
Bulletin d’information - 1er février 2007 Avis de la Cour de cassation - Avis n° 13
Protection des consommateurs - Surendettement - Commission de surendettement - Mesures recommandées - Contestation par les parties - Défaut - Effets - Mission du juge - Contrôle des recommandations de la commission - Objet - Etendue - Détermination - Portée.Lorsqu’il
est appelé, en application de l’article L. 332-1 du code de la
consommation, c’est-à-dire en dehors de toute contestation des parties,
à vérifier le bien-fondé de mesures recommandées consistant en un
effacement partiel de créances, le juge de l’exécution ne dispose pas
du pouvoir de s’assurer que le débiteur remplit les conditions du
premier alinéa de l’article L. 330-1 du même code. Le juge statue alors
au seul vu des pièces transmises par la commission, conformément à
l’article R. 332-2 du même code, et ne dispose pas des pouvoirs
d’investigation conférés par l’article 27 du nouveau code de procédure
civile.
AVIS
LA COUR DE CASSATION,
Vu les articles L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du nouveau code de procédure civile ;
Vu
la demande d’avis formulée le 9 août 2006 par le juge de l’exécution de
Boulogne-sur-Mer (tribunal d’instance), reçue le 11 août 2006, dans une
instance opposant Mme X… à la société Crédit lyonnais et autres, et
ainsi libellée :
« Lorsque les mesures recommandées par la
commission de surendettement des particuliers consistent en
l’effacement partiel de créances sur le fondement de l’article L.
331-7-1 du code de la consommation, le juge de l’exécution peut-il
s’assurer du respect des conditions énoncées par le premier alinéa de
l’article L. 330-1 du code de la consommation (caractère manifeste de
l’impossibilité de faire face aux dettes et bonne foi du débiteur) et,
après avoir invité les parties à présenter leurs observations, le cas
échéant refuser de leur conférer force exécutoire en application des
articles L. 332-1 et R. 332-3 du code précité ?
Le juge de
l’exécution peut-il, en l’absence de contestation de mesures
recommandées consistant en l’effacement partiel de créances, faire
usage des pouvoirs d’investigation prévus par l’article 27 du nouveau
code de procédure civile afin de juger de leur bien-fondé et de leur
légalité ? » ;
EST D’AVIS
1. Que lorsqu’il est appelé, en
application de l’article L. 332-1 du code de la consommation,
c’est-à-dire en dehors de toute contestation des parties, à vérifier le
bien-fondé de mesures recommandées consistant en un effacement partiel
de créances, le juge de l’exécution ne dispose pas du pouvoir de
s’assurer que le débiteur remplit les conditions du premier alinéa de
l’article L. 330-1 du même code ;
2. Que le juge ne statue conformément à l’article R.
332-2 du même code, et qu’au vu
des pièces transmises par la commission,qu’il ne dispose pas des pouvoirs
d’investigation conférés par l’article 27 du nouveau code de procédure
civile.
DIT que le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.
M. Canivet, P. Pt. - Mme Leroy-Gissinger, Rap., assistée de Mme Grégori, greffier en chef - M. Domingo, Av. Gén.
Rapport de Mme Leroy-Gissinger Conseiller rapporteur
La
Cour de cassation est saisie d’une demande d’avis comportant deux
questions, formulées par le juge de l’exécution de Boulogne-sur-Mer
(tribunal d’instance), dans un jugement du 9 août 2006, statuant en
matière de surendettement.
Les questions portent sur la nature et
les limites du pouvoir du juge de l’exécution, lorsqu’il est saisi,
hors toute contestation, par une commission de surendettement, d’une
demande tendant à ce qu’il confère force exécutoire à des
recommandations consistant en un effacement partiel des créances.
I. - Rappel des faits et de la procédure
Il
ressort du jugement saisissant la Cour de cassation, qui est le seul
document relatif à la procédure en notre possession, que le 16 juin
2006, la commission de surendettement des particuliers de
Boulogne-sur-Mer et Montreuil-sur-Mer a transmis au juge de
l’exécution, pour qu’il leur confère force exécutoire, des mesures
recommandant, notamment, l’effacement partiel des dettes de Mme X…, ces
mesures n’ayant été contestées ni par cette dernière ni par ses
créanciers. Nous ignorons le détail de ces mesures et n’avons aucune
information sur la situation financière de la demanderesse au
surendettement.
La motivation du juge nous permet d’éclairer sa demande d’avis :
«
Attendu que chargée, en application des articles L. 332-1, R. 332-2 et
R. 332-3 du code de la consommation, de vérifier le bien-fondé et la
légalité des mesures d’effacement partiel des créances, la juridiction
doute du point de savoir si elle peut refuser de donner force
exécutoire à des mesures recommandées au profit de débiteurs dont la
situation ne répond pas aux conditions édictées par l’article L. 330-1
du code de la consommation ;
Attendu par ailleurs que le contrôle du
bien-fondé des mesures d’effacement partiel des créances ne peut
pleinement s’exercer sans donner au juge la possibilité de vérifier
préalablement l’existence, l’exigibilité et le montant de celles-ci ;
Attendu
que les textes relatifs au traitement du surendettement ne permettent
pas expressément au juge de l’exécution de procéder à la vérification
des créances hors contestation ; attendu toutefois qu’aux termes de
l’article 27 du nouveau code de procédure civile le juge peut procéder
en matière gracieuse, même d’office, à toutes investigations utiles ;
Attendu
que ces questions de droit sont nouvelles et qu’elles présentent des
difficultés sérieuses se posant dans de nombreux litiges ».
La demande d’avis est formulée dans les termes suivants :
«
Lorsque les mesures recommandées par la commission de surendettement
des particuliers consistent en l’effacement partiel de créances sur le
fondement de l’article L. 331-7-1 du code de la consommation, le juge
de l’exécution peut-il s’assurer du respect des conditions énoncées par
le premier alinéa de l’article L. 330-1 du code de la consommation
(caractère manifeste de l’impossibilité de faire face aux dettes et
bonne foi du débiteur) et, après avoir invité les parties à présenter
leurs observations, le cas échéant refuser de leur conférer force
exécutoire en application des articles L. 332-1 et R. 332-3 du code
précité ?
Le juge de l’exécution peut-il, en l’absence de
contestation des mesures recommandées consistant en l’effacement
partiel de créances, faire usage des pouvoirs d’investigation prévus
par l’article 27 du nouveau code de procédure civile afin de juger de
leur bien-fondé et de leur légalité ? »
II. - La recevabilité de la demande d’avis
A. - Recevabilité quant à la forme (articles 1031-1 et suivants du nouveau code de procédure civile)
Le
jugement par lequel le juge de l’exécution a saisi la Cour de cassation
de l’avis mentionne que les parties, ainsi que le procureur de la
République près le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer, ont
été invités à formuler leurs observations sur les questions posées mais
qu’ils n’ont transmis aucune observation dans le délai imparti.
Le
jugement du 9 août 2006 a été notifié aux parties le 10 août 2006 ainsi
qu’au premier président de la cour d’appel de Douai, au procureur
général près cette cour d’appel ainsi qu’au procureur de la République
de Boulogne.
La demande d’avis paraît donc recevable en la forme.
B. - Recevabilité quant au fond (article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire)
Portant
sur le surendettement, il ne fait pas de doute que les questions sont
susceptibles de se poser, et se posent, fréquemment. Selon des données
statistiques transmises au rapporteur, il y aurait eu en 2005, 33 827
saisines de juges de l’exécution tendant à voir conférer force
exécutoire à des mesures recommandées, sur le fondement de l’article L.
332-1 du code de la consommation.
Les
questions de droit soulevées ne concernent pas des dispositions
nouvelles, puisqu’elles portent sur des articles du code de la
consommation qui datent de 1998 (loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 de
lutte contre les exclusions). Elles ont, certes, été modifiées en 2003
(loi n° 2003-710 du 1er août 2003 relative au rétablissement
personnel), mais les questions évoquées par la demande d’avis se
posaient au même titre, antérieurement au texte de 2003.
En
revanche, la Cour de cassation n’a jamais statué sur aucune des deux
questions dont elle est aujourd’hui saisie. En effet, elle n’a jamais
eu à se prononcer sur la notion de « bien-fondé » des mesures
recommandées, qui est au centre de la première question, et sur
l’étendue du contrôle qu’elle implique. Elle n’a pas davantage tranché
la question de la nature, contentieuse ou gracieuse, de la décision
rendue par le juge dans l’hypothèse visée.
Est-ce parce que ces deux questions ne posent pas de difficulté sérieuse ? La question mérite d’être examinée.
En
effet, comme il sera constaté ci-après, l’examen du droit positif
semble permettre de répondre assez aisément à la première question
posée. Cependant, il convient de noter que l’étendue des pouvoirs du
juge de l’exécution statuant en matière de surendettement, en
particulier en ce qui concerne la faculté pour ce juge de constater
l’absence de bonne foi du débiteur, reste une question qui donne lieu à
des interrogations (voire des réticences des juges du fond). Cette
problématique se trouve, en outre, remise en lumière depuis l’entrée en
vigueur de la loi sur le rétablissement personnel et par les
conclusions du comité de suivi de cette loi qui a proposé que, dans le
cadre d’une réforme éventuelle, il soit permis au juge d’exercer un
contrôle sur cette condition de recevabilité dans des hypothèses où la
jurisprudence actuelle ne le prévoit pas.
S’agissant de la seconde
question, à s’en tenir à la lettre de l’article R. 332-2 du code de la
consommation, le juge devrait statuer, dans l’hypothèse visée par la
demande d’avis, au seul vu des pièces transmises par la commission.
Cependant, la doctrine analysant généralement l’intervention du juge
dans ce cadre comme une décision gracieuse, la question posée par la
demande d’avis n’est pas illégitime. Par ailleurs, elle se rattache
indéniablement à la première question, dans la mesure où le juge de
l’exécution pourrait trouver dans la procédure gracieuse, qui accorde
une grande place à l’initiative du juge, les moyens d’exercer un
pouvoir de contrôle renforcé.
III. - La question et son contexte juridique
A. - L’hypothèse envisagée par la demande
Les deux questions posées par la demande d’avis nous placent dans la situation où :
- un plan amiable, recueillant l’accord du demandeur au surendettement et de tous ses créanciers, n’a pu être élaboré ;
-
où le débiteur, en situation d’insolvabilité, a bénéficié d’un
moratoire (suspension de l’exigibilité des créances autres
qu’alimentaires pendant une durée maximale de deux ans - premier alinéa
de l’article L. 331-7-1 du même code) et
- où, à l’expiration de
celui-ci, le débiteur demeurant insolvable, la commission propose
l’effacement d’une partie de ses dettes (second alinéa de l’article L.
331-7-1).
Enfin, l’avis ne pose la question de la limite des pouvoirs du juge de l’exécution que dans l’hypothèse où la
proposition de la commission ne fait pas l’objet d’une contestation des parties.
B. - Le contexte juridique
Depuis
la loi du 1er août 2003, qui a instauré le rétablissement personnel,
trois « régimes » de surendettement ont pu être identifiés (cf. avis du
10 janvier 2005 et avis du 24 juin 2005) :
- les mesures de
l’article L. 331-7 du code de la consommation, couramment appelées
mesures ordinaires de désendettement, qui sont applicables si elles
permettent d’apurer la situation du débiteur dans le délai total de dix
années (situation de surendettement remédiable) ;
- les mesures de
l’article L. 331-7-1 du même code, qui permettent, lorsque le débiteur
est insolvable au sens de cet article, de suspendre l’exigibilité du
passif pendant une durée maximale de deux années et, passé ce délai, de
réexaminer la situation du débiteur et de proposer un effacement
partiel des créances, éventuellement combiné avec un plan comportant
les mesures de l’article L. 331-7 afin d’apurer sa dette (situation
d’insolvabilité) ;
- le rétablissement personnel, qui s’applique aux
cas dans lesquels le débiteur se trouve dans l’impossibilité d’apurer
sa situation par la mise en œuvre des mesures ci-dessus décrites
(situation irrémédiablement compromise).
- La proposition de la commission :
Le
deuxième régime ci-dessus décrit, qui est celui qui nous intéresse, est
en deux étapes : la commission propose d’abord un moratoire (premier
alinéa de l’article L. 331-7-1), puis, à l’expiration de celui-ci, des
mesures pouvant consister en un effacement partiel des dettes (second
alinéa), éventuellement combiné avec des mesures ordinaires de
redressement, selon notre avis du 10 janvier 2005. Antérieurement à la loi
du 1er août 2003, cet effacement pouvait être total, mais, afin de ne
pas laisser coexister deux régimes d’effacement des dettes, celui-ci et
le rétablissement personnel, il a été décidé, au cours de la discussion
parlementaire, de limiter l’article L. 331-7-1 à un effacement partiel1.
L’effacement
est soumis à des conditions tenant à la personne du débiteur, qui doit
être encore en situation d’insolvabilité à l’issue du moratoire. Cette
situation se caractérise par l’absence de ressources ou de biens
saisissables de nature à permettre d’apurer tout ou partie des dettes
et rendant inapplicables les mesures ordinaires de désendettement.
Cet effacement doit faire l’objet d’une proposition spéciale et motivée de la commission.
- Le contrôle du juge de l’exécution :
La
proposition d’effacement est soumise, au même titre que les autres
mesures recommandées par la commission, au contrôle du juge de
l’exécution, soit dans le cadre d’une contestation soulevée par l’une
des parties soit, hors toute contestation, par une demande de la
commission tendant à ce qu’il soit conféré force exécutoire aux mesures.
1.
En l’absence de contestation, l’article L. 332-1 du code de la
consommation dispose que le juge de l’exécution confère force
exécutoire aux mesures, après avoir procédé à un contrôle de celles-ci.
- pour toutes les mesures recommandées, le contrôle du juge se limite à une vérification de leur « régularité » ;
-
pour les mesures d’effacement partiel des créances, le texte prévoit
que le juge vérifie « leur régularité et leur bien-fondé ».
2.
En cas de contestation, le juge doit vérifier, même d’office, la
validité des titres de créance et s’assurer que le débiteur se trouve
bien dans la situation définie à l’article L. 331-2 c’est-à-dire, par
renvoi de texte, si la personne est de bonne foi et se trouve dans une
situation de surendettement (article L. 330-1)3.
Ces articles comportent donc une gradation dans le contrôle effectué par le juge de l’exécution.
On
notera que le code prévoit expressément la possibilité pour le juge de
faire porter son contrôle sur la bonne foi du débiteur et la situation
de surendettement, lorsqu’il est saisi d’une contestation des mesures
et reste muet sur ce point, s’agissant des cas où les parties ne les
ont pas contestées.
Une lecture a contrario permettrait donc de considérer que le juge n’a pas ce pouvoir dans l’hypothèse qui nous concerne.
Si
la partie réglementaire du code de la consommation permet de mieux
cerner l’étendue du contrôle opéré par le juge de l’exécution lorsqu’il
porte sur des mesures ordinaires de désendettement, ce n’est pas le cas
en ce qui concerne l’effacement partiel des créances.
Pour les premières, l’article R. 332-2 prévoit que le juge vérifie « que les recommandations sont conformes aux
dispositions des articles L. 331-7 et L. 331-7-1 et qu’elles ont été
formulées dans le respect de la procédure prévue aux articles R. 331-18
à R. 331-20 ». Il s’assure donc que les mesures sont bien celles légalement
prévues et que la commission a respecté la procédure instituée par les
textes. Il s’agit donc d’un contrôle de légalité portant sur le fond et
sur la procédure.
S’agissant de la mesure d’effacement partiel, le
même texte précise qu’à ce contrôle s’ajoute celui du bien fondé des
mesures, ce qui ne fait que reprendre le terme utilisé par l’article L.
332-1.
Dans tous les cas, l’article R. 332-2 dispose que le juge ne
peut ni compléter les mesures ni les modifier.
Le quatrième alinéa de
l’article R. 332-3 dispose : « En cas d’illégalité ou d’irrégularité de
la procédure ou lorsque les mesures d’effacement partiel sont
infondées, le juge adresse copie de son ordonnance à la commission et
lui renvoie les pièces en l’invitant à se conformer aux dispositions de
l’article R. 331-20 » (élaboration de nouvelles propositions).
Le
juge confère force exécutoire aux mesures non contestées par une
ordonnance à laquelle elles sont annexées (article R. 332-3). Cette
ordonnance est susceptible de rétractation, à la demande de toute
partie qui n’a pas été en mesure de s’opposer à l’objet de la demande
(art. R. 332-1-2-III du code de la consommation).
Quant aux pouvoirs
d’investigation du juge, selon les termes de l’article R. 332-1, le
juge statue, en l’absence de contestation « au vu des pièces transmises
par la commission ». Le code ne prévoit d’ailleurs pas de convocation
des parties à une audience.
Ces dispositions s’opposent à celles
prévues en cas de contestation, qui confèrent au juge de l’exécution de
larges pouvoirs d’investigation4 et prévoient la convocation des
parties à une audience.
1 Nathalie Cöte, JCP 2003, doctrine 175, p. 1973
2
Article L. 332-1 : S’il n’a pas été saisi de la contestation prévue à
l’article L. 332-2, le juge de l’exécution confère force exécutoire aux
mesures recommandées par la commission en application de l’article L.
331-7 et au premier alinéa de l’article L. 331-7-1 après en avoir
vérifié la régularité, et aux mesures recommandées par la commission en
application du troisième alinéa de l’article L. 3317-1, après en avoir
vérifié la régularité et le bien-fondé.
3 2e Civ., 13 février 2003, Bull. 2003, II, n° 41, p. 36.
4
En cas de contestation, le juge peut faire publier un appel aux
créanciers et prescrire toute mesure d’instruction qu’il estime utile.
Il peut également obtenir communication de tout renseignement lui
permettant d’apprécier la situation du débiteur et l’évolution possible
de celle-ci (article L. 332-2).
IV. - Eléments de réponse
La
première question posée par la demande d’avis nous invite à analyser la
notion de bien-fondé des mesures et à déterminer si le contrôle du
bien-fondé de la mesure s’étend à la vérification de la recevabilité de
la demande de traitement de surendettement.
La seconde question nous
demande si, pour apprécier la régularité et le bien-fondé des mesures,
le juge de l’exécution peut faire usage des pouvoirs d’investigation de
l’article 27 du nouveau code de procédure civile relatif à la procédure
gracieuse, ce qui invite à s’interroger sur la nature de l’intervention
du juge5.
A. - Le droit positif
Les textes
La stricte
lecture des textes applicables, ci-dessus rappelés, nous conduit, me
semble-t-il, à conclure que, dans la situation visée par la demande
d’avis, le juge vérifie, au vu des seuls documents transmis par la commission :
- que les mesures proposées sont bien de celles que le juge peut prononcer ;
-
que la commission a bien respecté la procédure instituée par le code de
la consommation ; - que la personne se trouve bien en situation
d’insolvabilité et
- que la mesure d’effacement apparaît justifiée.
Les
textes ne prévoient donc pas, contrairement au cas où les parties
contestent les mesures, que le juge procède à un examen des conditions
de recevabilité de la demande. Cependant, analysant si la personne
se trouve bien en état d’insolvabilité, le juge sera, de fait, amené à
examiner si elle est dans l’impossibilité manifeste de faire face à
l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir (la
notion de situation de surendettement inclut, me semble-t-il, celle
d’insolvabilité). Il procédera donc à l’examen de ce critère de
recevabilité de la demande. Si tel est le cas, le cœur de la question
résiderait dans la faculté donnée ou refusée au juge d’examiner la
bonne foi du débiteur.
La jurisprudence
A ma connaissance,
notre Cour n’a jamais eu à se prononcer sur la limite des pouvoirs du
juge de l’exécution lorsqu’il lui est demandé, hors toute contestation,
de conférer force exécutoire à un plan comportant un effacement total
(en l’état du droit antérieur à la loi du 1er août 2003) ou un
effacement partiel des créances.
- Les seules décisions rendues sur
les pouvoirs du juge de l’exécution en application de l’article L.
332-1 du code de la consommation concernent les cas où il est saisi de
mesures ordinaires de désendettement. Dans ce cadre, il a été jugé que
le juge ne peut procéder à la vérification des créances (1re Civ., 4
mai 1999, Bull. 1999, I, n° 149)6 et qu’il ne peut refuser de conférer
force exécutoire aux mesures qui lui sont soumises, au motif que les
créanciers n’auraient pas produit les éléments suffisants pour prouver
leurs droits (1re Civ., 13 octobre 1999, pourvoi n° 98-04.027).
Enfin,
dans un arrêt du 12 octobre 2006, à paraître au Bulletin (2e Civ., 12
octobre 2006, pourvoi n° 0504.001), la deuxième chambre a jugé qu’en
l’absence de contestation, le juge de l’exécution n’a pas le pouvoir de
s’assurer que le débiteur se trouve bien dans la situation définie à
l’article L. 331-2 (qui
renvoie à l’article L. 330-1, situation de surendettement et bonne foi).
Notre
Cour a donc fait une lecture stricte des pouvoirs conférés au juge de
l’exécution dans cette hypothèse. Cette lecture pourrait-elle être
différente lorsque le juge est saisi d’une mesure d’effacement partiel
des créances, au motif qu’il dispose alors d’un pouvoir d’appréciation
du bien-fondé de la mesure ?
-
A ma connaissance, la Cour de cassation ne s’est jamais prononcée, non
plus, sur la question de savoir si, en cas de contestation ne portant
pas sur la question de la bonne foi, le juge pouvait soulever d’office
la mauvaise foi du débiteur7. En revanche, et cela résulte clairement
des textes, s’il est saisi d’une contestation de la bonne foi de
celui-ci, il est tenu de se prononcer, sans pouvoir considérer qu’en
l’absence de contestation préalable de la recevabilité, cette question
ne peut plus lui être soumise (2e Civ., 13 février 2003, Bull. 2003,
II, n° 41 ; 2e Civ., 7 juin 2006, pourvoi n° 05-04.027).
La
deuxième chambre civile est actuellement saisie d’un pourvoi portant
sur la question de savoir si, dans le cadre d’une demande d’ouverture
d’une procédure de rétablissement personnel et alors que la
recevabilité
de la demande de traitement de la situation de surendettement n’avait
pas été contestée, le juge peut soulever d’office la mauvaise foi du
débiteur.
Article 27 du NCPC : Le juge procède, même d’office, à
toutes investigations utiles. Il a la faculté d’entendre sans
formalités les personnes qui peuvent l’éclairer ainsi que celles dont
les intérêts risquent d’être affectés par sa décision.
Le visa de cet arrêt de cassation, rendu en application de la loi de 1995, est le suivant :
« Vu les articles L. 332-1 et R. 332-2 du code de la consommation ;
Attendu
qu’il résulte de ces textes que le juge de l’exécution chargé de
conférer force exécutoire aux mesures recommandées peut seulement en
vérifier la régularité au regard des pouvoirs que la commission tient
de l’article L. 331-7 du code de la consommation et des règles
procédurales prévues aux articles R. 331-18 à R. 331-20 ».
La
première chambre a réaffirmé ce principe dans un arrêt du 6 juin 2000,
mais encore dans un cas où le texte applicable était celui de 1995 (1re
Civ., 6 juin 2000, Bull. 2000, I, n° 178).
Un arrêt non publié du 2
octobre 2002 (1re Civ., 2 octobre 2002, pourvoi n° 00-04.142) a pu
faire naître une interrogation puisqu’il comporte le chapeau suivant :
« Attendu qu’aux termes de ce texte [article L. 332-2 du code de la
consommation], le juge du surendettement peut, lorsqu’il statue sur la
contestation des mesures recommandées, s’assurer, même d’office, que le
débiteur se trouve bien dans la situation définie à l’article L. 331-2
du même code ». Cependant, dans cette affaire, les créanciers avaient
bien invoqué la mauvaise foi du débiteur, de sorte que le juge n’avait
pas soulevé cette circonstance d’office et que l’on ne peut considérer
que la Cour de cassation l’ait approuvé de l’avoir fait.
Dans
ces deux dernières hypothèses, la question du pouvoir pour le juge de
soulever d’office la question de la bonne foi du débiteur est
directement posée par la rédaction même des textes applicables :
l’article L. 332-2 prévoit que « le juge peut vérifier, même
d’office, la validité et le montant des titres de créance et s’assurer
que le débiteur se trouve bien dans la situation définie à l’article L.
331-2 » (l’expression « même d’office » ne s’applique-t-elle qu’à la
vérification des titres de créances ou également aux conditions de
recevabilité de la demande de surendettement, et donc à la bonne foi ?)
et l’article L. 332-6 prévoit que le juge apprécie le caractère
irrémédiablement compromis de la situation du débiteur « ainsi que sa
bonne foi ». Ces textes comportent donc une rédaction très différente
de l’article L. 332-1 du code de la consommation.
- Notre Cour n’a,
à ma connaissance, jamais fait application de l’article 27 du nouveau
code de procédure civile aux décisions rendues par le juge de
l’exécution en matière de surendettement. En revanche, à l’occasion
d’un pourvoi portant sur la nécessité pour le juge d’organiser ou non
une audience pour statuer sur la recevabilité de la demande, la
première chambre, par un obiter dictum, a indiqué que lorsque seul le
débiteur a formé un recours contre la décision d’irrecevabilité de la
demande, ce recours s’exerce en matière gracieuse8. Peut-on en déduire
que, dès lors que le juge ne statue pas à la demande d’un créancier
contestant une décision de la commission, la procédure relève de la
matière gracieuse ?
La doctrine
Si la doctrine s’est penchée
sur les limites du contrôle opéré par le juge de l’exécution lorsqu’il
doit vérifier la régularité des mesures ordinaires de désendettement,
aucun auteur n’a, à ma connaissance, analysé de manière approfondie le
contenu et les limites du contrôle du bien-fondé des mesures. La
plupart des auteurs se contentent de paraphraser le code et d’ajouter
qu’il s’agit d’un contrôle de l’opportunité de la mesure d’effacement,
total ou partiel, des créances9.
Dans leur ouvrage consacré au
surendettement des particuliers, MM. Ferrière et Chatain10 indiquent
que le contrôle du bien-fondé permet au juge de contrôler l’opportunité
des mesures d’effacement des dettes. Ils ajoutent, mais sans préciser
si cette mention concerne tous les types de mesures transmises au juge :
«
il ne semble pas qu’à ce stade le juge puisse examiner la recevabilité
du dossier, c’est-à-dire que le débiteur est bien surendetté au sens de
l’article L. 331-2 du code de la consommation ». Selon ces auteurs,
cette position s’appuie sur un argument de texte qui est celui
mentionné précédemment, consistant en une lecture a contrario des
pouvoirs conférés au juge, en cas de contestation des mesures
recommandées, par l’article L. 332-2 du code.
Bilan :
Au
terme de cette analyse, il semble bien que le droit positif nous
conduise à donner une réponse négative aux deux questions posées : le
juge de l’exécution, lorsqu’il est appelé à contrôler le bien-fondé de
la mesure d’effacement partiel, doit contrôler l’opportunité de
celle-ci au vu des seules pièces que lui a transmises la commission,
sans pouvoir procéder à un examen des conditions de recevabilité de la
demande de surendettement.
Le juge de Boulogne-sur-Mer, dans la
motivation de sa décision, reconnaît d’ailleurs lui-même que les textes
relatifs au surendettement ne laissent pas au juge de l’exécution, dans
cette hypothèse, une grande latitude, puisqu’il indique que « les
textes relatifs au traitement du surendettement ne permettent pas
expressément au juge de l’exécution de procéder à la vérification des
créances, hors contestation ». Sa demande nous invite donc à aller plus loin.
Le juge de l’exécution ne pourrait-il pas, dans une conception extensive de la notion de bien-fondé, considérer que :
-
elle s’étend à l’examen de la recevabilité de la demande de
surendettement (contrôle de l’existence d’une situation de
surendettement et de la bonne foi) ;
- elle implique de reconnaître
au juge la faculté de s’appuyer sur la procédure gracieuse pour mettre
en œuvre des mesures d’investigation lui permettant de compléter les
informations que lui transmet la commission ?
B. - Au-delà du droit positif
1. En ce qui concerne l’examen de la recevabilité de la demande
a) Les éléments en faveur d’une conception extensive des pouvoirs du juge de l’exécution
-
Par sa nature mi-administrative mi-judiciaire et son caractère
dérogatoire au droit commun (atteinte à la force obligatoire des
contrats), la procédure de surendettement s’apparenterait à une
politique publique (l’effacement des créances a d’ailleurs été inséré
dans la loi de lutte contre les exclusions), auquel ne peuvent accéder
que certains types « d’usagers » : les personnes de bonne foi qui se
trouvent dans l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de
leurs dettes non professionnelles exigibles ou à échoir… Cette
conception de la procédure de surendettement pourrait conduire à
considérer qu’à chaque fois que le juge
8 1re Civ., 4 avril 1991, 5e espèce, D. 1991, Jurisprudence, pages 307 et s.
9 Sébastien Neuville, « Le traitement planifié du surendettement », RTD Com 2001, p. 31.
Elisabeth Fortis, Rép. Civ. Dalloz, Surendettement des particuliers, mai 2002.
Anne
Cinay-Cytermann, » La réforme du surendettement, les innovations de la
loi du 29 juillet 1998 de lutte contre les exclusions »,
JCP 1999, doctrine 106.
Odile-Mathilde
Boudou et Arnaud Claude, « Les pouvoirs du juge de l’exécution en cas
de non-contestation des recommandations de la commission de
surendettement », Gaz. Pal., 5 et 6 janvier 2001, p. 34. 10 F. Ferrière
et P.L. Châtain, « Surendettement des particuliers », Dalloz Référence,
3e éd., paragraphe 81.31 et suivants.
est
saisi de la procédure, et y compris en l’absence de recours contre une
proposition de la commission, il lui appartiendrait de vérifier que la
personne qui sollicite le bénéfice du dispositif de traitement du
surendettement en remplit bien les conditions.
Dès lors, le juge devrait vérifier que le débiteur se trouve bien en situation de surendettement et est de bonne foi11.
-
Même en s’éloignant de cette conception très administrative de la
procédure de surendettement, qui n’est, à ma connaissance, soutenue par
aucun des juristes ayant écrit sur cette question, l’atteinte portée à
la force obligatoire des contrats par la mesure d’effacement des
créances justifierait une brèche dans le principe de neutralité du
juge, de façon à interdire qu’un débiteur qui ne remplirait pas les
conditions de la loi, et en particulier celle relative à la bonne foi,
ne puisse en bénéficier.
- L’appréciation du « bien-fondé » d’une
mesure, qui renvoie à une analyse de son opportunité, ne pourrait
cantonner le juge à un contrôle minimal : l’opportunité d’un effacement
de dette ne peut être appréciée que si le juge a pu s’assurer de la
bonne foi du débiteur, qui est une condition de recevabilité du
traitement de la situation de surendettement. Par ailleurs, elle
implique de s’être prononcé en toute connaissance de cause sur le
montant exact des dettes et donc d’avoir pu procéder, le cas échéant, à
une vérification des créances.
- Une doctrine minoritaire avait
suggéré, dès 1995, lorsque la loi a modifié la place et le rôle du juge
de l’exécution dans la procédure de surendettement, qu’il puisse,
lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à conférer force exécutoire
aux mesures recommandées ordinaires, procéder à la vérification de la
recevabilité de la demande de surendettement elle-même12.
- Le
comité de suivi de l’application des dispositions relatives au
surendettement de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 a recommandé que
soit conférée au juge la faculté de soulever d’office la mauvaise foi
du débiteur, en raison du fait qu’étant le seul à avoir une vision
globale de la situation économique du débiteur, il est le mieux à même
d’apprécier sa bonne ou mauvaise foi. Cette recommandation est faite
non seulement en matière de rétablissement personnel mais aussi en ce
qui concerne les cas dans lesquels le juge est saisi du recours formé
contre la décision de recevabilité de la demande prise par la
commission et de la contestation des mesures recommandées sur le
fondement de l’article L. 331-7 du code de la consommation. Cet avis ne
mentionne cependant pas l’hypothèse où le juge n’est saisi d’aucune
contestation. La question de l’unification des pouvoirs du juge en ce
qui concerne la possibilité pour lui de soulever d’office la mauvaise
foi du débiteur se pose néanmoins.
Le comité a également souhaité
que le juge puisse soulever d’office la violation par le créancier des
dispositions protectrices du consommateur.
Il s’est donc prononcé en faveur d’un rôle actif du juge de l’exécution en matière de surendettement.
b) Les éléments en faveur d’une limitation des pouvoirs du juge de l’exécution
-
les textes et l’intention du législateur : lorsqu’il a décidé de
conférer à la commission le pouvoir de proposer un effacement, qui
était alors total, des créances (loi du 29 juillet 1998 relative à la
lutte contre les exclusions), le législateur n’a pas consacré un
article séparé aux pouvoirs de contrôle du juge de l’exécution dans
cette hypothèse nouvelle et la structure du code de la consommation n’a
pas été modifiée : la grande distinction reste celle opérée entre les
cas où il y a contestation des mesures et ceux où il n’y en a pas, et
c’est cette distinction qui fonde la différence des pouvoirs conférés
au juge de l’exécution13.
Permettre au juge de l’exécution de
procéder à un examen de la recevabilité de la demande de surendettement
à cette occasion reviendrait à lui conférer les pouvoirs qui sont les
siens lorsqu’il est saisi d’une contestation des mesures, ce que n’a
apparemment pas souhaité le législateur.
- La nature de
l’intervention du juge de l’exécution : lorsqu’il est saisi hors toute
contestation, la nature de son intervention a été très discutée en
doctrine.
Généralement qualifiée d’homologation14, certains y ont vu
un contrôle de légalité et de l’excès de pouvoir « comparable à celui
du juge administratif »15, en ce qui concerne les mesures de
redressement ordinaires. Lorsqu’il est saisi, hors contestation, de
mesures d’effacement des créances, le juge ne statuerait pas « en plein
contentieux » dès lors qu’il n’a pas le pouvoir de modifier les mesures
proposées16.
Considérant que le juge, dans cette hypothèse, n’est
pas appelé à trancher un litige mais seulement à conférer au travail de
la commission la reconnaissance de la loi, certains ont dressé un
parallèle avec l’exequatur des
11 Cette conception se heurte
cependant à la doctrine de la Cour de cassation qui analyse clairement
les conditions de recevabilité de l’article L. 330-1 du code de la
consommation en des fins de non-recevoir (1re Civ., 31 mars 1992, Bull.
1992, I, n° 104 et 2e Civ., 7 juin 2006, pourvoi n° 05-04.027).
12 G. Paisant, JCP 1995, Doctrine p. 3844 et D. Khayat, Gaz. Pal. 1995, Doctrine, p. 1374.
13
Les débats parlementaires et les rapports des diverses commissions
saisies à l’occasion de l’examen de la loi de 1998 montrent que les
discussions n’ont pas porté sur l’étendue des pouvoirs du juge de
l’exécution lorsqu’il lui est demandé de conférer force exécutoire à
une mesure d’effacement même total des créances mais plutôt sur
l’étendue de ses pouvoirs vis-à-vis des dettes fiscales et en cas de
contestation des mesures recommandées. Selon Mme Neiertz, le rôle du
juge de l’exécution lorsqu’il n’est pas saisi d’une contestation, « se
limite à entériner les mesures recommandées par la commission ». Un
amendement avait même proposé qu’en l’absence de contestation, le plan
acquerrait force exécutoire après un délai d’un mois si le juge de
l’exécution n’avait pas statué dans ce délai. L’amendement a finalement
été retiré dès le stade de l’examen du texte par la commission spéciale
de l’assemblée nationale chargée d’examiner ce volet du texte, en
raison de sa possible inconstitutionnalité (application aux décisions
judiciaires de la règle administrative des décisions implicites) et du
fait qu’il aurait pour conséquence de supprimer tout contrôle
judiciaire. Lors des débats devant la commission des lois du Sénat, il
a été indiqué que le contrôle du bien-fondé des mesures consistait en
la vérification de l’existence d’une situation d’insolvabilité
caractérisée (première lecture, rap. 473).
14 C’est le terme utilisé par la circulaire d’application de la loi du 27 juillet 1998, en date du 24 mars 1999, paragraphe 3.5.
15
W. H. Croze, « Cinq questions à propos du décret n° 95-660 du 9 mai
1995 relatif à la procédure de traitement des situations de
surendettement des particuliers », Procédures, juin 1995, Chronique, 2.
16 H. Croze, « Le traitement du surendettement, aspects procéduraux de la réforme », Petites affiches, 21 mai 1999, n° 101.
sentences
arbitrales, assimilant le rôle conciliateur de la commission aux
fonctions d’un arbitre17. D’autres, s’attachant davantage à l’existence
d’un accord au moins implicite des parties, qui ont décidé de
s’abstenir de tout recours contre les propositions de la commission,
ont estimé que « la recommandation devient alors un véritable contrat
judiciaire imposé aux parties par la décision du juge »18. Cependant,
cette analyse a été critiquée par certains, en particulier en raison du
fait qu’en cas de proposition d’effacement partiel, le juge dispose
d’un pouvoir d’appréciation du bien-fondé de celle-ci19.
Le
rattachement usuel à la notion d’homologation n’est pas d’un grand
secours puisqu’à l’homologation n’est pas attaché un régime unique et
homogène de contrôle juridictionnel : il peut comporter un simple
contrôle de légalité ou un contrôle d’opportunité (homologation de la
convention définitive de divorce par consentement mutuel). Selon un
auteur20, le contrôle du juge serait plus ou moins important selon que
l’acte soumis à l’homologation a été élaboré, ou non, en présence du
juge ou de son délégué (conciliateur par exemple). Si tel est le cas,
il y aurait une présomption forte que les parties se seraient mises
d’accord sur une solution présentant des garanties pour elles, de sorte
que le juge pourrait ne procéder qu’à des vérifications minimales.
Cette
analyse pourrait conduire à limiter le contrôle du juge dans notre
hypothèse, dès lors qu’il lui est demandé d’homologuer un plan qui est
le fruit d’un travail auquel toutes les parties intéressées ont été
appelées à participer, sous la responsabilité d’un organe indépendant
des parties (parallèle avec le rôle du conciliateur)21.
- La
cohérence du droit du surendettement : La procédure de surendettement
reste une procédure déclarative et d’essence consensuelle. La
commission n’est pas tenue de se faire remettre les titres fondant les
créances et n’est pas juge de la régularité des contrats et de leur
validité. Ce n’est que si elle se trouve empêchée de faire des
propositions de traitement de la situation qu’elle se fera remettre les
titres et qu’elle saisira, le cas échéant, le juge d’une demande de
vérification des créances. Lorsque ni la commission ni le débiteur ne
saisissent le juge d’une contestation du montant d’une créance au
moment de l’établissement de l’état d’endettement, le juge doit
travailler sur la base des montants déclarés22. Ce n’est qu’en cas
d’opposition déclarée du débiteur ou des créanciers que la procédure
perd son caractère consensuel et que le juge retrouve un véritable
pouvoir juridictionnel.
Un rôle restreint du juge dans notre
hypothèse serait ainsi en harmonie avec ce caractère consensualiste de
la procédure de surendettement.
Par ailleurs, si le juge était amené
à examiner, à ce stade, la recevabilité du dossier et la bonne foi du
débiteur, cela l’amènerait à faire des recherches et des vérifications
auxquelles procède, au premier chef, la commission depuis la réforme de
1995. Ne reviendrait-on pas sur la déjudiciarisation de la procédure
qui avait été souhaitée en 1995 et sur laquelle il n’est pas question
de revenir ?
Enfin, autoriser le juge à s’assurer de la bonne foi du
débiteur à cette occasion, même au seul vu des documents transmis par
la commission, reviendrait à lui permettre de relever d’office, le cas
échéant, sa mauvaise foi. Or, ceci constituerait une dérogation à la
règle jurisprudentielle bien établie, selon laquelle la bonne foi est
présumée (1re Civ., 4 avril 1991, Bull. 1991, I, no 123, 124 et 126).
Ce principe a conduit la Cour de cassation à juger qu’au stade de
l’examen de la recevabilité, le juge ne peut soulever d’office la
mauvaise foi23. Elle a, par ailleurs, jugé le 12 octobre dernier (arrêt
précité) qu’en l’absence contestation des mesures recommandées
consistant en des mesure ordinaires de surendettement, le juge ne
pouvait vérifier l’existence de la bonne foi du débiteur.
- Les
principes généraux de la procédure civile : quel serait le fondement de
la faculté accordée au juge, sans texte, de soulever des éléments de
fait (la bonne ou mauvaise foi, analyse des titres de créance par
exemple) qu’aucune des parties n’aurait invoqués ? Selon la doctrine de
la Cour de cassation, en l’absence de contestation du consommateur, il
n’appartient pas au juge de soulever d’office la méconnaissance des
règles d’ordre public de protection régissant le droit de la
consommation (1re Civ.,15 février 2000, Bull. 2000, I, n° 49), ce n’est
qu’en présence d’une contestation que le juge retrouve la possibilité
de sanctionner d’autres méconnaissances des règles d’ordre public en la
matière (1re Civ., 18 décembre 2002, Bull. 2002, I, n° 315). En
soulevant d’office la mauvaise foi du débiteur, le juge ne sortirait-il
pas de son obligation de neutralité ?
Cependant, en premier lieu, il
pourrait être répliqué que les règles gouvernant l’office du juge ne
peuvent valoir, dès lors qu’il est demandé au juge de donner force
exécutoire à un accord consacrant une atteinte grave au principe de la
force obligatoire des conventions. En quelque sorte, l’ordre public de
protection se trouverait inversé et ce serait les intérêts des
créanciers qu’il s’agirait ici de protéger.
17 D. Khayat, «
Nouvelles dispositions sur le surendettement des particuliers, une
réforme pour rien ? » Gaz. Pal., 17/19 décembre 1995, p. 2.
Boudou
et Claude, « Les pouvoirs du juge de l’exécution en cas de
non-contestation des recommandations de la commission de surendettement
», Gaz. Pal., 5-6 janvier 2001, doctrine p. 34.
18 G. Raymond, « Le
surendettement des particuliers et des familles après la réforme du 8
février 1995», JCP N 1995, Prat. 3401. 19 S. Neuville, « Le traitement
planifié du surendettement », RTD Com 2001, p. 43. 20 C. Hugon, «
Existe-t-il un droit commun de l’homologation judiciaire ? » Petites
affiches, 11 décembre 2003, n° 247, p. 4.
21 Cf. également l’analyse
de X. Lagarde, estimant que lorsque le juge est saisi en raison de son
imperium à des fins d’exécution, son
rôle se limite à un contrôle
minimum. Il fait une analyse sous cet angle des dispositions relatives
à l’injonction de payer. X. Lagarde,
« Office du juge et ordre public de protection », JCP 2001, Doctrine, 312.
22
Le juge saisi d’une demande de vérification des créances ne peut
écarter certaines d’entre elles de la procédure en raison de ce
que
les créanciers n’avaient pas produit les justificatifs réclamés par la
commission sans constater en quoi les créances en cause
n’étaient
pas valides. L’absence de production de justificatifs n’est donc pas
suffisante pour écarter une créance : 1re Civ., 14 mars
2000, pourvoi n° 98-04.014.
23
Avis n° 940020 du 16 décembre 1994 et la jurisprudence subséquente. Le
rapporteur de cet avis soulignait le paradoxe qu’il y aurait, pour
l’application d’une loi d’ordre public de protection sociale, à
permettre au juge de soulever d’office la mauvaise foi du débiteur
alors que les propres créanciers de celui-ci n’avaient pas estimé
devoir l’invoquer.
En
second lieu, il pourrait être tiré argument de la nature gracieuse de
l’intervention du juge de l’exécution, qui tiendrait alors de l’article
26 du nouveau code de procédure civile la possibilité de fonder sa
décision sur tous les faits relatifs au cas qui lui est soumis, y
compris ceux qui n’auraient pas été allégués (ceci nous renvoie d’une
certaine façon à la deuxième question de la demande d’avis).
2. En ce qui concerne les pouvoirs d’investigation du juge
Comme
indiqué précédemment, l’article R. 332-2 du code de la consommation
dispose que le juge de l’exécution, en l’absence de contestation des
mesures recommandées, procède aux vérifications qu’il doit opérer au vu
des pièces transmises par la commission, même en cas de recommandation
d’effacement partiel des créances.
Le juge pourrait-il s’appuyer sur
les dispositions relatives à la procédure gracieuse, et en particulier
sur l’article 27 du nouveau code de procédure civile, pour procéder à
toutes investigations qu’il estimerait nécessaires pour apprécier le
bien-fondé des mesures qui lui sont soumises ?
Si la Cour de
cassation n’a jamais statué sur le rattachement de la procédure «
d’homologation des mesures recommandées » à la procédure gracieuse24,
la doctrine se prononce généralement en ce sens25. L’intervention du
juge de l’exécution présente, en effet, les critères de l’article 25 du
nouveau code de procédure civile : absence de litige, contrôle du juge
imposé par la loi.
Cependant, à ma connaissance, la doctrine ne
s’est jamais penchée sur l’ensemble des conséquences à tirer du
rattachement de l’intervention du juge de l’exécution à la procédure
gracieuse, en particulier en ce qui concerne ses pouvoirs
d’investigation.
La réponse à la question, au moins en opportunité
et pour partie, paraît liée à celle qui sera apportée à la première
question de la demande d’avis. Si le juge ne dispose pas du pouvoir
d’examiner la recevabilité de la demande et la question de la bonne foi
du débiteur, l’opportunité de lui conférer des pouvoirs d’investigation
étendus apparaît moindre. Cependant, elle n’est pas nulle dans la
mesure où le juge doit apprécier l’opportunité de l’effacement des
créances et vérifier la situation d’insolvabilité du débiteur
(vérification des créances).
Au plan théorique, il peut être
rappelé, en premier lieu, que les principes généraux d’interprétation
devraient conduire à faire prévaloir le texte propre au surendettement
sur celui, d’ordre général, relatif à la matière gracieuse.
En
second lieu, il peut être souligné que les larges pouvoirs dont dispose
le juge en matière gracieuse trouvent leur justification dans l’absence
d’adversaire : l’hypothèse principale de la matière gracieuse est celle
de la saisine du juge par une partie (ou sur requête conjointe), sans
que les autres personnes susceptibles d’être concernées par la demande
présentée soient appelées. Le juge a donc pour mission de s’assurer que
les intérêts de ces tiers ne seront pas lésés par la décision qu’il
rendra et qu’on ne lui cache aucune information qui empêcherait une
juste appréciation des intérêts en présence (protection des enfants
dans les demandes de changements de régimes matrimoniaux par exemple).
C’est pourquoi la loi lui permet de fonder sa décision sur tous les
faits relatifs au cas qui lui est soumis et de procéder à toutes
investigations utiles.
En matière de surendettement, la situation
n’est pas tout à fait comparable puisque toutes les parties ont été
associées au projet qui est soumis à l’approbation du juge et ont pu en
discuter les termes (contestation de la recevabilité de la demande de
surendettement, contestation de l’état du patrimoine dressé par la
commission, contestation des mesures elles-mêmes). Par ailleurs, les
mesures sur lesquelles portera la décision du juge ont été élaborées
non par une partie mais par un tiers indépendant, et c’est lui qui
saisit le juge, non une partie.
Sur cette question, comme sur la
première posée par la demande d’avis, n’est-ce pas l’atteinte portée à
la force obligatoire des conventions conclues par les parties et le
souci d’éviter d’éventuels abus qui pourraient conduire à conférer au
juge de l’exécution des pouvoirs plus étendus que ceux que le pouvoir
réglementaire lui a expressément donnés ? Si ces pouvoirs (appréciation
de la recevabilité de la demande et pouvoirs d’investigation) se
rattachent incontestablement à la fonction juridictionnelle « classique
», il n’est pas sûr que la faculté donnée au juge d’en faire
application, dans l’hypothèse visée par la demande d’avis, ne viendrait
pas rompre une certaine cohérence du droit du surendettement.
24 La
décision précitée du 4 avril 1991 (1re Civ., 4 avril 1991, espèce n° 5,
D. 1991, Jurisprudence, 307) portait sur les conséquences à tirer de ce
rattachement en ce qui concerne l’obligation ou non d’organiser une
audience lorsque le juge statue sur la recevabilité de la demande.
Commentaire critique de R. Perrot (RTD Civ. 1991, oct-déc) qui fait
observer combien « les analyses de droit privé s’adaptent mal à des
situations bâtardes où un juge de l’ordre judiciaire intervient comme
organe de recours contre les décisions d’une commission à vocation administrative dont la nature est mal définie ».
25
Boudou et Claude, « Les pouvoirs du juge de l’exécution en cas de
non-contestation des recommandations de la commission de surendettement
», Gaz. Pal. 5-6 janvier 2001, doctrine p. 34.
S. Neuville « Le traitement planifié du surendettement », RTD Com 2001, p. 43.
Observations de M. Domingo
Avocat général
Notre
Cour est saisie d’une demande d’avis émanant du juge de l’exécution du
tribunal d’instance de Boulogne-sur-Mer ainsi formulée :
« Lorsque
les mesures recommandées par la commission de surendettement des
particuliers consistent en l’effacement partiel de créances sur le
fondement de l’article L. 331-7-1 du code de la consommation, le juge
de l’exécution peut-il s’assurer du respect des conditions énoncées par
le premier alinéa de l’article L. 330-1 du code de la consommation
(caractère manifeste de l’impossibilité de faire face aux dettes et
bonne foi du débiteur) et, après avoir invité les parties à présenter
leurs observations, le cas échéant refuser de leur conférer force
exécutoire en application des articles L. 332-1 et R. 332-3 du code
précité ?
Le juge de l’exécution peut-il, en l’absence de
contestation de mesures recommandées consistant en l’effacement partiel
de créances, faire usage des pouvoirs d’investigation prévus par
l’article 27 du nouveau code de procédure civile afin de juger de leur
bien-fondé et de leur légalité ? ».
L’examen des pièces du dossier
fait ressortir que les prescriptions édictées à l’article 1031-2 du
nouveau code de procédure civile ont été respectées. Les conditions de
forme de la recevabilité de la demande étant réunies, qu’en est-il des
conditions de fond énoncées à l’article L. 151-1 du code de
l’organisation judiciaire ?
S’agissant de la fréquence élevée des
litiges au sein desquels est susceptible de se poser la question de
droit soulevée, qui pourrait en douter ? La catégorie des débiteurs aux
abois, carencés en ressources et surdosés en emprunts n’est en effet
pas près de rétrécir.
La difficulté est sérieuse car les textes dont
l’application est en cause n’autorisent pas, à première analyse, une
interprétation totalement univoque permettant de déterminer les
pouvoirs exacts du juge de l’exécution dans le domaine concerné.
Reste la question de la nouveauté du problème juridique posé.
L’étude
des décisions prononcées par la Cour de cassation en matière de
surendettement des particuliers ne révèle pas l’existence de situations
identiques à celle qui est décrite dans la présente demande.
Il en
va de même des avis, assez abondants, rendus antérieurement, en
application des articles L. 151-1 du code de l’organisation judiciaire
et 1031-1 et suivants du nouveau code de procédure civile.
Tout au
plus convient-il de contempler avec un certain intérêt l’avis n°
0940020 du 16 décembre 1994 (Bull. 1994, Avis, n° 25, p.19) affirmant
que le juge ne peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée de la
mauvaise foi du débiteur dès lors que les dispositions légales
relatives au règlement des situations de surendettement ressortissent à
l’ordre public économique de protection sociale.
Une telle
formulation qui, par sa généralité et son caractère catégorique,
pourrait laisser à penser que la question des pouvoirs dont le juge
peut faire usage en ce domaine précis a d’ores et déjà été tranchée par
la négative, ne saurait cependant se couler dans la matrice de la
présente demande d’avis dès lors qu’exprimée sous l’empire de la loi du
31 décembre 1989, elle ne peut répondre que très imparfaitement aux
interrogations suscitées par la mise en œuvre de dispositions légales
ultérieures ayant largement modifié le paysage juridique dans ce
secteur du droit de la consommation.
Aussi bien, les exigences de
l’article L. 151-1 du code de l’organisation judiciaire paraissant
satisfaites, convient-il de passer à l’examen des données dont la
synthèse permettra de formuler la réponse attendue.
Il n’est pas
totalement vain de rappeler que dans le cadre des mécanismes institués
par la loi depuis plus d’une quinzaine d’années pour venir en aide aux
débiteurs en détresse, une commission départementale de surendettement
des particuliers s’est vue confier la mission essentielle d’élaborer,
avec l’accord des parties, un plan de redressement (article L. 331-6 du
code de la consommation) ou, en cas d’échec de sa mission de
conciliation, de recommander la mise en œuvre de certaines mesures
(article L. 331-7 du code de la consommation) propres à permettre
progressivement d’obtenir l’apurement du passif.
Par ailleurs, en
vertu des lois n° 98-657 du 29 juillet 1998 et 2003-710 du 1er août
2003, figure désormais dans le dispositif un article L. 331-7-1 du code
de la consommation permettant à la commission de surendettement, en cas
d’insolvabilité non irrémédiable du débiteur, de recommander : la
suspension de l’exigibilité des créances, autres qu’alimentaires, pour
une durée de deux ans maximum (premier alinéa) et, dans le cas où la
situation d’insolvabilité perdurerait au-delà de cette période,
l’effacement partiel des créances (en vertu d’une proposition spéciale
et motivée ; deuxième alinéa).
Il va de soi que lorsque la
commission en est à ce stade de son action, la question de la
recevabilité de la procédure engagée devant elle par le débiteur a
depuis beau temps été résolue, au moins à ce niveau de compétence.
Notamment
la vérification a été faite conformément à l’article L. 331-3 du code
de la consommation que celuici se trouve bien dans la situation
définie à l’article L. 331-2, lequel, remanié le 18 janvier 2005 et
encore le 13 juillet 2006, renvoie à l’article L. 330-1 aux termes
duquel l’état de surendettement est caractérisé par :
a) « l’impossibilité manifeste pour le débiteur » ;
b) à condition qu’il soit « de bonne foi », « de faire face » (notamment) « à l’ensemble de ses dettes non professionnelles ».
Les
mesures recommandées par la commission - en particulier celles
formulées en application de l’article L. 331-7-1 du code de la
consommation - peuvent être contestées par les parties (débiteur et
créanciers) devant le juge de l’exécution (article L. 332-2 du code de
la consommation).
En ce cas, le magistrat compétent est investi du
pouvoir de prendre lui-même tout ou partie des mesures définies à
l’article L. 331-7 ou à l’article L. 331-7-1. Autrement dit, il se
substitue, en ce qui concerne le choix desdites mesures, à la
commission elle-même et confère à celles-ci la force exécutoire
nécessaire à leur mise en œuvre (pouvoir dont la commission, apte
seulement à émettre des recommandations, est évidemment dépourvue).
Pour
remplir cette mission, le juge de l’exécution se voit doté de larges
moyens d’investigation. Il peut ainsi prescrire toute mesure
d’instruction qu’il estime utile et obtenir communication de tout
renseignement lui permettant d’apprécier la situation du débiteur et
l’évolution possible de celle-ci. Il lui est loisible de vérifier, même
d’office, la validité et le montant des titres de créance. Surtout, il
est en droit de s’assurer que le débiteur se trouve bien dans la
situation définie à l’article L. 331-2.
Cette disposition fait écho
à celle déjà citée figurant à l’article L. 331-3 et enjoignant à la
commission de vérifier que le demandeur est effectivement de bonne foi
et dans l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses
dettes.
Il parait en résulter que la contestation élevée devant le
juge de l’exécution confère à celui-ci le pouvoir non seulement de
décider des mesures à mettre en œuvre mais aussi d’exclure de leur
bénéfice le débiteur qui ne répond pas aux conditions légales
d’éligibilité.
Si l’étape contentieuse a été ouverte à l’initiative
d’un créancier, il parait naturel d’admettre une telle conséquence. En
revanche, la loi ne distinguant pas en ce domaine, la circonstance que
le juge de l’exécution saisi d’une contestation émanant du débiteur,
ait aussi le pouvoir (et le devoir) de vérifier si celui-ci peut
valablement invoquer le bénéfice du régime institué pour les situations
de surendettement montre qu’il dispose alors d’un pouvoir
d’intervention d’office (2e Civ., 13 février 2003, Bull. 2003, II, n°
41, p. 36) expressément accordé par la loi, bien que l’ensemble du
dispositif légal relève de l’ordre public économique de protection
(privant normalement le juge de la possibilité de relever d’office, en
particulier, la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du
débiteur - cf. avis précité du 16 décembre 1994).
Qu’en est-il, et
nous en arrivons à la question posée, lorsqu’aucune contestation des
mesures recommandées par la commission de surendettement n’a été
formulée dans le délai de quinze jours imparti par la loi ? Quels sont
alors les pouvoirs du juge de l’exécution ?
Aux termes de l’article L. 332-1, il se borne à conférer force exécutoire auxdites mesures.
Toutefois,
il doit auparavant vérifier la régularité de celles qui ont été
préconisées en application de l’article L. 331-7 et du premier alinéa
de l’article L. 331-7-1 (qui concerne la suspension de l’exigibilité
des créances).
Pour celles qui ont été recommandées en application
du deuxième alinéa (et non du troisième comme l’exprime fautivement
l’article L. 332-1) de l’article L. 331-7-1 - c’est-à-dire l’effacement
partiel des créances - le contrôle du juge porte non seulement sur leur
régularité mais aussi sur leur bien-fondé.
Le sens et la portée du texte légal reçoivent quelque éclairage des articles réglementaires pris pour son application.
Les
articles R. 332-2 et R. 332-3 qui forment la matière d’une sous-section
1 intitulée : « Acquisition de la force exécutoire » (laquelle s’oppose
à la sous-section 2 dont les articles concernent la « contestation des
mesures recommandées ») précisent la mission de contrôle du juge.
Celui-ci doit vérifier que les recommandations :
a) sont conformes aux dispositions des articles L. 331-7 et L. 331-7-1 ;
b)
ont été formulées dans le respect de la procédure prévue aux articles
R. 331-18 à R. 331-20 ; c) sont, en outre, bien fondées lorsqu’elles
consistent en l’effacement partiel des créances.
Contrairement à ce
qu’il advient en cas de contestation par une partie, le juge ne peut ni
compléter ni modifier les mesures recommandées (article R. 332-2 in
fine).
Il n’a d’autre choix que de conférer par voie d’ordonnance
force exécutoire aux recommandations ou, si celles-ci paraissent
entachées d’illégalité ou d’irrégularité (ou encore se révèlent
infondées dans le cas de l’article L. 3317-1, alinéa 2), de refuser de
les sanctionner en renvoyant à la commission les pièces du dossier
accompagnées de l’ordonnance par laquelle il invite celle-ci à se
conformer aux dispositions de l’article 331-20.
Une analyse directe
et sans prévention de ce dispositif conduit à considérer, si l’on
excepte la question du respect de la procédure agencée aux articles R.
331-18 à R. 331-20 extérieure à la question posée, que le contrôle de
légalité du juge consiste à s’assurer que les mesures proposées entrent
bien dans les prévisions des articles L. 331-7 et L. 331-7-1 et qu’en
outre l’effacement partiel des créances, quand il a été conseillé,
constitue une mesure adéquate aux circonstances, c’est-à-dire une
mesure dont l’opportunité ne peut être récusée compte tenu de l’état
d’insolvabilité persistant du débiteur et de la nécessité d’alléger sa
situation en vue de permettre au processus d’apurement des dettes
d’être conduit à bonnes fins.
En d’autres termes, ce mécanisme ne
parait pas autoriser le juge à étendre le champ de contrôle de légalité
au-delà de l’horizon des articles susvisés fût-ce en vue d’apprécier si
les conditions légales auxquelles est subordonnée l’admission du
débiteur au bénéfice de la procédure de traitement du surendettement
sont ou non réunies.
Cette
approche restrictive résultant de l’analyse des textes en cause et du
fait que seul l’article L. 332-2 permet au juge, en cas de
contestation, de procéder à une telle vérification est confortée par
l’étude des travaux parlementaires (relatifs à l’article L. 331-7-1
dans la version de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998). Selon les avis
exprimés par le législateur à cette occasion, le rôle du juge de
l’exécution, en l’absence de contestation, se limite en effet à
entériner les mesures recommandées par la commission après en avoir
vérifié la régularité. Il ne peut s’agir ici que de la régularité des
mesures elles-mêmes et non de la légalité du régime juridique dans
lequel elles s’inscrivent non plus que de la légitimité du droit du
débiteur à revendiquer le bénéfice d’un tel régime (travaux
parlementaires, séance du 18 mai 1998, JO).
La majorité des auteurs adhèrent à ce point de vue. Si l’on met à part l’opinion, (dissidente mais prudente) de l’un
d’entre eux, selon lequel « il semble que (le juge) doive aussi
s’assurer en amont que les conditions de recevabilité de la demande
étaient bien réunies » (Gilles Paisant « La réforme de la procédure de
traitement des situations de surendettement par la loi n° 95-125 du
8 février 1995», JCP 1995, éd. G, n° 3844), la plupart défendent un
raisonnement opposé à l’occasion de divers commentaires visant soit la
loi précitée du 8 février 1995 soit celle du 29 juillet 1998 (not. Anne
Sinay-Cytermann, « La réforme du surendettement », JCP 1999, éd. G., I,
106 ; F. Ferrière et L. Chatain, Dalloz référence, n° 81.33 ; Elisabeth
Fortis, « Surendettement des particuliers », Rép. civ. Dalloz ; «
Surendettement et rétablissement personnel », éd. Législatives, n° 67).
Si,
en ce qui concerne l’effacement des dettes, le juge de l’exécution
doit, selon Guy Raymond, (« Nouvelle réforme du surendettement des
particuliers et des familles », J.-Cl. 1999, chr. n° 10 - in contrats,
concurrence, consommation) non seulement contrôler la régularité de la
mesure (par exemple y a-t-il bien insolvabilité persistante ?) mais
aussi son bien-fondé (l’effacement des dettes est-elle la solution la
mieux appropriée eu égard aux données de la cause ?) de manière plus
générale, le contrôle de l’autorité judiciaire ne porte que sur la
régularité textuelle de telle sorte que le juge de l’exécution « ne
pourrait refuser d’accorder force exécutoire aux mesures qui lui sont
déférées parce qu’il lui apparaîtrait lors de son examen que la demande
était
en réalité juridiquement irrecevable » (Danièle Khayat, « Les nouvelles
dispositions sur le surendettement des particuliers. Une réforme pour
rien ? », Gaz. Pal. 1995, p.1374).
Ainsi, tant la méthode
d’interprétation des textes en cause que la philosophie du législateur
et les réflexions de la doctrine dominante se conjuguent-elles pour
priver le juge, en dehors de toute contestation des parties, du pouvoir
de s’emparer d’office du moyen tiré de l’absence de l’une des
conditions de fond énoncées à l’article L. 330-1, alinéa premier, pour
répudier les mesures recommandées par la commission de surendettement
en refusant de leur conférer force exécutoire.
Ajoutons que l’on
voit mal comment ce magistrat pourrait, hormis certaines circonstances
particulières, être à même de disposer des éléments lui permettant de
se forger une conviction en ce domaine dès lors qu’il statue au vu des
seuls documents transmis par la commission (article R. 332-2).
D’où
l’appendice à la question principale qui nous est soumise et qui
pourrait être crûment formulée ainsi : dès lors que, contrairement à
l’article L. 332-2, l’article qui le précède ne dote pas le juge des
moyens d’investigation propres à l’éclairer sur la situation du
débiteur, ne peut-on contourner cette difficulté en l’autorisant à
parvenir au même résultat par le recours aux pouvoirs généraux que lui
reconnaît l’article 27 du nouveau code de procédure civile ?
L’intrusion
d’une telle interrogation procède d’un raisonnement aporétique dans la
mesure où il suppose une réponse positive au premier volet de la
question, réponse positive qui dépend à son tour du point de savoir si
le juge peut user des pouvoirs que lui attribue l’article 27.
Si
l’on néglige cette difficulté et que l’on aborde la question dans
l’ordre où les problèmes sont soulevés, quels arguments pourraient
militer en faveur d’une conception extensive des pouvoirs du juge ?
Il
pourrait être admis que la gravité de la mesure prise en application de
l’article L. 331-7-1, laquelle porte atteinte aux intérêts des
créanciers qui la subissent, devrait autoriser le juge à vérifier, même
en l’absence de contestation, que la situation du débiteur répond bien
aux conditions exigées par la loi.
De la sorte, tandis qu’aucune
appréciation de la bonne foi du débiteur ne peut être effectuée lorsque
sont seulement recommandées les mesures visées à l’article L. 331-7
(cf. 2e Civ., 12 octobre 2006, pourvoi n° 0504.001), cet élément
pourrait et devrait être contrôlé d’office en présence d’une mesure
recommandant l’effacement partiel des créances.
Mais c’est
introduire alors des pouvoirs d’étendues différentes selon la nature
des mesures concernées et compliquer ainsi un paysage procédural que le
législateur a voulu rendre cohérent en traçant une frontière entre le
domaine de la contestation des mesures et celui où elles doivent
seulement être revêtues de la force exécutoire.
En outre, pourquoi
investir en ce cas le juge de pouvoirs plus larges alors qu’il
appartenait au créancier victime de la mesure d’effacement de sa
créance recommandée par la commission d’élever une contestation dans le
cadre de l’article L. 332-2 ?
Par ailleurs il pourrait également
être soutenu que l’examen du bien-fondé de cette mesure particulière
implique que le juge soit à même de vérifier que le débiteur est digne
d’en bénéficier, autrement dit qu’il soit de bonne foi.
Mais
n’est-ce pas confondre alors l’utilité de la mesure, son adéquation par
rapport à l’apurement des dettes qui est recherché (on reste dans le
périmètre de la législation sur le surendettement) et le droit (situé
en amont) du débiteur à en profiter ? Autrement dit, le contrôle du
bien-fondé impliquerait, à côté du contrôle de légalité de la mesure,
expressément visé à l’article R. 332-3, la vérification de ce que
celle-ci est non seulement opportune mais possible juridiquement dès
lors que la législation sur le surendettement est bien applicable en
l’espèce (ce qui suppose un jugement sur la bonne foi).
Une
telle position a en outre l’inconvénient d’autoriser, alors qu’aucun
créancier ne s’en est avisé, le juge à soulever d’office la mauvaise
foi du débiteur, opération qui est désavouée par l’avis précité rendu
le 16 décembre 1994 par la Cour de cassation.
Enfin, si un tel
contrôle était admis, il aurait pour effet d’exclure le débiteur du
bénéfice de la loi. Mais comment ? Le juge n’a en effet d’autre
possibilité que de refuser d’accorder force exécutoire à la mesure et
doit renvoyer les pièces du dossier à la commission. Que ferait
celle-ci face à une situation dans laquelle la question de la
recevabilité aurait d’ores et déjà été réglée par elle (et non
contestée) situation dont l’ordonnance du juge viendrait établir (sans
pouvoir en tirer d’autre conséquence) qu’elle ne remplissait pas les
conditions exigées par la loi pour rendre recevable la demande du
débiteur ?
Si le juge a, dans le cadre de l’article L. 332-2, des
pouvoirs à cet égard, ils sont en cohérence avec le rôle qu’il doit
remplir puisque la contestation transporte à son niveau la totalité de
l’affaire.
En revanche, l’impossibilité pour le juge de prendre
d’autre parti que de renvoyer les pièces du dossier à la commission
dans le cadre de l’article L. 332-1 souligne l’incohérence qu’il y
aurait à lui permettre d’apprécier indirectement à travers la question
de la bonne foi la recevabilité de la demande.
En résumé, il
apparaît que les arguments en faveur d’une interprétation extensive des
pouvoirs du juge se heurtent à d’importantes difficultés.
Face à une
structure assez clairement articulée, avec les deux volets constitués
par les articles L. 332-1 et L. 332-2, il n’y a aucune raison
suffisamment convaincante d’armer le juge de pouvoirs plus étendus, en
l’absence de contestation des mesures recommandées.
Et puis, le
dispositif législatif particulier agencé en matière de surendettement
ne constitue-t-il pas un système clos dans lequel sont pris en compte
les intérêts des différentes parties, limitant d’autant les pouvoirs du
juge lorsque aussi bien celles-ci que la commission ont accepté de se
situer dans le cadre légal ?
Au total, rien ne justifie, mais au
contraire tout semble contre-indiquer, en l’état du droit positif, que
le juge de l’exécution puisse, dans le silence de la loi (et même
contrairement à ce qu’autorise l’interprétation du contenu et de la
finalité de celle-ci), se livrer, en l’absence de toute contestation, à
une appréciation de la bonne foi du débiteur, et ce, quelles que
puissent être les mesures recommandées, quand bien même cellesci
consisteraient en l’effacement partiel des créances.
Dès lors, la
question accessoire du recours éventuel aux bienfaits de l’article 27
du nouveau code de procédure civile perd la plus grande part de son
intérêt et ne peut, au regard de l’interrogation principale, qu’être
tranchée par la négative.
Dans ces conditions, je préconise qu’il soit répondu par un non catégorique aux deux questions posées.