ETAT DES LIEUX VALEUR JURIDIQUE DU
CONSTAT UNILATERAL
Par Alloune DAGO
‑ L’article 3 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit
qu'un état des lieux doit être établi contradictoirement par les parties, lors
de la remise des clefs ou à défaut par un huissier de justice à l'initiative de
la partie la plus diligente et à frais partagés. Lorsque l'état des lieux doit être
établi par un huissier, les parties sont avisées par lui au moins sept jours à
l'avance par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception. A partir du
moment où les parties ont été effectivement convoquées, le constat sera
considéré comme contradictoire même s'il est dressé hors la présence de l'une
d'elles. La partie défaillante régulièrement convoquée ne peut donc invoquer sa
propre négligence : le constat lui sera opposable. Mais, que décider lorsque le
constat de l'huissier est établi sans convocation préalable du preneur ou en
son absence ? L’examen de l'état du droit positif révèle que tantôt le constat
unilatéral est opposable au preneur, tantôt il est dépourvu de toute valeur
probatoire.
OPPOSABILITÉ AU LOCATAIRE DU CONSTAT UNILATÉRAL
‑ On estime généralement que le constat unilatéral
est opposable au preneur qui a, naïvement ou délibérément, fait obstacle à
l'établissement contradictoire de l'état des lieux de sortie. De sorte que, le
preneur qui quitte les lieux sans communiquer au bailleur sa nouvelle adresse
(CA Paris, 6'ch., B, 16 oct. 1997‑
CA Toulouse 3'ch civ., 6juin 1995) ou qui ne juge
pas utile de se présenter et d'assister à l'état des lieux ) sans faire valoir un cas de force majeure ou même d'un
empêchement quelconque (CA Versailles, I‑
ch., 20 nov. 1998) ne peut dénier toute force probatoire au constat non
contradictoire. Du reste, l'on fait remarquer que, l'état des lieux effectué
par un huissier à la demande du bailleur, hors la présence du locataire, est
opposable à celui‑ci dès lors qu'il a pu en tout état de cause connaître
son contenu et le critiquer dans la mesure où ce document a été soumis à la
libre discussion contradictoire devant le juge (CA Versailles, Il déc. 1998.).
Tout au plus, l'état des lieux de sortie non
contradictoire établi par l'officier ministériel vaut comme élément de preuve
lorsqu'il a été réalisé, soit immédiatement après le départ du preneur (CA Paris, 6' ch., B, 22 oct.
1998 ) soit
par l'huissier commis par ordonnance sur requête, après que le locataire ait
quitté les lieux sans en aviser le bailleur et sans restituer les clefs (Cass. 3, civ., 20févr. 1996).
À cet égard, il convient d'observer que les
constatations de l'huissier sont objectives et impartiales, le tout sans
manquer aux exigences de la rigueur ni aux impératifs de la cohérence. Faisant
foi jusqu'à inscription de faux, les constatations de l'officier ministériel
sont donc dignes de la meilleure considération.
INOPPOSABILITÉ AU LOCATAIRE DU CONSTAT
‑ Dans toute la mesure où le bailleur, par
ruse, malice ou négligence, fait obstacle à l'établissement d'un état des lieux
contradictoire, on considère qu'il ne peut utilement se prévaloir du constat
non contradictoire. Cette idée trouve à s'illustrer dans l'hypothèse où le
bailleur s'abstient, délibérément et dans un esprit de fraude, de faire établir
contradictoirement l'état des lieux, préférant attendre le départ du locataire
pour recourir à un huissier (CA Versailles,
l' ch., section 2, 28 juin 1996). C'est assez dire que faute d'avoir
effectué les diligences nécessaires pour l'établissement d'un état des lieux de
sortie, le bailleur ne peut se réclamer d'un constat non contradictoire (CA Rouen, 1" ch. civ.,
7févr. 1996 : jurisData n' 040409). Au point que
l'irrégularité de la convocation notifiée au preneur sur son lieu de travail,
alors qu'il était en congé maladie, lui interdit de se prévaloir de l'état des
lieux dressé hors la présence du preneur (CA Toulouse, 3' ch., 21 avr. 1998). A quoi
l'on ajoute que, sont dépourvus de toute valeur probante, l'état des lieux de
sortie et le procès‑verbal de constat des lieux par huissier, établis
sans qu'il soit démontré que des diligences ont été faites pour convoquer le
locataire sortant, et rédigés en la seule présence de la gardienne de
l'immeuble qui n'est ni une partie, ni la mandataire du bailleur mais sa
salariée (CA Versailles, 1" ch., 29 mai 1998 ).
Tout ceci se ramène à une évidence: si le bailleur peut
exploiter le constat unilatéral, encore faudrait‑il qu'il n'ait pas
manqué, par négligence ou imprudence, aux diligences imposées par la loi.