Le contentieux du crédit à la consommationVincent VIGNEAUConseiller référendaire à la Cour de cassation
Professeur associé à l'université de Versailles Saint Quentin en Yvelines
La
loi du 10 janvier 1978 relative à la protection du consommateur dans le
domaine du crédit à la consommation a entendu, en son article 37,
soumettre les litiges nés de son application à des règles de procédure
dérogatoires du droit commun. Après bien des incertitudes et
modifications législatives, ce texte, recodifié à l'article L 311-37 du
Code de la consommation, impose désormais aux prêteurs qui agissent en
paiement contre leur emprunteur d'introduire leur action devant le
tribunal d'instance dans le délai de deux ans qui suit l'évènement qui
lui a donné naissance, et ce, à peine de forclusion. Bien que bref et
d'apparence simple, cet article a suscité d'importantes controverses
doctrinales et jurisprudentielles qui ont été pour le praticien et le
consommateur source d'insécurité juridique. C'est pourquoi il est
apparu nécessaire, plus de 25 ans après sa promulgation, de dresser une
synthèse des règles de procédure applicables au contentieux du crédit à
la consommation.
I. 05 1. Sur les 113,4 milliards d'euros que
représente chaque année le crédit à la consommation(1) 10 % rencontrent
des incidents de paiement. Si 80 % d'entre eux sont réglés amiablement,
20 %, soit 2 % de l'encours total, aboutissent à un contentieux devant
une juridiction.
C'est dire l'importance que revêt, pour les
acteurs du monde judiciaire que sont les juges et leurs greffiers, les
avocats et les huissiers de justice, l'étude des spécificités
procédurales de ce contentieux, que celui-ci résulte de la défaillance
de l'emprunteur dans l'exécution de ses obligations contractuelles ou
du non respect par le prêteur des exigences de formes imposées par la
loi.
Le législateur de 1978 a entendu soustraire les litiges nés
de l'application de la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 (dite « Loi
Scrivener » du nom du secrétaire d'Etat qui en est l'auteur) relatif à
la protection des consommateurs dans le domaine du crédit à la
consommation, des règles de procédure de droit commun. Il leur a
appliqué un régime spécifique, destiné à la fois à faciliter l'accès à
la justice pour le particulier en regroupant l'ensemble du contentieux
devant le tribunal d'instance, juridiction devant laquelle il est
possible de se défendre sans devoir rémunérer un avocat, et à dissuader
les prêteurs de profiter des difficultés de leurs emprunteurs pour
alourdir leur charge d'intérêt en leur imposant d'agir à bref délai.
Ainsi,
l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978 prévoyait, initialement, que
« le tribunal d'instance connaît des litiges nés de l'application de
la présente loi. Les actions engagées devant lui doivent être formées
dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance ».
Bien
que bref, et d'apparence simple, ce texte a suscité de longues
controverses doctrinales et jurisprudentielles, auxquelles le
législateur a pris part, généralement pour limiter la porté de
l'interprétation que lui avait donné la Cour de cassation, tant sur
l'étendue de la compétence du tribunal d'instance que sur la nature et
les conséquences du délai de deux ans.
Intégré entre-temps, en
1993, dans le Code de la consommation sous l'article L. 311-37, il se
présente désormais sous une forme alourdie par rapport à sa version
initiale :
« Le tribunal d'instance connaît des litiges nés de
l'application du présent chapitre. Les actions en paiement engagées
devant lui à l'occasion de la défaillance de l'emprunteur doivent être
formées dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance à
peine de forclusion.
Lorsque les modalités de règlement des
échéances impayées ont fait l'objet d'un réaménagement ou d'un
rééchelonnement, le point de départ du délai de forclusion est le
premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement
ou rééchelonnement conclu entre les intéressés ou après adoption du
plan conventionnel de redressement prévu à l'article L. 331-6 ou après
décision du juge de l'exécution sur les mesures mentionnées à l'article
L. 331-7. »
I. La compétence du tribunal d'instance
2. La
doctrine et la jurisprudence se sont divisées dès l'origine sur
l'étendue de la compétence donnée par l'article 27 de la loi du 10
janvier 1978(2) au tribunal d'instance.
Pour les uns, la
compétence d'attribution de cette juridiction devait être limitée aux
seuls litiges portant sur une disposition de la loi du 10 janvier 1978,
par opposition aux litiges résultant de l'inexécution du contrat soumis
aux règles de compétence de droit commun(3). Echappaient donc à la
compétence du tribunal d'instance les actions en remboursement du prêt,
en paiement des loyers ou celles nées du contrat de vente.
Pour
les autres, le tribunal d'instance devait connaître au contraire
l'ensemble des litiges applicables aux contrats soumis à la loi du 10
janvier 1978(4).
3. La Cour de cassation devait prendre parti en
faveur de la seconde thèse en jugeant que l'ensemble des litiges
concernant les opérations de crédit soumises à la loi du 10 janvier
1978 et de ses décrets d'application relevait de la compétence du
tribunal d'instance(5), comme par exemple le contentieux né de la
défaillance de l'emprunteur(6).
La Cour de cassation précisait ensuite que l'article L. 311-37 s'appliquait aussi à l'égard de la caution(7).
4.
La compétence ainsi donnée au tribunal d'instance est une compétence
spéciale d'attribution. Elle n'est donc pas limitée aux litiges dont
l'enjeu ne dépasse pas 10 000 euros (limite de la compétence générale
d'attribution du tribunal d'instance résultant de l'article R. 321-3 du
Code de l'organisation judiciaire depuis sa modification par le décret
du 14 mai 2005) mais à l'ensemble des actions résultant d'un contrat
soumis à la loi du 10 janvier 1978 (c'est à dire, depuis la
promulgation du Code de la consommation, les articles L. 311-1 à L.
311-37).
La jurisprudence reconnaît cependant une exception au
profit des Caisses de crédit municipal qui, en tant qu'établissements
publics communaux, disposent, en vertu de l'article R. 2342-4 du Code
général des collectivités territoriales, du privilège de pouvoir
émettre elles mêmes des titres exécutoires pour le recouvrement de
leurs créances, même celles soumises à la loi du 10 janvier 1978 et ce,
sans être tenues d'engager une action devant le tribunal(8). En
revanche, elles sont tenues d'émettre et de notifier leur titre
exécutoire dans le délai de deux ans(9) et le tribunal d'instance est
compétent pour connaître de l'opposition formée par le débiteur à
l'encontre d'un tel titre exécutoire. Celui-ci doit, dans ce cas,
saisir le tribunal dans le délai de deux ans à compter de la date où il
a eu connaissance du titre(10).
II. Le délai d'action de l'article L. 311-37 du Code de la consommation(11)
A. Nature du délai
5.
Dans sa rédaction initiale, l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978
ne mentionnait pas la nature du délai de deux ans qu'il instaurait.
Deux thèses se sont alors opposées. Pour les uns, il s'agissait d'un
délai de prescription alors que, pour les autres, l'article 27
instaurait un délai préfix (ou de forclusion).
Rappelons que le
délai de forclusion est un délai qui enferme dans un laps de temps
déterminé l'exercice de l'action en justice devant les premiers
juges(12). Son expiration constitue une fin de non-recevoir qui empêche
le créancier d'agir à l'encontre de son débiteur alors que la
prescription libératoire, fondée sur une présomption directe et précise
de paiement, dissout le rapport d'obligation par l'inaction du
créancier pendant un certain temps(13). La prescription sanctionne la
négligence de l'ayant droit tandis que les délais préfix, mesures de
police juridique, ont pour but, d'un point de vue moralement neutre,
simplement à des fins d'utilité publique, de rendre objectivement
impossible l'accomplissement d'un acte(14).
6. L'enjeu de la
controverse n'était pas sans intérêt puisque de la solution dépendait
le point de savoir si ledit délai pouvait faire l'objet d'une
interruption, si les parties pouvaient y renoncer et s'il pouvait être
soulevé d'office par le juge en tant que fin de non-recevoir d'ordre
public(15), permettant ainsi à ce magistrat de secourir des
consommateurs qui, n'étant que trop peu souvent assistés d'un
professionnel du droit, ne peuvent soulever à bon escient
l'irrecevabilité de l'action de leur créancier.
La Cour de
cassation prenait partie, dans un premier temps, en faveur du délai de
prescription(16) en sanctionnant, sur le fondement de l'article 2223 du
Code civil, les tribunaux d'instance qui avaient soulevé d'office le
moyen tiré de l'expiration du délai de deux ans. Toutefois, cette
solution, défavorable aux consommateurs, devait rencontrer la
résistance de certaines juridictions du fond(17) dont la position était
assurément plus proche de l'intention du législateur(18).
7.
Suite à deux interventions législatives (article 2-XII de la loi du 23
juin 1989 ajoutant à la suite de l'article 27 les termes « à peine de
forclusion » et la loi du 31 décembre 1989 ajoutant à la suite du texte
initial « y compris lorsqu'elles sont nées de contrats conclus
antérieurement à l'entrée en vigueur de la Loi du 23 juin 1989 ») la
Cour de cassation devait modifier sa jurisprudence pour considérer que
le délai instauré par l'article 27 constituait un délai préfix(19), de
sorte que le juge pouvait relever d'office son expiration et que les
parties ne pouvaient, même de façon expresse, y renoncer(20).
B. Les actions soumises au délai
8.
Le texte initial prévoyait que toute action née de l'application de la
loi du 10 janvier 1978 devait être introduite devant le tribunal
d'instance dans les deux ans de l'évènement qui lui a donné naissance
et ce, à peine de forclusion.
La Cour de cassation en a déduit
que ce délai devait s'appliquer non seulement aux actions en paiement
tirées de la défaillance de l'emprunteur, mais pouvait aussi être
opposé à l'emprunteur qui soulève, par voie d'action ou d'exception, la
déchéance du droit aux intérêts du prêteur en raison du défaut de
régularité de l'offre préalable(21) ou de la validité de la clause de
variation d'intérêts(22).
La Cour de cassation considérait
également que ce délai devait s'appliquer à tous les litiges, sans
exception, concernant les opérations de crédit et leurs cautionnements,
réglementés par les articles L. 311-1 et suivants du Code de la
consommation et ce, quel qu'en soit le fondement.
9. Ainsi, non
seulement les actions introduites par les emprunteurs qui, se prévalant
d'une irrégularité du contrat de prêt au regard des règles spécifiques
du crédit à la consommation prévues aux articles L. 311-8 et suivants
du Code de la consommation, soulevaient la déchéance du prêteur de son
droit aux intérêts sur le fondement de l'article L 311-33, mais aussi
celles qui invoquaient une cause de nullité de droit commun prévue par
le Code civil.
La Cour de cassation a ainsi jugé qu'une caution
ne pouvait invoquer la nullité pour dol de son engagement plus de deux
ans après la signature de cet acte(23).
Elle a, par la suite,
heureusement abandonné cette jurisprudence, devant laquelle refusaient
de s'incliner certaines juridictions du fond(24) en considérant que
n'étaient pas soumises au délai de l'article L. 311-37 les actions
fondées non pas sur les dispositions spécifiques de la loi Scrivener
mais sur le droit commun du contrat. En conséquence, peut être engagée
plus de deux ans après la conclusion du contrat l'action engagée en vue
de contester l'existence du consentement donné à la souscription d'un
emprunt, celle-ci s'analysant non en une action relative aux opérations
de crédit régies par les articles L. 311-1 et suivants du Code de la
consommation mais en une action en contestation de l'existence même
d'une convention, soumise en tant que telle à la prescription de droit
commun(25).
10. La première Chambre civile a du aussi, sous
l'influence du législateur, assouplir sa position au sujet des actions
fondées strictement sur les disposition des articles L 311-1 et
suivants du Code de la consommation.
En effet, pour mettre fin à
la jurisprudence initiée par l'avis du 9 octobre 1991, que certains
considéraient comme trop favorable au prêteur, la loi du 11 décembre
2001 a modifié le texte de l'article L. 311-37 en limitant son
application aux seules actions engagées à l'occasion de la défaillance
de l'emprunteur, c'est à dire, concrètement, aux actions en paiement
introduites par le prêteur(26).
11. L'action de l'emprunteur
destinée à faire constater la nullité du contrat est donc soumise à la
prescription quinquennale prévue à l'article 1304 du Code civil. Celle
en vue de faire constater la déchéance du prêteur du droit aux intérêt
sur le fondement de l'article L. 311-33 du Code de la consommation pour
n'avoir pas soumis à l'emprunteur une offre de prêt conforme aux
prescriptions des articles L. 311-8 à L. 311-13 et qui ne relève pas du
régime des nullités(27), devrait être soumise, comme en matière de
crédit immobilier(28) à la prescription décennale de l'article L. 625-5
du Code de commerce, qu'elle soit présentée par voie d'action
principale ou par voie d'exception.
Mais, conformément au
principe de la non-rétroactivité, l'exclusion des actions de
l'emprunteur du champ d'application de l'article L. 311-37 ne
s'appliquera qu'aux contrats conclus postérieurement à cette
modification législative. Ceux passés avant la loi du 11 décembre 2001
demeureront soumis à la règle du délai de deux ans dégagée par la Cour
de cassation(29).
En revanche, n'est pas soumise au délai de
l'article L. 311-37 l'action en résolution ou en annulation du contrat
de crédit consécutive à celle du contrat principal en application de
l'article L. 311-21. En effet, pour la Cour de cassation, en raison de
l'effet rétroactif attaché à la résolution judiciaire du contrat
principal, celui-ci est réputé n'avoir jamais été conclu, de sorte que
le prêt est résolu de plein droit(30). La formulation « de plein droit
», implique l'automaticité de l'effacement du contrat de crédit, d'où
il résulte que l'emprunteur qui a fait prononcer la résolution ou
l'annulation du contrat principal n'a plus à demander la résolution ou
l'annulation du contrat de crédit mais seulement à la constater. Ainsi,
viole ce texte la cour d'appel qui, pour déclarer forclose l'action des
emprunteurs tendant à faire prononcer la résolution du contrat
principal qui n'avait jamais été exécuté et obtenir la restitution par
la société de crédit des mensualités de remboursement versées, retient
que l'événement qui avait donné naissance à leur action était la lettre
de l'organisme de crédit les informant de la délivrance des fonds et
qu'en conséquence, leur demande de résolution de plein droit du contrat
de financement était tardive, alors qu'il résulte des dispositions de
l'article L. 311-21 que la résolution ou l'annulation du contrat de
crédit consécutive à celle du contrat principal n'est pas soumise au
délai de forclusion prévu par l'article L. 311-37(31).
12. La
Cour de cassation considère aussi que l'emprunteur qui s'oppose au
remboursement d'un prêt accessoire à une vente en invoquant le défaut
de livraison du bien ne soulève qu'un simple moyen de défense au fond
qui ne constitue pas une action au sens de l'article L. 311-37 et n'est
donc pas soumis au délai de deux ans(32).
13. A également été
jugé que l'action en revendication par laquelle le bailleur, se
prévalant de l'inexécution par son locataire d'un contrat de location
avec promesse de vente, réclame la restitution de son bien à celui-ci
après lui avoir remis à titre précaire naît de son droit de propriété
et de l'absence de droit du détenteur, de sorte que la forclusion
prévue par l'article L. 311-37 du Code de la consommation ne constitue
pas un titre pour le locataire et n'est pas applicable à la
revendication de la chose louée par le crédit bailleur(33).
Pour
la Cour de cassation, qui étend par analogie le domaine d'application
de l'article 2236 du Code civil, si le bailleur ne peut plus dans ce
cas réclamer le paiement des loyers impayés, il n'en demeure pas moins
que le locataire ne peut prétendre avoir exécuté le contrat et se
prévaloir d'un droit de propriété sur le bien. Autrement dit, la
forclusion de l'action en paiement ne fait pas disparaître le fond du
droit, et notamment le fait que le contrat de location est résilié par
le défaut de paiement des loyers. Le bailleur peut donc encore se
prévaloir de cette résiliation pour obtenir la restitution du bien.
L'action en revendication du bailleur a pour source non pas la créance
personnelle du bailleur sur le débiteur mais son droit de propriété sur
la chose.
On signalera enfin qu'une fois que le prêteur a obtenu
contre le débiteur un titre exécutoire et qu'il lui a signifié, le
délai de forclusion n'a plus vocation à s'appliquer(34).
C. Le point de départ du délai(35)
1. Le délai applicable au prêteur
a.. L'action en recouvrement d'un prêt impayé
14.
La Cour de cassation pose le principe général selon lequel le point de
départ d'un délai à l'expiration duquel une action ne peut plus
s'exercer se situe nécessairement à la date de l'obligation qui lui a
donné naissance(36).
Elle en déduit que, s'agissant des actions
en paiement, le délai court à compter de la première échéance impayée
non régularisée(37).
Selon cette jurisprudence, une échéance non
payée à son terme ne peut être considérée comme impayée et faire courir
le délai de forclusion que si elle n'est pas, par la suite,
régularisée. Lorsque des paiements sont effectués postérieurement à des
échéances impayées, ils opèrent régularisation de celles-ci dans la
limite de leur montant(38).
Cependant, cette régularisation
n'est possible que tant que la déchéance du terme n'est pas intervenue.
En effet, la position de la Cour de cassation telle que résultant de
l'arrêt du 22 avril 1992 est fondée sur le principe selon lequel les
échéances payées avec retard mais régularisées ne peuvent plus donner
lieu à une action. Or, une fois la déchéance du terme prononcée, les
règlements effectués par l'emprunteur sont inopérants pour empêcher le
prêteur de se prévaloir de l'exigibilité immédiate des sommes restant
dues. Il en résulte que, dans ce cas, le point de départ du délai doit
être fixé à la première échéance impayée non régularisée avant la date
de déchéance du terme(39).
15. Une nuance doit cependant être
apportée pour les contrats qui contiennent une clause prévoyant la
résiliation de plein droit sans aucune formalité dès la première
échéance impayée. On aurait pu en effet considérer que, dans ce cas, le
point de départ du délai de forclusion court automatiquement dès la
première échéance impayée, même si, par suite de paiements ultérieurs,
elle a été recouvrée. Mais la Cour de cassation considère que ce type
de clause contrevient aux dispositions d'ordre public de l'article L.
311-30 du Code de la consommation qui prévoit qu'en cas de défaillance
de l'emprunteur, le prêteur peut exiger le remboursement du capital
restant dû, de sorte que le caractère facultatif de cette sanction
interdit toute résiliation automatique et suppose, en revanche, une
manifestation de volonté du prêteur de procéder à la résiliation du
contrat. Leur déniant, par conséquent, toute portée juridique, elle
juge que les paiements effectués postérieurement aux échéances impayées
ont pour effet de les régulariser tant qu'ils interviennent avant que
le prêteur n'ait manifesté son intention de se prévaloir de la
déchéance du terme(40).
Mais cette dernière règle doit être
relativisée dans la mesure où, depuis, la Cour de cassation a jugé
qu'aucune régularisation ne pouvait jouer lorsque le prêteur s'était,
conformément aux stipulations contractuelles, préalablement prévalu de
la déchéance du terme, rendant immédiatement exigible la dette
correspondant à la totalité des sommes dues(41). Elle considère alors
que les versements postérieurs à la première échéance impayée qui a
provoqué contractuellement la déchéance du terme ne pouvaient valoir
régularisation et, partant, différer le point de départ du délai de
forclusion.
16. Le paiement d'échéances de remboursement d'un
prêt par prélèvements sur un compte fonctionnant à découvert
conformément à une convention expresse ou tacite opère paiement. En
conséquence, le délai de forclusion court à compter de la résiliation
de la convention de découvert(42).
Lorsque les modalités de
règlement des échéances impayées ont fait l'objet d'un réaménagement ou
d'un rééchelonnement, le point de départ du délai de forclusion, par
dérogation expresse prévue par la loi du 31 décembre 1989 qui a
introduit à cet effet un second alinéa à l'article L. 311-37, est le
premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement
ou rééchelonnement conclu entre les intéressés ou après adoption du
plan conventionnel de redressement prévu à l'article L. 331-6 du Code
de la consommation ou après décision du juge de l'exécution sur les
mesures mentionnées à l'article L. 331-7.
La Cour de cassation
considère qu'en application de ce texte, l'adoption d'un plan de
redressement fait courir un nouveau délai pour agir, quand bien même le
délai initial aurait expiré avant l'adoption du plan par suite de
l'inaction du créancier. Ainsi, un créancier qui aurait laissé passer
le délai de forclusion retrouve son droit d'agir en cas d'acceptation
d'un plan de redressement comprenant sa créance(43).
On
s'étonnera de cette décision qui aboutit à faire revivre un délai de
forclusion expiré, par un acte de volonté émanant du débiteur –
l'acceptation d'un plan de réaménagement comprenant la créance forclose
– alors que, s'agissant d'un délai de forclusion qui, comme tel, est
d'ordre public, le débiteur ne peut y renoncer(44).
17. Dans un
arrêt ultérieur, la première Chambre civile est venue préciser qu'une
telle règle ne pouvait être invoquée par le créancier forclos à l'égard
de la caution non partie au plan(45). Il s'agit, en quelque sorte,
d'une cause de report du point de départ du délai personnel au débiteur
principal qui a accepté le plan de réaménagement de ses dettes et qui,
conformément aux principes édictés à l'article 2036 du Code civil, ne
s'étend pas à la caution.
18. Sont considérés comme convenant
d'un rééchelonnement les emprunteurs qui écrivent à leur banque qu'ils
seraient « en mesure de reprendre fin janvier les prélèvements normaux
et de pouvoir les doubler et peut-être même de les tripler fin avril
[…] afin de rattraper au plus vite le retard » et la banque qui leur
répond qu'elle a pris « bonne note de l'engagement de reprendre à
compter de la fin janvier 1988 les prélèvements normaux et ce, chaque
mois jusqu'à extinction de la créance ». Dès lors, le point de départ
du délai de forclusion est le premier incident qui suit cet accord(46).
19.
Lorsqu'une ordonnance de référé accorde des délais de paiement à un
emprunteur, le point de départ du délai de forclusion est reporté à la
date de cessation des effets de l'ordonnance(47).
b.. Le cas particulier des ouvertures de crédit
20.
Une banque peut consentir de diverses façons une ouverture de crédit à
son client, soit en lui accordant, de façon tacite ou expresse, une
autorisation de découvert qui lui permettra d'utiliser, moyennant le
paiement d'agios, un compte bancaire non approvisionné, soit en lui
proposant une ouverture de crédit reconstituable utilisable par
fractions, plus communément appelé crédit-révolving ou crédit permanent
et dont le régime particulier est fixé aux articles L. 311-9 et L.
311-9-1 du Code de la consommation.
S'agissant d'une
autorisation de découvert consentie tacitement ou non par une banque
qui accorde à son client des avances de fonds et qui, rappelons-le au
passage, est soumise aux dispositions de la loi Scrivener dès lors que
l'autorisation de découvert dépasse trois mois(48), le point de départ
du délai court à compter de la date à compter de laquelle le solde
devient exigible(49).
21. En l'absence de terme convenu, le
point de départ du délai est fixé à la date de la résiliation de
l'ouverture de crédit par l'une ou l'autre des parties(50) et non à
compter de la date de clôture du compte, peu important que celui-ci fût
qualifié de « compte courant »(51).
Lorsque les parties sont
convenues d'un découvert en compte d'un montant limité, le dépassement
de ce découvert, dès lors qu'il n'a pas été ultérieurement restauré,
manifeste la défaillance de l'emprunteur et constitue le point de
départ du délai biennal de forclusion prévu par l'article L. 311-37 du
Code de la consommation(52).
22. S'agissant des ouvertures de
crédit reconstituables et utilisables par fractions, la Cour de
cassation a, pendant un temps, assimilé leur régime à celui des
découverts bancaires en considérant que le délai courait à compter de
la date à laquelle prenait fin l'ouverture de crédit(53) et ce, quelles
que soient les modalités de remboursement prévues au contrat.
Elle
a, ensuite, opéré un important revirement de jurisprudence à la suite
d'un arrêt de l'Assemblée plénière qui a jugé que, lorsqu'une telle
ouverture de crédit est assortie d'une obligation de remboursement à
échéances convenues, le délai court à compter de la première échéance
impayée non régularisée(54).
23. La Haute juridiction considère
aussi que, dans le cas où le montant du découvert est
conventionnellement limité, le dépassement du découvert maximum convenu
devait être tenu pour une échéance impayée manifestant la défaillance
de l'emprunteur et faisait courir le délai(55).
Elle juge par
ailleurs qu'une convention tacite de découvert est incompatible avec la
conclusion préalable d'une convention expresse de découvert d'un
montant déterminé(56). Il faut donc en déduire que, dans l'hypothèse où
les échéances d'une telle convention sont prélevées sur un compte
fonctionnant lui-même à découvert, celui-ci ne peut être considéré
comme résultant d'un accord tacite entre la banque et son client. Dès
lors, et par dérogation à la règle posée par l'arrêt du 17 mars 1998
précité, le prélèvement sur le compte ne vaut pas paiement et a donc
pour effet de faire courir le délai de forclusion. Ainsi que le
souligne Guy Raymond, « le silence de l'emprunteur ne peut justifier
une autorisation de l'aggravation de son endettement vis à vis de
l'organisme teneur du compte de l'emprunteur ».
Dans l'hypothèse
d'une ouverture de crédit entièrement utilisée pour financer
l'acquisition d'un seul bien, la Cour de cassation, qui ne s'arrête pas
à la qualification de crédit revolving donnée par l'établissement de
crédit, considère que les parties sont en réalité liées par un contrat
de prêt d'un montant déterminé qui devrait être intégralement remboursé
avant que son bénéficiaire puisse en disposer de nouveau. Elle en
déduit que, dans ce cas, le délai de forclusion part de la première
échéance impayée non régularisée(57).
2. Le délai applicable à l'emprunteur
24.
Dans le cas d'une action fondée sur l'irrégularité du contrat, le point
de départ du délai court à compter de la date à laquelle le contrat est
définitivement formé(58), c'est à dire, selon la cour d'appel de
Versailles, la date d'expiration du délai de rétractation(59). Il a été
jugé que lorsque l'offre ne prévoyait aucune date, le point de départ
courrait à compter de la remise effective des fonds(60).
25.
Dans le cas d'un solde débiteur d'un compte bancaire, le point de
départ de l'action court à compter de la date de la convention
d'ouverture de compte(61). En revanche, s'il s'agit d'un découvert
consenti tacitement, le point de départ du délai de forclusion
opposable à l'emprunteur qui, par voie d'action ou d'exception, se
prévaut de l'absence d'offre préalable, est la date à laquelle le solde
débiteur est devenu exigible(62).
26. Enfin, le délai de
forclusion opposable à l'emprunteur qui conteste la régularité, au
regard des dispositions de l'article L. 311-9 du Code de la
consommation, des conditions de la reconduction ou du renouvellement de
l'offre préalable d'un crédit utilisable par fraction, court à compter
de chaque reconduction ou renouvellement(63).
Le délai de deux ans n'est cependant pas opposable à une partie en cas de fraude commise par celui qui s'en prévaut(64).
3. L'action de la caution
27.
La caution dispose de deux recours distincts fondés sur les articles
2028, qui prévoit une action personnelle, et 2029 du Code Civil qui
repose sur le mécanisme de la subrogation. Il ne fait aucun doute que
le recours subrogatoire de l'article 2029 est soumis aux dispositions
de la loi du 10 janvier 1978 puisque, selon une jurisprudence
constante, le débiteur poursuivi peut opposer au créancier subrogé les
mêmes exceptions et moyens de défense dont il aurait pu disposer
initialement contre son créancier originaire(65). Clôturant le débat
qui s'était instauré entre les juridictions du fond sur le point de
savoir si, en raison de son caractère personnel, le recours visé à
l'article 2029 était ou non soumis aux dispositions de la loi
Scrivener(66), la Cour de cassation est venue préciser que l'article 27
de la loi du 10 janvier 1978, tel qu'interprété par les lois du 23 juin
1989 et du 31 décembre 1989, s'appliquait à toutes les opérations
réglementées par la loi du 10 janvier 1978 et, notamment, au recours
personnel de la caution à l'encontre de l'emprunteur principal(67). Il
s'ensuit que le recours, personnel ou subrogatoire de la caution, doit
être, en application de l'article L 311-37 du Code de la consommation,
intenté devant le tribunal d'instance du domicile du débiteur dans les
deux ans de l'événement qui lui a donné naissance, et ce, à peine de
forclusion.
Cependant, le point de départ du délai diffère selon
le type de recours utilisé. L'événement qui a donné naissance à
l'action subrogatoire est celui qui a donné naissance à l'action
principale, soit, en règle générale, le premier incident de paiement
non régularisé(68).
28. Lorsque le débiteur a cessé d'honorer
ses remboursements lors de la mise en liquidation judiciaire,
l'obligation principale de la caution naî t de la première échéance
impayée, et ce indépendamment de la nécessité pour le créancier de
déclarer parallèlement sa créance et de la faire admettre par le juge
commissaire(69).
L'évènement qui a donné naissance à l'action personnelle se situe quant à lui au jour du paiement par la caution(70).
Le
point de départ du délai pendant lequel la caution peut, par voie
d'action ou d'exception, contester la validité de son engagement, est
la date à laquelle son consentement a été donné(71).
On notera
par ailleurs que la Cour de cassation considère, sévèrement, que la
caution solidaire, qui est donc privée du bénéfice de discussion, ne
peut opposer au créancier la forclusion encourue par celui-ci dans ses
poursuites contre le débiteur principal. Dès lors que la caution
solidaire est assignée avant l'expiration du délai biennal de
forclusion, l'action peut être poursuivie même si le créancier est
forclos à l'égard du débiteur principal(72).
Enfin, la caution
ne peut plus se prévaloir, plus de deux ans après la demande
d'exécution du cautionnement faite par le créancier, des dispositions
de l'article L. 313-10 du Code de la consommation qui permettent
d'opposer à celui-ci l'impossibilité de se prévaloir de la garantie en
raison de la disproportion manifeste de celle-ci à ses biens et
revenus(73).
D. Conséquences du délai
29. Contrairement au
délai de prescription qui est interrompu par les causes énumérées par
l'article 2244 du Code civil (une citation en justice, un commandement,
une saisie), l'article 2248 (la reconnaissance de dette) ou l'article
2249 (interpellation), ou suspendu par la minorité ou la tutelle
(article 2252), le délai de forclusion est indifférent à ces événements.
Ainsi
n'interrompent pas ce délai une sommation de payer(74), une
reconnaissance de dette(75) ou une assignation devant une juridiction
incompétente(76), la saisine de la commission de surendettement(77), un
procès verbal de recherches ayant ultérieurement révélé le domicile du
débiteur et qui ne peut être assimilé à celui dressé en application de
l'article 659 du nouveau Code de procédure civile(78).
30.
Seules, donc, interrompent le délai, la saisine du tribunal d'instance,
par voie d'assignation, indépendamment de sa mise au rôle(79), une
assignation en référé-provision(80) la déclaration au greffe prévue à
l'article 847-1 du NCPC, la déclaration de créance faite au cours d'une
procédure de surendettement(81) ou d'une procédure de redressement
judiciaire suivie de l'admission définitive de la créance par le
juge-commissaire(82), de même que la demande du débiteur adressée à la
commission de surendettement de recommander des mesures de
redressement, après échec de la tentative de conciliation(83).
31.
Lorsqu'une juridiction incompétente est saisie, le délai est interrompu
par le jugement du tribunal initialement saisi qui constate
l'incompétence et saisit le tribunal d'instance compétent(84). La
signification devant la cour d'appel de conclusions tendant à la
confirmation d'un jugement de condamnation rendu par une juridiction
incompétente est aussi de nature à interrompre le délai de l'article L.
311-37(85).
32. Il a été jugé que l'action du prêteur ne pouvait
être tenue pour engagée par la simple présentation d'une requête en
injonction de payer et que seule la signification de l'ordonnance
d'injonction de payer interrompait le délai(86).
En revanche,
une fois l'action introduite, le délai est suspendu durant l'instance.
Ainsi, un créancier ayant vu sa demande en paiement rejetée en première
instance, n'encourt pas la forclusion en ayant formalisé son appel plus
deux ans après le prononcé du jugement dès lors que l'action avait été
introduite en temps utile et que par l'effet suspensif du délai d'appel
et de l'appel, le litige se poursuivait entre les parties tant que le
jugement n'avait pas été signifié(87).
33. S'agissant du crédit
municipal qui, en tant qu'établissement communal doté d'un comptable
public, dispose du pouvoir d'émettre lui même un titre exécutoire, le
délai est interrompu par l'émission du titre exécutoire(88).
34.
Le tribunal d'instance compétent est celui du domicile du débiteur ou
du lieu d'exécution du contrat, qui est en général le lieu de versement
des fonds(89).
35. En raison de son caractère préfix, le délai
de l'article L. 311-37 constitue une fin de non recevoir que le juge,
en application de l'article 125 du NCPC, doit relever d'office(90) et
qui peut être soulevée, conformément à l'article 123 du même code, en
tout état de la procédure, même pour la première fois devant la cour
d'appel après le dépôt de conclusions au fond(91).