débiteur).
En un mot, les procédures d'exécution individuelles
s'opposent aux procédures collectives que sont le redressement et la
liquidation judiciaires. Dans les premières, les créanciers ne sont
soumis à aucune discipline et le paiement est le prix de la course ;
dans les secondes, à l'inverse, le paiement est soit un objectif
subsidiaire (cas du redressement(7)) soit un objectif lui-même
collectif (cas de la liquidation) qui, dans les deux cas, impose aux
créanciers une stricte discipline. Pour autant, il est inévitable que
toutes ces procédures, individuelles et collectives, se télescopent, ne
serait-ce que parce les critères d'obtention d'une mesure d'exécution
forcée sont sensiblement les mêmes que les critères d'ouverture d'un
redressement ou d'une liquidation judiciaires.
3. En effet, une
mesure d'exécution forcée n'est légitime que si la créance qui la
justifie est certaine, liquide, exigible et constatée dans un titre
exécutoire lui conférant un caractère authentique(8). La condition de
liquidité répond à un souci d'adéquation entre les causes de la saisie
et son étendue. L'article 22 de la loi du 9 juillet 1991 rappelle que
l'exécution « ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir
le paiement de l'obligation » et que « le juge de l'exécution a le
pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et
de condamner le créancier en cas d'abus de saisie(9) ». La créance est
liquide lorsqu'elle est parfaitement fixée dans son quantum(10). À
défaut, le créancier ne peut prendre qu'une mesure conservatoire, ce
qui lui procure une situation beaucoup moins confortable en cas
d'ouverture d'une procédure collective(11). En principe donc, le titre
exécutoire ne constate que des créances certaines, liquides et
exigibles.
4. Cela n'est pas sans rappeler qu'un créancier ne
peut assigner son débiteur en redressement ou liquidation judiciaires
que s'il détient à son encontre une créance certaine, liquide et
exigible(12). Il faut en effet distinguer le débiteur qui ne paie pas
parce qu'il conteste l'existence de la créance, son quantum ou son
terme, de celui qui ne paie pas parce qu'il ne le peut pas.
Le
créancier doit indiquer au tribunal les procédures et voies d'exécution
engagées pour le recouvrement de sa créance(13), ce qui signifie, dans
l'interprétation la plus souple, qu'il doit au moins avoir demandé le
paiement.
Le créancier prendra donc garde à ne pas assigner abusivement
son débiteur car la jurisprudence sanctionne l'exercice de cette forme
de pression. Il n'est cependant pas obligé d'obtenir un titre
exécutoire car, précisément, la procédure collective permet de vérifier
les créances qui ne sont pas constatées dans un tel titre.
De
son côté, le débiteur doit déclarer son état de cessation des paiements
lorsque son actif disponible ne lui permet pas de faire face à son
passif exigible.
Cela ne signifie pas nécessairement que des créanciers
poursuivent l'exécution forcée de leur créance même si la chose est
vraisemblable, notamment de la part du Trésor qui jouit du pouvoir de
se délivrer son propre titre exécutoire.
En résumé, un débiteur
qui fait l'objet d'une procédure collective s'est souvent vu délivrer
des titres exécutoires. La question est donc de savoir ce qu'ils
deviennent lors de l'ouverture de la procédure et à son issue.
5.
Une des grandes idées de la réforme des procédures d'exécution a été la
revalorisation du titre exécutoire(14). Or, nul ne conteste que le
droit des procédures collectives asservit le créancier à l'impératif de
redressement de l'entreprise. Alors que la revalorisation du titre
exécutoire permet dorénavant au créancier qui en est muni d'accéder
directement aux mesures d'exécution forcée, l'impératif de redressement
de l'entreprise voire de « rétablissement » du débiteur entraî ne une
atteinte considérable à la créance elle-même, et donc, nécessairement,
au titre exécutoire qui peut la constater. La confrontation du régime
du titre exécutoire et des règles des procédures collectives pose donc
des difficultés(15), desquelles on pourrait penser que le titre
exécutoire sort toujours perdant. En effet, ne permet-il pas la
réalisation d'intérêts purement privés, strictement personnels au
créancier ?
Inversement, le droit des procédures collectives n'est-il pas d'intérêt général et même un élément de politique économique ?
6.
Pourtant, le résultat de cette confrontation est nuancé. À la question
de savoir quelle est la force du titre exécutoire, nous sommes tentés
de répondre, cela dépend. Cela dépend de la phase de la procédure à
laquelle il est confronté. Nous allons le constater non seulement pour
la phase relativement connue du déroulement de la procédure (I) mais
aussi pour celle qui l'est moins de son dénouement (II).
I. Titre exécutoire et déroulement de la procédure collective
Suivant
une démarche classique, nous distinguerons les titres exécutoires
antérieurs à l'ouverture de la procédure (A) des titres exécutoires
postérieurs (B).
A. Les titres exécutoires antérieurs à l'ouverture de la procédure
L'ouverture
de la procédure entraîne, non seulement l'arrêt des voies d'exécution,
donc le gel des titres exécutoires, mais aussi, parfois, l'annulation
de ces voies d'exécution, donc une réelle atteinte aux titres qui les
avaient permises (1). Paradoxalement, dans certaines situations, le
titre exécutoire semble « survivre » à la procédure collective (2).
1. L'atteinte aux titres exécutoires
7.
L'ouverture de la procédure entraîne, ipso facto et de jure, l'arrêt
des poursuites individuelles et des voies d'exécution(16). Certains
évoquent une immunité d'exécution accordée au débiteur. On pourrait
également dire que la cessation des paiements étant une impossibilité
objective de paiement complet, la règle de l'égalité des créanciers
impose cette solution(17). La règle est générale et n'y échappent que
les voies d'exécution qui ont été menées à leur terme avant l'ouverture
de la procédure(18).
8. Il est donc nécessaire d'établir le
moment auquel une voie d'exécution est terminée. La saisie
conservatoire est arrêtée par la survenance de la procédure collective,
puisque « conservatoire », elle est par nature temporaire et jamais
définitive. Elle n'emporte d'ailleurs aucune attribution immédiate au
saisissant, seule la demande de conversion produisant cet effet(19) et
ce, même en présence d'un jugement définitif constatant la créance,
c'est-à-dire d'un titre exécutoire. Elle rend simplement indisponible
l'élément appréhendé qui a, certes, vocation à permettre le paiement du
créancier mais qui ne sort pas du patrimoine du débiteur. Or, la
procédure collective rend tous les éléments du patrimoine
indisponibles. Aucun ne pourra plus désormais servir au paiement d'un
créancier antérieur. Pour être efficace, il est donc nécessaire que la
saisie conservatoire ait été convertie avant le jugement d'ouverture.
C'est ainsi que la conversion en saisie-vente doit avoir été
régulièrement signifiée avant le jugement d'ouverture et, en réalité,
au plus tôt, car la vente ne peut avoir lieu avant expiration d'un
délai de 8 jours(20). Or seule la vente fait sortir les biens du
patrimoine du débiteur(21) et achève la procédure de saisie. Si donc la
vente n'a pas eu lieu avant le jugement d'ouverture, l'achèvement de la
saisie est impossible, le bien étant désormais indisponible au bénéfice
de la procédure collective.
Il en va sensiblement de même pour
la conversion en saisie-attribution, puisque c'est au moment de la
conversion que la créance saisie sort du patrimoine du débiteur.
Toutefois, cette conversion produit un effet plus rapide et plus sûr en
l'absence de délai laissé au débiteur pour se libérer. Dans les deux
cas, faute de conversion à la date du jugement, la saisie conservatoire
est privée de l'affectation spéciale et du privilège au profit du
créancier saisissant qui ne peut déclarer sa créance qu'à titre
chirographaire(22). La solution est logique car suite au jugement
d'ouverture, le créancier ne pourra pas obtenir de titre exécutoire, la
reprise éventuelle des actions ne tendant qu'à la constatation et à la
fixation du montant de la créance et non à son paiement(23).
Il en va
de même pour la saisie-revendication au double motif que la mesure
conservatoire ne pourra pas être menée à terme, faute pour le créancier
de pouvoir obtenir un titre exécutoire lui permettant de valider sa
saisie et que le droit des procédures collectives a son propre système
de revendication, aux articles L. 621-115 et suivants(24) du Code de
commerce.
9. En toute hypothèse, la saisie conservatoire
préalable ne doit pas avoir été réalisée en période suspecte car
l'article L. 621-107 7° du Code de commerce annule, de plein droit, les
actes conservatoires effectués entre la cessation des paiements et le
jugement d'ouverture. Est ici mise en échec la validation rétroactive
attachée à la conversion, ce qui est normal car la conversion a elle
aussi nécessairement eu lieu pendant la période suspecte. Le créancier
saisissant doit alors restituer les sommes saisies… Toutefois,
paradoxalement, rien n'empêche la conversion de la saisie pendant la
période suspecte(25), dès lors que l'acte conservatoire a été pratiqué
avant la cessation des paiements. En effet, l'article L. 621-107 7° ne
vise que les actes conservatoires et non les voies d'exécution, ce qui
explique également que l'avis à tiers détenteur émis pendant la période
suspecte ne peut être annulé, ni sur le fondement de l'article L.
621-107 7° du Code de commerce, car il n'est pas une mesure
conservatoire, ni sur le fondement de l'article L. 621-108 du même
Code, car il est une mesure d'exécution forcée, comme telle non visée
par ce texte(26).
2. La survie apparente de certains titres exécutoires
10.
Certains titres exécutoires semblent survivre à la procédure permettant
la saisie-attribution de créances à exécution successive et certaines
actions contre des tiers. Mais cette survie est plus apparente que
réelle : d'une part, la saisie-attribution qui poursuit ses effets
après le jugement d'ouverture est analysée en une voie d'exécution «
terminée » au sens que nous avons vu précédemment ; d'autre part les
actions contre les tiers sont en réalité le plus souvent subordonnées à
l'obtention d'un titre exécutoire contre ces tiers, c'est-à-dire en
réalité à la délivrance d'un nouveau titre exécutoire.
11. La
saisie-attribution terminée avant l'ouverture de la procédure ne peut
être remise en cause ensuite. La règle est de bon sens : le créancier
est dorénavant titulaire de la créance saisie qui est sortie du
patrimoine du débiteur. Le créancier n'a même pas à déclarer sa créance
(sauf si la créance saisie est insuffisante). Il en va de même pour
l'avis à tiers détenteur qui comporte le même effet d'attribution
immédiate(27).
En revanche, la saisie-attribution d'une créance à
exécution successive pratiquée avant l'ouverture de la procédure
soulève la question de savoir si l'effet attributif de la saisie
s'applique aux termes échus après le jugement.
La jurisprudence est
aujourd'hui fixée : après avis de la Cour de cassation(28) qui avait
répondu affirmativement, en quoi l'avait suivi la deuxième Chambre
civile(29), la Chambre commerciale avait jugé le contraire(30). Aussi
une Chambre mixte a-t-elle été réunie qui a confirmé l'avis
originel(31), jurisprudence à laquelle la Chambre commerciale s'est
finalement ralliée(32), à propos d'un avis à tiers détenteur.
On peut
pourtant ne pas être satisfait de cette solution.
En effet, le
raisonnement qui la justifie repose sur l'effet attributif immédiat et
sur les caractéristiques des créances saisies, qui, en tant que
créances à terme peuvent être appréhendées quoiqu'elles ne soient pas
exigibles(33). Pour autant, les spécialistes des procédures collectives
ne manquent pas de remarquer que cette solution obère le redressement
du débiteur, privé de rentrée d'argent(34).
Elle laisse également
dubitatif au regard du principe d'égalité des créanciers car elle
autorise le paiement d'une créance antérieure (celle du créancier
saisissant) pendant la procédure(35), paiement validé, non sans
artifice, par l'idée que la créance du débiteur serait sortie
définitivement de son patrimoine avant sa procédure collective, soit
avant que ce patrimoine soit frappé d'indisponibilité. Pour échapper à
cet effet désastreux, il ne reste plus qu'à mettre un terme au contrat
en cours(36) entre le débiteur et son propre débiteur, si cela est
possible (difficile dans le cas du bail) et pas trop onéreux (mais les
dommages-intérêts éventuellement dus par le débiteur sont considérés
comme des créances antérieures) et à conclure un nouveau contrat,
permettant la naissance de créances sur lesquelles le créancier n'aura
pas de droit.
12. Les actions contre les tiers sont bien mieux
encadrées. En effet, le titre exécutoire doit identifier le débiteur de
l'obligation. Il convient d'ailleurs « de veiller scrupuleusement à
l'adéquation entre l'identité du débiteur figurant dans le titre et
celle du poursuivi(37) ». En matière de procédures collectives, le
contentieux est relativement nourri sur ce point, ce qui ne saurait
étonner, puisque les créanciers, privés d'action contre le débiteur,
tentent de se retourner contre les tiers, obligés d'une façon ou d'une
autre à la dette qui, eux, ne bénéficient pas du régime protecteur de
la procédure. Ces créanciers ont alors tendance « à confondre le droit
d'exercer des poursuites » contre ces tiers, « c'est-à-dire de saisir
les tribunaux pour obtenir leur condamnation, et celui de mettre en
œuvre des voies d'exécution, ce qui suppose l'obtention préalable d'un
titre exécutoire(38) ». Or, ce n'est pas toujours possible. Quelques
exemples témoignent de cette difficulté.
13. Ainsi, l'action
contre la caution personne physique est suspendue pendant toute la
durée de la procédure du débiteur, les créanciers ne pouvant prendre
que des mesures conservatoires durant cette période(39).
Mais ces
mesures conservatoires elles-mêmes risquent d'être invalidées, la Cour
de cassation jugeant applicable l'article 215 du décret du 31 juillet
1992 qui impose au créancier, à peine de caducité, d'introduire une
procédure ou d'accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un
titre exécutoire dans le délai d'un mois… Si donc la période
d'observation dure plus d'un mois, la mesure conservatoire sera
caduque(40).
Un titre exécutoire visant la caution ne peut donc pas
être obtenu après le jugement d'ouverture du débiteur, et le titre
antérieur audit jugement voit son efficacité suspendue. De surcroît,
si un plan de continuation est adopté, la caution simple peut s'en
prévaloir et donc bénéficier des délais et remises prévus par le plan,
tant que celui-ci est exécuté(41).
14. L'action contre l'associé
présente logiquement de grandes similitudes, s'agissant d'une action
contre un garant subsidiaire.
Cette action n'est évidemment possible
qu'à l'encontre des associés qui n'ont pas limité leur responsabilité.
Mais l'ouverture de la procédure collective de la société ne permet pas
d'agir immédiatement en paiement contre eux.
Tout au contraire, le
créancier doit d'abord obtenir un titre exécutoire contre l'associé
lui-même, le titre exécutoire délivré à l'encontre de la société ne
l'identifiant pas comme débiteur de l'obligation.
La Cour de cassation
le rappelle autant que nécessaire : « Le titre délivré à l'encontre
d'une société n'emporte pas le droit de saisir les biens des associés,
fussent-ils indéfiniment et solidairement responsables des dettes
sociales(42) ».
Or, pour obtenir ce titre, le créancier doit prouver
qu'il a « préalablement et vainement poursuivi la personne morale » si
c'est une société civile(43) ou qu'il a « vainement mis en demeure la
société par acte extrajudiciaire » dans le cas d'une société en nom
collectif(44).
Dans le contexte particulier du redressement judiciaire
de la personne morale, l'obtention du titre se heurte à deux
difficultés. D'une part, tant que la société civile est en redressement
judiciaire, il paraît difficile de dire que les poursuites du
créancier sont vaines.
En effet, la possibilité même d'un plan de
continuation laisse présager le paiement des créanciers(45).
Mais, même
lorsque la société est en liquidation, la Cour de cassation exige que
le créancier établisse que le patrimoine social est insuffisant, tout
au moins lorsque le créancier n'a pas véritablement poursuivi la
société avant l'ouverture de la procédure(46).
De ce point de vue,
l'associé de la société civile, qui est traité comme la caution en cas
de continuation(47), est mieux soigné en cas de liquidation. La
situation du créancier d'une société en nom collectif est peut-être
pire encore. En effet, l'article L. 624-1 du Code de commerce prévoit
que le jugement d'ouverture « produit ses effets à l'égard de toutes
les personnes membres ou associées de la personne morale et
indéfiniment et solidairement responsables du passif social ».
Or cet «
effet » consiste en l'ouverture d'une procédure personnelle à
l'encontre de chaque associé, laquelle procédure interdit tout paiement
! Dans cette hypothèse, le créancier, même muni d'un titre exécutoire,
devra donc se contenter de déclarer sa créance(48). Il doit la déclarer
dans les deux procédures(49), celle de la personne morale parce que la
dette est sociale ; celle de l'associé parce que le passif de celui-ci
comprend, outre le passif social, son passif personnel(50).
B. Les titres exécutoires postérieurs
15.
L'article L. 621-32 du Code de commerce pose en principe que « les
créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture sont payées à
leur échéance ». La solution est bien connue.
Il s'ensuit que les
créanciers postérieurs sont dans la situation d'un créancier «
ordinaire », c'est-à-dire d'un créancier dont le débiteur n'est pas en
procédure collective.
Ils ont même un petit avantage sur celui-ci car,
pendant toute la procédure, le débiteur ne peut même pas obtenir un
délai de grâce judiciaire(51).
Ils peuvent exercer toutes voies de
droit pour obtenir le paiement de leur créance lorsque celui n'a pas
lieu à l'échéance : se faire délivrer un titre exécutoire et pratiquer
toutes sortes de saisies. Il y a là application quasi-exclusive de la
loi du 9 juillet 1991.
Dès lors, la saisie-attribution emporte
attribution immédiate au profit du créancier saisissant, peu important
son classement au regard de l'article L. 621-32 III du Code de commerce
car « lorsqu'il est possible de payer un créancier qui le demande, tout
concours est exclu(52) ». Toutefois les créanciers postérieurs ne sont
pas réellement égaux car ceux qui peuvent se délivrer un titre
exécutoire à eux-mêmes, tel le Trésor public, peuvent réagir plus
rapidement que les autres créanciers qui devront saisir le juge pour
obtenir leur titre exécutoire après vérification de leur créance, ce
qui prend des semaines, voire « plusieurs mois(53) ». Dans la course au
paiement, ce « privilège du préalable(54) » constitue un avantage
indéniable. L'avantage est encore amplifié par le fait qu'une course
parallèle a souvent lieu, où l'on voit l'administrateur tenter de
mettre toute somme à l'abri à la Caisse des dépôts et consignations. Il
faut, en effet, en laisser le moins possible sur le compte bancaire du
débiteur qui risque à tout moment d'être saisi !
16. Cette
situation est critiquable car le droit des procédures collectives est
un droit qui est censé faire régner l'ordre et lutter contre l'anarchie
des poursuites individuelles.
Elle s'explique certes par la nécessité
d'obtenir la coopération des créanciers au redressement de
l'entreprise. Mais, à tout le moins, son domaine d'application devrait
être soigneusement circonscrit. Seules des créances réellement
postérieures devraient donc en bénéficier. On en revient par là à
l'effet définitif de la saisie-attribution des créances à exécution
successive. En effet, on peut s'interroger sur l'exactitude de la
qualification de « créances postérieures » retenues pour certaines
créances, au détriment du débiteur, en cas de poursuite d'un contrat en
cours, par exemple un bail.
Juridiquement, n'est-il pas étonnant qu'une
même créance à exécution successive – une même créance de loyer – soit,
dans un cas, considérée comme née dès la conclusion du contrat, ce qui
permet sa saisie par un créancier, et dans l'autre, comme née au moment
de son exécution, ce qui la classe dans la catégorie des créances
postérieures ?
Pourtant, la Cour de cassation n'hésite pas à affirmer
que « la créance pour loyers dus postérieurement au jugement
d'ouverture de la procédure collective du preneur est née régulièrement
après cette décision(55) ». Cette qualification ne s'imposait pourtant
pas nécessairement car l'article L. 621-29 du Code de commmerce se
contente d'évoquer « les loyers et charges afférents à une occupation
postérieure » au jugement d'ouverture. Pour le bail, on pourrait donc
admettre que la créance de loyer est antérieure mais que, par
dérogation, l'article L. 621-29 permet son paiement afin d'éviter la
résiliation(56).
Mais ce serait alors oublier que, pour bénéficier du
privilège de l'article L. 621-32, il faut être titulaire d'une créance…
postérieure, laquelle se définit comme celle qui est née après le
jugement d'ouverture ! À quoi, on peut encore rétorquer que l'article
L. 621-31 du Code de commerce offre un privilège propre au bailleur…
mais seulement en cas de résiliation. Ce même texte semble d'ailleurs
opter implicitement pour la qualification de créance antérieure en
prévoyant que si le bail est continué « le bailleur ne peut exiger le
paiement des loyers à échoir » lorsque les sûretés données « lors » du
contrat sont maintenues ou suffisantes… En l'état, il existe donc au
moins une raison de logique juridique pour ne pas adhérer pleinement à
la solution de la Cour de cassation.
II. Titre exécutoire et dénouement de la procédure
La
force du titre exécutoire après que le tribunal a statué sur le sort de
l'entreprise est peu étudiée(57). L'entreprise n'est-elle pas
redressée, redevenue in bonis et désormais soumise au sort commun des
débiteurs ? Ou à l'inverse, n'est-elle pas liquidée ce qui ne permet
pas, le plus souvent, la reprise des poursuites individuelles ? Il nous
semble pourtant que ces dénouements(58) méritent notre attention, car
le titre exécutoire n'y est pas indifférent. L'hypothèse de la
continuation (A) précèdera celle de la liquidation (B).
A. La continuation de l'entreprise
La
continuation de l'entreprise est, en théorie, la moins mauvaise
solution pour les créanciers antérieurs, c'est-à-dire ceux qui ont subi
de plein fouet la procédure collective du débiteur. En effet, le plan
de continuation doit permettre leur paiement intégral, sous réserve des
remises qu'ils ont consenties et des délais qu'ils ont acceptés ou
qu'ils se sont vu imposer par le tribunal(59). Le débiteur éprouve
pourtant fréquemment des difficultés à respecter le calendrier des
paiements et à verser leur dividende à ses « vieux créanciers(60) ».
Deux questions se posent alors : le juge peut-il octroyer un délai de
grâce pour les échéances prévues par le plan ? Quels sont les moyens
d'action du créancier ?
1. Délais du plan et délais de grâce
17.
Après adoption du plan de continuation, le débiteur est in bonis
(quelle que soit sa fragilité réelle). Par conséquent, le créancier
souhaitant agir en paiement d'un dividende impayé à l'échéance est dans
la situation d'un créancier ordinaire. Le droit des procédures
collectives ne prévoit, en effet, qu'une seule voie d'action
spécifique, la saisine du tribunal aux fins de résolution du plan(61).
Or, il est peu probable que le créancier ait intérêt à susciter
l'ouverture d'une deuxième procédure. De surcroît, le tribunal « peut
» prononcer la résolution du plan, mais il n'y est nullement tenu.
Le
créancier non payé de son dividende à l'échéance doit donc agir en
paiement et, selon la Cour de cassation, il doit emprunter les voies du
droit commun(62).
Corrélativement, le débiteur bénéficie-t-il alors des
moyens de défense de ce droit commun et, notamment, de la possibilité
d'obtenir un délai de grâce ? Certaines juridictions n'ont pas hésité à
accorder des délais supplémentaires au débiteur de bonne foi,
c'est-à-dire à celui « qui n'a pas été en mesure d'honorer ses
engagements pour une raison particulière tel le non-paiement de ses
propres créances(63) ». Ou encore « lorsque la résolution paraîtrait
disproportionnée par rapport aux difficultés [du débiteur] et à sa
bonne volonté établie(64) ». En d'autres termes, s'il ne prononce pas
la résolution du plan, et s'il ne prononce pas non plus sa
modification, le tribunal octroie implicitement mais nécessairement un
délai de paiement au débiteur.
18. Faut-il aller plus loin et
reconnaître au débiteur le droit d'invoquer l'article 1244-1 du Code
civil ? Selon le professeur Guyon, « destiné à s'exécuter sur une assez
longue durée, le plan doit faire l'objet d'une certaine flexibilité
temporelle(65) ».
Il s'ensuit, selon lui, qu'en cas d'inexécution de
ses engagements par le débiteur, « si le manquement est minime et non
constitutif d'une cessation des paiements, le tribunal peut se borner à
un réaménagement du plan comportant, le cas échéant, un délai de
grâce(66) », en sorte que « l'échéance reste la même, mais l'exécution
est légèrement retardée »
L'octroi de délai de grâce dans l'exécution
du plan de redressement ne paraît donc pas poser de difficultés.
Rien
ne semble d'ailleurs interdire au juge d'appliquer l'article 1244-1 du
Code civil pour reporter le paiement d'une échéance du plan. Ce texte
d'ordre public permet, rappelons-le, au juge de reporter ou échelonner
le paiement des sommes dues « compte tenu de la situation du débiteur
et en considération des besoins des créanciers, dans la limite de deux
années ».
Il n'en reste pas moins que la loi limite le domaine
d'application du texte, en interdisant au juge d'octroyer un délai de
grâce en matière de dettes d'aliments(67), en matière cambiaire(68), ou
lorsque le débiteur fait l'objet d'une saisie par d'autres créanciers.
Il en va également ainsi lorsque le débiteur fait l'objet d'une
procédure collective(69), ce qui est logique car ce dernier est alors
suffisamment protégé par le droit des procédures collectives qui
interdit ou suspend toute action en paiement. En revanche, lorsque le
débiteur exécute un plan de continuation, il ne bénéficie plus par
hypothèse de cette protection, étant considéré malgré sa fragilité
évidente, comme in bonis. C'est pourquoi, le cas échéant, l'article
1244-1 du Code civil nous semble pouvoir être invoqué, si les
conditions d'application sont réunies. C'est donc uniquement « compte
tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du
créancier » que le juge doit trancher. Il possède alors un pouvoir
discrétionnaire, tout en étant sensible aux « réalités économiques »
et, en particulier, « aux éventuels délais amiables déjà alloués(70) »,
a fortiori aux délais judiciaires que sont les délais du plan de
continuation.
19. Un arrêt a pu jeter le trouble sur cette
question(71). Rendu en matière de surendettement, il affirme que « les
dispositions spéciales [de l'article 12 de la loi du 31 décembre
1989(72)] dérogent au droit commun exprimé par l'article 1244 du Code
civil » et censure en conséquence la cour d'appel qui avait autorisé le
cumul de ces dispositions.
Il est cependant permis de considérer que
cet arrêt n'empêche pas réellement l'application successive des délais
qui nous intéressent. En effet, à l'époque, le Code de la consommation
limitait « à 5 ans ou la moitié de la durée de remboursement restant à
courir des emprunts en cours(73) ». Or, la Cour d'appel n'avait pas
hésité, pour dépasser ce délai de 5 ans, dans le cadre même du
redressement du ménage concerné, à utiliser le délai de l'article 1244
C. civ. et parvenir ainsi, par addition, à un remboursement sur 6
années (72 versements). La Cour d'appel avait donc appliqué
cumulativement deux dispositions, celle propre au surendettement, qui
limitait la durée du remboursement à 5 ans, et celle de l'article
1244-1 C. civ., qui limite la grâce judiciaire à l'octroi d'un délai de
2 ans. Ce que censure la Cour de cassation, c'est donc, nous
semble-t-il, l'application cumulative de ces dispositions, dans la même
décision relative au calendrier des remboursements.
20. Faut-il
en conclure que le débiteur qui rencontre des difficultés dans
l'exécution de ce calendrier ne peut obtenir un délai judiciaire, tout
au moins si le délai ne conduit pas à dépasser la durée maximale de
remboursement prévue par le Code de la consommation ? En refusant
l'application de l'article 1244-1 du Code civil au débiteur qui « a
bénéficié de mesures dans le cadre d'une procédure de règlement d'une
situation de surendettement(74) », on accorde à cet arrêt une portée
qu'il n'a pas. En réalité, l'exclusion de l'article 1244-1 du Code
civil ne se justifie pas par le fait que le débiteur a bénéficié de
mesures dans le cadre d'une procédure de règlement d'une situation de
surendettement, mais par le fait qu'il n'y a pas lieu d'appliquer cet
article dans la procédure de surendettement elle-même. D'ailleurs,
lorsqu'on précise que l'exclusion du délai de grâce vaut pour le
débiteur qui est en redressement ou liquidation judiciaires(75), on ne
vise pas le débiteur qui a bénéficié de mesures dans le cadre d'une
procédure collective. En effet, le débiteur qui bénéficie d'un plan de
continuation et qui rencontre des difficultés dans l'exécution de ce
plan n'est pas en redressement ou liquidation judiciaires.
21.
Ainsi, en matière de procédures collectives, il n'existe aucun motif de
refuser au débiteur un sursis de paiement d'une échéance du plan, sur
le fondement de l'article 1244-1 du Code civil D'abord, il n'y a
nullement application cumulative de l'article 1244-1 du Code civil et
des textes du droit des procédures collectives. Tout au contraire, la
demande de délais de grâce tend à l'application exclusive de l'article
1244-1 du Code civil et ce, même si cette demande succède à l'arrêté
d'un plan de continuation. Au demeurant, le cumul est impossible, seul
l'article 1244-1 étant applicable au débiteur « redressé » donc
considéré comme in bonis (et n'étant pas en cessation des paiements).
Ensuite, rien ne permet de dire que l'octroi d'un délai de grâce pour
le paiement d'une échéance du plan de continuation conduira à dépasser
les délais arrêtés par le tribunal. Il peut très bien n'y avoir lieu
qu'à report d'une échéance, qui serait payée certes plus tardivement
que prévu mais dans les délais fixés par le tribunal. Enfin, le droit
des procédures collectives ne prévoit pas de durée maximale pour le
calendrier des paiements du débiteur qui bénéficie d'un plan de
continuation, tout au moins à l'heure actuelle(76). En effet, la durée
d'exécution du plan et les délais de paiements sont nettement
distingués par la loi. La durée du plan est régie par l'article L.
621-66 du Code de commerce, elle ne peut excéder dix ans. Les délais de
paiement sont régis par l'article L. 621-76, « ils peuvent excéder la
durée du plan ». En l'état, il faut donc conclure que le tribunal peut
imposer des délais de paiement, et parfois même des délais aboutissant
à dépasser la durée du plan, compte tenu de la limite de deux années
fixée par l'article 1244-1 du Code civil lui-même(77).
La situation envisagée côté débiteur, qu'en est-il maintenant côté créancier ?
2. Quel titre exécutoire pour le dividende ?
22.
Le jugement de continuation fait recouvrer au créancier son droit de
poursuite individuelle et l'autorise à engager, après l'échéance, une
mesure d'exécution forcée en vue d'obtenir le paiement du dividende
fixé par le plan(78). S'agissant d'engager une mesure d'exécution
forcée, le créancier devra préalablement s'être muni d'un titre
exécutoire(79). Il est alors nécessaire de circonscrire la notion de
titre exécutoire, dans ce contexte particulier « post » procédures
collectives.
23. La première hésitation concerne l'ordonnance
d'admission d'une créance rendue par le juge-commissaire. Cette
ordonnance constitue-t-elle ou non un titre exécutoire ? La réponse est
négative car la créance admise n'est pas nécessairement exigible. En
témoigne l'article L. 621-76 du Code de commerce qui prévoit que le
tribunal « donne acte » des délais et remises acceptés par les
créanciers et qui conserve les délais de paiement stipulés par les
parties avant l'ouverture de la procédure. De même, le tribunal peut
imposer des délais aux créanciers. Ainsi, les créances concernées par
ces différents délais, bien qu'admises par ordonnance du
juge-commissaire, ne seront exigibles qu'à leur échéance. Par
définition, elles ne sont donc pas exigibles et l'ordonnance
d'admission ne peut constituer un titre exécutoire. De surcroî t, si le
créancier a consenti une remise au débiteur, l'ordonnance d'admission
ne reflète même plus le quantum de la créance(80)… Au demeurant,
l'ordonnance ne condamne pas le débiteur à payer, et ne comporte pas
non plus la formule exécutoire(81).
24. Deuxième hésitation : le
jugement adoptant le plan de continuation constitue-t-il le titre
exécutoire nécessaire ? Ce jugement est bien une décision de justice, à
ce titre visée par l'article 3 de la loi du 9 juillet 1991, mais nous
ne pensons pourtant pas qu'il constitue un titre exécutoire. En effet,
d'une part, contrairement aux décisions de justice ordinaires, ce
jugement ne condamne personne. Or, la Cour de cassation rappelle en
tant que besoin que « toute exécution forcée implique que le créancier
soit muni d'un titre exécutoire portant condamnation de la personne qui
doit l'exécuter(82) ». Par nature, le plan de continuation est proposé
par le débiteur et le tribunal ne peut imposer aucune autre charge que
les engagements que le débiteur a souscrits au cours de sa
préparation(83). Aussi, le jugement arrêtant le plan donne-t-il plus
acte aux « parties » de leurs engagements qu'il ne les condamne à
exécuter(84). Et même si l'on considère que le débiteur est engagé, il
s'agit d'un engagement pris tout au plus vis-à-vis de la collectivité
des créanciers – de respecter l'échéancier global – et non d'un
engagement vis-à-vis d'un créancier en particulier, qui permettrait à
ce dernier de tirer du jugement un titre exécutoire. D'autre part,
l'inscription d'une créance au plan ne préjuge pas de son admission
définitive(85). Il serait dès lors absurde de décider qu'est exécutoire
une créance du simple fait de sa mention au jugement arrêtant le plan.
25.
Troisième hésitation : les créances constatées dans un titre exécutoire
définitif antérieur au jugement d'ouverture conservent-elles ce titre ?
En d'autres termes, le prêt constaté par acte authentique, dont la
créance de remboursement a été déclarée et admise, constitue-t-il le
titre exécutoire requis pour autoriser le paiement du dividende dû au
prêteur, en application du plan de continuation ? La réponse nous
semble encore négative. En effet, d'une part, ces créances doivent être
déclarées, donc être reconnues, dans la procédure collective, malgré
leur caractère authentique. D'autre part, elles sont soumises aux
délais et remises du plan, comme toutes les autres créances
admises(86). Il en va de même des décisions passées en force de chose
jugée, avant l'ouverture de la procédure mais non exécutées(87). Ainsi,
a fortiori, que des décisions obtenues suite à la reprise de l'instance
après déclaration : l'article L. 621-40 du Code de Commerce rappelle
que ces instances « tendent uniquement à la constatation des créances
et à la fixation de leur montant ». Elles ne condamnent donc pas le
débiteur à payer, ce qui serait d'ailleurs interdit, s'agissant par
hypothèse de créances antérieures qui doivent être payées dans le cadre
de la procédure. Ces décisions sont donc adressées au greffier de la
procédure collective pour simple inscription sur l'état des
créances(88). Dans le contexte particulier de la procédure collective,
elles se voient ainsi privées de leur caractère exécutoire.
Finalement,
les titres antérieurs semblent avoir perdu leur caractère exécutoire
parce qu'à eux seuls, ils ne suffisent pas. Or, nous avons vu que
l'ordonnance d'admission de la créance et le jugement arrêtant le plan
de continuation ne sont pas non plus, sans doute, des titres
exécutoires. L'addition d'actes dépourvus de ce caractère n'est donc
pas plus efficace.
26. Enfin, l'état des créances ne constitue
pas non plus un titre exécutoire. La Cour de cassation l'a jugé très
nettement, en refusant au liquidateur de pratiquer la saisie des
rémunérations dues au débiteur, qui était devenu employé d'une
société(89). L'état des créances n'est d'ailleurs pas une décision de
justice. Il est dépourvu de l'autorité de la chose jugée(90) et ne
condamne pas le débiteur à payer…
27. En définitive, il semble
donc que le créancier, qui a le droit d'exercer « après l'échéance, une
action en paiement du dividende fixé par le plan dès lors que sa
créance a été définitivement admise au passif(91) », doive dans tous
les cas se munir d'un titre exécutoire avant d'emprunter les voies
d'exécution.
D'ailleurs, l'arrêt fondateur de ce droit a simplement
admis que le créancier peut agir par la voie du référé-provision, qui
précisément ne requiert pas l'établissement d'un titre exécutoire…
Ces hésitations se retrouvent dans l'hypothèse de la liquidation judiciaire lorsqu'elle est clôturée pour insuffisance d'actif.
B. La liquidation de l'entreprise
28.
Il peut paraître être surprenant d'évoquer le titre exécutoire et donc
les voies d'exécution alors que la liquidation judiciaire clôturée pour
insuffisance d'actif ne fait en principe pas recouvrer aux créanciers
l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur(92).
Si
l'actif est insuffisant, le débiteur est libéré. La règle figure à
l'article L. 622-32. du Code de commerce.
Vilipendée par certains,
comme consacrant un « droit de ne pas payer ses dettes », la règle
témoigne pourtant d'une conception moderne et dynamique de
l'entreprise, laquelle peut être un échec dont il doit être permis de
se relever.
S'opposent ainsi les anciens aux modernes, lesquels
souhaitent encourager les esprits entreprenants à entreprendre sans
crainte d'insuccès. Il s'agit paradoxalement d'une vision plutôt
libérale des choses(93), quoiqu'elle soumette indiscutablement les
créanciers aux risques de l'entreprise…
29. Certains débiteurs
ne méritent toutefois pas ce traitement favorable. Aussi l'article L.
622-32 du Code de commerce prévoit-il des exceptions au principe de
libération. Il en va ainsi lorsque la créance résulte d'une
condamnation pénale(94) (et encore pour des faits étrangers à son
activité professionnelle), d'une fraude fiscale(95) (au bénéfice alors
du seul Trésor public), de droits attachés à la personne du créancier,
ou de sommes payées en ses lieu et place par une caution ou un
coobligé(96). Il en va ainsi également lorsque le débiteur a été
sanctionné civilement (faillite personnelle, interdiction de gérer,
déchéance pour cause de « récidive ») ou pénalement (banqueroute) ou
qu'il a été jugé coupable de « fraude » à l'égard des créanciers(97).
30.
Dans toutes ces hypothèses, la loi prévoit que « les créanciers dont
les créances ont été admises et qui recouvrent l'exercice individuel de
leurs actions peuvent obtenir, par ordonnance du président du tribunal,
un titre exécutoire(98) ». L'article 154 du décret du 27 décembre 1985
précise non sans redondance (et sans avoir intégré la renumérotation
opérée par la loi du 10 juin 1994) que « le créancier dont la créance a
été admise et qui recouvre son droit de poursuite individuelle […] peut
obtenir, par ordonnance du président du tribunal rendue sur requête le
titre prévu au troisième alinéa (sic) de cet article. La caution ou le
coobligé mentionné au deuxième alinéa peut, dans les mêmes conditions,
obtenir un titre exécutoire sur justification du paiement effectué.
Dans les cas prévus aux premiers et deuxième alinéa (sic) […] l'ordonnance est rendue, le débiteur entendu ou appelé.
L'ordonnance
vise l'admission définitive de ce créancier et le jugement de clôture
pour insuffisance d'actif ; elle contient injonction de payer et est
revêtue de la formule exécutoire ».
L'exigence de titre
exécutoire est donc affirmée par la loi et le décret, témoignant de son
caractère essentiel. Il en résulte que tous les créanciers qui
recouvrent leur droit de poursuite individuelle doivent en être munis,
s'ils veulent procéder à une mesure d'exécution forcée.
31.
Doivent-ils tous l'obtenir du président du tribunal ? Le texte est
ambigu car, d'un côté, il énonce que le créancier « peut » obtenir un
titre exécutoire, ce qui pourrait signifier que cette possibilité
profite à ceux qui ne sont pas déjà munis d'un tel titre mais ne
concerne pas les autres. D'un autre côté, compte tenu du caractère
exceptionnel de la reprise des poursuites(99), l'exigence d'une demande
formulée auprès du président du tribunal de la procédure collective se
comprendrait.
32. A cette question, la Cour de cassation a
répondu, par un arrêt du 24 mars 2003 tout en nuance, à telle enseigne
qu'il a été écrit qu'« il y a titre exécutoire et titre exécutoire(100)
» !
En effet, la Cour d'appel avait estimé que « la procédure de
redressement judiciaire a suspendu les voies d'exécution ainsi que
l'exigibilité de la créance mais n'a aucun effet sur la validité du
titre exécutoire lui-même, sous réserve d'une déclaration régulière de
la créance ».
Elle en avait déduit que le créancier (en l'espèce le
Trésor public, ce qui a son importance) qui détient déjà un titre
exécutoire et recouvre son droit de poursuite « peut se prévaloir de ce
titre exécutoire antérieur sans avoir besoin de recourir à la procédure
particulière prévue par l'article 154 du décret institué en faveur des
créanciers ne détenant pas encore de titre exécutoire ».
Le créancier
déjà muni du titre exécutoire était donc dispensé d'aller devant le
président du tribunal de la procédure. La Cour de cassation se prononce
de façon quelque peu ambiguë, car après avoir visé l'article L. 622-32
IV du Code de commerce et l'article 154 du décret, et posé en attendu
de principe, que « les créanciers qui recouvrent leur droit de
poursuite individuelle […] ne peuvent l'exercer qu'en obtenant un titre
exécutoire délivré par le président du tribunal de la procédure
collective », elle n'en juge pas moins qu'il appartenait au comptable
poursuivant « de faire reconnaître par le président du tribunal de la
procédure collective qu'il remplissait les conditions légales pour
reprendre son droit de poursuite individuelle ».
33. A tout le
moins donc le titre exécutoire – antérieur – ne se suffit pas à
lui-même. Pour les créanciers munis d'un titre exécutoire « ordinaire
», c'est-à-dire d'un titre qu'ils ne s'auto-délivrent pas, est-il
nécessaire d'obtenir du président du tribunal le titre exécutoire
permettant la reprise des poursuites ?
L'attendu de principe paraît
autoriser cette interprétation. Pour l'Administration fiscale, qui se
délivre son titre exécutoire à elle-même, il est « seulement »
nécessaire de « faire reconnaître » son droit par le président du
tribunal(101).
En toute hypothèse, le titre exécutoire antérieur ne
devrait pas se suffire à lui-même car il faut vérifier que la créance a
été admise définitivement(102), que la procédure a été clôturée pour
insuffisance d'actif(103) et que le créancier a bien recouvré son droit
de poursuite(104).
34. La solution nous paraît tout à fait
fondée : puisque le débiteur est en principe libéré par la clôture de
la procédure, il est nécessaire de s'assurer que les créanciers qui
prétendent agir le peuvent vraiment.
Le moyen utilisé par le
législateur est de leur imposer d'aller devant le président du tribunal
de la procédure. Or, si l'on dispense les créanciers munis de titres
exécutoires antérieurs de cette phase, aucun contrôle ne sera exercé
sur la régularité de leurs poursuites, le juge de l'exécution ne
pouvant pas nécessairement déterminer si les conditions posées par le
texte sont réunies.
Cette vérification ne peut être faite que par le
tribunal de la procédure. Certains n'ont donc pas hésité à écrire que
le jugement d'ouverture de la procédure « frappe de caducité les titres
exécutoires existants(105) ». D'ailleurs, une interprétation logique
des dispositions légales aboutit inéluctablement à cette conclusion. En
effet, l'article L. 622-32 du Code de commerce ne prévoit-il pas que
certains créanciers nécessairement munis de titres exécutoires «
peuvent » obtenir du président un… titre exécutoire ? Tel est le cas
des créanciers du premier alinéa dont la créance résulte d'une
condamnation pénale et qui sont pourtant spécialement visés par le
décret. La précision n'eût-elle pas été inutile si ces créanciers,
munis du plus « intouchable(106) » des titres exécutoires – le titre
judiciaire –, avaient été dispensés de faire reconnaître leur droit de
poursuite ?
35. En définitive, il nous semble que tous les
titres exécutoires constatant des créances antérieures devraient voir
leur efficacité restreinte.
En effet, ces titres prouvent qu'une
vérification « individuelle » de la créance a été opérée, avant le
jugement d'ouverture. La procédure collective impose, quant à elle, une
vérification également « collective » – pour ne pas dire collectiviste
– de toutes les créances, ce qui permet d'élaborer une solution adaptée
à l'état, actif et passif, de l'entreprise(107).
De surcroît,
l'élaboration des solutions de redressement est l'occasion d'un «
ajustement » du passif, par réduction ou rééchelonnement, qui concerne
toutes les créances antérieures, y compris celles constatées par un
titre exécutoire.
Aussi les créanciers réclamant leur dividende lors de
la continuation comme ceux qui se prévalent d'une reprise des
poursuites après la liquidation, devraient-ils tous obtenir un nouveau
titre, qui, le cas échéant, s'appuiera sur l'ancien. Dans les deux cas,
la vérification du titre exécutoire dont se prévaut le créancier
empêche toute exécution forcée immédiate.