Titre exécutoire et procédures collectives

(Questions choisies)
Estelle SCHOLASTIQUE
Professeur à l'Université Paris XI


Le titre exécutoire, clé de l'exécution forcée individuelle, subit des atteintes considérables en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du débiteur.

Ces atteintes sont relativement connues pendant le déroulement de la procédure. L'étude explique pourquoi elles doivent perdurer après son dénouement, qu'il consiste en la continuation ou en la liquidation de l'entreprise.

I. 01 1. Le titre exécutoire permet d'obtenir le paiement forcé dès lors que le débiteur n'y satisfait pas volontairement ou spontanément(1). Il est une condition de l'exécution forcée(2) « dont il permet l'exercice direct, sans autre formalité, autorisant aussi bien le recours à la force publique pour procéder à une expulsion, l'introduction au domicile du saisi pour exproprier ses biens ou l'appréhension sans sommation de ses avoirs(3) ». Cette force particulière vient de ce que la créance dont l'exécution est recherchée « a été, à un moment donné, vérifiée, au moins à titre provisoire, par une autorité dûment habilitée à cet effet, qui en a fixé le principe, le montant et l'exigibilité(4) ». La vérification ressort ainsi de la formule exécutoire apposée sur le titre, laquelle contient « l'ordre adressé par le chef de l'Etat aux agents de la force publique de faire exécuter l'acte ou de prêter leur concours à cette exécution(5) ». C'est pourquoi, la loi énumère limitativement les actes constituant titre exécutoire(6) et permettant de franchir une étape essentielle de la « course » dont le prix est le paiement.

2. Les procédures collectives, de leur côté, imposent systématiquement aux créanciers de faire reconnaî tre leurs droits dans la procédure. La procédure de déclaration des créances a la nature d'une demande en justice et manifeste la volonté du créancier d'être payé dans le cadre de ces procédures judiciaires que sont le redressement et la liquidation. Ainsi, le titre exécutoire ne permet plus l'exécution forcée. Dès lors qu'une procédure collective est ouverte, il ne se suffit pas à lui-même.

En effet, le débiteur en état de cessation des paiements ne peut plus payer ses dettes et à l'anarchie des poursuites individuelles, dont l'efficacité dépend du titre exécutoire, doit succéder l'ordre de la procédure collective. Et, depuis toujours, la loi de la faillite « oppose précisément à la poursuite par voie de saisie au profit du seul créancier saisissant, et le plus diligent, une procédure générale et collective dans le but d'appréhender tout le patrimoine du débiteur et d'aboutir à une répartition équitable des pertes », (aujourd'hui au redressement du débiteur).

En un mot, les procédures d'exécution individuelles s'opposent aux procédures collectives que sont le redressement et la liquidation judiciaires. Dans les premières, les créanciers ne sont soumis à aucune discipline et le paiement est le prix de la course ; dans les secondes, à l'inverse, le paiement est soit un objectif subsidiaire (cas du redressement(7)) soit un objectif lui-même collectif (cas de la liquidation) qui, dans les deux cas, impose aux créanciers une stricte discipline. Pour autant, il est inévitable que toutes ces procédures, individuelles et collectives, se télescopent, ne serait-ce que parce les critères d'obtention d'une mesure d'exécution forcée sont sensiblement les mêmes que les critères d'ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaires.

3. En effet, une mesure d'exécution forcée n'est légitime que si la créance qui la justifie est certaine, liquide, exigible et constatée dans un titre exécutoire lui conférant un caractère authentique(8). La condition de liquidité répond à un souci d'adéquation entre les causes de la saisie et son étendue. L'article 22 de la loi du 9 juillet 1991 rappelle que l'exécution « ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation » et que « le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier en cas d'abus de saisie(9) ». La créance est liquide lorsqu'elle est parfaitement fixée dans son quantum(10). À défaut, le créancier ne peut prendre qu'une mesure conservatoire, ce qui lui procure une situation beaucoup moins confortable en cas d'ouverture d'une procédure collective(11). En principe donc, le titre exécutoire ne constate que des créances certaines, liquides et exigibles.

4. Cela n'est pas sans rappeler qu'un créancier ne peut assigner son débiteur en redressement ou liquidation judiciaires que s'il détient à son encontre une créance certaine, liquide et exigible(12). Il faut en effet distinguer le débiteur qui ne paie pas parce qu'il conteste l'existence de la créance, son quantum ou son terme, de celui qui ne paie pas parce qu'il ne le peut pas.

Le créancier doit indiquer au tribunal les procédures et voies d'exécution engagées pour le recouvrement de sa créance(13), ce qui signifie, dans l'interprétation la plus souple, qu'il doit au moins avoir demandé le paiement.

 Le créancier prendra donc garde à ne pas assigner abusivement son débiteur car la jurisprudence sanctionne l'exercice de cette forme de pression. Il n'est cependant pas obligé d'obtenir un titre exécutoire car, précisément, la procédure collective permet de vérifier les créances qui ne sont pas constatées dans un tel titre.

De son côté, le débiteur doit déclarer son état de cessation des paiements lorsque son actif disponible ne lui permet pas de faire face à son passif exigible.

 Cela ne signifie pas nécessairement que des créanciers poursuivent l'exécution forcée de leur créance même si la chose est vraisemblable, notamment de la part du Trésor qui jouit du pouvoir de se délivrer son propre titre exécutoire.

En résumé, un débiteur qui fait l'objet d'une procédure collective s'est souvent vu délivrer des titres exécutoires. La question est donc de savoir ce qu'ils deviennent lors de l'ouverture de la procédure et à son issue.

5. Une des grandes idées de la réforme des procédures d'exécution a été la revalorisation du titre exécutoire(14). Or, nul ne conteste que le droit des procédures collectives asservit le créancier à l'impératif de redressement de l'entreprise. Alors que la revalorisation du titre exécutoire permet dorénavant au créancier qui en est muni d'accéder directement aux mesures d'exécution forcée, l'impératif de redressement de l'entreprise voire de « rétablissement » du débiteur entraî ne une atteinte considérable à la créance elle-même, et donc, nécessairement, au titre exécutoire qui peut la constater. La confrontation du régime du titre exécutoire et des règles des procédures collectives pose donc des difficultés(15), desquelles on pourrait penser que le titre exécutoire sort toujours perdant. En effet, ne permet-il pas la réalisation d'intérêts purement privés, strictement personnels au créancier ?

Inversement, le droit des procédures collectives n'est-il pas d'intérêt général et même un élément de politique économique ?

6. Pourtant, le résultat de cette confrontation est nuancé. À la question de savoir quelle est la force du titre exécutoire, nous sommes tentés de répondre, cela dépend. Cela dépend de la phase de la procédure à laquelle il est confronté. Nous allons le constater non seulement pour la phase relativement connue du déroulement de la procédure (I) mais aussi pour celle qui l'est moins de son dénouement (II).

I. Titre exécutoire et déroulement de la procédure collective

Suivant une démarche classique, nous distinguerons les titres exécutoires antérieurs à l'ouverture de la procédure (A) des titres exécutoires postérieurs (B).

A. Les titres exécutoires antérieurs à l'ouverture de la procédure

L'ouverture de la procédure entraîne, non seulement l'arrêt des voies d'exécution, donc le gel des titres exécutoires, mais aussi, parfois, l'annulation de ces voies d'exécution, donc une réelle atteinte aux titres qui les avaient permises (1). Paradoxalement, dans certaines situations, le titre exécutoire semble « survivre » à la procédure collective (2).

1. L'atteinte aux titres exécutoires

7. L'ouverture de la procédure entraîne, ipso facto et de jure, l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution(16). Certains évoquent une immunité d'exécution accordée au débiteur. On pourrait également dire que la cessation des paiements étant une impossibilité objective de paiement complet, la règle de l'égalité des créanciers impose cette solution(17). La règle est générale et n'y échappent que les voies d'exécution qui ont été menées à leur terme avant l'ouverture de la procédure(18).

8. Il est donc nécessaire d'établir le moment auquel une voie d'exécution est terminée. La saisie conservatoire est arrêtée par la survenance de la procédure collective, puisque « conservatoire », elle est par nature temporaire et jamais définitive. Elle n'emporte d'ailleurs aucune attribution immédiate au saisissant, seule la demande de conversion produisant cet effet(19) et ce, même en présence d'un jugement définitif constatant la créance, c'est-à-dire d'un titre exécutoire. Elle rend simplement indisponible l'élément appréhendé qui a, certes, vocation à permettre le paiement du créancier mais qui ne sort pas du patrimoine du débiteur. Or, la procédure collective rend tous les éléments du patrimoine indisponibles. Aucun ne pourra plus désormais servir au paiement d'un créancier antérieur. Pour être efficace, il est donc nécessaire que la saisie conservatoire ait été convertie avant le jugement d'ouverture. C'est ainsi que la conversion en saisie-vente doit avoir été régulièrement signifiée avant le jugement d'ouverture et, en réalité, au plus tôt, car la vente ne peut avoir lieu avant expiration d'un délai de 8 jours(20). Or seule la vente fait sortir les biens du patrimoine du débiteur(21) et achève la procédure de saisie. Si donc la vente n'a pas eu lieu avant le jugement d'ouverture, l'achèvement de la saisie est impossible, le bien étant désormais indisponible au bénéfice de la procédure collective.

Il en va sensiblement de même pour la conversion en saisie-attribution, puisque c'est au moment de la conversion que la créance saisie sort du patrimoine du débiteur. Toutefois, cette conversion produit un effet plus rapide et plus sûr en l'absence de délai laissé au débiteur pour se libérer. Dans les deux cas, faute de conversion à la date du jugement, la saisie conservatoire est privée de l'affectation spéciale et du privilège au profit du créancier saisissant qui ne peut déclarer sa créance qu'à titre chirographaire(22). La solution est logique car suite au jugement d'ouverture, le créancier ne pourra pas obtenir de titre exécutoire, la reprise éventuelle des actions ne tendant qu'à la constatation et à la fixation du montant de la créance et non à son paiement(23).

Il en va de même pour la saisie-revendication au double motif que la mesure conservatoire ne pourra pas être menée à terme, faute pour le créancier de pouvoir obtenir un titre exécutoire lui permettant de valider sa saisie et que le droit des procédures collectives a son propre système de revendication, aux articles L. 621-115 et suivants(24) du Code de commerce.

9. En toute hypothèse, la saisie conservatoire préalable ne doit pas avoir été réalisée en période suspecte car l'article L. 621-107 7° du Code de commerce annule, de plein droit, les actes conservatoires effectués entre la cessation des paiements et le jugement d'ouverture. Est ici mise en échec la validation rétroactive attachée à la conversion, ce qui est normal car la conversion a elle aussi nécessairement eu lieu pendant la période suspecte. Le créancier saisissant doit alors restituer les sommes saisies… Toutefois, paradoxalement, rien n'empêche la conversion de la saisie pendant la période suspecte(25), dès lors que l'acte conservatoire a été pratiqué avant la cessation des paiements. En effet, l'article L. 621-107 7° ne vise que les actes conservatoires et non les voies d'exécution, ce qui explique également que l'avis à tiers détenteur émis pendant la période suspecte ne peut être annulé, ni sur le fondement de l'article L. 621-107 7° du Code de commerce, car il n'est pas une mesure conservatoire, ni sur le fondement de l'article L. 621-108 du même Code, car il est une mesure d'exécution forcée, comme telle non visée par ce texte(26).
2. La survie apparente de certains titres exécutoires

10. Certains titres exécutoires semblent survivre à la procédure permettant la saisie-attribution de créances à exécution successive et certaines actions contre des tiers. Mais cette survie est plus apparente que réelle : d'une part, la saisie-attribution qui poursuit ses effets après le jugement d'ouverture est analysée en une voie d'exécution « terminée » au sens que nous avons vu précédemment ; d'autre part les actions contre les tiers sont en réalité le plus souvent subordonnées à l'obtention d'un titre exécutoire contre ces tiers, c'est-à-dire en réalité à la délivrance d'un nouveau titre exécutoire.

11. La saisie-attribution terminée avant l'ouverture de la procédure ne peut être remise en cause ensuite. La règle est de bon sens : le créancier est dorénavant titulaire de la créance saisie qui est sortie du patrimoine du débiteur. Le créancier n'a même pas à déclarer sa créance (sauf si la créance saisie est insuffisante). Il en va de même pour l'avis à tiers détenteur qui comporte le même effet d'attribution immédiate(27).

En revanche, la saisie-attribution d'une créance à exécution successive pratiquée avant l'ouverture de la procédure soulève la question de savoir si l'effet attributif de la saisie s'applique aux termes échus après le jugement.

La jurisprudence est aujourd'hui fixée : après avis de la Cour de cassation(28) qui avait répondu affirmativement, en quoi l'avait suivi la deuxième Chambre civile(29), la Chambre commerciale avait jugé le contraire(30). Aussi une Chambre mixte a-t-elle été réunie qui a confirmé l'avis originel(31), jurisprudence à laquelle la Chambre commerciale s'est finalement ralliée(32), à propos d'un avis à tiers détenteur.

On peut pourtant ne pas être satisfait de cette solution.

En effet, le raisonnement qui la justifie repose sur l'effet attributif immédiat et sur les caractéristiques des créances saisies, qui, en tant que créances à terme peuvent être appréhendées quoiqu'elles ne soient pas exigibles(33). Pour autant, les spécialistes des procédures collectives ne manquent pas de remarquer que cette solution obère le redressement du débiteur, privé de rentrée d'argent(34).

Elle laisse également dubitatif au regard du principe d'égalité des créanciers car elle autorise le paiement d'une créance antérieure (celle du créancier saisissant) pendant la procédure(35), paiement validé, non sans artifice, par l'idée que la créance du débiteur serait sortie définitivement de son patrimoine avant sa procédure collective, soit avant que ce patrimoine soit frappé d'indisponibilité. Pour échapper à cet effet désastreux, il ne reste plus qu'à mettre un terme au contrat en cours(36) entre le débiteur et son propre débiteur, si cela est possible (difficile dans le cas du bail) et pas trop onéreux (mais les dommages-intérêts éventuellement dus par le débiteur sont considérés comme des créances antérieures) et à conclure un nouveau contrat, permettant la naissance de créances sur lesquelles le créancier n'aura pas de droit.

12. Les actions contre les tiers sont bien mieux encadrées. En effet, le titre exécutoire doit identifier le débiteur de l'obligation. Il convient d'ailleurs « de veiller scrupuleusement à l'adéquation entre l'identité du débiteur figurant dans le titre et celle du poursuivi(37) ». En matière de procédures collectives, le contentieux est relativement nourri sur ce point, ce qui ne saurait étonner, puisque les créanciers, privés d'action contre le débiteur, tentent de se retourner contre les tiers, obligés d'une façon ou d'une autre à la dette qui, eux, ne bénéficient pas du régime protecteur de la procédure. Ces créanciers ont alors tendance « à confondre le droit d'exercer des poursuites » contre ces tiers, « c'est-à-dire de saisir les tribunaux pour obtenir leur condamnation, et celui de mettre en œuvre des voies d'exécution, ce qui suppose l'obtention préalable d'un titre exécutoire(38) ». Or, ce n'est pas toujours possible. Quelques exemples témoignent de cette difficulté.

13. Ainsi, l'action contre la caution personne physique est suspendue pendant toute la durée de la procédure du débiteur, les créanciers ne pouvant prendre que des mesures conservatoires durant cette période(39).

Mais ces mesures conservatoires elles-mêmes risquent d'être invalidées, la Cour de cassation jugeant applicable l'article 215 du décret du 31 juillet 1992 qui impose au créancier, à peine de caducité, d'introduire une procédure ou d'accomplir les formalités nécessaires à l'obtention d'un titre exécutoire dans le délai d'un mois… Si donc la période d'observation dure plus d'un mois, la mesure conservatoire sera caduque(40).

Un titre exécutoire visant la caution ne peut donc pas être obtenu après le jugement d'ouverture du débiteur, et le titre antérieur audit jugement voit son efficacité suspendue. De surcroît, si un plan de continuation est adopté, la caution simple peut s'en prévaloir et donc bénéficier des délais et remises prévus par le plan, tant que celui-ci est exécuté(41).

14. L'action contre l'associé présente logiquement de grandes similitudes, s'agissant d'une action contre un garant subsidiaire.

Cette action n'est évidemment possible qu'à l'encontre des associés qui n'ont pas limité leur responsabilité.

Mais l'ouverture de la procédure collective de la société ne permet pas d'agir immédiatement en paiement contre eux.

Tout au contraire, le créancier doit d'abord obtenir un titre exécutoire contre l'associé lui-même, le titre exécutoire délivré à l'encontre de la société ne l'identifiant pas comme débiteur de l'obligation.

La Cour de cassation le rappelle autant que nécessaire : « Le titre délivré à l'encontre d'une société n'emporte pas le droit de saisir les biens des associés, fussent-ils indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales(42) ».

 Or, pour obtenir ce titre, le créancier doit prouver qu'il a « préalablement et vainement poursuivi la personne morale » si c'est une société civile(43) ou qu'il a « vainement mis en demeure la société par acte extrajudiciaire » dans le cas d'une société en nom collectif(44).

Dans le contexte particulier du redressement judiciaire de la personne morale, l'obtention du titre se heurte à deux difficultés. D'une part, tant que la société civile est en redressement judiciaire, il paraît difficile de dire que les poursuites du créancier sont vaines.

En effet, la possibilité même d'un plan de continuation laisse présager le paiement des créanciers(45).

Mais, même lorsque la société est en liquidation, la Cour de cassation exige que le créancier établisse que le patrimoine social est insuffisant, tout au moins lorsque le créancier n'a pas véritablement poursuivi la société avant l'ouverture de la procédure(46).

De ce point de vue, l'associé de la société civile, qui est traité comme la caution en cas de continuation(47), est mieux soigné en cas de liquidation. La situation du créancier d'une société en nom collectif est peut-être pire encore. En effet, l'article L. 624-1 du Code de commerce prévoit que le jugement d'ouverture « produit ses effets à l'égard de toutes les personnes membres ou associées de la personne morale et indéfiniment et solidairement responsables du passif social ».

Or cet « effet » consiste en l'ouverture d'une procédure personnelle à l'encontre de chaque associé, laquelle procédure interdit tout paiement ! Dans cette hypothèse, le créancier, même muni d'un titre exécutoire, devra donc se contenter de déclarer sa créance(48). Il doit la déclarer dans les deux procédures(49), celle de la personne morale parce que la dette est sociale ; celle de l'associé parce que le passif de celui-ci comprend, outre le passif social, son passif personnel(50).

B. Les titres exécutoires postérieurs

15. L'article L. 621-32 du Code de commerce pose en principe que « les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture sont payées à leur échéance ». La solution est bien connue.

 Il s'ensuit que les créanciers postérieurs sont dans la situation d'un créancier « ordinaire », c'est-à-dire d'un créancier dont le débiteur n'est pas en procédure collective.

 Ils ont même un petit avantage sur celui-ci car, pendant toute la procédure, le débiteur ne peut même pas obtenir un délai de grâce judiciaire(51).

Ils peuvent exercer toutes voies de droit pour obtenir le paiement de leur créance lorsque celui n'a pas lieu à l'échéance : se faire délivrer un titre exécutoire et pratiquer toutes sortes de saisies. Il y a là application quasi-exclusive de la loi du 9 juillet 1991.

Dès lors, la saisie-attribution emporte attribution immédiate au profit du créancier saisissant, peu important son classement au regard de l'article L. 621-32 III du Code de commerce car « lorsqu'il est possible de payer un créancier qui le demande, tout concours est exclu(52) ». Toutefois les créanciers postérieurs ne sont pas réellement égaux car ceux qui peuvent se délivrer un titre exécutoire à eux-mêmes, tel le Trésor public, peuvent réagir plus rapidement que les autres créanciers qui devront saisir le juge pour obtenir leur titre exécutoire après vérification de leur créance, ce qui prend des semaines, voire « plusieurs mois(53) ». Dans la course au paiement, ce « privilège du préalable(54) » constitue un avantage indéniable. L'avantage est encore amplifié par le fait qu'une course parallèle a souvent lieu, où l'on voit l'administrateur tenter de mettre toute somme à l'abri à la Caisse des dépôts et consignations. Il faut, en effet, en laisser le moins possible sur le compte bancaire du débiteur qui risque à tout moment d'être saisi !

16. Cette situation est critiquable car le droit des procédures collectives est un droit qui est censé faire régner l'ordre et lutter contre l'anarchie des poursuites individuelles.

Elle s'explique certes par la nécessité d'obtenir la coopération des créanciers au redressement de l'entreprise. Mais, à tout le moins, son domaine d'application devrait être soigneusement circonscrit. Seules des créances réellement postérieures devraient donc en bénéficier. On en revient par là à l'effet définitif de la saisie-attribution des créances à exécution successive. En effet, on peut s'interroger sur l'exactitude de la qualification de « créances postérieures » retenues pour certaines créances, au détriment du débiteur, en cas de poursuite d'un contrat en cours, par exemple un bail.

Juridiquement, n'est-il pas étonnant qu'une même créance à exécution successive – une même créance de loyer – soit, dans un cas, considérée comme née dès la conclusion du contrat, ce qui permet sa saisie par un créancier, et dans l'autre, comme née au moment de son exécution, ce qui la classe dans la catégorie des créances postérieures ?

Pourtant, la Cour de cassation n'hésite pas à affirmer que « la créance pour loyers dus postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective du preneur est née régulièrement après cette décision(55) ». Cette qualification ne s'imposait pourtant pas nécessairement car l'article L. 621-29 du Code de commmerce se contente d'évoquer « les loyers et charges afférents à une occupation postérieure » au jugement d'ouverture. Pour le bail, on pourrait donc admettre que la créance de loyer est antérieure mais que, par dérogation, l'article L. 621-29 permet son paiement afin d'éviter la résiliation(56).

Mais ce serait alors oublier que, pour bénéficier du privilège de l'article L. 621-32, il faut être titulaire d'une créance… postérieure, laquelle se définit comme celle qui est née après le jugement d'ouverture ! À quoi, on peut encore rétorquer que l'article L. 621-31 du Code de commerce offre un privilège propre au bailleur… mais seulement en cas de résiliation. Ce même texte semble d'ailleurs opter implicitement pour la qualification de créance antérieure en prévoyant que si le bail est continué « le bailleur ne peut exiger le paiement des loyers à échoir » lorsque les sûretés données « lors » du contrat sont maintenues ou suffisantes… En l'état, il existe donc au moins une raison de logique juridique pour ne pas adhérer pleinement à la solution de la Cour de cassation.

II. Titre exécutoire et dénouement de la procédure

La force du titre exécutoire après que le tribunal a statué sur le sort de l'entreprise est peu étudiée(57). L'entreprise n'est-elle pas redressée, redevenue in bonis et désormais soumise au sort commun des débiteurs ? Ou à l'inverse, n'est-elle pas liquidée ce qui ne permet pas, le plus souvent, la reprise des poursuites individuelles ? Il nous semble pourtant que ces dénouements(58) méritent notre attention, car le titre exécutoire n'y est pas indifférent. L'hypothèse de la continuation (A) précèdera celle de la liquidation (B).

A. La continuation de l'entreprise

La continuation de l'entreprise est, en théorie, la moins mauvaise solution pour les créanciers antérieurs, c'est-à-dire ceux qui ont subi de plein fouet la procédure collective du débiteur. En effet, le plan de continuation doit permettre leur paiement intégral, sous réserve des remises qu'ils ont consenties et des délais qu'ils ont acceptés ou qu'ils se sont vu imposer par le tribunal(59). Le débiteur éprouve pourtant fréquemment des difficultés à respecter le calendrier des paiements et à verser leur dividende à ses « vieux créanciers(60) ». Deux questions se posent alors : le juge peut-il octroyer un délai de grâce pour les échéances prévues par le plan ? Quels sont les moyens d'action du créancier ?

1. Délais du plan et délais de grâce

17. Après adoption du plan de continuation, le débiteur est in bonis (quelle que soit sa fragilité réelle). Par conséquent, le créancier souhaitant agir en paiement d'un dividende impayé à l'échéance est dans la situation d'un créancier ordinaire. Le droit des procédures collectives ne prévoit, en effet, qu'une seule voie d'action spécifique, la saisine du tribunal aux fins de résolution du plan(61).

Or, il est peu probable que le créancier ait intérêt à susciter l'ouverture d'une deuxième procédure. De surcroît, le tribunal « peut » prononcer la résolution du plan, mais il n'y est nullement tenu.

Le créancier non payé de son dividende à l'échéance doit donc agir en paiement et, selon la Cour de cassation, il doit emprunter les voies du droit commun(62).

 Corrélativement, le débiteur bénéficie-t-il alors des moyens de défense de ce droit commun et, notamment, de la possibilité d'obtenir un délai de grâce ? Certaines juridictions n'ont pas hésité à accorder des délais supplémentaires au débiteur de bonne foi, c'est-à-dire à celui « qui n'a pas été en mesure d'honorer ses engagements pour une raison particulière tel le non-paiement de ses propres créances(63) ». Ou encore « lorsque la résolution paraîtrait disproportionnée par rapport aux difficultés [du débiteur] et à sa bonne volonté établie(64) ». En d'autres termes, s'il ne prononce pas la résolution du plan, et s'il ne prononce pas non plus sa modification, le tribunal octroie implicitement mais nécessairement un délai de paiement au débiteur.

18. Faut-il aller plus loin et reconnaître au débiteur le droit d'invoquer l'article 1244-1 du Code civil ? Selon le professeur Guyon, « destiné à s'exécuter sur une assez longue durée, le plan doit faire l'objet d'une certaine flexibilité temporelle(65) ».

 Il s'ensuit, selon lui, qu'en cas d'inexécution de ses engagements par le débiteur, « si le manquement est minime et non constitutif d'une cessation des paiements, le tribunal peut se borner à un réaménagement du plan comportant, le cas échéant, un délai de grâce(66) », en sorte que « l'échéance reste la même, mais l'exécution est légèrement retardée »

L'octroi de délai de grâce dans l'exécution du plan de redressement ne paraît donc pas poser de difficultés.

Rien ne semble d'ailleurs interdire au juge d'appliquer l'article 1244-1 du Code civil pour reporter le paiement d'une échéance du plan. Ce texte d'ordre public permet, rappelons-le, au juge de reporter ou échelonner le paiement des sommes dues « compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins des créanciers, dans la limite de deux années ».

Il n'en reste pas moins que la loi limite le domaine d'application du texte, en interdisant au juge d'octroyer un délai de grâce en matière de dettes d'aliments(67), en matière cambiaire(68), ou lorsque le débiteur fait l'objet d'une saisie par d'autres créanciers.

Il en va également ainsi lorsque le débiteur fait l'objet d'une procédure collective(69), ce qui est logique car ce dernier est alors suffisamment protégé par le droit des procédures collectives qui interdit ou suspend toute action en paiement. En revanche, lorsque le débiteur exécute un plan de continuation, il ne bénéficie plus par hypothèse de cette protection, étant considéré malgré sa fragilité évidente, comme in bonis. C'est pourquoi, le cas échéant, l'article 1244-1 du Code civil nous semble pouvoir être invoqué, si les conditions d'application sont réunies. C'est donc uniquement « compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier » que le juge doit trancher. Il possède alors un pouvoir discrétionnaire, tout en étant sensible aux « réalités économiques » et, en particulier, « aux éventuels délais amiables déjà alloués(70) », a fortiori aux délais judiciaires que sont les délais du plan de continuation.

19. Un arrêt a pu jeter le trouble sur cette question(71). Rendu en matière de surendettement, il affirme que « les dispositions spéciales [de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1989(72)] dérogent au droit commun exprimé par l'article 1244 du Code civil » et censure en conséquence la cour d'appel qui avait autorisé le cumul de ces dispositions.

Il est cependant permis de considérer que cet arrêt n'empêche pas réellement l'application successive des délais qui nous intéressent. En effet, à l'époque, le Code de la consommation limitait « à 5 ans ou la moitié de la durée de remboursement restant à courir des emprunts en cours(73) ». Or, la Cour d'appel n'avait pas hésité, pour dépasser ce délai de 5 ans, dans le cadre même du redressement du ménage concerné, à utiliser le délai de l'article 1244 C. civ. et parvenir ainsi, par addition, à un remboursement sur 6 années (72 versements). La Cour d'appel avait donc appliqué cumulativement deux dispositions, celle propre au surendettement, qui limitait la durée du remboursement à 5 ans, et celle de l'article 1244-1 C. civ., qui limite la grâce judiciaire à l'octroi d'un délai de 2 ans. Ce que censure la Cour de cassation, c'est donc, nous semble-t-il, l'application cumulative de ces dispositions, dans la même décision relative au calendrier des remboursements.

20. Faut-il en conclure que le débiteur qui rencontre des difficultés dans l'exécution de ce calendrier ne peut obtenir un délai judiciaire, tout au moins si le délai ne conduit pas à dépasser la durée maximale de remboursement prévue par le Code de la consommation ? En refusant l'application de l'article 1244-1 du Code civil au débiteur qui « a bénéficié de mesures dans le cadre d'une procédure de règlement d'une situation de surendettement(74) », on accorde à cet arrêt une portée qu'il n'a pas. En réalité, l'exclusion de l'article 1244-1 du Code civil ne se justifie pas par le fait que le débiteur a bénéficié de mesures dans le cadre d'une procédure de règlement d'une situation de surendettement, mais par le fait qu'il n'y a pas lieu d'appliquer cet article dans la procédure de surendettement elle-même. D'ailleurs, lorsqu'on précise que l'exclusion du délai de grâce vaut pour le débiteur qui est en redressement ou liquidation judiciaires(75), on ne vise pas le débiteur qui a bénéficié de mesures dans le cadre d'une procédure collective. En effet, le débiteur qui bénéficie d'un plan de continuation et qui rencontre des difficultés dans l'exécution de ce plan n'est pas en redressement ou liquidation judiciaires.

21. Ainsi, en matière de procédures collectives, il n'existe aucun motif de refuser au débiteur un sursis de paiement d'une échéance du plan, sur le fondement de l'article 1244-1 du Code civil D'abord, il n'y a nullement application cumulative de l'article 1244-1 du Code civil et des textes du droit des procédures collectives. Tout au contraire, la demande de délais de grâce tend à l'application exclusive de l'article 1244-1 du Code civil et ce, même si cette demande succède à l'arrêté d'un plan de continuation. Au demeurant, le cumul est impossible, seul l'article 1244-1 étant applicable au débiteur « redressé » donc considéré comme in bonis (et n'étant pas en cessation des paiements). Ensuite, rien ne permet de dire que l'octroi d'un délai de grâce pour le paiement d'une échéance du plan de continuation conduira à dépasser les délais arrêtés par le tribunal. Il peut très bien n'y avoir lieu qu'à report d'une échéance, qui serait payée certes plus tardivement que prévu mais dans les délais fixés par le tribunal. Enfin, le droit des procédures collectives ne prévoit pas de durée maximale pour le calendrier des paiements du débiteur qui bénéficie d'un plan de continuation, tout au moins à l'heure actuelle(76). En effet, la durée d'exécution du plan et les délais de paiements sont nettement distingués par la loi. La durée du plan est régie par l'article L. 621-66 du Code de commerce, elle ne peut excéder dix ans. Les délais de paiement sont régis par l'article L. 621-76, « ils peuvent excéder la durée du plan ». En l'état, il faut donc conclure que le tribunal peut imposer des délais de paiement, et parfois même des délais aboutissant à dépasser la durée du plan, compte tenu de la limite de deux années fixée par l'article 1244-1 du Code civil lui-même(77).

La situation envisagée côté débiteur, qu'en est-il maintenant côté créancier ?

2. Quel titre exécutoire pour le dividende ?

22. Le jugement de continuation fait recouvrer au créancier son droit de poursuite individuelle et l'autorise à engager, après l'échéance, une mesure d'exécution forcée en vue d'obtenir le paiement du dividende fixé par le plan(78). S'agissant d'engager une mesure d'exécution forcée, le créancier devra préalablement s'être muni d'un titre exécutoire(79). Il est alors nécessaire de circonscrire la notion de titre exécutoire, dans ce contexte particulier « post » procédures collectives.

23. La première hésitation concerne l'ordonnance d'admission d'une créance rendue par le juge-commissaire. Cette ordonnance constitue-t-elle ou non un titre exécutoire ? La réponse est négative car la créance admise n'est pas nécessairement exigible. En témoigne l'article L. 621-76 du Code de commerce qui prévoit que le tribunal « donne acte » des délais et remises acceptés par les créanciers et qui conserve les délais de paiement stipulés par les parties avant l'ouverture de la procédure. De même, le tribunal peut imposer des délais aux créanciers. Ainsi, les créances concernées par ces différents délais, bien qu'admises par ordonnance du juge-commissaire, ne seront exigibles qu'à leur échéance. Par définition, elles ne sont donc pas exigibles et l'ordonnance d'admission ne peut constituer un titre exécutoire. De surcroî t, si le créancier a consenti une remise au débiteur, l'ordonnance d'admission ne reflète même plus le quantum de la créance(80)… Au demeurant, l'ordonnance ne condamne pas le débiteur à payer, et ne comporte pas non plus la formule exécutoire(81).

24. Deuxième hésitation : le jugement adoptant le plan de continuation constitue-t-il le titre exécutoire nécessaire ? Ce jugement est bien une décision de justice, à ce titre visée par l'article 3 de la loi du 9 juillet 1991, mais nous ne pensons pourtant pas qu'il constitue un titre exécutoire. En effet, d'une part, contrairement aux décisions de justice ordinaires, ce jugement ne condamne personne. Or, la Cour de cassation rappelle en tant que besoin que « toute exécution forcée implique que le créancier soit muni d'un titre exécutoire portant condamnation de la personne qui doit l'exécuter(82) ». Par nature, le plan de continuation est proposé par le débiteur et le tribunal ne peut imposer aucune autre charge que les engagements que le débiteur a souscrits au cours de sa préparation(83). Aussi, le jugement arrêtant le plan donne-t-il plus acte aux « parties » de leurs engagements qu'il ne les condamne à exécuter(84). Et même si l'on considère que le débiteur est engagé, il s'agit d'un engagement pris tout au plus vis-à-vis de la collectivité des créanciers – de respecter l'échéancier global – et non d'un engagement vis-à-vis d'un créancier en particulier, qui permettrait à ce dernier de tirer du jugement un titre exécutoire. D'autre part, l'inscription d'une créance au plan ne préjuge pas de son admission définitive(85). Il serait dès lors absurde de décider qu'est exécutoire une créance du simple fait de sa mention au jugement arrêtant le plan.

25. Troisième hésitation : les créances constatées dans un titre exécutoire définitif antérieur au jugement d'ouverture conservent-elles ce titre ? En d'autres termes, le prêt constaté par acte authentique, dont la créance de remboursement a été déclarée et admise, constitue-t-il le titre exécutoire requis pour autoriser le paiement du dividende dû au prêteur, en application du plan de continuation ? La réponse nous semble encore négative. En effet, d'une part, ces créances doivent être déclarées, donc être reconnues, dans la procédure collective, malgré leur caractère authentique. D'autre part, elles sont soumises aux délais et remises du plan, comme toutes les autres créances admises(86). Il en va de même des décisions passées en force de chose jugée, avant l'ouverture de la procédure mais non exécutées(87). Ainsi, a fortiori, que des décisions obtenues suite à la reprise de l'instance après déclaration : l'article L. 621-40 du Code de Commerce rappelle que ces instances « tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant ». Elles ne condamnent donc pas le débiteur à payer, ce qui serait d'ailleurs interdit, s'agissant par hypothèse de créances antérieures qui doivent être payées dans le cadre de la procédure. Ces décisions sont donc adressées au greffier de la procédure collective pour simple inscription sur l'état des créances(88). Dans le contexte particulier de la procédure collective, elles se voient ainsi privées de leur caractère exécutoire.

Finalement, les titres antérieurs semblent avoir perdu leur caractère exécutoire parce qu'à eux seuls, ils ne suffisent pas. Or, nous avons vu que l'ordonnance d'admission de la créance et le jugement arrêtant le plan de continuation ne sont pas non plus, sans doute, des titres exécutoires. L'addition d'actes dépourvus de ce caractère n'est donc pas plus efficace.

26. Enfin, l'état des créances ne constitue pas non plus un titre exécutoire. La Cour de cassation l'a jugé très nettement, en refusant au liquidateur de pratiquer la saisie des rémunérations dues au débiteur, qui était devenu employé d'une société(89). L'état des créances n'est d'ailleurs pas une décision de justice. Il est dépourvu de l'autorité de la chose jugée(90) et ne condamne pas le débiteur à payer…

27. En définitive, il semble donc que le créancier, qui a le droit d'exercer « après l'échéance, une action en paiement du dividende fixé par le plan dès lors que sa créance a été définitivement admise au passif(91) », doive dans tous les cas se munir d'un titre exécutoire avant d'emprunter les voies d'exécution.

 D'ailleurs, l'arrêt fondateur de ce droit a simplement admis que le créancier peut agir par la voie du référé-provision, qui précisément ne requiert pas l'établissement d'un titre exécutoire…

Ces hésitations se retrouvent dans l'hypothèse de la liquidation judiciaire lorsqu'elle est clôturée pour insuffisance d'actif.

B. La liquidation de l'entreprise

28. Il peut paraître être surprenant d'évoquer le titre exécutoire et donc les voies d'exécution alors que la liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif ne fait en principe pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur(92).

 Si l'actif est insuffisant, le débiteur est libéré. La règle figure à l'article L. 622-32. du Code de commerce.

Vilipendée par certains, comme consacrant un « droit de ne pas payer ses dettes », la règle témoigne pourtant d'une conception moderne et dynamique de l'entreprise, laquelle peut être un échec dont il doit être permis de se relever.

 S'opposent ainsi les anciens aux modernes, lesquels souhaitent encourager les esprits entreprenants à entreprendre sans crainte d'insuccès. Il s'agit paradoxalement d'une vision plutôt libérale des choses(93), quoiqu'elle soumette indiscutablement les créanciers aux risques de l'entreprise…

29. Certains débiteurs ne méritent toutefois pas ce traitement favorable. Aussi l'article L. 622-32 du Code de commerce prévoit-il des exceptions au principe de libération. Il en va ainsi lorsque la créance résulte d'une condamnation pénale(94) (et encore pour des faits étrangers à son activité professionnelle), d'une fraude fiscale(95) (au bénéfice alors du seul Trésor public), de droits attachés à la personne du créancier, ou de sommes payées en ses lieu et place par une caution ou un coobligé(96). Il en va ainsi également lorsque le débiteur a été sanctionné civilement (faillite personnelle, interdiction de gérer, déchéance pour cause de « récidive ») ou pénalement (banqueroute) ou qu'il a été jugé coupable de « fraude » à l'égard des créanciers(97).

30. Dans toutes ces hypothèses, la loi prévoit que « les créanciers dont les créances ont été admises et qui recouvrent l'exercice individuel de leurs actions peuvent obtenir, par ordonnance du président du tribunal, un titre exécutoire(98) ». L'article 154 du décret du 27 décembre 1985 précise non sans redondance (et sans avoir intégré la renumérotation opérée par la loi du 10 juin 1994) que « le créancier dont la créance a été admise et qui recouvre son droit de poursuite individuelle […] peut obtenir, par ordonnance du président du tribunal rendue sur requête le titre prévu au troisième alinéa (sic) de cet article. La caution ou le coobligé mentionné au deuxième alinéa peut, dans les mêmes conditions, obtenir un titre exécutoire sur justification du paiement effectué.

Dans les cas prévus aux premiers et deuxième alinéa (sic) […] l'ordonnance est rendue, le débiteur entendu ou appelé.

L'ordonnance vise l'admission définitive de ce créancier et le jugement de clôture pour insuffisance d'actif ; elle contient injonction de payer et est revêtue de la formule exécutoire ».

L'exigence de titre exécutoire est donc affirmée par la loi et le décret, témoignant de son caractère essentiel. Il en résulte que tous les créanciers qui recouvrent leur droit de poursuite individuelle doivent en être munis, s'ils veulent procéder à une mesure d'exécution forcée.

31. Doivent-ils tous l'obtenir du président du tribunal ? Le texte est ambigu car, d'un côté, il énonce que le créancier « peut » obtenir un titre exécutoire, ce qui pourrait signifier que cette possibilité profite à ceux qui ne sont pas déjà munis d'un tel titre mais ne concerne pas les autres. D'un autre côté, compte tenu du caractère exceptionnel de la reprise des poursuites(99), l'exigence d'une demande formulée auprès du président du tribunal de la procédure collective se comprendrait.

32. A cette question, la Cour de cassation a répondu, par un arrêt du 24 mars 2003 tout en nuance, à telle enseigne qu'il a été écrit qu'« il y a titre exécutoire et titre exécutoire(100) » !

En effet, la Cour d'appel avait estimé que « la procédure de redressement judiciaire a suspendu les voies d'exécution ainsi que l'exigibilité de la créance mais n'a aucun effet sur la validité du titre exécutoire lui-même, sous réserve d'une déclaration régulière de la créance ».

 Elle en avait déduit que le créancier (en l'espèce le Trésor public, ce qui a son importance) qui détient déjà un titre exécutoire et recouvre son droit de poursuite « peut se prévaloir de ce titre exécutoire antérieur sans avoir besoin de recourir à la procédure particulière prévue par l'article 154 du décret institué en faveur des créanciers ne détenant pas encore de titre exécutoire ».

Le créancier déjà muni du titre exécutoire était donc dispensé d'aller devant le président du tribunal de la procédure. La Cour de cassation se prononce de façon quelque peu ambiguë, car après avoir visé l'article L. 622-32 IV du Code de commerce et l'article 154 du décret, et posé en attendu de principe, que « les créanciers qui recouvrent leur droit de poursuite individuelle […] ne peuvent l'exercer qu'en obtenant un titre exécutoire délivré par le président du tribunal de la procédure collective », elle n'en juge pas moins qu'il appartenait au comptable poursuivant « de faire reconnaître par le président du tribunal de la procédure collective qu'il remplissait les conditions légales pour reprendre son droit de poursuite individuelle ».

33. A tout le moins donc le titre exécutoire – antérieur – ne se suffit pas à lui-même. Pour les créanciers munis d'un titre exécutoire « ordinaire », c'est-à-dire d'un titre qu'ils ne s'auto-délivrent pas, est-il nécessaire d'obtenir du président du tribunal le titre exécutoire permettant la reprise des poursuites ?

L'attendu de principe paraît autoriser cette interprétation. Pour l'Administration fiscale, qui se délivre son titre exécutoire à elle-même, il est « seulement » nécessaire de « faire reconnaître » son droit par le président du tribunal(101).

En toute hypothèse, le titre exécutoire antérieur ne devrait pas se suffire à lui-même car il faut vérifier que la créance a été admise définitivement(102), que la procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif(103) et que le créancier a bien recouvré son droit de poursuite(104).

34. La solution nous paraît tout à fait fondée : puisque le débiteur est en principe libéré par la clôture de la procédure, il est nécessaire de s'assurer que les créanciers qui prétendent agir le peuvent vraiment.

Le moyen utilisé par le législateur est de leur imposer d'aller devant le président du tribunal de la procédure. Or, si l'on dispense les créanciers munis de titres exécutoires antérieurs de cette phase, aucun contrôle ne sera exercé sur la régularité de leurs poursuites, le juge de l'exécution ne pouvant pas nécessairement déterminer si les conditions posées par le texte sont réunies.

Cette vérification ne peut être faite que par le tribunal de la procédure. Certains n'ont donc pas hésité à écrire que le jugement d'ouverture de la procédure « frappe de caducité les titres exécutoires existants(105) ». D'ailleurs, une interprétation logique des dispositions légales aboutit inéluctablement à cette conclusion. En effet, l'article L. 622-32 du Code de commerce ne prévoit-il pas que certains créanciers nécessairement munis de titres exécutoires « peuvent » obtenir du président un… titre exécutoire ? Tel est le cas des créanciers du premier alinéa dont la créance résulte d'une condamnation pénale et qui sont pourtant spécialement visés par le décret. La précision n'eût-elle pas été inutile si ces créanciers, munis du plus « intouchable(106) » des titres exécutoires – le titre judiciaire –, avaient été dispensés de faire reconnaître leur droit de poursuite ?

35. En définitive, il nous semble que tous les titres exécutoires constatant des créances antérieures devraient voir leur efficacité restreinte.

 En effet, ces titres prouvent qu'une vérification « individuelle » de la créance a été opérée, avant le jugement d'ouverture. La procédure collective impose, quant à elle, une vérification également « collective » – pour ne pas dire collectiviste – de toutes les créances, ce qui permet d'élaborer une solution adaptée à l'état, actif et passif, de l'entreprise(107).

De surcroît, l'élaboration des solutions de redressement est l'occasion d'un « ajustement » du passif, par réduction ou rééchelonnement, qui concerne toutes les créances antérieures, y compris celles constatées par un titre exécutoire.

Aussi les créanciers réclamant leur dividende lors de la continuation comme ceux qui se prévalent d'une reprise des poursuites après la liquidation, devraient-ils tous obtenir un nouveau titre, qui, le cas échéant, s'appuiera sur l'ancien. Dans les deux cas, la vérification du titre exécutoire dont se prévaut le créancier empêche toute exécution forcée immédiate.