OBSERVATIONS
Anne LEBORGNE
Professeur à l'Université d'Aix-Marseille III

1. A l'occasion de la réforme de la procédure de saisie immobilière, nous avions exposé les nouvelles missions de l'huissier de justice(1). Toutefois, une question n'avait pas été soulevée, qui vient d'être posée aux magistrats de la 6e Chambre civile de la Cour d'appel de Lyon. Il s'agissait de savoir si le monopole d'avocat, maintenu en matière de procédure de saisie immobilière par les auteurs de la réforme, s'impose également à l'huissier de justice lorsqu'il saisit le juge de l'exécution sur requête, à l'occasion de l'établissement du procès-verbal descriptif.

La réponse, négative, apportée par les magistrats lyonnais rassurera les agents de l'exécution.

2. On rappellera que pour procéder à la mise en vente de l'immeuble saisi dans de bonnes conditions, le créancier doit disposer d'éléments d'information précis, c'est-à-dire avoir une idée de la consistance du bien et de sa valeur. Les constatations de visu s'avèrent donc souvent très utiles pour recueillir les renseignements nécessaires à la rédaction du commandement.

C'est l'objet du procès-verbal descriptif, prévu et organisé aux articles 35 à 37 du décret du 27 juillet 2006.

L'élaboration de ce document est désormais obligatoire car l'article 44 du décret impose au créancier poursuivant de déposer au greffe du juge de l'exécution un cahier des conditions de vente, comportant l'état descriptif de l'immeuble.

Ce constat est réalisé par un huissier de justice, qui à cette fin doit pouvoir pénétrer dans les lieux.

Avant la réforme, dans le cas où le débiteur s'opposait à l'entrée de l'huissier, la question se posait, en pratique, de savoir si l'huissier de justice pouvait obtenir le concours de la force publique en vertu de la formule exécutoire portée sur le titre du saisissant ou si, rencontrant une difficulté, il devait saisir le juge des référés d'une requête en ouverture de porte.

La réponse différait selon les tribunaux même si, sur question écrite, le ministère de la Justice avait estimé que l'huissier de justice pouvait obtenir le concours de la force publique sans formalité supplémentaire(2).

Désormais, l'article 35 du décret de 2006 autorise l'huissier de justice instrumentaire à pénétrer dans les lieux désignés dans le commandement afin de dresser ce procès-verbal descriptif dans les conditions des articles 20 et 21 de la loi du 9 juillet 1991, ce qui signifie que l'agent de l'exécution doit justifier du titre exécutoire et, en cas d'absence du saisi ou de l'occupant de l'immeuble, il ne pourra pénétrer dans l'immeuble saisi qu'en présence du maire de la commune, d'un conseiller municipal ou d'un fonctionnaire municipal délégué par le maire à cette fin, d'une autorité de police ou de gendarmerie requis pour assister au déroulement des opérations, ou à défaut de deux témoins majeurs qui ne sont ni au service du créancier, ni de l'huissier de justice.

La protection organisée par la loi du 9 juillet 1991 est toutefois apparue insuffisante lorsque l'occupant du local n'est pas le débiteur saisi mais un tiers disposant d'un droit opposable au débiteur ; en pratique, un locataire mais encore un usufruitier ou tout bénéficiaire d'un contrat d'occupation.

En application de la garantie d'éviction que leur doit le propriétaire, les occupants ne doivent pas être troublés dans leur jouissance pour une cause imputable au propriétaire.

S'inspirant de la procédure de saisie-vente d'un bien mobilier détenu par un tiers, l'ordonnance du 21 avril 2006 a ajouté un alinéa à l'article 21 de la loi du 9 juillet 1991. Lorsque l'huissier de justice n'est pas porteur d'un titre à l'encontre de l'occupant, il devra, à défaut d'accord de cet occupant, solliciter une autorisation préalable du juge de l'exécution pour pénétrer dans les lieux.

3. Comment procéder pour obtenir cette autorisation ?

L'article 1er du décret du 27 juillet 2006 précise que la procédure de saisie immobilière est régie par les dispositions du présent décret et celles qui ne lui sont pas contraires du décret du 31 juillet 1992.

 Il faut donc se reporter à l'article 33 du décret de 1992 qui dispose que « dans tous les cas, où pour exécuter l'opération dont il est chargé, l'huissier de justice doit obtenir l'autorisation du juge, il est habilité à le saisir par voie de requête ».

Cependant, par ailleurs, l'article 5 du décret du 27 juillet 2006, dispose que « les parties sont, sauf disposition contraire, tenue de constituer avocat ».

Cette disposition était-elle applicable à l'huissier de justice saisissant le juge de l'exécution sur requête ?

C'est ce que le juge de l'exécution de Lyon avait pensé qui, par décision du 6 novembre 2007, avait déclaré irrecevable la requête en autorisation qui lui était présentée par l'huissier de justice chargé de réaliser le procès-verbal descriptif, considérant qu'à compter de la délivrance du commandement de payer valant saisie, l'huissier de justice mandataire du créancier poursuivant était tenu de constituer avocat.

En appel, la Cour a réformé l'ordonnance, jugeant que l'article 5 du décret du 27 juillet 2006 ne s'applique pas à l'huissier de justice qui n'est pas partie, mais organe de la procédure de saisie immobilière lorsqu'il demande à être autorisé à pénétrer dans les lieux pour dresser le procès-verbal descriptif.

4. La solution doit être approuvée. Alors que la réforme de 1991 a déjudiciarisé les voies d'exécution, la saisie immobilière est demeurée une mesure d'exécution judiciaire. A ce titre, il ne faut pas se méprendre sur le terme de « procédure », qui peut soit être utilisé comme synonyme de « mesure d'exécution », soit faire référence aux règles de pure procédure, applicables devant le juge de l'exécution.

En 1992, les règles procédurales applicables devant le juge de l'exécution, ont été regroupées au chapitre II du décret – articles 11 à 37 –, et l'article 11 précise que les parties se défendent elles mêmes.

L'article 1er du décret du 27 juillet 2006 dispose que la procédure de saisie immobilière est régie par les dispositions du présent décret et par celles qui ne lui sont pas contraires du décret du 31 juillet 1992 et neuf articles sont consacrés aux règles de pure procédure – articles 4 à 12-, dont l'article 5 du décret qui impose le ministère d'avocat aux parties.

 Pouvait-on en déduire que l'huissier de justice devait constituer avocat pour saisir le juge de l'exécution afin d'être autorisé à pénétrer chez un occupant lui refusant l'entrée ?

Ce serait alors assimiler l'huissier de justice à une partie à la mesure d'exécution.

Or, le fait que l'huissier agisse à la demande du créancier poursuivant, en qualité de mandataire de celui-ci, ne fait pas de lui une partie.

Il est vrai qu'on considère souvent que l'huissier de justice est le mandataire du créancier pour l'exécution des opérations prescrites par la loi. Comme le notent d'éminents auteurs, cette analyse n'est pas fondamentalement inexacte, mais elle peut poser des problèmes dans la mesure où, par définition, le mandataire est sous la dépendance de son mandant auquel il doit rendre compte, alors que l'huissier de justice est détenteur d'une parcelle d'autorité publique au nom de laquelle il procède à l'exécution et qu'à ce titre, il est investi de prérogatives qui lui sont propres(3). Ce n'est donc pas le créancier poursuivant, représenté par son mandataire l'huissier de justice, qui sollicite, conformément à l'article 21 de la loi de 1991, l'autorisation du juge de l'exécution de pénétrer chez l'occupant des lieux qui refuse l'entrée, mais l'agent de l'exécution qui, confronté à une difficulté, dispose d'un pouvoir propre pour la résoudre.

L'huissier de justice va donc saisir le juge de l'exécution en son nom propre(4). La demande d'autorisation s'intègre à la mission que l'huissier de justice a reçue, « comme une sorte de prolongement naturel de son mandat et des responsabilités qui sont les siennes en tant qu'officier ministériel chargé de l'exécution »(5).

Mais même dans ce contexte, ne doit-il pas, devant le tribunal de grande instance, présenter sa requête par ministère d'avocat ?

La réponse est donnée par la combinaison des articles 797 du Code de procédure civile et 19 de la loi de 1991. En matière gracieuse, devant le tribunal de grande instance, les requêtes sont formées par un avocat, ou par un officier public ou ministériel dans les cas où ce dernier y est habilité par les dispositions en vigueur(6).

Or, l'article 19 de la loi de 1991 dispose que l'huissier de justice, chargé de l'exécution, est habilité, lorsque la loi l'exige, à demander au juge ou au ministère public de donner des autorisations ou de prescrire les mesures nécessaires.

C'est donc la loi qui dispense l'huissier de justice de recourir au ministère d'avocat pour requérir une autorisation du juge de l'exécution.