Le sort des procédures civiles d'exécution en cas de surendettement

par Emmanuel PUTMAN
Professeur à l'Université d'Aix-Marseille III


Le droit du surendettement comporte de nombreux dénominateurs communs avec le droit des procédures collectives, notamment quant à la suspension des procédures civiles d'exécution. Toutefois, cette suspension sera possible ou automatique selon la situation du débiteur surendetté, contrairement au droit des procédures collectives qui connaît une règle de portée générale d'automaticité.

I. 06 1. Vers un droit commun ? Les régimes juridiques des difficultés des entreprises et des particuliers comportent des dénominateurs communs qui permettent de les regrouper au sein d'un droit des difficultés économiques(1). L'un de ces traits de ressemblance est la vocation des procédures civiles d'exécution diligentées individuellement par les créanciers d'un même débiteur à céder le pas à la discipline collective du traitement de l'endettement.

2. Le curseur des difficultés économiques. Pourtant, jusqu'à une date récente, on ne trouvait pas dans le droit du surendettement des particuliers, de disposition aussi générale que l'ancien article L. 621-40, devenu article L. 622-21 du Code de commerce depuis la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 sur la sauvegarde des entreprises. On sait qu'en vertu de ce texte l'ouverture de la procédure de sauvegarde, qui interrompt les poursuites individuelles des créanciers, « arrête ou interdit également toute voie d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles »(2). Dans le droit du surendettement, la portée de la suspension des procédures civiles d'exécution varie selon la gradation des difficultés du débiteur. Il convient en effet de distinguer deux séries d'hypothèses, selon que la situation du débiteur est ou non irrémédiablement compromise.

3. Suspendre pour redresser ou pour liquider. Lorsque la situation du débiteur surendetté n'est pas irrémédiablement compromise, la commission de surendettement s'efforce de concilier le débiteur et ses créanciers pour aboutir à un plan conventionnel de redressement : à cette fin elle peut demander au juge de l'exécution de suspendre certaines procédures(3). Même si le plan échoue, la commission peut formuler des recommandations qui, sous certaines conditions(4) seront assorties de suspension des procédures d'exécution(5). Il en va de même lorsque le plan n'est pas envisageable parce que, sans être irrémédiable, la situation du débiteur le rend insolvable(6). Dans toutes ces situations, la suspension des procédures civiles d'exécution est une possibilité mais pas, contrairement à ce que connaî t le droit des procédures collectives, une règle de portée générale et automatique.

En revanche la situation irrémédiablement compromise conduit, depuis la loi Borloo n° 2003-710 du 1er août 2003, au rétablissement personnel du débiteur, véritable procédure collective débouchant sur une liquidation judiciaire civile. La ressemblance avec le droit des procédures ­collectives est alors frappante : la saisine du juge de l'exécution aux fins de rétablissement personnel(7) et a fortiori le prononcé du jugement d'ouverture(8) emportent automatiquement suspension des procédures d'exécution(9).

L'apparente complexité du sort des procédures civiles d'exécution se ramène donc à une alternative simple entre la possibilité (I) et l'automaticité (II) de leur suspension.

I. La possibilité d'une suspension

4. Les articles L. 331-5 et L. 331-9 du Code de la ­consommation fondent la possibilité d'une suspension des procédures civiles d'exécution sur deux objectifs différents : soit préparer le plan conventionnel de redressement (A), soit, à défaut de celui-ci, accompagner les recommandations de la commission de surendettement (B).

A. Suspension préparant le plan

5. « Si la situation l'exige ». Lorsque la commission de surendettement œuvre à l'élaboration du plan conventionnel de redressement du débiteur surendetté, l'éventuelle suspension des procédures d'exécution reste en lien étroit avec sa finalité qui est de faciliter la préparation du plan. Exclue pour les dettes qui ont normalement vocation à rester « hors plan »(10), c'est-à-dire les dettes alimentaires(11) et pénales(12), la suspension, qui est demandée soit par la commission elle-même, soit en cas d'urgence par son président, le délégué de celui-ci, le représentant local de la banque de France ou le débiteur, la suspension n'est ­prononcée par le juge de l'exécution que si la situation du débiteur l'exige, elle n'est opposable qu'aux créanciers concernés et non pas erga omnes, elle ne demeure acquise, dans la limite d'un an, que jusqu'à l'approbation du plan conventionnel de redressement(13).

La généralité des termes visant les procédures d'exécution est donc trompeuse. Si la demande de suspension peut avoir un domaine très large, le pouvoir de suspension peut être aussi sélectif que le juge l'estime opportun.

1. Demande de suspension

6. Pas tout à fait toutes les procédures. Pour identifier les procédures d'exécution dont la suspension est susceptible d'être demandée, la tentation est grande de raisonner par analogie avec le droit des procédures collectives. L'article L. 622-21 du Code de commerce est en effet illustré par une abondante jurisprudence, qui a limité sa portée au moyen de distinctions, également pertinentes en droit du surendettement. Une double sélection est opérée, selon la nature des procédures visées et selon leur chronologie.

a) Sélection selon la nature des procédures

7. Seulement pour des dettes… Pour être éligibles à la suspension, les procédures d'exécution doivent, comme le formule l'article L. 331-5 du Code de la consommation, « porter sur des dettes », ce qui conduit la jurisprudence(14), par imitation de ce qu'elle décide en droit des procédures collectives(15), à exclure la suspension de la procédure d'expulsion, qui, à ses yeux, ne porte pas à proprement parler sur une dette.

8. …Mais pas forcément pour l'exécution des dettes. En revanche, la demande de suspension n'est pas limitée aux seules procédures d'exécution forcée des dettes. Elle concerne évidemment celles-ci, y compris la saisie immobilière dont la suspension, depuis le 1er janvier 2007, est de la compétence du juge de l'exécution avant comme après la publication du commandement. Ce juge peut même être saisi après la fixation de la date de l'adjudication, dont la remise est possible pour causes graves et dûment justifiées(16).

Mais la demande de suspension peut aller plus loin et concerner des procédures qui ne tendent pas par elles-mêmes à l'exécution forcée. Certes, elle n'englobe pas de simples mesures préalables à l'exécution. La demande de prorogation d'un commandement de saisie(17), l'action aux fins de délivrance d'un titre exécutoire dont l'exécution sera différée pendant la durée du plan(18), ne seront donc pas suspendues. En revanche, selon la doctrine administrative(19), la mainlevée d'une saisie conservatoire diligentée avant l'ouverture du surendettement et pas encore convertie pourra être demandée au juge, le droit des procédures collectives retenant d'ailleurs une solution analogue(20).

Ce dernier exemple montre aussi l'importance de la chronologie des procédures.

b) Sélection selon la chronologie des procédures

9. Théorie de l'effet acquis. En principe, les procédures qui ont d'ores et déjà produit leur effet avant l'ouverture du surendettement ne peuvent plus être suspendues. Ainsi n'est-il plus possible d'empêcher le jeu de la clause résolutoire du bail lorsqu'elle est acquise, le délai applicable après la délivrance du commandement ayant expiré avant l'ouverture du surendettement(21) ce qui est là encore le décalque du droit des procédures collectives(22).

10. Divergences ? Dans le cas où, avant l'ouverture du surendettement, la créance du débiteur sur un tiers a fait l'objet d'une saisie-attribution ou d'un avis à tiers détenteur, on sait que, sur le fondement de l'article L. 622-21 du Code de commerce, l'effet attributif de la voie d'exécution, étant d'ores et déjà acquis, ne peut plus être remis en question par l'ouverture ultérieure d'une procédure collective(23). Pourtant, en matière de surendettement, un arrêt donne au juge de l'exécution le pouvoir de suspendre une mesure d'exécution en cours diligentée pour le recouvrement d'une dette fiscale, alors qu'il s'agissait en l'espèce d'un avis à tiers détenteur antérieur au surendettement(24). Néanmoins, le rapprochement avec un arrêt antérieur autorise une conciliation de ces décisions de prime abord divergentes. En effet, si la Cour de cassation refuse la mainlevée de la saisie-attribution dont l'effet attributif s'est produit avant l'ouverture du surendettement, elle en autorise la suspension(25).

En d'autres termes, si l'effet attributif acquis est ­conservé, le créancier saisissant ne pourra obtenir le paiement tant que durera la suspension(26). En tout cas, le pouvoir donné au juge de suspendre même la saisie-attribution ou l'avis à tiers détenteur, montre à quel point la suspension est laissée à sa discrétion.

2. Pouvoir de suspension

11. Comme il plaît au juge. Sur le fondement de l'article L. 331-5 du Code de la consommation, l'appréciation souveraine par le juge de l'opportunité de la suspension confine en théorie au pouvoir discrétionnaire, le régime des recours contre sa décision le montre bien. Elle peut être contestée par une demande de rétractation, puisqu'il s'agit d'une ordonnance sur requête(27). Mais l'ordonnance par laquelle le juge rejette la demande de rétractation ne peut être frappée de pourvoi en cassation(28) et dès l'instant où il a accordé ne serait-ce que la suspension d'une voie d'exécution, sa décision n'est pas susceptible d'appel(29). Il est vrai que les commissions, en demandant en pratique au juge les mesures qu'elles savent adéquates, évitent bien des refus…

Si la suspension des procédures d'exécution afin de préparer le plan est facultative pour le juge, on se rapproche d'une compétence liée lorsque la suspension est destinée à accompagner les recommandations de la ­commission de surendettement.

B. Suspension accompagnant les recommandations

12. De la renonciation volontaire à la suspension autoritaire. Il va de soi que les créanciers parties au plan conventionnel de redressement – les seuls auxquels il soit opposable – renoncent à leur droit de poursuite tant que le plan s'exécute, ce qui peut d'ailleurs résulter d'une clause expresse de renonciation(30). En revanche si l'élaboration du plan n'aboutit pas(31) ou si le débiteur s'avère insolvable(32) cette renonciation volontaire par les créanciers aux poursuites devient improbable, alors même que tout espoir de réaménagement de la situation du débiteur n'est pas encore perdu.

Or, parmi les recommandations que la commission de surendettement peut alors faire à la demande du débiteur(33) certaines ont nécessairement pour corollaire la suspension du droit de poursuite des créanciers visés(34), puisqu'elles rééchelonnent ou diffèrent le paiement de leurs créances, l'article L. 331-7 du Code de la consommation envisageant des rééchelonnements ou reports de longue durée(35), l'article L. 331-7-1 du code précité permettant une suspension d'exigibilité plus brève(36). A défaut d'adhésion des intéressés, l'effectivité des recommandations nécessite un mécanisme autoritaire de suspension de l'exécution de leurs créances, dont l'article L. 331-9 du même code précise les modalités et la portée.

1. Modalités

13. Les modalités de la suspension accompagnant les recommandations sont particulières, qu'il s'agisse des délais ou du contrôle de cette suspension.

a) Délais

14. Combinaison de suspensions. La mission de conciliation de la commission ayant échoué, celle-ci en avise les créanciers et le débiteur, qui, dans un premier temps, peut bénéficier de la prorogation de la suspension des mesures d'exécution, précédemment ordonnée par le juge de l'exécution sur le fondement de l'article L. 331-5 du Code de la consommation. Cette suspension se prolonge en effet pendant le délai de quinze jours dont dispose le débiteur pour saisir la commission(37), puis, si la commission est effectivement saisie, durant le délai de deux mois qu'elle a pour rendre son avis(38) et jusqu'à ce que le juge de l'exécution ait conféré force exécutoire aux recommandations.

Cela peut prendre encore quinze jours si aucune contestation n'est élevée contre l'avis de la ­­commission(39) et au moins quinze jours de plus si le juge doit vider une telle contestation(40), davantage si sa décision fait l'objet d'un appel(41) auquel cas c'est la cour d'appel elle-même qui aura le pouvoir de prendre les mesures visées aux articles L. 331-7 et L. 331-7-1(42) du code précité.

Une fois les recommandations devenues exécutoires, la suspension d'exécution découlant de l'article L. 331-5 du Code de la consommation épuise son effet, mais celle résultant de l'article L. 331-9 prend le relais. Or elle empêche les créanciers auxquels les recommandations sont opposables d'exercer des procédures d'exécution à l'encontre des biens du débiteur pendant toute la durée d'exécution des mesures les concernant. Or ces mesures peuvent aller jusqu'à dix ans sur le fondement de l'article L. 331-7(43).

Quant au moratoire de deux ans prévu par l'article L. 331-7-1 il peut ne pas constituer un délai couperet. En effet trente jours avant qu'il s'achève, la commission enclenche une procédure de réexamen de la situation du débiteur et, si cette situation le permet, elle peut mettre en œuvre les recommandations de l'article L. 331-7(44).

15. Stratégies. On voit que le jeu cumulé des délais oblige les créanciers à une vigilance particulière afin, par exemple, de ne pas omettre de renouveler en temps utile les inscriptions de sûretés sur le patrimoine du débiteur. En effet, s'ils laissent dépérir ces sûretés, non seulement ils diminuent les chances de recouvrement le jour où ils retrouvent enfin leur droit de poursuite, mais ils risquent de se voir opposer l'article 2314 du Code civil(45) par les cautions du débiteur. Les cautions ne peuvent pas invoquer pour elles-mêmes le bénéfice du plan conventionnel de redressement ou des recommandations(46) mais rien ne leur interdit de se prévaloir de la cause de décharge (bénéfice dit de subrogation) résultant de la perte, par le fait du créancier, des sûretés dans lesquelles elles auraient pu être subrogées.

16. Néanmoins, et fort heureusement, il ne semble pas que ce soit dans cette voie que semble s'engouffrer les magistrats. Au regard des premières décisions rendues sous l'empire de l'article L. 632-2 du Code de commerce, la jurisprudence entend apprécier strictement les conditions de l'article précité.

Faisant sienne la lettre du texte, la Cour d'appel de Dijon(47) a récemment affirmé que le simple fait de pratiquer un avis à tiers détenteur pendant la période suspecte ne faisait pas présumer la connaissance par le créancier de l'état de cessation des paiements.

Refoulant par la même la simple idée d'un régime de présomption, les juges du second degré validèrent les avis à tiers détenteurs pratiqués. En effet, et même si la société débitrice n'avait pas réglé les sommes dues au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, elle ne se trouvait pas nécessairement en état de cessation des paiements dans la mesure où elle avait toujours respecté ses obligations. Et les magistrats d'ajouter que le défaut d'octroi de délai de paiement importe peu. La connaissance de l'état de cessation des paiements doit donc être corroborée par des indices supplémentaires. Il pourra s'agir du non respect d'un moratoire conventionnel(48) ou encore d'un cumul de dettes. La solution dégagée par les magistrats du second degré en matière d'avis à tiers détenteur doit incontestablement être transposée à la saisie-attribution. Déjà auparavant, sous la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967, une jurisprudence avait refusé de déduire du seul recours à des saisies-arrêts la connaissance de l'état de cessation des paiements(49). En l'espèce, un créancier avait fait diligenter plusieurs saisies-arrêts (ancêtre de la saisie-attribution) en vue de récupérer son dû. La Cour d'appel avait déduit du seul recours à ces mesures d'exécution la connaissance du créancier de l'état de cessation des paiements. La Haute juridiction avait censuré l'arrêt déféré en exigeant des circonstances supplémentaires du simple recours à des saisies pour remplir la condition de connaissance.

b) Contrôle

17. Domaine limité. A ce stade du surendettement, la question ne se pose plus guère de savoir si la situation du débiteur permet ou non de laisser une telle voie d'exécution se poursuivre. Ses chances de succès seraient minces de toute façon, le débiteur étant insolvable. Aussi le juge de l'exécution n'a-t-il pas le pouvoir d'opérer un tri entre les procédures d'exécution. S'il donne force exécutoire aux recommandations, l'exercice des procédures d'exécution sera paralysé pour toutes les créances concernées(50).

18. Intensité variable. Le pouvoir de contrôle du juge ne porte donc que sur les recommandations elles-mêmes. Encore le juge(51) n'apprécie-t-il l'ensemble de la situation du débiteur pour prendre lui-même toute ou partie des mesures prévues aux articles L. 331-7 ou L. 331-7-1 du Code de la consommation, que si les recommandations de la commission sont contestées devant lui. Si elles ne sont pas contestées, à l'issue du délai de quinze jours prévu par l'article L. 332-2, il leur confère force exécutoire en ne vérifiant en principe(52) que leur régularité au regard des pouvoirs de la commission et de la procédure suivie. Il ne contrôle à la fois la régularité et le bien fondé de la mesure que lorsque la commission a recommandé l'effacement partiel des dettes(53).
2. Portée

19. La force exécutoire pour empêcher l'exécution. Paradoxalement, la force exécutoire conférée aux recommandations vise donc à interdire aux créanciers de rechercher l'exécution forcée(54). C'est en réalité logique. Il ne faut pas que les créanciers puissent obtenir le règlement de leurs créances dans des conditions contraires aux recommandations, qu'il s'agisse pour eux de poursuivre une vente forcée(55), à titre chirographaire ou en se prévalant d'une sûreté(56), ou d'obtenir le paiement d'une créance saisie(57). Tout au plus ont-ils intérêt, comme le leur permet la jurisprudence, à se faire délivrer un titre exécutoire qu'ils ne pourront utiliser pendant la durée des recommandations(58), mais dont ils se prévaudront éventuellement ensuite, si jamais le débiteur revient à meilleure fortune.

Cette espérance demeure hypothétique. Au contraire, si l'insolvabilité du débiteur devient irrémédiable, l'ouverture d'une procédure de rétablissement personnel va entraî ner, de façon beaucoup plus radicale, la suspension automatique des procédures d'exécution.

II. L'automaticité de la suspension

20. Une procédure vraiment collective. Avec la loi Borloo n° 2003-170 du 1er août 2003 créant, sur le modèle de la faillite civile du droit alsacien-mosellan(59), la procédure de rétablissement personnel qui conduit à l'effacement du passif du débiteur(60), la comparaison entre le droit du surendettement et le droit des procédures collectives prend un autre sens(61). Contrairement à la procédure habituelle de surendettement où il n'existe aucun principe d'égalité des créanciers(62) en cas de rétablissement personnel les créanciers sont tous logés à la même enseigne. Non seulement leurs poursuites individuelles sont suspendues mais il est extrêmement improbable qu'ils puissent les reprendre dès lors qu'est entr'ouverte la liquidation judiciaire du débiteur dont la clôture signifie en principe l'effacement des dettes non professionnelles du débiteur. En d'autres termes le rétablissement personnel substitue aux voies d'exécution individuelles (A) une voie d'exécution collective (B).

A. L'arrêt des voies d'exécution individuelles

21. Théoriquement assimilé à une suspension, l'arrêt des voies d'exécution individuelles équivaut, en pratique, à leur suppression pure et simple.

1. Suspension

22. Toutes ? A l'exception des procédures d'exécution relatives aux dettes alimentaires, exclues par l'article L. 332-6 du Code de la consommation, les procédures d'exécution diligentées par tous les créanciers recensés par les mesures de publicité qu'organisent les textes(63) sont automatiquement suspendues jusqu'à la clôture de la procédure. Le législateur a oublié d'exclure de cette opposabilité générale les dettes pénales : il serait souhaitable que la jurisprudence alignât sur ce point, le rétablissement personnel sur le surendettement ordinaire(64).

Quant à l'identification des créanciers concernés, la modification de la loi Borloo par la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 relative au droit au logement opposable induit une difficulté. Jusqu'alors, la suspension générale et automatique des procédures d'exécution allait du jugement d'ouverture du rétablissement personnel jusqu'à sa clôture. Les créanciers connus, convoqués à l'audience d'ouverture, savaient dès lors à quoi s'en tenir et les autres étaient informés par les mesures de publicité découlant des articles L. 332-7 et R. 332-15 du Code de la consommation. Désormais, le nouvel article L. 331-3-1 du Code de la consommation anticipe, en faisant commencer la suspension dès la saisine du juge de l'exécution, à un moment où tous les créanciers ne sont pas recensés. Cela confère au débiteur qui demande son rétablissement personnel(65) une sorte d'exception de suspension, opposable même dans des procédures qui y échappaient jusqu'à présent. En effet l'article L. 331-3 du Code de la consommation précise que la saisine du juge suspend toutes les « voies d'exécution » (et non, comme l'article L. 332-6, les « procédures d'exécution ») y compris les mesures d'expulsion du logement du débiteur(66).

23. Flottement terminologique. Il paraît donc cohérent de tenir pour synonymes les voies d'exécution au sens de l'article L. 331-3-1 et les procédures d'exécution selon l'article L. 332-6, afin que les mêmes procédures demeurent suspendues de la saisine du juge de l'exécution jusqu'à la clôture du rétablissement personnel, quitte à creuser l'écart avec le surendettement ordinaire puisque l'article L. 331-5 du Code de la consommation, inchangé, n'inclut, lui, toujours pas l'expulsion parmi les procédures sujettes à suspension(67).

3. Suppression

24. A passer par profits et pertes… De toute manière, le rétablissement personnel du débiteur équivaut concrètement, dans la majorité des cas, à la suppression du droit de poursuite individuelle des créanciers. D'une part, la loi Borloo prévoit, sauf relevé de forclusion, l'extinction des créances non déclarées(68), le droit du surendettement conservant, en son état actuel, l'extinction des créances qui, depuis la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, n'est plus prévue en droit des procédures collectives(69).

D'autre part, l'article L. 332-9 du Code de la consommation prévoit de façon drastique, en cas de clôture du rétablissement personnel pour insuffisance d'actif, l'effacement de toutes les dettes non professionnelles, sauf celles dont le prix a été payé aux lieu et place du débiteur par la caution ou le coobligé.

Cela va encore plus loin que la purge des dettes en cas de clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire d'une entreprise, qui, outre l'action récursoire de la caution ou du coobligé, ­comporte une série d'exceptions limitativement énumérées, permettant aux créanciers de retrouver leur droit de poursuite individuelle, en vertu de l'ancien article 169 de la loi du 25 janvier 1985, aujourd'hui repris à l'article L. 643-11 du Code de commerce(70). Il est vrai que ces exceptions jouent rarement en pratique, mais au plan des principes le rétablissement personnel est, à cet égard, une procédure encore plus collective, si l'on ose dire, que la liquidation judiciaire des entreprises.

B. Le déclenchement de la voie d'exécution collective

25. Le rétablissement personnel du débiteur surendetté s'apparente fortement à une saisie collective, à la fois par le rôle du liquidateur et par les formes de la liquidation.

1. Rôle du liquidateur

26. Guère de limites à son pouvoir. Même si le liquidateur doit rendre compte de sa mission au juge de l'exécution(71) et solliciter son autorisation pour certains actes particuliers(72), dès que le liquidateur est nommé par le juge, c'est lui qui tient les rênes de la liquidation, la seule décision importante qui ne lui appartient pas étant la fixation de la mise à prix et des conditions essentielles de vente, qui nécessite un jugement(73).

Ainsi l'article L. 332-8, alinéa 2, du Code de la consommation reprend-il presque mot pour mot la règle du dessaisissement telle qu'elle figure, en matière de liquidation judiciaire des entreprises, à l'article L. 641-9, alinéa 1, du Code de commerce Le jugement qui prononce la liquidation emporte de plein droit dessaisissement du débiteur dont les droits et actions sont exercés par le liquidateur, mais il faut remarquer que cela implique aussi l'exercice plein et entier du pouvoir de réaliser l'actif à la place des créanciers. Le rétablissement personnel ne comporte aucun équivalent de l'article L. 643-2 du Code de commerce qui autorise exceptionnellement la reprise des poursuites par les créanciers hypothécaires ou privilégiés de l'entreprise si le liquidateur n'a pas commencé à liquider les biens grevés dans les trois mois(74).

2. Formes de la liquidation

27. Mimétisme. Quant aux formes de liquidation, la vente des biens du débiteur, qui doit intervenir dans les douze mois, peut être amiable, mais dès lors que le liquidateur procède à la vente forcée, le mimétisme avec les saisies est complet. La vente forcée des meubles a lieu « dans les conditions relatives aux procédures civiles d'exécution »(75). En cas de vente forcée des immeubles, si une saisie immobilière engagée avant le jugement d'ouverture a été suspendue, c'est le liquidateur qui la reprend, les actes effectués par le créancier saisissant étant réputés accomplis pour le compte du liquidateur(76).

28. Effet réel du rétablissement personnel. En définitive, par-delà le dessaisissement du débiteur, le rétablissement personnel semble bien produire ce qu'un auteur appelle l'effet réel de la procédure collective, c'est-à-dire l'équivalent d'une saisie collective du gage commun des créanciers(77). L'emprunt formel aux procédures civiles d'exécution ne saurait masquer le sacrifice complet de celles-ci sur l'autel de l'effacement du passif.