Le contentieux du crédit à la consommation

Vincent VIGNEAU
Conseiller référendaire à la Cour de cassation
Professeur associé à l'université de Versailles Saint Quentin en Yvelines

La loi du 10 janvier 1978 relative à la protection du consommateur dans le domaine du crédit à la consommation a entendu, en son article 37, soumettre les litiges nés de son application à des règles de procédure dérogatoires du droit commun. Après bien des incertitudes et modifications législatives, ce texte, recodifié à l'article L 311-37 du Code de la consommation, impose désormais aux prêteurs qui agissent en paiement contre leur emprunteur d'introduire leur action devant le tribunal d'instance dans le délai de deux ans qui suit l'évènement qui lui a donné naissance, et ce, à peine de forclusion. Bien que bref et d'apparence simple, cet article a suscité d'importantes controverses doctrinales et jurisprudentielles qui ont été pour le praticien et le consommateur source d'insécurité juridique. C'est pourquoi il est apparu nécessaire, plus de 25 ans après sa promulgation, de dresser une synthèse des règles de procédure applicables au contentieux du crédit à la consommation.

I. 05 1. Sur les 113,4 milliards d'euros que représente chaque année le crédit à la consommation(1) 10 % rencontrent des incidents de paiement. Si 80 % d'entre eux sont réglés amiablement, 20 %, soit 2 % de l'encours total, aboutissent à un contentieux devant une juridiction.

C'est dire l'importance que revêt, pour les acteurs du monde judiciaire que sont les juges et leurs greffiers, les avocats et les huissiers de justice, l'étude des spécificités procédurales de ce contentieux, que celui-ci résulte de la défaillance de l'emprunteur dans l'exécution de ses obligations contractuelles ou du non respect par le prêteur des exigences de formes imposées par la loi.

Le législateur de 1978 a entendu soustraire les litiges nés de l'application de la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 (dite « Loi Scrivener » du nom du secrétaire d'Etat qui en est l'auteur) relatif à la protection des consommateurs dans le domaine du crédit à la consommation, des règles de procédure de droit commun. Il leur a appliqué un régime spécifique, destiné à la fois à faciliter l'accès à la justice pour le particulier en regroupant l'ensemble du contentieux devant le tribunal d'instance, juridiction devant laquelle il est possible de se défendre sans devoir rémunérer un avocat, et à dissuader les prêteurs de profiter des difficultés de leurs emprunteurs pour alourdir leur charge d'intérêt en leur imposant d'agir à bref délai.

Ainsi, l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978 prévoyait, initialement, que « le tribunal d'instance connaît des litiges nés de l'application de la présente loi. Les actions engagées devant lui doivent être formées dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance ».

Bien que bref, et d'apparence simple, ce texte a suscité de longues controverses doctrinales et jurisprudentielles, auxquelles le législateur a pris part, généralement pour limiter la porté de l'interprétation que lui avait donné la Cour de cassation, tant sur l'étendue de la compétence du tribunal d'instance que sur la nature et les conséquences du délai de deux ans.

Intégré entre-temps, en 1993, dans le Code de la consommation sous l'article L. 311-37, il se présente désormais sous une forme alourdie par rapport à sa version initiale :

« Le tribunal d'instance connaît des litiges nés de l'application du présent chapitre. Les actions en paiement engagées devant lui à l'occasion de la défaillance de l'emprunteur doivent être formées dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance à peine de forclusion.

Lorsque les modalités de règlement des échéances impayées ont fait l'objet d'un réaménagement ou d'un rééchelonnement, le point de départ du délai de forclusion est le premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement ou rééchelonnement conclu entre les intéressés ou après adoption du plan conventionnel de redressement prévu à l'article L. 331-6 ou après décision du juge de l'exécution sur les mesures mentionnées à l'article L. 331-7. »

I. La compétence du tribunal d'instance

2. La doctrine et la jurisprudence se sont divisées dès l'origine sur l'étendue de la compétence donnée par l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978(2) au tribunal d'instance.

Pour les uns, la compétence d'attribution de cette juridiction devait être limitée aux seuls litiges portant sur une disposition de la loi du 10 janvier 1978, par opposition aux litiges résultant de l'inexécution du contrat soumis aux règles de compétence de droit commun(3). Echappaient donc à la compétence du tribunal d'instance les actions en remboursement du prêt, en paiement des loyers ou celles nées du contrat de vente.

Pour les autres, le tribunal d'instance devait connaître au contraire l'ensemble des litiges applicables aux contrats soumis à la loi du 10 janvier 1978(4).

3. La Cour de cassation devait prendre parti en faveur de la seconde thèse en jugeant que l'ensemble des litiges concernant les opérations de crédit soumises à la loi du 10 janvier 1978 et de ses décrets d'application relevait de la compétence du tribunal d'instance(5), comme par exemple le contentieux né de la défaillance de l'emprunteur(6).

La Cour de cassation précisait ensuite que l'article L. 311-37 s'appliquait aussi à l'égard de la caution(7).

4. La compétence ainsi donnée au tribunal d'instance est une compétence spéciale d'attribution. Elle n'est donc pas limitée aux litiges dont l'enjeu ne dépasse pas 10 000 euros (limite de la compétence générale d'attribution du tribunal d'instance résultant de l'article R. 321-3 du Code de l'organisation judiciaire depuis sa modification par le décret du 14 mai 2005) mais à l'ensemble des actions résultant d'un contrat soumis à la loi du 10 janvier 1978 (c'est à dire, depuis la promulgation du Code de la consommation, les articles L. 311-1 à L. 311-37).

La jurisprudence reconnaît cependant une exception au profit des Caisses de crédit municipal qui, en tant qu'établissements publics communaux, disposent, en vertu de l'article R. 2342-4 du Code général des collectivités territoriales, du privilège de pouvoir émettre elles mêmes des titres exécutoires pour le recouvrement de leurs créances, même celles soumises à la loi du 10 janvier 1978 et ce, sans être tenues d'engager une action devant le tribunal(8). En revanche, elles sont tenues d'émettre et de notifier leur titre exécutoire dans le délai de deux ans(9) et le tribunal d'instance est compétent pour connaître de l'opposition formée par le débiteur à l'encontre d'un tel titre exécutoire. Celui-ci doit, dans ce cas, saisir le tribunal dans le délai de deux ans à compter de la date où il a eu connaissance du titre(10).

II. Le délai d'action de l'article L. 311-37 du Code de la consommation(11)

A. Nature du délai

5. Dans sa rédaction initiale, l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978 ne mentionnait pas la nature du délai de deux ans qu'il instaurait. Deux thèses se sont alors opposées. Pour les uns, il s'agissait d'un délai de prescription alors que, pour les autres, l'article 27 instaurait un délai préfix (ou de forclusion).

Rappelons que le délai de forclusion est un délai qui enferme dans un laps de temps déterminé l'exercice de l'action en justice devant les premiers juges(12). Son expiration constitue une fin de non-recevoir qui empêche le créancier d'agir à l'encontre de son débiteur alors que la prescription libératoire, fondée sur une présomption directe et précise de paiement, dissout le rapport d'obligation par l'inaction du créancier pendant un certain temps(13). La prescription sanctionne la négligence de l'ayant droit tandis que les délais préfix, mesures de police juridique, ont pour but, d'un point de vue moralement neutre, simplement à des fins d'utilité publique, de rendre objectivement impossible l'accomplissement d'un acte(14).

6. L'enjeu de la controverse n'était pas sans intérêt puisque de la solution dépendait le point de savoir si ledit délai pouvait faire l'objet d'une interruption, si les parties pouvaient y renoncer et s'il pouvait être soulevé d'office par le juge en tant que fin de non-recevoir d'ordre public(15), permettant ainsi à ce magistrat de secourir des consommateurs qui, n'étant que trop peu souvent assistés d'un professionnel du droit, ne peuvent soulever à bon escient l'irrecevabilité de l'action de leur créancier.

La Cour de cassation prenait partie, dans un premier temps, en faveur du délai de prescription(16) en sanctionnant, sur le fondement de l'article 2223 du Code civil, les tribunaux d'instance qui avaient soulevé d'office le moyen tiré de l'expiration du délai de deux ans. Toutefois, cette solution, défavorable aux consommateurs, devait rencontrer la résistance de certaines juridictions du fond(17) dont la position était assurément plus proche de l'intention du législateur(18).

7. Suite à deux interventions législatives (article 2-XII de la loi du 23 juin 1989 ajoutant à la suite de l'article 27 les termes « à peine de forclusion » et la loi du 31 décembre 1989 ajoutant à la suite du texte initial « y compris lorsqu'elles sont nées de contrats conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de la Loi du 23 juin 1989 ») la Cour de cassation devait modifier sa jurisprudence pour considérer que le délai instauré par l'article 27 constituait un délai préfix(19), de sorte que le juge pouvait relever d'office son expiration et que les parties ne pouvaient, même de façon expresse, y renoncer(20).

B. Les actions soumises au délai

8. Le texte initial prévoyait que toute action née de l'application de la loi du 10 janvier 1978 devait être introduite devant le tribunal d'instance dans les deux ans de l'évènement qui lui a donné naissance et ce, à peine de forclusion.

La Cour de cassation en a déduit que ce délai devait s'appliquer non seulement aux actions en paiement tirées de la défaillance de l'emprunteur, mais pouvait aussi être opposé à l'emprunteur qui soulève, par voie d'action ou d'exception, la déchéance du droit aux intérêts du prêteur en raison du défaut de régularité de l'offre préalable(21) ou de la validité de la clause de variation d'intérêts(22).

La Cour de cassation considérait également que ce délai devait s'appliquer à tous les litiges, sans exception, concernant les opérations de crédit et leurs cautionnements, réglementés par les articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation et ce, quel qu'en soit le fondement.

9. Ainsi, non seulement les actions introduites par les emprunteurs qui, se prévalant d'une irrégularité du contrat de prêt au regard des règles spécifiques du crédit à la consommation prévues aux articles L. 311-8 et suivants du Code de la consommation, soulevaient la déchéance du prêteur de son droit aux intérêts sur le fondement de l'article L 311-33, mais aussi celles qui invoquaient une cause de nullité de droit commun prévue par le Code civil.

La Cour de cassation a ainsi jugé qu'une caution ne pouvait invoquer la nullité pour dol de son engagement plus de deux ans après la signature de cet acte(23).

Elle a, par la suite, heureusement abandonné cette jurisprudence, devant laquelle refusaient de s'incliner certaines juridictions du fond(24) en considérant que n'étaient pas soumises au délai de l'article L. 311-37 les actions fondées non pas sur les dispositions spécifiques de la loi Scrivener mais sur le droit commun du contrat. En conséquence, peut être engagée plus de deux ans après la conclusion du contrat l'action engagée en vue de contester l'existence du consentement donné à la souscription d'un emprunt, celle-ci s'analysant non en une action relative aux opérations de crédit régies par les articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation mais en une action en contestation de l'existence même d'une convention, soumise en tant que telle à la prescription de droit commun(25).

10. La première Chambre civile a du aussi, sous l'influence du législateur, assouplir sa position au sujet des actions fondées strictement sur les disposition des articles L 311-1 et suivants du Code de la consommation.

En effet, pour mettre fin à la jurisprudence initiée par l'avis du 9 octobre 1991, que certains considéraient comme trop favorable au prêteur, la loi du 11 décembre 2001 a modifié le texte de l'article L. 311-37 en limitant son application aux seules actions engagées à l'occasion de la défaillance de l'emprunteur, c'est à dire, concrètement, aux actions en paiement introduites par le prêteur(26).

11. L'action de l'emprunteur destinée à faire constater la nullité du contrat est donc soumise à la prescription quinquennale prévue à l'article 1304 du Code civil. Celle en vue de faire constater la déchéance du prêteur du droit aux intérêt sur le fondement de l'article L. 311-33 du Code de la consommation pour n'avoir pas soumis à l'emprunteur une offre de prêt conforme aux prescriptions des articles L. 311-8 à L. 311-13 et qui ne relève pas du régime des nullités(27), devrait être soumise, comme en matière de crédit immobilier(28) à la prescription décennale de l'article L. 625-5 du Code de commerce, qu'elle soit présentée par voie d'action principale ou par voie d'exception.

Mais, conformément au principe de la non-rétroactivité, l'exclusion des actions de l'emprunteur du champ d'application de l'article L. 311-37 ne s'appliquera qu'aux contrats conclus postérieurement à cette modification législative. Ceux passés avant la loi du 11 décembre 2001 demeureront soumis à la règle du délai de deux ans dégagée par la Cour de cassation(29).

En revanche, n'est pas soumise au délai de l'article L. 311-37 l'action en résolution ou en annulation du contrat de crédit consécutive à celle du contrat principal en application de l'article L. 311-21. En effet, pour la Cour de cassation, en raison de l'effet rétroactif attaché à la résolution judiciaire du contrat principal, celui-ci est réputé n'avoir jamais été conclu, de sorte que le prêt est résolu de plein droit(30). La formulation « de plein droit », implique l'automaticité de l'effacement du contrat de crédit, d'où il résulte que l'emprunteur qui a fait prononcer la résolution ou l'annulation du contrat principal n'a plus à demander la résolution ou l'annulation du contrat de crédit mais seulement à la constater. Ainsi, viole ce texte la cour d'appel qui, pour déclarer forclose l'action des emprunteurs tendant à faire prononcer la résolution du contrat principal qui n'avait jamais été exécuté et obtenir la restitution par la société de crédit des mensualités de remboursement versées, retient que l'événement qui avait donné naissance à leur action était la lettre de l'organisme de crédit les informant de la délivrance des fonds et qu'en conséquence, leur demande de résolution de plein droit du contrat de financement était tardive, alors qu'il résulte des dispositions de l'article L. 311-21 que la résolution ou l'annulation du contrat de crédit consécutive à celle du contrat principal n'est pas soumise au délai de forclusion prévu par l'article L. 311-37(31).

12. La Cour de cassation considère aussi que l'emprunteur qui s'oppose au remboursement d'un prêt accessoire à une vente en invoquant le défaut de livraison du bien ne soulève qu'un simple moyen de défense au fond qui ne constitue pas une action au sens de l'article L. 311-37 et n'est donc pas soumis au délai de deux ans(32).

13. A également été jugé que l'action en revendication par laquelle le bailleur, se prévalant de l'inexécution par son locataire d'un contrat de location avec promesse de vente, réclame la restitution de son bien à celui-ci après lui avoir remis à titre précaire naît de son droit de propriété et de l'absence de droit du détenteur, de sorte que la forclusion prévue par l'article L. 311-37 du Code de la consommation ne constitue pas un titre pour le locataire et n'est pas applicable à la revendication de la chose louée par le crédit bailleur(33).

Pour la Cour de cassation, qui étend par analogie le domaine d'application de l'article 2236 du Code civil, si le bailleur ne peut plus dans ce cas réclamer le paiement des loyers impayés, il n'en demeure pas moins que le locataire ne peut prétendre avoir exécuté le contrat et se prévaloir d'un droit de propriété sur le bien. Autrement dit, la forclusion de l'action en paiement ne fait pas disparaître le fond du droit, et notamment le fait que le contrat de location est résilié par le défaut de paiement des loyers. Le bailleur peut donc encore se prévaloir de cette résiliation pour obtenir la restitution du bien. L'action en revendication du bailleur a pour source non pas la créance personnelle du bailleur sur le débiteur mais son droit de propriété sur la chose.

On signalera enfin qu'une fois que le prêteur a obtenu contre le débiteur un titre exécutoire et qu'il lui a signifié, le délai de forclusion n'a plus vocation à s'appliquer(34).

C. Le point de départ du délai(35)

1. Le délai applicable au prêteur

a.. L'action en recouvrement d'un prêt impayé

14. La Cour de cassation pose le principe général selon lequel le point de départ d'un délai à l'expiration duquel une action ne peut plus s'exercer se situe nécessairement à la date de l'obligation qui lui a donné naissance(36).

Elle en déduit que, s'agissant des actions en paiement, le délai court à compter de la première échéance impayée non régularisée(37).

Selon cette jurisprudence, une échéance non payée à son terme ne peut être considérée comme impayée et faire courir le délai de forclusion que si elle n'est pas, par la suite, régularisée. Lorsque des paiements sont effectués postérieurement à des échéances impayées, ils opèrent régularisation de celles-ci dans la limite de leur montant(38).

Cependant, cette régularisation n'est possible que tant que la déchéance du terme n'est pas intervenue. En effet, la position de la Cour de cassation telle que résultant de l'arrêt du 22 avril 1992 est fondée sur le principe selon lequel les échéances payées avec retard mais régularisées ne peuvent plus donner lieu à une action. Or, une fois la déchéance du terme prononcée, les règlements effectués par l'emprunteur sont inopérants pour empêcher le prêteur de se prévaloir de l'exigibilité immédiate des sommes restant dues. Il en résulte que, dans ce cas, le point de départ du délai doit être fixé à la première échéance impayée non régularisée avant la date de déchéance du terme(39).

15. Une nuance doit cependant être apportée pour les contrats qui contiennent une clause prévoyant la résiliation de plein droit sans aucune formalité dès la première échéance impayée. On aurait pu en effet considérer que, dans ce cas, le point de départ du délai de forclusion court automatiquement dès la première échéance impayée, même si, par suite de paiements ultérieurs, elle a été recouvrée. Mais la Cour de cassation considère que ce type de clause contrevient aux dispositions d'ordre public de l'article L. 311-30 du Code de la consommation qui prévoit qu'en cas de défaillance de l'emprunteur, le prêteur peut exiger le remboursement du capital restant dû, de sorte que le caractère facultatif de cette sanction interdit toute résiliation automatique et suppose, en revanche, une manifestation de volonté du prêteur de procéder à la résiliation du contrat. Leur déniant, par conséquent, toute portée juridique, elle juge que les paiements effectués postérieurement aux échéances impayées ont pour effet de les régulariser tant qu'ils interviennent avant que le prêteur n'ait manifesté son intention de se prévaloir de la déchéance du terme(40).

Mais cette dernière règle doit être relativisée dans la mesure où, depuis, la Cour de cassation a jugé qu'aucune régularisation ne pouvait jouer lorsque le prêteur s'était, conformément aux stipulations contractuelles, préalablement prévalu de la déchéance du terme, rendant immédiatement exigible la dette correspondant à la totalité des sommes dues(41). Elle considère alors que les versements postérieurs à la première échéance impayée qui a provoqué contractuellement la déchéance du terme ne pouvaient valoir régularisation et, partant, différer le point de départ du délai de forclusion.

16. Le paiement d'échéances de remboursement d'un prêt par prélèvements sur un compte fonctionnant à découvert conformément à une convention expresse ou tacite opère paiement. En conséquence, le délai de forclusion court à compter de la résiliation de la convention de découvert(42).

Lorsque les modalités de règlement des échéances impayées ont fait l'objet d'un réaménagement ou d'un rééchelonnement, le point de départ du délai de forclusion, par dérogation expresse prévue par la loi du 31 décembre 1989 qui a introduit à cet effet un second alinéa à l'article L. 311-37, est le premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement ou rééchelonnement conclu entre les intéressés ou après adoption du plan conventionnel de redressement prévu à l'article L. 331-6 du Code de la consommation ou après décision du juge de l'exécution sur les mesures mentionnées à l'article L. 331-7.

La Cour de cassation considère qu'en application de ce texte, l'adoption d'un plan de redressement fait courir un nouveau délai pour agir, quand bien même le délai initial aurait expiré avant l'adoption du plan par suite de l'inaction du créancier. Ainsi, un créancier qui aurait laissé passer le délai de forclusion retrouve son droit d'agir en cas d'acceptation d'un plan de redressement comprenant sa créance(43).

On s'étonnera de cette décision qui aboutit à faire revivre un délai de forclusion expiré, par un acte de volonté émanant du débiteur – l'acceptation d'un plan de réaménagement comprenant la créance forclose – alors que, s'agissant d'un délai de forclusion qui, comme tel, est d'ordre public, le débiteur ne peut y renoncer(44).

17. Dans un arrêt ultérieur, la première Chambre civile est venue préciser qu'une telle règle ne pouvait être invoquée par le créancier forclos à l'égard de la caution non partie au plan(45). Il s'agit, en quelque sorte, d'une cause de report du point de départ du délai personnel au débiteur principal qui a accepté le plan de réaménagement de ses dettes et qui, conformément aux principes édictés à l'article 2036 du Code civil, ne s'étend pas à la caution.

18. Sont considérés comme convenant d'un rééchelonnement les emprunteurs qui écrivent à leur banque qu'ils seraient « en mesure de reprendre fin janvier les prélèvements normaux et de pouvoir les doubler et peut-être même de les tripler fin avril […] afin de rattraper au plus vite le retard » et la banque qui leur répond qu'elle a pris « bonne note de l'engagement de reprendre à compter de la fin janvier 1988 les prélèvements normaux et ce, chaque mois jusqu'à extinction de la créance ». Dès lors, le point de départ du délai de forclusion est le premier incident qui suit cet accord(46).

19. Lorsqu'une ordonnance de référé accorde des délais de paiement à un emprunteur, le point de départ du délai de forclusion est reporté à la date de cessation des effets de l'ordonnance(47).

b.. Le cas particulier des ouvertures de crédit

20. Une banque peut consentir de diverses façons une ouverture de crédit à son client, soit en lui accordant, de façon tacite ou expresse, une autorisation de découvert qui lui permettra d'utiliser, moyennant le paiement d'agios, un compte bancaire non approvisionné, soit en lui proposant une ouverture de crédit reconstituable utilisable par fractions, plus communément appelé crédit-révolving ou crédit permanent et dont le régime particulier est fixé aux articles L. 311-9 et L. 311-9-1 du Code de la consommation.

S'agissant d'une autorisation de découvert consentie tacitement ou non par une banque qui accorde à son client des avances de fonds et qui, rappelons-le au passage, est soumise aux dispositions de la loi Scrivener dès lors que l'autorisation de découvert dépasse trois mois(48), le point de départ du délai court à compter de la date à compter de laquelle le solde devient exigible(49).

21. En l'absence de terme convenu, le point de départ du délai est fixé à la date de la résiliation de l'ouverture de crédit par l'une ou l'autre des parties(50) et non à compter de la date de clôture du compte, peu important que celui-ci fût qualifié de « compte courant »(51).

Lorsque les parties sont convenues d'un découvert en compte d'un montant limité, le dépassement de ce découvert, dès lors qu'il n'a pas été ultérieurement restauré, manifeste la défaillance de l'emprunteur et constitue le point de départ du délai biennal de forclusion prévu par l'article L. 311-37 du Code de la consommation(52).

22. S'agissant des ouvertures de crédit reconstituables et utilisables par fractions, la Cour de cassation a, pendant un temps, assimilé leur régime à celui des découverts bancaires en considérant que le délai courait à compter de la date à laquelle prenait fin l'ouverture de crédit(53) et ce, quelles que soient les modalités de remboursement prévues au contrat.

Elle a, ensuite, opéré un important revirement de jurisprudence à la suite d'un arrêt de l'Assemblée plénière qui a jugé que, lorsqu'une telle ouverture de crédit est assortie d'une obligation de remboursement à échéances convenues, le délai court à compter de la première échéance impayée non régularisée(54).

23. La Haute juridiction considère aussi que, dans le cas où le montant du découvert est conventionnellement limité, le dépassement du découvert maximum convenu devait être tenu pour une échéance impayée manifestant la défaillance de l'emprunteur et faisait courir le délai(55).

Elle juge par ailleurs qu'une convention tacite de découvert est incompatible avec la conclusion préalable d'une convention expresse de découvert d'un montant déterminé(56). Il faut donc en déduire que, dans l'hypothèse où les échéances d'une telle convention sont prélevées sur un compte fonctionnant lui-même à découvert, celui-ci ne peut être considéré comme résultant d'un accord tacite entre la banque et son client. Dès lors, et par dérogation à la règle posée par l'arrêt du 17 mars 1998 précité, le prélèvement sur le compte ne vaut pas paiement et a donc pour effet de faire courir le délai de forclusion. Ainsi que le souligne Guy Raymond, « le silence de l'emprunteur ne peut justifier une autorisation de l'aggravation de son endettement vis à vis de l'organisme teneur du compte de l'emprunteur ».

Dans l'hypothèse d'une ouverture de crédit entièrement utilisée pour financer l'acquisition d'un seul bien, la Cour de cassation, qui ne s'arrête pas à la qualification de crédit revolving donnée par l'établissement de crédit, considère que les parties sont en réalité liées par un contrat de prêt d'un montant déterminé qui devrait être intégralement remboursé avant que son bénéficiaire puisse en disposer de nouveau. Elle en déduit que, dans ce cas, le délai de forclusion part de la première échéance impayée non régularisée(57).
2. Le délai applicable à l'emprunteur

24. Dans le cas d'une action fondée sur l'irrégularité du contrat, le point de départ du délai court à compter de la date à laquelle le contrat est définitivement formé(58), c'est à dire, selon la cour d'appel de Versailles, la date d'expiration du délai de rétractation(59). Il a été jugé que lorsque l'offre ne prévoyait aucune date, le point de départ courrait à compter de la remise effective des fonds(60).

25. Dans le cas d'un solde débiteur d'un compte bancaire, le point de départ de l'action court à compter de la date de la convention d'ouverture de compte(61). En revanche, s'il s'agit d'un découvert consenti tacitement, le point de départ du délai de forclusion opposable à l'emprunteur qui, par voie d'action ou d'exception, se prévaut de l'absence d'offre préalable, est la date à laquelle le solde débiteur est devenu exigible(62).

26. Enfin, le délai de forclusion opposable à l'emprunteur qui conteste la régularité, au regard des dispositions de l'article L. 311-9 du Code de la consommation, des conditions de la reconduction ou du renouvellement de l'offre préalable d'un crédit utilisable par fraction, court à compter de chaque reconduction ou renouvellement(63).

Le délai de deux ans n'est cependant pas opposable à une partie en cas de fraude commise par celui qui s'en prévaut(64).
3. L'action de la caution

27. La caution dispose de deux recours distincts fondés sur les articles 2028, qui prévoit une action personnelle, et 2029 du Code Civil qui repose sur le mécanisme de la subrogation. Il ne fait aucun doute que le recours subrogatoire de l'article 2029 est soumis aux dispositions de la loi du 10 janvier 1978 puisque, selon une jurisprudence constante, le débiteur poursuivi peut opposer au créancier subrogé les mêmes exceptions et moyens de défense dont il aurait pu disposer initialement contre son créancier originaire(65). Clôturant le débat qui s'était instauré entre les juridictions du fond sur le point de savoir si, en raison de son caractère personnel, le recours visé à l'article 2029 était ou non soumis aux dispositions de la loi Scrivener(66), la Cour de cassation est venue préciser que l'article 27 de la loi du 10 janvier 1978, tel qu'interprété par les lois du 23 juin 1989 et du 31 décembre 1989, s'appliquait à toutes les opérations réglementées par la loi du 10 janvier 1978 et, notamment, au recours personnel de la caution à l'encontre de l'emprunteur principal(67). Il s'ensuit que le recours, personnel ou subrogatoire de la caution, doit être, en application de l'article L 311-37 du Code de la consommation, intenté devant le tribunal d'instance du domicile du débiteur dans les deux ans de l'événement qui lui a donné naissance, et ce, à peine de forclusion.

Cependant, le point de départ du délai diffère selon le type de recours utilisé. L'événement qui a donné naissance à l'action subrogatoire est celui qui a donné naissance à l'action principale, soit, en règle générale, le premier incident de paiement non régularisé(68).

28. Lorsque le débiteur a cessé d'honorer ses remboursements lors de la mise en liquidation judiciaire, l'obligation principale de la caution naî t de la première échéance impayée, et ce indépendamment de la nécessité pour le créancier de déclarer parallèlement sa créance et de la faire admettre par le juge commissaire(69).

L'évènement qui a donné naissance à l'action personnelle se situe quant à lui au jour du paiement par la caution(70).

Le point de départ du délai pendant lequel la caution peut, par voie d'action ou d'exception, contester la validité de son engagement, est la date à laquelle son consentement a été donné(71).

On notera par ailleurs que la Cour de cassation considère, sévèrement, que la caution solidaire, qui est donc privée du bénéfice de discussion, ne peut opposer au créancier la forclusion encourue par celui-ci dans ses poursuites contre le débiteur principal. Dès lors que la caution solidaire est assignée avant l'expiration du délai biennal de forclusion, l'action peut être poursuivie même si le créancier est forclos à l'égard du débiteur principal(72).

Enfin, la caution ne peut plus se prévaloir, plus de deux ans après la demande d'exécution du cautionnement faite par le créancier, des dispositions de l'article L. 313-10 du Code de la consommation qui permettent d'opposer à celui-ci l'impossibilité de se prévaloir de la garantie en raison de la disproportion manifeste de celle-ci à ses biens et revenus(73).
D. Conséquences du délai

29. Contrairement au délai de prescription qui est interrompu par les causes énumérées par l'article 2244 du Code civil (une citation en justice, un commandement, une saisie), l'article 2248 (la reconnaissance de dette) ou l'article 2249 (interpellation), ou suspendu par la minorité ou la tutelle (article 2252), le délai de forclusion est indifférent à ces événements.

Ainsi n'interrompent pas ce délai une sommation de payer(74), une reconnaissance de dette(75) ou une assignation devant une juridiction incompétente(76), la saisine de la commission de surendettement(77), un procès verbal de recherches ayant ultérieurement révélé le domicile du débiteur et qui ne peut être assimilé à celui dressé en application de l'article 659 du nouveau Code de procédure civile(78).

30. Seules, donc, interrompent le délai, la saisine du tribunal d'instance, par voie d'assignation, indépendamment de sa mise au rôle(79), une assignation en référé-provision(80) la déclaration au greffe prévue à l'article 847-1 du NCPC, la déclaration de créance faite au cours d'une procédure de surendettement(81) ou d'une procédure de redressement judiciaire suivie de l'admission définitive de la créance par le juge-commissaire(82), de même que la demande du débiteur adressée à la commission de surendettement de recommander des mesures de redressement, après échec de la tentative de conciliation(83).

31. Lorsqu'une juridiction incompétente est saisie, le délai est interrompu par le jugement du tribunal initialement saisi qui constate l'incompétence et saisit le tribunal d'instance compétent(84). La signification devant la cour d'appel de conclusions tendant à la confirmation d'un jugement de condamnation rendu par une juridiction incompétente est aussi de nature à interrompre le délai de l'article L. 311-37(85).

32. Il a été jugé que l'action du prêteur ne pouvait être tenue pour engagée par la simple présentation d'une requête en injonction de payer et que seule la signification de l'ordonnance d'injonction de payer interrompait le délai(86).

En revanche, une fois l'action introduite, le délai est suspendu durant l'instance. Ainsi, un créancier ayant vu sa demande en paiement rejetée en première instance, n'encourt pas la forclusion en ayant formalisé son appel plus deux ans après le prononcé du jugement dès lors que l'action avait été introduite en temps utile et que par l'effet suspensif du délai d'appel et de l'appel, le litige se poursuivait entre les parties tant que le jugement n'avait pas été signifié(87).

33. S'agissant du crédit municipal qui, en tant qu'établissement communal doté d'un comptable public, dispose du pouvoir d'émettre lui même un titre exécutoire, le délai est interrompu par l'émission du titre exécutoire(88).

34. Le tribunal d'instance compétent est celui du domicile du débiteur ou du lieu d'exécution du contrat, qui est en général le lieu de versement des fonds(89).

35. En raison de son caractère préfix, le délai de l'article L. 311-37 constitue une fin de non recevoir que le juge, en application de l'article 125 du NCPC, doit relever d'office(90) et qui peut être soulevée, conformément à l'article 123 du même code, en tout état de la procédure, même pour la première fois devant la cour d'appel après le dépôt de conclusions au fond(91).