Le sort des procédures civiles d'exécution en cas de surendettement
par Emmanuel PUTMAN
Professeur à l'Université d'Aix-Marseille III
Le
droit du surendettement comporte de nombreux dénominateurs communs avec
le droit des procédures collectives, notamment quant à la suspension
des procédures civiles d'exécution. Toutefois, cette suspension sera
possible ou automatique selon la situation du débiteur surendetté,
contrairement au droit des procédures collectives qui connaît une
règle de portée générale d'automaticité.
I. 06 1. Vers un droit
commun ? Les régimes juridiques des difficultés des entreprises et des
particuliers comportent des dénominateurs communs qui permettent de les
regrouper au sein d'un droit des difficultés économiques(1). L'un de
ces traits de ressemblance est la vocation des procédures civiles
d'exécution diligentées individuellement par les créanciers d'un même
débiteur à céder le pas à la discipline collective du traitement de
l'endettement.
2. Le curseur des difficultés économiques.
Pourtant, jusqu'à une date récente, on ne trouvait pas dans le droit du
surendettement des particuliers, de disposition aussi générale que
l'ancien article L. 621-40, devenu article L. 622-21 du Code de
commerce depuis la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 sur la sauvegarde
des entreprises. On sait qu'en vertu de ce texte l'ouverture de la
procédure de sauvegarde, qui interrompt les poursuites individuelles
des créanciers, « arrête ou interdit également toute voie d'exécution
de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles
»(2). Dans le droit du surendettement, la portée de la suspension des
procédures civiles d'exécution varie selon la gradation des difficultés
du débiteur. Il convient en effet de distinguer deux séries
d'hypothèses, selon que la situation du débiteur est ou non
irrémédiablement compromise.
3. Suspendre pour redresser ou pour
liquider. Lorsque la situation du débiteur surendetté n'est pas
irrémédiablement compromise, la commission de surendettement s'efforce
de concilier le débiteur et ses créanciers pour aboutir à un plan
conventionnel de redressement : à cette fin elle peut demander au juge
de l'exécution de suspendre certaines procédures(3). Même si le plan
échoue, la commission peut formuler des recommandations qui, sous
certaines conditions(4) seront assorties de suspension des procédures
d'exécution(5). Il en va de même lorsque le plan n'est pas envisageable
parce que, sans être irrémédiable, la situation du débiteur le rend
insolvable(6). Dans toutes ces situations, la suspension des procédures
civiles d'exécution est une possibilité mais pas, contrairement à ce
que connaî t le droit des procédures collectives, une règle de portée
générale et automatique.
En revanche la situation
irrémédiablement compromise conduit, depuis la loi Borloo n° 2003-710
du 1er août 2003, au rétablissement personnel du débiteur, véritable
procédure collective débouchant sur une liquidation judiciaire civile.
La ressemblance avec le droit des procédures collectives est alors
frappante : la saisine du juge de l'exécution aux fins de
rétablissement personnel(7) et a fortiori le prononcé du jugement
d'ouverture(8) emportent automatiquement suspension des procédures
d'exécution(9).
L'apparente complexité du sort des procédures
civiles d'exécution se ramène donc à une alternative simple entre la
possibilité (I) et l'automaticité (II) de leur suspension.
I. La possibilité d'une suspension
4.
Les articles L. 331-5 et L. 331-9 du Code de la consommation fondent
la possibilité d'une suspension des procédures civiles d'exécution sur
deux objectifs différents : soit préparer le plan conventionnel de
redressement (A), soit, à défaut de celui-ci, accompagner les
recommandations de la commission de surendettement (B).
A. Suspension préparant le plan
5.
« Si la situation l'exige ». Lorsque la commission de surendettement
œuvre à l'élaboration du plan conventionnel de redressement du débiteur
surendetté, l'éventuelle suspension des procédures d'exécution reste en
lien étroit avec sa finalité qui est de faciliter la préparation du
plan. Exclue pour les dettes qui ont normalement vocation à rester «
hors plan »(10), c'est-à-dire les dettes alimentaires(11) et
pénales(12), la suspension, qui est demandée soit par la commission
elle-même, soit en cas d'urgence par son président, le délégué de
celui-ci, le représentant local de la banque de France ou le débiteur,
la suspension n'est prononcée par le juge de l'exécution que si la
situation du débiteur l'exige, elle n'est opposable qu'aux créanciers
concernés et non pas erga omnes, elle ne demeure acquise, dans la
limite d'un an, que jusqu'à l'approbation du plan conventionnel de
redressement(13).
La généralité des termes visant les procédures
d'exécution est donc trompeuse. Si la demande de suspension peut avoir
un domaine très large, le pouvoir de suspension peut être aussi
sélectif que le juge l'estime opportun.
1. Demande de suspension
6.
Pas tout à fait toutes les procédures. Pour identifier les procédures
d'exécution dont la suspension est susceptible d'être demandée, la
tentation est grande de raisonner par analogie avec le droit des
procédures collectives. L'article L. 622-21 du Code de commerce est en
effet illustré par une abondante jurisprudence, qui a limité sa portée
au moyen de distinctions, également pertinentes en droit du
surendettement. Une double sélection est opérée, selon la nature des
procédures visées et selon leur chronologie.
a) Sélection selon la nature des procédures
7.
Seulement pour des dettes… Pour être éligibles à la suspension, les
procédures d'exécution doivent, comme le formule l'article L. 331-5 du
Code de la consommation, « porter sur des dettes », ce qui conduit la
jurisprudence(14), par imitation de ce qu'elle décide en droit des
procédures collectives(15), à exclure la suspension de la procédure
d'expulsion, qui, à ses yeux, ne porte pas à proprement parler sur une
dette.
8. …Mais pas forcément pour l'exécution des dettes. En
revanche, la demande de suspension n'est pas limitée aux seules
procédures d'exécution forcée des dettes. Elle concerne évidemment
celles-ci, y compris la saisie immobilière dont la suspension, depuis
le 1er janvier 2007, est de la compétence du juge de l'exécution avant
comme après la publication du commandement. Ce juge peut même être
saisi après la fixation de la date de l'adjudication, dont la remise
est possible pour causes graves et dûment justifiées(16).
Mais
la demande de suspension peut aller plus loin et concerner des
procédures qui ne tendent pas par elles-mêmes à l'exécution forcée.
Certes, elle n'englobe pas de simples mesures préalables à l'exécution.
La demande de prorogation d'un commandement de saisie(17), l'action aux
fins de délivrance d'un titre exécutoire dont l'exécution sera différée
pendant la durée du plan(18), ne seront donc pas suspendues. En
revanche, selon la doctrine administrative(19), la mainlevée d'une
saisie conservatoire diligentée avant l'ouverture du surendettement et
pas encore convertie pourra être demandée au juge, le droit des
procédures collectives retenant d'ailleurs une solution analogue(20).
Ce dernier exemple montre aussi l'importance de la chronologie des procédures.
b) Sélection selon la chronologie des procédures
9.
Théorie de l'effet acquis. En principe, les procédures qui ont d'ores
et déjà produit leur effet avant l'ouverture du surendettement ne
peuvent plus être suspendues. Ainsi n'est-il plus possible d'empêcher
le jeu de la clause résolutoire du bail lorsqu'elle est acquise, le
délai applicable après la délivrance du commandement ayant expiré avant
l'ouverture du surendettement(21) ce qui est là encore le décalque du
droit des procédures collectives(22).
10. Divergences ? Dans le
cas où, avant l'ouverture du surendettement, la créance du débiteur sur
un tiers a fait l'objet d'une saisie-attribution ou d'un avis à tiers
détenteur, on sait que, sur le fondement de l'article L. 622-21 du Code
de commerce, l'effet attributif de la voie d'exécution, étant d'ores et
déjà acquis, ne peut plus être remis en question par l'ouverture
ultérieure d'une procédure collective(23). Pourtant, en matière de
surendettement, un arrêt donne au juge de l'exécution le pouvoir de
suspendre une mesure d'exécution en cours diligentée pour le
recouvrement d'une dette fiscale, alors qu'il s'agissait en l'espèce
d'un avis à tiers détenteur antérieur au surendettement(24). Néanmoins,
le rapprochement avec un arrêt antérieur autorise une conciliation de
ces décisions de prime abord divergentes. En effet, si la Cour de
cassation refuse la mainlevée de la saisie-attribution dont l'effet
attributif s'est produit avant l'ouverture du surendettement, elle en
autorise la suspension(25).
En d'autres termes, si l'effet
attributif acquis est conservé, le créancier saisissant ne pourra
obtenir le paiement tant que durera la suspension(26). En tout cas, le
pouvoir donné au juge de suspendre même la saisie-attribution ou l'avis
à tiers détenteur, montre à quel point la suspension est laissée à sa
discrétion.
2. Pouvoir de suspension
11. Comme il plaît au
juge. Sur le fondement de l'article L. 331-5 du Code de la
consommation, l'appréciation souveraine par le juge de l'opportunité de
la suspension confine en théorie au pouvoir discrétionnaire, le régime
des recours contre sa décision le montre bien. Elle peut être contestée
par une demande de rétractation, puisqu'il s'agit d'une ordonnance sur
requête(27). Mais l'ordonnance par laquelle le juge rejette la demande
de rétractation ne peut être frappée de pourvoi en cassation(28) et dès
l'instant où il a accordé ne serait-ce que la suspension d'une voie
d'exécution, sa décision n'est pas susceptible d'appel(29). Il est vrai
que les commissions, en demandant en pratique au juge les mesures
qu'elles savent adéquates, évitent bien des refus…
Si la
suspension des procédures d'exécution afin de préparer le plan est
facultative pour le juge, on se rapproche d'une compétence liée lorsque
la suspension est destinée à accompagner les recommandations de la
commission de surendettement.
B. Suspension accompagnant les recommandations
12.
De la renonciation volontaire à la suspension autoritaire. Il va de soi
que les créanciers parties au plan conventionnel de redressement – les
seuls auxquels il soit opposable – renoncent à leur droit de poursuite
tant que le plan s'exécute, ce qui peut d'ailleurs résulter d'une
clause expresse de renonciation(30). En revanche si l'élaboration du
plan n'aboutit pas(31) ou si le débiteur s'avère insolvable(32) cette
renonciation volontaire par les créanciers aux poursuites devient
improbable, alors même que tout espoir de réaménagement de la situation
du débiteur n'est pas encore perdu.
Or, parmi les
recommandations que la commission de surendettement peut alors faire à
la demande du débiteur(33) certaines ont nécessairement pour corollaire
la suspension du droit de poursuite des créanciers visés(34),
puisqu'elles rééchelonnent ou diffèrent le paiement de leurs créances,
l'article L. 331-7 du Code de la consommation envisageant des
rééchelonnements ou reports de longue durée(35), l'article L. 331-7-1
du code précité permettant une suspension d'exigibilité plus brève(36).
A défaut d'adhésion des intéressés, l'effectivité des recommandations
nécessite un mécanisme autoritaire de suspension de l'exécution de
leurs créances, dont l'article L. 331-9 du même code précise les
modalités et la portée.
1. Modalités
13. Les modalités de la
suspension accompagnant les recommandations sont particulières, qu'il
s'agisse des délais ou du contrôle de cette suspension.
a) Délais
14.
Combinaison de suspensions. La mission de conciliation de la commission
ayant échoué, celle-ci en avise les créanciers et le débiteur, qui,
dans un premier temps, peut bénéficier de la prorogation de la
suspension des mesures d'exécution, précédemment ordonnée par le juge
de l'exécution sur le fondement de l'article L. 331-5 du Code de la
consommation. Cette suspension se prolonge en effet pendant le délai de
quinze jours dont dispose le débiteur pour saisir la commission(37),
puis, si la commission est effectivement saisie, durant le délai de
deux mois qu'elle a pour rendre son avis(38) et jusqu'à ce que le juge
de l'exécution ait conféré force exécutoire aux recommandations.
Cela
peut prendre encore quinze jours si aucune contestation n'est élevée
contre l'avis de la commission(39) et au moins quinze jours de plus
si le juge doit vider une telle contestation(40), davantage si sa
décision fait l'objet d'un appel(41) auquel cas c'est la cour d'appel
elle-même qui aura le pouvoir de prendre les mesures visées aux
articles L. 331-7 et L. 331-7-1(42) du code précité.
Une fois les
recommandations devenues exécutoires, la suspension d'exécution
découlant de l'article L. 331-5 du Code de la consommation épuise son
effet, mais celle résultant de l'article L. 331-9 prend le relais. Or
elle empêche les créanciers auxquels les recommandations sont
opposables d'exercer des procédures d'exécution à l'encontre des biens
du débiteur pendant toute la durée d'exécution des mesures les
concernant. Or ces mesures peuvent aller jusqu'à dix ans sur le
fondement de l'article L. 331-7(43).
Quant au moratoire de deux ans
prévu par l'article L. 331-7-1 il peut ne pas constituer un délai
couperet. En effet trente jours avant qu'il s'achève, la commission
enclenche une procédure de réexamen de la situation du débiteur et, si
cette situation le permet, elle peut mettre en œuvre les
recommandations de l'article L. 331-7(44).
15. Stratégies. On
voit que le jeu cumulé des délais oblige les créanciers à une vigilance
particulière afin, par exemple, de ne pas omettre de renouveler en
temps utile les inscriptions de sûretés sur le patrimoine du débiteur.
En effet, s'ils laissent dépérir ces sûretés, non seulement ils
diminuent les chances de recouvrement le jour où ils retrouvent enfin
leur droit de poursuite, mais ils risquent de se voir opposer l'article
2314 du Code civil(45) par les cautions du débiteur. Les cautions ne
peuvent pas invoquer pour elles-mêmes le bénéfice du plan conventionnel
de redressement ou des recommandations(46) mais rien ne leur interdit
de se prévaloir de la cause de décharge (bénéfice dit de subrogation)
résultant de la perte, par le fait du créancier, des sûretés dans
lesquelles elles auraient pu être subrogées.
16. Néanmoins, et
fort heureusement, il ne semble pas que ce soit dans cette voie que
semble s'engouffrer les magistrats. Au regard des premières décisions
rendues sous l'empire de l'article L. 632-2 du Code de commerce, la
jurisprudence entend apprécier strictement les conditions de l'article
précité.
Faisant sienne la lettre du texte, la Cour d'appel de
Dijon(47) a récemment affirmé que le simple fait de pratiquer un avis à
tiers détenteur pendant la période suspecte ne faisait pas présumer la
connaissance par le créancier de l'état de cessation des paiements.
Refoulant par la même la simple idée d'un régime de présomption, les
juges du second degré validèrent les avis à tiers détenteurs pratiqués.
En effet, et même si la société débitrice n'avait pas réglé les sommes
dues au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, elle ne se trouvait pas
nécessairement en état de cessation des paiements dans la mesure où
elle avait toujours respecté ses obligations. Et les magistrats
d'ajouter que le défaut d'octroi de délai de paiement importe peu. La
connaissance de l'état de cessation des paiements doit donc être
corroborée par des indices supplémentaires. Il pourra s'agir du non
respect d'un moratoire conventionnel(48) ou encore d'un cumul de
dettes. La solution dégagée par les magistrats du second degré en
matière d'avis à tiers détenteur doit incontestablement être transposée
à la saisie-attribution. Déjà auparavant, sous la loi n° 67-563 du 13
juillet 1967, une jurisprudence avait refusé de déduire du seul recours
à des saisies-arrêts la connaissance de l'état de cessation des
paiements(49). En l'espèce, un créancier avait fait diligenter
plusieurs saisies-arrêts (ancêtre de la saisie-attribution) en vue de
récupérer son dû. La Cour d'appel avait déduit du seul recours à ces
mesures d'exécution la connaissance du créancier de l'état de cessation
des paiements. La Haute juridiction avait censuré l'arrêt déféré en
exigeant des circonstances supplémentaires du simple recours à des
saisies pour remplir la condition de connaissance.
b) Contrôle
17.
Domaine limité. A ce stade du surendettement, la question ne se pose
plus guère de savoir si la situation du débiteur permet ou non de
laisser une telle voie d'exécution se poursuivre. Ses chances de succès
seraient minces de toute façon, le débiteur étant insolvable. Aussi le
juge de l'exécution n'a-t-il pas le pouvoir d'opérer un tri entre les
procédures d'exécution. S'il donne force exécutoire aux
recommandations, l'exercice des procédures d'exécution sera paralysé
pour toutes les créances concernées(50).
18. Intensité variable.
Le pouvoir de contrôle du juge ne porte donc que sur les
recommandations elles-mêmes. Encore le juge(51) n'apprécie-t-il
l'ensemble de la situation du débiteur pour prendre lui-même toute ou
partie des mesures prévues aux articles L. 331-7 ou L. 331-7-1 du Code
de la consommation, que si les recommandations de la commission sont
contestées devant lui. Si elles ne sont pas contestées, à l'issue du
délai de quinze jours prévu par l'article L. 332-2, il leur confère
force exécutoire en ne vérifiant en principe(52) que leur régularité au
regard des pouvoirs de la commission et de la procédure suivie. Il ne
contrôle à la fois la régularité et le bien fondé de la mesure que
lorsque la commission a recommandé l'effacement partiel des dettes(53).
2. Portée
19.
La force exécutoire pour empêcher l'exécution. Paradoxalement, la force
exécutoire conférée aux recommandations vise donc à interdire aux
créanciers de rechercher l'exécution forcée(54). C'est en réalité
logique. Il ne faut pas que les créanciers puissent obtenir le
règlement de leurs créances dans des conditions contraires aux
recommandations, qu'il s'agisse pour eux de poursuivre une vente
forcée(55), à titre chirographaire ou en se prévalant d'une sûreté(56),
ou d'obtenir le paiement d'une créance saisie(57). Tout au plus ont-ils
intérêt, comme le leur permet la jurisprudence, à se faire délivrer un
titre exécutoire qu'ils ne pourront utiliser pendant la durée des
recommandations(58), mais dont ils se prévaudront éventuellement
ensuite, si jamais le débiteur revient à meilleure fortune.
Cette
espérance demeure hypothétique. Au contraire, si l'insolvabilité du
débiteur devient irrémédiable, l'ouverture d'une procédure de
rétablissement personnel va entraî ner, de façon beaucoup plus
radicale, la suspension automatique des procédures d'exécution.
II. L'automaticité de la suspension
20.
Une procédure vraiment collective. Avec la loi Borloo n° 2003-170 du
1er août 2003 créant, sur le modèle de la faillite civile du droit
alsacien-mosellan(59), la procédure de rétablissement personnel qui
conduit à l'effacement du passif du débiteur(60), la comparaison entre
le droit du surendettement et le droit des procédures collectives prend
un autre sens(61). Contrairement à la procédure habituelle de
surendettement où il n'existe aucun principe d'égalité des
créanciers(62) en cas de rétablissement personnel les créanciers sont
tous logés à la même enseigne. Non seulement leurs poursuites
individuelles sont suspendues mais il est extrêmement improbable qu'ils
puissent les reprendre dès lors qu'est entr'ouverte la liquidation
judiciaire du débiteur dont la clôture signifie en principe
l'effacement des dettes non professionnelles du débiteur. En d'autres
termes le rétablissement personnel substitue aux voies d'exécution
individuelles (A) une voie d'exécution collective (B).
A. L'arrêt des voies d'exécution individuelles
21.
Théoriquement assimilé à une suspension, l'arrêt des voies d'exécution
individuelles équivaut, en pratique, à leur suppression pure et simple.
1. Suspension
22.
Toutes ? A l'exception des procédures d'exécution relatives aux dettes
alimentaires, exclues par l'article L. 332-6 du Code de la
consommation, les procédures d'exécution diligentées par tous les
créanciers recensés par les mesures de publicité qu'organisent les
textes(63) sont automatiquement suspendues jusqu'à la clôture de la
procédure. Le législateur a oublié d'exclure de cette opposabilité
générale les dettes pénales : il serait souhaitable que la
jurisprudence alignât sur ce point, le rétablissement personnel sur le
surendettement ordinaire(64).
Quant à l'identification des créanciers
concernés, la modification de la loi Borloo par la loi n° 2007-290 du 5
mars 2007 relative au droit au logement opposable induit une
difficulté. Jusqu'alors, la suspension générale et automatique des
procédures d'exécution allait du jugement d'ouverture du rétablissement
personnel jusqu'à sa clôture. Les créanciers connus, convoqués à
l'audience d'ouverture, savaient dès lors à quoi s'en tenir et les
autres étaient informés par les mesures de publicité découlant des
articles L. 332-7 et R. 332-15 du Code de la consommation. Désormais,
le nouvel article L. 331-3-1 du Code de la consommation anticipe, en
faisant commencer la suspension dès la saisine du juge de l'exécution,
à un moment où tous les créanciers ne sont pas recensés. Cela confère
au débiteur qui demande son rétablissement personnel(65) une sorte
d'exception de suspension, opposable même dans des procédures qui y
échappaient jusqu'à présent. En effet l'article L. 331-3 du Code de la
consommation précise que la saisine du juge suspend toutes les « voies
d'exécution » (et non, comme l'article L. 332-6, les « procédures
d'exécution ») y compris les mesures d'expulsion du logement du
débiteur(66).
23. Flottement terminologique. Il paraît donc
cohérent de tenir pour synonymes les voies d'exécution au sens de
l'article L. 331-3-1 et les procédures d'exécution selon l'article L.
332-6, afin que les mêmes procédures demeurent suspendues de la saisine
du juge de l'exécution jusqu'à la clôture du rétablissement personnel,
quitte à creuser l'écart avec le surendettement ordinaire puisque
l'article L. 331-5 du Code de la consommation, inchangé, n'inclut, lui,
toujours pas l'expulsion parmi les procédures sujettes à suspension(67).
3. Suppression
24.
A passer par profits et pertes… De toute manière, le rétablissement
personnel du débiteur équivaut concrètement, dans la majorité des cas,
à la suppression du droit de poursuite individuelle des créanciers.
D'une part, la loi Borloo prévoit, sauf relevé de forclusion,
l'extinction des créances non déclarées(68), le droit du surendettement
conservant, en son état actuel, l'extinction des créances qui, depuis
la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, n'est plus prévue en droit des
procédures collectives(69).
D'autre part, l'article L. 332-9 du
Code de la consommation prévoit de façon drastique, en cas de clôture
du rétablissement personnel pour insuffisance d'actif, l'effacement de
toutes les dettes non professionnelles, sauf celles dont le prix a été
payé aux lieu et place du débiteur par la caution ou le coobligé.
Cela
va encore plus loin que la purge des dettes en cas de clôture pour
insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire d'une entreprise,
qui, outre l'action récursoire de la caution ou du coobligé, comporte
une série d'exceptions limitativement énumérées, permettant aux
créanciers de retrouver leur droit de poursuite individuelle, en vertu
de l'ancien article 169 de la loi du 25 janvier 1985, aujourd'hui
repris à l'article L. 643-11 du Code de commerce(70). Il est vrai que
ces exceptions jouent rarement en pratique, mais au plan des principes
le rétablissement personnel est, à cet égard, une procédure encore plus
collective, si l'on ose dire, que la liquidation judiciaire des
entreprises.
B. Le déclenchement de la voie d'exécution collective
25.
Le rétablissement personnel du débiteur surendetté s'apparente
fortement à une saisie collective, à la fois par le rôle du liquidateur
et par les formes de la liquidation.
1. Rôle du liquidateur
26.
Guère de limites à son pouvoir. Même si le liquidateur doit rendre
compte de sa mission au juge de l'exécution(71) et solliciter son
autorisation pour certains actes particuliers(72), dès que le
liquidateur est nommé par le juge, c'est lui qui tient les rênes de la
liquidation, la seule décision importante qui ne lui appartient pas
étant la fixation de la mise à prix et des conditions essentielles de
vente, qui nécessite un jugement(73).
Ainsi l'article L. 332-8,
alinéa 2, du Code de la consommation reprend-il presque mot pour mot la
règle du dessaisissement telle qu'elle figure, en matière de
liquidation judiciaire des entreprises, à l'article L. 641-9, alinéa 1,
du Code de commerce Le jugement qui prononce la liquidation emporte de
plein droit dessaisissement du débiteur dont les droits et actions sont
exercés par le liquidateur, mais il faut remarquer que cela implique
aussi l'exercice plein et entier du pouvoir de réaliser l'actif à la
place des créanciers. Le rétablissement personnel ne comporte aucun
équivalent de l'article L. 643-2 du Code de commerce qui autorise
exceptionnellement la reprise des poursuites par les créanciers
hypothécaires ou privilégiés de l'entreprise si le liquidateur n'a pas
commencé à liquider les biens grevés dans les trois mois(74).
2. Formes de la liquidation
27.
Mimétisme. Quant aux formes de liquidation, la vente des biens du
débiteur, qui doit intervenir dans les douze mois, peut être amiable,
mais dès lors que le liquidateur procède à la vente forcée, le
mimétisme avec les saisies est complet. La vente forcée des meubles a
lieu « dans les conditions relatives aux procédures civiles d'exécution
»(75). En cas de vente forcée des immeubles, si une saisie immobilière
engagée avant le jugement d'ouverture a été suspendue, c'est le
liquidateur qui la reprend, les actes effectués par le créancier
saisissant étant réputés accomplis pour le compte du liquidateur(76).
28.
Effet réel du rétablissement personnel. En définitive, par-delà le
dessaisissement du débiteur, le rétablissement personnel semble bien
produire ce qu'un auteur appelle l'effet réel de la procédure
collective, c'est-à-dire l'équivalent d'une saisie collective du gage
commun des créanciers(77). L'emprunt formel aux procédures civiles
d'exécution ne saurait masquer le sacrifice complet de celles-ci sur
l'autel de l'effacement du passif.