LE DROIT D'OPPOSITION ACCORDÉ AUX CRÉANCIERS EN MATIÈRE DE PARTAGE

 

 

Une opposition à partage peut se révéler judicieuse lorsqu'un héritier étant insolvable, il existe un risque de fraude qui consiste à attribuer à cet héritier des actifs faciles à dissimuler (liquidités) pour les soustraire aux poursuites des créanciers. La fraude peut aussi être mise en oeuvre par l'attribution de biens moins importants que ceux auxquels le copartageant a droit avec versement occulte d'une soulte.

 

C'est l'article 882 du code civil qui permet cette mesure préventive qui présente un caractère conservatoire.

 

Tout créancier du copartageant peut s'opposer à ce que le partage d'une succession, d'une communauté conjugale et même de l'indivision qui résulte de la dissolution d'une société soit fait hors de sa présence.

 

Si la cour de cassation permet l'exercice d'une opposition dans tous les partages, il faut qu'il s'agisse d'un véritable partage, ce qui n'est pas le cas si l'indivision est relative à un bien unique acheté en commun.

 

En effet, quand la copropriété est dénouée par la cession faite par l'un des copropriétaires à l'autre de sa part dans le bien commun, l'opération est en réalité une vente et non un partage.

 

Le créancier du copartageant a le droit d'intervenir au partage à ses frais, du moment que sa créance est certaine dans son principe (elle n'a pas besoin d'être liquide et exigible). La justification d'un intérêt légitime suffit pour invoquer l'article 882 du code civil.

 

Sans opposition préalable, il n'est pas permis d'attaquer un partage consommé même fait en fraude des droits des créanciers : l'action paulienne est fermée, sauf si le partage incriminé est fictif ou simulé ou réalisé avec une précipitation frauduleuse ou même quand le titre du créancier est postérieur au partage si le fait qui lui a donné naissance est antérieur : concert frauduleux entre époux).

 

Par exemple, il existera une précipitation calculée si le partage a été effectué en cinq semaines après un jugement de condamnation. Le caractère frauduleux ou non est apprécié souverainement par les juges du fond. Ainsi, les magistrats ont pu décider qu'il n'existait ni précipitation ni simulation quand le partage a été réalisé plus d'un an après le changement homologué d'un régime matrimonial régulièrement publié.

 

De même, on ne saurait parier de précipitation frauduleuse quand un clerc de notaire, mandataire des créanciers, était au courant du partage convenu par une lettre du notaire chargé dudit partage et dont il lui avait été communiqué le texte.

 

Les créanciers du défunt ne peuvent profiter des dispositions de l'article 882 du code civil.

 

Ainsi, les créanciers de la succession ne peuvent s'opposer au partage, sauf si la succession a été acceptée purement et simplement et si les créanciers de la succession sont devenus créanciers personnels des héritiers.

 

Un tiers qui a acquis de l'un des héritiers pendant l'indivision des droits réels sur un immeuble héréditaire a droit de faire opposition parce qu'il a intérêt à surveiller la régularité des opérations.

 

Rappelons que les créanciers héréditaires ne sont pas désarmés : ils ont un droit de gage sur le patrimoine du "de cujus" et peuvent faire saisir jusqu'au partage tous les biens du défunt et se payer sur le prix de vente sans avoir à demander la séparation des patrimoines.

 

L'opposition doit être connue de tous les copartageants (et non du seul débiteur). Elle peut être faite jusqu'à l'achèvement du partage (attribution avec date certaine des lots à chacun des ayants-droit). L'opposition est formulée sans forme particulière (une lettre recommandée adressée au notaire a été admise -) mais elle est ordinairement régularisée par acte d'huissier de justice qui doit indiquer de manière certaine la volonté du requérant de concourir au partage. L'acte peut être signifié au notaire chargé de la liquidation et qui est mandataire des héritiers. Il est certainement préférable de signifier à chacun des héritiers à personne ou à défaut à domicile réel et de dénoncer l'opposition au notaire chargé de rédiger l'acte de partage, ce qui est plus conforme aux articles 654 et suivants N.C.P.C.

 

En tout cas, l'opposition à partage n'est pas assimilable à une saisie-arrêt et on ne peut lui en appliquer les formalités et les règles. Cette observation vaut au point de vue tarif des huissiers de justice.

 

Sans aucun titre et sans autorisation judiciaire, un huissier de justice ne doit pas signifier un acte tendant à s'opposer formellement au versement par un époux divorcé à son ex-épouse, de toute somme (soulte) à la suite du partage de communauté intervenu, jusqu'à la conclusion d'un accord concernant la propriété d'un terrain et de la construction édifiée sur celui-ci. Il s'agissait d'une véritable vole de fait constituée par une saisie arrêt déguisée en opposition à partage, a estimé le tribunal de grande instance de Créteil, le 15 novembre 1979 (Gaz. Pal. 1981, 495).

 

Une opposition à partage peut revêtir d'autres formes légales, notamment elle résulte

 

- d'une demande en partage, faite en justice, formée par le créancier d'un héritier quand l'assignation a été délivrée aux héritiers

 

- d'une saisie immobilière des biens héréditaires signifiée à tous les héritiers

 

- d'une saisie-arrêt dénoncée à tous les héritiers si elle est faite de façon explicite.

 

- de la réquisition d'une apposition de scellés ou de l'opposition à la levée de scellés ;

 

- de la convention passée par un héritier avec son créancier, de ne pas procéder au partage en l'absence de celui-ci, avec dénonciation aux autres cohéritiers du débiteur.

 

L'opposition ne profite qu'à son auteur et le créancier pourra

 

a) Intervenir au partage pour surveiller la régularité des opérations : il doit y être appelé. Le notaire rédacteur de l'acte de partage veillera à faire délivrer, par ministère d'huissier de justice, au créancier opposant une sommation d'assister à la clôture de l'état liquidatif pour y contredire éventuellement.

 

L'acte doit être efficace, aussi ne pas le délivrer à domicile élu deux jours avant l'opération.

 

b) Attaquer par action paulienne un partage consommé, amiable ou judiciaire, s'il a été procédé sans le créancier au préjudice d'une opposition formée (établir le préjudice : Cass. Req., 22 décembre 1869 : D.P. 1870, 1, 253 - il est admis que l'opposant est dispensé de prouver la fraude dont l'existence est présumée du fait du partage fait en dehors de sa présence, article 1352 C. Civ., Colmar, 21 février 1930).

 

Dans l'assignation, le créancier demandera la révocation du partage.

 

Cependant, le créancier sera déchu de ce droit bien qu'ayant formé opposition au partage, quand il y a été régulièrement appelé et s'est volontairement abstenu d'y intervenir (Cass., Ire Civ., Il janvier 1955 : D. 1955, 43). Et à plus forte raison quand le créancier était présent au partage, ce dernier n'est pas attaquable sur le fondement de l'article 882 du code civil, quand il a été régulièrement accepté et signé par toutes les parties en cause.

 

Il faut noter que le créancier bénéficie de l'action en rescision du partage pour cause de lésion de plus du quart de la valeur de la part, par voie oblique du chef du débiteur (prescription quinquénnale à compter du jour de l'acte lésionnaire, art. 1304 C. Civ.).

 

Quand le créancier se prévaut de l'article 882, il ne peut pas imposer sa volonté aux parties, il peut seulement contrôler l'égalité des lots et non faire fixer à sa guise la consistance de ceux-ci. Le créancier ne peut pas avoir plus de droits dans la succession que n'en aurait son débiteur en l'absence de fraude.

 

L'opposant ne pourrait pas demander, en référé, la désignation d'un administrateur chargé de gérer la succession et d'une simple mission d'investigation, mais le magistrat peut commettre un expert avec pour mission de déterminer si l'évaluation des biens partagés aboutit à attribuer à un copartageant une part inférieure à celle qui aurait dû lui revenir .

 

 

Ainsi, l'on peut se rendre compte que si l'opposition n'empêche pas le partage, ellr met obstacle à ce que l'héritier débiteur dispose de tout ou partie de ses droits dans h~ succession tant que la liquidation et le partage ne sont pas définitivement arrêtés avec les opposants. Mais après le partage, l'opposant n'a aucun privilège ou droit de préférence sur les biens mi dans le lot de son débiteur ; l'attribution est faite au copartageants aux-mêmes et non pas à leurs créanciers qui ne peuvent prétendre directement à une attribution personnelle.

 

La vigilance s'impose quand l'opposition n'est pas un acte détaché.

 

Il appartient à l'huissier de justice du créancier opposant, dès le partage achevé, de pratiquer la voie d'exécution qu'il estime la plus appropriée lorsqu'il a été chargé du  recouvrement.