Le constat sur requête avant tout procès

Marcel FOULON Président de Chambre Cour d'appel de Paris
et Yves STRICKLER Professeur à l'Université Robert Schuman de Strasbourg
Responsable de la Spécialité de Droit des contentieux


L'apparente facilité de l'usage d'une procédure non contradictoire ne doit pas en dissimuler les dangers. C'est pourquoi les procédures sur requêtes obéissent à des règles particulières liées à l'absence exceptionnelle de la contradiction. Cette absence reste cependant encadrée et ce d'une manière telle que ce principe premier de la procédure n'est jamais très éloigné, alors même qu'on le pensait en sommeil.

I. 03 1. Pour le plaideur qui, avant tout litige, cherche à obtenir des preuves, la tentation est grande d'utiliser une procédure non contradictoire réputée plus facile à obtenir, tout d'abord parce que celui qu'il vise par son action n'est pas là pour le contredire et ensuite parce qu'il n'est pas inexact de dire que le travail du juge qui en ce domaine consiste en un contrôle répétitif et donc routinier, tend à conduire celui-ci vers un certain laxisme. N'a-t-on pas encore dans certaines juridictions le souvenir de ces « ordonnances sur coin de bureau », c'est-à-dire signées à la va-vite sans réel examen ? Quant à l'industriel ou au commerçant indélicat, cette procédure peut lui permettre à bon compte d'obtenir des renseignements confidentiels concernant un concurrent ou un mieux sachant.

2. Cet attrait apparent, immédiat, peut cependant être celui d'une sirène et l'heureux requérant risque de connaître des lendemains qui déchantent. L'ordonnance sur requête dont la rétractation peut toujours être obtenue même après l'engagement d'une procédure au fond, peut avoir un effet « boomerang » pour l'initiateur imprudent ou déloyal(1). Une procédure non contradictoire est par ce seul fait dangereuse. Et, à l'extrême, si la voie non contradictoire était utilisée contre un adversaire faible qui pourrait le cas échéant être conduit à déposer son bilan avant même que n'intervienne la remise en cause, possible, de la mesure obtenue unilatéralement par le requérant, la procédure serait manifestement dévoyée. Aussi le juge se doit-il d'être encore plus vigilant et strict que de coutume, en faisant respecter avec minutie les règles du nouveau Code de procédure civile. Celles-ci incluent spécialement la loyauté, mise en évidence dans une décision récente où la Cour de cassation a reproché aux juges d'appel de s'être contentés de la justification apportée par le demandeur de l'existence d'un intérêt légitime à établir les éléments de preuve demandés sans avoir recherché si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe de la contradiction(2).

3. A côté des dispositions générales qui gouvernent la voie sur requête (articles 493 et suivants du NCPC mais aussi article 145), on relèvera que le législateur a prévu, en matière de propriété littéraire et artistique, des ordonnances sur requêtes qui autorisent la recherche de preuves avant tout procès(3). Il ne sera pas inutile d'examiner ces procédures qui, si elles ne constituent « pas une expertise au sens des articles 232 et suivants du nouveau Code de procédure civile(4) », sont des procédures cousines qui créent cependant parfois la confusion dans l'esprit du plaideur inattentif.

4. Les procédures sur requêtes obéissent à des règles particulières liées à l'absence exceptionnelle de la contradiction. On relèvera toutefois que même dans ce cas, celle-ci subsiste en filigrane. La procédure sur requête est une exception qui ne peut que vivre dans l'ombre du principe fondamental qu'est la contradiction. Aussi le non contradictoire est-il limité. Si en voie de requête la contradiction est mise en sommeil, il ne peut donc s'agir que d'un sommeil partiel. En effet, même pendant ce sommeil provisoire, la contradiction ne disparaît pas totalement et l'article 497 du nouveau Code de procédure civile vient affirmer que « la requête doit comporter l'indication précise des pièces invoquées(5) ». Cette obligation à bien sûr pour but de permettre au juge d'une part d'apprécier l'opportunité de prendre la décision réclamée et d'autre part de statuer contradictoirement lors de la rétractation en lui rappelant les pièces qui avaient emporté sa décision. Mais elle a aussi pour but de permettre à celui contre qui est prise l'ordonnance de pouvoir a posteriori organiser sa défense. Le non respect de cette obligation n'est donc pas sanctionné par les règles concernant la nullité pour vice de forme (qui supposent la démonstration d'un grief) mais par celles gouvernant les nullités pour vice de fond (qui ne l'imposent pas). La Haute juridiction l'a dit explicitement : « en écartant une nullité pour vice de forme alors qu'était en cause le respect du principe de la contradiction, la cour d'appel […] a violé » l'article 494 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile(6). Parmi les pièces qui doivent être invoquées, une place à part doit être faite aux requêtes précédentes. Il est bien évident que le requérant a un devoir de loyauté envers le juge encore plus impératif que dans une procédure contradictoire. « L'idée de loyauté fonde » en effet « les règles du procès(7) ». La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation (celle de la procédure) se fonde d'ailleurs régulièrement ces dernières années sur le principe de loyauté(8) et ceci même lorsque les pourvois sont fondés uniquement sur la violation des articles 15, 16 et 135 du nouveau Code de procédure civile(9). Triste époque que celle où il faut ériger en principe ce qui relève du bon sens et devrait aller de soi ! Il est par conséquent indispensable au requérant, lorsqu'il présente une deuxième requête, de mentionner l'existence de la précédente qui avait été rejetée. Une cour d'appel a pourtant cru pouvoir juger du contraire(10) !

5. Si le constat avant tout procès voit s'installer le règne de la non-contradiction (I), cette absence n'est cependant envisagée que comme provisoire. Dès l'instant que la décision est rendue, le développement de la procédure doit en effet revenir aussitôt que possible à la norme fondamentale et conduire à l'application du principe de la contradiction (II).

I. La non-contradiction

6. Le principe qui irrigue le droit processuel est celui de la contradiction. Elément du procès équitable(11), il fonde tant la procédure administrative(12), civile, que la procédure pénale sous la dénomination de « droits de la défense ». La non-contradiction est pourtant présente en droit judiciaire privé, lorsqu'est empruntée la voie sur requête. L'éviction de la contradiction est tantôt obligatoire et tantôt, elle résulte d'un choix de la partie demanderesse (A). Exception à un principe essentiel la non-contradiction obéit inévitablement à des règles processuelles spécifiques (B).

A. Obligation ou choix de la procédure non contradictoire

7. Les deux premiers alinéas de l'article 812 du nouveau Code de procédure civile(13) proposent une classification des ordonnances sur requête. Dans un certain nombre de cas prévus par la loi, le non contradictoire s'impose systématiquement (alinéa 1er). Ces ordonnances « nommées » ou « spéciales » (1) s'opposent ainsi aux ordonnances « innomées » ou « générales »(14) (2) pour lesquelles la voie unilatérale ne s'emprunte qu'après en avoir justifié l'usage.

1°. Les ordonnances « nommées » ou « spéciales »

8. Ces cas d'ordonnances sur requête sont spécifiés par la loi. La non contradiction est ici la règle. Elle est automatique. Le requérant n'a par conséquent à justifier ni de l'urgence, ni des circonstances qui, en régime de droit commun, justifieraient l'emploi d'une procédure unilatérale. Il peut ainsi se borner à viser le texte qui autorise cette voie et s'attacher uniquement à démontrer que les conditions posées par celui-ci sont remplies.

Dans le domaine qui nous intéresse, six procédures de ce type sont permises par le Code de la propriété intellectuelle. En matière de propriété industrielle, l'article L. 716-7 permet notamment au propriétaire d'une marque enregistrée de faire procéder par tout huissier assisté d'experts de son choix, en vertu d'une ordonnance sur requête du président du tribunal de grande instance, à la description détaillée de produits offerts à la vente en violation de ses droits. La même procédure est ouverte au propriétaire de brevet (articles L. 615-5 et R. 615-1) d'invention et au propriétaire de certificat d'obtention végétale (articles L. 623-27 et R. 623-51). Les trois autres hypothèses apparaissent en matière de propriété littéraire et artistique et bénéficient : aux auteurs de dessins et modèles (article L. 521-1), aux titulaires de droits sur un logiciel ou des bases de données (article L. 332-4) et aux auteurs d'une œuvre protégée (article L. 332-1).

9. Les conditions imposées par ces textes se réduisent néanmoins au strict minimum. De sorte que celui qui justifie être titulaire d'un droit bénéficie par principe d'un automatisme dans l'octroi de la mesure sollicitée. Ceci ne signifie cependant pas que tout ce qui est demandé est obtenu. Car le juge vérifiera que les modalités de réalisation de cette mesure correspondent aux règles fixées par le texte qui prévoit la voie unilatérale. Mais il faut bien constater que la démonstration de la titularité du droit emporte un premier mouvement de crédit au demandeur. L'article L. 716-7 illustre le propos en prévoyant par exemple que le propriétaire d'une marque enregistrée peut agir dans une perspective, soit de « description détaillée avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit (de) saisie réelle des produits ou des services qu'il prétend marqués, offerts à la vente, livrés ou fournis à son préjudice en violation de ses droits ». Son affirmation est présentée par le texte comme critère d'acceptation de la mesure. Et l'alinéa second du texte vient simplement atténuer ce principe de confiance au titulaire du droit en permettant au président de subordonner la saisie réelle à la constitution de garanties par le demandeur pour le cas où l'action en contrefaçon serait « ultérieurement jugée non fondée ».

Il est à noter que dans tous ces cas prévus par le Code de la propriété intellectuelle, le requérant doit assigner au fond dans les quinze jours, sous peine de nullité de la saisie (le délai est de 30 jours dans le cas de l'article L. 332-1). C'est là une différence importante avec l'ordonnance sur requête in futurum de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, qui se suffit à elle-même et qui est conçue pour préparer mais aussi et le cas échéant pour éviter le litige futur présent en filigrane.

10. Il faut alors se demander si une procédure sur requête in futurum de droit commun est possible lorsqu'une procédure sur requête nommée existe. Dans tous les cas d'ordonnances sur requête qu'il spécifie, le Code de la propriété intellectuelle attache la sanction de la nullité de la mesure à l'absence de saisine du juge du fond par le requérant dans un certain délai, normalement de quinzaine. Cette mesure, protectrice du saisi, est destinée à éviter des actions intempestives. Elle doit conduire à exclure la requête in futurum de droit commun chaque fois qu'une procédure spéciale a été créée(15).

2°. Les ordonnances « innomées » ou « générales »

11. Que ce soit dans le cas des ordonnances in futurum de l'article 145 du nouveau Code(16) comme celui des ordonnances sur requête en cours d'instance(17), le requérant doit justifier qu'il est dans un cas qui le fonde « à ne pas appeler la partie adverse » (article 493 du NCPC). Pour cela, il faut que « les circonstances exigent » que la mesure ne soit pas prise contradictoirement (article 812, alinéa 2 du NCPC). Le requérant doit aussi justifier de l'urgence, visée par l'article 812 (« les mesures urgentes »). Mais la question est ouverte concernant l'exigence de cette condition lorsque le requérant agit sur le fondement de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile.

12. La référence faite aux circonstances exigeant que la voie empruntée soit unilatérale conduit à mettre en concurrence le juge des référés et le juge sur requête. L'intervention du premier constitue néanmoins la norme. Le principe de la contradiction est en effet l'un des piliers fondamentaux de notre procédure. Le recours à la voie unilatérale est clairement l'exception, ce que le verbe « exiger » rappelle instamment(18). Aussi le requérant qui entend user de cette voie doit-il justifier qu'il est impossible d'obtenir le résultat escompté en utilisant la voie normale contradictoire. Il doit démontrer que la clandestinité de la procédure est nécessaire à l'effet de surprise. Les circonstances justificatives qui doivent exister au jour de la requête peuvent de ce point de vue tendrent à éviter la disparition de documents ou la modification des lieux(19). Parfois il suffira au requérant d'affirmer la nécessité de la voie unilatérale, tant la mesure même l'impose (ainsi le constat d'adultère) ; une allégation alors suffira, mais cette allégation doit figurer dans la requête. Le juge, ensuite, va contrôler et vérifier si la mesure sollicitée exige ou non une dérogation au principe de la contradiction(20). A cet égard, le seul fait qu'un débat pourra avoir lieu à la suite d'une demande de rétractation ne suffit évidemment pas à justifier un écart au principe(21). On ne saurait en effet prétendre que la contradiction est respectée du simple fait de la possibilité de le voir « ressuscité(22) » par un éventuel débat devant le juge de la rétractation(23).

La procédure unilatérale est fréquemment utilisée en matière de concurrence déloyale : un salarié est licencié ou quitte son entreprise pour exercer ses fonctions dans une autre mais dans la même branche d'activité ; le premier employeur, invoquant une concurrence déloyale, reproche à son ancien salarié soit un vol du fichier de la clientèle, soit une clause contractuelle de non concurrence, et demande au juge des requêtes un constat in futurum entre les mains du salarié ou dans celles de la seconde entreprise. L'importante décision déjà citée, pourtant non publiée au Bulletin civil, rendue dans ce domaine insiste sur le fait que si les demandeurs justifient d'un intérêt légitime à établir la preuve des faits allégués, ce n'est pas suffisant à engager la voie non contradictoire. En statuant dans un sens favorable aux demandeurs sans rechercher par ailleurs si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe de la contradiction, la cour d'appel ne donne pas de base légale à sa décision(24).

La procédure unilatérale est également fréquemment utilisée dans les conflits de voisinage : lorsqu'un voisin reproche à une discothèque qui jouxte son immeuble de créer des gênes sonores anormales, il présente une requête in futurum au président du tribunal de grande instance pour qu'un expert aille mesurer le bruit produit par cet établissement. Dans un tel cas on peut se demander si l'ordonnance non contradictoire est nécessaire. Car ne serait-ce pas plutôt l'heure et la date du déplacement de l'expert qui devraient être clandestins ? Se sachant sous la menace d'une telle mesure à une date indéterminée, on pourrait en effet espérer que l'établissement de nuit aurait naturellement tendance à restreindre l'émission de bruit et par voie de conséquence respecter la tranquillité de ses voisins.

13. La mention de l'urgence à l'article 812 du Code conduit à se demander si cette condition est ou non exigée dans le cas spécifique des mesures in futurum.

Certains, comme le doyen Normand et le cosignataire de la présente chronique, M. Foulon, pensent que « l'urgence réapparaît discrètement dans un domaine où l'on avait pu croire à sa disparition(25) », en affirmant que l'on « voit mal comment l'article 812 qui pose expressément cette condition pourrait n'être pas pris en son entier. C'est l'un des éléments du prix à payer pour échapper, provisoirement au moins, au principe de la contradiction(26) ».

D'autres, comme Madame Pierre-Maurice(27) ainsi que les professeurs Després(28) et Strickler, sont d'un avis contraire et soutiennent que l'ordonnance probatoire préventive n'est pas soumise à cette condition d'urgence dans la mesure où l'article 145, texte spécial, déroge au texte général de l'article 812 applicable au tribunal de grande instance tout en rejoignant celui, plus général encore puisque figurant dans le Livre du Code relatif aux dispositions communes à toutes les juridictions, de l'article 493. Ce dernier texte parle des « cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse », sans mentionner l'urgence. D'ailleurs et en outre, en faisant état d'une réapparition discrète de l'urgence, n'indique-t-on pas par là même qu'elle n'est pas une condition requise mais simplement une manière comme une autre pour apprécier le caractère indispensable de la mesure sollicitée ? Si l'article 812 vise en son second alinéa l'urgence comme condition de la requête pour échapper au contradictoire, son alinéa premier se limite à renvoyer aux cas spécifiés par la loi. Ceux-ci doivent être soumis, selon les seconds auteurs cités, à leurs propres exigences.

14. Quelle que soit la voie qui conduit le requérant à avancer seul, elle est parsemée de règles particulières, adaptées à l'absence voulue ou choisie de contradiction.

B. Les règles processuelles de la non contradiction

15. Dans le chemin qui mène au juge il faut, en premier lieu, s'interroger sur la personne du requérant : qui peut présenter une requête(29) ? Au tribunal de grande instance, hors les cas où elle est présentée et signée par un officier public ou ministériel, la requête est présentée par un avocat (article 813 du NCPC) inscrit au barreau de la juridiction devant laquelle elle est portée(30), sous peine d'irrecevabilité de la demande. Au tribunal d'instance, elle peut l'être par tout mandataire (article 852 du NCPC). Ce dernier doit-il être muni d'un pouvoir spécial ? La Cour de cassation ne l'exige pas dans le cas voisin de la requête en injonction de payer de l'article 1407 du nouveau Code de procédure civile(31) et l'on peut penser qu'il doit en être de même ici. Pour le tribunal de commerce, en l'absence de prévision des articles 874 à 876 du nouveau Code, il faut en revenir à la règle générale de l'article 853. La partie se défendra elle-même, soit fera appel à un avocat (de n'importe quel barreau) ou à toute personne de son choix, pour peu qu'elle soit munie d'un pouvoir spécial (alinéa 3).

On remarquera que dans certaines juridictions (notamment celles de Paris), la requête est exposée au président du tribunal (ou à son délégué). Dans d'autres, les requêtes sont déposées au greffe et le juge ne convoque l'avocat qu'en cas de difficulté.

16. Il convient, en second lieu, de déterminer le juge devant lequel il faut exposer sa requête. A cet égard, la réponse à délivrer passe par la reprise de la distinction des ordonnances générales (1) et des ordonnances du Code de la propriété intellectuelle (2).

1°. Les ordonnances générales (de droit commun)

17. Les textes applicables dépendent de l'existence ou non d'un procès au fond. Dans l'affirmative, le fondement de la demande de mesure d'instruction ne peut être l'article 145 du nouveau Code de procédure civile, puisqu'un procès est né(32).

18. Au premier degré et devant la juridiction de droit commun qu'est le tribunal de grande instance, lorsque la requête est présentée à l'occasion d'une instance, elle doit indiquer la juridiction saisie (article 494, alinéa 2 du NCPC). Cette précision est nécessaire puisque dans un tel cas les requêtes doivent être présentées au président de la Chambre à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi (article 812, alinéa 3 du NCPC).

On rappellera qu'en matière prud'homale, c'est le président du tribunal de grande instance qui sera compétent puisqu'il n'existe pas de juge des requêtes devant la juridiction des prud'hommes(33). Quant à la compétence territoriale, elle sera celle du conseil de prud'hommes saisi au principal. Le critère général de compétence au regard du lieu sera d'ailleurs celui-ci : la compétence territoriale suit celle du juge saisi au fond.

Aucune disposition semblable à l'article 812, alinéa 3, n'existe devant les autres juridictions du premier degré. Ni devant le tribunal d'instance, ni devant le tribunal de commerce (cf. article 875 du NCPC). Est-ce à dire qu'en cas de procès au fond devant une de ces juridictions l'on pourra présenter une requête à un autre juge ?

19. En appel, l'article 958 du nouveau Code de procédure civile énonce que : « le Premier président peut, au cours de l'instance d'appel ordonner sur requête toutes mesures urgentes relatives à la sauvegarde des droits d'une partie ou d'un tiers lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement ». La requête est présentée par avoué (article 959) au Premier président ou à son délégataire, seul compétent à l'exclusion de tout autre magistrat dans le cas où l'instance devant la cour implique constitution d'avoué. Cette compétence implique que la mesure sollicitée ait trait au litige dont la cour d'appel est saisie et ne peut s'étendre à la prescription d'une mesure d'instruction propre à justifier éventuellement une prétention qui n'a pas encore été portée devant la cour d'appel.(34).

20. Une procédure sur requête est donc possible au sein d'une instance contradictoire née. Pourtant plusieurs décisions de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation laissent planer un doute sur ce qui semble être une évidence : la Haute juridiction a ainsi indiqué, le 21 juin 1995(35), qu'un Président de tribunal « ne peut ordonner sur requête un constat non contradictoire que s'il existe un motif légitime d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ».

Comment comprendre une telle restriction ? Serait-ce interdire toute mesure non contradictoire à partir du moment où le procès au fond est né ? Une telle position est difficilement imaginable. A moins que la Cour n'estime par la formulation « qu'il appartient au requérant de saisir le juge rapporteur dans les conditions de l'article 865 du NCPC » que c'est le juge rapporteur qui pourrait statuer sur une telle requête… Dans la logique de cette hypothèse, le juge de la mise en état aurait la même compétence. Ce serait là un profond bouleversement de compétence, ces magistrats n'ayant jamais eu compétence pour statuer sur requête(36). Bouleversement qui serait par ailleurs souhaitable car logique. Pourquoi le juge de la mise en état ne pourrait-il statuer sur requête ? Ne serait-ce pas la compétence attribuée par l'alinéa 3 de l'article 812 par l'expression « ou au juge déjà saisi » ? Il semble plus probable que la Cour de cassation se borne ici à rappeler que l'article 145 du nouveau Code de procédure civile n'est pas utilisable lorsqu'une procédure au fond existe.

21. Il se peut à l'inverse qu'il n'existe pas de procès au fond. Dans un tel cas l'article 145 du nouveau Code peut être utilisé, pour peu que le requérant parvienne à démontrer qu'il existe un motif légitime à ordonner la mesure sollicitée. Mais avant de vouloir poser un quelconque fondement à la requête présentée, il faut encore savoir devant quel juge l'exposer.

La compétence d'attribution du juge des requêtes sera celle de la juridiction dont il est une émanation. Les règles applicables en ce domaine sont les mêmes que lorsque la voie choisie a été celle du référé in futurum(37). La requête devra donc prévoir le fondement juridique de l'éventuelle procédure au fond, permettant de justifier la compétence d'attribution du juge saisi. Il convient de mettre à part, comme plus avant(38), les litiges en matière prud'homale, car il n'existe pas de juge des requêtes devant le conseil de prud'hommes. Le président du tribunal de grande instance sera donc compétent pour en connaître.

Quant à la compétence territoriale, le juge qui convient en principe de saisir est celui du tribunal du lieu où la mesure demandée doit être exécutée(39) et(40).

22. Nous venons de voir que si un procès au fond est né, la requête doit être présentée au président de la juridiction saisie, alors que dans le cas inverse, elle est présentée au président de l'article 145 du NCPC. Diverses dates sont alors à individualiser et à confronter. Le procès au fond, d'abord, naît-il de l'assignation ou de sa remise au greffe ? La Cour de cassation n'a pas clairement fait son choix (pour l'assignation(41) ; pour le placement au greffe(42)). On remarque que la décision se prononçant pour le critère de l'assignation a été rendue dans le cadre d'un litige de copropriété. Or dans ce domaine, la loi de 1965 exige que l'action soit « introduite » dans le délai de deux mois, ce que réalise l'assignation (articles 53 et 54 du NCPC)(43). La naissance du lien d'instance coïncide ainsi avec la notification de l'assignation et la rédaction du texte de la loi ne laisse aucune place pour l'interprétation du juge(44). De la même façon, le législateur vient imposer la solution, d'une part, dans le domaine du bail, tant par l'article 17 de la loi n° 89-462 du 9 juillet 1989 (« A défaut d'accord constaté par la commission de conciliation », le juge, saisi par l'une ou l'autre des parties, fixe le loyer » ; sous l'empire de l'article 21 de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 - « A défaut d'accord […] le juge est saisi avant le terme du contrat » -, la Cour de cassation avait déduit de cette disposition que la saisine du juge dépendait de la remise au greffe(45)) que par l'article L. 145-10 du Code de commerce (« le locataire doit […] saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans ») et, d'autre part, dans le domaine processuel à propos de la litispendance (l'article 100 NCPC visant « la juridiction saisie en second lieu »(46)).

En l'absence de solution clairement exprimée par la loi, l'interprétation du juge est tantôt inutile et tantôt nécessaire. Elle est inutile dans l'analyse du délai de péremption de l'instance : l'article 386 du nouveau Code prévoit cette sanction « lorsque aucune des parties n'accomplit de diligence pendant deux ans ». Ce délai ne court qu'à compter de la remise de l'assignation au greffe. C'est la logique qui impose la solution, dans la mesure où à défaut de remise au greffe dans les quatre mois, l'assignation est frappée de caducité (article 757, alinéa 2 du NCPC). On rappellera que la remise doit intervenir au plus tard huit jours avant l'audience devant le tribunal d'instance (article 838, alinéa 2) et le tribunal de commerce (article 857)(47). L'interprétation du juge est en revanche nécessaire en deux endroits. Le premier apparaît au Code de la consommation, en son article L. 311-37(48), pour lequel la Cour de cassation a décidé que « l'action est formée par la seule assignation […] indépendamment de la mise au rôle(49) ». Le second résulte de l'article 2244 du Code civil qui affirme que la citation en justice interrompt la prescription. Mais si l'assignation, qui est une citation (cf. article 55 du NCPC), produit cet effet interruptif, c'est « parce qu'elle a pour effet de permettre à une juridiction d'examiner le bien-fondé de la contestation(50) ». Aussi, à défaut d'instance marquée par l'enrôlement, la citation ne peut produire d'effet juridique. Le doyen S. Guinchard en déduit que « le juge est saisi au jour où l'assignation est lancée, mais sous condition suspensive que l'enrôlement ait eu lieu ». Cette dernière qualification n'offre cependant aucun intérêt pour ce qui est du tribunal de grande instance, puisque la non remise de l'assignation au greffe dans les quatre mois entraîne la caducité de celle-ci et que l'assignation dont la caducité a été constatée ne peut interrompre la prescription(51). Mais surtout, elle crée une difficulté pour ce qui nous intéresse : avec la thèse de la condition suspensive - comme d'ailleurs avec la thèse de l'enrôlement retenue le 13 février 2002 par la troisième Chambre civile dans l'arrêt précité et non publié au Bulletin -, on ne sait plus quel juge saisir (le juge de l'article 145 ou le juge du fond) dès lors que l'assignation a été délivrée sans que l'on sache si l'enrôlement a ou non été effectué. Une telle solution pourrait en outre déboucher sur une réaction du demandeur à la mesure d'instruction, qui pourrait alors être tenté d'engager une procédure sur le fondement de l'article 145 dès réception de l'assignation de son adversaire. L'assignation a quant à elle une date certaine, connue de tous. C'est donc par elle que l'on doit considérer que naît le procès.

A quelle date, ensuite, naît la procédure sur requête ? Trois dates peuvent, dans l'absolu, être proposées. Mais la première d'entre elles est à écarter d'emblée. Il s'agit de la date de la requête. En effet, aucune date certaine ne peut être établie (puisqu'il n'y a pas d'enrôlement(52)), sauf à considérer la date aléatoire du timbre dateur apparu - en principe - sur l'exemplaire remis au greffe. Deux autres instants entrent alors en concurrence, à savoir la date de l'ordonnance et celle de la signification de cette ordonnance. L'importance du principe contradictoire, toujours sous-jacent, invite à retenir ce dernier moment.

Enfin, à quelle date doit-on se placer pour apprécier l'existence de la procédure au fond ? De ce point de vue, si l'exercice de ses pouvoirs par le juge porte sur le mérite de la demande de mesure d'instruction et doit, logiquement, être pesé au moment où il statue, la condition d'antériorité à un procès au fond, question de pure procédure, doit être appréciée au jour de la demande. La cour d'appel doit donc apprécier l'existence d'une procédure au fond en se plaçant au jour où le juge des requêtes ou des référés avait été saisi(53).

2°. Les ordonnances du Code de la propriété intellectuelle

23. Des tableaux illustratifs permettront d'exposer tant la matière de la propriété industrielle(54) que celle de la propriété littéraire et artistique(55).

a). En matière de propriété industrielle

Matière    Compétence d'attribution    Compétence territoriale    Compétence au fond
Marque    Président TGI art. L. 716-7 du CPI    Pas de texte particulier. On en revient à l'application du droit commun (supra, § 21)    Droit commun : lieu du défen deur ou lieu du délit
Brevet d'inven tion    Président TGI art. L. 615-5 du CPI    - Compétence exclusive, art. R. 615-4 CPI- Lieu de la contrefaçon présumée, art. L. 615-5- Ressort dans lequel les opérations doivent être effectuées, art. R. 615-1 CPI    Seuls certains TGI sont compétents, art. R. 631-1 CPI et art. R. 312-2 COJ
Obtention végétale art. L. 623-27 du CPI    Président TGI art. L. 623-51 du CPI    Ressort dans lequel les opérations doivent être effectuées, art. R. 623-51 CPI    Seuls certains TGI sont compétents, art. L. 623-31 et R. 631-1 CPI ; art. R. 312-2 COJ
Dessins  et modèles    Président TGI art. L. 521-1 du CPI    Ressort dans lequel les opérations doivent être effectuées, art. L. 521-1 CPI    Droit commun : lieu où le dommage est subi

24. Il faut noter que certains aéroports qui s'étendent sur plusieurs ressorts territoriaux ont été rattachés à un seul tribunal (cf. tableau n° 1 en annexe du COJ). En parallèle, il arrive que des saisies soient effectuées dans un lieu qui s'étend sur le ressort de plusieurs tribunaux de grande instance. C'est le cas du parc des expositions de la porte de Versailles. La jurisprudence a ici décidé de rattacher le tout à Paris(56).

b). En matière de propriété littéraire et artistique

25. Logiciels et banques de données
Compétence d'attributon    Compétence territoriale    Compétence au fond
Président TGI, art. L. 332-4 CPI    - Pas de texte particulier.président du lieu d'exécution de la saisie.- Exception de l'art. L. 113-9 CPI (siège social de l'employeur)    - Pas de texte particulier.Domicile du défen deur ou lieu du délit (art. L. 331-1 CPI).- Exception (art. L. 113-9 CPI)
Commissaire de police art. L. 332-4 al. 4 CPI    Hypothèse d'une saisie-descriptive, non étudiée ici

26. S'agissant des droits d'auteur, l'article L. 332-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit une saisie contrefaçon. Il s'agit d'une procédure de saisie réelle, qui n'entre pas dans le cadre de la présente étude. Cependant, la jurisprudence a admis la possibilité d'avoir recours à une saisie contrefaçon descriptive (et aussi réelle) par ordonnance sur requête présentée au président du tribunal de grande instance(57). La Cour précise que le président du tribunal de grande instance a de par l'article L. 332-1 une compétence générale en la matière. Il ne s'agit donc pas ici d'une ordonnance sur requête de droit commun(58).

Le juge territorialement compétent sera soit le président du lieu où la mesure demandée doit être exécutée, soit le président de la juridiction saisie au fond(59).

27. Toutes les conditions nécessaires sont alors réunies pour que la décision puisse être rendue. Dès cet instant, le non contradictoire doit être réduit dans son étendue.

II. De la décision rendue au retour à la contradiction

28. En attendant la véritable naissance du contradictoire (B), l'ordonnance sur requête et la procédure subséquente doivent viser à limiter au maximum les risques générés par l'absence initiale de contradiction (A).

A. Les limites aux risques générés par l'absence initiale de contradiction

29. Ces limites apparaissent avec la décision sur requête prononcée (1). Dès cet instant, on en revient rapidement à l'idée fondamentale, au sens premier du terme, qui réside dans « le moins de non contradictoire possible » (2).

1°. La décision prononcée

30. Au regard de son contenu, il est certain que l'ordonnance doit comporter les mentions prévues à l'article 58 du NCPC tel qu'il résulte du décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005 (applicable à compter du 1er mars 2006), ainsi que le nom du juge qui l'a rendue(60). En revanche elle n'a pas à être signée par le greffier(61).

31. L'ordonnance sur requête est motivée (article 495, alinéa 1er du NCPC), ce qui est logique puisqu'il s'agit d'une décision juridictionnelle. Cependant la coutume et la pratique font que les ordonnances sont la plupart du temps préparées par le requérant. On ne peut que le regretter, car un tel document, une fois entériné par le juge, est réputé avoir été établi par celui qui l'a rendu et signé(62).

En outre, la motivation de ces ordonnances est très souvent et dans la réalité, absente ou à tout le moins réduite. Bon nombre d'ordonnances se bornent à viser la requête pour en adopter les motifs. L'ordonnance qui, visant la requête en adopte les motifs, satisfait à l'exigence de motivation(63). Il ne peut en être de même lorsque –et cette pratique est fréquente- l'ordonnance au pied de la requête se borne à la seule signature du juge sans aucune autre mention. Pourtant dans un tel cas, la deuxième Chambre de la Cour de cassation assimile cette seule signature à une motivation : « le fait d'avoir signé au pied de la requête l'ordonnance critiquée sans viser celle-ci » vaut « adoption par le juge des motifs de cette requête(64) ». Accepter une telle dérive dans l'allégement ou plutôt la disparition de tout formalisme est de nature à favoriser l'absence de réel contrôle du juge(65). Il est d'ailleurs frappant de constater que la réponse ci-dessus reproduite à la sixième branche des moyens de cassation a été publiée dans une revue juridique(66) mais ne l'a pas été au Bulletin qui lui a substitué la mention « sans intérêt » ! La Haute juridiction ne nous a pas habitués à céder devant la force des habitudes et les pratiques douteuses. Comment la pratique pourrait-elle cesser de reproduire ses errements traditionnels alors que la Cour de cassation ferme les yeux sur celles-ci ? Le souci d'accélérer le cours de la justice(67) ne saurait tout autoriser.

32. Ceci étant, puisque dans la grande majorité des cas l'ordonnance adopte les motifs de la requête, il est d'autant plus important pour le requérant de bien motiver celle-ci. Il est bien évident que le juge n'est pas lié par l'imprimé préétabli qui lui est proposé et qu'il peut modifier celui-ci, voir rédiger entièrement sa décision. Mais le nombre des procédures ne permet cette façon de faire qu'exceptionnellement. C'est pourquoi dans certaines juridictions les avocats doivent employer des modèles préétablis en accord avec le juge(68). Un moyen terme se dessine alors : plutôt que de conduire le juge à entériner l'écrit du requérant, autant proposer à tous un modèle de requête…(69)

33. L'établissement du constat suppose du juge qu'il désigne à cette fin toute personne de son choix (article 232 du NCPC). Il peut désigner un huissier de justice qui a compétence pour ce faire(70). Dans certaines hypothèses d'ailleurs, la personne qui constate(71) doit être un huissier de justice. Tel est le cas des saisies de contrefaçons (cf. Code de la propriété intellectuelle). Le juge doit-il alors désigner nommément l'huissier ou autoriser – comme le fait la pratique majoritaire - le requérant à faire exécuter « par tous huissiers de son choix territorialement compétents » ? Les huissiers étant des officiers publics et ministériels, la pratique majoritaire ne prête pas le flan à la critique. D'autant que certains textes l'approuvent (cf. la formulation des articles L. 615-5, al. 2, L. 716-7 et L. 521-1 du Code de la propriété intellectuelle). On a cependant pu remarquer dans un autre domaine que, selon les ressorts, les juges faisaient ou non droit aux injonctions de payer en fonction du montant en jeu. Lorsque ce dernier est jugé trop important, l'ordonnance est négative pour le requérant, qui doit alors suivre la procédure ordinaire. Il est probable que ce type de décisions varie selon la plus ou moins grande confiance que les magistrats accordent aux huissiers locaux, profession fréquemment à l'initiative de cette procédure accélérée(72).

34. On relèvera de même que dans l'hypothèse où l'huissier instrumentaire est assisté d'un expert (en matière de propriété intellectuelle notamment(73)), le juge doit lui-même désigner cet expert, qui, devant être indépendant et impartial, ne saurait être choisi par le requérant(74). Cette solution, qui pourtant répond à l'idée inspirée du droit anglo-saxon selon laquelle justice must not only be done, it must seen be done désormais acquise par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, a été remise en cause par la Chambre commerciale de la Cour de cassation(75). Selon la Haute juridiction, « le conseil en propriété industrielle, fût-il le conseil habituel de la partie saisissante, exerce une profession indépendante, dont le statut est compatible avec sa désignation en qualité d'expert du saisissant dans le cadre d'une saisie contrefaçon de marque ». Si l'on peut comprendre que la qualité de l'intéressé peut, lorsqu'il exerce sa profession à titre libéral, être suffisante par elle-même à assurer son indépendance, son impartialité, en présence de relations habituelles entretenues avec le demandeur à la mesure, est davantage sujette à caution. On rappellera qu'en matière de référé, le fait que le président statue au provisoire n'a pas été jugé suffisant pour faire présumer son impartialité lorsqu'il est ultérieurement amené à statuer sur le principal. Certes, le Code de la propriété intellectuelle déclare laisser le choix de l'expert à la liberté de l'huissier (v. articles L. 332-4, L. 615-5 et L. 716-7) ; mais tout acte de procédure doit répondre à l'exigence d'équité telle que visée par la Convention de sauvegarde et développée par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Il s'ensuit que permettre à une personne proche de l'entreprise saisissante d'observer dans les détails l'entreprise concurrente et prendre ainsi connaissance d'éléments que le regard du justiciable, en l'occurrence celui du défendeur, ne peut que juger défavorablement, n'est pas admissible : de par les liens qui existent avec le demandeur, l'homme de l'art choisi par l'huissier ne doit pas être habilité à en connaître. Dans l'attente d'une décision de la chambre mixte de la Cour de cassation qui ne manquera pas d'intervenir tant la question en jeu est importante, le juge a tout intérêt à désigner nommément l'expert, éventuellement après discussion avec le requérant.

35. Reste à délimiter la mission confiée au technicien. Et de ce point de vue, le juge devra se montrer particulièrement vigilant. Les requérants proposent en effet souvent des missions générales d'investigation que ne permet pourtant pas l'article 145 du nouveau Code de procédure civile(76). Si le secret des affaires n'est pas un obstacle en soi(77), une telle mesure doit être rejetée si elle risque de mettre le demandeur en possession de secrets de fabrication(78) ou si elle est susceptible de faire connaître la structure commerciale d'une société concurrente(79). Le juge ne peut d'ailleurs imposer hors des cas prévus par la loi (en matière de contrefaçons notamment) l'appréhension par voie de confiscation ou de saisie(80).

Le dispositif de l'ordonnance doit également préciser le montant de la consignation à valoir sur la rémunération du technicien à verser directement à celui-ci (article 251 du NCPC)(81).

36. Au regard de ses effets, l'ordonnance sur requête, exécutoire au seul vu de la minute tant qu'elle n'a pas été rétractée(82), est cependant dépourvue d'autorité de chose jugée(83). La Cour de cassation a récemment saisi l'occasion de l'affirmer, dans le cadre d'une demande de constat qui avait été présentée en référé. Pour s'y opposer le défendeur soutenait que sur les mêmes faits des mesures d'investigation avaient été précédemment ordonnées sur requête. La Haute juridiction a estimé que l'ordonnance sur requête n'ayant pas autorité de chose jugée, l'arrêt de la cour d'appel n'avait pas à statuer sur cette fin de non recevoir(84).

Il est à noter que si les mesures précédemment ordonnées l'avaient été par une ordonnance de référé, la nouvelle mesure aurait été irrecevable(85). Pour la Cour de cassation, une décision de référé ayant ordonné une mesure d'expertise n'est pas une décision de justice au sens de l'article 145 NCPC(86). La véritable justification de la solution est certainement à chercher ailleurs : tant dans l'expression avant tout procès qu'en raison de l'autorité de chose jugée au provisoire que possède la décision rendue. De sorte qu'une nouvelle expertise pourrait être réclamée en cas de circonstances nouvelles (article 488 du NCPC)(87).

37. Au regard, enfin, des voies de recours ouvertes, tout dépend de la décision rendue qui est contestée : lorsqu'il n'est pas fait droit à la requête, « appel peut être interjeté [dans un délai] de 15 jours. L'appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse » (article 496, alinéa 1er du NCPC). Un pourvoi n'est donc pas recevable(88).

L'appel est formé dans les quinze jours de l'ordonnance par une déclaration faite ou adressée par pli recommandé au secrétariat de la juridiction qui a rendu la décision, par un avocat ou un avoué(89) (article 950 du NCPC). Il ne pourra être réalisé par télécopie(90). On notera que l'ordonnance n'a pas à être notifiée par le secrétaire, contrairement à ce que prévoit l'article 675, alinéa 2, du nouveau Code de procédure civile pour les jugements gracieux(91).

Sur la déclaration d'appel, le juge peut modifier ou rétracter sa décision (article 952). Dans le cas contraire, le dossier est transmis à la Cour ; le juge informe la partie de sa décision dans le délai d'un mois. Devant la Cour, les règles applicables sont celles des articles 797 à 800 du nouveau Code de procédure civile. Il y aura donc communication obligatoire au ministère public (article 798).

38. Lorsqu'il est en revanche fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance (article 496, alinéa 2 du NCPC). Mais c'est déjà toucher au moment du retour de la phase contradictoire. En attendant ce retour, il faut encore que les mesures ordonnées aillent dans un sens qui le ménagera.
2°. Le moins de « non contradiction possible »

39. La mesure non contradictoire ordonnée doit être limitée au strict nécessaire. Ainsi, dans l'exemple de la concurrence déloyale(92) et a fortiori dans les saisies contrefaçons(93), l'on comprend aisément que la voie non contradictoire est indispensable pour avoir quelque chance de saisir des documents compromettants que l'intéressé ne manquerait pas de mettre en lieu sûr s'il avait été prévenu. Mais une fois les documents saisis, la non contradiction n'a plus de raison d'être. Il est donc normal qu'un échange entre les parties puisse s'instaurer pour savoir quel document sera transmis au demandeur. Des documents confidentiels, privés, étrangers au litige, peuvent en effet faire partie de la saisie. La mesure a même pu être sollicitée par un requérant indélicat dont le but réel n'est que de connaître la liste des clients de son concurrent, la solidité financière exacte de celui-ci, ou même des secrets de fabrication ou de stratégie commerciale. Il est dans cette perspective utile de prévoir dans le dispositif de l'ordonnance une clause pour éviter toute dérive. Elle pourra être rédigée de la manière suivante : « Précise que les informations et documents recueillis seront conservés au secret par les huissiers (et les experts) jusqu'à décision contraire du signataire de la présente décision, étant précisé qu'un débat contradictoire sur le devenir de ces documents aura lieu le (par ex. : premier mercredi(94)) suivant le procès-verbal de saisie établi par l'huissier (et comme il n'est pas inutile de prévoir que le rapport sera communiqué à la personne à laquelle il doit être opposé, la formule peut se poursuivre ainsi :), procès-verbal qui sera transmis aux parties à laquelle la présente ordonnance est opposée ».

Dans la plupart des cas, lors de cette audience contradictoire, les parties s'accordent sur la liste des pièces qui peuvent être communiquées. En cas de difficulté, le juge peut avoir recours à un expert ou peut préférer laisser au juge du fond le soin de dire quel document sera communiqué en fonction du litige. Le document saisi, le défendeur pourra, notamment pour les besoins de son activité, en obtenir copie, voire l'original, auquel cas ce sont les copies qui seront conservées au secret.

40. Copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée (article 495, alinéa 3 du NCPC). L'ordonnance et la requête doivent donc être signifiées ensemble(95). La signification de la seule ordonnance entraînerait nécessairement la nullité pour vice de fond, en raison de la violation du principe de la contradiction qu'elle occasionnerait et ce même si l'ordonnance dit reprendre les moyens invoqués dans la requête(96). Comment d'ailleurs la partie contre laquelle l'ordonnance a été prise pourrait-elle vérifier cette reprise ? Il convient de noter qu'en matière de saisie conservatoire l'omission par l'huissier de justice de signifier la requête en même temps que l'ordonnance entraîne l'annulation de la saisie(97).

Requête et ordonnance vont ainsi de paire. Faut-il y inclure les pièces visées ? On sait que la requête doit comporter la liste des pièces invoquées, ceci pour permettre à celui contre qui est rendue l'ordonnance de pouvoir a posteriori organiser sa défense. Si l'on considère que la signification de l'ordonnance et de la requête constitue le point de départ de la procédure contradictoire et donc, une sorte d'« assignation introductive d'instance a posteriori avec effet rétroactif », la communication des pièces devrait être spontanée (article 132, alinéa 2 du NCPC). Tel n'est pourtant pas le cas. La procédure restera en l'état si l'éventuel défendeur ne réagit pas. Dans le cas contraire, il formera une demande en rétractation, qui fera véritablement naître la procédure contradictoire.

B. La véritable naissance du contradictoire

41. Là encore, les ordonnances générales (1) peuvent être présentées séparément de celles prévues par le Code de la propriété intellectuelle (2).

1° Ordonnances sur requête in futurum(98) et ordonnances sur requête en cours d'instance

42. Le juge qui a autorisé la mesure est « seul compétent » pour rétracter cette autorisation(99), ce qui exclut une autre juridiction ou un autre juge, y compris le juge des référés lorsque celui-ci ne s'est pas vu confier les requêtes (cas de certaines grandes juridictions).

Ce juge reste compétent même si le juge du fond est saisi de l'affaire (article 497 du NCPC). Faut-il aller plus loin et affirmer que la compétence de ce juge exclut celle du juge du fond ? Soutenue par la mention restrictive « seul compétent » de l'arrêt de 1987 (non publié au Bulletin), cette solution conduirait à imposer de ressaisir le juge des requêtes alors que le juge du fond a tranché le fond du litige. Mais elle n'est pas défendable. Dans un domaine voisin, la Cour de cassation a d'ailleurs estimé que le refus d'un juge de rétracter son ordonnance ayant autorisé une saisie conservatoire n'interdit pas aux juges saisis de l'instance au fond d'ordonner la mainlevée de la saisie à tous les stades de la procédure(100).

43. Le retour opéré devant le même juge pouvait générer la question, récurrente au cours des dix dernières années, de l'impartialité de celui-ci. Cette obligation, édictée par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde, n'est pas méconnue par cette procédure qui vise précisément à revenir devant le juge qui a précédemment connu de l'affaire(101). Qui plus est, en ordonnance sur requête, la voie de rétractation n'a pas pour objet premier d'ouvrir une voie de recours à celui auquel est opposé l'ordonnance rendue (qui, comme nous venons de le voir, est admise dans son principe), mais à élever le débat contradictoire, absent dans la phase première de la procédure(102).

44. La procédure de rétractation relève de la matière contentieuse(103) et il résulte des articles 496 et 497 du nouveau Code de procédure civile « que la demande de rétractation d'une ordonnance sur requête relève de la compétence du juge qui l'a rendue », « saisi comme en matière de référé », précise la Cour de cassation(104). L'expression employée par la Haute juridiction (comme en matière de référé) étonne. Il est vrai que la Cour précise « saisi comme » et non pas « statue comme ». Alors pourquoi cette rédaction, qui risque de créer des confusions avec le cas ou le juge statue en la forme ou comme en matière de référé ? Ce qui n'a d'ailleurs pas manqué de se produire dans un arrêt du 17 novembre 1988, la cour d'appel estimant que le juge, saisi en la forme des référés, peut statuer sur le fond du litige(105) ! Fruit d'un écart de plume, l'expression ne saurait altérer la réalité : le juge est saisi en référé. La Chambre commerciale maintient néanmoins la contestable formulation(106).

45. Contrairement à ce qui existe en matière de propriété littéraire et artistique, il n'existe aucun délai pour en référer au juge qui a rendu l'ordonnance(107). C'est en cela notamment que cette procédure peut être une véritable bombe à retardement qui en cours d'instance au fond pourra, par la rétractation de l'ordonnance et de la mesure subséquente, détruire tout espoir de succès(108).

46. On a constaté que la raison d'être de la procédure sur requête réside dans son principal effet recherché, à savoir, la mise en sommeil du principe de la contradiction. Mais la voie unilatérale produit un autre effet : l'interversion de l'ordre naturel des parties. En effet, si le requérant avait agi par voie contradictoire (normale), il aurait en sa qualité de demandeur assigné le défendeur. En agissant subrepticement, le requérant prend –dans la réalité des faits et- par cette voie procédurale le costume d'un défendeur qu'il n'est pas. Ce n'est qu'à l'audience, grâce au retour de la contradiction, que chacun reprend sa véritable place, le requérant celle de demandeur et le demandeur à la rétractation, celle de défendeur à l'instance. L'ordonnance sur requête, à l'instar de l'ordonnance d'injonction de payer(109), est un mode particulier de saisine de l'instance. Il s'ensuit que c'est au requérant initial, qui reste demandeur même s'il apparaît comme défendeur dans l'instance de rétractation, à subir la charge de la preuve(110).

47. Les pouvoirs dont dispose alors ce juge ne sont pas ceux des autres cas de référé. De sorte qu'ils ne sont pas subordonnés aux conditions des articles 808 et 809 du nouveau Code de procédure civile, que ce soit l'urgence(111) ou l'absence de contestation sérieuse(112). Le juge dispose de pouvoirs spécifiques, qui sont ceux de l'auteur de l'ordonnance sur requête(113). C'est donc à la lumière de la contradiction que le juge va examiner les motifs contestés de la saisine par voie non contradictoire. Ainsi en cas de demande de rétractation fondée sur l'absence d'urgence (condition expresse de l'article 812, al. 2), le juge du contradictoire vérifiera si celle-ci existait lors de son intervention sur requête. Cette urgence là ne doit pas être confondue avec celle invoquée lors de la demande de rétractation et qui, comme cela a été dit, n'est pas nécessaire pour justifier la saisine du juge de la contradiction.

Cependant le juge ne se prononcera que sur ce qui lui est demandé, autrement dit sur les seules contestations invoquées par le défendeur(114). Il s'ensuit que le juge doit vérifier si les explications apportées par le demandeur à la rétractation (qui dans une forme procédurale normale contradictoire aurait été défendeur) l'auraient conduit à statuer différemment dans son ordonnance sur requête.

48. Une difficulté naît lorsque des circonstances nouvelles sont apparues postérieurement à la décision sur requête. Deux situations très différentes sont ici à distinguer. D'abord, les circonstances postérieures ne peuvent justifier a posteriori la mesure prise et a fortiori lorsque lesdites circonstances nouvelles ont été mises à jour par la mesure ordonnée(115). Ainsi s'explique la décision de la Cour de cassation cassant un arrêt confirmatif d'une ordonnance de référé, qui avait rejeté une demande de rétractation qui se fondait sur une créance différente de celle invoquée dans la requête(116). Ensuite et en revanche, le juge de la rétractation et le juge d'appel doivent tenir compte des faits postérieurs (soit à l'ordonnance sur requête par le juge de la rétractation, soit à l'ordonnance de rétractation pour le juge d'appel) pour vérifier si les mesures prises ont lieu de perdurer. Ainsi la Cour de cassation(117) a-t-elle justifié la décision prise par la cour d'appel d'ordonner la mainlevée d'une mesure conservatoire au motif que dans l'intervalle une transaction était intervenue. C'est au vu de ces explications qu'il faut comprendre les décisions de la Cour de cassation décidant, à juste titre, que « le juge de la rétractation doit se placer au jour où il statue »(118).

Il faut par conséquent distinguer les circonstances nouvelles qui ne peuvent a posteriori justifier une mesure antérieurement prise et les circonstances nouvelles qui peuvent rendre obsolètes des mesures justement prises à l'époque où elles l'ont été. Le regard du juge de la rétractation se porte ainsi en deux endroits, car il doit vérifier au vu de la contradiction, d'une part, si les conditions d'une prise de décision non contradictoire existaient ou non lorsqu'il l'avait rendue et, d'autre part, si la mesure est toujours justifiée au moment où il statue.

49. On peut toutefois s'interroger plus avant sur le juge qu'il convient de saisir lorsqu'une difficulté prend naissance après accomplissement de la mesure d'instruction. En cas de désaccord sur la mission ordonnée ou sur le nom du constatant désigné(119), la voie de rétractation s'impose(120). Mais en-dehors de ce cas, comment faire respecter par le constatant la mission qui lui a été confiée ? A quel juge alors s'adresser ? Deux situations peuvent se rencontrer :

Dans la première situation, la mission telle qu'ordonnée est ambiguë. Elle permet plusieurs interprétations ou certains de ses chefs, par la généralité des termes employés, rendent inutiles les autres chefs plus restrictifs et semblent permettre une instruction générale et donc sans aucune limite. Il est, dans une telle occurrence, toujours possible de saisir le juge qui a statué en interprétation (article 461 du NCPC, qui vise « tout juge » en vue « d'interpréter sa décision »). Le technicien qui « doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité » (article 237) se doit d'ailleurs de saisir le président si la mission lui semble ambiguë, voire exagérée ou abusive. Il en est de même en cas de difficultés d'exécution (article 167) et ceci même avant tout début d'exécution, puisque le « technicien peut demander à tout moment au juge de l'entendre » (article 245, alinéa 2).

Dans la seconde situation, la partie contre laquelle ou celui chez lequel s'effectue la mesure estime que le constatant outrepasse sa mission. S'il s'agit de la partie visée, l'article 167 du nouveau Code prévoit la saisine du juge du contrôle, qui est normalement le juge qui a ordonné la mesure (article 155 du NCPC). C'est-à-dire le juge des requêtes (qui ne pourra jamais être le juge des référés), qui n'est pas saisi sur le fondement de la rétractation(121) et ce même si ce juge a épuisé sa saisine(122). Ce peut également être, par application du texte suivant (article 155-1), le juge spécialement chargé de contrôler l'exécution des mesures d'instruction, désigné par le président de la juridiction. Dans ce dernier cas, c'est devant ce magistrat qu'il conviendra de porter la difficulté. Si la personne qui conteste l'exécution de la mesure d'information est le tiers chez qui la mesure est opérée, celui-ci peut aussi saisir le juge du contrôle. Devoir apporter son concours à la mesure d'instruction (article 160) ne signifie pas devoir tout accepter. Dans la plupart des cas, ce tiers saisit le juge sans forme et le juge statue sur cette difficulté dans le respect de la contradiction (article 168, alinéa 2)(123).

50. Cette fonction dévolue au juge du contrôle est-elle temporellement marquée d'une fin précise ? On pourrait penser que le dépôt du rapport au greffe (article 253, alinéa 1er NCPC(124)) marque ce moment. Mais une telle solution, applicable lorsqu'une instance au fond est née, pêche par défaut dans le cas contraire. En effet, dans la première hypothèse, c'est-à-dire lorsque la mesure d'instruction est ordonnée au cours d'une instance au fond, pour éclairer la religion du juge, le juge du contrôle perd tout pouvoir dès qu'il est dessaisi. Ce moment est alors marqué par le dépôt du rapport, puisqu'à cet instant l'instance se poursuit et le juge du fond, qui n'a jamais été dessaisi (article 153), prend le relais (article 172)(125). Il en va de même lorsque la mesure d'instruction avait été ordonnée avant tout procès et que désormais, l'instance au fond est engagée. En revanche, dans la seconde hypothèse, à savoir lorsque la mesure a été obtenue in futurum et que le juge du fond n'a pas encore été saisi, un arrêt du 2 décembre 2004(126) nous apprend que l'exception de nullité du rapport déposé par l'expert désigné sur le fondement de l'article 145 du nouveau Code doit être « soulevée dans l'instance au fond dans la perspective de laquelle la mesure d'instruction avait été ordonnée » et qu'« une action en nullité du rapport d'expertise exercée à titre principal [n'est] pas recevable ». C'est l'application de l'article 175 et des règles concernant la nullité des actes de procédure (Titre V – les moyens de défense ; Chapitre 2 – les exceptions de procédure ; Section 4 – les exceptions de nullité, article 112 à 121). Seul le juge du fond saisi dans la perspective dans laquelle la mesure avait été ordonnée « pourra être appelé éventuellement à statuer après dépôt du rapport, sur la validité de l'expertise et sur l'opportunité d'un changement de mission » ; étant rappelé que dans l'immédiat, seul le magistrat chargé du contrôle est compétent pour trancher toutes difficultés, à la demande soit des parties, soit de l'expert lui-même »(127).

Il s'ensuit que le juge du contrôle ne pourrait, pas davantage que le juge du fond saisi à cette seule fin, prononcer la nullité d'une expertise ou d'une partie de celle-ci, à la demande d'une partie. Ceci étant, il semble logique de considérer que celui-ci doit pouvoir prendre des mesures conservatoires pour assurer le secret de certaines parties du rapport jusqu'à décision du juge du fond(128). Peut-on tenir le même raisonnement lorsque c'est le tiers et non la partie à laquelle on l'oppose, qui entend obtenir la nullité de la mesure ? La réponse à apporter à cette interrogation est positive, puisque l'on ne voit pas sur quel fondement ce tiers pourrait invoquer la nullité. Seule la partie contre laquelle l'acte est fait est titulaire de l'exception. Le tiers pourra toutefois obtenir des mesures de restitution de documents indûment saisis, ou une interdiction de s'en prévaloir. Il s'adressera pour ce faire au juge du contrôle(129).

52. On rappellera que l'article 150 (et l'article 170) n'est pas applicable lorsque la mesure d'instruction est ordonnée sur le fondement de l'article 145 du nouveau Code(130).

53. Comme les autres ordonnances de référé, la décision rendue est susceptible d'appel et, de même que le premier juge, la cour d'appel ne devra pas se borner à vérifier la pertinence des motifs invoqués par le juge de la rétractation, mais devra aussi et ensuite contrôler ladite pertinence au jour où il statue au vu des circonstances nouvelles intervenues depuis. On rappellera toutefois qu'à l'instar des autres décisions de référé, cette ordonnance de rétractation bénéficie de l'exécution provisoire de droit. L'appel contre l'ordonnance rejetant la rétractation ne peut donc suspendre l'exécution immédiate de l'ordonnance sur requête(131).

54. Quant au pourvoi en cassation, on insistera sur le fait que le moyen tiré de la légitimité du choix de la voie non contradictoire est de pur droit. Il peut donc être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation(132).
2°. Les ordonnances du Code de la propriété intellectuelle

55. En matière de propriété industrielle, l'article 716-7 du Code de la propriété intellectuelle (à propos des marques de fabrique) ne prévoit pas de procédure de rétractation. Dans le silence des textes, c'est le droit commun que nous venons d'exposer(133) qui s'appliquera. « Le juge saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance (sur requête de l'article 716-7), est investi dans le cadre d'un débat contradictoire, même si le juge du fond est saisi de l'affaire, des pouvoirs appartenant à l'auteur de l'ordonnance »(134). Il en est de même en matière de brevet d'invention(135), « d'obtention végétale »(136), ou encore, de dessins et modèles(137).

Une différence fondamentale distingue cependant ces ordonnances de celles de « droit commun » : le juge du fond doit ici être saisi dans les quinze jours de la saisie sous peine de nullité de celle-ci(138).

56. En matière de propriété littéraire et artistique(139), les règles varient selon le domaine concerné.

57. Le droit d'auteur, en premier lieu, présente diverses particularités. D'abord, et l'on rejoint alors le droit commun des ordonnances sur requête, aucune obligation n'impose au requérant d'assigner au fond dans un délai de quinzaine. L'article L. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit bien un délai de trente jours pour assigner, mais aucune sanction de nullité de la saisie n'est attachée au défaut d'assignation dans le délai prévu par le texte(140).

Ensuite, si le saisissant n'assigne pas dans les trente jours de la saisie, mainlevée de celle-ci peut être demandée par le saisi ou le tiers saisi au président du tribunal statuant en référé (article L. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle). Il est logique de considérer que le président compétent est celui qui a signé l'ordonnance sur requête. Les pouvoirs de ce juge des référés ressemblent beaucoup à ceux que possède le juge de la rétractation de droit commun bien que si l'article 497 du nouveau Code de procédure civile ne s'applique pas. En effet, la procédure spécifique de mainlevée exclut l'application de l'article 497 du nouveau Code de procédure civile(141).

Enfin, dans les trente jours de l'ordonnance sur requête ou de la saisie, le saisi ou le tiers saisi peuvent demander au président du tribunal de grande instance de prononcer la mainlevée de la saisie (ou son cantonnement, article L. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle). Une fois ce délai expiré, la demande de mainlevée est irrecevable, sauf –compte tenu du cas précédent- si le saisissant n'a pas, dans le délai de trente jours de la saisie, assigné au fond. Autrement dit, si le saisissant assigne au fond dans les trente jours de la saisie, le tiers saisi ou le saisi ne pourront plus demander la mainlevée après l'expiration dudit délai de trente jours.

On ajoutera que la saisine du juge du fond ne change en rien au décompte, la demande de mainlevée dans le délai de trente jours reste recevable même après cette saisine(142).

58. En second lieu, l'article L. 332-4, alinéa 3, du Code de la propriété intellectuelle applicable à la matière des logiciels et banques de données(143) prévoit que « à défaut d'assignation ou de citation dans la quinzaine de la saisie, la saisie contrefaçon est nulle ». La règle est donc la même qu'en matière de propriété industrielle(144). En revanche, cette procédure est spécifique et, comme la précédente, exclut la procédure de rétractation de droit commun de l'article 497. La procédure de mainlevée est celle applicable au droit d'auteur avec les spécificités signalées. Ainsi une demande de mainlevée est-elle irrecevable à l'expiration du délai de trente jours(145).

59. Le constat avant tout procès se révèle en définitive riche dans les préceptes qui la conduisent et dans les procédures qui l'encadrent. La recherche de la preuve avant tout procès n'a cependant pas fini de faire couler l'encre. Fondamentale dans l'approche et l'usage des principes qu'elle mobilise, elle a également tendance à le devenir dans la pratique quotidienne où se développe le réflexe à y recourir. A la manière des tenants des procédures anglo-saxonnes où domine cet aspect, la technique probatoire avant l'échange des arguments juridiques tend à s'imposer. On ne manquera pas de se souvenir alors que Jhéring déjà qualifiait la preuve de « rançon des droits ».

Annexe

(les numéros renvoient aux paragraphes et notes de bas de page de l'article)

Modèle 1. Ordonnance sur requête in futurum

§ 21
    

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE : …………

ORDONNANCE SUR REQUETE

n° d'enregistrement :…….. note 29

§ 30
    

PRESIDENT :…………

REQUERANT :…………

Représenté par Maître :…………

§ 15
    

Avocat au barreau de :…………

DATE DE LA REQUETE :…………

§ 15
    

Déposée le :…………

OBJET DE LA REQUETE : Désignation d'un constatant (mesure in futurum)

PROCEDURE : art. 145, 493 et s. et 812, al. 1er et 2 du nouveau Code de procédure civile

§ 4 et § 39-40
    

Vu les pièces (nombre) invoquées, dont la liste est jointe, et les motifs adoptés de la requête ;

§ 13 et § 31
    

Attendu qu'il y a urgence ;

§ 11 s. et § 31
    

Attendu que le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse ;

§ 21 et § 31
    

Qu'il existe pour celui-ci un motif légitime d'établir la preuve des faits dont peut dépendre la solution du litige, que l'établissement de cette preuve ne peut être réalisée que par un technicien ;

Qu'il convient dans ces conditions d'ordonner une constatation.

- - - - -

PAR CES MOTIFS

    

Le Président du Tribunal de Grande Instance de :…………

§ 33
    

I/ Désigne Maître :…………

demeurant :…………

téléphone :…………

en qualité de constatant avec pour mission de :

§ 35, in fine
    

II/ Dit que le requérant versera une consignation de………… euros à valoir sur la rémunération du constatant et ce directement entre les mains de celui-ci.

Note 124
    

III/ Dit que le constatant devra déposer son rapport avant le………. au service « des requêtes » et adressera copie de celui-ci (y compris la demande de fixation de rémunération) au requérant et à celui auquel il est opposé.

§ 38
    

IV/ Rappelle que tout intéressé peut en référer au juge signataire de la présente décision.

Dit que la présente ordonnance deviendra caduque à l'expiration d'un délai de 2 mois à compter de ce jour (146).

§ 40
    

Rappelle que copie de la requête et de l'ordonnance doit être laissée à la personne à laquelle elle est opposée.

§ 39
    

V/ Précise que les informations et documents recueillis seront conservés (au secret) par l'huissier jusqu'à décision contraire du signataire de la présente décision, étant précisé qu'un débat contradictoire sur le devenir de ces documents aura lieu à… heures, salle des référés, le………… (par ex. 1er mercredi) suivant le procès-verbal qui sera transmis aux parties à laquelle la présente ordonnance est opposée.

Fait à…………, le…………

§ 30
    

LE GREFFIER(147)
    

LE PRESIDENT

Modèle 2. Ordonnance sur requête (dessins et modèles)

§ 23 s.
    

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE : …………

ORDONNANCE SUR REQUETE

n° d'enregistrement :…….. note 29

§ 30
    

PRESIDENT :…………

REQUERANT :…………

Représenté par Maître :…………

§ 15
    

Avocat au barreau de :…………

DATE DE LA REQUETE :…………

§ 15
    

Déposée le :…………

OBJET DE LA REQUETE : Désignation d'un constatant (mesure in futurum)

PROCEDURE : art. 145, 493 et s. et 812, al. 1er et 2 du nouveau Code de procédure civile

§ 4 et § 39-40
    

Vu les pièces (nombre) invoquées, dont la liste est jointe, et les motifs adoptés de la requête ;

§ 8 et 9
    

Vu le certificat de dépôt en date du………

Vu le certificat de dépôt en date du………

Vu le récépissé des taxes ;

Vu……….

Attendu que le requérant justifie qu'il est propriétaire du dessin ou du modèle déposé ;

Qu'il y a lieu de faire droit à la demande de description.

- - - - -

PAR CES MOTIFS

    

Le Président du Tribunal de Grande Instance de :…………

§ 33
    

I/ Désigne Maître :…………, Huissier de justice,

demeurant :…………

téléphone :…………

Avec pour mission :

Variables :

a/ de procéder à la description détaillée de chaque article qu'il prétend marqué en violation de la loi susvisée dans les locaux de………..sis dans le ressort territorial de ce Tribunal ;

b/ de procéder à l'achat et contre paiement de prix, de deux exemplaires desdits articles, l'un étant consigné entre les mains de l'huissier et l'autre remis au requérant ;

c/ de procéder à la description détaillée, éventuellement par photocopie, de tout document relatif à la nature, à l'origine et à la destination desdits articles, avec saisie réelle de deux exemplaires ;

d/ Autorise l'huissier instrumentaire à faire, d'une façon générale, toutes recherches et constatations utiles, y compris à ouvrir ou à faire ouvrir par tout serrurier toutes portes de locaux, de meubles meublants ou de véhicules se trouvant sur place, dans le but de découvrir la nature, l'origine, la destination ou l'étendue de la contrefaçon, et à dresser procès-verbal de tous renseignements ainsi recueillis ;

e/ Autorise l'huissier instrumentaire à se faire présenter et à parapher ne varietur(148) , à faire photocopier ou copier en deux exemplaires tous documents, toute correspondance ou toute pièce de comptabilité d'où pourrait résulter la preuve de l'origine et de l'étendue de la contrefaçon alléguée, lesdits exemplaires devant être remis à la requérante et l'autre déposé au greffe ;

f/ Précise qu'en cas d'absence de photocopieur sur place ou d'impossibilité d'utiliser l'appareil existant sur place, l'huissier instrumentaire pourra emporter momentanément les pièces à copier afin de les reproduire en son étude, à charge pour lui de les restituer aussitôt après copie faite ;

g/ Dit que si des informations utiles étaient conservées sur un support autre que le papier (tel microfilm ou informatique), l'huissier instrumentaire serait autorisé, au besoin avec le concours de tous techniciens par lui requis, à en réaliser une édition sur papier ou sur tout support approprié en utilisant les moyens disponibles sur place ou à l'extérieur des lieux de la saisie ;

h/ Autorise l'huissier instrumentaire à consigner non seulement toutes les déclarations des répondants mais encore toutes les paroles prononcées au cours de l'accomplissement de sa mission tout en s'abstenant de toute interpellation qui ne serait pas nécessaire à son exécution ;

i/ Précise qu'une interpellation ne pourra être faite qu'après avoir décliné son identité et l'objet de sa mission ;

j/ Autorise l'huissier instrumentaire à se faire assister par un homme de l'art pour l'aider dans sa description dont il enregistrera les explications, et notamment de tout photographe qui pourra procéder à toute prise de vue qui serait nécessaire, les tirages de ces photographies devant être annexées au procès-verbal de saisie, mais pouvant l'être seulement après la clôture desdits procès-verbaux au cas où les épreuves photographiques ne seraient pas disponibles sur le champ ;

§ 34
    

k/ Désigne M./Mme ………….. en qualité de constatant pour assurer la mission visée au § j ci-dessus (étant entendu qu'il serait utile que le président demande au requérant de préciser que cette personne est indépendante de lui, cf. § 34) ;

§ 9 et § 52
    

Rappelle que le saisissant doit se pourvoir devant la juridiction compétente dans la quinzaine sous peine de nullité de la saisie.

§ 52
    

Rappelle que tout intéressé peut en référer au juge signataire de la présente décision.

§ 40
    

Rappelle que copie de la requête et de l'ordonnance doit être laissée à la personne à laquelle elle est opposée.

Précise qu'il devra en être de même pour le procès-verbal de constat qui pourra, lui, n'être envoyé à l'intéressé et déposé au greffe que dans les vingt-quatre heures de la réalisation de la mesure.

§ 39
    

Précise que les informations et documents recueillis seront conservés (au secret) par l'huissier jusqu'à décision contraire du signataire de la présente décision, étant précisé qu'un débat contradictoire sur le devenir de ces documents aura lieu à….. heures, salle des référés, le………… (par ex. 1er mercredi) suivant le procès-verbal qui sera transmis aux parties à laquelle la présente ordonnance est opposée.

Fait à…………, le…………

§ 30
    

LE GREFFIER(149)
    

LE PRESIDENT