Bulletin d’information - 1er février 2007    Avis de la Cour de cassation - Avis n° 13

Protection des consommateurs - Surendettement - Commission de surendettement - Mesures recommandées - Contestation par les parties - Défaut - Effets - Mission du juge - Contrôle des recommandations de la commission - Objet - Etendue - Détermination - Portée.

Lorsqu’il est appelé, en application de l’article L. 332-1 du code de la consommation, c’est-à-dire en dehors de toute contestation des parties, à vérifier le bien-fondé de mesures recommandées consistant en un effacement partiel de créances, le juge de l’exécution ne dispose pas du pouvoir de s’assurer que le débiteur remplit les conditions du premier alinéa de l’article L. 330-1 du même code. Le juge statue alors au seul vu des pièces transmises par la commission, conformément à l’article R. 332-2 du même code, et ne dispose pas des pouvoirs d’investigation conférés par l’article 27 du nouveau code de procédure civile.

AVIS

LA COUR DE CASSATION,

Vu les articles L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du nouveau code de procédure civile ;

Vu la demande d’avis formulée le 9 août 2006 par le juge de l’exécution de Boulogne-sur-Mer (tribunal d’instance), reçue le 11 août 2006, dans une instance opposant Mme X… à la société Crédit lyonnais et autres, et ainsi libellée :

« Lorsque les mesures recommandées par la commission de surendettement des particuliers consistent en l’effacement partiel de créances sur le fondement de l’article L. 331-7-1 du code de la consommation, le juge de l’exécution peut-il s’assurer du respect des conditions énoncées par le premier alinéa de l’article L. 330-1 du code de la consommation (caractère manifeste de l’impossibilité de faire face aux dettes et bonne foi du débiteur) et, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, le cas échéant refuser de leur conférer force exécutoire en application des articles L. 332-1 et R. 332-3 du code précité ?

Le juge de l’exécution peut-il, en l’absence de contestation de mesures recommandées consistant en l’effacement partiel de créances, faire usage des pouvoirs d’investigation prévus par l’article 27 du nouveau code de procédure civile afin de juger de leur bien-fondé et de leur légalité ? » ;

EST D’AVIS

1. Que lorsqu’il est appelé, en application de l’article L. 332-1 du code de la consommation, c’est-à-dire en dehors de toute contestation des parties, à vérifier le bien-fondé de mesures recommandées consistant en un effacement partiel de créances, le juge de l’exécution ne dispose pas du pouvoir de s’assurer que le débiteur remplit les conditions du premier alinéa de l’article L. 330-1 du même code ;

2. Que le juge ne statue conformément à l’article R. 332-2 du même code, et qu’au vu des pièces transmises par la commission,qu’il ne dispose pas des pouvoirs d’investigation conférés par l’article 27 du nouveau code de procédure civile.

DIT que le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.

M. Canivet, P. Pt. - Mme Leroy-Gissinger, Rap., assistée de Mme Grégori, greffier en chef - M. Domingo, Av. Gén.


Rapport de Mme Leroy-Gissinger Conseiller rapporteur

La Cour de cassation est saisie d’une demande d’avis comportant deux questions, formulées par le juge de l’exécution de Boulogne-sur-Mer (tribunal d’instance), dans un jugement du 9 août 2006, statuant en matière de surendettement.

Les questions portent sur la nature et les limites du pouvoir du juge de l’exécution, lorsqu’il est saisi, hors toute contestation, par une commission de surendettement, d’une demande tendant à ce qu’il confère force exécutoire à des recommandations consistant en un effacement partiel des créances.

I. - Rappel des faits et de la procédure

Il ressort du jugement saisissant la Cour de cassation, qui est le seul document relatif à la procédure en notre possession, que le 16 juin 2006, la commission de surendettement des particuliers de Boulogne-sur-Mer et Montreuil-sur-Mer a transmis au juge de l’exécution, pour qu’il leur confère force exécutoire, des mesures recommandant, notamment, l’effacement partiel des dettes de Mme X…, ces mesures n’ayant été contestées ni par cette dernière ni par ses créanciers. Nous ignorons le détail de ces mesures et n’avons aucune information sur la situation financière de la demanderesse au surendettement.

La motivation du juge nous permet d’éclairer sa demande d’avis :

« Attendu que chargée, en application des articles L. 332-1, R. 332-2 et R. 332-3 du code de la consommation, de vérifier le bien-fondé et la légalité des mesures d’effacement partiel des créances, la juridiction doute du point de savoir si elle peut refuser de donner force exécutoire à des mesures recommandées au profit de débiteurs dont la situation ne répond pas aux conditions édictées par l’article L. 330-1 du code de la consommation ;
Attendu par ailleurs que le contrôle du bien-fondé des mesures d’effacement partiel des créances ne peut pleinement s’exercer sans donner au juge la possibilité de vérifier préalablement l’existence, l’exigibilité et le montant de celles-ci ;
Attendu que les textes relatifs au traitement du surendettement ne permettent pas expressément au juge de l’exécution de procéder à la vérification des créances hors contestation ; attendu toutefois qu’aux termes de l’article 27 du nouveau code de procédure civile le juge peut procéder en matière gracieuse, même d’office, à toutes investigations utiles ;

Attendu que ces questions de droit sont nouvelles et qu’elles présentent des difficultés sérieuses se posant dans de nombreux litiges ».

La demande d’avis est formulée dans les termes suivants :

« Lorsque les mesures recommandées par la commission de surendettement des particuliers consistent en l’effacement partiel de créances sur le fondement de l’article L. 331-7-1 du code de la consommation, le juge de l’exécution peut-il s’assurer du respect des conditions énoncées par le premier alinéa de l’article L. 330-1 du code de la consommation (caractère manifeste de l’impossibilité de faire face aux dettes et bonne foi du débiteur) et, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, le cas échéant refuser de leur conférer force exécutoire en application des articles L. 332-1 et R. 332-3 du code précité ?
Le juge de l’exécution peut-il, en l’absence de contestation des mesures recommandées consistant en l’effacement partiel de créances, faire usage des pouvoirs d’investigation prévus par l’article 27 du nouveau code de procédure civile afin de juger de leur bien-fondé et de leur légalité ? »

II. - La recevabilité de la demande d’avis

A. - Recevabilité quant à la forme (articles 1031-1 et suivants du nouveau code de procédure civile)

Le jugement par lequel le juge de l’exécution a saisi la Cour de cassation de l’avis mentionne que les parties, ainsi que le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer, ont été invités à formuler leurs observations sur les questions posées mais qu’ils n’ont transmis aucune observation dans le délai imparti.

Le jugement du 9 août 2006 a été notifié aux parties le 10 août 2006 ainsi qu’au premier président de la cour d’appel de Douai, au procureur général près cette cour d’appel ainsi qu’au procureur de la République de Boulogne.
La demande d’avis paraît donc recevable en la forme.

B. - Recevabilité quant au fond (article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire)

Portant sur le surendettement, il ne fait pas de doute que les questions sont susceptibles de se poser, et se posent, fréquemment. Selon des données statistiques transmises au rapporteur, il y aurait eu en 2005, 33 827 saisines de juges de l’exécution tendant à voir conférer force exécutoire à des mesures recommandées, sur le fondement de l’article L. 332-1 du code de la consommation.

Les questions de droit soulevées ne concernent pas des dispositions nouvelles, puisqu’elles portent sur des articles du code de la consommation qui datent de 1998 (loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 de lutte contre les exclusions). Elles ont, certes, été modifiées en 2003 (loi n° 2003-710 du 1er août 2003 relative au rétablissement personnel), mais les questions évoquées par la demande d’avis se posaient au même titre, antérieurement au texte de 2003.
En revanche, la Cour de cassation n’a jamais statué sur aucune des deux questions dont elle est aujourd’hui saisie. En effet, elle n’a jamais eu à se prononcer sur la notion de « bien-fondé » des mesures recommandées, qui est au centre de la première question, et sur l’étendue du contrôle qu’elle implique. Elle n’a pas davantage tranché la question de la nature, contentieuse ou gracieuse, de la décision rendue par le juge dans l’hypothèse visée.
Est-ce parce que ces deux questions ne posent pas de difficulté sérieuse ? La question mérite d’être examinée.
En effet, comme il sera constaté ci-après, l’examen du droit positif semble permettre de répondre assez aisément à la première question posée. Cependant, il convient de noter que l’étendue des pouvoirs du juge de l’exécution statuant en matière de surendettement, en particulier en ce qui concerne la faculté pour ce juge de constater l’absence de bonne foi du débiteur, reste une question qui donne lieu à des interrogations (voire des réticences des juges du fond). Cette problématique se trouve, en outre, remise en lumière depuis l’entrée en vigueur de la loi sur le rétablissement personnel et par les conclusions du comité de suivi de cette loi qui a proposé que, dans le cadre d’une réforme éventuelle, il soit permis au juge d’exercer un contrôle sur cette condition de recevabilité dans des hypothèses où la jurisprudence actuelle ne le prévoit pas.
S’agissant de la seconde question, à s’en tenir à la lettre de l’article R. 332-2 du code de la consommation, le juge devrait statuer, dans l’hypothèse visée par la demande d’avis, au seul vu des pièces transmises par la commission. Cependant, la doctrine analysant généralement l’intervention du juge dans ce cadre comme une décision gracieuse, la question posée par la demande d’avis n’est pas illégitime. Par ailleurs, elle se rattache indéniablement à la première question, dans la mesure où le juge de l’exécution pourrait trouver dans la procédure gracieuse, qui accorde une grande place à l’initiative du juge, les moyens d’exercer un pouvoir de contrôle renforcé.

III. - La question et son contexte juridique

A. - L’hypothèse envisagée par la demande

Les deux questions posées par la demande d’avis nous placent dans la situation où :
- un plan amiable, recueillant l’accord du demandeur au surendettement et de tous ses créanciers, n’a pu être élaboré ;
- où le débiteur, en situation d’insolvabilité, a bénéficié d’un moratoire (suspension de l’exigibilité des créances autres qu’alimentaires pendant une durée maximale de deux ans - premier alinéa de l’article L. 331-7-1 du même code) et
- où, à l’expiration de celui-ci, le débiteur demeurant insolvable, la commission propose l’effacement d’une partie de ses dettes (second alinéa de l’article L. 331-7-1).
Enfin, l’avis ne pose la question de la limite des pouvoirs du juge de l’exécution que dans l’hypothèse où la
proposition de la commission ne fait pas l’objet d’une contestation des parties.

 B. - Le contexte juridique

Depuis la loi du 1er août 2003, qui a instauré le rétablissement personnel, trois « régimes » de surendettement ont pu être identifiés (cf. avis du 10 janvier 2005 et avis du 24 juin 2005) :
- les mesures de l’article L. 331-7 du code de la consommation, couramment appelées mesures ordinaires de désendettement, qui sont applicables si elles permettent d’apurer la situation du débiteur dans le délai total de dix années (situation de surendettement remédiable) ;
- les mesures de l’article L. 331-7-1 du même code, qui permettent, lorsque le débiteur est insolvable au sens de cet article, de suspendre l’exigibilité du passif pendant une durée maximale de deux années et, passé ce délai, de réexaminer la situation du débiteur et de proposer un effacement partiel des créances, éventuellement combiné avec un plan comportant les mesures de l’article L. 331-7 afin d’apurer sa dette (situation d’insolvabilité) ;

- le rétablissement personnel, qui s’applique aux cas dans lesquels le débiteur se trouve dans l’impossibilité d’apurer sa situation par la mise en œuvre des mesures ci-dessus décrites (situation irrémédiablement compromise).

- La proposition de la commission :

Le deuxième régime ci-dessus décrit, qui est celui qui nous intéresse, est en deux étapes : la commission propose d’abord un moratoire (premier alinéa de l’article L. 331-7-1), puis, à l’expiration de celui-ci, des mesures pouvant consister en un effacement partiel des dettes (second alinéa), éventuellement combiné avec des mesures ordinaires de redressement, selon notre avis du 10 janvier 2005. Antérieurement à la loi du 1er août 2003, cet effacement pouvait être total, mais, afin de ne pas laisser coexister deux régimes d’effacement des dettes, celui-ci et le rétablissement personnel, il a été décidé, au cours de la discussion parlementaire, de limiter l’article L. 331-7-1 à un effacement partiel1.
L’effacement est soumis à des conditions tenant à la personne du débiteur, qui doit être encore en situation d’insolvabilité à l’issue du moratoire. Cette situation se caractérise par l’absence de ressources ou de biens saisissables de nature à permettre d’apurer tout ou partie des dettes et rendant inapplicables les mesures ordinaires de désendettement.

Cet effacement doit faire l’objet d’une proposition spéciale et motivée de la commission.

 - Le contrôle du juge de l’exécution :

La proposition d’effacement est soumise, au même titre que les autres mesures recommandées par la commission, au contrôle du juge de l’exécution, soit dans le cadre d’une contestation soulevée par l’une des parties soit, hors toute contestation, par une demande de la commission tendant à ce qu’il soit conféré force exécutoire aux mesures.

1. En l’absence de contestation, l’article L. 332-1 du code de la consommation dispose que le juge de l’exécution confère force exécutoire aux mesures, après avoir procédé à un contrôle de celles-ci.

- pour toutes les mesures recommandées, le contrôle du juge se limite à une vérification de leur « régularité » ;

- pour les mesures d’effacement partiel des créances, le texte prévoit que le juge vérifie « leur régularité et leur bien-fondé ».

2. En cas de contestation, le juge doit vérifier, même d’office, la validité des titres de créance et s’assurer que le débiteur se trouve bien dans la situation définie à l’article L. 331-2 c’est-à-dire, par renvoi de texte, si la personne est de bonne foi et se trouve dans une situation de surendettement (article L. 330-1)3.
Ces articles comportent donc une gradation dans le contrôle effectué par le juge de l’exécution.

On notera que le code prévoit expressément la possibilité pour le juge de faire porter son contrôle sur la bonne foi du débiteur et la situation de surendettement, lorsqu’il est saisi d’une contestation des mesures et reste muet sur ce point, s’agissant des cas où les parties ne les ont pas contestées.

Une lecture a contrario permettrait donc de considérer que le juge n’a pas ce pouvoir dans l’hypothèse qui nous concerne.

Si la partie réglementaire du code de la consommation permet de mieux cerner l’étendue du contrôle opéré par le juge de l’exécution lorsqu’il porte sur des mesures ordinaires de désendettement, ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’effacement partiel des créances.

Pour les premières, l’article R. 332-2 prévoit que le juge vérifie « que les recommandations sont conformes aux dispositions des articles L. 331-7 et L. 331-7-1 et qu’elles ont été formulées dans le respect de la procédure prévue aux articles R. 331-18 à R. 331-20 ». Il s’assure donc que les mesures sont bien celles légalement prévues et que la commission a respecté la procédure instituée par les textes. Il s’agit donc d’un contrôle de légalité portant sur le fond et sur la procédure.

S’agissant de la mesure d’effacement partiel, le même texte précise qu’à ce contrôle s’ajoute celui du bien ­fondé des mesures, ce qui ne fait que reprendre le terme utilisé par l’article L. 332-1.

Dans tous les cas, l’article R. 332-2 dispose que le juge ne peut ni compléter les mesures ni les modifier.

Le quatrième alinéa de l’article R. 332-3 dispose : « En cas d’illégalité ou d’irrégularité de la procédure ou lorsque les mesures d’effacement partiel sont infondées, le juge adresse copie de son ordonnance à la commission et lui renvoie les pièces en l’invitant à se conformer aux dispositions de l’article R. 331-20 » (élaboration de nouvelles propositions).

Le juge confère force exécutoire aux mesures non contestées par une ordonnance à laquelle elles sont annexées (article R. 332-3). Cette ordonnance est susceptible de rétractation, à la demande de toute partie qui n’a pas été en mesure de s’opposer à l’objet de la demande (art. R. 332-1-2-III du code de la consommation).

Quant aux pouvoirs d’investigation du juge, selon les termes de l’article R. 332-1, le juge statue, en l’absence de contestation « au vu des pièces transmises par la commission ». Le code ne prévoit d’ailleurs pas de convocation des parties à une audience.

Ces dispositions s’opposent à celles prévues en cas de contestation, qui confèrent au juge de l’exécution de larges pouvoirs d’investigation4 et prévoient la convocation des parties à une audience.

1 Nathalie Cöte, JCP 2003, doctrine 175, p. 1973
2 Article L. 332-1 : S’il n’a pas été saisi de la contestation prévue à l’article L. 332-2, le juge de l’exécution confère force exécutoire aux mesures recommandées par la commission en application de l’article L. 331-7 et au premier alinéa de l’article L. 331-7-1 après en avoir vérifié la régularité, et aux mesures recommandées par la commission en application du troisième alinéa de l’article L. 331­7-1, après en avoir vérifié la régularité et le bien-fondé.
3 2e Civ., 13 février 2003, Bull. 2003, II, n° 41, p. 36.
4 En cas de contestation, le juge peut faire publier un appel aux créanciers et prescrire toute mesure d’instruction qu’il estime utile. Il peut également obtenir communication de tout renseignement lui permettant d’apprécier la situation du débiteur et l’évolution possible de celle-ci (article L. 332-2).

IV. - Eléments de réponse

La première question posée par la demande d’avis nous invite à analyser la notion de bien-fondé des mesures et à déterminer si le contrôle du bien-fondé de la mesure s’étend à la vérification de la recevabilité de la demande de traitement de surendettement.
La seconde question nous demande si, pour apprécier la régularité et le bien-fondé des mesures, le juge de l’exécution peut faire usage des pouvoirs d’investigation de l’article 27 du nouveau code de procédure civile relatif à la procédure gracieuse, ce qui invite à s’interroger sur la nature de l’intervention du juge5.

A. - Le droit positif

Les textes

La stricte lecture des textes applicables, ci-dessus rappelés, nous conduit, me semble-t-il, à conclure que, dans la situation visée par la demande d’avis, le juge vérifie, au vu des seuls documents transmis par la commission :

- que les mesures proposées sont bien de celles que le juge peut prononcer ;
- que la commission a bien respecté la procédure instituée par le code de la consommation ; - que la personne se trouve bien en situation d’insolvabilité et
- que la mesure d’effacement apparaît justifiée.
Les textes ne prévoient donc pas, contrairement au cas où les parties contestent les mesures, que le juge procède à un examen des conditions de recevabilité de la demande. Cependant, analysant si la personne se trouve bien en état d’insolvabilité, le juge sera, de fait, amené à examiner si elle est dans l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir (la notion de situation de surendettement inclut, me semble-t-il, celle d’insolvabilité). Il procédera donc à l’examen de ce critère de recevabilité de la demande. Si tel est le cas, le cœur de la question résiderait dans la faculté donnée ou refusée au juge d’examiner la bonne foi du débiteur.

La jurisprudence

A ma connaissance, notre Cour n’a jamais eu à se prononcer sur la limite des pouvoirs du juge de l’exécution lorsqu’il lui est demandé, hors toute contestation, de conférer force exécutoire à un plan comportant un effacement total (en l’état du droit antérieur à la loi du 1er août 2003) ou un effacement partiel des créances.

- Les seules décisions rendues sur les pouvoirs du juge de l’exécution en application de l’article L. 332-1 du code de la consommation concernent les cas où il est saisi de mesures ordinaires de désendettement. Dans ce cadre, il a été jugé que le juge ne peut procéder à la vérification des créances (1re Civ., 4 mai 1999, Bull. 1999, I, n° 149)6 et qu’il ne peut refuser de conférer force exécutoire aux mesures qui lui sont soumises, au motif que les créanciers n’auraient pas produit les éléments suffisants pour prouver leurs droits (1re Civ., 13 octobre 1999, pourvoi n° 98-04.027).

Enfin, dans un arrêt du 12 octobre 2006, à paraître au Bulletin (2e Civ., 12 octobre 2006, pourvoi n° 05­04.001), la deuxième chambre a jugé qu’en l’absence de contestation, le juge de l’exécution n’a pas le pouvoir de s’assurer que le débiteur se trouve bien dans la situation définie à l’article L. 331-2 (qui
renvoie à l’article L. 330-1, situation de surendettement et bonne foi).

Notre Cour a donc fait une lecture stricte des pouvoirs conférés au juge de l’exécution dans cette hypothèse. Cette lecture pourrait-elle être différente lorsque le juge est saisi d’une mesure d’effacement partiel des créances, au motif qu’il dispose alors d’un pouvoir d’appréciation du bien-fondé de la mesure ?
- A ma connaissance, la Cour de cassation ne s’est jamais prononcée, non plus, sur la question de savoir si, en cas de contestation ne portant pas sur la question de la bonne foi, le juge pouvait soulever d’office la mauvaise foi du débiteur7. En revanche, et cela résulte clairement des textes, s’il est saisi d’une contestation de la bonne foi de celui-ci, il est tenu de se prononcer, sans pouvoir considérer qu’en l’absence de contestation préalable de la recevabilité, cette question ne peut plus lui être soumise (2e Civ., 13 février 2003, Bull. 2003, II, n° 41 ; 2e Civ., 7 juin 2006, pourvoi n° 05-04.027).

La deuxième chambre civile est actuellement saisie d’un pourvoi portant sur la question de savoir si, dans le cadre d’une demande d’ouverture d’une procédure de rétablissement personnel et alors que la recevabilité de la demande de traitement de la situation de surendettement n’avait pas été contestée, le juge peut soulever d’office la mauvaise foi du débiteur.

Article 27 du NCPC : Le juge procède, même d’office, à toutes investigations utiles. Il a la faculté d’entendre sans formalités les personnes qui peuvent l’éclairer ainsi que celles dont les intérêts risquent d’être affectés par sa décision.
Le visa de cet arrêt de cassation, rendu en application de la loi de 1995, est le suivant :
« Vu les articles L. 332-1 et R. 332-2 du code de la consommation ;
Attendu qu’il résulte de ces textes que le juge de l’exécution chargé de conférer force exécutoire aux mesures recommandées peut seulement en vérifier la régularité au regard des pouvoirs que la commission tient de l’article L. 331-7 du code de la consommation et des règles procédurales prévues aux articles R. 331-18 à R. 331-20 ».
La première chambre a réaffirmé ce principe dans un arrêt du 6 juin 2000, mais encore dans un cas où le texte applicable était celui de 1995 (1re Civ., 6 juin 2000, Bull. 2000, I, n° 178).

Un arrêt non publié du 2 octobre 2002 (1re Civ., 2 octobre 2002, pourvoi n° 00-04.142) a pu faire naître une interrogation puisqu’il comporte le chapeau suivant : « Attendu qu’aux termes de ce texte [article L. 332-2 du code de la consommation], le juge du surendettement peut, lorsqu’il statue sur la contestation des mesures recommandées, s’assurer, même d’office, que le débiteur se trouve bien dans la situation définie à l’article L. 331-2 du même code ». Cependant, dans cette affaire, les créanciers avaient bien invoqué la mauvaise foi du débiteur, de sorte que le juge n’avait pas soulevé cette circonstance d’office et que l’on ne peut considérer que la Cour de cassation l’ait approuvé de l’avoir fait.
   
Dans ces deux dernières hypothèses, la question du pouvoir pour le juge de soulever d’office la question de la bonne foi du débiteur est directement posée par la rédaction même des textes applicables : l’article L. 332-2 prévoit que « le juge peut vérifier, même d’office, la validité et le montant des titres de créance et s’assurer que le débiteur se trouve bien dans la situation définie à l’article L. 331-2 » (l’expression « même d’office » ne s’applique-t-elle qu’à la vérification des titres de créances ou également aux conditions de recevabilité de la demande de surendettement, et donc à la bonne foi ?) et l’article L. 332-6 prévoit que le juge apprécie le caractère irrémédiablement compromis de la situation du débiteur « ainsi que sa bonne foi ». Ces textes comportent donc une rédaction très différente de l’article L. 332-1 du code de la consommation.

- Notre Cour n’a, à ma connaissance, jamais fait application de l’article 27 du nouveau code de procédure civile aux décisions rendues par le juge de l’exécution en matière de surendettement. En revanche, à l’occasion d’un pourvoi portant sur la nécessité pour le juge d’organiser ou non une audience pour statuer sur la recevabilité de la demande, la première chambre, par un obiter dictum, a indiqué que lorsque seul le débiteur a formé un recours contre la décision d’irrecevabilité de la demande, ce recours s’exerce en matière gracieuse8. Peut-on en déduire que, dès lors que le juge ne statue pas à la demande d’un créancier contestant une décision de la commission, la procédure relève de la matière gracieuse ?

La doctrine

Si la doctrine s’est penchée sur les limites du contrôle opéré par le juge de l’exécution lorsqu’il doit vérifier la régularité des mesures ordinaires de désendettement, aucun auteur n’a, à ma connaissance, analysé de manière approfondie le contenu et les limites du contrôle du bien-fondé des mesures. La plupart des auteurs se contentent de paraphraser le code et d’ajouter qu’il s’agit d’un contrôle de l’opportunité de la mesure d’effacement, total ou partiel, des créances9.
Dans leur ouvrage consacré au surendettement des particuliers, MM. Ferrière et Chatain10 indiquent que le contrôle du bien-fondé permet au juge de contrôler l’opportunité des mesures d’effacement des dettes. Ils ajoutent, mais sans préciser si cette mention concerne tous les types de mesures transmises au juge :
« il ne semble pas qu’à ce stade le juge puisse examiner la recevabilité du dossier, c’est-à-dire que le débiteur est bien surendetté au sens de l’article L. 331-2 du code de la consommation ». Selon ces auteurs, cette position s’appuie sur un argument de texte qui est celui mentionné précédemment, consistant en une lecture a contrario des pouvoirs conférés au juge, en cas de contestation des mesures recommandées, par l’article L. 332-2 du code.

Bilan :

Au terme de cette analyse, il semble bien que le droit positif nous conduise à donner une réponse négative aux deux questions posées : le juge de l’exécution, lorsqu’il est appelé à contrôler le bien-fondé de la mesure d’effacement partiel, doit contrôler l’opportunité de celle-ci au vu des seules pièces que lui a transmises la commission, sans pouvoir procéder à un examen des conditions de recevabilité de la demande de surendettement.

Le juge de Boulogne-sur-Mer, dans la motivation de sa décision, reconnaît d’ailleurs lui-même que les textes relatifs au surendettement ne laissent pas au juge de l’exécution, dans cette hypothèse, une grande latitude, puisqu’il indique que « les textes relatifs au traitement du surendettement ne permettent pas expressément au juge de l’exécution de procéder à la vérification des créances, hors contestation ». Sa demande nous invite donc à aller plus loin.

Le juge de l’exécution ne pourrait-il pas, dans une conception extensive de la notion de bien-fondé, considérer que :

- elle s’étend à l’examen de la recevabilité de la demande de surendettement (contrôle de l’existence d’une situation de surendettement et de la bonne foi) ;
- elle implique de reconnaître au juge la faculté de s’appuyer sur la procédure gracieuse pour mettre en œuvre des mesures d’investigation lui permettant de compléter les informations que lui transmet la commission ?

B. - Au-delà du droit positif

1. En ce qui concerne l’examen de la recevabilité de la demande

a) Les éléments en faveur d’une conception extensive des pouvoirs du juge de l’exécution

- Par sa nature mi-administrative mi-judiciaire et son caractère dérogatoire au droit commun (atteinte à la force obligatoire des contrats), la procédure de surendettement s’apparenterait à une politique publique (l’effacement des créances a d’ailleurs été inséré dans la loi de lutte contre les exclusions), auquel ne peuvent accéder que certains types « d’usagers » : les personnes de bonne foi qui se trouvent dans l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de leurs dettes non professionnelles exigibles ou à échoir… Cette conception de la procédure de surendettement pourrait conduire à considérer qu’à chaque fois que le juge
8 1re Civ., 4 avril 1991, 5e espèce, D. 1991, Jurisprudence, pages 307 et s.
9 Sébastien Neuville, « Le traitement planifié du surendettement », RTD Com 2001, p. 31.
Elisabeth Fortis, Rép. Civ. Dalloz, Surendettement des particuliers, mai 2002.
Anne Cinay-Cytermann, » La réforme du surendettement, les innovations de la loi du 29 juillet 1998 de lutte contre les exclusions »,
JCP 1999, doctrine 106.
Odile-Mathilde Boudou et Arnaud Claude, « Les pouvoirs du juge de l’exécution en cas de non-contestation des recommandations de la commission de surendettement », Gaz. Pal., 5 et 6 janvier 2001, p. 34. 10 F. Ferrière et P.L. Châtain, « Surendettement des particuliers », Dalloz Référence, 3e éd., paragraphe 81.31 et suivants.

est saisi de la procédure, et y compris en l’absence de recours contre une proposition de la commission, il lui appartiendrait de vérifier que la personne qui sollicite le bénéfice du dispositif de traitement du surendettement en remplit bien les conditions.

Dès lors, le juge devrait vérifier que le débiteur se trouve bien en situation de surendettement et est de bonne foi11.

- Même en s’éloignant de cette conception très administrative de la procédure de surendettement, qui n’est, à ma connaissance, soutenue par aucun des juristes ayant écrit sur cette question, l’atteinte portée à la force obligatoire des contrats par la mesure d’effacement des créances justifierait une brèche dans le principe de neutralité du juge, de façon à interdire qu’un débiteur qui ne remplirait pas les conditions de la loi, et en particulier celle relative à la bonne foi, ne puisse en bénéficier.

- L’appréciation du « bien-fondé » d’une mesure, qui renvoie à une analyse de son opportunité, ne pourrait cantonner le juge à un contrôle minimal : l’opportunité d’un effacement de dette ne peut être appréciée que si le juge a pu s’assurer de la bonne foi du débiteur, qui est une condition de recevabilité du traitement de la situation de surendettement. Par ailleurs, elle implique de s’être prononcé en toute connaissance de cause sur le montant exact des dettes et donc d’avoir pu procéder, le cas échéant, à une vérification des créances.

- Une doctrine minoritaire avait suggéré, dès 1995, lorsque la loi a modifié la place et le rôle du juge de l’exécution dans la procédure de surendettement, qu’il puisse, lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à conférer force exécutoire aux mesures recommandées ordinaires, procéder à la vérification de la recevabilité de la demande de surendettement elle-même12.

- Le comité de suivi de l’application des dispositions relatives au surendettement de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 a recommandé que soit conférée au juge la faculté de soulever d’office la mauvaise foi du débiteur, en raison du fait qu’étant le seul à avoir une vision globale de la situation économique du débiteur, il est le mieux à même d’apprécier sa bonne ou mauvaise foi. Cette recommandation est faite non seulement en matière de rétablissement personnel mais aussi en ce qui concerne les cas dans lesquels le juge est saisi du recours formé contre la décision de recevabilité de la demande prise par la commission et de la contestation des mesures recommandées sur le fondement de l’article L. 331-7 du code de la consommation. Cet avis ne mentionne cependant pas l’hypothèse où le juge n’est saisi d’aucune contestation. La question de l’unification des pouvoirs du juge en ce qui concerne la possibilité pour lui de soulever d’office la mauvaise foi du débiteur se pose néanmoins.

Le comité a également souhaité que le juge puisse soulever d’office la violation par le créancier des dispositions protectrices du consommateur.

Il s’est donc prononcé en faveur d’un rôle actif du juge de l’exécution en matière de surendettement.

b) Les éléments en faveur d’une limitation des pouvoirs du juge de l’exécution
- les textes et l’intention du législateur : lorsqu’il a décidé de conférer à la commission le pouvoir de proposer un effacement, qui était alors total, des créances (loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions), le législateur n’a pas consacré un article séparé aux pouvoirs de contrôle du juge de l’exécution dans cette hypothèse nouvelle et la structure du code de la consommation n’a pas été modifiée : la grande distinction reste celle opérée entre les cas où il y a contestation des mesures et ceux où il n’y en a pas, et c’est cette distinction qui fonde la différence des pouvoirs conférés au juge de l’exécution13.

Permettre au juge de l’exécution de procéder à un examen de la recevabilité de la demande de surendettement à cette occasion reviendrait à lui conférer les pouvoirs qui sont les siens lorsqu’il est saisi d’une contestation des mesures, ce que n’a apparemment pas souhaité le législateur.

- La nature de l’intervention du juge de l’exécution : lorsqu’il est saisi hors toute contestation, la nature de son intervention a été très discutée en doctrine.

Généralement qualifiée d’homologation14, certains y ont vu un contrôle de légalité et de l’excès de pouvoir « comparable à celui du juge administratif »15, en ce qui concerne les mesures de redressement ordinaires. Lorsqu’il est saisi, hors contestation, de mesures d’effacement des créances, le juge ne statuerait pas « en plein contentieux » dès lors qu’il n’a pas le pouvoir de modifier les mesures proposées16.

Considérant que le juge, dans cette hypothèse, n’est pas appelé à trancher un litige mais seulement à conférer au travail de la commission la reconnaissance de la loi, certains ont dressé un parallèle avec l’exequatur des

11 Cette conception se heurte cependant à la doctrine de la Cour de cassation qui analyse clairement les conditions de recevabilité de l’article L. 330-1 du code de la consommation en des fins de non-recevoir (1re Civ., 31 mars 1992, Bull. 1992, I, n° 104 et 2e Civ., 7 juin 2006, pourvoi n° 05-04.027).
12 G. Paisant, JCP 1995, Doctrine p. 3844 et D. Khayat, Gaz. Pal. 1995, Doctrine, p. 1374.

13 Les débats parlementaires et les rapports des diverses commissions saisies à l’occasion de l’examen de la loi de 1998 montrent que les discussions n’ont pas porté sur l’étendue des pouvoirs du juge de l’exécution lorsqu’il lui est demandé de conférer force exécutoire à une mesure d’effacement même total des créances mais plutôt sur l’étendue de ses pouvoirs vis-à-vis des dettes fiscales et en cas de contestation des mesures recommandées. Selon Mme Neiertz, le rôle du juge de l’exécution lorsqu’il n’est pas saisi d’une contestation, « se limite à entériner les mesures recommandées par la commission ». Un amendement avait même proposé qu’en l’absence de contestation, le plan acquerrait force exécutoire après un délai d’un mois si le juge de l’exécution n’avait pas statué dans ce délai. L’amendement a finalement été retiré dès le stade de l’examen du texte par la commission spéciale de l’assemblée nationale chargée d’examiner ce volet du texte, en raison de sa possible inconstitutionnalité (application aux décisions judiciaires de la règle administrative des décisions implicites) et du fait qu’il aurait pour conséquence de supprimer tout contrôle judiciaire. Lors des débats devant la commission des lois du Sénat, il a été indiqué que le contrôle du bien-fondé des mesures consistait en la vérification de l’existence d’une situation d’insolvabilité caractérisée (première lecture, rap. 473).

14 C’est le terme utilisé par la circulaire d’application de la loi du 27 juillet 1998, en date du 24 mars 1999, paragraphe 3.5.
15 W. H. Croze, « Cinq questions à propos du décret n° 95-660 du 9 mai 1995 relatif à la procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers », Procédures, juin 1995, Chronique, 2.
16 H. Croze, « Le traitement du surendettement, aspects procéduraux de la réforme », Petites affiches, 21 mai 1999, n° 101.
     
sentences arbitrales, assimilant le rôle conciliateur de la commission aux fonctions d’un arbitre17. D’autres, s’attachant davantage à l’existence d’un accord au moins implicite des parties, qui ont décidé de s’abstenir de tout recours contre les propositions de la commission, ont estimé que « la recommandation devient alors un véritable contrat judiciaire imposé aux parties par la décision du juge »18. Cependant, cette analyse a été critiquée par certains, en particulier en raison du fait qu’en cas de proposition d’effacement partiel, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation du bien-fondé de celle-ci19.

Le rattachement usuel à la notion d’homologation n’est pas d’un grand secours puisqu’à l’homologation n’est pas attaché un régime unique et homogène de contrôle juridictionnel : il peut comporter un simple contrôle de légalité ou un contrôle d’opportunité (homologation de la convention définitive de divorce par consentement mutuel). Selon un auteur20, le contrôle du juge serait plus ou moins important selon que l’acte soumis à l’homologation a été élaboré, ou non, en présence du juge ou de son délégué (conciliateur par exemple). Si tel est le cas, il y aurait une présomption forte que les parties se seraient mises d’accord sur une solution présentant des garanties pour elles, de sorte que le juge pourrait ne procéder qu’à des vérifications minimales.

Cette analyse pourrait conduire à limiter le contrôle du juge dans notre hypothèse, dès lors qu’il lui est demandé d’homologuer un plan qui est le fruit d’un travail auquel toutes les parties intéressées ont été appelées à participer, sous la responsabilité d’un organe indépendant des parties (parallèle avec le rôle du conciliateur)21.

- La cohérence du droit du surendettement : La procédure de surendettement reste une procédure déclarative et d’essence consensuelle. La commission n’est pas tenue de se faire remettre les titres fondant les créances et n’est pas juge de la régularité des contrats et de leur validité. Ce n’est que si elle se trouve empêchée de faire des propositions de traitement de la situation qu’elle se fera remettre les titres et qu’elle saisira, le cas échéant, le juge d’une demande de vérification des créances. Lorsque ni la commission ni le débiteur ne saisissent le juge d’une contestation du montant d’une créance au moment de l’établissement de l’état d’endettement, le juge doit travailler sur la base des montants déclarés22. Ce n’est qu’en cas d’opposition déclarée du débiteur ou des créanciers que la procédure perd son caractère consensuel et que le juge retrouve un véritable pouvoir juridictionnel.

Un rôle restreint du juge dans notre hypothèse serait ainsi en harmonie avec ce caractère consensualiste de la procédure de surendettement.

Par ailleurs, si le juge était amené à examiner, à ce stade, la recevabilité du dossier et la bonne foi du débiteur, cela l’amènerait à faire des recherches et des vérifications auxquelles procède, au premier chef, la commission depuis la réforme de 1995. Ne reviendrait-on pas sur la déjudiciarisation de la procédure qui avait été souhaitée en 1995 et sur laquelle il n’est pas question de revenir ?
Enfin, autoriser le juge à s’assurer de la bonne foi du débiteur à cette occasion, même au seul vu des documents transmis par la commission, reviendrait à lui permettre de relever d’office, le cas échéant, sa mauvaise foi. Or, ceci constituerait une dérogation à la règle jurisprudentielle bien établie, selon laquelle la bonne foi est présumée (1re Civ., 4 avril 1991, Bull. 1991, I, no 123, 124 et 126). Ce principe a conduit la Cour de cassation à juger qu’au stade de l’examen de la recevabilité, le juge ne peut soulever d’office la mauvaise foi23. Elle a, par ailleurs, jugé le 12 octobre dernier (arrêt précité) qu’en l’absence contestation des mesures recommandées consistant en des mesure ordinaires de surendettement, le juge ne pouvait vérifier l’existence de la bonne foi du débiteur.

- Les principes généraux de la procédure civile : quel serait le fondement de la faculté accordée au juge, sans texte, de soulever des éléments de fait (la bonne ou mauvaise foi, analyse des titres de créance par exemple) qu’aucune des parties n’aurait invoqués ? Selon la doctrine de la Cour de cassation, en l’absence de contestation du consommateur, il n’appartient pas au juge de soulever d’office la méconnaissance des règles d’ordre public de protection régissant le droit de la consommation (1re Civ.,15 février 2000, Bull. 2000, I, n° 49), ce n’est qu’en présence d’une contestation que le juge retrouve la possibilité de sanctionner d’autres méconnaissances des règles d’ordre public en la matière (1re Civ., 18 décembre 2002, Bull. 2002, I, n° 315). En soulevant d’office la mauvaise foi du débiteur, le juge ne sortirait-il pas de son obligation de neutralité ?
Cependant, en premier lieu, il pourrait être répliqué que les règles gouvernant l’office du juge ne peuvent valoir, dès lors qu’il est demandé au juge de donner force exécutoire à un accord consacrant une atteinte grave au principe de la force obligatoire des conventions. En quelque sorte, l’ordre public de protection se trouverait inversé et ce serait les intérêts des créanciers qu’il s’agirait ici de protéger.

17 D. Khayat, « Nouvelles dispositions sur le surendettement des particuliers, une réforme pour rien ? » Gaz. Pal., 17/19 décembre 1995, p. 2.
Boudou et Claude, « Les pouvoirs du juge de l’exécution en cas de non-contestation des recommandations de la commission de surendettement », Gaz. Pal., 5-6 janvier 2001, doctrine p. 34.
18 G. Raymond, « Le surendettement des particuliers et des familles après la réforme du 8 février 1995», JCP N 1995, Prat. 3401. 19 S. Neuville, « Le traitement planifié du surendettement », RTD Com 2001, p. 43. 20 C. Hugon, « Existe-t-il un droit commun de l’homologation judiciaire ? » Petites affiches, 11 décembre 2003, n° 247, p. 4.
21 Cf. également l’analyse de X. Lagarde, estimant que lorsque le juge est saisi en raison de son imperium à des fins d’exécution, son
rôle se limite à un contrôle minimum. Il fait une analyse sous cet angle des dispositions relatives à l’injonction de payer. X. Lagarde,
« Office du juge et ordre public de protection », JCP 2001, Doctrine, 312.
22 Le juge saisi d’une demande de vérification des créances ne peut écarter certaines d’entre elles de la procédure en raison de ce
que les créanciers n’avaient pas produit les justificatifs réclamés par la commission sans constater en quoi les créances en cause
n’étaient pas valides. L’absence de production de justificatifs n’est donc pas suffisante pour écarter une créance : 1re Civ., 14 mars
2000, pourvoi n° 98-04.014.
23 Avis n° 940020 du 16 décembre 1994 et la jurisprudence subséquente. Le rapporteur de cet avis soulignait le paradoxe qu’il y aurait, pour l’application d’une loi d’ordre public de protection sociale, à permettre au juge de soulever d’office la mauvaise foi du débiteur alors que les propres créanciers de celui-ci n’avaient pas estimé devoir l’invoquer.

En second lieu, il pourrait être tiré argument de la nature gracieuse de l’intervention du juge de l’exécution, qui tiendrait alors de l’article 26 du nouveau code de procédure civile la possibilité de fonder sa décision sur tous les faits relatifs au cas qui lui est soumis, y compris ceux qui n’auraient pas été allégués (ceci nous renvoie d’une certaine façon à la deuxième question de la demande d’avis).

2. En ce qui concerne les pouvoirs d’investigation du juge

Comme indiqué précédemment, l’article R. 332-2 du code de la consommation dispose que le juge de l’exécution, en l’absence de contestation des mesures recommandées, procède aux vérifications qu’il doit opérer au vu des pièces transmises par la commission, même en cas de recommandation d’effacement partiel des créances.

Le juge pourrait-il s’appuyer sur les dispositions relatives à la procédure gracieuse, et en particulier sur l’article 27 du nouveau code de procédure civile, pour procéder à toutes investigations qu’il estimerait nécessaires pour apprécier le bien-fondé des mesures qui lui sont soumises ?

Si la Cour de cassation n’a jamais statué sur le rattachement de la procédure « d’homologation des mesures recommandées » à la procédure gracieuse24, la doctrine se prononce généralement en ce sens25. L’intervention du juge de l’exécution présente, en effet, les critères de l’article 25 du nouveau code de procédure civile : absence de litige, contrôle du juge imposé par la loi.

Cependant, à ma connaissance, la doctrine ne s’est jamais penchée sur l’ensemble des conséquences à tirer du rattachement de l’intervention du juge de l’exécution à la procédure gracieuse, en particulier en ce qui concerne ses pouvoirs d’investigation.

La réponse à la question, au moins en opportunité et pour partie, paraît liée à celle qui sera apportée à la première question de la demande d’avis. Si le juge ne dispose pas du pouvoir d’examiner la recevabilité de la demande et la question de la bonne foi du débiteur, l’opportunité de lui conférer des pouvoirs d’investigation étendus apparaît moindre. Cependant, elle n’est pas nulle dans la mesure où le juge doit apprécier l’opportunité de l’effacement des créances et vérifier la situation d’insolvabilité du débiteur (vérification des créances).

Au plan théorique, il peut être rappelé, en premier lieu, que les principes généraux d’interprétation devraient conduire à faire prévaloir le texte propre au surendettement sur celui, d’ordre général, relatif à la matière gracieuse.

En second lieu, il peut être souligné que les larges pouvoirs dont dispose le juge en matière gracieuse trouvent leur justification dans l’absence d’adversaire : l’hypothèse principale de la matière gracieuse est celle de la saisine du juge par une partie (ou sur requête conjointe), sans que les autres personnes susceptibles d’être concernées par la demande présentée soient appelées. Le juge a donc pour mission de s’assurer que les intérêts de ces tiers ne seront pas lésés par la décision qu’il rendra et qu’on ne lui cache aucune information qui empêcherait une juste appréciation des intérêts en présence (protection des enfants dans les demandes de changements de régimes matrimoniaux par exemple). C’est pourquoi la loi lui permet de fonder sa décision sur tous les faits relatifs au cas qui lui est soumis et de procéder à toutes investigations utiles.

En matière de surendettement, la situation n’est pas tout à fait comparable puisque toutes les parties ont été associées au projet qui est soumis à l’approbation du juge et ont pu en discuter les termes (contestation de la recevabilité de la demande de surendettement, contestation de l’état du patrimoine dressé par la commission, contestation des mesures elles-mêmes). Par ailleurs, les mesures sur lesquelles portera la décision du juge ont été élaborées non par une partie mais par un tiers indépendant, et c’est lui qui saisit le juge, non une partie.

Sur cette question, comme sur la première posée par la demande d’avis, n’est-ce pas l’atteinte portée à la force obligatoire des conventions conclues par les parties et le souci d’éviter d’éventuels abus qui pourraient conduire à conférer au juge de l’exécution des pouvoirs plus étendus que ceux que le pouvoir réglementaire lui a expressément donnés ? Si ces pouvoirs (appréciation de la recevabilité de la demande et pouvoirs d’investigation) se rattachent incontestablement à la fonction juridictionnelle « classique », il n’est pas sûr que la faculté donnée au juge d’en faire application, dans l’hypothèse visée par la demande d’avis, ne viendrait pas rompre une certaine cohérence du droit du surendettement.
24 La décision précitée du 4 avril 1991 (1re Civ., 4 avril 1991, espèce n° 5, D. 1991, Jurisprudence, 307) portait sur les conséquences à tirer de ce rattachement en ce qui concerne l’obligation ou non d’organiser une audience lorsque le juge statue sur la recevabilité de la demande. Commentaire critique de R. Perrot (RTD Civ. 1991, oct-déc) qui fait observer combien « les analyses de droit privé s’adaptent mal à des situations bâtardes où un juge de l’ordre judiciaire intervient comme organe de recours contre les décisions d’une commission à vocation administrative dont la nature est mal définie ».
25 Boudou et Claude, « Les pouvoirs du juge de l’exécution en cas de non-contestation des recommandations de la commission de surendettement », Gaz. Pal. 5-6 janvier 2001, doctrine p. 34.
S. Neuville « Le traitement planifié du surendettement », RTD Com 2001, p. 43.
   
Observations de M. Domingo
Avocat général

Notre Cour est saisie d’une demande d’avis émanant du juge de l’exécution du tribunal d’instance de Boulogne-sur-Mer ainsi formulée :

« Lorsque les mesures recommandées par la commission de surendettement des particuliers consistent en l’effacement partiel de créances sur le fondement de l’article L. 331-7-1 du code de la consommation, le juge de l’exécution peut-il s’assurer du respect des conditions énoncées par le premier alinéa de l’article L. 330-1 du code de la consommation (caractère manifeste de l’impossibilité de faire face aux dettes et bonne foi du débiteur) et, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, le cas échéant refuser de leur conférer force exécutoire en application des articles L. 332-1 et R. 332-3 du code précité ?
Le juge de l’exécution peut-il, en l’absence de contestation de mesures recommandées consistant en l’effacement partiel de créances, faire usage des pouvoirs d’investigation prévus par l’article 27 du nouveau code de procédure civile afin de juger de leur bien-fondé et de leur légalité ? ».
L’examen des pièces du dossier fait ressortir que les prescriptions édictées à l’article 1031-2 du nouveau code de procédure civile ont été respectées. Les conditions de forme de la recevabilité de la demande étant réunies, qu’en est-il des conditions de fond énoncées à l’article L. 151-1 du code de l’organisation judiciaire ?
S’agissant de la fréquence élevée des litiges au sein desquels est susceptible de se poser la question de droit soulevée, qui pourrait en douter ? La catégorie des débiteurs aux abois, carencés en ressources et surdosés en emprunts n’est en effet pas près de rétrécir.
La difficulté est sérieuse car les textes dont l’application est en cause n’autorisent pas, à première analyse, une interprétation totalement univoque permettant de déterminer les pouvoirs exacts du juge de l’exécution dans le domaine concerné.
Reste la question de la nouveauté du problème juridique posé.
L’étude des décisions prononcées par la Cour de cassation en matière de surendettement des particuliers ne révèle pas l’existence de situations identiques à celle qui est décrite dans la présente demande.
Il en va de même des avis, assez abondants, rendus antérieurement, en application des articles L. 151-1 du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du nouveau code de procédure civile.
Tout au plus convient-il de contempler avec un certain intérêt l’avis n° 0940020 du 16 décembre 1994 (Bull. 1994, Avis, n° 25, p.19) affirmant que le juge ne peut relever d’office la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur dès lors que les dispositions légales relatives au règlement des situations de surendettement ressortissent à l’ordre public économique de protection sociale.
Une telle formulation qui, par sa généralité et son caractère catégorique, pourrait laisser à penser que la question des pouvoirs dont le juge peut faire usage en ce domaine précis a d’ores et déjà été tranchée par la négative, ne saurait cependant se couler dans la matrice de la présente demande d’avis dès lors qu’exprimée sous l’empire de la loi du 31 décembre 1989, elle ne peut répondre que très imparfaitement aux interrogations suscitées par la mise en œuvre de dispositions légales ultérieures ayant largement modifié le paysage juridique dans ce secteur du droit de la consommation.
Aussi bien, les exigences de l’article L. 151-1 du code de l’organisation judiciaire paraissant satisfaites, convient-il de passer à l’examen des données dont la synthèse permettra de formuler la réponse attendue.
Il n’est pas totalement vain de rappeler que dans le cadre des mécanismes institués par la loi depuis plus d’une quinzaine d’années pour venir en aide aux débiteurs en détresse, une commission départementale de surendettement des particuliers s’est vue confier la mission essentielle d’élaborer, avec l’accord des parties, un plan de redressement (article L. 331-6 du code de la consommation) ou, en cas d’échec de sa mission de conciliation, de recommander la mise en œuvre de certaines mesures (article L. 331-7 du code de la consommation) propres à permettre progressivement d’obtenir l’apurement du passif.
Par ailleurs, en vertu des lois n° 98-657 du 29 juillet 1998 et 2003-710 du 1er août 2003, figure désormais dans le dispositif un article L. 331-7-1 du code de la consommation permettant à la commission de surendettement, en cas d’insolvabilité non irrémédiable du débiteur, de recommander : la suspension de l’exigibilité des créances, autres qu’alimentaires, pour une durée de deux ans maximum (premier alinéa) et, dans le cas où la situation d’insolvabilité perdurerait au-delà de cette période, l’effacement partiel des créances (en vertu d’une proposition spéciale et motivée ; deuxième alinéa).
Il va de soi que lorsque la commission en est à ce stade de son action, la question de la recevabilité de la procédure engagée devant elle par le débiteur a depuis beau temps été résolue, au moins à ce niveau de compétence.
Notamment la vérification a été faite conformément à l’article L. 331-3 du code de la consommation que celui­ci se trouve bien dans la situation définie à l’article L. 331-2, lequel, remanié le 18 janvier 2005 et encore le 13 juillet 2006, renvoie à l’article L. 330-1 aux termes duquel l’état de surendettement est caractérisé par :
a) « l’impossibilité manifeste pour le débiteur » ;
 
b) à condition qu’il soit « de bonne foi », « de faire face » (notamment) « à l’ensemble de ses dettes non professionnelles ».

Les mesures recommandées par la commission - en particulier celles formulées en application de l’article L. 331-7-1 du code de la consommation - peuvent être contestées par les parties (débiteur et créanciers) devant le juge de l’exécution (article L. 332-2 du code de la consommation).

En ce cas, le magistrat compétent est investi du pouvoir de prendre lui-même tout ou partie des mesures définies à l’article L. 331-7 ou à l’article L. 331-7-1. Autrement dit, il se substitue, en ce qui concerne le choix desdites mesures, à la commission elle-même et confère à celles-ci la force exécutoire nécessaire à leur mise en œuvre (pouvoir dont la commission, apte seulement à émettre des recommandations, est évidemment dépourvue).

Pour remplir cette mission, le juge de l’exécution se voit doté de larges moyens d’investigation. Il peut ainsi prescrire toute mesure d’instruction qu’il estime utile et obtenir communication de tout renseignement lui permettant d’apprécier la situation du débiteur et l’évolution possible de celle-ci. Il lui est loisible de vérifier, même d’office, la validité et le montant des titres de créance. Surtout, il est en droit de s’assurer que le débiteur se trouve bien dans la situation définie à l’article L. 331-2.

Cette disposition fait écho à celle déjà citée figurant à l’article L. 331-3 et enjoignant à la commission de vérifier que le demandeur est effectivement de bonne foi et dans l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses dettes.

Il parait en résulter que la contestation élevée devant le juge de l’exécution confère à celui-ci le pouvoir non seulement de décider des mesures à mettre en œuvre mais aussi d’exclure de leur bénéfice le débiteur qui ne répond pas aux conditions légales d’éligibilité.

Si l’étape contentieuse a été ouverte à l’initiative d’un créancier, il parait naturel d’admettre une telle conséquence. En revanche, la loi ne distinguant pas en ce domaine, la circonstance que le juge de l’exécution saisi d’une contestation émanant du débiteur, ait aussi le pouvoir (et le devoir) de vérifier si celui-ci peut valablement invoquer le bénéfice du régime institué pour les situations de surendettement montre qu’il dispose alors d’un pouvoir d’intervention d’office (2e Civ., 13 février 2003, Bull. 2003, II, n° 41, p. 36) expressément accordé par la loi, bien que l’ensemble du dispositif légal relève de l’ordre public économique de protection (privant normalement le juge de la possibilité de relever d’office, en particulier, la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur - cf. avis précité du 16 décembre 1994).

Qu’en est-il, et nous en arrivons à la question posée, lorsqu’aucune contestation des mesures recommandées par la commission de surendettement n’a été formulée dans le délai de quinze jours imparti par la loi ? Quels sont alors les pouvoirs du juge de l’exécution ?

Aux termes de l’article L. 332-1, il se borne à conférer force exécutoire auxdites mesures.

Toutefois, il doit auparavant vérifier la régularité de celles qui ont été préconisées en application de l’article L. 331-7 et du premier alinéa de l’article L. 331-7-1 (qui concerne la suspension de l’exigibilité des créances).

Pour celles qui ont été recommandées en application du deuxième alinéa (et non du troisième comme l’exprime fautivement l’article L. 332-1) de l’article L. 331-7-1 - c’est-à-dire l’effacement partiel des créances - le contrôle du juge porte non seulement sur leur régularité mais aussi sur leur bien-fondé.

Le sens et la portée du texte légal reçoivent quelque éclairage des articles réglementaires pris pour son application.

Les articles R. 332-2 et R. 332-3 qui forment la matière d’une sous-section 1 intitulée : « Acquisition de la force exécutoire » (laquelle s’oppose à la sous-section 2 dont les articles concernent la « contestation des mesures recommandées ») précisent la mission de contrôle du juge. Celui-ci doit vérifier que les recommandations :

a) sont conformes aux dispositions des articles L. 331-7 et L. 331-7-1 ;
b) ont été formulées dans le respect de la procédure prévue aux articles R. 331-18 à R. 331-20 ; c) sont, en outre, bien fondées lorsqu’elles consistent en l’effacement partiel des créances.

Contrairement à ce qu’il advient en cas de contestation par une partie, le juge ne peut ni compléter ni modifier les mesures recommandées (article R. 332-2 in fine).

Il n’a d’autre choix que de conférer par voie d’ordonnance force exécutoire aux recommandations ou, si celles-ci paraissent entachées d’illégalité ou d’irrégularité (ou encore se révèlent infondées dans le cas de l’article L. 331­7-1, alinéa 2), de refuser de les sanctionner en renvoyant à la commission les pièces du dossier accompagnées de l’ordonnance par laquelle il invite celle-ci à se conformer aux dispositions de l’article 331-20.

Une analyse directe et sans prévention de ce dispositif conduit à considérer, si l’on excepte la question du respect de la procédure agencée aux articles R. 331-18 à R. 331-20 extérieure à la question posée, que le contrôle de légalité du juge consiste à s’assurer que les mesures proposées entrent bien dans les prévisions des articles L. 331-7 et L. 331-7-1 et qu’en outre l’effacement partiel des créances, quand il a été conseillé, constitue une mesure adéquate aux circonstances, c’est-à-dire une mesure dont l’opportunité ne peut être récusée compte tenu de l’état d’insolvabilité persistant du débiteur et de la nécessité d’alléger sa situation en vue de permettre au processus d’apurement des dettes d’être conduit à bonnes fins.

En d’autres termes, ce mécanisme ne parait pas autoriser le juge à étendre le champ de contrôle de légalité au-delà de l’horizon des articles susvisés fût-ce en vue d’apprécier si les conditions légales auxquelles est subordonnée l’admission du débiteur au bénéfice de la procédure de traitement du surendettement sont ou non réunies.

Cette approche restrictive résultant de l’analyse des textes en cause et du fait que seul l’article L. 332-2 permet au juge, en cas de contestation, de procéder à une telle vérification est confortée par l’étude des travaux parlementaires (relatifs à l’article L. 331-7-1 dans la version de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998). Selon les avis exprimés par le législateur à cette occasion, le rôle du juge de l’exécution, en l’absence de contestation, se limite en effet à entériner les mesures recommandées par la commission après en avoir vérifié la régularité. Il ne peut s’agir ici que de la régularité des mesures elles-mêmes et non de la légalité du régime juridique dans lequel elles s’inscrivent non plus que de la légitimité du droit du débiteur à revendiquer le bénéfice d’un tel régime (travaux parlementaires, séance du 18 mai 1998, JO).
La majorité des auteurs adhèrent à ce point de vue. Si l’on met à part l’opinion, (dissidente mais prudente) de l’un d’entre eux, selon lequel « il semble que (le juge) doive aussi s’assurer en amont que les conditions de recevabilité de la demande étaient bien réunies » (Gilles Paisant « La réforme de la procédure de traitement des situations de surendettement par la loi n° 95-125 du 8 février 1995», JCP 1995, éd. G, n° 3844), la plupart défendent un raisonnement opposé à l’occasion de divers commentaires visant soit la loi précitée du 8 février 1995 soit celle du 29 juillet 1998 (not. Anne Sinay-Cytermann, « La réforme du surendettement », JCP 1999, éd. G., I, 106 ; F. Ferrière et L. Chatain, Dalloz référence, n° 81.33 ; Elisabeth Fortis, « Surendettement des particuliers », Rép. civ. Dalloz ; « Surendettement et rétablissement personnel », éd. Législatives, n° 67).

Si, en ce qui concerne l’effacement des dettes, le juge de l’exécution doit, selon Guy Raymond, (« Nouvelle réforme du surendettement des particuliers et des familles », J.-Cl. 1999, chr. n° 10 - in contrats, concurrence, consommation) non seulement contrôler la régularité de la mesure (par exemple y a-t-il bien insolvabilité persistante ?) mais aussi son bien-fondé (l’effacement des dettes est-elle la solution la mieux appropriée eu égard aux données de la cause ?) de manière plus générale, le contrôle de l’autorité judiciaire ne porte que sur la régularité textuelle de telle sorte que le juge de l’exécution « ne pourrait refuser d’accorder force exécutoire aux mesures qui lui sont déférées parce qu’il lui apparaîtrait lors de son examen que la demande était en réalité juridiquement irrecevable » (Danièle Khayat, « Les nouvelles dispositions sur le surendettement des particuliers. Une réforme pour rien ? », Gaz. Pal. 1995, p.1374).

Ainsi, tant la méthode d’interprétation des textes en cause que la philosophie du législateur et les réflexions de la doctrine dominante se conjuguent-elles pour priver le juge, en dehors de toute contestation des parties, du pouvoir de s’emparer d’office du moyen tiré de l’absence de l’une des conditions de fond énoncées à l’article L. 330-1, alinéa premier, pour répudier les mesures recommandées par la commission de surendettement en refusant de leur conférer force exécutoire.

Ajoutons que l’on voit mal comment ce magistrat pourrait, hormis certaines circonstances particulières, être à même de disposer des éléments lui permettant de se forger une conviction en ce domaine dès lors qu’il statue au vu des seuls documents transmis par la commission (article R. 332-2).

D’où l’appendice à la question principale qui nous est soumise et qui pourrait être crûment formulée ainsi : dès lors que, contrairement à l’article L. 332-2, l’article qui le précède ne dote pas le juge des moyens d’investigation propres à l’éclairer sur la situation du débiteur, ne peut-on contourner cette difficulté en l’autorisant à parvenir au même résultat par le recours aux pouvoirs généraux que lui reconnaît l’article 27 du nouveau code de procédure civile ?

L’intrusion d’une telle interrogation procède d’un raisonnement aporétique dans la mesure où il suppose une réponse positive au premier volet de la question, réponse positive qui dépend à son tour du point de savoir si le juge peut user des pouvoirs que lui attribue l’article 27.

Si l’on néglige cette difficulté et que l’on aborde la question dans l’ordre où les problèmes sont soulevés, quels arguments pourraient militer en faveur d’une conception extensive des pouvoirs du juge ?

Il pourrait être admis que la gravité de la mesure prise en application de l’article L. 331-7-1, laquelle porte atteinte aux intérêts des créanciers qui la subissent, devrait autoriser le juge à vérifier, même en l’absence de contestation, que la situation du débiteur répond bien aux conditions exigées par la loi.

De la sorte, tandis qu’aucune appréciation de la bonne foi du débiteur ne peut être effectuée lorsque sont seulement recommandées les mesures visées à l’article L. 331-7 (cf. 2e Civ., 12 octobre 2006, pourvoi n° 05­04.001), cet élément pourrait et devrait être contrôlé d’office en présence d’une mesure recommandant l’effacement partiel des créances.

Mais c’est introduire alors des pouvoirs d’étendues différentes selon la nature des mesures concernées et compliquer ainsi un paysage procédural que le législateur a voulu rendre cohérent en traçant une frontière entre le domaine de la contestation des mesures et celui où elles doivent seulement être revêtues de la force exécutoire.

En outre, pourquoi investir en ce cas le juge de pouvoirs plus larges alors qu’il appartenait au créancier victime de la mesure d’effacement de sa créance recommandée par la commission d’élever une contestation dans le cadre de l’article L. 332-2 ?

Par ailleurs il pourrait également être soutenu que l’examen du bien-fondé de cette mesure particulière implique que le juge soit à même de vérifier que le débiteur est digne d’en bénéficier, autrement dit qu’il soit de bonne foi.

Mais n’est-ce pas confondre alors l’utilité de la mesure, son adéquation par rapport à l’apurement des dettes qui est recherché (on reste dans le périmètre de la législation sur le surendettement) et le droit (situé en amont) du débiteur à en profiter ? Autrement dit, le contrôle du bien-fondé impliquerait, à côté du contrôle de légalité de la mesure, expressément visé à l’article R. 332-3, la vérification de ce que celle-ci est non seulement opportune mais possible juridiquement dès lors que la législation sur le surendettement est bien applicable en l’espèce (ce qui suppose un jugement sur la bonne foi).

Une telle position a en outre l’inconvénient d’autoriser, alors qu’aucun créancier ne s’en est avisé, le juge à soulever d’office la mauvaise foi du débiteur, opération qui est désavouée par l’avis précité rendu le 16 décembre 1994 par la Cour de cassation.

Enfin, si un tel contrôle était admis, il aurait pour effet d’exclure le débiteur du bénéfice de la loi. Mais comment ? Le juge n’a en effet d’autre possibilité que de refuser d’accorder force exécutoire à la mesure et doit renvoyer les pièces du dossier à la commission. Que ferait celle-ci face à une situation dans laquelle la question de la recevabilité aurait d’ores et déjà été réglée par elle (et non contestée) situation dont l’ordonnance du juge viendrait établir (sans pouvoir en tirer d’autre conséquence) qu’elle ne remplissait pas les conditions exigées par la loi pour rendre recevable la demande du débiteur ?

Si le juge a, dans le cadre de l’article L. 332-2, des pouvoirs à cet égard, ils sont en cohérence avec le rôle qu’il doit remplir puisque la contestation transporte à son niveau la totalité de l’affaire.

En revanche, l’impossibilité pour le juge de prendre d’autre parti que de renvoyer les pièces du dossier à la commission dans le cadre de l’article L. 332-1 souligne l’incohérence qu’il y aurait à lui permettre d’apprécier indirectement à travers la question de la bonne foi la recevabilité de la demande.
En résumé, il apparaît que les arguments en faveur d’une interprétation extensive des pouvoirs du juge se heurtent à d’importantes difficultés.

Face à une structure assez clairement articulée, avec les deux volets constitués par les articles L. 332-1 et L. 332-2, il n’y a aucune raison suffisamment convaincante d’armer le juge de pouvoirs plus étendus, en l’absence de contestation des mesures recommandées.

Et puis, le dispositif législatif particulier agencé en matière de surendettement ne constitue-t-il pas un système clos dans lequel sont pris en compte les intérêts des différentes parties, limitant d’autant les pouvoirs du juge lorsque aussi bien celles-ci que la commission ont accepté de se situer dans le cadre légal ?

Au total, rien ne justifie, mais au contraire tout semble contre-indiquer, en l’état du droit positif, que le juge de l’exécution puisse, dans le silence de la loi (et même contrairement à ce qu’autorise l’interprétation du contenu et de la finalité de celle-ci), se livrer, en l’absence de toute contestation, à une appréciation de la bonne foi du débiteur, et ce, quelles que puissent être les mesures recommandées, quand bien même celles­ci consisteraient en l’effacement partiel des créances.

Dès lors, la question accessoire du recours éventuel aux bienfaits de l’article 27 du nouveau code de procédure civile perd la plus grande part de son intérêt et ne peut, au regard de l’interrogation principale, qu’être tranchée par la négative.
Dans ces conditions, je préconise qu’il soit répondu par un non catégorique aux deux questions posées.