Régime général du recouvrement
par Emmanuel PUTMAN
Professeur à l'Université Aix-Marseille III
I. Les étapes du recouvrement
A. Préalables au recouvrement
1. Ch. mixte, 6 juillet 2007, pourvoi n° 06-13.823
L'inexécution
du contrat étant acquise et ayant causé un préjudice au créancier, il y
a lieu de lui allouer des dommages-intérêts, malgré l'absence de mise
en demeure du débiteur.
1. La mise en demeure n'est pas un préalable indispensable au recouvrement des dommages-intérêts compensatoires.
Ce
« grand arrêt » a été amplement commenté par la doctrine(1). On se
contentera d'en évoquer brièvement l'apport civiliste, qui est bien
connu. Certains arrêts antérieurs jugeaient que les dommages-intérêts
compensatoires, en matière contractuelle, étaient dus dès lors que le
débiteur n'avait pas exécuté son obligation(2), alors que d'autres
tenaient la mise en demeure du débiteur pour nécessaire(3) conformément
à l'application littérale de l'article 1146 du Code civil(4).
L'avant-projet Catala de réforme du droit des obligations(5) suggère un
moyen terme : la mise en demeure ne serait requise, comme préalable à
une demande de dommages-intérêts compensatoires, que lorsqu'elle serait
« nécessaire pour caractériser l'inexécution ». En matière
contractuelle ce n'est pas le cas dès l'instant où l'inexécution et le
préjudice sont avérés, à moins bien sûr qu'une clause explicite rende
obligatoire la mise en demeure préalable.
Du point de vue du
droit du recouvrement, il se confirme que la mise en demeure n'est pas
une étape indispensable du recouvrement en ce qui concerne les
dommages-intérêts compensant l'inexécution du contrat. Cela ne doit
surtout pas conduire à en mésestimer l'importance s'agissant des
créances de sommes d'argent stipulées par le contrat lui-même – prix,
loyers, etc. A leur égard la mise en demeure est au moins un acte
conservatoire que la prudence impose d'accomplir(6).
Par
ailleurs, la mise en demeure est véritablement indispensable pour faire
courir les intérêts de retard des sommes restituées en vertu d'une
décision de justice.
2. Civ. 3e, 31 janvier 2007, pourvoi n° 05-17.790
La
partie qui doit restituer une somme qu'elle détenait en vertu d'une
décision de justice exécutoire n'en doit les intérêts au taux légal
qu'à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision
ouvrant droit à restitution.
2. La mise en demeure reste parfois nécessaire pour recouvrer les dommages-intérêts moratoires.
L'article
1365 de l'avant-projet Catala maintient le principe selon lequel la
réparation du préjudice résultant du retard suppose la mise en demeure
préalable du débiteur. En droit positif, à moins que la loi ne fasse
courir de plein droit les intérêts moratoires, ils « ne sont dus que du
jour de la sommation de payer, ou d'un autre acte équivalent » (7),
règle appliquée par la troisième Chambre civile aux intérêts de retard
d'une créance de restitution, résultant de la réformation en appel
d'une ordonnance de référé-provision par exemple. Dans ce cas c'est la
notification de l'arrêt d'appel, autrement dit de la décision ouvrant
droit à restitution, qui vaut mise en demeure et fait courir les
intérêts moratoires, au taux légal, sur la créance de restitution (8).
En effet, il n'y a alors pas lieu d'appliquer l'article 1153-1 alinéa 2
du Code civil, qui fait courir les intérêts à dater de la décision
d'appel elle-même lorsqu'elle alloue une indemnité ou à dater de la
décision de première instance ayant prononcé la condamnation
indemnitaire, lorsqu'elle est purement et simplement confirmée en
appel. Tout dépend de l'objet, indemnitaire ou non, de l'action en
justice.(7)(8)
B. Action en recouvrement
Civ. 1re, 20 mars 2007, pourvoi n° 06-12.074
En
prononçant une condamnation solidaire ou in solidum, le juge ne statue
pas sur l'appel en garantie exercé par l'un des débiteurs condamnés à
l'encontre d'un autre, ni ne préjuge de la manière dont la contribution
à la dette entre tous les codébiteurs condamnés devra s'effectuer.
3. Recouvrement d'une condamnation solidaire : il faut distinguer l'obligation et la contribution à la dette.
Dans
la présente affaire(9) une cour d'appel avait refusé de rétracter sa
décision condamnant in solidum un vendeur et un fabricant de véhicules
pour garantie des vices cachés d'un tracteur, alors que le vendeur
reprochait à la cour d'avoir omis de statuer sur son recours en
garantie contre le fabricant. Les juges du fond estimaient que leur
décision impliquait l'exclusion de ce recours en garantie et ne
comportait donc pas d'omission de statuer. Cela leur vaut une cassation
inéluctable puisque l'action en recouvrement intentée par l'acheteur du
tracteur ne concernait que l'obligation à la dette, en vertu de
laquelle le vendeur et le fabricant étaient tenus ensemble, envers lui,
de réparer les conséquences du vice caché. Le recours du vendeur contre
le fabricant dans la même instance ne regardait pas leur créancier
commun, mais la répartition entre eux de la charge définitive des
sommes qu'ils seraient condamnés à lui verser. Le jugement sur la
demande principale formée par l'acheteur ne préjugeait donc pas du sort
de l'appel en garantie du fabricant par le vendeur. On sait en effet
que l'article 1213 du Code civil, selon lequel « l'obligation
contractée solidairement envers le créancier se divise de plein droit
entre les débiteurs, qui n'en sont tenus entre eux que chacun pour sa
part et portion », est supplétif pour le juge. Celui-ci peut fixer la
contribution à la dette de façon inégalitaire, selon la responsabilité
plus ou moins grande de chaque coauteur d'un même dommage par
exemple(10). Il est donc obligé de statuer sur la contribution à la
dette puisqu'elle n'est pas automatique(11). Même réunies dans une
instance unique, l'action tendant au recouvrement de l'obligation à la
dette et celle visant à réaliser la contribution à la dette sont des
demandes entre parties différentes sur des objets différents, sur
lesquelles le jugement doit statuer par des chefs distincts du
dispositif.
C. Réalisation du recouvrement
Civ. 2e, 22 février 2007, pourvoi n° 06-14.737
L'allocation
d'une provision par le juge des référés, sur le fondement de l'article
809 alinéa 2 du Code de procédure civile, implique que le créancier
puisse la percevoir.
4. Provision sans récipiendaire ne vaut.
Encourt
la cassation, la cour, statuant sur appel d'une ordonnance de référé,
qui accueille la demande de provision formée contre un emprunteur par
la veuve et légataire particulière du prêteur, tout en décidant la
consignation des sommes, au motif que le paiement ne peut être fait à
la veuve, tant qu'elle n'a pas obtenu la délivrance du legs(12). Parce
que l'ordonnance de référé est de plein droit exécutoire par provision,
l'octroi de la provision en référé est une satisfaction pratiquement
très proche du paiement lui-même. Il est donc logique de la réserver au
créancier effectivement en mesure de recevoir le paiement. La deuxième
Chambre civile ne se contente pas de l'article 521 du Code de procédure
civile qui exclut expressément la consignation lorsque l'exécution
provisoire concerne une provision, sans doute parce qu'elle tient à
rattacher la solution à la théorie générale du paiement : l'inaptitude
de l'accipiens à recevoir les sommes fait obstacle au recouvrement.
II. Les obstacles au recouvrement
A. Obstacles substantiels
1. CA Paris, 20 décembre 2007, 6e ch. B, Sathiou c./ Aftam
La
suspension du paiement des loyers peut être autorisée lorsque le
logement ne correspond pas aux critères d'un logement décent au sens de
l'article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.
5. Le locataire a-t-il le droit subjectif de ne pas payer le loyer ?
Traditionnellement,
c'est sur le fondement de l'exception d'inexécution que le refus du
locataire de payer le loyer est admis lorsque le bailleur manque à son
obligation essentielle de délivrance(13). Mais, en évoquant
l'obligation de délivrer au locataire un logement décent(14), la
jurisprudence laisse deviner la tentation de fonder le non-règlement
des loyers, non plus sur le manquement du bailleur à l'article 1719 du
Code civil, mais sur le droit du locataire à un logement décent,
mentionné par plusieurs textes outre celui visé dans le présent
arrêt(15), en particulier l'article 1 de la loi n° 90-449 du 31 mai
1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement et l'article 1 de la
loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 relative au droit au logement
opposable(16). Les circonstances de l'espèce étant ce qu'elles sont –
logement « sale, envahi de cafards et autres insectes, dégradé et
malodorant » –, on comprend que la Cour de Paris cède à cette
tentation, mais cela revient à laisser entendre que le débiteur du
loyer aurait parfois, sous l'égide du droit au logement, un véritable
droit subjectif à ne pas payer sa dette. La solution concrète n'est pas
nouvelle(17). La motivation, quant à elle, est dans l'air du temps(18).
2. Civ. 3e, 19 décembre 2007, pourvoi n° 06-21.012
Les
copropriétaires, tenus de participer aux charges de copropriété en
application des dispositions d'ordre public de la loi du 10 juillet
1965, ne peuvent refuser de payer ces charges en opposant l'inexécution
de travaux décidés par l'assemblée générale.
6. Le copropriétaire a le devoir impératif de payer les charges.
En
fait de charges de copropriété, exception d'inexécution ne vaut. Non
seulement les copropriétaires ne peuvent refuser ou différer le
paiement pour aucun motif(19) mais le règlement de copropriété ne
saurait les en dispenser(20) et tout l'arsenal des procédures
d'exécution peut être utilisé(21). L'ineffectivité de l'obligation aux
charges n'en est que plus paradoxale. Il y a décidément une grande
inégalité des armes entre les débiteurs s'efforçant d'opposer des
exceptions au recouvrement réclamé par le créancier.
3. Com., 20 février 2007, pourvoi n° 05-19.858 (1re espèce) ; Com., 18 septembre 2007, pourvoi n° 06-16.070 (2e espèce)
Lorsque
les créances réciproques sont connexes, l'effet extinctif de la
compensation judiciaire estréputé se produire au jour de l'exigibilité
de la première d'entre elles (1re espèce).
Il n'y a pas connexité lorsqu'une des créances a un fondement contractuel et l'autre non (2e espèce).
7. La compensation des dettes connexes est rétroactive mais restrictive.
L'article
L. 622-7 du Code de commerce précise que le jugement d'ouverture de la
procédure de sauvegarde d'une entreprise emporte de plein droit
interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement
d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances
connexes. Le jugement d'ouverture étant un obstacle de taille au
recouvrement, la compensation des dettes connexes, qui y échappe, est
souvent sollicitée. Lorsqu'une des créances est exigible et l'autre
pas, il y a lieu pour le juge à en effectuer tout de même la
compensation. Il lui est même interdit de refuser la demande de
compensation formulée devant lui(22). A supposer que la première
créance soit exigible à la date de l'assignation et l'autre après
apurement des comptes, le juge doit faire comme si les deux sommes
avaient été exigibles dès l'assignation et assortir le solde des
intérêts légaux, au lieu d'augmenter la première créance des intérêts
courus entre l'assignation et l'apurement des comptes, ce qui
modifierait le calcul(23).
Reste que la connexité a certaines
limites. Par exemple, il n'y a pas connexité entre la créance
délictuelle d'une compagnie d'assurance envers des agents condamnés
pour abus de confiance et les créances contractuelles de ces agents
envers la compagnie du chef de leurs indemnités compensatrices de fin
de fonction, correspondant aux commissions qu'ils abandonnent –
commissions afférentes aux portefeuilles dont ils étaient titulaires.
Plus généralement, il n'y a pas connexité entre une créance délictuelle
et une créance contractuelle(24) même si le délit pénal a été commis à
l'occasion de l'exécution du contrat(25).
B. Obstacles procéduraux
Civ. 2e, 6 décembre 2007, pourvoi n° 06-19.134 (1re espèce) ; Soc., 18 décembre 2007, pourvoi n° 06-44.548 (2e espèce)
C'est
dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que le Premier
président, constatant l'incapacité partielle de remboursement de la
société condamnée, limite l'arrêt de l'exécution provisoire à un
certain montant (1re espèce).
L'erreur commise par un juge dans
l'application ou l'interprétation d'une règle de droit ne constitue pas
une violation manifeste de l'article 12 du Code de procédure civile, au
sens de l'article 524 du même code autorisant l'arrêt de l'exécution
provisoire de droit d'une décision frappée d'appel (2e espèce).
8. Même assouplies, les conditions d'arrêt de l'exécution provisoire demeurent strictes.
Quoique
l'exécution provisoire soit aux risques du poursuivant(26) elle
garantit un recouvrement efficace auquel le débiteur essaie de faire
obstacle en sollicitant du Premier président de la cour d'appel l'arrêt
de l'exécution provisoire, en particulier lorsqu'elle risque d'entraî
ner des conséquences manifestement excessives(27). Suffisamment connue
pour qu'on n'y insiste pas, cette disposition donne lieu à une
application classique(28), la Cour de cassation rappelant que le risque
de conséquences manifestement excessives est apprécié souverainement
par le premier président(29). Celui-ci a certes le pouvoir de suspendre
totalement l'exécution provisoire mais il n'y est pas obligé. Il
apprécie la situation du débiteur(30) et le cas échéant du
poursuivant(31) et peut donc arrêter l'exécution provisoire pour une
partie seulement de la condamnation.
L'ajout, au dernier alinéa
de l'article 524 du Code de procédure civile, de la possibilité, issue
du décret n° 2004-836 du 20 août 2004, d'arrêter l'exécution provisoire
de droit, n'est prévu qu'en cas « de violation manifeste du principe du
contradictoire ou de l'article 12 et lorsque l'exécution risque
d'entraî ner des conséquences manifestement excessives ». La violation
manifeste de l'article 12, c'est-à-dire de l'obligation faite au juge
de trancher le litige en appliquant la règle de droit, est certaine
lorsque le juge a méconnu une règle aussi importante que, par exemple,
celle selon laquelle le criminel tient le civil en l'état(32). Mais
lorsque, comme en l'espèce, il a seulement mal interprété l'accord
national interprofessionnel des VRP(33) on peut comprendre la solution
restrictive retenue par la Chambre sociale. La simple erreur de droit
ne doit pas justifier l'arrêt de l'exécution provisoire de droit par le
Premier président, car il ne faut pas que la décision de celui-ci
préjuge de celle que prendra la cour d'appel lors de l'examen de
l'affaire au fond(34).