Les pénalités de retard en matière commerciale : attention au bon taux ! (09/02/2007)

Il existe une certaine confusion sur le taux applicable aux intérêts moratoires en matière commerciale, qui conduit dans la pratique à sous-estimer le taux applicable, en raison notamment de la transposition en droit français de la Directive n° 2000/35 du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales qui a vocation à s’appliquer à tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales (cette directive a été transposée en France par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques). Les dispositions de la directive ont été retranscrites en France notamment dans l’article L. 441-6 du Code de commerce.

La question est très importante en pratique, puisque la directive a introduit un mécanisme d’imputation automatique des intérêts de retard très favorable au créancier en matière commerciale (pour lutter justement contre les retards de paiement). Il convient donc de s’y attarder.

 

A)    Le droit communautaire.

 

·  Selon la directive, en cas de défaut de paiement ou de retard de paiement, le créancier est en droit de réclamer des intérêts de retard. Ces intérêts de retard sont alors calculés en application du taux légal lequel est défini le la manière suivante dans la directive précitée, dans son article 3, d) :

« Le taux d’intérêt pour retard de paiement (« taux légal ») que le débiteur est obligé d’acquitter correspond au taux d’intérêt de la principale facilité de refinancement appliquée par la Banque centrale européenne (BCE) à son opération de refinancement principal la plus récente effectuée avant le premier jour de calendrier du semestre en question (« taux directeur »), majoré d’un minimum de sept points (« marge ») sauf dispositions contraires figurant dans le contrat ».

Il convient de préciser que le 9 août 2006, le taux directeur de la BCE était de 3%, ce qui correspond donc à un taux légal de 10%.

·  Il est par ailleurs à noter, toujours selon cette même directive que si la date ou le délai de paiement ne sont pas fixés dans le contrat, des intérêts sont automatiquement exigibles, sans qu’un rappel soit nécessaire, dans quatre hypothèses :

- trente jours après la date de réception, par le débiteur, de la facture ou d’une demande de paiement équivalente ;

- si la date de réception de la facture ou de la demande de paiement équivalente est incertaine, trente jours après la date de réception des marchandises ou de prestation des services ;

- si le débiteur reçoit la facture ou la demande de paiement équivalente avant les marchandises ou la prestation des services ;

- si une procédure d’acceptation ou de vérification permettant de certifier la conformité des marchandises ou des services avec le contrat est prévue par la loi ou dans le contrat, et si le débiteur reçoit la facture ou la demande de paiement équivalente plus tôt ou à la date de l’acceptation ou de la vérification, trente jours après cette dernière date.

 

B) Le droit français.

 

·  En droit français, les dispositions relatives aux intérêts au taux légal sont régies par l’article 1153 du Code civil, lequel prévoit que : « Dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement ». Or, la loi NRE de 2001 a justement apporté une importante modification en matière commerciale.

Autrement dit, en matière commerciale, il s’agit de se référer aux règles spéciales, dont l’article L. 441-6 du Code de commerce qui dispose :

«  Sauf disposition contraire qui ne peut toutefois fixer un taux inférieur à une fois et demie le taux d’intérêt légal, ce taux est égal au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente majoré de 7 points de pourcentage ».

En conséquence, en matière de transaction commerciale, l’article L. 441-6 du code précité constitue une exception à l’article 1153 du Code civil, tant en ce qui concerne le calcul du taux de l’intérêt légal, qu’en ce qui concerne son régime, et plus précisément quant au point de départ de computation du délai.

·   Ainsi, dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer en matière de transaction commerciale, le débiteur sera automatiquement redevable de pénalités de retard au taux de 10%, dès le dépassement du délai fixé aux conditions de vente ou des 30 jours prévus pas la loi. Ces intérêts ne commenceront pas à courir dès le premier acte signifié à personne mais dès la réalisation d’une des hypothèses prévues à l’article 3, b) de la directive visée (donc du simple retard de paiement).

·  Il convient aussi de signaler aux acteurs commerciaux de ne pas oublier de faire figurer la mention de l’article L. 441-6 du Code de commerce dans les conditions générales de vente, qui doivent pouvoir être fournies à tout acheteur de produit ou demandeur de prestation de service à sa demande (selon les dispositions de l’article L. 441-6 al. 1er Code commerce).

 

C) Les questions ouvertes

 

Force est de constater qu’au moment de la transposition de la directive « Retards de paiement », le législateur français n’a pas envisagé toutes les conséquences de la modification de l’article L. 441-6 Code comm. et notamment son impact sur le régime prévu par les articles 1153-1 du Code civil (intérêts moratoires en cas de condamnation judiciaire) et 313-3 du Code monétaire et financier (majoration du taux légal des intérêts moratoires en cas de non paiement d’une somme fixée dans une décision de justice dans un délai de 2 mois à compter du jour où la décision est devenue exécutoire).

 

Que se passera-t-il en effet en cas de procédure judiciaire pour le recouvrement de la créance ?

·  Avant l’obtention du titre exécutoire, la réponse est évidente. A défaut de prévision conventionnelle, c’est le taux prévu à l’article L. 441-6 Code comm. qui doit s’appliquer (sans référence à la sommation ou à la mise en demeure);

·  Dès l’obtention du titre exécutoire, deux approches sont concevables :

-   Soit on considère que l’article 1153-1 (qui prévoit que « la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal ») vise le taux légal appliqué pour la créance en question, et donc le taux de base de 2,11 % (donc la condamnation comporterait une diminution de 8% de l’intérêt moratoire). Cette solution semble contraire à l’esprit de la directive et au droit communautaire ;

-   Soit on considère que l’expression « taux légal » visée par l’article 1151-1 du Code civil vise le taux légal en vigueur pour la créance à recouvrer et donc on continuera d’appliquer le taux légal en matière commercial. Cette solution ne fait que transposer dans la phase de l’exécution le principe consacré par l’article L. 441-6 du Code de commerce ;

·  A défaut d’exécution dans un délai de 2 mois à partir de l’obtention du titre exécutoire, peut-on appliquer aux créances commerciales l’article 313-3 du Code monétaire et financier ? Là encore les opinions sont partagées :

-  Soit on considère que l’article L. 441-6 a instauré un nouveau mécanisme alternatif aux règles des articles 1153-1 du Code civil et 313-3 du Code monétaire et financier, ce qui exclut l’application de l’augmentation de 5% du taux légal. Cette position a été défendue par un auteur[1] (mais on ne comprend pas ce qui autoriserait de ne pas faire application de l’article 313-3 du Code monétaire et financier) ;

-   Soit on applique les taux légaux applicables en matière commerciale, ce qui conduit le taux final, en cas de retard dans l’exécution volontaire de la décision, à environ 15%.

 

Dans le silence des tribunaux, on peut toutefois considérer que l’esprit de la directive et de la loi NRE est de lutter efficacement contre les retards. L’application des « bons taux » est certainement une stratégie efficace de ce point de vue.



[1] M. Paul Wagner, « Pénalités de retard : encore des intérrogations », D. 2004, Chron., p. 2634.