Frais irrépétibles en matière civile - Article 700 du nouveau code de procédure civile

par Frédéric Arbellot, magistrat, auditeur à la Cour de cassation 

1. - Les frais irrépétibles sont les frais engagés par une partie à l’occasion d’une instance non compris dans les dépens prévus par l’article 695 du nouveau Code de procédure civile.

L’article 700 du nouveau Code de procédure civile (D. n° 76-714, 29 juillet 1976, art. 5 et remplac. D. n° 91-1266, 19 décembre 1991, art. 163) a institué un mécanisme original qui permet, en principe, à la partie gagnante d’obtenir la condamnation de la partie tenue au paiement des dépens, ou, à défaut, de la partie perdante, à lui payer une somme déterminée au titre des frais qu’elle a exposés dans l’instance et qui ne sont pas compris dans les dépens de celle-ci :

 - Texte de l’article 700 du NCPC. “Comme il est dit au I de l'article 75 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation”.

2. - L’originalité de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile tient au fait que, par définition, les frais irrépétibles sont ceux dont la partie gagnante ne peut obtenir le remboursement. Or, ce texte a justement pour objet de lui permettre d’obtenir, à titre de compensation, une indemnisation forfaitaire de ses frais non compris dans les dépens (honoraires d’avocat, frais de transport et de séjour pour les besoins du procès, frais d’expertise amiable, etc.).

A ce stade, il convient de rappeler que cette indemnité accordée au titre des frais irrépétibles ne doit pas être confondue avec celle allouée à une partie pour procédure abusive. Contrairement à l’indemnité versée à une partie pour abus du droit d’ester en justice de l’autre, l’indemnité prévue par l’article 700 du nouveau Code de procédure civile n’a pas pour fondement la faute délictuelle - qui serait commise par une partie à l’égard de l’autre -, mais réside dans le droit fondamental de tout justiciable d’accéder à la justice

           - Jurisprudence. Ainsi, la condamnation prévue par l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne suppose pas la constatation d'un appel dilatoire ou abusif, ni même d'une simple faute à la charge de la partie condamnée (2e Civ., 23 juin 1982, Bull., II, n° 96, pourvoi n° 7917094).

Contrairement aux règles de la responsabilité civile qui supposent une réparation intégrale du préjudice subi par la victime, l’article 700 précité permet au juge d’octroyer une indemnité forfaitaire, laquelle n’a donc pas pour finalité de couvrir exactement la totalité du montant des frais irrépétibles engagés par son bénéficiaire.

 
3. - L’indemnité versée au titre des frais irrépétibles ne se confond pas avec les dépens.

 - Texte de l’article 695 du NCPC (modifié D. n° 2004-836 du 20 août 2004 portant modification de la procédure civile, applicable à compter du 1er janvier 2005). Les dépens “[ ...] comprennent :

1. Les droits, taxes, redevances ou émoluments perçus par les secrétariats des juridictions ou l'administration des impôts à l'exception des droits, taxes et pénalités éventuellement dus sur les actes et titres produits à l'appui des prétention des parties ;

2. Les frais de traduction des actes lorsque celle-ci est rendue nécessaire par la loi ou par un engagement international (rétabli D. n° 2002-1436, 3 déc. 2002, art. 27, mod. D. n° 2004-836 du 20 août 2004).

3. Les indemnités des témoins ;

4. La rémunération des techniciens ;

5. Les débours tarifés ;

6. Les émoluments des officiers publics ou ministériels ;

7. La rémunération des avocats, dans la mesure où elle est réglementée y compris les droits de plaidoirie ;

8. Les frais occasionnés par la notification d’un acte à l’étranger (D. n° 2004-836 du 20 août 2004) ;

9. Les frais d’interprétariat et de traduction rendus nécessaires par les mesures d’instruction effectuées à l’étranger à la demande des juridictions dans le cadre du règlement (CE) n° 1206/2001 du Conseil du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des Etats membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile et commerciale (D. n° 2004-836 du 20 août 2004)”.

 
4. - Aussi, il existe une certaine autonomie du régime applicable à l’indemnité versée au titre des frais irrépétibles à l’égard de celui des dépens de l’instance. Ainsi, le juge peut prononcer une condamnation au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile même dans les procédures sans dépens ou gratuites. En revanche, il ne peut pas, en principe,

mettre à la charge de la partie gagnante une indemnité au titre de l’article 700 précité au profit de la partie perdante

 
- Jurisprudence. Ainsi, en matière de sécurité sociale, la réglementation particulière du contentieux de la Sécurité sociale ne comporte aucune dérogation à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile (Soc., 19 mars 1986, Bull., V, n° 104, p. 81, pourvoi n° 8414406).

 - Jurisprudence. Ainsi en matière douanière, il ne saurait être reproché à une cour d'appel d'avoir condamné le demandeur à une opposition à contrainte décernée par l'administration des Douanes pour obtenir paiement d'une somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, l'article 367 du Code des douanes ne comportant aucune dérogation au précédent article (Com., 23 février 1988, Bull., IV, n° 79, p. 54, pourvoi n° 8613309, Gaz. Pal. 1988, 2, p. 514, note B. Hatoux).

5. - Cependant, le demande formée au titre de l’article 700 précité n’est pas une véritable demande autonome : elle ne constitue donc pas une véritable demande incidente.

 - Jurisprudence. Ainsi, la demande présentée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ayant pour seul objet d'obtenir le dédommagement de frais exposés pour les besoins de l'instance et non compris dans les dépens, ne constitue pas une demande incidente. Par suite viole l'article 401 du nouveau Code de procédure civile l'arrêt qui, pour déclarer le désistement de l'appelant non avenu et statuer sur le fond, retient que les intimés ne l'avaient pas accepté, tandis qu'ils auraient dû le faire, dès lors qu'ils avaient sollicité une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile (2e Civ., 10 décembre 1986, Bull., II, n° 179, p. 123, pourvoi n° 8516359, D. 1987, somm. p. 227, obs. P. Julien, R.T.D. civ. 1987, p. 153, obs. R. Perrot ).

 - Jurisprudence. Cette solution est identique au stade du pourvoi en cassation. Ainsi, dès lors que le désistement du pourvoi, intervenu avant le dépôt du rapport, ne contient aucune réserve, et que la demande du défendeur au pourvoi présentée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ayant pour seul objet d'obtenir le dédommagement de frais exposés pour les besoins de l'instance et non compris dans les dépens ne constitue pas un pourvoi incident, l'acceptation du désistement n'est pas nécessaire. Par suite, la demande du défendeur tendant à l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne peut être accueillie (2e Civ, 1er juin 1988, Bull., II, n° 131, p. 70, pourvoi n° 8617757, Gaz. Pal. 1989, 1, somm. p. 161, obs. S. Guinchard et T. Moussa).

 
6. - En revanche sur le plan procédural, la demande présentée au titre des frais irrépétibles doit être formée en respectant les formes prévues pour la demande incidente (article 68 du NCPC).

 - Jurisprudence. Ainsi, la demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile - présentée en cause d’appel - est une demande qui doit être portée à la connaissance de la partie défaillante dans la forme prévue à l'article 68 du même Code pour les demandes incidentes (Soc., 9 juillet 1985, Bull., V, n° 420, p. 303, pourvoi n° 8440927).

7. - La demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne constitue pas une prétention dont la valeur doit être prise en compte pour la détermination du taux du ressort de la juridiction en application des articles 35 et suivants du nouveau Code de procédure civile.

 - Jurisprudence. La demande formée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne constitue pas une prétention dont la valeur doit être prise en compte pour la détermination du taux du ressort de la juridiction (3e Civ, 6 janvier 1981, Bull., III, n° 4, pourvoi n° 7910651, Gaz. Pal. 1981, 1, p. 260, note J. Viatte, R.T.D. civ. 1981, p. 904, obs. R. Perrot, D. 1981, I.R., p. 372, obs. P. Julien ; 2e Civ., 2 octobre 1981, Bull., II, n° 177, pourvoi n° 8013503).

 
8. - La demande présentée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne doit pas être retenue par le greffier en chef vérificateur ou le juge taxateur pour déterminer les émoluments dus à l’avoué dans le cadre de l’évaluation de l’intérêt d’un litige évaluable en argent (en application de l'article 25 du décret n° 80-608 du 30 juillet 1980 fixant le tarif des avoués).

 - Jurisprudence. L'indemnité accordée sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doit être exclue de l'évaluation de l'intérêt du litige sur le calcul des émoluments dus à l'avoué (2e Civ., 13 juin 2002, Bull., II, n° 126, p. 101, pourvoi n° 0102169 ; 2e Civ., 12 février 2004, Bull., II, n° 58, p. 48, pourvoi n° 0211136).

 9. - Enfin, à l’inverse de la décision statuant sur les dépens de l’instance, dont l’article 515 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile prohibe qu’elle puisse être assortie de l’exécution provisoire, la décision allouant une indemnité au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile peut en bénéficier.

 - Jurisprudence. L'interdiction édictée par l'article 515, alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile ne vise que les seuls dépens. Dès lors, un premier président n'est pas tenu d'arrêter l'exécution provisoire assortissant une condamnation prononcée en application de l'article 700 de ce même Code (2e Civ., 31 mai 2001, Bull., II, n° 107, p. 72, pourvoi n° 9913712, R.T.D. civ. 2001, p. 663, obs. R. Perrot).

10. - Cette jurisprudence a opéré un revirement de jurisprudence dans la mesure où traditionnellement la deuxième chambre civile de la Cour de cassation refusait la possibilité d’assortir la condamnation au titre des frais irrépétibles de l’exécution provisoire.  

  
11. - Le dispositif de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile est original dans la mesure où il permet au juge de retenir des considérations d’équité pour fixer le montant de la condamnation au titre des frais irrépétibles. Cependant, le prononcé d’une telle condamnation suppose que soient réunies quatre conditions préalables (l’existence d’une instance, la succombance de l’une des parties à l’instance, l’existence de frais non inclus dans les dépens supportés par l’autre partie et la présentation d’une demande au titre de l’article 700 précité).

 
 I - Les conditions préalables au prononcé d’une condamnation    au paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles

 L’existence d’une instance

 12. - L’article 700 du nouveau Code de procédure civile a une portée très générale dans la mesure où il concerne toutes les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière civile, commerciale, sociale, rurale ou prud’homale (article 749 du nouveau Code de procédure civile).

 L’article 700 précité s’applique aux principales juridictions de droit commun (tribunaux de grande instance, cours d’appel) et d’exception (tribunaux d’instance, tribunaux de commerce, tribunaux paritaires des baux ruraux, tribunaux des affaires de sécurité sociale, conseils de prud’hommes), mais aussi aux diverses juridictions spécialisées comme :

 - les juridictions d’expropriation (Jurisprudence du fond. CA Rennes, 29 juin 1979, Gaz. Pal. 1981, 1, p. 202, note C. Loyer-Lahrer) ;

 - la cour d’appel de Paris statuant en appel sur un recours dirigé contre une décision du Conseil de la concurrence (Jurisprudence du fond. CA Paris, 9 novembre 1987, Gaz. Pal. 1987, 2, p. 725) ;

 - les juridictions statuant en matière de contentieux des élections aux conseils de prud'hommes (Jurisprudence. 2e Civ., 6 mars 2003, Bull., II, n° 54, p. 47, pourvoi n° 0260835).

  
13. - La condamnation sur le fondement de l’article 700 précité peut intervenir même dans les procédures gratuites ou sans frais (contentieux douanier, des élections professionnelles, des droits d’enregistrement, électoral, etc.), car cette gratuité ne concerne que les dépens de l’instance et demeure sans incidence sur l’engagement par la (les) partie(s) de frais irrépétibles.

 - Jurisprudence. L'article 367 du Code des douanes, aux termes duquel "en première instance et sur l'appel l'instruction est verbale sur simple requête et sans frais de justice à répéter de part ni d'autre", ne comporte aucune dérogation à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Il s'ensuit donc que l'administration des douanes peut être condamnée à payer une somme sur le fondement de cette dernière disposition (2e Civ., 11 décembre 1985, Bull., II, n° 347, p. 312, pourvoi n° 8415383).

 - Jurisprudence. L'article 700 du nouveau Code de procédure civile aux termes duquel une partie peut demander le remboursement des frais exposés dans l'instance et non compris dans les dépens est applicable aux sommes engagées par une partie pour la défense de ses intérêts, même en une matière où il n'y a pas de condamnation aux dépens, telle qu'une contestation portant sur la désignation d'un délégué syndical (Soc. 20 juillet 1978, Bull., V, n° 629, p. 469, pourvoi n° 7860599).

 - Jurisprudence. Les articles L. 207 et R. 207-1 du Livre des procédures fiscales relatifs aux contentieux en matière de droits d’enregistrement ne comportent aucune dérogation à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile (Com. 22 juillet 1996, Bull., IV, n° 176, p. 150, pourvoi n° 8417596).

 - Jurisprudence. Le désistement d'instance comporte, sauf convention contraire, soumission de payer les frais de l'instance éteinte. Ainsi, les textes relatifs au contentieux électoral ne comportent aucune dérogation à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, qui s'applique aux sommes engagées par une partie pour la défense de ses intérêts (2e Civ., 2 mars 2001, non publié au bulletin, pourvoi n° 0160169, Juris-Data n° 2001-008690).

 
14. - Enfin, même les juridictions ne statuant pas au fond peuvent prononcer une condamnation au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

 
- Article 629 du NCPC. L’article 629 du nouveau Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 85-1330 du 17 décembre 1985 accorde explicitement à la Cour de cassation le pouvoir de condamner l’une des parties à payer à l’autre une indemnité sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

 - Jurisprudence. La juridiction des référés a le pouvoir de prononcer une condamnation en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile (3e Civ., 19 novembre 1980, Bull., III, n° 183, D. 1981, I.R., p. 372, note P. Julien, R.T.D. civ. 1981, p. 680, obs. J. Normand).

 - Article 772 du NCPC. Selon l’article 772 du nouveau Code de procédure civile, le juge de la mise en état peut statuer sur les dépens des incidents qu’il tranche, mais aussi même si cela n’est pas explicitement mentionné dans ce texte sur les frais irrépétibles.

 - Jurisprudence du fond. Le juge de l’exequatur peut statuer sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile (CA Paris, 8 mai 1979, Gaz. Pal. 1979, 2, p. 344, note Mauro).

 
 15. - En revanche, les juridictions pénales ou administratives ne peuvent appliquer directement l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, même lorsqu’elle ont à statuer sur un contentieux principalement de nature civile, notamment en matière de constitution de partie civile.

  
16. - En outre, la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI), ayant “le caractère d’une juridiction civile” selon l’article 706-4 du Code de procédure pénale, dispose de la faculté d’allouer une indemnité à une partie au titre des frais irrépétibles en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

 - Jurisprudence. Si le remboursement à la victime des faits prévus par l'article 706-3 du Code de procédure pénale, des frais irrépétibles qu'elle a exposés devant la juridiction pénale ne peut être accordé par une commission d'indemnisation des victimes d'infraction, aucun texte n'interdit à la Commission d'allouer à cette victime une somme sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile (2e Civ., 5 janvier 1994, Bull., II, n° 9, p. 5, pourvoi n° 9212264).

 - Jurisprudence. Le Fonds est une partie au sens de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et peut être condamné, à ce titre, à verser une somme (2e Civ., 29 janvier 1997, Bull., II, pourvoi n° 9512657, J.C.P. G. 1997, IV, 620).

  
17. - En cas de jonction d’instances, la juridiction peut prononcer plusieurs condamnations à l’encontre des parties succombantes sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile au titre de chacune de ces instances.

 - Jurisprudence. Une jonction d'instances ne rendant pas une procédure unique, c'est à bon droit qu'une cour d'appel, qui aurait été saisie de deux appels a pu, après parution des deux procédures, par une appréciation souveraine des conditions d'application de l' article 700 du nouveau Code de procédure civile , condamner les parties perdantes à payer des sommes distinctes au titre de chacune de ces deux procédures (2e Civ., 24 juin 2004, Bull., II, à paraître, pourvoi n° 0216989).

  
La succombance de l’une des parties

  
18. - L’article 700 du nouveau Code de procédure civile désigne la partie que le juge a la faculté de condamner au paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles : il s’agit, en principe, de la partie tenue au paiement des dépens de l’instance dans les procédures avec dépens. Ainsi, c’est normalement la charge des dépens qui va permettre au juge de déterminer la partie qui va devoir supporter la charge des frais irrépétibles.

 - Jurisprudence. Seule la partie à la charge de laquelle a été mise la totalité ou une fraction des dépens peut être condamnée à payer à l'autre des sommes exposées par celle-ci et non comprises dans les dépens. Par suite, encourt la cassation l'arrêt qui condamne, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, une partie, alors qu'aucune fraction des dépens n'était mise à sa charge, à verser à une autre une certaine somme (2e Civ., 3 janvier 1980, Bull., II, n° 1, pourvoi n° 7812780, D. 1981, I.R., p. 272, obs. P. Julien).

 A titre dérogatoire, dans les procédures gratuites ou sans dépens, la “partie perdante” pourra, le cas échéant, être condamnée par le juge à supporter la charge des frais irrépétibles.

 La partie qui doit supporter l’intégralité des dépens ne peut demander d’indemnité pour frais irrépétibles.

 
- Jurisprudence. Doit être rejetée la demande fondée sur l'application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile formée par l'auteur d'un pourvoi déclaré non fondé qui est condamné aux dépens exposés devant la Cour de cassation (3e Civ., 27 février 1985, Bull., III, n° 41, p. 29, pourvoi n° 8470094).

  
19. - En outre, le désistement d’instance implique une soumission à payer les frais de l’instance et notamment ceux découlant d’une condamnation au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

 - Jurisprudence. Le désistement d'instance comportant, sauf convention contraire, soumission de payer les frais de l'instance éteinte, est légalement justifié le jugement qui, statuant en matière électorale après avoir constaté le désistement du demandeur, prononce contre lui une condamnation sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile (2e Civ., 20 mars 1992, Bull., II, n° 41, p. 29, pourvoi n° 8470094).

 
20. - A titre très exceptionnel, la jurisprudence a parfois admis que la partie gagnante puisse supporter une indemnité au titre des frais irrépétibles, notamment lorsque le créancier a engagé une procédure trop lourde eu égard à la modestie de sa créance (v. 2e Civ., 1er décembre 1982, D. 1983, I.R., 155, obs. P. Julien, R.T.D. civ. 1983, 597, obs. R. Perrot). Cependant, en raison du lien existant entre les dépens et les frais irrépétibles, le juge, qui voudra faire supporter à la partie gagnante une indemnité au titre des frais irrépétibles, devra en même temps mettre les dépens à sa charge par une décision spéciale et motivée (article 696 du NCPC). 

 En revanche, comme en matière de dépens, lorsqu’une partie succombe partiellement, le juge recouvre toute liberté pour la condamner sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Lorsque les dépens sont partagés par le juge, l’une ou l’autre partie peut alors être condamnée à payer une indemnité au titre des frais irrépétibles.

 - Jurisprudence. L’indemnité prévue à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile comportant un fondement juridique et un objet distincts de ceux des dépens, la partie condamnée à supporter une partie des dépens d'appel peut se voir accorder une indemnité au titre de l'article 700 payable par la partie adverse condamnée à supporter l'autre partie des dépens (2e Civ., 15 février 1984, Bull., II, n° 28, pourvoi n° 8216500, Gaz. Pal. 1984, 2, pan. juris., p. 204, note S. Guinchard).

 Même dans les procédures sans dépens (procédures gratuites ou sans frais), la succombance même partielle de l’une des parties dans l’une de ses prétentions va suffire pour la qualifier de “partie perdante” et permettre au juge de la condamner à payer, le cas échéant, une indemnité au titre des frais irrépétibles.

 
21. - Toute partie à l’instance quelle que soit sa qualité procédurale (demandeur, défendeur, intervenant volontaire ou forcé, appelé ou appelant en garantie etc) peut bénéficier, si elle le demande et si le juge l’estime fondée, d’une indemnité au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

 - Jurisprudence. Le fait que ce soit la cour d'appel qui en raison de l'évolution du litige, a été amenée à ordonner la mise en cause de certaines personnes, n'entraîne pas pour celles-ci la perte du droit éventuel d'obtenir l'allocation d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile (2e Civ., 17 février 1983, Bull., II, n° 47, pourvoi n° 8014792).

 - Jurisprudence. En se référant expressément à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les juges du fond admettent nécessairement qu'il est inéquitable de laisser à la charge d'une partie appelée en garantie les frais de sa mise en cause (Soc., 3 décembre 1981, Bull., V, n° 939, pourvoi n° 8014881).

 - Jurisprudence. Les termes de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile n’excluent pas leur application à la partie qui intervient volontairement dans une instance (3e Civ., 17 février 1983, Bull., III, n° 179, pourvoi n° 7912420).

 
22. - Au même titre que les dépens, la condamnation au titre des frais irrépétibles bénéficie des dispositions de l’article L. 621-32 du Code de commerce (priorité légale de paiement dans le cadre du redressement judiciaire ou de la liquidation judiciaire), lorsque la décision de justice, qui les alloue, est postérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective.

 - Jurisprudence. La créance de dépens mise à la charge du débiteur trouve son origine dans la décision qui statue sur leur sort et entre dans les prévisions de l'article L. 621-32 du Code de commerce, lorsque cette décision est postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective (Com., 11 juin 2002, Bull., IV, n° 105, p. 113, pourvoi n° 0011773, Juris-Data n° 2002-014775 ; 3e Civ., 12 juin 2002, Bull., III, n° 138, pourvoi n° 0019038).

 
 23. - En outre, nonobstant le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale, le bénéficiaire de cette aide, lorsqu’il succombe, peut être condamné à payer une indemnité au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

 - Jurisprudence. Aucune disposition légale ou réglementaire ne soustrait le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle à l'application des dispositions de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile (2e Civ., 15 mars 2001, non publié au bulletin, pourvoi n° 9917266, Juris-Data n° 2001-008825).

  
L’existence de frais non compris dans les dépens

 
24. - En principe, il s’agit de dépenses effectuées à l’occasion de l’instance par une partie non comprises dans les dépens. Il n’est pas nécessaire que les dépenses aient été effectuées au moment de la demande. En pratique, le justiciable n’est donc pas tenu de produire en justice une facture acquittée à l’appui de la demande de remboursement de ses frais irrépétibles.

 - Jurisprudence. Pour faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, le tribunal n'a pas à constater que les frais irrépétibles invoqués ont été préalablement payés (Com., 8 décembre 1992, Bull., IV, n° 398, p. 279, pourvoi n° 9021783).

 - Jurisprudence. L'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile n'est pas subordonnée à la condition que les frais aient été réellement exposés (Com., 4 mai 1993, Bull., IV, n° 165, p. 15, pourvoi n° 9112439).

  
25. - Les frais irrépétibles comprennent essentiellement :

 - les honoraires d’avocat (Soc. 21 février 1979, D. 1979, I.R., p. 425, obs. Pélissier, J.C.P. G. 1981, II, n° 19525, note Hertzog) ;

 - les frais de déplacement, de démarches, de voyage et de séjour (v. TGI Paris, 2 novembre 1976, J.C.P. G. 1976, II, n° 18696) ;

  - les frais engagés pour obtenir certaines pièces ;

 - les honoraires versés à certains consultants techniques amiables (brevet, informatique, etc.) ou experts amiables (v. TGI Paris, 14 février 1978, J.C.P. G. 1979, IV, 28) ;

 

 26. - Pour être complet, il convient d’ajouter que la jurisprudence ancienne a même admis qu’un préjudice moral puisse être indemnisé sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Une telle solution est très contestable selon la doctrine.

 - Jurisprudence. En allouant à une partie comme il lui était demandé, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, des dommages-intérêts pour les peines et tracas du procès et les frais irrépétibles, les juges du fond ont sans le viser expressément appliqué les dispositions de ce texte et ont exercé leur pouvoir souverain (2e Civ., 20 février 1980, Bull., II, n° 37, pourvoi n° 7814437).

            Cette solution est éminemment contestable, car à supposer que l’on puisse assimiler à des frais irrépétibles un manque à gagner lié à une perte économique, il n’est pas possible de qualifier de la sorte un préjudice moral, dont la nature juridique est différente. Ainsi, l’indemnisation du préjudice moral - lié au déroulement d’un procès - ne relève pas de la nécessité de rembourser les frais irrépétibles occasionnés à l’une des parties par le procès, mais plutôt de l’application des règles de la responsabilité civile fondée sur l’abus du droit d’ester en justice de l’un des litigants.

 

 27. - Pour être indemnisés en application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, les frais, dont il est demandé remboursement par une partie, doivent être distincts de ceux pris en compte par l’aide juridictionnelle.

 
- Jurisprudence. Les sommes allouées en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, sont distinctes des dépens seuls pris en compte par l'aide judiciaire (3e Civ., 26 avril 1984, Bull., III, n° 92, pourvoi n° 8212682, Gaz. Pal. 1984, pan. juris., p. 261, obs. S. Guinchard).

28. - En principe, l’article 700 du nouveau Code de procédure civile prévoit l’indemnisation des frais exposés dans le cadre de l’instance qui donne lieu à la condamnation et non ceux exposés lors de procédures antérieures ou différentes.

 
- Jurisprudence. Viole l'article 700 du nouveau Code de procédure civile le jugement rendu en dernier ressort qui accorde une somme d'argent au titre de ce texte à raison de frais exposés pour les besoins d'une procédure antérieure (2e Civ., 19 novembre 1986, Bull., II, n° 171, p. 115, pourvoi n° 8514941).

 
29. - A ce titre, l’instance d’appel forme un tout avec l’instance initiale.

 
- Jurisprudence. La cour d'appel saisie sur renvoi après cassation est compétente pour se prononcer sur l'ensemble des frais et dépens exposés devant les juges du fond (3e Civ., 12 juillet 1988, Bull., III, n° 129, p. 71, pourvoi n° 8710445).

 - Jurisprudence. Viole l'article 639 du nouveau Code de procédure civile, l'arrêt qui déboute une partie de sa demande de restitution de l'indemnité allouée à la partie adverse sur le fondement de l'article 700 dudit Code, en retenant qu'il n'a pas été formé pourvoi contre cette disposition et qu'il n'existe aucun lien de dépendance entre les chefs cassés et celle-ci, alors que, saisie sur renvoi après cassation, elle était compétente pour se prononcer sur l'ensemble des frais et dépens exposés devant les juges du fond (3e Civ, 5 mai 1999, Bull., III, n° 106, p. 71, pourvoi n° 9619712).

  
La présentation d’une demande au titre des frais irrépétibles

 
 30. - A la différence de la condamnation aux dépens, le juge n’est pas tenu de statuer sur les frais irrépétibles, s’il n’est pas saisi d’une demande en ce sens.

 
- Jurisprudence. Dès lors que l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile n'était pas demandée, une cour d'appel modifie les termes du litige en condamnant une partie à verser une certaine somme à son adversaire, non à titre de réparation des préjudices invoqués, mais au motif qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de celui-ci divers frais non inclus dans les dépens (3e Civ., 5 avril 1978, Bull., III, n° 151, p. 118, pourvoi n° 7614655).

  
31. - La demande formée au titre des frais irrépétibles est tenu de respecter les règles de forme et de délais applicables aux demandes incidentes, notamment en cause de cassation.

 
- Jurisprudence. Le délai de deux mois prévu par l’article 991 du nouveau Code de procédure civile, dont bénéficie le défendeur au pourvoi s’applique, à la demande présentée au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile (Soc., 9 mars 1993, Bull., V, n° 83, p. 57, pourvoi n° 9144452).

 
- Jurisprudence. En outre, en matière de demande incidente présentée en cause de cassation, il résulte de l'article 1010 du nouveau Code de procédure civile que les demandes incidentes doivent être formées dans le délai imparti par l'article 982 du même Code (délai de deux mois à l’origine devenu de trois mois depuis le décret n° 89-511 du 20 juillet 1989). Par suite, est irrecevable la demande formée en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile contenue dans un mémoire en défense déposé au greffe de la Cour de cassation au delà du délai imparti après la signification du mémoire ampliatif (3e Civ., 13 novembre 1986, Bull., III, n° 159, p. 124, pourvoi n° 8513228).

 
- Jurisprudence. La demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile est une demande incidente qui doit être portée à la connaissance de la partie défaillante dans la forme prévue à l'article 68 du même Code (Soc., 9 juillet 1985, Bull., V, n° 420, p. 303, pourvoi n° 8440927).

 
32. - En cas de désistement d’instance au principal, la demande formée au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile par le demandeur peut être maintenue. Réciproquement, ce désistement ne fait pas obstacle à une demande du défendeur en paiement des frais irrépétibles.

 - Jurisprudence. Le désistement du demandeur au pourvoi n'interdit pas au défendeur de solliciter une somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile (Soc., 6 juin 1991, Bull., V, n° 287, p. 176, pourvoi n° 9041230, D. 1992, somm., p. 122, obs. P. Julien).

 - Jurisprudence. Le désistement d'instance comportant, sauf convention contraire, soumission de payer les frais de l'instance éteinte, est légalement justifié le jugement qui, statuant en matière électorale après avoir constaté le désistement du demandeur, prononce contre lui une condamnation sur le fondement de l' article 700 du nouveau Code de procédure civile (2e Civ., 20 mars 1992, Bull., II, n° 100, p. 48, pourvoi n° 9260195).

 
33. - Lorsqu’une demande au titre des frais irrépétibles est formée en cause d’appel pour la première fois, elle n’est en principe recevable qu’à la condition que la demande principale soit elle même recevable.

 - Jurisprudence. On ne saurait reprocher à un conseil de prud’hommes statuant sur renvoi après cassation d'avoir alloué à une des parties, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, une indemnité qu'elle réclamait pour la première fois dès lors qu'une telle demande était recevable en application de l'article R. 516-2 du Code du travail (Soc., 26 mars 1981, Bull., V, n° 263, pourvoi n° 7941392).

 - Jurisprudence. En vertu de l'article R. 516-2 du Code du travail la demande de condamnation d'un employeur fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et qui constitue une demande nouvelle accessoire de la demande principale est recevable sans que puisse être opposée l'absence de tentative de conciliation (Soc., 5 novembre 1982, Bull., V, n° 601, pourvoi n° 8041204).

 
En revanche, si la demande principale est irrecevable, la demande fondée sur l’article 700 du nouveau Code de procédure civile contre le même adversaire est également irrecevable.

 - Jurisprudence. La faculté donnée aux parties par l'article 566 du nouveau Code de procédure civile d'ajouter aux demandes soumises au premier juge toutes celles qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément (demande au titre des frais irrépétibles) implique qu'une demande ait été formée devant la juridiction du premier degré (3e Civ., 4 janvier 1985, Bull., III, n° 3, p. 2, pourvoi n° 8314768).

Enfin, l’irrecevabilité de l’appel n’interdit pas à l’intimé de former une demande au titre des frais irrépétibles.

 - Jurisprudence. L'irrecevabilité de l'appel ne constitue pas un obstacle à la condamnation de l'appelant au paiement d'une indemnité en application de l' article 700 du nouveau Code de procédure civile (Soc. 14 mai 1987, Bull., V, n° 333, p. 212, pourvoi n° 8241989).

  
II - Les modalités du prononcé d’une condamnation au paiement d’une indemnité au titre des frais irrépétibles

  Les éléments d’appréciation du montant de l’indemnité

  
34. - Depuis la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, la partie gagnante a droit au remboursement de ses frais irrépétibles, sauf si des considérations d’équité conduisent à dispenser totalement ou partiellement la partie tenue aux dépens, ou la partie perdante, du paiement d’une indemnité au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile.

 En principe, la partie succombante doit indemniser la partie gagnante au titre des frais irrépétibles. Dans cette optique, les considérations d’équité interviennent pour déterminer le montant de la condamnation prononcée en application de l’article 700 précité, voire, le cas échéant, pour dire qu’il n’y a lieu de prononcer une telle condamnation.

 Cependant, il reste à déterminer les critères d’équité appliqués aux frais irrépétibles. Traditionnellement, la jurisprudence avait dégagé trois catégories de critères :

 - la première reposait sur la nature de l’action intentée au titre des frais irrépétibles. Cette action serait un substitut à une action en réparation pour procédure abusive, dont les éléments constitutifs ne seraient pas suffisamment caractérisés;

 - la deuxième tenait à la succombance réciproque de chacune des parties dans leurs prétentions respectives. Une telle situation autorisait le juge à condamner l’une ou l’autre partie au titre des frais irrépétibles, voire à ne prononcer aucune condamnation à ce titre ;

 - la troisième résidait dans l’existence d’une disparité de situation économique entre les parties légitimant un refus d’octroi d’une indemnité au titre des frais irrépétibles (ou inversement justifiant une condamnation au profit d’un particulier). Ce troisième critère a été explicitement repris dans le nouveau texte issu de la réforme de 1991.

 - Jurisprudence du fond. La disparité de situation économique entre les banques (ou les assurances) et leurs clients justifie le refus d’accorder à la première une indemnité au titre des frais irrépétibles (T.I. Bergerac, 30 novembre 1976, Gaz. Pal. 1977, 1, p. 171 ; T.I. Lille, 23 octobre 1980, Gaz. Pal. 1981, 1, somm. p. 91 ; CA Paris, 8 janvier 1981, Juris-Data n° 1981-020014 et 1981-020016).

Le pouvoir discrétionnaire du juge relatif à l’article 700 du nouveau Code de procédure civile

  
35. - Traditionnellement, l’application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile relevait du pouvoir souverain des juges du fond tant au niveau de l’appréciation de la notion d’équité dans la cause qu’au niveau de l’appréciation du montant de la somme à allouer en application de ce texte.

 - Jurisprudence abandonnée (antérieure à 2002). En faisant application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel admet nécessairement l'existence de frais non compris dans les dépens dont elle apprécie souverainement le montant (2e Civ., 27 janvier 1982, Bull., II, n° 12, pourvoi n° 8016064).

- Jurisprudence abandonnée (antérieure à 2002). Abstraction faite d'un motif surabondant erroné selon lequel l'indemnité fondée sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne peut être allouée que sur justification, c'est par appréciation souveraine qu'un arrêt retient que l'existence de frais irrépétibles n'est pas établie(3e Civ, 22 juin 1982, Bull., III, n° 165, pourvoi n° 8110168).

 
36. - Depuis 2002, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation - abandonnant cette jurisprudence traditionnelle - décide dorénavant explicitement que l’application de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile relève du pouvoir discrétionnaire des juges (du fond comme de cassation).

 - Jurisprudence. L'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile relève du pouvoir discrétionnaire du juge (2e Civ., 10 octobre 2002, Bull., II, n° 219, p. 170, pourvoi n° 0013882, Rev. huissiers 2003, 97, obs. M. Douchy, Gaz. Pal. 30 mars-1er avril 2003, p. 28, obs. E. Rusquec).

 - Jurisprudence. Les textes relatifs au contentieux des élections aux conseils de prud'hommes ne comportent aucune dérogation à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, qui s'applique aux sommes engagées par une partie pour la défense de ses intérêts ; et c'est dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire que le tribunal a alloué une somme à ce titre (2e Civ., 6 mars 2003, Bull., II, n° 54, p. 47, pourvoi n° 0260835).

 Cette jurisprudence s’applique aussi bien aux juges du fond qu’à la Cour de cassation, elle vise non seulement l’appréciation de la notion d’équité que celle du montant de la somme à allouer au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile. Ainsi, le simple visa de ce texte dans la décision suffit à justifier une condamnation au titre des frais irrépétibles sans autre justification et le juge n’est donc pas tenu de donner le (ou les) motif(s) de fait qui l’ont conduit à la prononcer ou à rejeter la demande.

 
L’application de l’exécution provisoire à la condamnation prononcée au titre des frais irrépétibles

 
37. - A l’inverse de la décision statuant sur les dépens de l’instance, dont l’article 515 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile prohibe qu’elle puisse être assortie de l’exécution provisoire, la décision allouant une indemnité au titre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile peut en bénéficier.

 
- Jurisprudence. L'interdiction édictée par l'article 515, alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile ne vise que les seuls dépens. Dès lors, un premier président n'est pas tenu d'arrêter l'exécution provisoire assortissant une condamnation prononcée en application de l'article 700 de ce même Code (2e Civ., 31 mai 2001, Bull., II, n° 107, p. 72, pourvoi n° 9913712, R.T.D. civ. 2001, p. 663, obs. R. Perrot)

1) Ouvrages généraux : M. Défossez, Dépens, Frais irrépétibles, Article 700, J.-Cl. Procédure civile, 2003, Fasc. 524 ; S. Guinchard, Droit et pratique de la procédure civile, 2002-2003, Dalloz Action, n° 6722 à 6739, p. 1264 et s. ; J. Vincent et S. Guinchard, Procédure civile, 2003, Précis Dalloz, 27ème édition, n° 1591, p. 1115 ; G. Couchez, Procédure civile, 2004, Armand Colin, 13ème édition, n° 413, p. 350 ; articles spécialisés : B. Boccara, La condamnation aux honoraires (nouveau Code de procédure civile, article 700), J.C.P. G. 19976, I, n° 2828 ; A. Damien, L’article 700 et les honoraires des avocats, Gaz. Pal. 1979, 1, p. 134 ; J.-J. Hanine, La mise en oeuvre de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile dans la jurisprudence, Rev. huissiers 1983, p. 277 ; C. Loyer-Larher, L’article 700 et le remboursement des frais non compris dans les dépens, D. 1977, chron. , p. 205 ; J.-M. Pansier et F.-J. Pansier, Abus de procédure, article 700 du nouveau Code de procédure civile et référé, J.C.P. G. 1983, I, n° 3105 ; J.-C. Woog, L’indemnité de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, indicateur sociologique, Gaz. Pal. 1er-2 juillet 1998, 6 ; S. Davy, La répétibilité, Gaz. Pal. 10-11 septembre 1999, 49 ; A. Perdriau, Les condamnations aux frais irrépétibles prononcées par la Cour de cassation, Petites affiches, 2000, n° 128, p. 15.

 
2) L’auteur tient, tout particulièrement, à remercier M. le président Jean Buffet et M. le conseiller Jean-Louis Gallet pour leurs observations qui ont contribué à enrichir cette étude.

3) Sur le droit à l’"accès au juge" en matière civile : v. C.E.D.H., 21 février 1975, Golder c/ Royaume-Uni, série A, n° 18, § 36 ; S. Guinchard, sous la direct., Droit processuel - Droit commun et droit comparé du procès, Précis Dalloz, 2ème éd., 2003, La garantie d’accès à un tribunal, n° 238, p. 359, spéc. n° 241, p. 361.

 4) v. cependant, à titre très exceptionnel, pour un tempérament à ce principe, n° 20 : 2e Civ., 1er décembre 1982.

 5) Soc., 19 mars 1986, Bull., V, n° 104, p. 81, pourvoi n° 8414406 : "Mais attendu que la réglementation particulière du contentieux de la sécurité sociale ne comportant aucune dérogation à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, celui-ci s'applique aux sommes engagées par la partie pour la défense de ses intérêts, peu important qu'il ne puisse y avoir en principe, de condamnation aux dépens en raison de la gratuité de la procédure".

 6) v. Demande incidente, Lexique des termes juridiques, 13ème éd. Dalloz, 2001, p. 191 : "Pr. civ. L’expression désigne toute demande qui n’ouvre pas l’instance, mais n’intervient au cours d’un procès déjà engagé. Elle émane du demandeur (demande additionnelle) ou du défendeur (demande reconventionnelle) ; elle peut aussi provenir d’un tiers (intervention volontaire) ou être dirigée contre lui (intervention forcée)". La demande au titre des frais irrépétibles ne constitue pas une prétention entrant dans la détermination de l’objet du litige en application de l’article 4 du nouveau Code de procédure civile.

 7) Concrètement, la demande incidente doit être formée soit par voie de conclusions à l’encontre des parties présentes à l’instance, soit par voie d’assignation à l’encontre des parties défaillantes ou de tiers à l’instance.

 8) v. F. Arbellot, Vérification et recouvrement des dépens, B.I.C.C. 1er mai 2004, p. 3 et s., spéc. p. 18, n° 8.

 9) v. notamment, 2e Civ. 23 janvier 1985, Bull., II, n° 18, p. 12, pourvoi n° 8314532 : la condamnation prononcée en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doit être assimilée à la condamnation aux dépens, pour l'application de l'article 515 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile. Par suite, viole ce texte le premier président d'une cour d'appel qui refuse d'arrêter l'exécution provisoire d'un jugement englobant ces deux chefs de condamnation.

 10) A. Perdriau, Les condamnations aux frais irrépétibles prononcées par la Cour de cassation, Petites affiches 2000, n° 128, p. 15.

 11) V. en matière pénale, les juridictions doivent appliquer les articles 216, 375 et 475-1 du Code de procédure pénale ; en matière administrative, elles sont tenues d’appliquer l’article L. 761-1 du Code de la justice administrative.

 12) Sur cette question : v. M. Défossez, Juris-classeur Procédure civile, Fasc. 524, p. 5, n° 26.

 13) v. J. Buffet, sous la direct. (groupe de travail interne à la Cour de cassation), Droit et pratique de la cassation en matière civile, Juris-Classeur, Litec 2003, 2ème éd., n° 509, p. 194 : " (Le bénéficiaire de l’aide juridictionnelle) peut également ... être condamné à verser une telle indemnité (au titre des frais irrépétibles) à son adversaire. Toutefois, pour les raisons déjà mentionnées, tenant à ce que le bénéfice de l’aide juridictionnelle est refusé en cas d’absence de moyen sérieux de cassation et au fait que le bénéficiaire n’a que de faibles ressources, une telle condamnation est inopportune".

 14) v. TGI Paris, 2 novembre 1976, J.C.P. G. 1976, II, n° 18696 : ressortissant canadien ayant réussi à obtenir le remboursement de deux voyages en France pour rencontrer son avocat et assister à une mesure d’expertise.

 15) Sur la critique de cette solution : v. M. Défossez, Juris-Classeur Procédure civile, Fasc. 524, p. 6, n° 30.

 16) Sur la procédure sans représentation obligatoire devant la Cour de cassation (avant le décret n° 2004-836 du 20 août 2004 portant modification de la procédure civile) :

- Article 991 du nouveau Code de procédure civile : " Le défendeur au pourvoi dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification du mémoire du demandeur ou de l'expiration du délai de trois mois prévu à l'article 989 pour remettre contre récépissé, ou adresser par lettre recommandée, au secrétariat-greffe de la Cour de cassation un mémoire en réponse et former, le cas échéant, un pourvoi incident.". A compter du 1er janvier 2005, l’article R. 517-10 du Code du travail est abrogé. Cela signifie que désormais le pourvoi en matière prud’homale sera formé, instruit et jugé suivant la procédure avec représentation obligatoire.

 17) Sur la procédure avec représentation obligatoire devant la Cour de cassation :

- Article 982 du Nouveau code de procédure civile : "Le défendeur au pourvoi dispose d'un délai de trois mois à compter de la signification du mémoire du demandeur pour remettre au secrétariat-greffe de la Cour de cassation un mémoire en réponse signé d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et le notifier à l'avocat du demandeur dans la forme des notifications entre avocats. Le délai prévu à l'alinéa précédent est prescrit à peine d'irrecevabilité, prononcée d'office, du mémoire en réponse".

 18) Article 68 du nouveau Code de procédure civile : "Les demandes incidentes sont formées à l'encontre des parties à l'instance de la même manière que sont présentés les moyens de défense. Elles sont faites à l'encontre des parties défaillantes ou des tiers dans les formes prévues pour l'introduction de l'instance. En appel, elles le sont par voie d'assignation".

 19) v. notamment : 2e Civ., 13 juin 1979, Gaz. Pal. 1979, 2, p. 562, note Viatte ; 2e Civ., 1er décembre 1982, D. 1983, I.R., p. 155, obs. P. Julien, R.T.D. civ. 1983, p. 597, obs. R. Perrot.

 20) Avant cette date, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation n’employait pas expressément l’expression de "pouvoir discrétionnaire du juge" en matière de condamnation aux frais irrépétibles, mais énonçait que la condamnation au titre "de l’article 700 du nouveau Code de procédure civile n’a pas à être spécialement motivée", ce qui revenait néanmoins implicitement à admettre le pouvoir discrétionnaire du juge en cette matière. v. notamment, 2e Civ., 20 juin 1996, Bull., II, n° 172, p. 104, pourvoi n° 9412370 : la condamnation au paiement d'une somme demandée au titre du I de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 repris à l'article 700 du nouveau Code de procédure civile n'a pas à être spécialement motivée.

 21) Cette jurisprudence a opéré un revirement de jurisprudence dans la mesure où traditionnellement la deuxième chambre civile de la Cour de cassation refusait la possibilité d'assortir la condamnation au titre des frais irrépétibles de l'exécution provisoire. v. notamment, 2e Civ., 23 janvier 1985, Bull., II, n° 18, p. 12, pourvoi n° 8314532 : la condamnation prononcée en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile doit être assimilée à la condamnation aux dépens, pour l'application de l'article 515 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile. Par suite, viole ce texte le premier président d'une cour d'appel qui refuse d'arrêter l'exécution provisoire d'un jugement englobant ces deux chefs de condamnation.