La
suspension des procédures d'exécution
Textes
applicables. - C. consom, art. L. 331-5 et R. 331-14, R.331-15. - Circ. min. 24
mars 1999, JO 13 avr. 1999. - L. no 91-650, 9 juill. 1991, portant réforme des
procédures civiles d'exécution.
Généralités.
Contrairement à l'ouverture du redressement judiciaire des entreprises, la
saisine de la commission de surendettement n'emporte pas arrêt des poursuites
individuelles. Cependant, cette instance de conciliation aura davantage de
chances de mener à bien sa mission de conciliation si elle est en mesure de limiter
certaines initiatives de créanciers trop diligents. C'est la raison pour
laquelle, une fois qu'elle a été régulièrement saisie, la commission peut
demander au juge de suspendre les procédures d'exécution en cours engagées à
l'encontre du débiteur.
Cette
procédure, simple en apparence, soulève en pratique un certain nombre de
difficultés tenant, notamment, à la question de l'étendue des mesures de
suspension proprement dite; en particulier, l'existence d'une procédure de
saisie immobilière constitue un problème complexe auquel la jurisprudence a
apporté des réponses souvent divergentes.
Les
conditions de saisine du juge
Saisine
à l'initiative de la commission. Nonobstant les pouvoirs de recommandation qui
lui sont reconnus par les textes, la commission est avant tout une instance de
conciliation; sa saisine n'a pas pour effet de suspendre les actions des
créanciers, sauf accord favorable de ceux-ci ou décision judiciaire 2 . De la
même façon, la saisine de la commission n'a pas pour résultat d'interrompre la
procédure menée par un créancier désireux de faire reconnaître la validité de
sa créance et d'obtenir un titre exécutoire. Aussi, afin de pouvoir travailler,
les articles L. 331-5 et R. 331-14 du Code de la consommation offrent à la
commission de surendettement la possibilité de saisir le juge de l'exécution
(président du tribunal de grande instance ou le magistrat à qui il a délégué
ses fonctions de juge de l'exécution) aux fins de suspendre les procédures
d'exécution engagées contre le débiteur. Bien entendu, le bénéfice de cette
suspension suppose que le dossier présenté par le débiteur ait été
préalablement déclaré recevable par la commission 4.
Saisine
à l'initiative du président de la commission. Depuis la loi du 29 juillet 1998,
le juge peut être saisi directement par le président de la commission ou son
délégué ou bien encore par le représentant local de la Banque de France (art.
91 de la loi nouvelle complétant l'art. L. 331-5 C. consom.). Cette nouvelle
forme de saisine ne peut toutefois intervenir qu'en cas d'urgence. Elle donne
simplement lieu à une information a posteriori des autres membres de la
commission.
Une
telle procédure présente l'avantage de la rapidité et de la simplicité.
Confrontés à des situations difficiles, qui requièrent immédiatement un gel des
mesures dont les effets seraient irréversibles pour le débiteur, les trois
commissaires susvisés pourront agir de leur propre initiative.
Saisine
à l'initiative du débiteur. Le débiteur peut également s'adresser directement
au juge à l'effet de suspendre les voies d'exécution diligentées à son encontre.
Le recours ne doit intervenir, ici aussi, qu'en cas d'urgence. La présente
faculté, introduite par la loi du 29 juillet 1998 précitée, constitue une
innovation importante qui ne va pas sans susciter certaines interrogations, le
débiteur n'étant pas forcément à même de juger de l'opportunité d'une demande
de suspension et surtout d'en peser les incidences financières notamment en cas
de report d'une vente forcée d'immeuble dont les formalités de publicité ont
déjà été accomplies. Quoi qu'il en soit, lorsque le juge est saisi à
l'initiative du débiteur, le secrétariat greffe en avise la commission par
simple lettre.
1.On
indiquera qu'un projet de décret, actuellement examiné par le Conseil d'État
(et modifiant le décret no 92-755 du 31 juill. 1992, instituant de nouvelles
règles relatives aux procédures civiles d'exécution) institue un solde bancaire
insaisissable à compter du 11, juillet 2002. L'objectif visé est de permettre
au saisi de demander au tiers saisi de mettre à sa disposition immédiate, dans
la mesure du solde disponible, une somme à caractère alimentaire d'un montant
égal au RMI attribué à une personne seule (405,62 euros). Il s'agit en
définitive de permettre aux personnes les plus démunies de conserver de
l'argent pour vivre, même en cas de saisie (La correspondance économique, 26
mars 2002; La Tribune, 13 févr. 2002, p. 25).
2.
Pau, 1- ch., 27 juin 1991, Cah. jur. Aquitaine 1991/3, p. 396, no 2982.
3. Paris, 81 ch., 5 nov. 1991,
D, 1992, IR p. 56.
4. Chambéry, référé, 25 oct.
1994, Bull. inf. C. cass., 15 janv. 1995, p. 29, no 66.
5.Sous
l'empire des anciens textes, seule la commission était habilitée à saisir le
juge.
Autre
hypothèse de saisine. Par ailleurs, il n'est nullement indiqué si la saisine
pour un motif d'urgence est ou non exclusive d'une saisine du juge de
l'exécution par la commission de surendettement, par exemple à un autre moment
de la procédure, notamment si la situation de l'intéressé s'est dégradée; il
semble que cela soit possible. Enfin, contrairement au préfet qui peut être
représenté par son délégué, les textes ne précisent pas davantage si le
directeur local de la Banque de France doit agir personnellement ou si son
représentant est habilité également à agir à sa place. Selon nous, cette
faculté devrait être admise, s'agissant d'un dispositif visant à répondre à une
situation d'urgence.
Saisine
du juge et degré d'avancement de la procédure. Une autre question porte sur le
point de savoir si le juge peut être saisi à tout moment, quel que soit le
stade d'avancement de la procédure. Malgré le silence des textes, il semble, en
effet, possible à la commission de solliciter une suspension des procédures
d'exécution, même si les négociations avec les créanciers sont déjà bien
entamées (l'hypothèse la plus probable est celle d'un débiteur qui aurait omis
de mentionner au départ de la procédure l'existence d'une créance et dont le
titulaire exige à présent le recouvrement). Aucun délai de forclusion n'est
également prévu pour toute demande de suspension formulée en phase de
recommandation.
Modalités
de saisine. Selon l'article R. 331-14 du Code de la consommation (modifié par
D. no 99-65 du le, févr. 1999, art. 10), la suspension des voies d'exécution
est demandée par lettre simple adressée au secrétariat-greffe du juge de
l'exécution ou, postérieurement à la publication d'un commandement aux fins de
saisie immobilière, au secrétariat-greffe du juge de la saisie immobilière. Dans l'hypothèse où le débiteur, après publication d'un
commandement de saisie immobilière, fait également l'objet de procédures
d'exécution mobilières ou d'expulsion, il convient de saisir le juge de la
saisie immobilière de la suspension de cette procédure et le juge de l'exécution
de la suspension des autres voies d'exécution (Circ. min. 24 mars 1999 préc., §
3.1.2).
Contenu
et ciblage de la demande. Afin de lui assurer une efficacité maximale, la
demande ou les demandes ainsi formulées doivent indiquer de manière précise la
ou les procédures que la commission souhaite voir suspendre. Il est vrai que
certains juges de l'exécution ont rendu des décisions suspendant «toute voie
d'exécution » sans viser précisément lesquelles. De même, le secrétariat doit
fournir au juge, à l'appui de la requête, toutes les informations dont il
dispose, en particulier les justificatifs des procédures d'exécution en cours.
Il
est en outre recommandé aux commissions de ne pas formuler de manière
systématique de telles demandes. Elles doivent être limitées aux seules
procédures d'exécution dont la poursuite est de nature à compromettre
l'élaboration du plan conventionnel de redressement. À cet égard, les
commissions de surendettement doivent opérer une distinction entre les
procédures d'exécution qui impliquent une expropriation du débiteur (saisie
immobilière, saisie exécution) pour lesquelles une demande de suspension
s'impose et celles qui n'ont pas ce caractère (saisie conservatoire en
particulier).
Demande
conventionnelle. Au surplus, il est conseillé de ne recourir au juge que si la
demande amiable de suspension faite auprès du créancier poursuivant a échoué
(Circ. préc.). Les commissions peuvent toujours, en effet, demander
conventionnellement de ne pas continuer à exiger l'exécution, en particulier
des saisies -attribution et avis à tiers détenteurs devenus définitifs pendant
la période de suspension, afin de ne pas faire échouer l'élaboration du plan
amiable.
Appréciation
du coût. En dernier lieu, les avantages que peut comporter une demande de
suspension doivent toujours être mis en relation avec les coûts supplémentaires
qu'elle peut entraîner pour le débiteur, notamment lorsqu'il s'agit
d'interrompre une vente forcée d'immeuble dont les formalités de publicité
légales ont été déjà accomplies (Circ. min. préc.).
Forme
de la saisine. La commission est tenue de respecter un formalisme rigoureux. En
effet, le juge ne peut utilement statuer sur l'opportunité de suspendre une
procédure d'exécution qu'à la condition de disposer d'éléments d'appréciation
suffisants et complets.
Ainsi,
selon l'article R. 331-14 du Code de la consommation, la commission doit saisir
le juge compétent par lettre simple signée de son président (ou par une
personne expressément habilitée). La lettre doit indiquer les noms, prénoms,
profession et adresse du débiteur et ceux des créanciers poursuivants ou, pour
les personnes morales, leur dénomination et leur siège social. Au courrier
adressé par la commission sont annexés un état sommaire des revenus du
débiteur, un relevé des éléments actifs et passifs du patrimoine de
l'intéressé, l'état de son endettement et, bien entendu, la liste des
procédures d'exécution en cours. En cas de vente forcée d'un immeuble
appartenant au débiteur, et si la commission estime opportun de demander la
suspension, elle saisit le juge en adressant au secrétariat-greffe du tribunal
de grande instance, par lettre simple, une demande de remise de l'adjudication,
cinq jours au moins avant la date prévue pour cette dernière, telle qu'elle est
fixée par la sommation prévue à l'article 689 du Code de procédure civile (anc.
)2 en fournissant les indications réclamées pour les autres voies d'exécution
(état civil du débiteur, état de ses revenus et de son endettement, nom du
créancier poursuivant ... ) et en précisant, en outre, les causes graves et dûment
justifiées invoquées à l'appui de la demande. Le secrétariat-greffe porte alors
la demande à la connaissance du débiteur et du créancier poursuivant par LRAR.
1.TI
Vichy, 27 mars 1990, Rev. huissiers 1990.
2.Bien
entendu, dans le cas où il lui est délivré la sommation en question, le
débiteur doit en informer la commission sans délai.
Portée
de la suspension
Procédures
visées. La demande de suspension adressée par la commission au juge ne concerne
que les seules procédures d'exécution' engagées à l'encontre du débiteur. Ce
sont sans aucun doute, par référence à la loi no 91-650 du 9 juillet 1991
portant réforme des procédures civiles d'exécution
-
les saisies-attribution
-
les saisies de rémunération du travail;
-
les saisies-vente;
-
les saisies relatives aux dettes fiscales et parafiscales;
-
les procédures de saisies accélérées,
consécutives à l'émission d'un chèque
sans provision 4 ;
-
les saisies conservatoires (L. 9 juill. 1991, art. 74 à 76 - depuis qu'une
circulaire du 20 mai 1997 du ministère de l'Économie 5 a supprimé dans la
circulaire du 28 septembre 1995 précitée la précision selon laquelle des
demandes de suspension doivent se limiter aux seules procédures d'exécution
véritables)6.
Procédures
exclues. Sont en revanche exclues :
-
les mises en demeure ou les commandements de payer qui ne sont pas des
procédures ou des voies d'exécution au sens du Code de procédure civile (en ce
sens, circ. min. du 24 mars 1999 préc.), mais des actes préparatoires à
celles-ci;
-
les voies d'exécution engagées pour le recouvrement des créances alimentaires,
les textes les écartant formellement (C. consom., art. L. 331-5 al. 1);
- les
actions en justice tendant à la résolution d'un contrat ou à la résolution d'un
bail, voire d'un crédit-bail;
-
les sûretés judiciaires (L. 9 juill. 1991, art. 77 à 79).
La
mesure de l'article L. 331-5 du Code de la consommation ne concerne pas davantage
les actes de poursuite ayant déjà produit leurs effets eu égard aux droits
définitivement acquis par les créanciers; c'est le cas notamment des :
-
adjudications devenues définitives ou mesures de distributions déjà réalisées;
-
saisies-attribution et avis à tiers détenteur notifiés aux tiers saisis
conformément aux articles 43 et 86 de la loi du 9 juillet 1991. Il est
clair que les commissions peuvent toujours demander amiablement aux créanciers
de donner mainlevée de la saisie-attribution ou de l'ATD ayant déjà produit
leurs effets alors qu'auparavant, elles pouvaient seulement demander aux
créanciers de ne pas continuer à exiger l'exécution de ces procédures (v. Circ.
20 mai 1997 susvisée); - enfin, selon certains auteurs, il semble que l'on
puisse exclure du champ des mesures pouvant être suspendues les prérogatives
reconnues aux créanciers (établissements de crédit en général) qui bénéficient
d'un gage sur le véhicule financé du débiteur, assorti d'un droit de rétention
fictif.
1.
Certaines juridictions exigent, en effet, que la demande soit circonstanciée et
les spécificités du dossier exposées.
2.
La notion de « procédure d'exécution » est plus large que celle de « voie
d'exécution » visée dans les premiers textes sur le surendettement.
3.
Sur la suspension des effets d'une saisie-attribution à exécution successive,
v. Cass. 11 civ., 14 mars 2000, pourvoi no 98-04.071, Lamy Droit économique, no
5605.
4.
Sur ces questions, v. Raymond, « Le surendettement des particuliers et des
familles après la réforme du 8 févr. 1995 », JCP éd. N, 1995, prat. 3401. 5. JO
21 mai 1997, p. 7627 et 7628.
6.
V. Note de l'Association Française des Sociétés Financières du 29 mai 1997, ASF
97-149.
7.
Pau, 31 mai 1991, INC-Hebdo, ne 747.
8. J.-L. Vallens, art. préc.,
ALD 1990, 87, no 92.
9.
CA Rouen, 30 mai 1990, déjà cité.
10.
Pour les ATD, il s'agit de ceux notifiés depuis plus de deux mois avant la date
de l'ordonnance et n'ayant pas fait l'objet de réclamation; pour les
saisies-attribution, il s'agit de celles validées avant la date de l'ordonnance
par un jugement passé en force de chose jugée.
Étendue.
La décision de suspension n'a pas normalement d'effets collectif 6 et ne
concerne que le créancier contre lequel elle est demandée. Toutefois, il est
clair que la commission demandera la suspension de toutes les procédures
d'exécution engagées contre le débiteur de nature à contrarier la conclusion
d'un plan amiable.
Expulsions.
Le cas des expulsions a été à l'origine d'un débat doctrinal et
jurisprudentiel. En effet, certains auteurs avaient estimé qu'elles pouvaient
être suspendues car la loi présente un caractère très général tandis que
d'autres considéraient que les procédures d'exécution ne s'appliquent qu'aux
biens du débiteur.
Pareillement,
certains tribunaux s'étaient prononcés en faveur de l'arrêt d'une expulsion,
d'autres, au contraire, pour l'absence d'influence de la suspension des mesures
d'exécution sur une procédure d'expulsion 4. Par plusieurs décisions, la cour
de cassation a tranché le débat définitivement. Dans deux arrêts rendus sous
l'empire de l'ex-redressement judiciaire civil, la Cour de cassation avait déjà
estimé que la procédure d'expulsion du débiteur, diligentée par un bailleur à
la suite de la résiliation du contrat de bail, ne constituait pas une procédure
d'exécution destinée au recouvrement du loyer et ne pouvait donc être
suspendue. Tout récemment encore, la haute juridiction a eu l'occasion de
réaffirmer sa position, cette fois sous l'empire de l'actuelle législation 6.
1.
J.-L. Vallens, art. préc.; contra toutefois : TI Le Mans, 22 oct. 1990, C.
cISté Soflnroute, inédit :en l'espèce, le juge avait rejeté la demande en
rétractation d'une décision de suspension de la saisie engagée par le créancier
qui revendiquait la propriété du véhicule du débiteur financé enleasing. V. aussi, Pau, 17
févr. 1992,juris-Data, no 040311.
2.
P. Le Cannu, art. préc., Bull. Joly, 1990. 135, no 28.
3. J.-L. Vallens, art. préc.,
ALD 1990, 87, no 93.
4.
TI Avignon 19 avr. 1990; TI Mulhouse, 31 juill. 1990, D. 1992, somm. p. 110,
obs. B. Bouloc et P.-L. Chatain.
5.
Cass. 11 civ., 30 mai 1995, D. 1995, IR p. 156; 28 nov. 1995, OPAC de
Meurthe-et-Moselle clÉpxJobart, D. Affaires, no 2/1996, p. 38 et s. Cette
jurisprudence n'est pas sans rappeler celle adoptée par la chambre commerciale
en matière de redressement judiciaire des entreprises. En effet, par un arrêt
du 19 déc. 1989 (Bull. civ. IV, no 320) la cour a considéré qu'une action en expulsion
pouvait être poursuivie nonobstant le redressement judiciaire du débiteur,
tandis que par un autre arrêt du 21 févr. 1990 (Bull. civ. III, no 52) elle a
clairement indiqué que l'expulsion ne constituait pas une voie d'exécution sur
les meubles ou les immeubles.
6.
CaSS. lr, civ., 22 janv. 2002, Épx Belhout, pourvoi no 99-16.752, arrêt no 125
F-P + B, inédit. Dans un sens comparable, CA Versailles, 4 juill. 1997, arrêt
no 566, Mme Hasle clOPHLM de Dreux, inédit : « le fait pour un
créancier-bailleur, de consentir à un plan (de redressement) n'implique pas sa
renonciation à se prévaloir d'une décision de justice ordonnant l'expulsion; (
... ) qu'en effet, le sursis à l'exécution d'une décision de justice ordonnant
l'expulsion ne peut être accordé que dans le cadre des dispositions des
articles L. 613-1 et suivants du Code la construction».
Demande
préventive.
Une demande de suspension suppose-t-elle des procédures
d'exécution
déjà engagées ou peut-elle être
ordonnée à titre préventif ? À cette
question
s'ajoute celle de l'effet relatif ou absolu de la suspension
prononcée : à
savoir vise-t-elle les seules voies d'exécution
mentionnées dans la demande ou
s'étend-elle à l'ensemble des mesures d'exécution
intentées contre le débiteur,
même celles qui n'ont pas été portées
à la connaissance du juge?
Ces
deux aspects intimement liés posent en réalité un choix de politique juridique
: il s'agit finalement de savoir si l'on veut une suspension systématique et
générale des poursuites à l'exemple des procédures du droit commercial pour
renforcer le caractère collectif de la procédure de surendettement ou si l'on
ne doit paralyser les droits des créanciers que dans la seule mesure où leur
comportement serait de nature à compromettre l'élaboration d'un plan de
règlement. Soulignant que le législateur n'a pas entendu priver
systématiquement les créanciers de leurs moyens d'action, la jurisprudence
s'est très nettement orientée vers une conception restrictive de la suspension,
limitée aux seules mesures déjà engagées et expressément énoncées dans la
demande'.
La
décision du juge
Cas général
Compétence
et pouvoirs du juge. C'est le juge de l'exécution qui est compétent pour
suspendre les procédures d'exécution diligentées à l'encontre du débiteur (sous
réserve du cas particulier, étudié plus loin, de la suspension d'une
adjudication). Une fois régulièrement saisi, le juge n'est pas tenu de faire
droit automatiquement à la demande de la commission ou de ceux habilités à le
saisir en cas d'urgence (le président de la commission, son délégué, le
directeur de la Banque de France ou bien encore le débiteur). En outre, et très
logiquement, le bénéfice de la suspension est subordonné au bénéfice de la
procédure'. Il appartiendra au juge d'apprécier si la « situation du débiteur
exige » de suspendre les procédures d'exécution engagées contre lui. C'est
encore le juge qui choisit, parmi les procédures d'exécution, celles auxquelles
s'appliqueront les mesures de suspension. Aussi bien, évidemment, peut-il -
comme par le passé - refuser d'en prononcer aucune. Il peut même faire droit en
partie seulement à la demande de suspension en refusant de surseoir à certaines
mesures n'ayant qu'un caractère conservatoire ou qui ne sont pas de nature à
compromettre l'élaboration d'un plan de redressement (saisie-arrêt sur les
rémunérations du travail par exemple). On le voit, la suspension des poursuites
n'a aucun caractère collectif.
1.Ainsi,
sur le droit pour le créancier, en l'absence de textes l'interdisant, de saisir
le juge du fond, pendant le cours de la procédure de surendettement, à l'effet
d'obtenir un titre exécutoire dont l'exécution sera différée pendant la durée
du plan: Cass. 11, civ., 7 janv. 1997, Bull. civ. I, no 10. Dans le même sens,
CA Versailles, 31 mars 2000, Bull. inf. C. cass., 15 janv. 2001, no 78.
2.Chambéry, référé, 25 oct.
1994, Bull. inf. C. cass., 15 janv. 1995, p. 29, no 66.
Nature
de la décision. La décision du juge s'analyse comme une ordonnance sur requête,
exécutoire de plein droit et à titre provisoire (telle était la définition
qu'en donnait l'ancien décret du 21 févr. 1990, art. 20 sur laquelle ni le
décret du 9 mai 1995 ni celui du le, février 1999 ne semblent revenir).
D'ailleurs, la circulaire de la Chancellerie du 9 mai 1995 précise que
l'ordonnance doit être portée par les soins du greffier sur le registre des
ordonnances sur requêtes (Circ. min. préc., p. 10, § 2.3.2.2 et annexe, p. 3, §
2.2).
Absence
de contradictoire. Lorsqu'il statue, le juge n'est tenu d'entendre ni le
débiteur ni les créanciers poursuivants. Les textes, en effet, ne précisent pas
qu'il doit demander ou recueillir les observations des parties. À ce stade de
la procédure, l'économie d'un véritable débat contradictoire se justifie par
l'urgence qu'il y a à empêcher l'aboutissement de la procédure d'exécution en
cours.
Notification
aux créanciers. L'ordonnance du juge qui suspend une ou plusieurs des
procédures d'exécution est notifiée par le secrétariat-greffe aux créanciers
poursuivants par lettre recommandée avec accusé de réception postal (C.
consom., art. R. 331-15). Par ailleurs, une copie de cette décision et de celle
qui statue sur la demande en rétractation (v. infra no, 24.35 et 24.36) est
adressée par les soins du greffe, par lettre simple cette fois, à la commission
de surendettement, à charge pour cette dernière d'en informer le débiteur (C.
consom., art. R. 331-15 al. 3) et lorsqu'il est à l'origine de la demande, le
président de la commission ou son délégué.
Notification
aux huissiers. Les agents chargés de l'exécution sont également avisés dans les
mêmes formes que pour les créanciers poursuivants, de la suspension des voies
d'exécution décidée par le juge. Ces agents sont principalement les huissiers
de justice (saisie-exécution, saisie immobilière) mais peuvent être également
l'employeur du débiteur dans le cadre d'une saisie des rémunérations du
travail. De même, pour les procédures d'exécution fiscales ou parafiscales, la
notification ne sera pas adressée directement à l'huissier de justice ou à
l'agent de l'administration habilité à exercer les poursuites mais au comptable
poursuivant, à charge pour lui d'en aviser son agent d'exécution (Circ.
Chancellerie, p. 6, § 2.1.2) 1.
Délais.
L'article L. 331-5 du Code de la consommation prévoit que la suspension est
acquise sans pouvoir excéder un an 2 jusqu'à l'approbation du plan
conventionnel de redressement prévu à l'article L. 331-6 du même code, ou, en
cas d'échec de la conciliation, jusqu'à l'expiration du délai de 15 jours dont
dispose le débiteur pour demander à la commission de formuler des
recommandations en application des articles L. 331-7 et L. 331-7-1 (al. 1,
relatif au moratoire). En cas de demande formulée dans ce délai, la suspension
est acquise jusqu'à ce que le juge ait conféré force exécutoire aux mesures
recommandées, en application de l'article L. 332-1 ou, s'il a été saisi en
application de l'article L. 332-2, jusqu'à ce qu'il ait statué (L. 29 juill.
1998, art. 9111, complétant art. L. 331-5 préc.).
On
indiquera pour mémoire que dans l'ancien dispositif, issu de la loi du 31 déc.
1989, la suspension des procédures d'exécution avait une durée limitée à trois
mois pour le règlement amiable, non renouvelable. Particulièrement bref,
d'autant qu'il courait rétroactivement depuis la date de la saisine, le délai
de l'article 11 était à juste titre critiqué. Le juge était souvent saisi par
la commission alors que le délai de 3 mois était quasiment - voire totalement -
expiré et le débiteur n'avait d'autre choix que de solliciter l'ouverture d'une
procédure de redressement judiciaire civil et, dans le même temps, la
suspension provisoire des poursuites avec l'obligation pour le juge de
convoquer en urgence l'ensemble des parties. En outre, si le juge prononçait
alors une telle suspension, ce ne pouvait être que pour une durée de deux mois
renouvelable une fois (C. consom., art. L. 332-3, al. 11, anc.). Compte tenu de
l'encombrement du rôle des tribunaux et d'un audiencement en conséquence de
plus en plus tardif des dossiers aux fins d'établissement des mesures de
redressement, la brièveté de l'ancien article L. 332-3, al. 1er aboutissait
trop souvent à faire de la suspension provisoire des procédures d'exécution une
mesure sans réelle efficacité.
1.V.
sur ce point, Lagriffoul et 'Manguin, « Les rapports entre les commissions
départementales d'examen des situations de surendettement des particuliers et
les tribunaux d'instance », Gaz. Pal. 1990, 1, doctr. 324.
2.Sur
l'impossibilité de limiter a priori la suspension des poursuites à une durée de
6 mois, v. TGI Toulouse, ch. des criées, 19 mars 1998, Mlle Labarre c1banque
Woolwich, jugement no 1/19/98, inédit.
Voies
de recours. Comme sous l'empire du régime antérieur, la décision du juge qui
suspend une ou plusieurs procédures d'exécution diligentées contre le débiteur
n'est pas susceptible d'appel. La décision du juge étant rendue en dernier
ressort, se pose la question de l'ouverture du recours en cassation. À défaut
de disposition spéciale de la loi, la décision ne peut pas faire l'objet d'un
pourvoi en cassation. En effet, elle ne met pas fin à l'instance et a seulement
pour objet de statuer sur un incident de la procédure conventionnelle de
redressement, sans trancher une partie du principal, si bien que le pourvoi
formé contre cette décision est irrecevable'. En d'autres termes, le pourvoi en
cassation ne peut être formé indépendamment du jugement sur le fond.
Rétractation.
Selon l'article R. 331-15 du Code de la consommation, la notification de la
suspension des poursuites indique que la décision judiciaire peut faire l'objet
de la part des créanciers poursuivants d'une demande en rétractation formée par
déclaration signée de son auteur et remise ou adressée au secrétariat-greffe du
tribunal à laquelle est jointe une copie de l'ordonnance.
Notification.
L'ordonnance qui rétracte la décision de suspension - qui est, elle aussi,
insusceptible d'appel (C. consom., art. R. 331-15, al. 5), qu'elle fasse droit
ou non à cette demande - est notifiée au créancier requérant et aux agents de
l'exécution (v. supra n', 24.32) par lettre simple et l'ordonnance qui rejette
la demande en rétractation par lettre recommandée avec accusé de réception
postal. Dans tous les cas, une copie de la décision est adressée par lettre
simple à la commission qui en informe le débiteur.
Il
convient de noter que, curieusement, le décret. du 9 mai 1995 n'a fixé aucun
délai pour que les créanciers poursuivants forment cette demande en
rétractation. On peut le regretter aussi bien pour l'organisation du travail du
juge de l'exécution que pour la loyauté des négociations menées par la
commission : il ne faudrait pas, en effet, que plane sur celles-ci l'ombre de
pareils recours.
Ordonnance
de refus. La question de savoir si un recours peut être intenté à l'égard d'une
ordonnance refusant de suspendre les voies d'exécution reste débattue.
Certaines juridictions semblent l'avoir admis, considérant qu'en l'absence de
texte spécial concernant les ordonnances de refus, il y a lieu d'appliquer
l'article 496 du Code de procédure civile qui prévoit la voie de l'appel au cas
où il n'est pas fait droit à la requête'; cette interprétation n'est toutefois
pas partagée en doctrine.
1. Cass. 1" civ., 21
janv. 1992, Bull. civ. I, n, 23.
2.
Cass. 1- civ., 23 juin 1998, n, 1216 P.
Effets
de la suspension. Une fois notifiée aux parties, l'ordonnance rendue par le
juge emporte un certain nombre de conséquences :
Sur
les créanciers tout d'abord. Les créanciers poursuivants ont l'obligation de
surseoir à toute poursuite pendant un laps de temps variable qui peut aller
jusqu'à un an à compter de la saisine de la commission (délai imparti à celleci
pour traiter un dossier) voire davantage dans deux hypothèses bien
particulières (C. consom., art. L. 3 31-5, al. 2). Au surplus, la suspension
interdit désormais « la prise de toute garantie ou sûreté» (C. consom., art. L.
331-5, al. 4).
Sur
le débiteur ensuite. S'agissant du débiteur, l'article L. 331-5 du C. de la
consommation précise que, sauf autorisation du juge, la décision qui prononce
la suspension provisoire des procédures d'exécution interdit au débiteur de :
-
faire tout acte qui aggraverait son insolvabilité (il lui est interdit de
contracter de nouveaux crédits par exemple);
-
de payer, en tout ou partie, une créance autre qu'alimentaire née
antérieurement à cette décision;
-
de désintéresser les cautions qui seraient elles-mêmes amenées à acquitter des
créances nées antérieurement;
-
de faire un acte de disposition étranger à la gestion normale de son patrimoine
(le débiteur ne peut pas, notamment, aliéner un bien dans la perspective de se
procurer des ressources complémentaires)';
-
d'accorder des garanties ou des sûretés réelles ou personnelles.
Il
s'agit, en vérité, d'une formule calquée sur l'article 36 alinéa 7 de la loi du
le, mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des entreprises.
Sur
les cautions enfin. Les textes ne précisent pas si le juge peut suspendre les
poursuites diligentées, cette fois-ci, contre les personnes qui se sont
engagées en qualité de caution du débiteur. L'article L. 331-5 du Code de la
consommation parle de «Procédure d'exécution ( ... ) diligentées contre le
débiteur » si bien que l'on peut en déduire que les poursuites engagées à
l'encontre de la caution ne peuvent être suspendues par le juge comme c'est
d'ailleurs le cas en matière de procédures collectives relatives aux
entreprises en difficulté où la suspension des poursuites dirigées contre le
débiteur en état de redressement judiciaire n'empêche pas un créancier d'agir
éventuellement contre la caution simple 4 ou solidaire'.
Époux
communs en biens. Quelle est la portée d'une suspension des procédures
d'exécution lorsque celle-ci ne bénéficie qu'à un époux commun en biens?
1.
CA Rouen, 30 mai 1990, Comptoir des Entrepreneurs cID., aff. no 1243/90,
inédit. 2. J.-L. Vallens, ALD 1990, 87, no 89.
3.
il semble a contrario possible d'arbitrer un portefeuille de valeurs mobilières
si les circonstances économiques l'imposent : en ce sens, P. Bouteiller,J.-CI.
Surendettement 1995 (11) no 49.
4.
Cass. com., 27 mars 1990, JCP 1990, IV, 204.
5.
Cass. com., 30 juin 1987, Banque, 1987.1207, obs. Rives-Lange; D. 1987, somm.
p. 450, obs.L. Aynès, Rev, proc, coll. 1988, p. 8, note Delebecque; v. aussi,
G. Ripert et R. Roblot, Traité élémentaire de droit commercial, t. 2, 11, éd.,
LGDJ, no 2975, p. 849.
Le
créancier peut-il poursuivre une procédure à l'encontre du conjoint non
demandeur d'une procédure de traitement du surendettement ? À ces questions, la
jurisprudence a répondu que l'autorisation donnée au créancier du conjoint de
poursuivre la procédure ruinerait les effets des dispositions légales relatives
au surendettement. Cette décision peut paraitre contestable au regard des
textes, toutefois, il convient de souligner, à titre de comparaison, qu'en
matière de procédures collectives régies par la loi du 25 janvier 1985, la Cour
de cassation a décidé que les créanciers du conjoint commun en biens soumis à
une procédure de redressement judiciaire n'avaient pas la possibilité d'exercer
des poursuites sur les biens communs tant que les créanciers du débiteur ne
pouvaient eux-mêmes agir.
Cas
particulier des saisies immobilières
Compétences.
L'article L. 331-5 du Code de la consommation dispose que le juge peut
suspendre les voies d'exécution engagées contre le débiteur. La question se
pose alors de savoir si le juge du surendettement a une compétence pleine et
entière. En vérité, en matière de suspension d'une procédure de saisie immobilière,
il existe une compétence partagée entre le juge de l'exécution et le juge de la
saisie immobilière (autre formation spécialisée du tribunal de grande
instance). La clé de répartition dépend du stade auquel se trouve la procédure.
En effet, la loi no 98-46 du 23 janvier 19983 renforçant la protection des
personnes surendettées en cas de saisie immobilière (compl. l'art. L. 331-5),
précise en effet que, postérieurement à la publication d'un commandement aux
fins de saisie immobilière, le juge de la saisie immobilière est seul compétent
pour prononcer la suspension de cette procédure (art. 5). La demande de
suspension doit donc être adressée par la commission, au nom du débiteur,
directement au juge de la saisie.
Date
de l'adjudication. En d'autres termes, le juge du surendettement n'est
pleinement compétent pour ordonner la suspension d'une procédure de saisie
immobilière qu'à la condition de statuer avant la fixation de la date de
l'adjudication. Notons que la Cour de cassation ajoute une
seconde condition, celle d'avoir été saisie avant la date de publication du
commandement de saisie'. Si ledit magistrat n'a pas statué dans la période
incluse entre ces deux dates, le sursis à exécution des poursuites prononcées
par le juge de l'exécution sera considéré comme dépourvu d'effet par le juge de
la saisie immobilière. Il en résulte concrètement que le juge du surendettement
doit préciser, dans son ordonnance de suspension de la saisie ou dans celle
statuant sur la demande de rétractation de l'ordonnance de suspension, la date
à laquelle le commandement a été publié ainsi que celle fixée pour
l'adjudication, afin de rendre celle-ci valide.
1. TGI Lure, 18 oct. 1991, D.
1992, IR p. 64.
2.
Cass. ass. plén., 23 déc. 1994, Quot. Jur. 1995, no 11, p. 6, cité par P.
Bouteiller, J.-Cl. Surendettement 1995 (11), no 48.3. JO 24 janv. 1998; JCP éd. E 1998, no
6, p. 235. Pour un panorama complet, v.
Ch.-H. Gallet,
«
Les limites du pouvoir du juge de l'exécution en cas de saisie immobilière et
desurendettement », JCP éd. N, no 49, 4 déc. 1998; H. Croze et T. Moussa, « La
loi no 98-46 du 23 janv. 1998 renforçant la protection des personnes
surendettées en cas de saisie immobilière », JCP ëd. N, no 49, 4 déc. 1998.
4.
Cass. 21 civ., 11 mars 1998, D. Affaires, 1998, p. 669; 21 civ., 8 avr. 1998,
Robert clMidIand Bank, D. 1999, somm. p. 205, note P.-L. Chatain et F.
Ferrière.
5.
Cass. 21 civ., 8 avr. 1998, Banque La Hénin &Langlois, D.1999, somm. p.
205, obs. P.-L. Chatain et F. Ferrière.
Cette
question de la compétence du juge du surendettement en matière de suspension de
saisie immobilière a donné lieu, en pratique, à de redoutables difficultés et
donc à des solutions jurisprudentielles divergentes, en raison de l'existence
d'un conflit de lois entre, d'une part, l'art. 703 C. pr. civ. (anc.) qui donne
compétence exclusive au tribunal de grande instance pour connaître les
incidents de saisie immobilière, et l'article L. 331-5 C. consom. qui donne
compétence au juge de l'exécution pour, à la demande de la commission,
prononcer indistinctement la suspension des procédures d'exécution diligentées
contre le débiteur 2.
-
Des juridictions avaient ainsi considéré que si, selon l'article 703 du Code de
procédure civile, le tribunal de grande instance, statuant en audience des
saisies immobilières, est-bien seul compétent pour connaître des incidents de
saisie et accorder au débiteur un délai de grâce lorsque la date de
l'adjudication a été fixée, l'article L. 331-5 qui ne distingue pas entre les
différentes procédures d'exécution, est issu de dispositions spéciales qui
dérogent aux règles générales régissant la procédure de saisie immobilière'.
Dès lors, comme l'article L. 3 31- 5 susvisé ne distingue aucunement la saisie
immobilière des autres procédures d'exécution, le juge du surendettement est
bien compétent pour surseoir à l'adjudication, même après la fixation de la
date de cette dernière4.
Bien
avant la loi du 23 janvier 1998 et ses arrêts d'avril 19981, la Cour de cassation
avait opportunément fixé quelques principes directeurs. La haute juridiction
avait en effet estimé « d'une part, que le juge de l'exécution ne peut être
valablement saisi d'une demande de délai et de suspension de la procédure
d'exécution qu'avant la publication du commandement à fin de saisie
immobilière, toute demande incidente à la saisie immobilière formée
postérieurement à cette publication ressortissant exclusivement du juge de la
saisie (le tribunal de grande instance); d'autre part, qu'aucun sursis ne peut
être accordé sur le fondement du droit commun après la fixation de la date
d'adjudication qui résulte de la délivrance de la sommation de prendre
communication du cahier des charges, quand bien même le juge de l'exécution
aurait été saisi antérieurement à la publication du commandement ».6
Cette
discussion est de toute manière définitivement close depuis les
éclaircissements apportés par la loi du 23 janvier 1998 précitée.
Information
du saisi. La publication du commandement devant du reste intervenir dans un
délai fixé au maximum à quatre vingt dix jours (C. pr. civ. (anc.), art. 674)
suivant la délivrance du commandement de payer valant procès-verbal de saisie,
il est rare qu'un débiteur soit suffisamment informé pour réagir en temps utile
7 .
1.Ch.-H.
Gallet, op. cit., commentaire de l'arrêt Cass. 21 civ., 11 mars 1998, Banque La
Hénin clEpx Delmas, Juris-Data, no 001074.
2.V.
sur cette question, B. Bouloc et P.-L. Chatain, note sous TI Quimper, 7 juin
1990 et TGI Lyon, 14 juin 1990, D. 1991, somm. p. 55.; P.-L. Chatain et F.
Ferrière, note sous Grenoble, 21 juin 1995, D. 1996, somm. p. 79. JEX
Versailles, 16 janv. 1996, Gaz. Pal. 1996, 2, somm. p. 359.
3.En
ce sens, TI Bordeaux, ord. 2 janv. 1996, aff. Dubief (inédit); TI Rennes, ord.
9 janv. 1996, aff. Le Rallec et Hardy, (inédit).
4.
CA Grenoble, 21 juin 1995, Banque La Hénin clRouvières et a., inédit.
5.
Cass. avis, 5 mai 1995 : Bull. inf. C. cass., 15 juin 1995 et Bull. inf, C.
cass. 15 déc. 1997, p. 26.
6.
Cass. 21 civ., 8 avr. 1998, Crédit Immobilier de Bretagne clLe Rallec et Hardy,
cassation TI Rennes, 9 janv. 1996, pourvoi no Y 96-04. 062; 8 avr. 1998, Midland
Bank clRobert, cassation Bordeaux, 51 ch., 8 déc. 1994, pourvoi no X 95-04.034,
8 avr. 1998, Sté Lorraine de Crédit Immobi'lier clHirschy, cassation TI Nancy,
15 févr. 1996, pourvoi no R 96-04.078; 8 avr. 1998, Banque La Hénin clEpx
Langlois, cassation TI Bernay, 29 juin 1995, pourvoi no T 95-04.145 : pour une étude
détaillée, v. Ch.-H. Gallet, « Les limites du pouvoir du juge de l'exécution en
cas de saisie immobilière et de surendettement », JCP éd. N, no 49, 4 déc.
1998.
7.Sur
cette question, v. MM. J.-J. Hyest et P. Loridant, Surendettement, prévenir et
guérir, rapport du Sénat, no 60, 1997-1998, p. 58.
Aussi,
la loi du 23 janvier 1998 précitée complétant l'article 673 du Code de
procédure civile (anc). précise que le commandement doit comprendre notamment,
à peine de nullité, l'indication que le débiteur en situation de surendettement
a la faculté de saisir la commission de surendettement des particuliers. L'acte
d'huissier susvisé devra en outre avertir le débiteur saisi qu'il pourra
bénéficier de l'aide juridictionnelle', sous réserve que ses conditions de
ressources répondent aux exigences posées par la loi no 91-647 du 9 juillet
1991.
Intervention
de la commission. La loi précitée ajoute à l'article L. 331-5 du Code de la
consommation une disposition selon laquelle lorsqu'en cas de saisie immobilière
la date d'adjudication a été fixée, la commission de surendettement peut, pour
des causes graves et dûment justifiées, saisir le juge aux fins de remise de la
vente de l'immeuble, dans les, conditions et selon la procédure prévues par
l'article 703 du Code de procédure civile ancien. À cet égard, la saisine du
juge se fera au moyen de la lettre simple prévue à l'article 16 du décret no
95-660 du 9 mai 1995 relatif à la procédure de traitement des situations de
surendettement des particuliers. En outre, la commission de surendettement, qui
n'est pas partie au sens de l'article 751 NCPC, n'est pas soumise à
l'obligation de constituer avocat devant le tribunal de grande instance'.
Ainsi, la demande de remise de la vente peut être déposée ou adressée au greffe
du juge de la saisie immobilière sans formalisme particulier, avant la fixation
de la date de l'audience éventuelle. Il est également rappelé que le juge ne
peut ordonner la remise de la vente que pour «causes graves et dûment
justifiées » 1 (en ce sens, v. dépêche du Garde des Sceaux aux présidents des
juridictions, 5 mars 1998 4).
Notification.
Le jugement statuant sur la remise de l'adjudication est notifié par LRAR par
le secrétariat-greffe du tribunal de grande instance à la commission, au
débiteur ainsi qu'aux créanciers poursuivants (C. consom., art. R. 331-15, al.
dern.). La notification indique que ce jugement n'est susceptible ni d'appel ni
d'opposition'.
Durée
de la remise de l'adjudication. L'article
703 du Code de procédure civile
(anc.) fixait initialement à soixante jours la durée de
la remise, ce qui
apparaissait très insuffisant pour rechercher une solution et
finaliser une
négociation susceptible d'éviter la vente forcée'.
Cette durée a été portée à
quatre mois par l'article 106 de la loi du 23 janvier 1998
susvisée. Cette
modification est d'autant plus heureuse que depuis la loi du 23 janvier
susvisée, la demande de remise de l'adjudication peut être
formée non seulement
par la partie saisie, le poursuivant ou l'un des créanciers
inscrits, mais
aussi, comme indiqué supra no 24.47, par la commission de
surendettement. Or
l'intervention de cette dernière n'a de sens que si elle peut
disposer d'un
délai relativement long pour mener à bien la
procédure de surendettement et
éviter, le cas échéant, la vente forcée du
bien saisi.
1.
V. décret d'application no 91-1266 du 19 déc. 1991.
2.
TGI Meaux, 28 mai 1998, Épx Aholou clComptoir des Entrepreneurs, D. 1999, somm.
p. 210, note P.-L. Chatain et F. Ferrière. V. aussi, H. Croze et T. Moussa, «
Les modifications apportées à la saisie immobilière par la loi du 29 juill.
1998 relative à la lutte contre les exclusions »,JCP, no 45-46, 4 nov. 1998, §
2.
3.
Sur la qualification de cause grave et dûment jusitifiée, v. TGI Paris, 28
janv. 1999, M. H. et commission de surendettement de Paris clUCP, Petites
Affiches, no 165, 19 août 1999, note Ch.-H. Gallet.
4.
Dépêche du Garde des Sceaux aux présidents des juridictions, 5 mars 1998,
Ministère de la justice, Direction des affaires civiles et du sceau, Bur. C3,
IDM/MH.
5.
Cass. 21 civ., 4 févr. 1999, Èpx Duhamel clBanque Sovac immobilier, Petites
Affiches, no 169, 25 août 1999, note Ch.-H. Gallet.
6.
De nouveaux délais ne pouvaient être accordés que pour une cause de force
majeure.
Coût
d'un report d'adjudication. il convient de garder à l'esprit que les remises
d'adjudications présentent de graves inconvénients, souvent pour le débiteur,
puisque les intérêts de retard continuent de courir et que chaque report 'rend
nécessaire une nouvelle publicité, entraînant ainsi des frais supplémentaires (de
l'ordre de 2 286 à 3 048 euros, soit 15 000 à 20 000 francs à Paris pour un
immeuble mis à, prix à 150 000 euros, soit 1 000 000 francs).
Mise
à prix. Si la vente du bien devient inévitable, le débiteur a aujourd'hui les
moyens de préserver ses intérêts. En effet, la loi du 23 janvier 1998 ne fait
pas seulement que préciser la répartition des compétences entre le juge du
surendettement et le juge de la saisie immobilière; elle ouvre également au
débiteur le droit de contester la mise à prix. Il est fréquent, surtout en cas
de surendettement, que le prix établi par le poursuivant soit, en effet, fixé à
un montant permettant à ce dernier d'escompter le remboursement intégral de sa
dette. En conséquence, la mise à prix sur laquelle s'engagent les enchères peut
être très inférieure à la valeur réelle du bien en cause. Pour remédier à cela,
la loi de 1998 précitée permet de contester le montant de la mise à prix « pour
cause d'insuffisance manifeste ». Dans ce cas, le juge fixe la mise à prix en
tenant compte de la valeur vénale du bien saisi après, selon toute
vraisemblance, avoir consulté les professionnels de l'immobilier'.
Si
le montant de la mise à prix fixé par le poursuivant est augmenté par le juge
et s'il n'y a pas d'enchère, la loi n'envisage pas de déclarer le poursuivant
adjudicataire mais prévoit une remise en vente « sur baisses successives du
prix fixées par le juge, le cas échéant, jusqu'au montant de la mise à prix
initiale ».
Organismes
exclus du droit commun de la procédure de saisie immobilière. Afin de les
affranchir des lourdeurs et de la longueur inhérentes aux procédures
habituelles de saisie, certains organismes de crédit accordant des prêts à des
conditions avantageuses bénéficient de dispositions dérogatoires au droit
commun. Tel est le cas, par exemple, des saisies pratiquées par le Comptoir des
Entrepreneurs qui sont réglementées par le décret-loi du 24 mai 19384. Font
également l'objet de dispositions particulières, les saisies diligentées par
les Caisses régionales de Crédit Agricole et les Caisses de Crédit Agricole
Mutuel (C. rur., art. 745) et par certaines sociétés de crédit immobilier. Le
Crédit Foncier de France, en revanche, ne bénéficie plus des privilèges
accordés par le décret du 28 févr. 1852 et destinés à assurer le recouvrement
rapide des prêts immobiliers qu'il avait consentis'. L'article 105 de la loi du
29 juillet 1998 supprime en effet l'avantage exorbitant du droit commun reconnu
à cet établissement.
1. H. Croze et T. Moussa, op. Cit.
2. En ce sens, rép. min. no 33999, Q, AN,
6 mai 1996, p. 2491.
3. D. Desurvire, « La loi du 23 janv. 1998
», Rev. huissiers, 1998, p. 519 et s.
4. D.-L. 24 mai 1938, JO 25 mai 1938.
5. Sur toutes ces questions, se reporter
au Lamy immobilier, sect. II., « Les régimes particuliers de la saisie
immobilière», p. 1385, no' 3530 et s.
Suspension
d'une saisie immobilière pratiquée dans le cadre d'une procédure commerciale.
Le juge de l'exécution peut-il suspendre une vente sur saisie immobilière
décidée par un juge commissaire dans le cadre d'une procédure commerciale
ouverte à l'encontre de l'un des deux époux commerçant et qui concerne
l'immeuble d'habitation du couple? La réponse devrait, en principe, être
négative.
Dans
l'affaire examinée par la cour de Limoges', un particulier qui exerçait la
profession d'électricien avait fait l'objet d'une procédure commerciale de
redressement J . udiciaire, puis d'une liquidation judiciaire en vertu d'un
jugement pris par le tribunal de grande instance de -Guérel statuant en matière
commerciale. Saisi par l'épouse du commerçant, le juge, d'instance, avait
ouvert au profit de celle-ci -un redressement judiciaire civil et suspendu pour
une durée de deux mois les voies d'exécution et notamment la procédure de
saisie immobilière diligentée par le liquidateur sur un immeuble appartenant
aux intéressés et dont la vente avait été autorisée par une ordonnance du juge
commissaire.
Le
liquidateur qui avait interjeté appel de cette décision a pu obtenir
satisfaction. En effet, la cour a jugé qu'aucune disposition des articles L.
332-1 (anc.) et s. C. consom. n'autorise le juge de l'exécution, saisi en
application de l'article L. 3323 (anc.) dudit code, à suspendre l'exécution
d'une décision du juge-commissaire relative à la réalisation de l'actif d'un
débiteur relevant de la loi n' 85-98 sur le redressement et la liquidation
judiciaires des entreprises. Le fait que le conjoint du débiteur n'est pas
commerçant et peut bénéficier de la législation sur le surendettement des
particuliers d'une part, que l'immeuble en cause n'est pas à usage
professionnel et qu'il entre dans le patrimoine commun des deux époux d'autre
part, ne permet pas pour autant au juge de l'exécution d'entraver le
déroulement d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
1.Commandement
de saisie « allégé » ne comportant ni le pouvoir spécial de saisir ni la copie
de la matrice du rôle de la contribution foncière et pouvant être publié malgré
une saisie antérieure, inexistence d'audience éventuelle, possibilité de
procéder à la vente dans des délais relativement courts.
2.CA
Limoges, 28 juin 1994, MI Lombard c/Mme X., D. 1999, somm. p. 204, note P.-L.
Chatain et F. Ferrière.