Rapport au
Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006
réformant la saisie immobilière
NOR: JUSX0600046P
J.O n° 95 du 22 avril 2006 page 6068 texte n° 29
Monsieur le Président,
La présente ordonnance réformant la saisie immobilière a été élaborée
dans le cadre de l’habilitation de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour
la confiance et la modernisation de l’économie, autorisant le Gouvernement « à réformer
les dispositions du livre III du code civil relatives à l’expropriation et la
procédure de distribution du prix de vente des immeubles, pour simplifier les
procédures civiles d’exécution immobilières et les rapprocher des procédures
civiles d’exécution mobilières, renforcer le contrôle du juge et favoriser la
vente amiable ».
Le projet de réforme, comprenant un volet législatif et un volet
réglementaire, met en oeuvre ces orientations en retenant les principes
suivants :
- instituer un socle commun de règles d’exécution ;
- garantir l’équilibre entre les droits du débiteur et les intérêts
de ses créanciers en renforçant le rôle du juge et en maintenant la représentation
obligatoire par avocat ;
- responsabiliser le débiteur en l’autorisant à procéder à la
vente amiable de son bien ;
- sécuriser la procédure en imposant des garanties de paiement
aux acquéreurs ;
- simplifier et accélérer la procédure en limitant les
contestations dilatoires et en anticipant la procédure de distribution du prix
de vente.
A cet effet, l’ordonnance comporte des dispositions modifiant le
code civil (titre Ier), des dispositions diverses (titre II) et des
dispositions finales (titre III).
*
* *
Conformément à l’article 1er le code civil est modifié par les
articles 2 à 11 du titre Ier de l’ordonnance.
1.1. La
modification du titre XIX du livre III du code civilrelatif à la
saisie immobilière
L’article 2 de l’ordonnance remplace le titre XIX du livre III
du code civil consacré aux différentes manières dont on acquiert la propriété. Ce
titre qui comportait les articles 2204 à 2218 est désormais composé des
articles 2190 à 2216.
Il est remanié : l’ancien intitulé : « de l’expropriation forcée
et de l’ordre entre les créanciers » est remplacé par les termes : « de la
saisie et de la distribution du prix de vente de l’immeuble », plus explicites
et plus en cohérence avec la terminologie utilisée en matière de procédure
civile d’exécution.
Le titre est introduit par un article 2190 ayant pour objet de définir
la saisie immobilière : celle-ci tend à la vente forcée de l’immeuble d’un débiteur
ou d’un tiers détenteur en vue de la distribution de son prix. Il est divisé en
deux chapitres, « de la saisie » et « de la distribution du prix »,
correspondant aux deux phases de la procédure d’exécution forcée en matière
immobilière. Le premier chapitre comprend cinq sections, la première relative
au créancier, la deuxième aux biens et droits saisissables, la troisième au débiteur,
la quatrième aux effets de l’acte de saisie et la cinquième à la vente du bien
saisi.
1.1.1. Les
conditions préalables à la poursuited’une
saisie immobilière
Les trois premières sections du chapitre relatif à la saisie,
portant sur les articles 2191 à 2197 du code civil, définissent les conditions
préalables à la vente forcée des biens saisis.
1.1.1.1. Les
conditions relatives au créancier
L’article 2191 harmonise les conditions de la saisie immobilière
avec celles des procédures civiles d’exécution en disposant que la saisie ne
peut être pratiquée qu’en vertu d’un titre exécutoire constatant une créance
liquide et exigible et en prévoyant que la loi du 9 juillet 1991 portant réforme
des procédures civiles d’exécution sera applicable à la saisie immobilière,
sauf dispositions contraires. Ainsi, l’ensemble des solutions dégagées en matière
de procédure civile d’exécution mobilière trouvera à s’appliquer en matière de
saisie immobilière.
Les deuxième et troisième alinéas de cet article précisent les
conditions dans lesquelles l’exécution forcée d’une décision de justice peut être
poursuivie. C’est ainsi que pourra servir de fondement à une
vente forcée, afin d’éviter que cette procédure qui porte atteinte au droit de
propriété ne puisse être conduite sur le seul fondement d’un titre provisoire. Au
surplus, le troisième alinéa de cet article interdit l’engagement d’une saisie
immobilière seule
une décision définitive passée en force de chose
jugée - ce qui exclut l’ordonnance de
référé -sur le fondement d’une
décision rendue par défaut, tant que le délai
d’opposition n’est pas expiré ; en effet, dans le cas de la décision rendue par
défaut, le risque est grand qu’elle soit remise en cause par l’opposition du défendeur
et le débat contradictoire.
Le montant de la créance doit être en corrélation avec la valeur
des biens saisis, compte tenu du principe énoncé à l’article 22 de la loi du 9
juillet 1991, aux termes duquel les mesures ne peuvent excéder ce qui se révèle
nécessaire pour obtenir le paiement de l’obligation. L’article 2192 fait une
application particulière de ce principe en cas de pluralité de saisies immobilières
par le même créancier. Ainsi, le créancier qui a déjà saisi un bien immobilier
du débiteur ou qui dispose d’une hypothèque sur un bien de son débiteur ne peut
initier la saisie d’un autre bien immobilier, à moins que la valeur du bien déjà
saisi ou hypothéqué ne suffise pas à l’indemniser de sa créance.
1.1.1.2. Les
conditions relatives au bien saisi
L’article 2193 détermine les biens pouvant faire l’objet d’une
saisie immobilière en reprenant les orientations dégagées par la jurisprudence :
d’une part, il doit s’agir de droits réels afférents aux immeubles y compris
leurs accessoires réputés immeubles et, d’autre part, le bien doit pouvoir
faire l’objet d’une cession. S’ajoutera à cette dernière condition celle résultant
de l’article 14 de la loi du 9 juillet 1991, qui énumère les biens
insaisissables.
En application du principe selon lequel l’accessoire suit le
principal, l’article 2194 ajoute un second alinéa qui prévoit que la saisie d’un
immeuble emporte également saisie de ses fruits, à moins bien sûr qu’une saisie
antérieure ne porte déjà sur ces fruits.
L’importance qu’un bien immobilier revêt dans le patrimoine d’un
couple justifie que soit écartée la règle de l’administration concurrente des
biens communs édictée par l’article 1421 du code civil, dont la jurisprudence déduit
le pouvoir qu’a chaque époux pour défendre à une procédure judiciaire relative à
un bien commun ; l’article 2195 prévoit au contraire que la saisie immobilière
doit être poursuivie contre les deux époux.
1.1.1.3. Les
conditions relatives au débiteur
En cas de saisie simultanée de plusieurs immeubles du débiteur,
l’article 2196 prévoit que celui-ci peut solliciter le cantonnement de la
saisie à un ou plusieurs biens, ou sa conversion partielle en hypothèque. Dans
ce dernier cas, pour ne pas nuire aux intérêts du créancier poursuivant, l’ordonnance
prévoit que l’hypothèque prend rang au jour de la publication de la saisie,
sous réserve d’être inscrite dans le mois de la notification de la décision
ordonnant la conversion.
Par ailleurs, les immeubles d’un mineur ou d’un majeur sous
mesure de protection continueront à ne pouvoir faire l’objet d’une saisie
immobilière qu’après la discussion des meubles, c’est-à-dire après la poursuite
sur les biens mobiliers du mineur. Tel est l’objet de l’article 2197.
1.1.2. Les
effets de l’acte de saisie
A l’effet de préparer le transfert forcé de propriété, il
convient de rendre le bien indisponible pour le débiteur, qui ne doit pas
pouvoir faire échec à la saisie en l’aliénant ou en le grevant de droits réels.
Tel est l’objet de l’article 2198 qui prévoit que la saisie rend le bien
indisponible pour le débiteur et restreint ses droits de jouissance et d’administration.
C’est ainsi que les biens ne peuvent être aliénés, ni grevés de droit réel, qu’il
s’agisse de servitude ou d’hypothèque conventionnelle. En revanche, seul le débiteur
est affecté par ces dispositions : aussi, le bien pourra faire l’objet d’une
servitude légale nouvelle ou d’une hypothèque judiciaire prise par un créancier.
Par ailleurs, le second alinéa de cet article organise la
conservation du bien dans l’attente de sa vente, en constituant le débiteur séquestre
du bien saisi. Cette règle ne saurait toutefois s’appliquer lorsque l’immeuble
est régulièrement donné à bail. En effet, dans cette hypothèse, le locataire
est seul détenteur de l’immeuble saisi. Le locataire ne peut pas non plus être
lui-même séquestre du bien saisi, dans la mesure où il dispose de droits
opposables au créancier saisissant, qui sont inconciliables avec les règles du
séquestre. Pour mémoire, l’obligation de conservation du locataire se distingue
en effet de celle du séquestre et le locataire dispose de droits de jouissance
qui ne sont pas conférés au séquestre. En tout état de cause, si le locataire
ne respecte pas son obligation de conservation, telle qu’elle résulte des règles
du bail, le débiteur saisi et, à son défaut, le créancier poursuivant sur le
fondement de l’action oblique pourra en imposer le respect ou obtenir la résiliation
du bail. En revanche, il n’est pas nécessaire de réserver le cas où l’immeuble
est occupé par un tiers sur le fondement d’un droit réel, tel l’usufruit, dans
la mesure où seul le droit réel du débiteur fait l’objet d’une saisie. Enfin,
ce texte permet de constituer un tiers séquestre, voire d’expulser le débiteur
pour cause grave lorsque les circonstances le justifient ; ces circonstances
appréciées par le juge pourront résulter d’un irrespect par débiteur des
obligations du séquestre.
Enfin, le fait de consentir un bail sur un immeuble peut en
affecter la valeur vénale et détourner les acquéreurs potentiels. Pourtant il
ne s’agit pas nécessairement d’un acte de disposition, certains baux relevant
des actes d’administration. C’est pourquoi, pour assurer une protection des créanciers,
l’article 2199 dispose que les baux, quelle qu’en soit la durée, consentis par
le débiteur après l’engagement de la saisie sont inopposables au créancier
poursuivant comme à l’acquéreur. Les droits du preneur se prévalant d’un
contrat antérieur à la saisie sont préservés par la possibilité de prouver par
tout moyen l’antériorité du bail.
Pour donner toute sa portée au principe d’indisponibilité du
bien, l’article 2200 dispose que la saisie immobilière est opposable aux tiers à
compter de sa publication au fichier immobilier.
Les deuxième et troisième alinéas détaillent les effets de cette
opposabilité : les aliénations et inscriptions non publiées ou publiées postérieurement
à la saisie sont inopposables au créancier poursuivant comme à l’acquéreur. Ce
texte réserve toutefois le droit des créanciers titulaires du privilège du
vendeur, du prêteur de deniers et du copartageant, qui bénéficient d’un effet rétroactif
légal de leur inscription, en application des articles 2379 à 2381 du code
civil. Ainsi, à titre d’illustration, le créancier d’un copartageant alloti d’un
immeuble, qui diligente une saisie immobilière dans les deux mois du partage,
se verra opposer le privilège du copartageant, créancier d’une soulte due par
le débiteur, à la condition d’inscrire son privilège dans les deux mois du
partage.
De facto, cette disposition revient à assimiler la saisie
immobilière à l’inscription d’un droit d’hypothèque sur le bien, prenant rang à
la date de la publication de la saisie. Cette assimilation s’explique par la
possibilité qu’a tout créancier de solliciter l’inscription d’une hypothèque
judiciaire ou de pratiquer une sûreté judiciaire. Elle permet ainsi d’éviter
une multiplication des procédures et des frais qui s’en suivent.
Cette assimilation de la saisie à une hypothèque conduit également
à aligner la situation de celui qui acquiert des droits réels sur le bien saisi
sur celle du tiers acquéreur d’un bien hypothéqué, à savoir notamment le droit
de purger les inscriptions en payant les créances inscrites. C’est ainsi que l’article
2200 prévoit une exception à l’inopposabilité lorsque l’acquéreur, le titulaire
du droit réel ou le saisi consigne une somme suffisante pour acquitter en
principal, intérêts et frais, ce qui est dû aux créanciers inscrits ainsi qu’au
saisissant. Le texte précise bien évidemment que la somme ainsi consignée sera
affectée au paiement des créanciers inscrits et du créancier poursuivant.
1.1.3. La
vente du bien saisi
Les lignes directrices de la mise en vente du bien saisi relèvent
de la matière législative et figurent par conséquent dans le code civil, dans
la mesure où cette vente forcée porte atteinte au droit de propriété.
La seule issue effective de la saisie immobilière a été jusqu’à présent
la vente aux enchères, qui débouche sur une adjudication. Pourtant une telle
vente aux enchères peut être source de vil prix. Le rapport d’enquête conjointe
de l’inspection générale des finances et de l’inspection des services
judiciaires (L’Hypothèque et le crédit hypothécaire, novembre 2004, page 52), a
ainsi relevé - après exploitation des données de plusieurs conservations d’hypothèques
- qu’un quart des adjudicataires revendaient le bien moins de deux ans après l’avoir
acquis, moyennant un prix en moyenne majoré de 70 % par rapport au prix d’acquisition
; le rapport tempère toutefois ses constatations en rappelant n’avoir pu vérifier
si des travaux d’amélioration ont été réalisés.
Pour remédier à ce risque de vente à vil prix, l’article 2201 du
code civil constitue l’une des innovations majeures de la réforme en prévoyant
une alternative à la vente aux enchères publiques, à savoir la vente amiable
sur autorisation judiciaire. Ainsi, le débiteur se trouvera responsabilisé en
prenant une part active à la vente de son bien. Le principe d’une autorisation
judiciaire assure une garantie adéquate des intérêts des parties, en impliquant
tout à la fois que la vente amiable ne puisse être ordonnée qu’à la demande du
débiteur et après une appréciation sur le bien-fondé de cette solution.
La saisie d’un immeuble d’un débiteur porte atteinte au droit de
propriété ainsi, le cas échéant, qu’au droit au logement, tous deux de valeur
constitutionnelle. Il importe donc que cette expropriation respecte le cadre défini
par l’ordonnance et son décret d’application, seuls à même de garantir l’équilibre
entre les parties. Tel est l’objet du second alinéa de l’article 2201, qui
interdit la conclusion de toute convention autorisant le créancier à faire
vendre les immeubles de son débiteur en cas d’inexécution contractuelle, sans
respecter la procédure de la saisie immobilière. Cette convention dite de « voie
parée » doit être distinguée du pacte commissoire, autorisée sous certaines
conditions par les articles 2458 à 2460 issus de l’ordonnance du 23 mars 2006
relative aux sûretés.
Cette section est divisée en trois paragraphes respectivement
relatifs à la vente amiable, à l’adjudication et aux dispositions communes.
1.1.3.1. La
vente amiable
La vente amiable sur autorisation judiciaire est assimilée dans
ses effets à une vente volontaire par l’article 2202, rendant ainsi applicables
à cette aliénation les dispositions relatives aux ventes de droit commun,
notamment celles du code civil.
Par ailleurs, afin d’interdire toute vente à tempérament, l’article
2203 prévoit que l’acte notarié de vente n’est établi que sur consignation du prix
et des frais de la vente et justification du paiement des frais de procédure
taxés.
1.1.3.2. L’adjudication
Les articles 2204 à 2206 détaillent les conditions dans
lesquelles se déroule la vente aux enchères, en reprenant pour l’essentiel les
solutions actuellement en vigueur.
L’organisation des enchères doit être analysée à la lumière du
double objectif poursuivi : attirer le plus grand nombre d’enchérisseurs, mis
en concurrence selon une procédure transparente, tout en écartant les enchérisseurs
insolvables, qui ne pourraient payer le prix d’adjudication.
C’est ainsi qu’en application de l’article 2204 les enchères se
déroulent sous la direction du juge, à l’audience, qui pourra faire respecter
le principe de liberté des enchères.
Par ailleurs, ce principe conduit l’article 2205 à affirmer le
droit pour toute personne de participer aux enchères, sous réserve des
incapacités résultant des fonctions qu’elle exerce, ce qui vise à éviter tout
conflit d’intérêts. En revanche, tout candidat aux enchères devra présenter des
garanties de paiement, qu’un décret d’application précisera.
Enfin, l’article 2206 reprend, en l’étendant, le mécanisme issu
de la loi n° 98-46 du 23 janvier 1998 : les enchères partent de la mise à prix
fixée par le créancier poursuivant, qui peut être déclaré acquéreur pour ce
montant en l’absence d’enchère ; en cas d’insuffisance manifeste de la mise à prix,
le débiteur peut demander au juge de majorer son montant, le poursuivant ne
pouvant toutefois être déclaré acquéreur que pour la mise à prix initiale ; il
s’agit d’éviter dans ce cas que l’acquéreur se voie imposer un transfert de
propriété moyennant un prix auquel il n’aurait pas consenti, en vertu du
principe de liberté contractuelle. Ce dispositif respecte les exigences
constitutionnelles résultant de la décision du Conseil constitutionnel du 29
juillet 1998 portant sur la loi d’orientation relative à la lutte contre les
exclusions (décision n° 98-403 DC, publiée au Journal officiel du 31 juillet 1998,
page 11710).
L’article 707 du code de procédure civile autorisait jusqu’à présent
l’adjudicataire à déclarer command dans les vingt-quatre heures de la déclaration
d’adjudication. Ce droit revenait à conférer à l’adjudicataire une faculté de
se substituer un tiers qui n’avait pas participé aux enchères, sans pour autant
être soumis à un double droit de mutation. Les soucis de transparence des enchères
et de mise en concurrence des enchérisseurs conduisent à interdire cette déclaration
de command à l’article 2207.
Les articles 2208 à 2212 définissent les effets de l’adjudication.
Conformément à l’article 2208, bien qu’il n’y ait pas d’accord
du débiteur, cette adjudication est assimilée à une vente et opère donc
transfert de propriété.
Le fait que la vente forcée soit conduite sous l’autorité de la
justice ne doit pas conférer à l’acquéreur des droits qui excéderaient ceux détenus
par le débiteur sur le bien, à l’exclusion de la purge des hypothèques ; aussi,
l’article 2208 rappelle la règle générale issue de l’article 1599 du code civil
selon laquelle la vente forcée ne transmet pas à l’acquéreur plus de droits que
ceux appartenant au saisi ; en revanche, ce dernier restera tenu de la délivrance
du bien et de la garantie d’éviction, ainsi que la jurisprudence l’a admis,
cette garantie n’étant au demeurant qu’une conséquence normale de l’obligation
de délivrance pesant sur le vendeur.
L’article 2209 prévoit une autre spécificité de cette vente : malgré
le transfert immédiat de propriété, le titre de vente n’est remis à l’adjudicataire
qu’après paiement des frais de la procédure : cette sécurité vise à limiter les
effets d’une adjudication au profit d’un enchérisseur inconséquent ; elle est
complétée par les dispositions issues du second alinéa de l’article 2211, ci-après
examinées.
En l’état actuel du droit, l’adjudicataire est obligé de
solliciter l’expulsion en justice du débiteur qui se maintient dans les lieux,
la jurisprudence considérant en effet que le jugement d’adjudication n’est pas
un titre d’expulsion (Cour de cassation, 2e chambre civile, 7 mars 2002, publié
au Bulletin civil 2002, II, n° 28). Pourtant, en pratique, l’obligation d’introduire
une procédure d’expulsion se révèle inutilement complexe, coûteuse et ce
faisant susceptible de dissuader les particuliers à participer à des ventes aux
enchères. C’est pourquoi l’article 2210 prévoit que le jugement d’adjudication
constitue un titre d’expulsion. Les conditions dans lesquelles le jugement
pourra être utilisé à cette fin seront toutefois définies dans le décret d’application,
conformément à l’article 23 de l’ordonnance.
Si, d’un point de vue juridique, le transfert de propriété résulte
de l’adjudication, d’un point de vue économique, il est lié au versement du
prix et des frais. Le premier alinéa de l’article 2211 dispose donc que le prix
doit être consigné sur un compte séquestre ou à la Caisse des dépôts et
consignations et les frais payés. Le prix de la vente ne peut en effet être payé
au débiteur puisqu’il constitue le gage du créancier poursuivant et des créanciers
hypothécaires.
Par ailleurs, pour sécuriser l’opération, le deuxième alinéa de
l’article restreint provisoirement le droit de propriété de l’adjudicataire
pour tenir compte du report du paiement : avant ce paiement l’adjudicataire ne
peut disposer du bien - c’est-à-dire le céder, le démembrer ou consentir des
droits réels. Toutefois, l’objectif de revalorisation de l’hypothèque
poursuivie par l’ordonnance du 23 mars 2006 relative aux sûretés, ainsi que la
volonté d’inciter le plus grand nombre de personnes à participer aux ventes aux
enchères, conduisent à réserver le cas de la constitution d’une hypothèque
accessoire au prêt souscrit pour l’acquisition du bien. Conformément aux
dispositions de l’article 2125 du code civil, ce droit d’hypothèque sera
consenti sous la condition résolutoire du versement du prix et des frais.
Enfin, l’article 2212 prévoit qu’à défaut de versement du prix
et des frais, la vente est résolue de plein droit : elle sera réputée ne pas
avoir eu lieu. Dans cette hypothèse, il conviendra de réitérer la vente aux
enchères aux frais de l’adjudicataire dont la défaillance impose cette réitération
: à cet effet, le second alinéa prévoit que si le prix qui résulte de cette
seconde adjudication est inférieur à l’enchère de l’adjudicataire défaillant,
celui-ci est tenu de la perte qui en résulte, ce qui n’est qu’une application
du principe contenu à l’article 1149 du code civil, selon lequel les dommages
et intérêts correspondent notamment au gain dont le créancier a été privé ; par
ailleurs, les sommes versées par l’adjudicataire défaillant seront conservées
pour être distribuées aux créanciers.
1.1.3.3. Les
dispositions communes à la vente
En
droit commun, le créancier hypothécaire dispose
d’un droit de
poursuivre l’acquéreur d’un bien
hypothéqué, sur le fondement de son droit de
suite, en application des articles 2461 à 2474 du code civil. En
cas de vente
sur saisie immobilière, quelles qu’en soient les
modalités, l’acquéreur du bien
ne peut pas être soumis à ce droit de suite,
puisqu’il acquitte un prix de
vente affecté aux créanciers privilégiés et
censé correspondre à la valeur vénale
du bien. Aussi, l’article 2213 prévoit que la consignation
du prix et le
paiement des frais de la vente purgent de plein droit l’immeuble
de toute
hypothèque ou de tout privilège du chef du
débiteur.
1.1.4. La
distribution du prix de vente
Conformément à l’article 38 de la loi du 9 juillet 1991 réformant
les procédures civiles d’exécution, la distribution des deniers provenant de l’exécution
forcée sera réglée par le décret d’application de l’ordonnance.
Toutefois, la détermination des personnes pouvant prétendre au bénéfice
de cette distribution est fixée par l’article 2214 du code civil, s’agissant d’une
question de fond. Peuvent participer à cette distribution le créancier
poursuivant et les créanciers ayant inscrit une hypothèque ou un privilège sur
l’immeuble avant la vente, ainsi que les créanciers privilégiés dispensés de
toute inscription, à savoir le syndicat des copropriétaires pour le paiement
des charges et travaux de la copropriété (article 2374 [1°]) et les créanciers
titulaires d’un privilège général sur les immeubles (article 2375).
Les articles 2215 et 2216 entendent garantir l’efficacité et la
rapidité de la procédure de distribution.
L’efficacité de la distribution impose que les créanciers
susceptibles de participer à cette distribution déclarent leurs créances en
temps voulu, sans que leur négligence ne paralyse les opérations. A cet effet,
l’article 2215 dispose que les créanciers ayant fait l’objet d’une sommation de
déclarer leur créance au cours de la procédure de saisie immobilière sont déchus
de leur sûreté en cas de carence.
Les créanciers sont incités à la célérité dans le cadre des opérations
de distribution par l’article 2216. En l’état actuel de la procédure de saisie
immobilière, tant que la distribution n’est pas finalisée, les intérêts des créances
continuent à courir puisque le débiteur n’est pas libéré par la consignation du
prix de vente. Pourtant, il n’est pas responsable de la durée de cette procédure
de distribution. C’est ainsi que les procédures de distribution peuvent se
prolonger de nombreux mois, voire plusieurs années. Pour remédier à ce défaut,
l’article 2216 adopte un mécanisme s’inspirant de la procédure de l’offre réelle
de paiement, de l’article 1257 du code civil : à l’expiration d’un délai qui
sera fixé par décret en Conseil d’Etat, la consignation par l’acquéreur du prix
produira tous les effets d’un paiement à hauteur de la part du prix de vente
distribué, si le paiement n’est pas déjà intervenu.
1.2. Les
autres modifications affectant le code civil
Les
articles 3 à 11 de l’ordonnance apportent des modifications purement formelles
au code civil, afin de tenir compte des nouvelles terminologies employées,
ainsi que du regroupement des dispositions relatives à la saisie immobilière
dans le titre XIX du livre III.
TITRE II DISPOSITIONS
DIVERSES
2.1. Le
transfert de compétence au juge de l’exécution
La
réforme des voies d’exécution issue de la loi du 9
juillet 1991
a créé le juge de l’exécution et lui a
conféré la compétence pour connaître de
l’ensemble des questions relatives aux procédures
d’exécution mobilières. Dans
un souci d’harmonisation des procédures et de
rationalisation des compétences,
l’article 12 parachève le dispositif de la loi de 1991 en
confiant au juge de l’exécution
la compétence pour connaître de la saisie
immobilière et de la procédure de
distribution qui s’en suit.
Il est toutefois apparu nécessaire d’étendre le champ de ses
compétences qui résulte des procédures civiles d’exécution mobilières, dans la
mesure où l’efficacité et la complexité de la procédure de saisie immobilière
peuvent impliquer l’examen de questions qui débordent la compétence habituelle
du juge de l’exécution. Il est donc prévu que le juge de l’exécution dispose du
pouvoir d’examiner l’ensemble des contestations pouvant être soulevées à l’occasion
de la procédure de saisie immobilière, ainsi que les demandes s’y rapportant
directement, afin qu’un seul juge demeure saisi.
Le juge de l’exécution connaît désormais de l’ensemble des procédures
d’exécution, dont les règles sont par ailleurs harmonisées par le renvoi aux
dispositions non contraires de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme
des procédures civiles d’exécution.
Les articles 13, 14 et 16 tirent les conséquences de ce
transfert de compétence, dans la procédure de surendettement et dans les procédures
collectives. L’article 16 réserve toutefois l’application de l’article 10 de la
loi du 9 juillet 1991 - qui détermine les personnes pouvant représenter une
partie devant le juge de l’exécution - afin de maintenir pour la saisie
immobilière le principe de la représentation obligatoire par avocat.
2.2. La
majoration du taux légal en cas de
défaillance de l’acquéreur
Dans un souci d’effectivité du jugement d’adjudication, l’article
15 étend à ce dernier la majoration du taux de l’intérêt prévue par l’article L.
313-3 du code monétaire et financier en cas de condamnation pécuniaire prise
par une décision de justice exécutoire : cette majoration sera également attachée
de plein droit au jugement d’adjudication, en portant le délai à quatre mois
suivant son prononcé pour tenir compte du délai de consignation.
2.3. La
protection du tiers occupant l’immeuble saisi
La mise en vente du bien aux conditions déterminées par le créancier
poursuivant (montant de la mise à prix, publicité, établissement des documents
obligatoires, etc.) impose de permettre à ce dernier de pénétrer dans les lieux
pour connaître le bien saisi. Le projet de décret organise à cet effet l’établissement
d’un procès-verbal de description par un huissier de justice. Pour pénétrer
dans les lieux, en cas d’opposition du débiteur qui les occupe, il conviendra
de faire application des dispositions de l’article 21 de la loi 9 juillet 1991,
qui autorise l’huissier de justice à y procéder en présence d’un représentant
de la commune, d’une autorité de police ou de gendarmerie ou de deux témoins. Cette
protection apparaît toutefois insuffisante lorsque l’occupant du local n’est
pas le débiteur saisi, mais un tiers disposant d’un droit opposable au débiteur,
à savoir en pratique un locataire, un usufruitier ou tout bénéficiaire d’un
contrat d’occupation. En application de la garantie d’éviction, l’occupant ne
doit pas être troublé dans sa jouissance pour une cause imputable au propriétaire.
Aussi, il convient de prévoir une procédure particulière pour pénétrer dans les
lieux en cas d’opposition de son occupant. Tel est l’objet de l’article 17 qui
insère un alinéa dans l’article 21 de la loi du 9 juillet 1991, prévoyant que l’huissier
de justice doit obtenir l’autorisation préalable du juge de l’exécution requis à
cette fin. Cette procédure est inspirée de l’article 50 de la loi du 9 juillet 1991
relatif à la saisie-vente d’un bien du débiteur détenu par un tiers.
2.4. Les
dispositions de coordination
Le II de l’article 17 ainsi que les articles 18 à 20 de l’ordonnance
sont des dispositions de coordination, qui tirent les conséquences de
changements de références (articles 17-II et 18) et de modifications
terminologiques (articles 19 et 20).
2.5. Le
maintien du droit local alsacien mosellan
En matière de saisie immobilière, les départements d’Alsace et
de Moselle appliquent le droit local. C’est ainsi que le code civil et le code
de procédure civile ne sont applicables à ces départements que dans la mesure où
la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans
les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle - et spécialement
son titre V relatif aux procédures de saisie immobilière - le prévoit. Le droit
local alsacien mosellan - qui confie l’essentiel de la procédure de saisie
immobilière à un notaire - présente ainsi un équilibre propre que l’ordonnance
préserve, d’autant que l’habilitation du Gouvernement ne lui permet que la
modification du code civil, à l’exclusion du droit local. Cette restriction est
expressément prévue par l’article 21.
2.6. Les
dispositions d’abrogation
L’article 22 abroge les dispositions remplacées par le projet de
réforme, ou devenues inutiles : les titres de l’ancien code de procédure civile
relatifs à la saisie immobilière, dont la nature hybride impose une abrogation
de niveau législatif ; l’article 88 de la loi du 9 juillet 1991 qui renvoie à l’ancien
code de procédure civile l’organisation de la saisie immobilière ; la loi du 14
novembre 1808 relative à la saisie des biens d’un débiteur situés dans
plusieurs arrondissements ; enfin, une disposition de la loi du 15 juin 1976
faisant référence à l’article 2214 du code civil, dont le contenu, inutile, n’est
par repris par l’ordonnance.
TITRE III DISPOSITIONS
FINALES
3.1. Le
renvoi à un décret d’application
L’article 23 de l’ordonnance renvoie à un décret le soin de définir
les conditions d’application nécessaires à l’entrée en vigueur de la réforme. Une
liste des principaux domaines concernés est donnée à titre indicatif et non
exhaustif.
3.2. L’application
à l’outre-mer
En application des dispositions de l’article 2508 du code civil,
les dispositions du titre XIX du livre III sont applicables à Mayotte. Il est
donc nécessaire de rendre l’ordonnance applicable dans son ensemble à Mayotte,
sous réserve des adaptations nécessaires. Tel est l’objet du premier alinéa de
l’article 24.
Le second alinéa prévoit des mesures transitoires, destinées à coordonner
l’entrée en vigueur de la réforme de la saisie immobilière à Mayotte avec celle
de l’ordonnance du 28 juillet 2005 portant adaptation de diverses dispositions
relatives à la propriété immobilière à Mayotte et modifiant le livre IV du code
civil et de l’ordonnance du 23 mars 2006 relative aux sûretés.
3.3. L’entrée
en vigueur de l’ordonnance
L’article 25 reporte l’entrée en vigueur de l’ordonnance à la
date de l’entrée en vigueur de son décret d’application, qui devra intervenir
au plus tard le 1er janvier 2007. Cette disposition spécifique est nécessaire
dans la mesure où certaines dispositions de l’ordonnance ne nécessitent pas de
décret d’application : il s’agit essentiellement du transfert de compétence
vers le juge de l’exécution, qui est pourtant lié au changement de règles
applicables en matière de saisie immobilière.
Tel est l’objet de la présente ordonnance que nous avons l’honneur
de soumettre à votre approbation.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’assurance de notre
profond respect.