La présomption d'innocence, droit fondamental - Bien que non exprimée, à l'origine tout au moins, dans le code de procédure pénale (pas plus que dans le code d'instruction criminelle), l'affirmation que tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, a valeur d'un droit fondamental 2~ protégé par les engagements internationaux de la France et par le droit constitutionnel, tant dans sa définition et son domaine (a) que dans sa portée, sa signification (p) 3. C'est au siècle des Lumières que remonte l'origine de la présomption d'innocence. La loi n' 2000-516 du 15 juin 2000 vise à renforcer, selon son intitulé, la protection de la présomption d'innocence (et les droits des victimes). A cet égard, elle introduit dans le code de procédure pénale, un article préliminaire, dont le paragraphe 111, al. 1" consacre, enfin, cette garantie:

« toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ».

Si le texte n'apporte pas de solutions novatrices en la matière, tant l'encadrement européen a joué un rôle important en ce domaine, on se réjouira de voir un texte législatif français résumer en quelques mots l'essentiel de cette protection et de la placer en tête de notre code de procédure pénale. Le nouveau texte vise bien deux catégories de personnes, celles suspectées et celles poursuivies ; par ailleurs, il martèle les trois degrés de protection : prévention, réparation et répression.

1. Crim. 20 déc, 1813, DP 1813, 1, 512. Sur des demandes fondées sur l'art. 186, CPP, Crira. 13 juin 1972, Bull. n' 197.14 déc. 1982, Bull. n' 288. Sur des demandes fondées sur l'art. 186-1, CPP, Crim. 2 mai 1967, Bull. n' 143 ; Rev. sc. crim. 1968, 93, obs. J. Robert. 2 avr. 1992, Bull. n' 139. Serge Guinchard et Jacques Buisson, op. cit., nO 1236.
2. Pour l'affirmation de ce caractère, Toulouse, 5 juill. 1993 : D. 1994, 382, note Ravanas,
3. Bibliographie. P. Auvret, La présomption d'innocence: ICP 1994,1, 3802. - J.R. Farthouat, La présomption d'innocence: justices 1998-10, p. 53. - W. Jeandidier, La présomption d'innocence ou le poids des mots : Rev. sc. crim. 1991, 49. - CI. Lombois, La présomption d'innocence: Pouvoirs 1990-55, p. 81. - Laprésomption d'innocence et la procédure pénale, colloqueduCentre français de droit comparé, 16 janv. 1998, Soc. lég. comp, éd., 1998, rapports R. Koering-Joulin, « La présomption d'innocence, un droit fondamental ? » (p. 19) ; A. Buchet, « La présomption et la CEDH » (p. 2 7) ; J.-L. Coste, « Les principes d'action du parquet face à la présomption » (p. 39). - Véronique Massol, thèse (dacty.) Toulouse, 1996, compte-rendu in Annales Toulouse, t. XLIV, p. 255.


a. Définition et domaine

Définition et valeur dans les sources d'attraction du droit processuel à la garantie des droits fondamentaux a) On trouve exposé la garantie de la présomption d'innocence aussi bien dans l'article 14, § 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ») que dans l'article 6, § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme (« toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie »), ou encore dans l'article 48, § 1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (« tout accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie »). On remarquera que ces textes visent une personne accusée, alors que le texte français parle d'un homme tout court, ce qui est plus large (v. infra, ce numéro, b).

1) Le Comité des droits de l'homme de l'ONU, adopte une conception large de la garantie de la présomption d'innocence .

« nul ne peut être présumé coupable tant que l'accusation n'a pas été établie au-delà de tout doute raisonnable. En outre, la présomption d'innocence implique le droit d'être traité conformément à ce principe. C'est donc un devoir pour toutes les autorités politiques de s'abstenir de préjuger de l'issue d'un procès ».

La formule couvre bien sûr, les autorités judiciaires (v. infra, n' 272 en droit français), mais aussi les autorités politiques et administratives, ce qui est loin de représenter une hypothèse d'école, ainsi qu'on pourra le constater avec la jurisprudence Allenet de Ribemont c/ France, v, infra, no 270. Cette conception large n'empêche pas le Comité d'être parfois divisé sur sa violation 'et, surtout, de ne pas l'appliquer aux sanctions en matière de faillite, v. infra, n' 267.

2) Dès 1963, la Commission européenne des droits de l'homme en affirmait la valeur d'un droit fondamental 2, ce que confirmait la Cour vingt ans plus tard -1.

b) La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (art. 9) adopte une formulation plus large, tirant une conséquence de l'innocence présumée affirmée comme une évidence :

« tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » ;

on le voit, l'article 9, dans une seule formule, et par une relation de cause à effet, pose le principe de la présomption d'innocence et celui de la proportionnalité dans les mesures de coercition, ce dernier ne nous concernant pas ici.

1. Constatation du 4 nov. 1988, aff. 203/1986, Ruben Toribio Munoz Hermoza c/ Pérou,
A/44/40, p. 209,
2. Commission, avis du 30 mars 1963, Autriche c/ Italie, Annuaire, vol. 6, p. 783.
3. CEDH, 25 mars 1983, Minelli c/ Suisse, série A, n' 62.

Pour le Conseil constitutionnel, le premier principe a valeur constitutionnelle : l'affirmation sera esquissée dans la décision du 9 janvier 1980 puis exprimée clairement, d'abord sans visa de l'article 9 de la Déclaration dans la décision des 19 et 20 janvier 1981 2~ pUiS~ avec ce visa, dans la décision du 8 juillet 1989 3. D'autres décisions y feront allusion ou référence, toujours au visa de l'article 9 de la Déclaration ". Bien mieux, la valeur constitutionnelle de la présomption d'innocence s'étend à la matière civile, au-delà du procès pénal; dans cette matière, de même qu'en matière fiscale et administrative, la présomption n'a pas qu'une valeur législative, celle qu'une loi lui aurait conférée; elle n'est que l'expression « d'un principe constitutionnel supérieur applicable à toutes les branches de droit » 1, notamment dans la matière pénale entendu au sens large de l'article 6 de la Convention européenne et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ainsi que nous allons le préciser maintenant.

Domaine ratione materiae : l'extension à la matière pénale et à toute autorité, même si elle ne participe pas à une instance - Déjà, nous avons fait remarquer que la Déclaration des droits de l'homme vise tout homme et non pas seulement une personne accusée d'une infraction. En outre, la Convention vise une « infraction » sans autre précision : elle n'utilise pas le qualificatif « pénale » après le mot « infraction » dont est accusé la personne (à la différence du Pacte international). La jurisprudence judiciaire a étendu le champ d'application de la présomption d'innocence aux sanctions administratives répressives et aux pénalités fiscales (a) ; le Conseil d'Etat a fait de même, pour les juridictions disciplinaires, sous couvert de la violation d'un principe général du droit, celui d'impartialité (b) ; mais le Comité des droits de l'homme de l'ONU a une conception plus restrictive (c) ; la procédure pénale reste le champ d'application privilégié de cette présomption (d).

a) L'extension parla jurisprudence judiciaire s'est faite dans deux directions:


1. Selon L. Favoreu et L. Philip in Grandes décisions, 9' éd., 1997, p. 445, n' 10; en fait la décision 79-109 DC, 9 janv. 1980, Prévention de l'immigration clandestine: RJC, 1, 74 ; D. 1980, 249, note Auby et 420, note L. Hamon ; RD publ. 1980, 1631, note L. Favoreu ; AJDA 1980, 3 56, note C. Frank, vise l'art. 8 de la Déclaration (§ 7).2. Déc. 80-127 DC, 19-20 janv. 1981, Sécurité et Liberté,§ 33 et 37 : RJ com., 1, 91 ; JCP 1981, 11, 19701, note C. Franck; D. 1981, 101, note Pradel et 1982,441, note A. Dekeuwer; AJDA 1981, 275, note J. Rivero et 278, note Ch. Gournay; Gaz. Pal. 14 févr. 1981, note Perier-Daville; RD publ. 1981, 651, note L. Philip.3. Déc. 89-258 DC, 8 juill. 1989, Dix de Renault, § 10: Rj com., 1, 361 : JCP 1990, 11, 21409, note C. Frank; D. 1990, somm. comm., 138, obs. D. Chelle et X. Prétot.4. Déc. 93-326 DC, 11 août 1993, Garde à vue (préc.), § 28-29 et 95-360 DC, 2 févr. 1995, Injonction pénale, § 5 : RJ com., 1, 633 ; D. 1995, chron. 171 Pradel et 201 Wolff; RFD const., 199 5-22, 405, note Th. Renoux.
5. Th. Renoux et M. de Villiers, Code constitutionnel, Litec 1995, p. 80.
6. CA Paris, 15 janv. 1993 (Derveloy) : D 1993, 273, note Ducouloux-Favard; RD bancaire 1993. n' 93.


1) Dans le champ des sanctions administratives répressives, dès le 15 janvier 1993, la Cour d'appel de Paris 6marquait les limites du pouvoirconféré au président de la Commission des opérations de bourse de communiquer des informations au public, en invoquant la présomption d'innocence ; la décision devait être suivie d'autres de la même Cour 'et de la Cour de cassation 2~ avec une progression dans l'extension de la protection liée à cette présomption. En effet, dans ses premiers arrêts, la Cour de cassation avait certes étendu la présomption au contentieux boursier, mais c'était, précisément, à propos de la violation de cette présomption au cours d'une instance administrative répressive, à laquelle participait celui qui se rendait auteur de cette violation ; l'analogie avec la violation dans le cadre d'un procès pénal stricto sensu était patente : celui qui juge ne doit avoir de préjugé, en tout cas ne pas les exprimer. En revanche, dans son arrêt du 1" décembre 1998, la chambre commerciale va beaucoup plus loin ; elle condamne les propos du président de la COB mettant en cause une personne impliquée dans une instance devant la COB, alors même que ce président ne pa icipait pas aux poursuites, ni à la formation de jugement, ayant cessé d'exercer ces fonctions au moment des décisions sur la poursuite et sur le jugement.


De même, la publication du rapport lui-même de la COB viole la présomption d'innocence si le texte de ce rapport laisse entendre que des infractions sont d'ores et déjà établies contre quelqu'un non encore jugé, sans que la défense ait pu faire valoir ses droits 3(CoMp. infra, no 365, b-3, avec la publication du rapport annuel de la Cour des comptes portant de graves accusations de gestion de fait, publication suivie d'un arrêt de déclaration de gestion de faitcontre les mêmes personnes ; le Conseil d'Etatya vu une violation du principe d'impartialité, sans évoquer expressément la présomption d'innocence). Enfin, dans une ordonnance du 16 septembre 1999, le premier président de la Cour de Paris admet, implicitement mais certainement, que la publication d'une décision de condamnation par la COB, dans son Bulletin mensuel et au journal officiel, alors que le condamné a formé un recours en annulation, est contraire au respect de la présomption d'innocence ; en conséquence, il ordonne le sursis à exécution de la décision relative à sa publication pour conséquences manifestement excessives ; or, le requérant avait expressément invoqué dans sa demande de sursis la violation de la présomption d'innocence 4


1. CA Paris, 10 sept. 1996 (l' affaire Oury) : Petites affiches, 23 oct. 1996, note DucoulouxFavard (arrêt qui refuse de condamner les propos tenus au motif que le président de la COB n'avait pas participé aux poursuites, ni au jugement; motivation qui sera écartée par Cass. coin, 1" déc. 1998, étudiée au texte et citée note suivante). - 7 mai 1997 (2' affaire Oury) : RD bancaire 1997, n' 61, obs. M. Germain et M.A. Frison-Roche; justices 1997-8, 161, obs. L. Idot; Banque et droit, mai-juin 1997, 40, obs. H. de Vauplane.
2. Cass. coin. 9 avr. et 18 juin 1996 :Justices 1997, 256, obs. L. Idot; RD bancaire 1997,177, note M. Germain et M.A. Frison-Roche. - Cass. coin., 1- déc. 1998 (1` affaire Oury) : JCP 1999, 11, 10057, note E. Garaud; Petites affiches, 15 janv. 1999, note Ducouloux-Favard; RGDP 1999, 276, obs. L. Idot; RTD coin. 1999, 161, obs. N. Rontchevsky.
3. Paris, 2 juill. 1999, Petites affiches, 15 oct. 1999, p. 5, note CI. Ducouloux-Favard; RGDP, 1999-4, p. 721, obs. L. Idot.
4. Paris, Ord. 1,r prés., 16 sept. 1999, D. affaires, AJ, p. 48, obs. V.A.-R.


S'agissant d'une procédure engagée devant le Conseil de la concurrence, la Cour de Paris a jugé qu'il n'y avait pas violation de la présomption d'innocence par un membre du Conseil qui s'est exprimé publiquement sur une affaire, si les propos tenus ne reflètent pas le sentiment que les pratiques exposées étaient irrégulières et s'il n'a manifesté ni parti pris, ni préjugés 1.

2) Extension ensuite aux procédures suivies en matière fiscale lorsque la sanction a un caractère essentiellement punitif et répressif, puisque ces sanctions entrent alors dans la matière pénale 2 ; la Cour de cassation applique la présomption d'innocence aux visites domiciliaires effectuées dans le cadre du droit de la concurrence (Ord. 1,r déc. 1986, art. 48) 1. La Cour européenne est allée plus loin en invoquant la présomption d'innocence en faveur d'héritiers qui avaient fait l'objet d'une sanction fiscale (punitive et répressive) pour fraude fiscale commise par leur auteur décédé 4 ; celui-ci n'ayant pas acquitté l'amende fiscale, le fisc suisse avait voulu la récupérer sur les héritiers. Pour la Cour la responsabilité pénale ne survivant pas, en droit suisse, au décès de l'auteur de l'acte délictueux, les héritiers ne pouvaient pas hériter de la culpabilité ; mais il y ajoute une autre raison: la présomption d'innocence de l'article 6, § 2.

On ne peut donc plus dire que la présomption d'innocence ne concerne pas les autres procédures 1.

b) Le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 27 octobre 1999, affirme l'existence d'un principe général du droit, celui d'impartialité et l'applique à la matière disciplinaire pour sanctionner la participation au délibéré du conseil fédéral de la Fédération française de football, du président de cette fédération qui avait publiquement pris partie (dans un entretien à un quotidien) sur le cas d'un président de club poursuivi disciplinairement devant ce conseil 6. On est très proche des hypothèses qui viennent d'être vues à propos des propos tenus par le président de la COB et de la publication du rapport de la COB '

c) Le Comité des droits de l'homme de l'ONU a refusé d'appliquer l'article 14, § 2 aux sanctions prononcées en cas de faillite. Distinguant, dans une affaire Morael c/ France, la matière pénale de la matière civile, il constate que :

« l'ancien article 99 de la loi (française) sur les faillites prévoyait une présomption de responsabilité des administrateurs dans l'absence d'une preuve de diligence de leur part. Mais cette présomption ne se référait à aucune accusation de caractère pénal »

si la loi sur les faillites implique des sanctions,



1. Paris, 15 juin 1999, Canal Plus, Gaz. Pal. 14 mars 2000.
2. CEDH, 24 févr. 1994, Bendenoun c/ France, série A, n' 284. - CE, avis du 31 mars 1995,
AJDA 1995, 739. - Cass. com. 29 avr. 1997 : JCP 1997,11, 22935, note Sudre.
3. Cass. com. 20 nov. 1990: Bull. IV, n' 293 ; Gaz. Pal. 25 déc. 1990; JCP 1991, IV, 25.
4. CEDH, 29 août 1997, deux arrêts (A.P., M.P. etT.P. c/ Suisse; E.L, R.L etJ.C.L., c/ Suisse)*
Rec. 1997-V, vol. 45, p. 1477 et p. 1509 ; AJDA 1997, 989, obs. Flauss ; Rev. sc. crim. 1998, 395,
obs. R. Koering-Joulin; JCP 1999,1,107, n' 29, obs. Sudre; RGDP 1999, 257, obs. L. Idot.
5. Contra, Pradel et Corstens: Droit pénal européen, Dalloz 1999, n' 3 52, in fine, p. 365.
6. CE, 27 oct. 1999, Fédération française de football : JCP 2000, 11, 10376, note Raphaël Piastra.


« celles-ci étaient des sanctions civiles et non pas des sanctions relevant du droit pénal » 1.

Le Comité ignore donc totalement, dans cette constatation contre la France, l'idée que la matière pénale ne se ramène pas au droit pénal formel, mais peut inclure des sanctions graves et ayant un but dissuasif et non pas de réparation d'un préjudice (v. supra, no 101 et s.).

d) En revanche, s'agissant de la procédure pénale proprement dite, la présomption d'innocence doit être respectée à tous les stades du « procès » pénal (entendu ici comme la constitution d'un dossier de procédure), depuis l'enquête de police jusqu'à la condamnation définitive. Indépendamment de la question du respect de cette présomption par toute autorité publique (v. infra, n 1 2 70, sur ce point), la Cour européenne définit l'accusation comme « la notification officielle émanant de l'autorité compétente, du reproche d'avoir accompli une infraction pénale » 2~ ce qui s'applique nécessairement à la mise en examen considérée par la Cour comme une accusation 'et aux autorités de police, par exemple lorsqu'elles accompagnent un ministre de l'Intérieur à une conférence de presse pour désigner quelqu'un comme instigateur d'un crime (v. infra, nO 270, extension à toute autorité publique) 4.

P. Portée de la présomption d'innocence

Règle de preuve et règle de fond 0 La présomption d'innocence est d'abord une règle de preuve, puisqu'il appartient aux autorités poursuivantes de prouver la culpabilité de la personne poursuivie, ce qui n'interdit pas, dans des cas exceptionnels, des présomptions de responsabilité pénale et, à la personne poursuivie, d'apporter ses propres preuves (elle y a même un intérêt certain, même si elle a par ailleurs le droit de se taire). Mais, la présomption d'innocence est aussi une règle de fond, l'expression d'un véritable droit subjectif pour toute personne, qui s'impose à tous, législateur (infra, no 269), toute autorité publique (infra, nO 270), médias (v. infra, no 271) et toute autorité judiciaire (infra, nO 272). Derrière cette extension de la portée de la présomption d'innocence, se dessinent les contours de ce droit subjectif et le droit à un juge.

Respect de la présomption par le législateur 0 Le respect de la présomption d'innocence s'impose d'abord au législateur.


1. Constatation du 28 juill. 1989, aff. 207/1986, Yves Morael c/ France, A/44/40, p. 229, § 9-5.
2. CEDH, 27 févr. 1980, Deweer c/ Belgique.
3. CEDH, 20 oct. 1997, Serves c/ France.
4. CEDH, 10 févr. 1995, Allenet de Ribernont, v. infra.

a) Une loi d'amnistie avait été déférée au Conseil constitutionnel, au motif que ce type de loi ne permet pas aux personnes soupçonnées d'une infraction de faire la preuve de leur innocence, puisqu'elles sont amnistiées avant le jugement au fond; en quelque sorte la loi d'amnistie les priverait d'une proclamation judiciaire de leur innocence, de leur droit à uunn Juge. Le Conseil constitutionnel a répondu que, tout au contraire, « dans la mesure où l'amnistie a pour effet d'interdire les poursuites pénales, elle ne méconnaît en rien le principe proclamé par l'article 9 de la Déclaration de 1789 ». Une telle loi établit une présomption législative d'innocence. En revanche, le législateur ne pourrait « en aucun cas mettre obstacle ni à la réhabilitation ni à l'action en révision devant toute juridiction compétente tendant àfaire établir l'innocence du condamné » 1. En revanche, le Comité des droits de l'homme de l'ONU considère, au moins pour les crimes les plus graves, que les lois d'amnistie sont contraires aux articles 2 et 3 du Pacte international, car « les Etats ne peuvent pas priver les particuliers du droit à un recours utile quand leurs droits ont été violés ».

b) Le code de procédure pénale donne de multiples exemples du respect de la présomption d'innocence par le législateur : le principe que la liberté du mis en examen est le principe et que la mise en détention provisoire ou le contrôle judiciaire sont l'exception (C. pr. pén., art. 13 7 : « la personne mise en examen reste libre, sauf ») ; le principe que « nonobstant appel, le prévenu détenu qui n'a pas été condamné à une peine d'emprisonnement sans sursis est mis en liberté immédiatement après le jugement », C. pr. pén., art. 4 7 1, etc.

Respect de la présomption d'innocence par tout membre d'une autorité publique - La jurisprudence, tant européenne que française, a progressivement étendu le respect de la présomption d'innocence à tout membre d'une autorité publique, au-delà des juges, même lorsque cette autorité n'est pas un juge ou un tribunal. Concrètement, cela signifie que le juge pénal a l'exclusivité de juger de l'innocence de quelqu'un et, éventuellement, d'anéantir la présomption. Les autorités publiques ne peuvent pas se substituer au juge pénal qui sera chargé du fond de l'accusation. Seul un tribunal peut renverser la présomption d'innocence en condamnant une personne après un procès conforme aux principes directeurs que nous étudions dans ce titre. La conséquence en est qu'aucune personne, membre d'une autorité publique, ne doit porter atteinte, par des propos tenus publiquement par exemple, à la présomption d'innocence de quelqu'un, même en dehors de tout procès.

a) La démonstration en a été faite d'abord en droit européen.

Dans l'affaire Petra Krause c/ Suisse, la Commission européenne des droits de l'homme a émis l'avis que « le principe fondamental de la présomption d'innocence garantit à tout individu que les représentants de l'Etat nepourront le traiter comme coupable d'une infraction avant qu'un tribunal compétent ne l'ait établi selon la loi » 2.


1. Déc. 89-258, 8 juill 1989, Dix de Renault, RjCom. 1, 361; JCP 1990,11, 21409, note C. Franck; D. 1990, sorn. com. 138, obs. D. Chelle et X. Prétot.
2. Commission, avis du 3 oct. 1978, req. n' 7986/77. - Avis du 17 déc. 1981, req. 8361/78, X C/ Pays-Bas.



- C'est surtout dans l'arrêt Allenet de Ribemont c/ France, que la Cour européenne devait confirmer avec éclat sa position (en accordant deux millions de francs au requérant) 1 ; en l'espèce le requérant avait été accusé publiquement, sur les antennes radiophoniques et à la télévision, par le ministre de l'intérieur en exercice, d'avoir commandité le meurtre d'une importante personnalité politique (jean de Broglie), alors qu'il n'était pas encore inculpé (on dirait aujourd'hui mis en examen) mais simplement gardé à vue; après onze ans et huit mois de procédure (le gouvernement français refusant la communication des cassettes vidéo ayant enregistré la conférence de presse du ministre), la Cour proclame que « le champ d'application de l'article 6, § 2, ne se limite pas à la seule hypothèse d'une atteinte à la présomption d'innocence provenant d'une autoritéjudiciaire, mais également aux atteintes émanant d'autres autorités publiques » 2.

Concrètement et bien que l'article 6, § 2 se situe dans un article consacré au procès, on ne peut plus limiter le domaine de la présomption d'innocence à l'existence d'une accusation pénale (même en donnant à celle-ci un sens très large) portée contre quelqu'un par « l'autorité compétente », car il est évident que dans l'arrêt Allenet de Ribemont, la ministre de l'Intérieur n'était pas compétent pour « notifier » une accusation 3. Point n'est besoin d'être justiciable pour bénéficier de cette protection.


- Enfin, la Cour européenne a condamné la Lituanie pour atteinte à la présomption d'innocence dans les propos tenus par le Président du Parlement et le Procureur général relativement à une procédure pénale à l'encontre d'un ministre 4.


b) La jurisprudence judiciaire française elle-même a renforcé la portée de la présomption d'innocence en en imposant son respect au membre d'une autorité publique, certes membre d'une autorité administrative indépendante, donc d'un organe doté de pouvoirs de sanction (en l'occurrence la COB et son président), mais dans une hypothèse où cette personne s'était exprimée publiquement sur le comportement d'une personne, alors qu'elle n'était chargée ni des poursuites ni du jugement au fond ; ce n'est donc pas sa qualité de juge qui fut retenue pour sanctionner son comportement, mais sa seule appartenance à cette autorité publique (Cass. com., 1" déc. 1998, affaire Oury, v. supra, no 267, a).


c) La jurisprudence administrative sanctionne, au titre de la violation d'un principe général du droit, celui d'impartialité, toute atteinte à la présomption d'innocence par les membres d'un organe disciplinaire, v. supra, no 267, b.


1. Somme que le requérant n'a jamais touché, car il devait 2,1 MF à jean de Broglie et l'État français versa les 2 MF directement aux héritiers, ce que la Cour européenne, saisie en interprétation de son arrêt du 10 févr. 1995 a admis, CEDH, 7 août 1996: Rec. 1996-Ill, n' 12, p. 903 RTDH 1998, 65, note S. Marcus-Helmons.
2. CEDH, 10 févr. 1995, Allenet de Ribement c/ France, § 36 ; justices 1996-3, 248, obs. Flauss; RTDH 1995, 657, note D. Spielman.
3. Contra, Pradel et Corstens, Droit pénal européen, Dalloz 1999, n' 352,
4. CEDH, 26 mars 2002, Butkevicius c/ Lituanie.


Ces extensions posent le problème de la conciliation du respect de la présomption d'innocence avec la liberté d'expression et le besoin d'informer, d'autant plus que, dans l'affaire Oury, le président de la COB tient de la loi un pouvoir d'information du public. D'ailleurs, dans l'affaîre Allenet de Ribernont, la Cour européenne ne manque pas de relever que le respect de cette présomption « ne saurait empêcher les autorités de renseigner le public sur les enquêtes pénales en cours, mais il requiert qu'elles le fassent avec toute la discrétion et toutes les réserves que commande le respect de laprésomption d'innocence » (§ 38). En somme, tout est dans le sens de la mesure, de l'équilibre, comme toujours en matière de droits procéduraux.


Respect de la présomption d'innocence par les médias - La liberté de la presse est ici en cause, mais le « droit » d'informer justifie-t-il tout et n'importe quoi ? 1. On en donnera un exemple avant de préciser la position de la Cour européenne.


a) Les procès médiatiques, caricature de la procédure pénale. Il n'est point question de traiter ici de la tendance détestable des médias à instruire sur la place publique le procès d'hommes publics importants, au mépri ' de' garanties les plus élémentaires d'une bonne justice et, notamment, 'de la présomption d'innocence. Le journalisme dit d'investigation cache un journalisme de délation et les belles déclarations sur la liberté d'expression occultent le débat sur l'aspect financier du problème, de belles « affaires » largement médiatisées assurant des ventes que le sérieux d'un journal ne pourrait garantir à lui seul ; il faut vendre à tout prix et au mépris de l'honneur des personnes mises en cause dans des affaires pénales. On trouvera des illustrations de ce phénomène contemporain, une typologie de ces affaires et une dénonciation des méfaits des procès médiatiques dans un article précité consacré aux procès hors les murs 2. Il a été proposé par l'auteur de cet article (sans illusion) que les journalistes coupables de ces graves excès soient déclarés « juges de fait », de la même façon qu'un ordonnateur de dépenses publiques, élu ou fonctionnaire, peut être déclaré comptable de fait par une juridiction financière, avec toutes les conséquences pécuniaires et disciplinaires que cette qualification pourrait entraîner pour le journaliste. Selon un sondage réalisé pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel, 70 % des Français jugent anormal que la presse publie des informations malgré le secretde l'instruction (LeMonde, 7 oct. 1997, p. 23),

1. Parmi une littérature abondante, P. Auvret, Le journaliste, le juge et l'innocent: Rev. Sc. crim. 1996, 625. - B. Beignier, La protection de la personne mise en examen : de l'affrontement à la collusion entre presse et justice, in Liberté de la presse et droits de la personne, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 1997, p. 97. - G. Bolard et S. Guinchard, Le juge dans la cité, JCP 2001,1, 137» - M. Delmas-Marty, justice télévisée ou inédias justiciers ? in Mélanges A. Braunschweig, AFHJ et Litec éd., 1997, 151. - E. Derieux, justice pénale et droit des médias: justices 1998-10 (n' consacré à la justice pénale), p. 133 ; La responsabilité des médias, responsables, coupables condamnables, punissables ? JCP 1999,1, 153. - Antoine Garapon, justices et médias, une alchimie douteuse, Notes de la fondation Saint-Simon, oct. 1994 ; La justice est-elle délocalisable dans les médias ? in Droit et société 1994-26, p. 73, LGDJ. - Serge Guinchard, Les procès hors les murs, Mélanges Cornu, PUF 1994, 201. - J. Normand: RTD civ. 1998, 972 (affaires J.Ch. Mitterrand et Léotard). - Revue Médias/Pouvoirs 1997-1, justices et médias. - La présornption d'innocence et la nrocédure nénale collonue du Centre francais de droit comnaré. 16 ianv.1998, Soc. lég. comp. éd., 1998, rapports (quatre) sur le rôle des médias.


On se contentera ici d'illustrer par un exemple cette pitoyable méthode de vente, exemple dans lequel les intéressés n'ont finalement obtenu réparation que par le biais de la responsabilité de l'Etat pour faute lourde du service de la justice, la responsabilité pénale du journaliste ayant été écartée au titre de sa bonne foi. En l'espèce, le procureur général de Lyon avait signé un rapport synthétisant pour la chancellerie les éléments d'une information pénale ouverte contre X et confiée à un juge d'instruction; un hebdomadaire l'avait publié; attaqué en diffamation par les personnes visées dans ce rapport, le journaliste fut relaxé pour cause de bonne foi, le tribunal reconnaissant qu'il avait recopié fidèlement le rapport du procureur général de Lyon, lequel avait d'ailleurs reconnu, par un communiqué à l'agence France presse, qu'il s'agissait bien de son rapport ! Mais le tribunal ajouta, par une incidente, que le rapport du procureur général de Lyon était « mensonger et diffamatoire » 1. Le parquet et les poursuivants n'ayant pas fait appel, le jugement servit de fondement à une action en responsabilité de l'Etat; celle-ci fut retenue pour une cause, faute du service de la justice dans la divulgation à la presse d'un rapport émanant d'une information ouverte contre X, donc sans intervention d'un tiers à ce service 2 ; il était surabondant d'examiner la faute du procureur général, mais on relèvera qu'en l'espèce le tribunal correctionnel de Lyon avait été sévère avec ce chef du parquet, sans doute en raison de l'importance de ses fonctions qui ne devaient pas le conduire à signer n'importe quoi, de la qualité des personnes mises en cause (le maire de la deuxième ville de France et deux de ses adjoints), la gravité des infractions supposées (détournement de fonds publics et faux en écritures publiques), les mis en cause étant tout simplement accusés d'avoir usé de leurs qualités d'officier de police judiciaire pour truquer le budget de la ville de Lyon en accordant des subventions à des associations, sans vote du Conseil municipal, ce qui constituait pour le moins un crime (faux en écritures publiques par un fonctionnaire ou un élu dans l'exercice de ses fonctions, les rendant passibles de la cour d'assises. Mais la réparation du préjudice subi (1 franc symbolique), ordonnée par le tribunal de Paris du fait de la divulgation du rapport du procureur général de Lyon à la presse, prouve que ce rapport était préjudiciable aux trois malheureux innocents (ils furent ensuite relaxés) ; sinon, pourquoi ordonner cette réparation ? Et ce préjudice ne pouvait provenir que du contenu du rapport, des écrits « mensongers et diffamatoires » qu'il contenait. Derrière la faute dans la divulgation se profilait la faute dans le mensonge et la diffamation par l'une des plus hautes autorités judiciaires. D'autres exemples, malheureusement peuvent être trouvés dans l'actualité quotidienne, ainsi de la chasse aux pédophiles présumés, parce que fichés par la police, dans certains journaux britanniques en juillet/août 2000.


b) La position de la Cour européenne. Il faut être clair, jusqu'ici la Cour européenne n'a sanctionné que des atteintes graves à la présomption d'innocence, dans lesquelles la presse était en cause.


1. T. con. Lyon, 5 juill. 1994: Gaz. Pal. 25 mai 1995.
2. TGI Paris, 3 avr. 1996: Gaz. Pal. 1996, 584 et doctr. 1406, chron. J.-CI. Woog,

1) En effet, la Cour européenne est très attachée à la liberté de la presse, à la liberté d'expression que proclame l'article 10 de la Convention et que la Cour protège de manière quasi-absolue 1, y compris dans les sources des journalistes 2. Tout organe de presse doit disposer de la liberté éditoriale, y compris par la publication de photographies 3.


2) Toutefois, on note une tendance à mettre un frein aux dérives de la justice médiatique.

- Ainsi, on relève un arrêt qui rejette la requête d'un journaliste condamné dans son pays pour un article jugé susceptible d'influer sur l'issue d'une procédure pénale en cours ; le journaliste avait écrit, lors du procès d'un ancien ministre des finances poursuivi pour fraude fiscale

« s'agissant des sommes qui transitent sur les sept comptes occultes, la seule hypothèse possible est celle d'une fraude fiscale commise par M. X ; sa défense devant le tribunal après tant d'années on aurait pu au moins s'attendre à ce qu'il eût élaboré une argumentation solide - était lamentable » ;

la Cour juge l'ingérence de l'Etat dans la liberté d'expression de ce journaliste légitime et nécessaire dans une société démocratique, aux motifs que si « les tribunaux ne sauraient opérer dans le vide et que les questions dont connaissent les juridictions pénales peuvent donner lieu à discussion dans les revues spécialisées, la grande presse ou le public en général... les personnalités connues sont cependant, comme tout un chacun, en droit de bénéficier d'un procès équitable » ; « le requérant a clairement donné son avis sur la culpabilité de l'accusé.. ; on ne saurait dire que l'article n'était pas susceptible de justifier la conclusion dégagée quant à la possibilité qu'il influe sur l'issue du procès ;... la Cour d'appel était en droit de punir la tentative faite par le requérant pour s'ériger en juge de l'affaire » (§ 3 5-59) 4.

La Cour poursuit par un avertissement sur les dangers de la justice médiatique :

« si l'on s'habitue au spectacle de pseudo-procès dans les médias, il peut en résulter, à long terme, des conséquences néfastes à la reconnaissance des tribunaux comme les organes qualiflés pour juger de la culpabilité ou de l'innocence quant à une accusation pénale ».

- De même, l'Angleterre semble s'orienter vers un contrôle des médias par la technique du « contempt ofcourt »


1. CEDH, 24 fév. 1997, de Haes et Gijsels c/ Belgique, Rec. 1997-1, vol. 30, p. 198 ; JDI 1998, 174, obs. Sandrine Barbier (condamnation de la Belgique pour inéquité du procès contre deux journalistes qui avaient mis en cause l'impartialit de trois magistrats en leur prêtant des sympathies pour l'extrême droite). CEDH, 1" juill. 1997, Oberschlick c/ Autriche, Rec. 1997-IV, vol. 42, 1266 ; RTDH 1998, 590, note Sylvie Peyrou-Pistouley : le journaliste qui est condamné pour avoir injurié un homme politique qu'il traite d'imbécile et de crétin subit une ingérence disproportionnée dans sa liberté d'expression.
2. CEDH, 27 mars 1996, Goodwin c/ Roy. Uni: Rec. 1996-Il, n' 7, p. 483 ; Petites affiches, 30 juill. 1997, p. 23, note P. Auvret.

3. CEDH, 11 janv. 2000, News Verlag Gmbh et Cokg c/ Autriche, JDI 2001, 214, obs. Alexis Guedj.4. CEDH, 29 août 1997, Worm c/ Autriche, série A, n' 467, Rec. 1887-V, vol. 45, 1535 ; JDI 1998, 214, obs. Sandrine Barbier; RTDH 1998, 609, note Antoine Berthe.
5. Joëlle Godard, Rev. sc. crim. 2001, 367.


 Respect de la présomption par les autorités judiciaires : le droit à un juge sans prejugement ni préjugé: le droit de ne pas être présenté comme coupable avant toute condamnation 0 Lejugedoit lui-même respecter la présomption d'innocence en ne portant pas de préjugement sur la personne accusée et en n'ayant pas de préjugé non plus sur elle. Dans le cas du préjugé, on confine au droit à un tribunal indépendant et impartial (v. infra, no 340 et s.).

a) L'interdiction d'un pré-jugement, sans la garantie des droits de la défense.

1) Sous l'angle de la présomption d'innocence, les organes européens ont affirmé plusieurs fois qu'il y a violation de la présomption d'innocence si sans établissement légal de la culpabilité d'un prévenu et notamment sans que ce dernier ait eu l'occasion d'exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu'il est coupable. Il peut en aller ainsi même en l'absence de constat formel ; il suffit d'une motivation donnant à penser que le juge considère l'intéressé comme coupable » 1.

En revanche, pas d'atteinte à la présomption d'innocence:

- dans le fait pour deux experts de présenter l'accusé, dans leurs rapports dont les résultats furent lus à l'audience de la cour d'assises, comme l'auteur des crimes qui lui étaient reprochés, alors qu'ils les avaient toujours niés 2 ; la décision est critiquable, car les experts étaient allés au-delà de la terminologie médicale ou psychiatrique (« gangster », « professionnel de la délinquance », etc.) ;

- dans le fait de lire à l'audience de la cour d'assises un arrêt de condamnation du même accusé rendu par une autre juridiction, dès lors que le juge fonde sa conviction sur son appréciation propre et indépendantes des éléments qui lui avaient été soumis et non pas sur le précédent jugement 3

- dans le fait de communiquer au tribunal des informations sur les antécédent judiciaires de l'accusé 4.

2) Le Conseil constitutionnel, dans sa décision des 19-20 janvier 1981 (Sécurité et liberté) la eu l'occasion de dire comment le juge devait respecter la présomption d'innocence, à propos d'une loi (déclarée conforme, mais avec le sérieuses réserves d'interprétation) qui prévoyait la saisine directe de la juridiction par le procureur, pour certaines infractions ;

1. CEDH, 2 5 mars 1983, Minelli c/ Suisse, série A, n' 62, § 37. -Et déjà, Commission, avis du 15 juill. 1976, R. Liebig c/ RFA: Rec. 5, p. 58. - Et aussi, -CEDH, 26 mars 1996, Leutscher c/ Pays-Bas: Rev. sc. crim., 1997,470, obs. R. Koering-Joulin.
2. CEDH, 23 avr. 1998, Bernard c/ France : JDI 1999, 236, obs. Delaplace; JCP 1999,1, 105, n' 37, obs. Sudre; Rev. sc. crim. 1999, 404, obs. R. Kocring-Joulin; RD publ. 1999-3, p. 879, obs. Stéphanie Soler.
3. Commission, avis du 13 déc. 1983 : DR n' 39, p. 43.
4. Commission, avis du 1" avr. 1966, Ann. CEDH, vol. IX, 551.
5. Déc. 80-127 DC, 19-20 janv. 1981, Sécurité et Liberté, § 33 et 37: RJ com., 1, 91 ; JCP 1981, 11, 19701, note C. Franck; D. 1981, 101, note Pradel et 1982,441, note A. Dekeuwer; AJDA 1981, 275, note J. Rivero et 278, note Ch. Gournay; Gaz. Pal. 14 févr. 1981, note Perier-Daville; RD publ. 1981, 651, note L. Philip.


en agissant ainsi, tout au moins sans respecter certaines garanties que le Conseil va donner, le procureur aurait émis un pré-jugement sur l'affaire, en décidant qu'elle serait soumise ou non à une instruction par un juge d'instruction. Le Conseil ne rejette pas le principe de la saisine directe, car le procureur ayant la charge de la poursuite et de la preuve (versant « règle de preuve » de la présomption d'innocence), il a le pouvoir d'apprécier si le recours à un juge d'instruction est ou non nécessaire. Mais le Conseil pose deux séries de limites à l'admissibilité de ce pouvoir:



3) La chambre criminelle française sanctionne aussi le pré-jugement, sans respect des droits de la défense. Ainsi, c'est sur le fondement de l'article 6, § 2 de la Convention qu'elle censure un tribunal de police qui avait motivé son jugement en énonçant que l'attitude des prévenus laissaient « présumer qu'ils n'ont rien à objecter » et que les contraventions qui leur sont reprochées « paraissent suffisamment établies » 1. De même, la chambre criminelle a vu une atteinte à la présomption d'innocence dans le fait de poser, à la fin des débats, à l'audience, après la question sur la culpabilité de l'accusé, la question suivante: « le maximum de la peine doit-il être prononcé à l'encontre de l'accusé ? ». La cour considère que « selon les articles 349 et 362, CPP, la Cour et le jury ne peuvent délibérer sur l'application de la peine, en cas de réponse affirmative aux questions régulièrement posées déclarant l'accusé coupable des faits qui lui sont reprochés qu'après lecture par le président aux jurés des articles 132-18 et 132-24, C. péri., les informant du prononcé de la peine » 2. En revanche, la chambre criminelle n'a pas vu d'atteinte à la présomption d'innocence dans l'existence même de l'arrêt de mise en accusation qui est lu à l'ouverture de l'audience de la cour d'assises, au motif « qu'il se borne à constater l'existence de charges justifianit 11, saisine de la cour qui conserve son entière liberté pour en apprécier la valeur après débats contradictoires 1 » ; en réalité, ce n'est pas le fond qui pose problème,

1. Cass. crim., 19 mars 1986: Bull. 113; D. 1988, 568.
2. Cass. crim., 16 oct 1996, n' R. 95-82274
3. Cass. crim., 13 nov. 1996 : Bull. 401 ; Dr. pénal mai 1997, n' 69, obs. Maron.

b) Le pré-jugement résultera notamment de la confusion des différentes fonctions judiciaires, poursuite, instruction et jugement ; le préjugé résultera de propos tenus avant ou pendant l'audience, v. infra, n' 340 et s. Le juge ne doit pas montrer au prévenu, à l'accusé, ses sentiments sur sa culpabilité ou son innocence