
Les incidences de l'appel du jugement d'orientation ordonnant la vente forcée de l'immeuble
Guillaume-Xavier BOURIN et par Cyril CARDINI
Magistrats
L'un
des problèmes les plus saillants soulevé par la réforme des saisies
immobilières touche au sort de cette procédure lorsque le jugement
d'orientation, frappé d'appel, a ordonné la vente forcée de l'immeuble.
En dehors de l'expédient procédural que constitue le retrait du rôle,
les dispositions du décret du 27 juillet 2006 interdisent, a priori, de
différer la vente et de préserver le commandement de payer. Seule une
interprétation téléologique du dispositif en vigueur est à même
d'assurer la réussite du but poursuivi par la législation et la
protection des droits fondamentaux.
Introduction
I. 05 1.
L'épine dorsale de la procédure de saisie immobilière issue de la
réforme opérée par les décrets d'application de l'ordonnance n°
2006-461, est l'audience d'orientation par laquelle le juge de
l'exécution tranche les contestations et demandes incidentes et décide
des modalités de poursuite de la procédure.
Les articles 49 et 54 du
décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006(1) chargent à cette fin ce
magistrat d'ordonner la vente de l'immeuble saisi aux enchères
publiques ou d'autoriser, à la demande du débiteur, sa cession amiable
après avoir fixé son prix minimum et s'être assuré qu'elle peut être
conclue dans des conditions satisfaisantes.
2. Or, l'un des
problèmes les plus saillants introduit par la réforme des saisies
immobilières touche au sort de cette procédure lorsque le jugement
d'orientation, frappé d'appel, a ordonné la vente forcée de l'immeuble.
L'expérience
des prétoires montre que, face au risque de réformation du jugement
ordonnant la vente forcée, rares sont les cas où le créancier
poursuivant requiert la vente lors de l'audience d'adjudication alors
que son droit de saisir ou de faire procéder à la vente aux enchères
publiques est contesté, si tant est qu'il n'a pas au préalable renoncé
aux coûteuses formalités préalables des publicités légales
obligatoires, se privant ainsi de la faculté de requérir la vente(2).
La plupart des créanciers et quelquefois les débiteurs demandent au
juge de la saisie de remettre l'audience d'adjudication jusqu'à ce que
la cour d'appel ait vidé le litige. Les créanciers sollicitent en outre
du juge de l'exécution, dans l'éventualité d'un rejet de leur demande,
qu'il écarte la caducité du commandement résultant de l'absence de
réquisition de vente et préserve ainsi sa validité. Ils motivent leur
demande en expliquant que, pour le public, l'incertitude quant au sort
des opérations de vente forcée opérées sur la base d'un jugement frappé
d'appel est un facteur dissuasif de porter les enchères, ce qui nuit
tant aux intérêts des créanciers qu'à ceux du débiteur. Les débiteurs,
quant à eux, portent souvent devant le premier président saisi en
référé, leur demande visant à surseoir à l'exécution du jugement
ordonnant la vente forcée dont ils réclament en appel la réformation.
3.
Pourtant, à l'examen des dispositions en vigueur et des jurisprudences
naissantes, le constat se fait de prime abord que, malgré l'appel
interjeté contre le jugement ordonnant l'adjudication, la vente aux
enchères publiques doit être sollicitée par le créancier à la date
fixée par le jugement, à peine de caducité du commandement de payer
valant saisie. La conclusion logique est vite tirée : si l'une des
parties sollicite la remise de la vente forcée à l'audience
d'adjudication ou demande au premier président de surseoir à
l'exécution de la vente, la juridiction saisie de ces demandes doit les
débouter et constater la caducité de son commandement. La saisie tombe.
L'immeuble devient disponible. Toute la procédure est donc à refaire.
Ce
constat est lourd d'inconvénients. L'appel d'un jugement ordonnant la
vente forcée est par nature propre à dissuader les amateurs d'acquérir
puisque la réformation du jugement entraîne l'annulation de
l'adjudication. Dans cette circonstance, rejeter la demande de report
de la vente et refuser d'écarter la caducité du commandement oblige le
créancier poursuivant soit à requérir la vente soit à s'en abstenir et
à perdre alors le bénéfice de la procédure de saisie, le commandement
étant a priori de plein droit caduc si la vente ne se fait pas à la
date fixée.
4. Quelle que soit la branche de cette alternative,
celle-ci est radicalement contraire au but poursuivi par la réforme de
la saisie immobilière.
5. En premier lieu, la réquisition de
vente nonobstant l'appel favorise la vente du bien à un prix très
inférieur au prix qu'il aurait pu atteindre autrement. Elle est donc
contraire à l'intérêt du débiteur, qui voit son bien partir à un prix
anormalement bas compte tenu du marché et perd une chance certaine
d'apurer ses dettes. Elle est aussi contraire à l'intérêt des
créanciers qui courent le risque de ne pas retirer de la vente un prix
suffisant pour les désintéresser totalement. Cette première branche de
l'alternative contrecarre donc doublement l'objectif de la réforme de
la saisie immobilière d'éviter les ventes à prix trop bas, afin de
favoriser dans les meilleures conditions le désendettement du débiteur,
et de favoriser le paiement des créanciers au meilleur prix. Au
surplus, une vente du bien du débiteur, menée dans de telles
conditions, méconnaît les droits patrimoniaux des parties, droits qui
sont garantis par notre Constitution et par la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En
second lieu, la caducité du commandement, constatée en cas d'absence de
réquisition de vente, sanctionne injustement le créancier poursuivant
alors même qu'il ne s'est pas désintéressé de la procédure qu'il a
menée jusqu'à l'audience d'adjudication. Elle oblige ainsi le
créancier, dont le commandement de payer valant saisie a été déclaré
caduc, à faire délivrer et publier un nouveau commandement et ainsi à
recommencer une nouvelle procédure ab initio, avec le risque que le
débiteur tire profit du laps de temps séparant le jugement de caducité
et l'inscription d'un nouveau commandement pour disposer de l'immeuble,
contraignant alors le créancier à le suivre entre les mains de
l'acquéreur. Cette deuxième branche de l'alternative contrarie
l'objectif de célérité de la procédure et le règlement rapide des
créanciers voulue par la réforme de la saisie immobilière. En outre, à
rebours du but poursuivi par la loi, elle aggrave in fine tant la
situation du débiteur – puisque les intérêts de sa dette continuent à
courir – que celle des créanciers qui, s'ils sont payés, le sont à un
terme plus éloigné, tandis que les frais de la saisie s'accroissent.
6.
En somme, d'un côté les dispositions en vigueur paraissent retirer au
juge de l'exécution toute compétence ou tout pouvoir de différer
l'exécution du jugement ordonnant la vente forcée et d'empêcher la
caducité du commandement. De l'autre côté, la réalité de la pratique
montre que le dispositif écrit pour garantir l'efficacité et la
célérité de la procédure est de nature à produire un résultat
incompatible avec l'objectif qu'il poursuit.
La contradiction
entre le dispositif en vigueur et sa finalité fait bien ressortir toute
la complexité du problème inhérent au sort de la procédure de saisie
immobilière quand le jugement d'orientation ordonnant la vente forcée
de l'immeuble est frappé d'appel. L'intérêt de la question oblige donc
à l'étudier de près et à l'envisager sous les deux faces procédurales
sous laquelle elle se présente en pratique : celle d'une demande de
report de la vente forcée présentée devant le juge de l'exécution ou
celle d'une demande de sursis à l'exécution du jugement ordonnant la
vente portée devant la juridiction présidentielle. Mais, au préalable,
il faut bien comprendre que, sous un vocable différent imposé par les
textes, la prétention formée devant l'une ou l'autre de ces
juridictions est de même nature. La demande faite au juge de
l'exécution ou au premier président de différer la vente de l'immeuble
se fonde sur la circonstance que le débiteur a interjeté appel du
jugement d'orientation ordonnant l'adjudication. Elle se comprend donc
nécessairement comme une demande de renvoyer la vente forcée ordonnée
par un jugement jusqu'à l'arrêt de la cour d'appel rendu sur ce
jugement. En définitive, la prétention incidente de report de la vente
dont est saisi le juge de l'exécution s'analyse ni plus ni moins en une
demande de sursis à exécution du jugement de vente forcée jusqu'à la
décision de la juridiction d'appel. Inversement, la demande de sursis à
exécution portée devant le premier président saisi en référé n'est en
définitive qu'une demande de report de la vente.
I. Le report par le juge de l'exécution
7.
La demande présentée au juge du premier degré de renvoyer la vente aux
enchères publiques qu'il a ordonnée par un jugement précédent jusqu'à
l'arrêt de la cour d'appel se heurte à quatre séries de dispositions
qui, conjuguées, l'empêchent de reporter la vente forcée et l'oblige à
constater la caducité du commandement :
– Le principe que
l'autorité de la chose jugée dessaisit le juge une fois le jugement
d'orientation rendu et dont le dispositif, qui fixe le principe de la
vente forcée et sa date, doit être exécuté.
– La règle que, par
exception à l'autorité de chose jugée, les seules causes de report de
la vente ouvertes au juge de la saisie sont restrictivement entendues
par les textes. L'article 61 du décret de 2006, combiné avec l'article
L. 331-5 du Code de la consommation, n'autorise le juge de l'exécution
à reporter la vente que pour un cas de force majeure ou sur la demande
de la commission de surendettement motivée par une cause grave et
justifiée. Or, il est constant que l'exercice d'une voie de recours ne
caractérise aucun de ces cas de remise de la vente, ainsi que la Cour
de cassation l'avait du reste jugé sous l'empire du Code de procédure
civile abrogé(3).
– Le principe que, en matière de voies
d'exécution, le délai d'appel et l'appel lui-même n'ont pas d'effet
suspensif(4). L'appel du jugement d'orientation ordonnant la vente
forcée ne suspend donc pas son exécution.
– Enfin, la règle
selon laquelle si aucun créancier ne requiert la vente à l'audience
d'adjudication, le juge constate de plein droit la caducité du
commandement en application de l'article 60 du décret de 2006.
8.
En ce sens – mais sans se référer à l'autorité de la chose jugée – un
premier courant jurisprudentiel décide que le créancier poursuivant
doit, en dépit de l'appel interjeté sur le jugement ordonnant la vente
forcée, accomplir les formalités de publicités obligatoires et requérir
la vente à l'audience d'adjudication et ce, à peine de caducité de son
commandement. D'après ce courant de jurisprudence, la circonstance que
l'appel du jugement n'est pas suspensif d'exécution interdit de tirer
argument de l'exercice de la voie de recours pour reporter la vente et
préserver l'effet du commandement(5).
Toujours est-il que la
solution adoptée par ce courant jurisprudentiel contrarie l'objectif
essentiel poursuivi par la réforme de la saisie immobilière. Comme nous
l'avons exposé en introduction, quelle que soit la branche de
l'alternative dans laquelle l'interprétation adoptée par les tribunaux
enferme le créancier – requérir la vente forcée à l'audience
d'adjudication ou y renoncer – le choix qu'il prendra dessert le but de
la réforme. Si le créancier requiert la vente publique malgré l'appel,
le but d'éviter les ventes à prix trop bas est manqué. S'il renonce à
solliciter l'adjudication, l'objectif de célérité des procédures voulu
par la réforme n'est plus assuré, la caducité du commandement
l'obligeant à engager une nouvelle procédure.
9. Désireuses
d'écarter ce qu'elles perçoivent comme autant d'obstacles à la réussite
du but de la loi sur les saisies immobilières, plusieurs juridictions
de l'exécution ont imaginé une échappatoire à la prohibition de
reporter la vente.
Un premier courant jurisprudentiel décide de
surseoir à statuer sur la demande de report de la vente que leur
présente l'une des parties jusqu'à ce que la juridiction du deuxième
degré ait tranché sur les mérites de l'appel(6). Elles se fondent à cet
effet sur les dispositions de l'article 378 du Code de procédure civile.
Cette
solution apparaît toutefois artificielle. En effet l'objet de la
demande, reporter la vente jusqu'à l'arrêt d'appel, se confond avec le
sursis lui-même. S'il est sursis jusqu'à la décision de la cour
d'appel, la demande de report n'a plus d'objet puisque l'effet
recherché s'est déjà réalisé par le seul fait du sursis. Ainsi, en
sursoyant à statuer le juge de l'exécution fait, de facto, droit à la
demande de report et suspend la procédure sans s'être préalablement
assuré du bien fondé de cette demande au regard des dispositions
légales. Surseoir à statuer jusqu'à la décision de la cour revient dès
lors, in fine, à conférer à la demande de report et à l'appel un effet
suspensif que la législation a entendu expressément interdire(7).
10.
Un deuxième courant jurisprudentiel accède à la demande de report de la
vente et de préservation du commandement en faisant prévaloir une
interprétation téléologique des dispositions du décret de 2006 relatif
à la procédure de saisie immobilière.
Cette série
jurisprudentielle(8) part aussi du principe que l'exercice d'un appel
du jugement de vente forcée ne caractérise pas un cas de force majeure.
Elle considère néanmoins que l'adjudication peut être reportée si la
demande en est faite par le créancier qui invoque l'appel du jugement,
dans l'hypothèse d'un accord intervenu avec le débiteur. Mais les
juridictions ont de cet accord une conception très extensive. Elles
présument de l'appel interjeté par le débiteur contre le jugement de
vente forcée, la conclusion raisonnable que celui-ci est favorable à
une demande de report de la vente, puisque son appel vise en principe
précisément à empêcher la vente forcée. Ce faisant, les tribunaux se
livrent, sous couvert de cette présomption, à une interprétation
téléologique du dispositif en vigueur, les amenant à considérer que les
dispositions d'ordre public des articles 60 et 61 du décret de 2006 et
30 du décret de 1992 ne font pas obstacle à l'accord des parties pour
reporter la vente. Ils décident ensuite, dans le prolongement de cette
herméneutique, que l'appel constitue un motif légitime justifiant de ne
pas constater la caducité du commandement en sollicitant l'article 12
du décret de 2006, qui ne vise nullement parmi les cas de caducité
susceptibles d'être écartés, la caducité attachée à l'absence de
réquisition de vente forcée.
La raison d'être des dispositions
énoncées aux articles 60, 61 et 12 du décret de 2006 est en effet de
sanctionner la carence du créancier saisissant et d'éviter les appels
ou les reports dilatoires du débiteur. Or, le créancier qui sollicite
une demande de remise de la vente aux motifs que la vente ne peut pas
se faire à bon prix en raison de l'appel, veille à ses intérêts. Dans
la mesure où le créancier est à l'origine de la demande de report ou ne
s'y oppose pas, cette demande ne peut être soupçonnée d'entraver
illégitimement l'exécution forcée.
11. Tout bien pesé pourtant,
la solution favorable au report de la vente et de la préservation du
commandement en cas d'appel du jugement de vente forcée, adoptée par ce
deuxième courant jurisprudentiel et la motivation qui la sous-tend,
quoiqu'elles essaiment dans les juridictions(9), ne sont pas exemptes
de toute objection. Elles aboutissent, sur l'idée que le procès est la
chose des parties et que le dispositif en vigueur ne s'applique qu'aux
demandes dilatoires, à admettre que les parties puissent suspendre une
adjudication en cas d'appel.
12. En dépit de leur valeur, ces deux motifs sur lesquels reposent ces décisions inspirent de sérieux doutes.
Le
motif que l'accord des parties leur permet de convenir d'un report de
la vente n'est pas décisif. Certes, la doctrine enseigne que le
caractère d'ordre public des procédures d'exécution n'empêche pas
forcément l'admission, par la jurisprudence, de la renonciation
conventionnelle aux formes imposées par la loi(10). Mais l'accord des
plaideurs peut-il avoir pour effet d'écarter l'interdiction faite au
juge de différer la vente en dehors des cas très restrictifs de force
majeure ou de demande formée à cette fin par la commission de
surendettement et motivée par une cause grave et justifiée ?
L'interdiction est renforcée par les dispositions de l'article 60 du
décret de 2006 qui décident que « si aucun créancier ne sollicite la
vente, le juge constate la caducité du commandement de payer valant
saisie ». Or, ce texte ne prévoit nullement, par exception aux autres
cas de caducité visés dans le décret, que le créancier poursuivant
puisse sauvegarder son commandement en se prévalant d'un motif
légitime(11).
En outre, limitée à l'accord des parties, la
solution inventée ne peut pas prospérer dans l'éventualité où le
débiteur et le créancier s'opposent, par exemple si le premier
sollicite le report de l'adjudication et que le second se résigne en
définitive à requérir la vente en dépit de l'appel. Le juge de
l'exécution ne tire en ce cas d'aucune disposition le pouvoir de faire
échec à la réquisition de vente forcée du créancier.
13. Il
subsiste certes une hypothèse dans laquelle l'accord des parties peut,
sans coup férir, remédier à l'interdiction faite au juge de reporter la
vente forcée, la loi faisant alors produire à cet accord un effet
suspensif. L'hypothèse est celle d'une demande de retrait du rôle dans
les conditions de l'article 382 du Code de procédure civile. La Cour de
cassation avait admis, dès avant l'introduction dans le Code de
procédure civile du retrait du rôle par le décret n° 98-1231 du 28
décembre 1998, que les parties pussent former une demande conjointe de
radiation lorsqu'elles estimaient de leur intérêt de suspendre
l'instance. Il s'agissait alors de ce que la pratique avait appelé,
pour la distinguer de la sanction du défaut de diligence dans la
conduite du procès, une « radiation conventionnelle » que le décret de
1998 a réglementé sous l'appellation de retrait du rôle.
Ce
retrait, par l'effet suspensif qu'il induit(12), soulève toutefois les
mêmes objections qu'une demande de report adressée au juge de
l'exécution. L'accord des parties, qu'il prenne la forme d'une demande
de report ou d'une demande de retrait du rôle, apparaît toujours en
contradiction avec l'article 61 du décret de 2006 qui proscrit, en
dehors des cas limitativement prévus, tout renvoi de la vente.
Néanmoins,
et c'est là toute sa force, le retrait du rôle, à la différence de la
demande de report, s'impose au juge qui, saisi par l'ensemble des
parties, n'a plus aucun pouvoir d'appréciation et ne peut, suivant
l'opinion commune, exercer aucun contrôle de la légalité de la demande
et l'écarter comme contraire aux dispositions de l'article 61 du décret
de 2006(13).
Cependant, les conditions de mise en œuvre d'un tel
mécanisme procédural en relativisent l'intérêt pratique non
négligeable. Au fond, les dispositions du Code de procédure civile
afférentes au retrait du rôle s'avèrent un expédient, qui contrebalance
certes en grande partie l'imprévoyance du réformateur des saisies
immobilières, mais qui est impuissant à en corriger tous les effets
néfastes. La remarque suivante tirée de l'expérience des audiences le
fera bien comprendre. La demande de retrait du rôle requiert une lettre
écrite et motivée des parties à l'instance. Pour être ordonné, le
retrait implique ainsi de recueillir l'accord, non seulement du
débiteur et du créancier poursuivant, mais également, le cas échéant,
des créanciers inscrits qui, assignés à comparaître à l'audience
d'orientation en application de l'article 40 du décret de 2006(14),
sont de ce fait des parties à la procédure. Or, l'une des parties peut
ne pas expressément consentir au retrait, soit qu'elle s'y oppose, soit
qu'elle n'a pas comparu quoique régulièrement assignée, soit encore
que, s'agissant d'un créancier inscrit, il se désintéresse de la
procédure, compte tenu de la valeur du bien saisi et du rang de son
inscription qui ne lui laissent aucun espoir d'être colloqué en rang
utile.
14. Le motif du deuxième courant jurisprudentiel
favorable au report selon lequel les dispositions des articles 60 et 61
du décret de 2006 et 31 du décret de 1992 sont édictées pour décourager
les demandes de report dilatoires et éviter que le créancier néglige la
procédure est pertinent. Mais, la circonstance que la demande de report
ne s'avère pas dilatoire ouvre-t-elle pour autant au juge de
l'exécution le pouvoir d'écarter l'application de ces dispositions et
de faire droit à la prétention ? Il est permis d'en douter et nous
développerons plus loin, dans la deuxième partie, les doutes que nous
émettons ici. Ils tiennent aux limites du pouvoir prétorien du juge
quand des textes clairs lui défendent de statuer dans un sens qui seul,
pourtant, au regard du cas particulier porté devant lui, permettrait
d'assurer la réussite des objectifs de la loi. S'engouffrer dans la
brèche ouverte par le deuxième courant jurisprudentiel relevé, c'est
conférer au juge de l'exécution le pouvoir d'apprécier les mérites de
la demande de remise de la vente et de faire dépendre de l'appréciation
qu'il porte sur cette demande l'application des articles 60 et 61 du
décret de 2006, lesquels articles proscrivent en forme impérative tout
report, hors les cas de force majeure ou de saisine par la commission
de surendettement pour des causes graves et justifiées. C'est permettre
au magistrat de revenir sur ce qu'il a jugé et donc sur l'autorité de
chose jugée attachée au jugement d'orientation, hors les cas où la loi
l'y autorise. C'est faire de l'appel un motif de sursis à l'exécution
là où la loi a précisément entendu écarter tout effet suspensif.
15.
Mais l'objection décisive à nos yeux est la suivante : en dehors d'un
retrait du rôle expressément demandé par l'ensemble des parties, dans
la conception adoptée par notre système procédural, la prérogative
générale de différer l'exécution d'un jugement échappe au juge qui l'a
rendue pour être spécialement réservée au premier président de la cour
d'appel, à qui est organiquement dévolu le pouvoir d'ordonner le sursis
à exécution de la décision frappée de recours. L'absence de prérogative
du juge de l'exécution de reporter la vente a son prolongement dans le
pouvoir attribué à cette fin par la loi à la juridiction
présidentielle. Specialia generalibus derogant : la répartition des
pouvoirs entre les deux organes judiciaires, le juge du fond et le
premier président, la compétence dévolue au deuxième, s'associent pour
considérer que si l'autorité judiciaire puise dans les dispositions en
vigueur le moyen de surseoir à l'exécution du jugement ordonnant la
vente forcée, ce n'est pas l'auteur du jugement qui le peut, mais la
juridiction présidentielle. Au juste, il ne faut pas confondre la
faculté ouverte par l'article 4 du Code de procédure civile aux parties
de s'accorder sur l'objet en litige et celle d'écarter par convention
l'application de règles de procédure impératives qui distribuent les
pouvoirs de surseoir à l'exécution des jugements entre les juridictions
du premier degré et le premier président. La faculté de s'accorder sur
l'objet du litige a son fondement dans le code. Celle de disposer de la
répartition des pouvoirs entre les juridictions méconnaît en revanche
la loi.
Ainsi touche-t-on les limites de la solution du courant
jurisprudentiel qui se pense fondé à puiser, dans le dispositif
régissant la procédure de saisie immobilière et les ressources de
l'interprétation, le pouvoir, en cas d'appel du jugement ordonnant la
vente forcée, de différer l'adjudication. En définitive c'est au
premier président de la cour d'appel que la législation réserve
spécialement, hors les cas de force majeure ou de saisine du juge de
l'exécution par la commission de surendettement fondée sur une cause
grave et justifiée, la prérogative de surseoir à l'exécution de la
décision du premier juge. Or, il faut bien admettre que, jusqu'à
présent, cet du problème a été en grande partie occulté du débat
judiciaire.
16. En vérité, devant le juge de l'exécution, la
solution ne réside pas dans le report de la vente, qui excède ses
pouvoirs, mais dans la neutralisation de la caducité du commandement de
payer valant saisie, attachée de plein droit à l'absence de vente le
jour fixé.
La neutralisation de la sanction revient à ouvrir au
créancier le droit de saisir par des conclusions de reprise d'instance
la juridiction d'une nouvelle demande de vente forcée une fois la cour
d'appel a confirmé le jugement attaqué. Mais alors que la remise de la
vente relève de la juridiction présidentielle, la demande du créancier
visant à écarter la caducité ressortit à celle du juge de l'exécution.
Ses pouvoirs ne peuvent être sur ce point discutés par ceux du premier
président, dès lors que le débat sur la caducité du commandement
n'induit pas de discussion sur le caractère non-suspensif de l'appel
mais uniquement sur la sanction du défaut de réquisition de vente à
l'audience d'adjudication.
A cet égard, de façon plus franche et
plus radicale, la cour d'appel de Paris ne s'embarrasse pas de l'accord
des parties pour décider que la réquisition de vente à l'audience
prévue à cet effet n'est pas une obligation pour le créancier(15). Elle
reconnaît au bénéficiaire du jugement de vente forcée le droit
d'attendre l'issue de l'appel avant de faire procéder le cas échéant à
l'adjudication
17. Le point de départ du raisonnement est la
règle d'herméneutique constante suivant laquelle, même dans les
matières d'interprétation stricte, il ne peut être donné à une
disposition contenue dans une loi ou un décret un sens incompatible
avec le but premier qu'ils poursuivent et qui aboutirait à un résultat
inverse au résultat voulu et à des conséquences socialement nuisibles.
S'il est défendu en règle générale à l'interprète de distinguer là où
la loi ne distingue pas, cette défense repose sur l'idée que, en
n'observant pas le texte dans toute l'étendue de son libellé, la
volonté de la loi serait violée. Or, il est précisément de maxime
d'interprétation que l'introduction par l'interprète d'une distinction
dans une loi conçue en termes généraux se justifie si la restriction
ainsi apportée à la loi est seule à même d'empêcher que son application
ne soit contraire à son but : la loi cesse là où cessent ses motifs.
Enfin, il n'est pas moins constant que le juge national doit mettre en
œuvre le droit interne notamment à la lumière de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales(16).
18. L'idée est que le créancier diligent,
nonobstant la lettre des articles 60 et 61 du décret de 2006 n'a pas
l'obligation de requérir la vente, parce que l'interdiction de reporter
l'adjudication est posée dans son intérêt exclusif et en considération
des manœuvres dilatoires du débiteur. Par voie de conséquence, la
sanction de la caducité attachée à l'absence de réquisition de vente à
l'audience prévue à cette fin ne peut frapper le titulaire du titre
exécutoire puisque le dispositif vise justement à le protéger.
Fondamentalement, la neutralisation de la caducité découle alors du
droit que le créancier diligent a de ne pas requérir la vente, droit
qu'il tire du motif gouvernant le principe d'exécution provisoire
attaché au jugement d'orientation ordonnant la vente forcée, dont
l'objet essentiel est de protéger le titulaire d'un titre exécutoire
des recours abusifs du débiteur. La préservation du commandement, en ce
qu'elle ménage au créancier le droit de s'abstenir de requérir la
vente, pour la solliciter une fois que l'arrêt est rendu, évite une
adjudication dans des conditions défavorables, et trouve donc sa
justification dans sa conformité avec les objectifs de la réforme de la
saisie immobilière et dans la protection des droits patrimoniaux en
présence.
II. Le report par le premier président
19. Si le
droit positif ne confère pas en principe au juge de l'exécution, le
pouvoir de reporter l'adjudication et d'écarter la caducité du
commandement en cas d'appel du jugement d'orientation ordonnant la
vente forcée, c'est aussi parce que l'ordonnancement juridique réserve
spécialement cette prérogative au premier président de la cour d'appel.
La répartition des pouvoirs entre le juge de l'exécution et le premier
président exclut ainsi toute prérogative du premier au profit du second.
Nul
n'ignore que les procédures civiles d'exécution dérogent notablement
aux règles de droit commun du contentieux de droit privé, en décidant
que l'appel des décisions du juge de l'exécution n'a pas d'effet
suspensif(17). Ce principe a sa raison d'être dans la volonté du
législateur de dissuader les plaideurs d'exercer des recours dilatoires
dans une matière où le créancier dispose en principe d'un titre
exécutoire, hormis le cas où il exerce des mesures conservatoires.
Mais, en raison des conséquences graves que peut entraîner l'exécution
d'un jugement frappé d'appel qui pourrait par la suite être infirmé,
l'article 31 du décret de 1992 corrige ce que le principe dérogatoire
peut avoir d'excessif. Il institue à cette fin un mécanisme visant à
restituer à l'appel un effet suspensif à des conditions bien précises
et ce afin de tempérer le droit du créancier poursuivant de faire
exécuter immédiatement la décision.
20. Le mécanisme institué à
l'article 31 ouvre ainsi le droit aux parties de demander au premier
président de la cour d'appel statuant en référé de surseoir à
l'exécution de la décision attaquée. Le premier président ne peut faire
droit à la demande qu'à la condition, en cohérence avec l'objectif de
décourager les appels dilatoires, qu'il existe des moyens sérieux
d'annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour.
A
quoi s'ajoute le pouvoir général dévolu au premier président de la cour
d'appel par l'article 524, alinéa 4, du Code de procédure civile, issu
du décret n° 2004-86 du 20 août 2004, « d'arrêter l'exécution
provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du
contradictoire ou de l'article 12 [du Code de procédure civile] et
lorsque l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement
excessives ».
Des règles juridiques claires bornent ainsi
fermement le pouvoir du juge de l'exécution de suspendre l'exécution de
ses propres jugements et répartissent les prérogatives des magistrats
du premier degré et des premiers présidents. S'il ordonnait le report
de la vente forcée pour sauvegarder l'objectif de la législation sur
les saisies immobilières, hors les cas restrictifs visés à l'article 61
du décret de 2006, le juge de l'exécution empiéterait sur la compétence
réservée par la loi au premier président de la cour d'appel, qui a seul
vocation à décider du sursis à statuer.
21. Pour autant, le
titulaire de la compétence réservée a-t-il le pouvoir de surseoir à
l'exécution du jugement ayant ordonné la vente forcée ? Au vrai, en
l'état actuel des choses, le pouvoir du premier président de surseoir à
la vente forcée achoppe sur un principe parfaitement mis en œuvre par
un courant jurisprudentiel, qui déboute systématiquement le demandeur
aux motifs que la décision déférée n'est pas susceptible de sursis à
exécution(18).
Cette série jurisprudentielle se fonde sur un
principe herméneutique consacré par la Cour de cassation(19) et
approuvé par des arrêtistes éminents(20), selon lequel « le premier
président peut ordonner le sursis à l'exécution de toutes les décisions
du juge de l'exécution, à l'exception de celles qui, dans les rapports
entre créanciers et débiteurs, statuent sur des demandes dépourvues
d'effet suspensif, à moins qu'elles n'ordonnent la mainlevée d'une
mesure ». Utilisant la norme d'interprétation ainsi mise au jour, ce
courant jurisprudentiel tire la conséquence des énonciations de
l'article 7 du décret de 2006 aux termes duquel « l'examen des
contestations et des demandes incidentes ne suspend pas le cours de la
procédure » pour en déduire qu'aucun sursis à exécution de la décision
du juge de l'exécution ne peut intervenir.
22. Posée par la
haute juridiction en matière de procédure civile d'exécution mobilière,
la solution de principe mise en œuvre s'applique à la matière de la
saisie immobilière par identité de raisonnement. Elle mérite quelques
explications compte tenu de l'obstacle juridique qu'elle élève au
sursis à exécution. Dans l'affaire qui a permis à la Cour régulatrice
de dégager la règle(21), un créancier avait fait délivrer à son
débiteur un commandement aux fins de saisie-vente. Le débiteur avait
contesté le montant de sa créance devant le juge de l'exécution.
Débouté de sa contestation, il avait interjeté appel de sa décision en
demandant au premier président de surseoir à son exécution. Le premier
président fit droit à la demande. La Cour de cassation censura son
ordonnance après avoir rappelé que le juge de l'exécution était saisi
d'une demande dépourvue d'effet suspensif.
La solution s'impose.
En faisant droit à la demande de sursis à exécution, le premier
président reporte en fait la date de la vente alors que, par des
dispositions spéciales, le législateur a entendu empêcher qu'un
éventuel contentieux ralentisse les opérations. L'article 7 du décret
de 2006 porte que « l'examen des contestations et des demandes
incidentes ne suspend pas le cours de la procédure ». L'article 61,
interprété a contrario, énonce que la vente doit être exécutée sauf les
cas exceptionnels qu'il édicte. C'est dire que ces dispositions
décident que la procédure de vente forcée ne peut être différée et doit
être poursuivie conformément au jugement qui l'a ordonnée, à la date
fixée, nonobstant l'appel dont sont frappés ce jugement et la décision
du juge de l'exécution qui, le cas échéant, a rejeté le report de la
vente. Les articles 7 et 61 s'interprètent donc fatalement comme
prescrivant l'exécution provisoire de droit du jugement de vente
forcée. En outre, ces dispositions comportent aussi leur propre régime
de report de la vente, qu'elles subordonnent à la force majeure ou à la
saisine du juge de l'exécution par la commission de surendettement,
motivée sur des considérations humanitaires. Accorder le sursis à
exécution du jugement de vente forcée au seul motif qu'il est frappé
d'appel, conduirait à suspendre la procédure dans une hypothèse où,
précisément, cet effet est écarté par la volonté de la loi.
23.
Mais il y a plus, la saisine du premier président de la cour d'appel,
lorsqu'elle émane, non plus du débiteur lui-même, mais du créancier
désireux de surseoir à l'exécution de la vente forcée jusqu'à l'examen
de l'appel, semble purement illusoire.
L'article 31 du décret de
1992, qui pose les conditions d'obtention du sursis à l'exécution du
jugement frappé d'appel, apparaît à l'examen impropre à fonder les
espoirs d'obtenir du premier président un sursis à l'exécution du
jugement de vente forcée. L'obstacle insurmontable n'est pas celui du
défaut d'intérêt à agir du créancier. Certes, l'article 31 n'a, a
priori, vocation à être invoqué que par le débiteur, qui seul semble
avoir un intérêt à un tel sursis. Néanmoins, la procédure de saisie
immobilière et ses enjeux particuliers amènent à envisager la question
sous un angle différent. En effet, le créancier poursuivant intimé
justifie incontestablement, dans le cadre de la procédure de saisie
immobilière, d'un intérêt, si le débiteur ne l'a pas fait lui-même, à
saisir le premier président, tant il est vrai que le maintien de
l'adjudication peut, comme nous l'avons dit précédemment, lui être
préjudiciable ainsi qu'à l'ensemble des créanciers inscrits.
Pour
autant, même à considérer que le créancier justifie d'un intérêt à
agir, celui-ci se heurte aux dispositions de l'article 31 qui
n'autorisent le sursis que s'il existe des moyens sérieux d'annulation
ou de réformation de la décision déférée à la cour. Ainsi, pour obtenir
gain de cause devant le premier président, le créancier se verrait
contraint de soutenir que l'appel du jugement ordonnant la vente forcée
est fondé et qu'il existe des moyens sérieux de réformation de la
décision qu'il a sollicitée et obtenue en première instance, parfois
après d'âpres luttes ! La schizophrénie à laquelle le créancier est
réduit souligne avec éclat combien il est en réalité privé, par le
simple jeu des conditions posées à l'article 31, d'un recours effectif
au sursis à l'exécution du jugement.
24. La saisine du premier
président par les parties sur le fondement de l'article 524, alinéa 5,
du Code de procédure civile, à supposer ce texte applicable à la
matière des voies d'exécution, est d'un rendement à peine meilleur.
Cette disposition autorise certes la juridiction présidentielle à «
arrêter l'exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste
du principe du contradictoire ou de l'article 12 [du code de procédure
civile] et lorsque l'exécution risque d'entraîner des conséquences
manifestement excessives ». Mais le pouvoir du premier président de
surseoir à l'exécution du jugement d'orientation sur ce fondement
suppose de ce magistrat qu'il caractérise une violation manifeste de la
procédure ou du droit par le premier juge. Or, étant donné que le
créancier dispose d'un titre exécutoire définitif et que le fond du
droit est de ce fait souvent incontestable, dans la très grande
majorité des cas, le débat qui se noue devant la cour d'appel porte
exclusivement sur la pertinence du choix arrêté par le juge du premier
degré en faveur de la vente forcée. Précisément, l'appréciation de
l'opportunité d'une vente amiable plutôt que d'une vente forcée dépend
pour l'essentiel des données factuelles versées au débat. La décision
qui rejette la demande de vente amiable et accède à la demande de vente
forcée repose donc avant tout sur des considérations de fait et de
preuve relatives aux mérites de la demande. Il y a plus : en cause
d'appel, les parties peuvent toujours invoquer de nouvelles pièces ou
proposer de nouvelles preuves pour justifier les prétentions qu'elles
avaient soumises au premier juge. Il s'ensuit qu'une demande de vente
amiable qui n'est pas étayée par des documents versés à l'audience
d'orientation peut, si elle est corroborée devant la cour par des
pièces pertinentes, justifier une réformation du jugement sans que le
premier juge n'ait commis de violation manifeste du débat
contradictoire ni de l'article 12 du Code de procédure civile et donc
sans que les conditions de sursis soient réunies. A quoi s'ajoute que,
dans l'interprétation que donne la Cour de cassation de l'article 524
du Code de procédure civile, une erreur de qualification juridique ne
saurait constituer la violation manifeste de l'article 12 du même
code(22). En somme, l'article 524 dernier alinéa du Code de procédure
civile n'offre pas aux parties de moyen juridique véritablement
effectif pour réclamer le sursis à la vente forcée de l'immeuble saisi
jusqu'à ce que la juridiction du second degré ait statué sur les
mérites de l'appel.
25. C'est donc un ensemble ordonné de
dispositions claires qui toutes se coalisent pour empêcher le sursis à
exécution du jugement ordonnant la vente forcée, à rebours du but de la
loi et des intérêts patrimoniaux en présence. Tout le problème est dans
la réalité judiciaire d'aujourd'hui de savoir si, face à ce dispositif,
les juridictions présidentielles peuvent puiser dans les ressources de
l'herméneutique matière à infléchir la loi et à lui donner une
interprétation propre à servir la réforme de la saisie immobilière et à
assurer la protection des droits patrimoniaux ?
26.
L'application du principe d'interprétation téléologique évoquée dans la
première partie de l'étude conduit à une relecture des dispositions des
articles 30 et 31 du décret de comme d'ailleurs des articles 7 et 61 du
décret de 2006, à la lumière de leur raison d'être et de leur objet.
Il
tombe sous le sens que ces dispositions procèdent de la volonté du
législateur de dissuader le débiteur d'exercer un recours purement
dilatoire. Elles sont donc conçues avant tout comme des dispositions
protectrices des intérêts du créancier. Elles n'ont d'ailleurs d'autre
raison d'être que celle là, prémunir le créancier du comportement du
débiteur qui tenterait de différer le paiement de ses dettes par le jeu
de recours successifs introduits dans ce seul but. Il s'agit ici de
règles procédurales qui, par leur nature, relèvent d'un ordre public de
protection et ne trouvent finalement à s'appliquer qu'autant que leur
bénéficiaire entend s'en prévaloir.
Par suite, si le créancier
ne s'oppose pas au sursis sollicité par le débiteur ou, mieux, s'il le
sollicite lui-même, la demande tendant au sursis à l'exécution du
jugement ordonnant la vente ne peut être suspectée d'être dilatoire.
Plus fondamentalement encore, la demande puise sa justification dans sa
conformité avec les objectifs de la réforme de la saisie immobilière et
au-delà même avec la protection du patrimoine des sujets de droit
garantie par la Constitution et les instruments internationaux. En
demandant le report de la vente, le créancier écarte le risque d'une
adjudication à moindre prix et préserve ainsi tant ses intérêts
patrimoniaux que ceux du débiteur.
Par voie de conséquence, la
juridiction présidentielle puise dans le motif même qui gouverne
l'existence du dispositif en vigueur, le pouvoir de faire droit à la
demande de sursis à exécution sollicitée par le créancier ou avec son
accord sans que les restrictions prévues par les textes ne trouvent à
s'appliquer. Nul besoin alors pour le premier président d'examiner,
pour surseoir à l'exécution, s'il existe des moyens sérieux et
légitimes d'annulation ou de réformation de la décision attaquée
puisque, par hypothèse, le créancier n'entend pas se prévaloir des
dispositions restrictives édictées dans son seul intérêt, ce qui lui
épargne par la même occasion, lorsqu'il est l'auteur de la saisine, de
devoir justifier de moyens sérieux et légitimes. Il peut ainsi être
fait droit à la demande de sursis, du seul fait qu'elle est approuvée
ou sollicitée par le créancier.
27. En somme, le motif qui
préside aux conditions restrictives d'application du sursis à exécution
des jugements ordonnant la vente forcée de l'immeuble est d'empêcher
les recours dilatoires préjudiciables et ainsi de protéger le droit
patrimonial des créanciers. Ces motifs n'existent pas quand le
créancier est lui-même l'auteur de la demande de sursis ou quand il est
favorable à cette demande. La loi ne doit s'appliquer qu'aux situations
qu'elle a prévues dans sa lettre et dans son esprit. Refuser le sursis
à l'exécution sollicité ou accepté par le créancier conduirait à
appliquer la loi à des situations qui, tout en paraissant incluses dans
sa lettre, se trouvent radicalement incompatibles avec sa raison d'être.
Conclusion
28.
En définitive, l'étude de l'ordonnancement juridique et des premières
décisions des juridictions confrontées au problème du sort de la
procédure lorsque le jugement ayant ordonné la vente forcée est frappé
d'appel, montre que, en dehors de l'expédient procédural que constitue
le retrait du rôle, le recours à une interprétation ouvertement
téléologique du dispositif en vigueur et axée sur la sauvegarde des
droits patrimoniaux est l'unique moyen de préserver les buts poursuivis
par la réforme.
29. Finalement, sur le fondement d'une
interprétation téléologique, axée de surcroît sur la protection des
droits fondamentaux, une dualité de moyens affleurent des dispositions
en vigueur qui parviennent à un même résultat, la faculté pour le
créancier d'obtenir qu'il soit sursis à la vente, soit indirectement,
par la neutralisation de la caducité du commandement ordonnée par le
premier juge, soit directement par la suspension de l'exécution du
jugement ordonnant la vente forcée par le premier président.
30.
Cela étant, il ne faut pas se dissimuler que la solution aboutissant à
reconnaître dans certaines circonstances aux juridictions, chacune dans
leur ordre de compétence propre, le pouvoir effectif de suspendre le
jugement frappé d'appel ordonnant la vente forcée, ou de maintenir le
commandement, n'est pas à l'abri de la discussion. Elle suppose de
s'affranchir de plusieurs dispositions procédurales récentes,
impératives et univoques et, en ce qui concerne le sursis à exécution
du jugement, de la jurisprudence qui leur fait corps. Elle contraint le
juge à user de son pouvoir d'interprétation, non pas seulement pour
expliciter une disposition obscure, remédier à son absurdité, en
redresser l'application ou en étouffer la portée, mais plus encore pour
évincer un ensemble de règles coordonnées dont le libellé est clair.
Elle le conduit, au fond, à revenir, sur l'économie des dispositifs en
vigueur et à cette fin à faire usage de façon non déguisée de son
pouvoir prétorien. Aussi serait-il bien hasardeux de pronostiquer que
la Cour de cassation admettra d'invoquer la propre finalité d'une série
de dispositions pour en écarter les conditions strictes et limpides
d'application. Il reste que, ce qui milite dans le sens de
l'herméneutique envisagée, c'est la nécessité de conformer la
législation en vigueur avec la protection des droits patrimoniaux
garantis par les normes supra-législatives.
31. De ce fait, un
seul point est sûr : la seule solution efficace, rapide et propre à
garantir la sécurité juridique, passe par un remaniement, par le
pouvoir réglementaire, des dispositions en vigueur.
32. Ce
remaniement ne supposerait que de légères retouches au décret. Il n'a
rien de révolutionnaire. Le principe général de l'absence d'effet
suspensif de l'appel serait maintenu. La règle reste le meilleur
rempart contre les recours dilatoires. Il s'agirait simplement d'ouvrir
au créancier le droit d'obtenir, en cas d'appel du jugement ordonnant
la vente forcée, le report de la vente jusqu'à ce que la cour ait
statué, tout en gardant le bénéfice du commandement de payer valant
saisie(23).
A contrario, le débiteur qui, malgré l'opposition du
créancier, souhaiterait faire suspendre l'exécution du jugement,
devrait toujours justifier, devant le premier président, de moyens
sérieux de réformation conformément aux prescriptions de l'article 31
du décret de 1992. Mais pour lui permettre utilement de les invoquer,
l'abrogation de la règle de l'absence d'effet suspensif des
contestations et demandes incidentes, prévue à l'article 7 du décret de
2006, apparaît nécessaire afin de couper court à l'irrecevabilité de sa
demande de sursis induite par la jurisprudence de la Cour de
cassation(24).