Le constat sur requête avant tout procès
Marcel FOULON Président de Chambre Cour d'appel de Paris
et Yves STRICKLER Professeur à l'Université Robert Schuman de Strasbourg
Responsable de la Spécialité de Droit des contentieux
L'apparente
facilité de l'usage d'une procédure non contradictoire ne doit pas en
dissimuler les dangers. C'est pourquoi les procédures sur requêtes
obéissent à des règles particulières liées à l'absence exceptionnelle
de la contradiction. Cette absence reste cependant encadrée et ce d'une
manière telle que ce principe premier de la procédure n'est jamais très
éloigné, alors même qu'on le pensait en sommeil.
I. 03 1. Pour
le plaideur qui, avant tout litige, cherche à obtenir des preuves, la
tentation est grande d'utiliser une procédure non contradictoire
réputée plus facile à obtenir, tout d'abord parce que celui qu'il vise
par son action n'est pas là pour le contredire et ensuite parce qu'il
n'est pas inexact de dire que le travail du juge qui en ce domaine
consiste en un contrôle répétitif et donc routinier, tend à conduire
celui-ci vers un certain laxisme. N'a-t-on pas encore dans certaines
juridictions le souvenir de ces « ordonnances sur coin de bureau »,
c'est-à-dire signées à la va-vite sans réel examen ? Quant à
l'industriel ou au commerçant indélicat, cette procédure peut lui
permettre à bon compte d'obtenir des renseignements confidentiels
concernant un concurrent ou un mieux sachant.
2. Cet attrait
apparent, immédiat, peut cependant être celui d'une sirène et l'heureux
requérant risque de connaître des lendemains qui déchantent.
L'ordonnance sur requête dont la rétractation peut toujours être
obtenue même après l'engagement d'une procédure au fond, peut avoir un
effet « boomerang » pour l'initiateur imprudent ou déloyal(1). Une
procédure non contradictoire est par ce seul fait dangereuse. Et, à
l'extrême, si la voie non contradictoire était utilisée contre un
adversaire faible qui pourrait le cas échéant être conduit à déposer
son bilan avant même que n'intervienne la remise en cause, possible, de
la mesure obtenue unilatéralement par le requérant, la procédure serait
manifestement dévoyée. Aussi le juge se doit-il d'être encore plus
vigilant et strict que de coutume, en faisant respecter avec minutie
les règles du nouveau Code de procédure civile. Celles-ci incluent
spécialement la loyauté, mise en évidence dans une décision récente où
la Cour de cassation a reproché aux juges d'appel de s'être contentés
de la justification apportée par le demandeur de l'existence d'un
intérêt légitime à établir les éléments de preuve demandés sans avoir
recherché si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe
de la contradiction(2).
3. A côté des dispositions générales qui
gouvernent la voie sur requête (articles 493 et suivants du NCPC mais
aussi article 145), on relèvera que le législateur a prévu, en matière
de propriété littéraire et artistique, des ordonnances sur requêtes qui
autorisent la recherche de preuves avant tout procès(3). Il ne sera pas
inutile d'examiner ces procédures qui, si elles ne constituent « pas
une expertise au sens des articles 232 et suivants du nouveau Code de
procédure civile(4) », sont des procédures cousines qui créent
cependant parfois la confusion dans l'esprit du plaideur inattentif.
4.
Les procédures sur requêtes obéissent à des règles particulières liées
à l'absence exceptionnelle de la contradiction. On relèvera toutefois
que même dans ce cas, celle-ci subsiste en filigrane. La procédure sur
requête est une exception qui ne peut que vivre dans l'ombre du
principe fondamental qu'est la contradiction. Aussi le non
contradictoire est-il limité. Si en voie de requête la contradiction
est mise en sommeil, il ne peut donc s'agir que d'un sommeil partiel.
En effet, même pendant ce sommeil provisoire, la contradiction ne
disparaît pas totalement et l'article 497 du nouveau Code de procédure
civile vient affirmer que « la requête doit comporter l'indication
précise des pièces invoquées(5) ». Cette obligation à bien sûr pour but
de permettre au juge d'une part d'apprécier l'opportunité de prendre la
décision réclamée et d'autre part de statuer contradictoirement lors de
la rétractation en lui rappelant les pièces qui avaient emporté sa
décision. Mais elle a aussi pour but de permettre à celui contre qui
est prise l'ordonnance de pouvoir a posteriori organiser sa défense. Le
non respect de cette obligation n'est donc pas sanctionné par les
règles concernant la nullité pour vice de forme (qui supposent la
démonstration d'un grief) mais par celles gouvernant les nullités pour
vice de fond (qui ne l'imposent pas). La Haute juridiction l'a dit
explicitement : « en écartant une nullité pour vice de forme alors
qu'était en cause le respect du principe de la contradiction, la cour
d'appel […] a violé » l'article 494 alinéa 1er du nouveau Code de
procédure civile(6). Parmi les pièces qui doivent être invoquées, une
place à part doit être faite aux requêtes précédentes. Il est bien
évident que le requérant a un devoir de loyauté envers le juge encore
plus impératif que dans une procédure contradictoire. « L'idée de
loyauté fonde » en effet « les règles du procès(7) ». La deuxième
Chambre civile de la Cour de cassation (celle de la procédure) se fonde
d'ailleurs régulièrement ces dernières années sur le principe de
loyauté(8) et ceci même lorsque les pourvois sont fondés uniquement sur
la violation des articles 15, 16 et 135 du nouveau Code de procédure
civile(9). Triste époque que celle où il faut ériger en principe ce qui
relève du bon sens et devrait aller de soi ! Il est par conséquent
indispensable au requérant, lorsqu'il présente une deuxième requête, de
mentionner l'existence de la précédente qui avait été rejetée. Une cour
d'appel a pourtant cru pouvoir juger du contraire(10) !
5. Si le
constat avant tout procès voit s'installer le règne de la
non-contradiction (I), cette absence n'est cependant envisagée que
comme provisoire. Dès l'instant que la décision est rendue, le
développement de la procédure doit en effet revenir aussitôt que
possible à la norme fondamentale et conduire à l'application du
principe de la contradiction (II).
I. La non-contradiction
6.
Le principe qui irrigue le droit processuel est celui de la
contradiction. Elément du procès équitable(11), il fonde tant la
procédure administrative(12), civile, que la procédure pénale sous la
dénomination de « droits de la défense ». La non-contradiction est
pourtant présente en droit judiciaire privé, lorsqu'est empruntée la
voie sur requête. L'éviction de la contradiction est tantôt obligatoire
et tantôt, elle résulte d'un choix de la partie demanderesse (A).
Exception à un principe essentiel la non-contradiction obéit
inévitablement à des règles processuelles spécifiques (B).
A. Obligation ou choix de la procédure non contradictoire
7.
Les deux premiers alinéas de l'article 812 du nouveau Code de procédure
civile(13) proposent une classification des ordonnances sur requête.
Dans un certain nombre de cas prévus par la loi, le non contradictoire
s'impose systématiquement (alinéa 1er). Ces ordonnances « nommées » ou
« spéciales » (1) s'opposent ainsi aux ordonnances « innomées » ou «
générales »(14) (2) pour lesquelles la voie unilatérale ne s'emprunte
qu'après en avoir justifié l'usage.
1°. Les ordonnances « nommées » ou « spéciales »
8.
Ces cas d'ordonnances sur requête sont spécifiés par la loi. La non
contradiction est ici la règle. Elle est automatique. Le requérant n'a
par conséquent à justifier ni de l'urgence, ni des circonstances qui,
en régime de droit commun, justifieraient l'emploi d'une procédure
unilatérale. Il peut ainsi se borner à viser le texte qui autorise
cette voie et s'attacher uniquement à démontrer que les conditions
posées par celui-ci sont remplies.
Dans le domaine qui nous
intéresse, six procédures de ce type sont permises par le Code de la
propriété intellectuelle. En matière de propriété industrielle,
l'article L. 716-7 permet notamment au propriétaire d'une marque
enregistrée de faire procéder par tout huissier assisté d'experts de
son choix, en vertu d'une ordonnance sur requête du président du
tribunal de grande instance, à la description détaillée de produits
offerts à la vente en violation de ses droits. La même procédure est
ouverte au propriétaire de brevet (articles L. 615-5 et R. 615-1)
d'invention et au propriétaire de certificat d'obtention végétale
(articles L. 623-27 et R. 623-51). Les trois autres hypothèses
apparaissent en matière de propriété littéraire et artistique et
bénéficient : aux auteurs de dessins et modèles (article L. 521-1), aux
titulaires de droits sur un logiciel ou des bases de données (article
L. 332-4) et aux auteurs d'une œuvre protégée (article L. 332-1).
9.
Les conditions imposées par ces textes se réduisent néanmoins au strict
minimum. De sorte que celui qui justifie être titulaire d'un droit
bénéficie par principe d'un automatisme dans l'octroi de la mesure
sollicitée. Ceci ne signifie cependant pas que tout ce qui est demandé
est obtenu. Car le juge vérifiera que les modalités de réalisation de
cette mesure correspondent aux règles fixées par le texte qui prévoit
la voie unilatérale. Mais il faut bien constater que la démonstration
de la titularité du droit emporte un premier mouvement de crédit au
demandeur. L'article L. 716-7 illustre le propos en prévoyant par
exemple que le propriétaire d'une marque enregistrée peut agir dans une
perspective, soit de « description détaillée avec ou sans prélèvement
d'échantillons, soit (de) saisie réelle des produits ou des services
qu'il prétend marqués, offerts à la vente, livrés ou fournis à son
préjudice en violation de ses droits ». Son affirmation est présentée
par le texte comme critère d'acceptation de la mesure. Et l'alinéa
second du texte vient simplement atténuer ce principe de confiance au
titulaire du droit en permettant au président de subordonner la saisie
réelle à la constitution de garanties par le demandeur pour le cas où
l'action en contrefaçon serait « ultérieurement jugée non fondée ».
Il
est à noter que dans tous ces cas prévus par le Code de la propriété
intellectuelle, le requérant doit assigner au fond dans les quinze
jours, sous peine de nullité de la saisie (le délai est de 30 jours
dans le cas de l'article L. 332-1). C'est là une différence importante
avec l'ordonnance sur requête in futurum de l'article 145 du nouveau
Code de procédure civile, qui se suffit à elle-même et qui est conçue
pour préparer mais aussi et le cas échéant pour éviter le litige futur
présent en filigrane.
10. Il faut alors se demander si une
procédure sur requête in futurum de droit commun est possible
lorsqu'une procédure sur requête nommée existe. Dans tous les cas
d'ordonnances sur requête qu'il spécifie, le Code de la propriété
intellectuelle attache la sanction de la nullité de la mesure à
l'absence de saisine du juge du fond par le requérant dans un certain
délai, normalement de quinzaine. Cette mesure, protectrice du saisi,
est destinée à éviter des actions intempestives. Elle doit conduire à
exclure la requête in futurum de droit commun chaque fois qu'une
procédure spéciale a été créée(15).
2°. Les ordonnances « innomées » ou « générales »
11.
Que ce soit dans le cas des ordonnances in futurum de l'article 145 du
nouveau Code(16) comme celui des ordonnances sur requête en cours
d'instance(17), le requérant doit justifier qu'il est dans un cas qui
le fonde « à ne pas appeler la partie adverse » (article 493 du NCPC).
Pour cela, il faut que « les circonstances exigent » que la mesure ne
soit pas prise contradictoirement (article 812, alinéa 2 du NCPC). Le
requérant doit aussi justifier de l'urgence, visée par l'article 812 («
les mesures urgentes »). Mais la question est ouverte concernant
l'exigence de cette condition lorsque le requérant agit sur le
fondement de l'article 145 du nouveau Code de procédure civile.
12.
La référence faite aux circonstances exigeant que la voie empruntée
soit unilatérale conduit à mettre en concurrence le juge des référés et
le juge sur requête. L'intervention du premier constitue néanmoins la
norme. Le principe de la contradiction est en effet l'un des piliers
fondamentaux de notre procédure. Le recours à la voie unilatérale est
clairement l'exception, ce que le verbe « exiger » rappelle
instamment(18). Aussi le requérant qui entend user de cette voie
doit-il justifier qu'il est impossible d'obtenir le résultat escompté
en utilisant la voie normale contradictoire. Il doit démontrer que la
clandestinité de la procédure est nécessaire à l'effet de surprise. Les
circonstances justificatives qui doivent exister au jour de la requête
peuvent de ce point de vue tendrent à éviter la disparition de
documents ou la modification des lieux(19). Parfois il suffira au
requérant d'affirmer la nécessité de la voie unilatérale, tant la
mesure même l'impose (ainsi le constat d'adultère) ; une allégation
alors suffira, mais cette allégation doit figurer dans la requête. Le
juge, ensuite, va contrôler et vérifier si la mesure sollicitée exige
ou non une dérogation au principe de la contradiction(20). A cet égard,
le seul fait qu'un débat pourra avoir lieu à la suite d'une demande de
rétractation ne suffit évidemment pas à justifier un écart au
principe(21). On ne saurait en effet prétendre que la contradiction est
respectée du simple fait de la possibilité de le voir « ressuscité(22)
» par un éventuel débat devant le juge de la rétractation(23).
La
procédure unilatérale est fréquemment utilisée en matière de
concurrence déloyale : un salarié est licencié ou quitte son entreprise
pour exercer ses fonctions dans une autre mais dans la même branche
d'activité ; le premier employeur, invoquant une concurrence déloyale,
reproche à son ancien salarié soit un vol du fichier de la clientèle,
soit une clause contractuelle de non concurrence, et demande au juge
des requêtes un constat in futurum entre les mains du salarié ou dans
celles de la seconde entreprise. L'importante décision déjà citée,
pourtant non publiée au Bulletin civil, rendue dans ce domaine insiste
sur le fait que si les demandeurs justifient d'un intérêt légitime à
établir la preuve des faits allégués, ce n'est pas suffisant à engager
la voie non contradictoire. En statuant dans un sens favorable aux
demandeurs sans rechercher par ailleurs si la mesure sollicitée
exigeait une dérogation au principe de la contradiction, la cour
d'appel ne donne pas de base légale à sa décision(24).
La
procédure unilatérale est également fréquemment utilisée dans les
conflits de voisinage : lorsqu'un voisin reproche à une discothèque qui
jouxte son immeuble de créer des gênes sonores anormales, il présente
une requête in futurum au président du tribunal de grande instance pour
qu'un expert aille mesurer le bruit produit par cet établissement. Dans
un tel cas on peut se demander si l'ordonnance non contradictoire est
nécessaire. Car ne serait-ce pas plutôt l'heure et la date du
déplacement de l'expert qui devraient être clandestins ? Se sachant
sous la menace d'une telle mesure à une date indéterminée, on pourrait
en effet espérer que l'établissement de nuit aurait naturellement
tendance à restreindre l'émission de bruit et par voie de conséquence
respecter la tranquillité de ses voisins.
13. La mention de
l'urgence à l'article 812 du Code conduit à se demander si cette
condition est ou non exigée dans le cas spécifique des mesures in
futurum.
Certains, comme le doyen Normand et le cosignataire de
la présente chronique, M. Foulon, pensent que « l'urgence réapparaît
discrètement dans un domaine où l'on avait pu croire à sa
disparition(25) », en affirmant que l'on « voit mal comment l'article
812 qui pose expressément cette condition pourrait n'être pas pris en
son entier. C'est l'un des éléments du prix à payer pour échapper,
provisoirement au moins, au principe de la contradiction(26) ».
D'autres,
comme Madame Pierre-Maurice(27) ainsi que les professeurs Després(28)
et Strickler, sont d'un avis contraire et soutiennent que l'ordonnance
probatoire préventive n'est pas soumise à cette condition d'urgence
dans la mesure où l'article 145, texte spécial, déroge au texte général
de l'article 812 applicable au tribunal de grande instance tout en
rejoignant celui, plus général encore puisque figurant dans le Livre du
Code relatif aux dispositions communes à toutes les juridictions, de
l'article 493. Ce dernier texte parle des « cas où le requérant est
fondé à ne pas appeler de partie adverse », sans mentionner l'urgence.
D'ailleurs et en outre, en faisant état d'une réapparition discrète de
l'urgence, n'indique-t-on pas par là même qu'elle n'est pas une
condition requise mais simplement une manière comme une autre pour
apprécier le caractère indispensable de la mesure sollicitée ? Si
l'article 812 vise en son second alinéa l'urgence comme condition de la
requête pour échapper au contradictoire, son alinéa premier se limite à
renvoyer aux cas spécifiés par la loi. Ceux-ci doivent être soumis,
selon les seconds auteurs cités, à leurs propres exigences.
14.
Quelle que soit la voie qui conduit le requérant à avancer seul, elle
est parsemée de règles particulières, adaptées à l'absence voulue ou
choisie de contradiction.
B. Les règles processuelles de la non contradiction
15.
Dans le chemin qui mène au juge il faut, en premier lieu, s'interroger
sur la personne du requérant : qui peut présenter une requête(29) ? Au
tribunal de grande instance, hors les cas où elle est présentée et
signée par un officier public ou ministériel, la requête est présentée
par un avocat (article 813 du NCPC) inscrit au barreau de la
juridiction devant laquelle elle est portée(30), sous peine
d'irrecevabilité de la demande. Au tribunal d'instance, elle peut
l'être par tout mandataire (article 852 du NCPC). Ce dernier doit-il
être muni d'un pouvoir spécial ? La Cour de cassation ne l'exige pas
dans le cas voisin de la requête en injonction de payer de l'article
1407 du nouveau Code de procédure civile(31) et l'on peut penser qu'il
doit en être de même ici. Pour le tribunal de commerce, en l'absence de
prévision des articles 874 à 876 du nouveau Code, il faut en revenir à
la règle générale de l'article 853. La partie se défendra elle-même,
soit fera appel à un avocat (de n'importe quel barreau) ou à toute
personne de son choix, pour peu qu'elle soit munie d'un pouvoir spécial
(alinéa 3).
On remarquera que dans certaines juridictions
(notamment celles de Paris), la requête est exposée au président du
tribunal (ou à son délégué). Dans d'autres, les requêtes sont déposées
au greffe et le juge ne convoque l'avocat qu'en cas de difficulté.
16.
Il convient, en second lieu, de déterminer le juge devant lequel il
faut exposer sa requête. A cet égard, la réponse à délivrer passe par
la reprise de la distinction des ordonnances générales (1) et des
ordonnances du Code de la propriété intellectuelle (2).
1°. Les ordonnances générales (de droit commun)
17.
Les textes applicables dépendent de l'existence ou non d'un procès au
fond. Dans l'affirmative, le fondement de la demande de mesure
d'instruction ne peut être l'article 145 du nouveau Code de procédure
civile, puisqu'un procès est né(32).
18. Au premier degré et
devant la juridiction de droit commun qu'est le tribunal de grande
instance, lorsque la requête est présentée à l'occasion d'une instance,
elle doit indiquer la juridiction saisie (article 494, alinéa 2 du
NCPC). Cette précision est nécessaire puisque dans un tel cas les
requêtes doivent être présentées au président de la Chambre à laquelle
l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi (article 812, alinéa 3
du NCPC).
On rappellera qu'en matière prud'homale, c'est le
président du tribunal de grande instance qui sera compétent puisqu'il
n'existe pas de juge des requêtes devant la juridiction des
prud'hommes(33). Quant à la compétence territoriale, elle sera celle du
conseil de prud'hommes saisi au principal. Le critère général de
compétence au regard du lieu sera d'ailleurs celui-ci : la compétence
territoriale suit celle du juge saisi au fond.
Aucune
disposition semblable à l'article 812, alinéa 3, n'existe devant les
autres juridictions du premier degré. Ni devant le tribunal d'instance,
ni devant le tribunal de commerce (cf. article 875 du NCPC). Est-ce à
dire qu'en cas de procès au fond devant une de ces juridictions l'on
pourra présenter une requête à un autre juge ?
19. En appel,
l'article 958 du nouveau Code de procédure civile énonce que : « le
Premier président peut, au cours de l'instance d'appel ordonner sur
requête toutes mesures urgentes relatives à la sauvegarde des droits
d'une partie ou d'un tiers lorsque les circonstances exigent qu'elles
ne soient pas prises contradictoirement ». La requête est présentée par
avoué (article 959) au Premier président ou à son délégataire, seul
compétent à l'exclusion de tout autre magistrat dans le cas où
l'instance devant la cour implique constitution d'avoué. Cette
compétence implique que la mesure sollicitée ait trait au litige dont
la cour d'appel est saisie et ne peut s'étendre à la prescription d'une
mesure d'instruction propre à justifier éventuellement une prétention
qui n'a pas encore été portée devant la cour d'appel.(34).
20.
Une procédure sur requête est donc possible au sein d'une instance
contradictoire née. Pourtant plusieurs décisions de la deuxième Chambre
civile de la Cour de cassation laissent planer un doute sur ce qui
semble être une évidence : la Haute juridiction a ainsi indiqué, le 21
juin 1995(35), qu'un Président de tribunal « ne peut ordonner sur
requête un constat non contradictoire que s'il existe un motif légitime
d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre
la solution d'un litige ».
Comment comprendre une telle
restriction ? Serait-ce interdire toute mesure non contradictoire à
partir du moment où le procès au fond est né ? Une telle position est
difficilement imaginable. A moins que la Cour n'estime par la
formulation « qu'il appartient au requérant de saisir le juge
rapporteur dans les conditions de l'article 865 du NCPC » que c'est le
juge rapporteur qui pourrait statuer sur une telle requête… Dans la
logique de cette hypothèse, le juge de la mise en état aurait la même
compétence. Ce serait là un profond bouleversement de compétence, ces
magistrats n'ayant jamais eu compétence pour statuer sur requête(36).
Bouleversement qui serait par ailleurs souhaitable car logique.
Pourquoi le juge de la mise en état ne pourrait-il statuer sur requête
? Ne serait-ce pas la compétence attribuée par l'alinéa 3 de l'article
812 par l'expression « ou au juge déjà saisi » ? Il semble plus
probable que la Cour de cassation se borne ici à rappeler que l'article
145 du nouveau Code de procédure civile n'est pas utilisable lorsqu'une
procédure au fond existe.
21. Il se peut à l'inverse qu'il
n'existe pas de procès au fond. Dans un tel cas l'article 145 du
nouveau Code peut être utilisé, pour peu que le requérant parvienne à
démontrer qu'il existe un motif légitime à ordonner la mesure
sollicitée. Mais avant de vouloir poser un quelconque fondement à la
requête présentée, il faut encore savoir devant quel juge l'exposer.
La
compétence d'attribution du juge des requêtes sera celle de la
juridiction dont il est une émanation. Les règles applicables en ce
domaine sont les mêmes que lorsque la voie choisie a été celle du
référé in futurum(37). La requête devra donc prévoir le fondement
juridique de l'éventuelle procédure au fond, permettant de justifier la
compétence d'attribution du juge saisi. Il convient de mettre à part,
comme plus avant(38), les litiges en matière prud'homale, car il
n'existe pas de juge des requêtes devant le conseil de prud'hommes. Le
président du tribunal de grande instance sera donc compétent pour en
connaître.
Quant à la compétence territoriale, le juge qui
convient en principe de saisir est celui du tribunal du lieu où la
mesure demandée doit être exécutée(39) et(40).
22. Nous venons
de voir que si un procès au fond est né, la requête doit être présentée
au président de la juridiction saisie, alors que dans le cas inverse,
elle est présentée au président de l'article 145 du NCPC. Diverses
dates sont alors à individualiser et à confronter. Le procès au fond,
d'abord, naît-il de l'assignation ou de sa remise au greffe ? La Cour
de cassation n'a pas clairement fait son choix (pour l'assignation(41)
; pour le placement au greffe(42)). On remarque que la décision se
prononçant pour le critère de l'assignation a été rendue dans le cadre
d'un litige de copropriété. Or dans ce domaine, la loi de 1965 exige
que l'action soit « introduite » dans le délai de deux mois, ce que
réalise l'assignation (articles 53 et 54 du NCPC)(43). La naissance du
lien d'instance coïncide ainsi avec la notification de l'assignation et
la rédaction du texte de la loi ne laisse aucune place pour
l'interprétation du juge(44). De la même façon, le législateur vient
imposer la solution, d'une part, dans le domaine du bail, tant par
l'article 17 de la loi n° 89-462 du 9 juillet 1989 (« A défaut d'accord
constaté par la commission de conciliation », le juge, saisi par l'une
ou l'autre des parties, fixe le loyer » ; sous l'empire de l'article 21
de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 - « A défaut d'accord […] le
juge est saisi avant le terme du contrat » -, la Cour de cassation
avait déduit de cette disposition que la saisine du juge dépendait de
la remise au greffe(45)) que par l'article L. 145-10 du Code de
commerce (« le locataire doit […] saisir le tribunal avant l'expiration
d'un délai de deux ans ») et, d'autre part, dans le domaine processuel
à propos de la litispendance (l'article 100 NCPC visant « la
juridiction saisie en second lieu »(46)).
En l'absence de
solution clairement exprimée par la loi, l'interprétation du juge est
tantôt inutile et tantôt nécessaire. Elle est inutile dans l'analyse du
délai de péremption de l'instance : l'article 386 du nouveau Code
prévoit cette sanction « lorsque aucune des parties n'accomplit de
diligence pendant deux ans ». Ce délai ne court qu'à compter de la
remise de l'assignation au greffe. C'est la logique qui impose la
solution, dans la mesure où à défaut de remise au greffe dans les
quatre mois, l'assignation est frappée de caducité (article 757, alinéa
2 du NCPC). On rappellera que la remise doit intervenir au plus tard
huit jours avant l'audience devant le tribunal d'instance (article 838,
alinéa 2) et le tribunal de commerce (article 857)(47).
L'interprétation du juge est en revanche nécessaire en deux endroits.
Le premier apparaît au Code de la consommation, en son article L.
311-37(48), pour lequel la Cour de cassation a décidé que « l'action
est formée par la seule assignation […] indépendamment de la mise au
rôle(49) ». Le second résulte de l'article 2244 du Code civil qui
affirme que la citation en justice interrompt la prescription. Mais si
l'assignation, qui est une citation (cf. article 55 du NCPC), produit
cet effet interruptif, c'est « parce qu'elle a pour effet de permettre
à une juridiction d'examiner le bien-fondé de la contestation(50) ».
Aussi, à défaut d'instance marquée par l'enrôlement, la citation ne
peut produire d'effet juridique. Le doyen S. Guinchard en déduit que «
le juge est saisi au jour où l'assignation est lancée, mais sous
condition suspensive que l'enrôlement ait eu lieu ». Cette dernière
qualification n'offre cependant aucun intérêt pour ce qui est du
tribunal de grande instance, puisque la non remise de l'assignation au
greffe dans les quatre mois entraîne la caducité de celle-ci et que
l'assignation dont la caducité a été constatée ne peut interrompre la
prescription(51). Mais surtout, elle crée une difficulté pour ce qui
nous intéresse : avec la thèse de la condition suspensive - comme
d'ailleurs avec la thèse de l'enrôlement retenue le 13 février 2002 par
la troisième Chambre civile dans l'arrêt précité et non publié au
Bulletin -, on ne sait plus quel juge saisir (le juge de l'article 145
ou le juge du fond) dès lors que l'assignation a été délivrée sans que
l'on sache si l'enrôlement a ou non été effectué. Une telle solution
pourrait en outre déboucher sur une réaction du demandeur à la mesure
d'instruction, qui pourrait alors être tenté d'engager une procédure
sur le fondement de l'article 145 dès réception de l'assignation de son
adversaire. L'assignation a quant à elle une date certaine, connue de
tous. C'est donc par elle que l'on doit considérer que naît le procès.
A
quelle date, ensuite, naît la procédure sur requête ? Trois dates
peuvent, dans l'absolu, être proposées. Mais la première d'entre elles
est à écarter d'emblée. Il s'agit de la date de la requête. En effet,
aucune date certaine ne peut être établie (puisqu'il n'y a pas
d'enrôlement(52)), sauf à considérer la date aléatoire du timbre dateur
apparu - en principe - sur l'exemplaire remis au greffe. Deux autres
instants entrent alors en concurrence, à savoir la date de l'ordonnance
et celle de la signification de cette ordonnance. L'importance du
principe contradictoire, toujours sous-jacent, invite à retenir ce
dernier moment.
Enfin, à quelle date doit-on se placer pour
apprécier l'existence de la procédure au fond ? De ce point de vue, si
l'exercice de ses pouvoirs par le juge porte sur le mérite de la
demande de mesure d'instruction et doit, logiquement, être pesé au
moment où il statue, la condition d'antériorité à un procès au fond,
question de pure procédure, doit être appréciée au jour de la demande.
La cour d'appel doit donc apprécier l'existence d'une procédure au fond
en se plaçant au jour où le juge des requêtes ou des référés avait été
saisi(53).
2°. Les ordonnances du Code de la propriété intellectuelle
23.
Des tableaux illustratifs permettront d'exposer tant la matière de la
propriété industrielle(54) que celle de la propriété littéraire et
artistique(55).
a). En matière de propriété industrielle
Matière
Compétence d'attribution Compétence
territoriale Compétence au fond
Marque
Président TGI art. L. 716-7 du CPI Pas de texte
particulier. On en revient à l'application du droit commun (supra, §
21) Droit commun : lieu du défen deur ou lieu du délit
Brevet
d'inven tion Président TGI art. L. 615-5 du
CPI - Compétence exclusive, art. R. 615-4 CPI- Lieu
de la contrefaçon présumée, art. L. 615-5- Ressort dans lequel les
opérations doivent être effectuées, art. R. 615-1 CPI
Seuls certains TGI sont compétents, art. R. 631-1 CPI et art. R.
312-2 COJ
Obtention végétale art. L. 623-27 du CPI
Président TGI art. L. 623-51 du CPI Ressort
dans lequel les opérations doivent être effectuées, art. R. 623-51
CPI Seuls certains TGI sont compétents, art. L.
623-31 et R. 631-1 CPI ; art. R. 312-2 COJ
Dessins et
modèles Président TGI art. L. 521-1 du
CPI Ressort dans lequel les opérations doivent être
effectuées, art. L. 521-1 CPI Droit commun : lieu où
le dommage est subi
24. Il faut noter que certains aéroports qui
s'étendent sur plusieurs ressorts territoriaux ont été rattachés à un
seul tribunal (cf. tableau n° 1 en annexe du COJ). En parallèle, il
arrive que des saisies soient effectuées dans un lieu qui s'étend sur
le ressort de plusieurs tribunaux de grande instance. C'est le cas du
parc des expositions de la porte de Versailles. La jurisprudence a ici
décidé de rattacher le tout à Paris(56).
b). En matière de propriété littéraire et artistique
25. Logiciels et banques de données
Compétence d'attributon Compétence territoriale Compétence au fond
Président
TGI, art. L. 332-4 CPI - Pas de texte
particulier.président du lieu d'exécution de la saisie.- Exception de
l'art. L. 113-9 CPI (siège social de l'employeur) -
Pas de texte particulier.Domicile du défen deur ou lieu du délit (art.
L. 331-1 CPI).- Exception (art. L. 113-9 CPI)
Commissaire de police art. L. 332-4 al. 4 CPI Hypothèse d'une saisie-descriptive, non étudiée ici
26.
S'agissant des droits d'auteur, l'article L. 332-1 du Code de la
propriété intellectuelle prévoit une saisie contrefaçon. Il s'agit
d'une procédure de saisie réelle, qui n'entre pas dans le cadre de la
présente étude. Cependant, la jurisprudence a admis la possibilité
d'avoir recours à une saisie contrefaçon descriptive (et aussi réelle)
par ordonnance sur requête présentée au président du tribunal de grande
instance(57). La Cour précise que le président du tribunal de grande
instance a de par l'article L. 332-1 une compétence générale en la
matière. Il ne s'agit donc pas ici d'une ordonnance sur requête de
droit commun(58).
Le juge territorialement compétent sera soit
le président du lieu où la mesure demandée doit être exécutée, soit le
président de la juridiction saisie au fond(59).
27. Toutes les
conditions nécessaires sont alors réunies pour que la décision puisse
être rendue. Dès cet instant, le non contradictoire doit être réduit
dans son étendue.
II. De la décision rendue au retour à la contradiction
28.
En attendant la véritable naissance du contradictoire (B), l'ordonnance
sur requête et la procédure subséquente doivent viser à limiter au
maximum les risques générés par l'absence initiale de contradiction (A).
A. Les limites aux risques générés par l'absence initiale de contradiction
29.
Ces limites apparaissent avec la décision sur requête prononcée (1).
Dès cet instant, on en revient rapidement à l'idée fondamentale, au
sens premier du terme, qui réside dans « le moins de non contradictoire
possible » (2).
1°. La décision prononcée
30. Au regard de
son contenu, il est certain que l'ordonnance doit comporter les
mentions prévues à l'article 58 du NCPC tel qu'il résulte du décret n°
2005-1678 du 28 décembre 2005 (applicable à compter du 1er mars 2006),
ainsi que le nom du juge qui l'a rendue(60). En revanche elle n'a pas à
être signée par le greffier(61).
31. L'ordonnance sur requête
est motivée (article 495, alinéa 1er du NCPC), ce qui est logique
puisqu'il s'agit d'une décision juridictionnelle. Cependant la coutume
et la pratique font que les ordonnances sont la plupart du temps
préparées par le requérant. On ne peut que le regretter, car un tel
document, une fois entériné par le juge, est réputé avoir été établi
par celui qui l'a rendu et signé(62).
En outre, la motivation de
ces ordonnances est très souvent et dans la réalité, absente ou à tout
le moins réduite. Bon nombre d'ordonnances se bornent à viser la
requête pour en adopter les motifs. L'ordonnance qui, visant la requête
en adopte les motifs, satisfait à l'exigence de motivation(63). Il ne
peut en être de même lorsque –et cette pratique est fréquente-
l'ordonnance au pied de la requête se borne à la seule signature du
juge sans aucune autre mention. Pourtant dans un tel cas, la deuxième
Chambre de la Cour de cassation assimile cette seule signature à une
motivation : « le fait d'avoir signé au pied de la requête l'ordonnance
critiquée sans viser celle-ci » vaut « adoption par le juge des motifs
de cette requête(64) ». Accepter une telle dérive dans l'allégement ou
plutôt la disparition de tout formalisme est de nature à favoriser
l'absence de réel contrôle du juge(65). Il est d'ailleurs frappant de
constater que la réponse ci-dessus reproduite à la sixième branche des
moyens de cassation a été publiée dans une revue juridique(66) mais ne
l'a pas été au Bulletin qui lui a substitué la mention « sans intérêt »
! La Haute juridiction ne nous a pas habitués à céder devant la force
des habitudes et les pratiques douteuses. Comment la pratique
pourrait-elle cesser de reproduire ses errements traditionnels alors
que la Cour de cassation ferme les yeux sur celles-ci ? Le souci
d'accélérer le cours de la justice(67) ne saurait tout autoriser.
32.
Ceci étant, puisque dans la grande majorité des cas l'ordonnance adopte
les motifs de la requête, il est d'autant plus important pour le
requérant de bien motiver celle-ci. Il est bien évident que le juge
n'est pas lié par l'imprimé préétabli qui lui est proposé et qu'il peut
modifier celui-ci, voir rédiger entièrement sa décision. Mais le nombre
des procédures ne permet cette façon de faire qu'exceptionnellement.
C'est pourquoi dans certaines juridictions les avocats doivent employer
des modèles préétablis en accord avec le juge(68). Un moyen terme se
dessine alors : plutôt que de conduire le juge à entériner l'écrit du
requérant, autant proposer à tous un modèle de requête…(69)
33.
L'établissement du constat suppose du juge qu'il désigne à cette fin
toute personne de son choix (article 232 du NCPC). Il peut désigner un
huissier de justice qui a compétence pour ce faire(70). Dans certaines
hypothèses d'ailleurs, la personne qui constate(71) doit être un
huissier de justice. Tel est le cas des saisies de contrefaçons (cf.
Code de la propriété intellectuelle). Le juge doit-il alors désigner
nommément l'huissier ou autoriser – comme le fait la pratique
majoritaire - le requérant à faire exécuter « par tous huissiers de son
choix territorialement compétents » ? Les huissiers étant des officiers
publics et ministériels, la pratique majoritaire ne prête pas le flan à
la critique. D'autant que certains textes l'approuvent (cf. la
formulation des articles L. 615-5, al. 2, L. 716-7 et L. 521-1 du Code
de la propriété intellectuelle). On a cependant pu remarquer dans un
autre domaine que, selon les ressorts, les juges faisaient ou non droit
aux injonctions de payer en fonction du montant en jeu. Lorsque ce
dernier est jugé trop important, l'ordonnance est négative pour le
requérant, qui doit alors suivre la procédure ordinaire. Il est
probable que ce type de décisions varie selon la plus ou moins grande
confiance que les magistrats accordent aux huissiers locaux, profession
fréquemment à l'initiative de cette procédure accélérée(72).
34.
On relèvera de même que dans l'hypothèse où l'huissier instrumentaire
est assisté d'un expert (en matière de propriété intellectuelle
notamment(73)), le juge doit lui-même désigner cet expert, qui, devant
être indépendant et impartial, ne saurait être choisi par le
requérant(74). Cette solution, qui pourtant répond à l'idée inspirée du
droit anglo-saxon selon laquelle justice must not only be done, it must
seen be done désormais acquise par la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'Homme, a été remise en cause par la Chambre
commerciale de la Cour de cassation(75). Selon la Haute juridiction, «
le conseil en propriété industrielle, fût-il le conseil habituel de la
partie saisissante, exerce une profession indépendante, dont le statut
est compatible avec sa désignation en qualité d'expert du saisissant
dans le cadre d'une saisie contrefaçon de marque ». Si l'on peut
comprendre que la qualité de l'intéressé peut, lorsqu'il exerce sa
profession à titre libéral, être suffisante par elle-même à assurer son
indépendance, son impartialité, en présence de relations habituelles
entretenues avec le demandeur à la mesure, est davantage sujette à
caution. On rappellera qu'en matière de référé, le fait que le
président statue au provisoire n'a pas été jugé suffisant pour faire
présumer son impartialité lorsqu'il est ultérieurement amené à statuer
sur le principal. Certes, le Code de la propriété intellectuelle
déclare laisser le choix de l'expert à la liberté de l'huissier (v.
articles L. 332-4, L. 615-5 et L. 716-7) ; mais tout acte de procédure
doit répondre à l'exigence d'équité telle que visée par la Convention
de sauvegarde et développée par la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg. Il s'ensuit que permettre à une personne proche de
l'entreprise saisissante d'observer dans les détails l'entreprise
concurrente et prendre ainsi connaissance d'éléments que le regard du
justiciable, en l'occurrence celui du défendeur, ne peut que juger
défavorablement, n'est pas admissible : de par les liens qui existent
avec le demandeur, l'homme de l'art choisi par l'huissier ne doit pas
être habilité à en connaître. Dans l'attente d'une décision de la
chambre mixte de la Cour de cassation qui ne manquera pas d'intervenir
tant la question en jeu est importante, le juge a tout intérêt à
désigner nommément l'expert, éventuellement après discussion avec le
requérant.
35. Reste à délimiter la mission confiée au
technicien. Et de ce point de vue, le juge devra se montrer
particulièrement vigilant. Les requérants proposent en effet souvent
des missions générales d'investigation que ne permet pourtant pas
l'article 145 du nouveau Code de procédure civile(76). Si le secret des
affaires n'est pas un obstacle en soi(77), une telle mesure doit être
rejetée si elle risque de mettre le demandeur en possession de secrets
de fabrication(78) ou si elle est susceptible de faire connaître la
structure commerciale d'une société concurrente(79). Le juge ne peut
d'ailleurs imposer hors des cas prévus par la loi (en matière de
contrefaçons notamment) l'appréhension par voie de confiscation ou de
saisie(80).
Le dispositif de l'ordonnance doit également
préciser le montant de la consignation à valoir sur la rémunération du
technicien à verser directement à celui-ci (article 251 du NCPC)(81).
36.
Au regard de ses effets, l'ordonnance sur requête, exécutoire au seul
vu de la minute tant qu'elle n'a pas été rétractée(82), est cependant
dépourvue d'autorité de chose jugée(83). La Cour de cassation a
récemment saisi l'occasion de l'affirmer, dans le cadre d'une demande
de constat qui avait été présentée en référé. Pour s'y opposer le
défendeur soutenait que sur les mêmes faits des mesures d'investigation
avaient été précédemment ordonnées sur requête. La Haute juridiction a
estimé que l'ordonnance sur requête n'ayant pas autorité de chose
jugée, l'arrêt de la cour d'appel n'avait pas à statuer sur cette fin
de non recevoir(84).
Il est à noter que si les mesures
précédemment ordonnées l'avaient été par une ordonnance de référé, la
nouvelle mesure aurait été irrecevable(85). Pour la Cour de cassation,
une décision de référé ayant ordonné une mesure d'expertise n'est pas
une décision de justice au sens de l'article 145 NCPC(86). La véritable
justification de la solution est certainement à chercher ailleurs :
tant dans l'expression avant tout procès qu'en raison de l'autorité de
chose jugée au provisoire que possède la décision rendue. De sorte
qu'une nouvelle expertise pourrait être réclamée en cas de
circonstances nouvelles (article 488 du NCPC)(87).
37. Au
regard, enfin, des voies de recours ouvertes, tout dépend de la
décision rendue qui est contestée : lorsqu'il n'est pas fait droit à la
requête, « appel peut être interjeté [dans un délai] de 15 jours.
L'appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse »
(article 496, alinéa 1er du NCPC). Un pourvoi n'est donc pas
recevable(88).
L'appel est formé dans les quinze jours de
l'ordonnance par une déclaration faite ou adressée par pli recommandé
au secrétariat de la juridiction qui a rendu la décision, par un avocat
ou un avoué(89) (article 950 du NCPC). Il ne pourra être réalisé par
télécopie(90). On notera que l'ordonnance n'a pas à être notifiée par
le secrétaire, contrairement à ce que prévoit l'article 675, alinéa 2,
du nouveau Code de procédure civile pour les jugements gracieux(91).
Sur
la déclaration d'appel, le juge peut modifier ou rétracter sa décision
(article 952). Dans le cas contraire, le dossier est transmis à la Cour
; le juge informe la partie de sa décision dans le délai d'un mois.
Devant la Cour, les règles applicables sont celles des articles 797 à
800 du nouveau Code de procédure civile. Il y aura donc communication
obligatoire au ministère public (article 798).
38. Lorsqu'il est
en revanche fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au
juge qui a rendu l'ordonnance (article 496, alinéa 2 du NCPC). Mais
c'est déjà toucher au moment du retour de la phase contradictoire. En
attendant ce retour, il faut encore que les mesures ordonnées aillent
dans un sens qui le ménagera.
2°. Le moins de « non contradiction possible »
39.
La mesure non contradictoire ordonnée doit être limitée au strict
nécessaire. Ainsi, dans l'exemple de la concurrence déloyale(92) et a
fortiori dans les saisies contrefaçons(93), l'on comprend aisément que
la voie non contradictoire est indispensable pour avoir quelque chance
de saisir des documents compromettants que l'intéressé ne manquerait
pas de mettre en lieu sûr s'il avait été prévenu. Mais une fois les
documents saisis, la non contradiction n'a plus de raison d'être. Il
est donc normal qu'un échange entre les parties puisse s'instaurer pour
savoir quel document sera transmis au demandeur. Des documents
confidentiels, privés, étrangers au litige, peuvent en effet faire
partie de la saisie. La mesure a même pu être sollicitée par un
requérant indélicat dont le but réel n'est que de connaître la liste
des clients de son concurrent, la solidité financière exacte de
celui-ci, ou même des secrets de fabrication ou de stratégie
commerciale. Il est dans cette perspective utile de prévoir dans le
dispositif de l'ordonnance une clause pour éviter toute dérive. Elle
pourra être rédigée de la manière suivante : « Précise que les
informations et documents recueillis seront conservés au secret par les
huissiers (et les experts) jusqu'à décision contraire du signataire de
la présente décision, étant précisé qu'un débat contradictoire sur le
devenir de ces documents aura lieu le (par ex. : premier mercredi(94))
suivant le procès-verbal de saisie établi par l'huissier (et comme il
n'est pas inutile de prévoir que le rapport sera communiqué à la
personne à laquelle il doit être opposé, la formule peut se poursuivre
ainsi :), procès-verbal qui sera transmis aux parties à laquelle la
présente ordonnance est opposée ».
Dans la plupart des cas, lors
de cette audience contradictoire, les parties s'accordent sur la liste
des pièces qui peuvent être communiquées. En cas de difficulté, le juge
peut avoir recours à un expert ou peut préférer laisser au juge du fond
le soin de dire quel document sera communiqué en fonction du litige. Le
document saisi, le défendeur pourra, notamment pour les besoins de son
activité, en obtenir copie, voire l'original, auquel cas ce sont les
copies qui seront conservées au secret.
40. Copie de la requête
et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est
opposée (article 495, alinéa 3 du NCPC). L'ordonnance et la requête
doivent donc être signifiées ensemble(95). La signification de la seule
ordonnance entraînerait nécessairement la nullité pour vice de fond, en
raison de la violation du principe de la contradiction qu'elle
occasionnerait et ce même si l'ordonnance dit reprendre les moyens
invoqués dans la requête(96). Comment d'ailleurs la partie contre
laquelle l'ordonnance a été prise pourrait-elle vérifier cette reprise
? Il convient de noter qu'en matière de saisie conservatoire l'omission
par l'huissier de justice de signifier la requête en même temps que
l'ordonnance entraîne l'annulation de la saisie(97).
Requête et
ordonnance vont ainsi de paire. Faut-il y inclure les pièces visées ?
On sait que la requête doit comporter la liste des pièces invoquées,
ceci pour permettre à celui contre qui est rendue l'ordonnance de
pouvoir a posteriori organiser sa défense. Si l'on considère que la
signification de l'ordonnance et de la requête constitue le point de
départ de la procédure contradictoire et donc, une sorte d'«
assignation introductive d'instance a posteriori avec effet rétroactif
», la communication des pièces devrait être spontanée (article 132,
alinéa 2 du NCPC). Tel n'est pourtant pas le cas. La procédure restera
en l'état si l'éventuel défendeur ne réagit pas. Dans le cas contraire,
il formera une demande en rétractation, qui fera véritablement naître
la procédure contradictoire.
B. La véritable naissance du contradictoire
41.
Là encore, les ordonnances générales (1) peuvent être présentées
séparément de celles prévues par le Code de la propriété intellectuelle
(2).
1° Ordonnances sur requête in futurum(98) et ordonnances sur requête en cours d'instance
42.
Le juge qui a autorisé la mesure est « seul compétent » pour rétracter
cette autorisation(99), ce qui exclut une autre juridiction ou un autre
juge, y compris le juge des référés lorsque celui-ci ne s'est pas vu
confier les requêtes (cas de certaines grandes juridictions).
Ce
juge reste compétent même si le juge du fond est saisi de l'affaire
(article 497 du NCPC). Faut-il aller plus loin et affirmer que la
compétence de ce juge exclut celle du juge du fond ? Soutenue par la
mention restrictive « seul compétent » de l'arrêt de 1987 (non publié
au Bulletin), cette solution conduirait à imposer de ressaisir le juge
des requêtes alors que le juge du fond a tranché le fond du litige.
Mais elle n'est pas défendable. Dans un domaine voisin, la Cour de
cassation a d'ailleurs estimé que le refus d'un juge de rétracter son
ordonnance ayant autorisé une saisie conservatoire n'interdit pas aux
juges saisis de l'instance au fond d'ordonner la mainlevée de la saisie
à tous les stades de la procédure(100).
43. Le retour opéré
devant le même juge pouvait générer la question, récurrente au cours
des dix dernières années, de l'impartialité de celui-ci. Cette
obligation, édictée par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde,
n'est pas méconnue par cette procédure qui vise précisément à revenir
devant le juge qui a précédemment connu de l'affaire(101). Qui plus
est, en ordonnance sur requête, la voie de rétractation n'a pas pour
objet premier d'ouvrir une voie de recours à celui auquel est opposé
l'ordonnance rendue (qui, comme nous venons de le voir, est admise dans
son principe), mais à élever le débat contradictoire, absent dans la
phase première de la procédure(102).
44. La procédure de
rétractation relève de la matière contentieuse(103) et il résulte des
articles 496 et 497 du nouveau Code de procédure civile « que la
demande de rétractation d'une ordonnance sur requête relève de la
compétence du juge qui l'a rendue », « saisi comme en matière de référé
», précise la Cour de cassation(104). L'expression employée par la
Haute juridiction (comme en matière de référé) étonne. Il est vrai que
la Cour précise « saisi comme » et non pas « statue comme ». Alors
pourquoi cette rédaction, qui risque de créer des confusions avec le
cas ou le juge statue en la forme ou comme en matière de référé ? Ce
qui n'a d'ailleurs pas manqué de se produire dans un arrêt du 17
novembre 1988, la cour d'appel estimant que le juge, saisi en la forme
des référés, peut statuer sur le fond du litige(105) ! Fruit d'un écart
de plume, l'expression ne saurait altérer la réalité : le juge est
saisi en référé. La Chambre commerciale maintient néanmoins la
contestable formulation(106).
45. Contrairement à ce qui existe
en matière de propriété littéraire et artistique, il n'existe aucun
délai pour en référer au juge qui a rendu l'ordonnance(107). C'est en
cela notamment que cette procédure peut être une véritable bombe à
retardement qui en cours d'instance au fond pourra, par la rétractation
de l'ordonnance et de la mesure subséquente, détruire tout espoir de
succès(108).
46. On a constaté que la raison d'être de la
procédure sur requête réside dans son principal effet recherché, à
savoir, la mise en sommeil du principe de la contradiction. Mais la
voie unilatérale produit un autre effet : l'interversion de l'ordre
naturel des parties. En effet, si le requérant avait agi par voie
contradictoire (normale), il aurait en sa qualité de demandeur assigné
le défendeur. En agissant subrepticement, le requérant prend –dans la
réalité des faits et- par cette voie procédurale le costume d'un
défendeur qu'il n'est pas. Ce n'est qu'à l'audience, grâce au retour de
la contradiction, que chacun reprend sa véritable place, le requérant
celle de demandeur et le demandeur à la rétractation, celle de
défendeur à l'instance. L'ordonnance sur requête, à l'instar de
l'ordonnance d'injonction de payer(109), est un mode particulier de
saisine de l'instance. Il s'ensuit que c'est au requérant initial, qui
reste demandeur même s'il apparaît comme défendeur dans l'instance de
rétractation, à subir la charge de la preuve(110).
47. Les
pouvoirs dont dispose alors ce juge ne sont pas ceux des autres cas de
référé. De sorte qu'ils ne sont pas subordonnés aux conditions des
articles 808 et 809 du nouveau Code de procédure civile, que ce soit
l'urgence(111) ou l'absence de contestation sérieuse(112). Le juge
dispose de pouvoirs spécifiques, qui sont ceux de l'auteur de
l'ordonnance sur requête(113). C'est donc à la lumière de la
contradiction que le juge va examiner les motifs contestés de la
saisine par voie non contradictoire. Ainsi en cas de demande de
rétractation fondée sur l'absence d'urgence (condition expresse de
l'article 812, al. 2), le juge du contradictoire vérifiera si celle-ci
existait lors de son intervention sur requête. Cette urgence là ne doit
pas être confondue avec celle invoquée lors de la demande de
rétractation et qui, comme cela a été dit, n'est pas nécessaire pour
justifier la saisine du juge de la contradiction.
Cependant le
juge ne se prononcera que sur ce qui lui est demandé, autrement dit sur
les seules contestations invoquées par le défendeur(114). Il s'ensuit
que le juge doit vérifier si les explications apportées par le
demandeur à la rétractation (qui dans une forme procédurale normale
contradictoire aurait été défendeur) l'auraient conduit à statuer
différemment dans son ordonnance sur requête.
48. Une difficulté
naît lorsque des circonstances nouvelles sont apparues postérieurement
à la décision sur requête. Deux situations très différentes sont ici à
distinguer. D'abord, les circonstances postérieures ne peuvent
justifier a posteriori la mesure prise et a fortiori lorsque lesdites
circonstances nouvelles ont été mises à jour par la mesure
ordonnée(115). Ainsi s'explique la décision de la Cour de cassation
cassant un arrêt confirmatif d'une ordonnance de référé, qui avait
rejeté une demande de rétractation qui se fondait sur une créance
différente de celle invoquée dans la requête(116). Ensuite et en
revanche, le juge de la rétractation et le juge d'appel doivent tenir
compte des faits postérieurs (soit à l'ordonnance sur requête par le
juge de la rétractation, soit à l'ordonnance de rétractation pour le
juge d'appel) pour vérifier si les mesures prises ont lieu de perdurer.
Ainsi la Cour de cassation(117) a-t-elle justifié la décision prise par
la cour d'appel d'ordonner la mainlevée d'une mesure conservatoire au
motif que dans l'intervalle une transaction était intervenue. C'est au
vu de ces explications qu'il faut comprendre les décisions de la Cour
de cassation décidant, à juste titre, que « le juge de la rétractation
doit se placer au jour où il statue »(118).
Il faut par
conséquent distinguer les circonstances nouvelles qui ne peuvent a
posteriori justifier une mesure antérieurement prise et les
circonstances nouvelles qui peuvent rendre obsolètes des mesures
justement prises à l'époque où elles l'ont été. Le regard du juge de la
rétractation se porte ainsi en deux endroits, car il doit vérifier au
vu de la contradiction, d'une part, si les conditions d'une prise de
décision non contradictoire existaient ou non lorsqu'il l'avait rendue
et, d'autre part, si la mesure est toujours justifiée au moment où il
statue.
49. On peut toutefois s'interroger plus avant sur le
juge qu'il convient de saisir lorsqu'une difficulté prend naissance
après accomplissement de la mesure d'instruction. En cas de désaccord
sur la mission ordonnée ou sur le nom du constatant désigné(119), la
voie de rétractation s'impose(120). Mais en-dehors de ce cas, comment
faire respecter par le constatant la mission qui lui a été confiée ? A
quel juge alors s'adresser ? Deux situations peuvent se rencontrer :
Dans
la première situation, la mission telle qu'ordonnée est ambiguë. Elle
permet plusieurs interprétations ou certains de ses chefs, par la
généralité des termes employés, rendent inutiles les autres chefs plus
restrictifs et semblent permettre une instruction générale et donc sans
aucune limite. Il est, dans une telle occurrence, toujours possible de
saisir le juge qui a statué en interprétation (article 461 du NCPC, qui
vise « tout juge » en vue « d'interpréter sa décision »). Le technicien
qui « doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et
impartialité » (article 237) se doit d'ailleurs de saisir le président
si la mission lui semble ambiguë, voire exagérée ou abusive. Il en est
de même en cas de difficultés d'exécution (article 167) et ceci même
avant tout début d'exécution, puisque le « technicien peut demander à
tout moment au juge de l'entendre » (article 245, alinéa 2).
Dans
la seconde situation, la partie contre laquelle ou celui chez lequel
s'effectue la mesure estime que le constatant outrepasse sa mission.
S'il s'agit de la partie visée, l'article 167 du nouveau Code prévoit
la saisine du juge du contrôle, qui est normalement le juge qui a
ordonné la mesure (article 155 du NCPC). C'est-à-dire le juge des
requêtes (qui ne pourra jamais être le juge des référés), qui n'est pas
saisi sur le fondement de la rétractation(121) et ce même si ce juge a
épuisé sa saisine(122). Ce peut également être, par application du
texte suivant (article 155-1), le juge spécialement chargé de contrôler
l'exécution des mesures d'instruction, désigné par le président de la
juridiction. Dans ce dernier cas, c'est devant ce magistrat qu'il
conviendra de porter la difficulté. Si la personne qui conteste
l'exécution de la mesure d'information est le tiers chez qui la mesure
est opérée, celui-ci peut aussi saisir le juge du contrôle. Devoir
apporter son concours à la mesure d'instruction (article 160) ne
signifie pas devoir tout accepter. Dans la plupart des cas, ce tiers
saisit le juge sans forme et le juge statue sur cette difficulté dans
le respect de la contradiction (article 168, alinéa 2)(123).
50.
Cette fonction dévolue au juge du contrôle est-elle temporellement
marquée d'une fin précise ? On pourrait penser que le dépôt du rapport
au greffe (article 253, alinéa 1er NCPC(124)) marque ce moment. Mais
une telle solution, applicable lorsqu'une instance au fond est née,
pêche par défaut dans le cas contraire. En effet, dans la première
hypothèse, c'est-à-dire lorsque la mesure d'instruction est ordonnée au
cours d'une instance au fond, pour éclairer la religion du juge, le
juge du contrôle perd tout pouvoir dès qu'il est dessaisi. Ce moment
est alors marqué par le dépôt du rapport, puisqu'à cet instant
l'instance se poursuit et le juge du fond, qui n'a jamais été dessaisi
(article 153), prend le relais (article 172)(125). Il en va de même
lorsque la mesure d'instruction avait été ordonnée avant tout procès et
que désormais, l'instance au fond est engagée. En revanche, dans la
seconde hypothèse, à savoir lorsque la mesure a été obtenue in futurum
et que le juge du fond n'a pas encore été saisi, un arrêt du 2 décembre
2004(126) nous apprend que l'exception de nullité du rapport déposé par
l'expert désigné sur le fondement de l'article 145 du nouveau Code doit
être « soulevée dans l'instance au fond dans la perspective de laquelle
la mesure d'instruction avait été ordonnée » et qu'« une action en
nullité du rapport d'expertise exercée à titre principal [n'est] pas
recevable ». C'est l'application de l'article 175 et des règles
concernant la nullité des actes de procédure (Titre V – les moyens de
défense ; Chapitre 2 – les exceptions de procédure ; Section 4 – les
exceptions de nullité, article 112 à 121). Seul le juge du fond saisi
dans la perspective dans laquelle la mesure avait été ordonnée « pourra
être appelé éventuellement à statuer après dépôt du rapport, sur la
validité de l'expertise et sur l'opportunité d'un changement de mission
» ; étant rappelé que dans l'immédiat, seul le magistrat chargé du
contrôle est compétent pour trancher toutes difficultés, à la demande
soit des parties, soit de l'expert lui-même »(127).
Il s'ensuit
que le juge du contrôle ne pourrait, pas davantage que le juge du fond
saisi à cette seule fin, prononcer la nullité d'une expertise ou d'une
partie de celle-ci, à la demande d'une partie. Ceci étant, il semble
logique de considérer que celui-ci doit pouvoir prendre des mesures
conservatoires pour assurer le secret de certaines parties du rapport
jusqu'à décision du juge du fond(128). Peut-on tenir le même
raisonnement lorsque c'est le tiers et non la partie à laquelle on
l'oppose, qui entend obtenir la nullité de la mesure ? La réponse à
apporter à cette interrogation est positive, puisque l'on ne voit pas
sur quel fondement ce tiers pourrait invoquer la nullité. Seule la
partie contre laquelle l'acte est fait est titulaire de l'exception. Le
tiers pourra toutefois obtenir des mesures de restitution de documents
indûment saisis, ou une interdiction de s'en prévaloir. Il s'adressera
pour ce faire au juge du contrôle(129).
52. On rappellera que
l'article 150 (et l'article 170) n'est pas applicable lorsque la mesure
d'instruction est ordonnée sur le fondement de l'article 145 du nouveau
Code(130).
53. Comme les autres ordonnances de référé, la
décision rendue est susceptible d'appel et, de même que le premier
juge, la cour d'appel ne devra pas se borner à vérifier la pertinence
des motifs invoqués par le juge de la rétractation, mais devra aussi et
ensuite contrôler ladite pertinence au jour où il statue au vu des
circonstances nouvelles intervenues depuis. On rappellera toutefois
qu'à l'instar des autres décisions de référé, cette ordonnance de
rétractation bénéficie de l'exécution provisoire de droit. L'appel
contre l'ordonnance rejetant la rétractation ne peut donc suspendre
l'exécution immédiate de l'ordonnance sur requête(131).
54.
Quant au pourvoi en cassation, on insistera sur le fait que le moyen
tiré de la légitimité du choix de la voie non contradictoire est de pur
droit. Il peut donc être invoqué pour la première fois devant la Cour
de cassation(132).
2°. Les ordonnances du Code de la propriété intellectuelle
55.
En matière de propriété industrielle, l'article 716-7 du Code de la
propriété intellectuelle (à propos des marques de fabrique) ne prévoit
pas de procédure de rétractation. Dans le silence des textes, c'est le
droit commun que nous venons d'exposer(133) qui s'appliquera. « Le juge
saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance (sur requête de
l'article 716-7), est investi dans le cadre d'un débat contradictoire,
même si le juge du fond est saisi de l'affaire, des pouvoirs
appartenant à l'auteur de l'ordonnance »(134). Il en est de même en
matière de brevet d'invention(135), « d'obtention végétale »(136), ou
encore, de dessins et modèles(137).
Une différence fondamentale
distingue cependant ces ordonnances de celles de « droit commun » : le
juge du fond doit ici être saisi dans les quinze jours de la saisie
sous peine de nullité de celle-ci(138).
56. En matière de propriété littéraire et artistique(139), les règles varient selon le domaine concerné.
57.
Le droit d'auteur, en premier lieu, présente diverses particularités.
D'abord, et l'on rejoint alors le droit commun des ordonnances sur
requête, aucune obligation n'impose au requérant d'assigner au fond
dans un délai de quinzaine. L'article L. 332-2 du Code de la propriété
intellectuelle prévoit bien un délai de trente jours pour assigner,
mais aucune sanction de nullité de la saisie n'est attachée au défaut
d'assignation dans le délai prévu par le texte(140).
Ensuite, si
le saisissant n'assigne pas dans les trente jours de la saisie,
mainlevée de celle-ci peut être demandée par le saisi ou le tiers saisi
au président du tribunal statuant en référé (article L. 332-2 du Code
de la propriété intellectuelle). Il est logique de considérer que le
président compétent est celui qui a signé l'ordonnance sur requête. Les
pouvoirs de ce juge des référés ressemblent beaucoup à ceux que possède
le juge de la rétractation de droit commun bien que si l'article 497 du
nouveau Code de procédure civile ne s'applique pas. En effet, la
procédure spécifique de mainlevée exclut l'application de l'article 497
du nouveau Code de procédure civile(141).
Enfin, dans les trente
jours de l'ordonnance sur requête ou de la saisie, le saisi ou le tiers
saisi peuvent demander au président du tribunal de grande instance de
prononcer la mainlevée de la saisie (ou son cantonnement, article L.
332-2 du Code de la propriété intellectuelle). Une fois ce délai
expiré, la demande de mainlevée est irrecevable, sauf –compte tenu du
cas précédent- si le saisissant n'a pas, dans le délai de trente jours
de la saisie, assigné au fond. Autrement dit, si le saisissant assigne
au fond dans les trente jours de la saisie, le tiers saisi ou le saisi
ne pourront plus demander la mainlevée après l'expiration dudit délai
de trente jours.
On ajoutera que la saisine du juge du fond ne
change en rien au décompte, la demande de mainlevée dans le délai de
trente jours reste recevable même après cette saisine(142).
58.
En second lieu, l'article L. 332-4, alinéa 3, du Code de la propriété
intellectuelle applicable à la matière des logiciels et banques de
données(143) prévoit que « à défaut d'assignation ou de citation dans
la quinzaine de la saisie, la saisie contrefaçon est nulle ». La règle
est donc la même qu'en matière de propriété industrielle(144). En
revanche, cette procédure est spécifique et, comme la précédente,
exclut la procédure de rétractation de droit commun de l'article 497.
La procédure de mainlevée est celle applicable au droit d'auteur avec
les spécificités signalées. Ainsi une demande de mainlevée est-elle
irrecevable à l'expiration du délai de trente jours(145).
59. Le
constat avant tout procès se révèle en définitive riche dans les
préceptes qui la conduisent et dans les procédures qui l'encadrent. La
recherche de la preuve avant tout procès n'a cependant pas fini de
faire couler l'encre. Fondamentale dans l'approche et l'usage des
principes qu'elle mobilise, elle a également tendance à le devenir dans
la pratique quotidienne où se développe le réflexe à y recourir. A la
manière des tenants des procédures anglo-saxonnes où domine cet aspect,
la technique probatoire avant l'échange des arguments juridiques tend à
s'imposer. On ne manquera pas de se souvenir alors que Jhéring déjà
qualifiait la preuve de « rançon des droits ».
Annexe
(les numéros renvoient aux paragraphes et notes de bas de page de l'article)
Modèle 1. Ordonnance sur requête in futurum
§ 21
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE : …………
ORDONNANCE SUR REQUETE
n° d'enregistrement :…….. note 29
§ 30
PRESIDENT :…………
REQUERANT :…………
Représenté par Maître :…………
§ 15
Avocat au barreau de :…………
DATE DE LA REQUETE :…………
§ 15
Déposée le :…………
OBJET DE LA REQUETE : Désignation d'un constatant (mesure in futurum)
PROCEDURE : art. 145, 493 et s. et 812, al. 1er et 2 du nouveau Code de procédure civile
§ 4 et § 39-40
Vu les pièces (nombre) invoquées, dont la liste est jointe, et les motifs adoptés de la requête ;
§ 13 et § 31
Attendu qu'il y a urgence ;
§ 11 s. et § 31
Attendu que le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse ;
§ 21 et § 31
Qu'il
existe pour celui-ci un motif légitime d'établir la preuve des faits
dont peut dépendre la solution du litige, que l'établissement de cette
preuve ne peut être réalisée que par un technicien ;
Qu'il convient dans ces conditions d'ordonner une constatation.
- - - - -
PAR CES MOTIFS
Le Président du Tribunal de Grande Instance de :…………
§ 33
I/ Désigne Maître :…………
demeurant :…………
téléphone :…………
en qualité de constatant avec pour mission de :
§ 35, in fine
II/
Dit que le requérant versera une consignation de………… euros à valoir sur
la rémunération du constatant et ce directement entre les mains de
celui-ci.
Note 124
III/ Dit que le
constatant devra déposer son rapport avant le………. au service « des
requêtes » et adressera copie de celui-ci (y compris la demande de
fixation de rémunération) au requérant et à celui auquel il est opposé.
§ 38
IV/ Rappelle que tout intéressé peut en référer au juge signataire de la présente décision.
Dit que la présente ordonnance deviendra caduque à l'expiration d'un délai de 2 mois à compter de ce jour (146).
§ 40
Rappelle que copie de la requête et de l'ordonnance doit être laissée à la personne à laquelle elle est opposée.
§ 39
V/
Précise que les informations et documents recueillis seront conservés
(au secret) par l'huissier jusqu'à décision contraire du signataire de
la présente décision, étant précisé qu'un débat contradictoire sur le
devenir de ces documents aura lieu à… heures, salle des référés, le…………
(par ex. 1er mercredi) suivant le procès-verbal qui sera transmis aux
parties à laquelle la présente ordonnance est opposée.
Fait à…………, le…………
§ 30
LE GREFFIER(147)
LE PRESIDENT
Modèle 2. Ordonnance sur requête (dessins et modèles)
§ 23 s.
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE : …………
ORDONNANCE SUR REQUETE
n° d'enregistrement :…….. note 29
§ 30
PRESIDENT :…………
REQUERANT :…………
Représenté par Maître :…………
§ 15
Avocat au barreau de :…………
DATE DE LA REQUETE :…………
§ 15
Déposée le :…………
OBJET DE LA REQUETE : Désignation d'un constatant (mesure in futurum)
PROCEDURE : art. 145, 493 et s. et 812, al. 1er et 2 du nouveau Code de procédure civile
§ 4 et § 39-40
Vu les pièces (nombre) invoquées, dont la liste est jointe, et les motifs adoptés de la requête ;
§ 8 et 9
Vu le certificat de dépôt en date du………
Vu le certificat de dépôt en date du………
Vu le récépissé des taxes ;
Vu……….
Attendu que le requérant justifie qu'il est propriétaire du dessin ou du modèle déposé ;
Qu'il y a lieu de faire droit à la demande de description.
- - - - -
PAR CES MOTIFS
Le Président du Tribunal de Grande Instance de :…………
§ 33
I/ Désigne Maître :…………, Huissier de justice,
demeurant :…………
téléphone :…………
Avec pour mission :
Variables :
a/
de procéder à la description détaillée de chaque article qu'il prétend
marqué en violation de la loi susvisée dans les locaux de………..sis dans
le ressort territorial de ce Tribunal ;
b/ de procéder à l'achat
et contre paiement de prix, de deux exemplaires desdits articles, l'un
étant consigné entre les mains de l'huissier et l'autre remis au
requérant ;
c/ de procéder à la description détaillée,
éventuellement par photocopie, de tout document relatif à la nature, à
l'origine et à la destination desdits articles, avec saisie réelle de
deux exemplaires ;
d/ Autorise l'huissier instrumentaire à
faire, d'une façon générale, toutes recherches et constatations utiles,
y compris à ouvrir ou à faire ouvrir par tout serrurier toutes portes
de locaux, de meubles meublants ou de véhicules se trouvant sur place,
dans le but de découvrir la nature, l'origine, la destination ou
l'étendue de la contrefaçon, et à dresser procès-verbal de tous
renseignements ainsi recueillis ;
e/ Autorise l'huissier
instrumentaire à se faire présenter et à parapher ne varietur(148) , à
faire photocopier ou copier en deux exemplaires tous documents, toute
correspondance ou toute pièce de comptabilité d'où pourrait résulter la
preuve de l'origine et de l'étendue de la contrefaçon alléguée, lesdits
exemplaires devant être remis à la requérante et l'autre déposé au
greffe ;
f/ Précise qu'en cas d'absence de photocopieur sur
place ou d'impossibilité d'utiliser l'appareil existant sur place,
l'huissier instrumentaire pourra emporter momentanément les pièces à
copier afin de les reproduire en son étude, à charge pour lui de les
restituer aussitôt après copie faite ;
g/ Dit que si des
informations utiles étaient conservées sur un support autre que le
papier (tel microfilm ou informatique), l'huissier instrumentaire
serait autorisé, au besoin avec le concours de tous techniciens par lui
requis, à en réaliser une édition sur papier ou sur tout support
approprié en utilisant les moyens disponibles sur place ou à
l'extérieur des lieux de la saisie ;
h/ Autorise l'huissier
instrumentaire à consigner non seulement toutes les déclarations des
répondants mais encore toutes les paroles prononcées au cours de
l'accomplissement de sa mission tout en s'abstenant de toute
interpellation qui ne serait pas nécessaire à son exécution ;
i/ Précise qu'une interpellation ne pourra être faite qu'après avoir décliné son identité et l'objet de sa mission ;
j/
Autorise l'huissier instrumentaire à se faire assister par un homme de
l'art pour l'aider dans sa description dont il enregistrera les
explications, et notamment de tout photographe qui pourra procéder à
toute prise de vue qui serait nécessaire, les tirages de ces
photographies devant être annexées au procès-verbal de saisie, mais
pouvant l'être seulement après la clôture desdits procès-verbaux au cas
où les épreuves photographiques ne seraient pas disponibles sur le
champ ;
§ 34
k/ Désigne M./Mme
………….. en qualité de constatant pour assurer la mission visée au § j
ci-dessus (étant entendu qu'il serait utile que le président demande au
requérant de préciser que cette personne est indépendante de lui, cf. §
34) ;
§ 9 et § 52
Rappelle que le
saisissant doit se pourvoir devant la juridiction compétente dans la
quinzaine sous peine de nullité de la saisie.
§ 52
Rappelle que tout intéressé peut en référer au juge signataire de la présente décision.
§ 40
Rappelle que copie de la requête et de l'ordonnance doit être laissée à la personne à laquelle elle est opposée.
Précise
qu'il devra en être de même pour le procès-verbal de constat qui
pourra, lui, n'être envoyé à l'intéressé et déposé au greffe que dans
les vingt-quatre heures de la réalisation de la mesure.
§ 39
Précise
que les informations et documents recueillis seront conservés (au
secret) par l'huissier jusqu'à décision contraire du signataire de la
présente décision, étant précisé qu'un débat contradictoire sur le
devenir de ces documents aura lieu à….. heures, salle des référés,
le………… (par ex. 1er mercredi) suivant le procès-verbal qui sera
transmis aux parties à laquelle la présente ordonnance est opposée.
Fait à…………, le…………
§ 30
LE GREFFIER(149)
LE PRESIDENT