
Le droit de préemption du preneur en place
Un
propriétaire bailleur qui souhaite vendre une parcelle agricole occupée
par un fermier pense bien souvent qu’il suffit de donner congé à ce
dernier pour pouvoir procéder à la vente d’une terre libre. Il ne fait
pas de doute que la vente d’une terre libre de tout preneur se fera à
meilleur prix pour le bailleur. Cependant, ce raisonnement va à
l’encontre des principes d’ordre public édictés par le Code rural.
Le
régime spécifique du bail rural ne permet pas au bailleur, sauf accord
amiable des parties, de donner congé au preneur dans le but unique de
vendre sa parcelle. En effet, ce congé serait considéré par les juges
comme non fondé puisque parmi la liste exhaustive des motifs pour
lesquels le bailleur peut donner congé au preneur en place, ne figure
pas le "congé pour cause de mise en vente".
Si le propriétaire ne
peut évincer le preneur pour vendre sa parcelle, il ne s’agit pas de
lui interdire de vendre sa parcelle, ce qui serait une atteinte à son
droit de propriété. L’opération sera simplement encadrée dans la mesure
où le fermier en place deviendra un interlocuteur privilégié par
l’intermédiaire de l’exercice du droit de préemption dont il bénéficie
sur la parcelle qu’il exploite.
Modalités d’exercice
Le
bailleur (en pratique, son notaire) doit informer le preneur de son
intention de mettre en vente la parcelle qu’il occupe. Cette
information doit se faire nécessairement par lettre recommandée avec
demande d’avis de réception ou par acte d’huissier.
Cette
notification précise le prix, les charges et les conditions de la vente
projetée. Elle vaut offre de vente aux prix et conditions qui y sont
contenus.
A compter de cette notification, le preneur dispose d’un
délai de deux mois pour accepter ou refuser l’offre. Si le preneur ne
se manifeste pas dans ce délai qui lui est imparti, on considère qu’il
n’est pas intéressé par l’achat. A l’inverse, le fermier intéressé par
l’achat doit faire connaître sa réponse par lettre recommandée avec
demande d’avis de réception ou par acte d’huissier. Cependant, et
contrairement à la notification préalable que doit faire le bailleur,
cette formalité n’est pas prescrite; c’est-à-dire que dans la pratique,
une réponse verbale ou une simple lettre adressée au bailleur ne sera
pas considérée comme nulle. La seule obligation pour lui est de
préciser s’il entend exercer son droit de préemption pour son propre
compte ou pour celui d’un de ses descendants ou de son conjoint.
Dans
l’hypothèse où le preneur conteste le prix de la vente, il doit, en
même temps qu’il saisit le Tribunal paritaire des baux ruraux, notifier
au bailleur qu’il entend se porter acquéreur de ladite parcelle, mais
sous réserve d’une modification judiciaire du prix et de ses
conditions. Dans ce cas, les juges fixent la valeur vénale des terres
après expertise et enquête.
A l’issue du jugement, les parties
restent libres de procéder à l’opération de vente. Le bailleur peut
retirer son bien de la vente s’il n’est pas satisfait de la décision
judiciaire. Cependant, il demeure lié par ce jugement puisqu’il ne
pourra vendre à mieux - offrant. De son côté, le preneur a le choix
entre accepter le prix de la vente ainsi fixé et renoncer à l’achat.
Dans cette dernière hypothèse, le bailleur pourra alors vendre la
parcelle à un tiers mais au prix fixé par le tribunal.
En tout état de cause, le preneur ne sera en principe jamais tenu de quitter les lieux.
Les entorses à l’exercice du droit de préemption par le preneur
Si le droit de préemption du fermier en place est d’ordre public, il souffre de quelques exceptions.
Ainsi,
les donations (à moins que le preneur ne prouve qu’il s’agisse d’une
donation déguisée) ou les mutations entre proches parents sont des
opérations qui écartent le droit de préemption du preneur. De la même
façon, les biens faisant l’objet d’une préemption en matière
d’urbanisme, ou les aliénations consenties par une collectivité
publique bailleresse à un organisme ayant un but d’intérêt public si
les biens vendus sont nécessaires à la réalisation de l’objectif
poursuivi par l’organisme acquéreur, priment le droit de préemption du
preneur.
Hormis ces cas où le preneur ne peut faire valoir son
droit, le Code rural prévoit des sanctions en cas d’inobservation par
le bailleur du droit de préemption du preneur en place.
Sanctions encourues
Deux types d’action en nullité sont prévus :
-
si le propriétaire a vendu son fonds à un tiers avant l’expiration du
délai exigé ou à un autre prix que celui fixé, le preneur lésé peut
demander au Tribunal paritaire des baux ruraux qu’il annule la vente et
qu’il soit déclaré acquéreur au lieu et place du tiers.
- dans
toutes les autres hypothèses, l’action en nullité engagée par le
preneur lésé ne lui permet pas de se substituer à l’acquéreur.
Qui peut prétendre au droit de préemption ?
Le
droit de préemption du preneur à bail est un droit bien connu des
fermiers. Cependant, et contrairement à certaines idées reçues, il
n’est pas automatique. Il n’est pas rare en effet que le fermier
découvre lors de la mise en vente des parcelles qu’il exploite, que le
droit de préemption n’est pas toujours un droit acquis.
Toutes les ventes ne sont pas soumises au droit de préemption
L’exercice
du droit de préemption est exclu de toutes les ventes où l’acquéreur
est un parent ou un allié du propriétaire jusqu’au troisième degré.
Concrètement, cela signifie qu’un propriétaire peut vendre les biens
loués à son neveu par alliance ; le preneur étant alors écarté de son
droit de priorité.
Le preneur à bail conserve cependant son droit
s’il a lui même cette qualité, c’est à dire s’il est lui même parent ou
allié du propriétaire. Cela signifie que même si son lien de parenté
est moins proche que celui de l’acheteur initial (ex : le preneur est
le neveu du propriétaire et l’acheteur initial est son fils), il
conserve son droit de préemption.
Tous les preneurs à bail n’ont pas la qualité pour préempter
Le preneur est déjà propriétaire d’une certaine superficie
Ce
principe est souvent méconnu; si le preneur est déjà propriétaire de
plus de trois S.M.I., il ne pourra pas exercer son droit de
préemption. Ce seuil représente 66 ha dans le Bocage, 75 ha dans le
Bessin et le Pays d’Auge et 99 ha dans la Plaine de Caen.
Le preneur est exploitant agricole depuis moins de 3 ans
Le
code rural exige que le preneur soit exploitant agricole depuis au
moins 3 ans pour pouvoir exercer ce droit. Cela ne signifie pas qu’il
doive nécessairement exploiter le fonds agricole mis en vente depuis 3
ans au moins. C’est ici l’expérience professionnelle du preneur en tant
que chef d’exploitation qui est un des facteurs déclenchant du droit de
préemption. Cette activité agricole ne doit pas obligatoirement être
exercée de façon exclusive; le droit de préemption est ouvert aux
pluriactifs.
Le fonds agricole n’a été exploité ni par le preneur ni par un membre de sa famille
Si
le preneur ne doit pas nécessairement avoir exploité directement
le bien mis en vente, il faut qu’un membre de sa famille ait exploité
le fonds (frère, mère, grands-parents..).
Le preneur ne peut s’engager à exploiter ou faire exploiter le bien pendant 9 ans
Le
preneur qui préempte s’engage en effet à exploiter le bien ainsi acquis
pendant au moins 9 ans. Durant ce délai, il ne peut donc (sauf cas de
force majeure) vendre, donner ou louer les biens ainsi
achetés.
Si le preneur le souhaite ou s’il sait qu’il ne pourra pas
remplir cette obligation d’exploitation, il peut préempter au
profit d’un descendant ou même subroger ce dernier dans l’exercice de
son droit de préemption (c’est alors le descendant qui préempte
directement). Dans ces deux derniers cas, le descendant doit remplir
les mêmes conditions personnelles que celles exigées par tout preneur
pour pouvoir préempter (justifier de l’expérience professionnelle
nécessaire, ne pas être propriétaire de plus de 3 S.M.I….).
En outre, le bail détenu par le preneur initial devra être résilié.
Le preneur n’a plus la qualité de preneur en place
Le
droit de préemption est un droit inhérent au contrat de bail. En
conséquence, il tombe automatiquement à la résiliation du bail rural.
Que faire quand le preneur ne peut préempter ?
Si
le preneur ne peut exercer son droit pour une ou plusieurs des raisons
énoncées ci-dessus, cela ne signifie pas qu’il ne peut acquérir les
biens agricoles qu’il loue.
Le droit de préemption est en effet la
faculté donnée au preneur de se substituer à l’acheteur initial. Si
l’acheteur initial est l’exploitant en place, il n’y a pas à proprement
parler de préemption et, partant, pas de conditions spécifiques à
remplir.