La responsabilité civile délictuelle
du fait des immeubles

Mémoire pour l’obtention du diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées
de Conseil juridique aux Armées
par
Olivia DEPETRIS
Sous la direction de Monsieur le professeur
Jean-Louis MOURALIS
Année universitaire 2003-2004
 
 

INTRODUCTION     
PREMIÈRE PARTIE : LA RESPONSABILITÉ DU FAIT DE LA RUINE DE L’IMMEUBLE 15 CHAPITRE 1 : LES CONDITIONS D’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ    16
Section 1 : L’objet spécifique de la responsabilité : un bâtiment    16 Section 2 : L’événement générateur de la responsabilité : la ruine du bâtiment due a un défaut
d’entretien ou à un vice de construction    25
CHAPITRE 2 : LA DÉTERMINATION DE LA PERSONNE RESPONSABLE    40
Section 1 : Le principe de la responsabilité de plein droit du propriétaire    40
Section 2 : Les limites de la responsabilité du propriétaire    48
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE     60
DEUXIÈME PARTIE : LA RESPONSABILITÉ DU FAIT QUELCONQUE DE L’IMMEUBLE
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CHAPITRE 1 : LES CONDITIONS D’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ    63
Section 1 : L’objet de la responsabilité : un immeuble     64
Section 2 : L’événement générateur de la responsabilité    73
CHAPITRE 2 : L’IMPUTABILITÉ DE LA RESPONSABILITÉ    89
Section 1 : La détermination de la personne responsable    89
Section 2 : Les modes d’exonération du responsable    106
CONCLUSION    119
BIBLIOGRAPHIE    120
TABLE DES MATIÈRES     132
 
 
1.- Définition des termes du sujet. Dans l’esprit collectif, le terme d’ « immeuble » renvoie le plus souvent à la seule image d’une maison de plusieurs étages, voire éventuellement à un bâtiment. De même, il n’est essentiellement envisagé que dans une perspective positive, à savoir que l’immeuble constitue une richesse, une valeur du patrimoine d’un individu. Si ces idées ne sont pas totalement inexactes, elles ne reflètent cependant que partiellement la réalité telle qu’envisagée par le droit.
D’une part, le sens juridique du terme « immeuble » ne se résume pas aux seules constructions. En effet, il recouvre une catégorie de choses beaucoup plus étendue. Ainsi, le droit positif distingue-t-il deux grands ensembles d’immeubles, choses corporelles : les immeubles par nature et les immeubles par destination1. Au titre des immeubles par nature, il convient de prendre en considération toutes les choses dont la situation est fixe, de sorte qu’elles ne peuvent être transportées d’un lieu à l’autre sans être altérées2. A cet égard, le bien de référence est constitué par la terre, le sol3. Parcelle de territoire national, support de construction ou de plantation, le terrain est toujours immeuble par nature. Il peut s’agir d’un terrain non bâti, d’un pré, d’une carrière ou encore d’un jardin. Le critère de la catégorie étant l’attache matérielle actuelle à la terre, tout ce qui est attaché au terrain constitue également un immeuble par nature. Un bâtiment ainsi que chacune des parties de cette construction n’est donc qu’une espèce particulière d’immeubles par nature4. Le droit envisage également les immeubles par destination, c’est-à-dire des biens mobiliers par nature mais auxquels la loi attache fictivement un caractère immobilier en raison de leur lien, matériel ou fonctionnel, à un immeuble. Ainsi, l’affectation d’un meuble au service et à l’exploitation d’un immeuble lui confère-t-il la qualification d’immeuble par destination5. De même, tout effet mobilier que le propriétaire a attaché au fonds à perpétuelle demeure, soit qu’il y ait eu scellement ou fixation
1 Code civil, article 517. Ce texte envisage également les immeubles par l’objet auquel ils s’appliquent. Mais, s’agissant essentiellement de droits, biens incorporels, et non de choses corporelles, il n’apparaît pas utile pour notre étude de les mentionner dans les développements eux-mêmes.
2 P. Voirin et G. Goubeaux, Droit civil, T. 1, LGDJ, 28e éd., 2001, n° 500 ; Ch. Atias, Droit civil, Les biens, Litec, 4e éd., 1999, n° 28.
3 Code civil, article 518 : « Les fonds de terre […] sont immeubles par leur nature ». 4 Code civil, article 518, article 519.
5 Code civi, article 524.
 
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empêchant le détachement sans détérioration, soit qu’il y ait eu aménagement spécial de l’immeuble, devient-il immeuble par destination6.
D’autre part, si le terme « d’immeuble » renvoie effectivement à l’idée de valeur, de richesse dont tire profit un individu, cela ne signifie pas qu’il se présente uniquement sous cet aspect positif. En effet, l’immeuble est susceptible également d’être source de dommages pour autrui, et à ce titre, engager la responsabilité d’une personne, à savoir que cette dernière deviendra débitrice d’une obligation de réparation à l’égard de la victime.

2.- Une responsabilité civile délictuelle. Cette responsabilité peut se présenter sous l’angle pénal, c’est-à-dire qu’elle tendra essentiellement à la punition du coupable, par le prononcé d’une peine d’amende ou d’emprisonnement, et visera à la réformation de son comportement. Il ne s’agit pas là de l’objet de notre étude qui se limitera à la seule responsabilité civile engendrée par le fait de l’immeuble, laquelle poursuit principalement un but d’indemnisation des victimes, exacerbée par la jurisprudence contemporaine. Il n’est cependant pas question d’envisager l’ensemble des responsabilités civiles encourues. En effet, le droit civil comporte deux grands types de responsabilité : la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle. La première est encourue lorsqu’un dommage est causé par l’inexécution d’un contrat. Il existe alors un lien juridique préalable entre le responsable désigné et la victime, et les contours de l’obligation à réparation sont déterminés pour la plus grande part par la volonté des parties. L’obtention de la réparation du préjudice subi ne peut alors être obtenue qu’en application des règles spécifiques prévues par les articles 1147 et suivants du Code civil. Nous n’envisagerons pas ici ce type de responsabilité qui pourrait à elle seule faire l’objet de développements indépendants importants. En effet, nous nous attacherons à la seule responsabilité civile délictuelle du fait des immeubles, laquelle implique la réparation d’un dommage causé à un tiers qui n’entretient aucun lien juridique préexistant avec le responsable désigné. A cet égard, il est déjà possible de constater qu’elle a subi une évolution complexe et mouvementée, répondant à des considérations juridiques comme d’opportunité, qui n’est d’ailleurs peut-être pas à son terme.

3.- Historique. La nécessité de se prémunir contre les conséquences particulièrement graves que pouvaient occasionner les immeubles a été ressentie depuis très longtemps. A priori « inanimés », les immeubles pouvaient cependant se voir doter par les lois de la pesanteur d’un mouvement qui leur paraissait propre et constituer de ce fait une source de dommages non négligeable. Mais, à l’origine, ce sont essentiellement les constructions mal
6 Code civil, article 524 alinéa 3, article 525.
 
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bâties ou mal entretenues qui, en raison du danger grave qu’elles pouvaient constituer pour les voisins et les passants en cas d’effondrement total ou partiel, ont suscité particulièrement l’attention des juristes et provoqué l’adoption de mesures spécifiques pour assurer la sécurité des uns et des autres. Ainsi, alors que le droit romain limitait la responsabilité du propriétaire d’un bâtiment en lui permettant de faire abandon noxal des décombres, c’est-à-dire de les laisser à la victime, le prêteur imagina de contraindre le propriétaire à donner au voisin, menacé par un bâtiment en mauvais état, caution de réparer le préjudice susceptible de lui être causé. C’était ce qu’il était convenu d’appeler le régime de la cautio damni infecti (la réparation aux frais du propriétaire). En cas de refus, le demandeur était envoyé en possession par la voie de la missio in possessionem et pouvait effectuer, aux frais du propriétaire, les travaux nécessaires. Sous une autre forme, ce système de protection préventive subsista dans notre ancien droit : au lieu de permettre au voisin menacé de se mettre en possession, il était autorisé à faire réparer le bâtiment aux frais du propriétaire lorsque celui-ci refusait de procéder aux travaux7. Notre Ancien droit connaissait, en outre, un système de réparation : si la chute du bâtiment se produisait avant que la sommation ait été faite au propriétaire de démolir ou d’effectuer les travaux nécessaires, la victime devait être indemnisée, sauf faculté d’abandon laissée au propriétaire qui était alors considérée comme une cause d’exonération de responsabilité.
4.- Le Code civil de 1804. En 1804, les rédacteurs du Code civil, soucieux également d’éviter le péril que créent ces constructions mal faites ou mal entretenues et sentant certainement le besoin d’en assurer la réparation en dehors du cadre traditionnel, adoptent l’article 1386 qui énonce que « le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu’elle est arrivée par une suite du défaut d’entretien ou par le vice de sa construction ». Abandonnant cependant les mesures préventives, l’article 1386 du Code civil n’édicte la responsabilité du propriétaire qu’après la réalisation du dommage8. Ce texte
7 Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, Livre II, titre VIII, Sect. III : « Comme dans cette matière notre usage est différent de la disposition du Droit romain, et que nous n’observons pas la règle qui voulait que celui dont le bâtiment pouvait être endommagé par la chute d’un autre qui était en péril de ruine, fût mis en possession de cet héritage voisin, si le propriétaire ne lui donnait des sûretés pour le dommage qui était à craindre, on a tâché de tourner et accommoder à notre usage les règles du Droit romain, selon qu’elles peuvent s’y rapporter… § II : Si après la sommation ou l’assignation en justice, le propriétaire du bâtiment dont la chute peut nuire au voisin, néglige d’y pourvoir, celui qui voit son héritage en danger par la chute de l’autre peut demander par provision qu’il lui soit permis de faire lui-même ce que les experts jugeront nécessaire pour prévenir la chute de ce bâtiment, soit en l’appuyant ou démolissant s’il en est besoin, et il recouvrera contre le propriétaire la dépense qu’il y aura faite ».
8 Cette affirmation ressort des travaux préparatoires, et notamment des écrits de Bertrand De Greuille dans son rapport au tribunat : « Cette disposition est bien moins rigoureuse et plus équitable que la disposition qui se
 
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était alors le seul qui régissait une responsabilité spécifique du fait des immeubles, et plus précisément la catégorie particulière d’immeubles que sont les bâtiments, en dehors du droit commun de l’article 1382 du Code civil relatif à la responsabilité du fait personnel. Il posait, et pose encore, des conditions particulières à son application : le dommage devait avoir été causé par la ruine du bâtiment, celle-ci étant elle-même due à un défaut d’entretien ou à un vice de construction. Il n’enlevait cependant pas toute son utilité à une éventuelle intervention de l’article 1382 lorsqu’un dommage était le fait d’un bâtiment, dès lors que les conditions exigées par l’article 1386 n’étaient pas remplies. Si le dommage était dû à une autre cause que le défaut d’entretien ou le vice de construction, la victime pouvait toujours se prévaloir du principe général énoncé dans l’article 1382 pour réclamer la réparation du dommage qu’elle avait subi. La situation de la victime était toutefois beaucoup moins favorable sur le terrain de l’article 1382 que sur celui de l’article 1386. Alors que dans le premier cas, elle devait faire la preuve d’une faute commise par le propriétaire auquel elle entendait demander la réparation du dommage, dans le second cas, il lui suffisait de faire la démonstration de conditions objectives, à savoir la preuve que le dommage résultant de la ruine du bâtiment avait été causé par le défaut d’entretien ou le vice de construction, sans aucune référence à une quelconque faute du propriétaire ou d’une autre personne, allégeant ainsi considérablement la charge de la preuve lui incombant.
Aussi, dès ses premières applications, l’article 1386 connut-il un accueil très favorable, tant dans la jurisprudence qu’au sein des auteurs. Au cours du XIXe siècle, les tribunaux ne cessèrent d’élargir le domaine de cette responsabilité, à tel point que les conditions strictement exigées par cette disposition furent négligées. Alors que le texte ne se référait qu’aux seuls bâtiments, la jurisprudence y assimila les machines incorporées9, les arbres10, et même certains meubles meublants11, par une interprétation singulièrement extensive. Quant à la ruine, elle renvoyait indifféremment à un incendie12, une explosion13 ou un écroulement14. Vers la fin du XIXe siècle, l’essor de l’industrie entraînant de nombreux
trouve dans la loi romaine […] Ainsi la seule appréhension du mal donnait ouverture à l’action et pouvait opérer la dépossession : le projet, au contraire, veut avant tout que le mal soit constant ; c’est donc le seul fait de l’écroulement qui peut légitimer la plainte et la demande du lésé, et déterminer une condamnation à son profit », écrits rapportés par Locré, Code civil, T. XIII, n° 16.
9 Civ., 19 avril 1887, DP. 1888.1.27.
10 Paris, 20 août 1877, S. 1878.2.48.
11 Paris, 11 mars 1904, D. 1904.2.256.
12 Paris, 21 juin 1898, D. 1899.2.289.
13 Nancy, 21 mars 1896, DP. 1896.2.518.
14 Bourges, 19 février 1872, D. 1872.2.184.
 
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accidents, notamment du travail, il fut même proposé de recourir à la responsabilité du fait de la ruine d’un bâtiment afin de résoudre le problème de l’indemnisation de ce nouveau type de dommages, en assimilant l’outillage industriel à un bâtiment. Si séduisante que fut cette proposition, elle risquait toutefois de se révéler insuffisante dans la mesure où l’article 1386, sans exiger la preuve d’une faute, supposait néanmoins la démonstration d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction, ce qui pouvait empêcher l’aboutissement des demandes en réparation. De plus, la notion de bâtiment, même entendue de façon extensive, constituait un obstacle à l’application de ce texte.

5.- La découverte d’un principe général du fait des choses dans l’article 1384 alinéa 1 du Code civil et son application aux immeubles. Mais, les tribunaux ne tardèrent pas à découvrir un moyen bien plus efficace de secourir la victime. Dans son célèbre arrêt dit « du remorqueur » du 16 juin 189615, la Cour de cassation, suivant un courant doctrinal favorable à la théorie du risque et au développement de responsabilités objectives, reconnut une valeur autonome à l’article 1384 alinéa 1 du Code civil, considéré jusqu’alors comme une simple phrase de transition entre les articles précédents et la suite des dispositions sur la responsabilité, et l’érigea au rang de principe général de responsabilité du fait des choses. Il apparaissait comme particulièrement favorable pour la victime dans la mesure où, en posant une présomption de causalité, l’article 1384 alinéa 1, tel qu’interprété par la jurisprudence, lui permettait d’obtenir une réparation par la seule démonstration de l’intervention matérielle de la chose au moment de la réalisation du dommage.
Dans un premier temps, les tribunaux limitèrent toutefois le domaine d’application de ce texte aux seuls dommages causés par les choses mobilières, considérant que le fait des immeubles, en raison de l’adage « specialia generalibus derogant16 », relevait de l’article 1386 dans le cas spécifique de la ruine d’un bâtiment, et à défaut des articles 1382 et 1383. Réceptive aux nombreuses critiques de la doctrine et prenant en compte la loi du 7 novembre 1922 qui, en instituant un régime dérogatoire de l’article 1384 alinéa 1 pour les dommages causés par une chose incendiée mobilière mais également immobilière, consacrait implicitement l’application de la responsabilité du fait des choses aux immeubles, la Cour de cassation, revint sur sa solution et décida, dans un arrêt du 6 mars 1928, que l’article 1384 alinéa 1 était applicable aux immeubles17. Désormais, les dommages causés par n’importe quel immeuble, qu’il s’agisse d’immeubles par nature ou d’immeubles par destination, sont
15 Civ., 16 juin 1896, Teffaine, D. 1898.1.433, note Saleilles, concl. Sarrut ; S. 1897.1.17, note Esmein. 16 « Les lois spéciales dérogent aux lois générales ». 17 Req., 6 mars 1928, DP. 1928.1.97, note Josserand.
 
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susceptibles de relever du régime de responsabilité objective prévu par l’article 1384 alinéa 1, sous réserve du cas spécifique des dommages consécutifs à l’incendie d’un immeuble prévu par l’article 1384 alinéa 2 et pour lequel la démonstration d’une faute est exigée.
Tant que l’article 1384 alinéa 1 était considéré comme inapplicable aux immeubles, l’article 1386 était le seul régime favorable à la disposition des demandeurs en matière de dommages causés par les choses immobilières, hormis les articles 1382 et 1383, plus rigoureux dans leurs conditions d’application. Mais, lorsqu’en 1928, la Cour de cassation déclara le principe général de responsabilité du fait des choses applicables aux immeubles, les victimes de la ruine d’un bâtiment se trouvèrent dans une situation sensiblement moins favorable que celle des victimes de n’importe quel autre immeuble ou que celle des victimes qui demandaient réparation de dommages causés par le fait d’un bâtiment autre que la ruine, et « de texte de faveur » l’article 1386 est devenu par rapport à l’article 1384 alinéa 1 « un texte de rigueur »18. En effet, alors que celles-ci doivent prouver la cause du dommage sur le terrain de l’article 1386, à savoir la ruine due à un défaut d’entretien ou à un vice de construction, elles en sont dispensées sur le terrain de l’article 1384 alinéa 1, le nouveau principe faisant peser une présomption de responsabilité19 sur le gardien de la chose immobilière, en dehors de toute faute prouvée, dès lors que la matérialité de l’accident est démontrée. La tendance a été alors de cantonner l’article 1386 à son domaine initial, le réduisant à n’être plus qu’un texte d’exception, et à étendre corrélativement celui de l’article 1384 alinéa 1.

6.- Les critiques doctrinales. Dès lors, l’utilité de cette responsabilité spéciale du fait de la ruine d’un bâtiment, voire son existence, n’ont cessé d’être mises en question par la majorité des auteurs, qui la qualifie de « vétuste20 », « anachronique21 », « source d’inégalités entre les justiciables22 » ou encore « d’exception devenue défavorable à la victime23 ». En effet, le texte ne correspond plus à la volonté des rédacteurs du Code civil qui souhaitaient que les victimes de la ruine d’un bâtiment bénéficient d’un régime de réparation plus libéral que celui du droit commun. Or, à l’heure actuelle, l’article 1386 aboutit à un régime plus
18 H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. 2, 6e éd., Montchrestien, 1970.
19 Cass. ch. réun., 13 février 1930, Jand’heur, GAJC, 11e éd., 2000, n° 193, obs. F. Terré et Y. Lequette ; DP. 1930.1.57, concl. Matter, note Ripert ; S. 1930.1.121, note Esmein.
20 Y. Buffelan-Lanore, Droit civil, Deuxième année, 5e éd., Masson, 1995, n° 1208. 21 G. Durry, RTD civ. 1975.314.
22 J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Les obligations, Le fait juridique, 10e éd., Armand Colin, 2003, n° 297. 23 A. Bénabent, Les obligations, 6e éd., Montchrestien, 1997, n° 628.
 
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restrictif que celui découlant de l’article 1384 alinéa 124. Et, il se crée entre les victimes de dommages causés par le fait d’un immeuble en général et les victimes de dommages consécutifs à la ruine d’un bâtiment une disparité de traitement, conduisant parfois ces dernières à une impasse. Ainsi en est-il, lorsque les juges écartent l’article 1384 alinéa 1, le litige entrant dans le champ d’application de l’article 1386, et qu’elles sont déboutées sur ce texte, le vice de construction et le défaut d’entretien n’ayant pas été établis. De plus, il apparaît désormais comme contraire à l’évolution d’ensemble de la responsabilité civile qui tend à l’amélioration de la condition des victimes et de leur indemnisation.
Mais, malgré le flot des critiques, la jurisprudence a pendant longtemps maintenu l’autorité de ce texte en préservant son champ d’application par l’interdiction de toute option ou cumul de cette responsabilité avec celle de l’article 1384 alinéa 1. Ainsi, par un arrêt du 4 août 1942, la haute juridiction déclare l’article 1384 alinéa 1 inapplicable à une demande intentée contre le propriétaire lorsque les conditions de l’article 1386 sont réunies25. De même, par une décision du 30 novembre 1988, elle affirme l’exclusivité de l’article 1386 dans les hypothèses où les qualités de gardien et de propriétaire appartiennent à des personnes différentes. Dès lors qu’il est établi que le dommage a été provoqué par la ruine d’un bâtiment, la victime ne dispose que du recours à l’article 1386 contre le propriétaire et ne saurait invoquer l’article 1384 alinéa 1 contre ce dernier ou toute autre personne26. De nombreux auteurs s’étaient élevés contre cette décision qui allait au-delà de ce qu’impose le respect de la loi. Le professeur Jourdain la jugeait même « inqualifiable » et écrivait : « qu’en l’espèce l’application éventuelle de l’article 1386 au propriétaire ne s’opposait pas à ce que les occupants du logement fussent déclarés responsables en leur qualité de gardien »27. En effet, l’option ou le cumul de responsabilités de plusieurs personnes sur des fondements juridiques différents, dès lors que leurs conditions respectives d’application étaient remplies, a toujours été admis.
Le débat sur l’opportunité de maintenir ou d’abroger l’article 1386 du Code civil vient récemment d’être relancé. En effet, dans un arrêt de 2000, la Cour de cassation a introduit une brèche dans l’exclusivité de l’article 1386 par rapport à l’article 1384 alinéa 1, réduisant sensiblement ses cas d’application. Désormais, contrairement à ce qui avait été décidé auparavant, la victime peut, lorsque les conditions d’application des deux textes sont réunies,
24 V° cependant, H. Groutel, « Les rapports de l’article 1386 et de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil, Resp. civ. et assur. 1989.chron.5, qui émet des réserves sur cette opinion, considérant qu’en pratique la ruine est très souvent due à un défaut d’entretien ou un à vice de construction qu’une expertise peut démontrer facilement. 25 Civ., 4 août 1942, GAJC, 11e éd., 2000, n° 191-192 (I).
26 Civ. 2e, 30 novembre 1988, JCP G 1989.II.21319, note Giraudel.
27 P Jourdain, RTD civ. 1989.331.
 
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agir cumulativement contre le propriétaire sur le fondement de l’article 1386 et contre le titulaire du droit d’usage, ou plus généralement l’occupant, en tant que gardien, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1. Elle peut également choisir d’invoquer seulement l’un ou l’autre de ces textes28. Cette solution a été confirmée pour un locataire responsable d’un dommage causé par un volet29. Même si cette décision a un domaine strictement limité30, elle conduit à s’interroger sur l’avenir de la responsabilité particulière du fait des bâtiments. Et cela d’autant plus que, pour la première fois, la haute juridiction a été amenée, dans son rapport annuel de l’année 2000, à proposer l’abrogation de l’article 1386, soulignant que son application aboutissait souvent à des rejets d’indemnisation, solution contraire à la tendance actuelle tournée vers l’amélioration du sort des victimes31. La jurisprudence, à la suite de la doctrine32, lance ainsi un appel au législateur afin qu’il abroge ce texte et qu’il soumette la ruine d’un bâtiment au régime général de la responsabilité du fait des choses, analysé comme offrant une protection plus favorable à la victime.

7.- Autres fondements textuels. D’autres dispositions sont également susceptibles de fonder une responsabilité civile délictuelle pour des dommages consécutifs au fait d’un immeuble. Il faut tout d’abord rappeler que l’article 1382 du Code civil, établissant le principe général de la responsabilité du fait personnel, peut être invoqué en toutes hypothèses à l’appui d’une demande en réparation d’un dommage causé par le fait d’un immeuble. La victime peut en effet choisir de fonder son action sur cette seule disposition ou l’invoquer cumulativement avec un autre texte. Cependant, dans ces hypothèses, elle devra nécessairement prouver une faute du responsable désigné. Cette exigence la poussera alors fréquemment à préférer un autre fondement textuel plus favorable, même si le recours à l’article 1382 peut conserver une
28 Civ. 2e, 23 mars 2000, GAJC, n° 191-192 (II) ; RTD civ. 2000.581, obs. P. Jourdain ; Resp. civ. et assur. 2000.chron.16, note H. Groutel ; D. 2001.586, note N. Garçon, JCP G 2000.II.10379, note Y. Dagorne-Labbé. 29 Civ. 2e, 12 décembre 2002, D.2003, der. actu., p. 9.
30 Cf. infra, n° 98.
31 Rapport annuel de la Cour de cassation, année 2000, p. 13 et 14.
32 V° notamment, F. Bénac-Schmidt, La responsabilité du fait des bâtiments, Répertoire civile Dalloz, janvier 2003, n° 28 ; F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, 7e éd., Précis Dalloz, 1999, n° 748 ; B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Les obligations, La responsabilité délictuelle, 5e éd., Litec, 1996, n° 683. Contra, V. DepadtSebag, La justification du maintien de l’article 1386 du code civil, LGDJ, 2000, qui propose non pas l’abrogation de ce texte mais une modification de ses conditions d’application, et notamment l’adoption d’une présomption de défaut d’entretien ou de vice de construction en cas de ruine du bâtiment afin d’améliorer l’indemnisation des victimes.
 
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utilité dans certaines circonstances33. En second lieu, il est à noter que l’article 1384 alinéa 2 du Code civil établit un régime de responsabilité également fondé sur la faute, et exclusif de tout autre34, dans le cas particulier où le dommage causé au tiers résulte de l’incendie d’un immeuble qui s’est communiqué35. Ainsi, énonce-t-il : « Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble […] dans lequel un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable ». Quant à la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, elle fait application, dans son article 14 alinéa 4, des dispositions de l’article 1386 du Code civil à la copropriété dans l’hypothèse où le dommage survient dans une partie commune aux copropriétaires. En effet, en vertu de ce texte, le syndicat est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers par le vice de construction ou le défaut d’entretien des parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires. La responsabilité prévue par cette disposition est cependant plus extensive puisque le dommage n’est pas circonscrit à la notion de ruine. Enfin, le fait d’un immeuble peut donner lieu à une condamnation au titre des troubles anormaux de voisinage. De création purement prétorienne36, cette responsabilité est une responsabilité objective et spécifique37 qui n’est subordonnée qu’à la seule constatation d’un trouble anormal. Il convient toutefois de préciser que le trouble se caractérise par sa permanence ou du moins par sa répétitivité et sa durabilité. Le fait de l’immeuble doit donc, en principe, se prolonger dans le temps pour engendrer une telle responsabilité. La jurisprudence l’applique cependant en matière de construction immobilière à des dommages instantanés et accidentels, suscitant quelques interrogations38.
Toutes ces dispositions sont donc susceptibles de servir de fondement à une action en responsabilité destinée à obtenir la réparation de dommages causés par le fait d’un immeuble, sous réserve que leurs conditions respectives d’application soient réunies. Pour autant, nous
33 Cf. infra, n° 34 concernant les bâtiments menaçant ruine ; n° 42 relatif à l’utilité de l’article 1382 lorsque la victime ne parvient pas à démontrer un vice de construction ou un défaut d’entretien à l’origine de la ruine. 34 Civ. 2e, 27 mai 1999, Resp. civ. et assur. 1999.245, note Groutel ; RTD civ. 2000.124, obs. Jourdain. 35 Le texte concerne également la responsabilité encourue en cas de dommages causés par l’incendie de biens mobiliers qui s’est communiqué, mais ce n’est pas l’objet de notre étude.
36 Req., 20 février 1849, D. 1849.1.148, qui énonce : « Le droit de propriété est limité par l’obligation naturelle et légale de ne causer à la propriété voisine aucun dommage ».
37 Le fondement retenu par la jurisprudence est le principe que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage » qu’elle érige au rang de « principe général du droit » ; V° Civ. 2e, 19 novembre 1986, Bull. civ. II, n° 172 ; et, J.-L. Bergel, RD imm.1996.175, obs. sous Civ. 2e, 28 juin 1995. 38 P. Jourdain, obs. sous Civ. 2e, 19 juin 2003, RTD civ. 2003.715.
 
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ne les étudierons pas de manière indépendante, préférant les intégrer aux développements consacrés à la responsabilité du fait de la ruine des bâtiments principalement régie par l’article 1386 ainsi qu’à la responsabilité générale du fait des choses immobilières de l’article 1384 alinéa 1. En effet, non seulement, ces dernières nous semblent être celles qui font l’objet des applications les plus nombreuses en matière de responsabilité civile délictuelle du fait des immeubles, mais encore, en raison des évolutions jurisprudentielles récentes auxquelles par ailleurs la doctrine réagit fortement, elles apparaissent comme présentant un plus grand intérêt pour notre étude, et méritent de ce fait que nous nous attardions davantage sur leur sujet.

8.- Annonce du plan. S’il est possible, à l’instar de la plupart des auteurs, de souhaiter la suppression de la responsabilité particulière du fait de la ruine d’un bâtiment afin de soumettre l’ensemble des dommages consécutifs au fait des immeubles au même régime favorable d’indemnisation de l’article 1384 alinéa 1, il n’en reste pas moins que cette abrogation ne peut être le fait des tribunaux, une telle compétence appartenant au seul législateur. Il en résulte que, malgré le rétrécissement récent de son champ d’application au profit de l’article 1384 alinéa 1 qui régit une responsabilité du fait quelconque de l’immeuble, sous réserve de l’hypothèse particulière de la communication d’incendie prévue par l’alinéa 2 de ce texte (2ème partie), l’article 1386 du Code civil continue cependant à s’appliquer aux hypothèses de responsabilité du fait de la ruine d’un immeuble (1re partie).
 
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Première partie : La responsabilité du fait de la ruine de l’immeuble

9.- L’article 1386 du Code civil énonce que « le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu’elle est arrivée par une suite du défaut d’entretien ou par le vice de sa construction ». Par la précision de sa rédaction, le texte établit les principaux éléments du régime de cette responsabilité particulière. Ainsi, les termes de l’article 1386 s’attachent à la détermination de la chose objet de la responsabilité, à l’événement faisant naître cette responsabilité, de même qu’aux conditions de preuve nécessaires à son application. Ils désignent précisément la personne responsable. Quant aux possibilités d’exonération, si elles n’ont pas été abordées par le législateur, elles ont été explicitées par les tribunaux au fil de leurs décisions.
Mais, incluse dans un ensemble qui englobe tous les « engagements qui se forment sans convention »39, dépassant ainsi le simple cadre des dommages dus à la ruine d’un bâtiment, la responsabilité du fait d’un bâtiment a évolué en fonction des tendances et des idées qui gouvernent la matière. En particulier, la découverte d’un principe général de responsabilité du fait des choses40, offrant aux victimes un régime plus favorable41, a
39 Code civil, Livre III, Titre IV.
40 Civ., 16 juin 1896, Teffaine, DP 1897.1.433 ; S. 1897.1.17, note A. Esmein ; D. 1898.1.433, concl. Sarrut, note Saleilles.
41 Cf. infra, n° 99 et s.
 
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influencé considérablement l’interprétation des conditions d’engagement de la responsabilité de l’article 1386 du code civil (chapitre 1) ainsi que la question de son imputabilité (chapitre 2).
Chapitre 1 : Les conditions d’engagement de la
responsabilité
10.- Le régime de responsabilité édicté par l’article 1386 du code civil suppose à la fois une spécificité de l’immeuble en cause (section 1) et une particularité quant à l’événement générateur du préjudice (section 2). Ainsi, la chose qui engendre le dommage doit répondre à la notion technique de bâtiment et l’événement dommageable doit procéder de la ruine de ce bâtiment dont l’origine réside dans des vices spécialement visés par la loi : le défaut d’entretien ou le vice de construction.
Section 1 : L’objet spécifique de la responsabilité : un bâtiment
11.- Si l’article 1386 du code civil affirme que la chose objet de la responsabilité doit être un bâtiment, il ne donne aucune information quant à cette notion. La jurisprudence, s’appuyant notamment sur les textes du code civil relatifs aux immeubles42, en a peu à peu précisé le contenu mais non sans mal, puisque ce dernier a fait l’objet d’importantes fluctuations. En effet, après avoir adopté pendant longtemps une conception large du bâtiment (§ 1), que certains ont pu qualifier « de particulièrement extensive »43 voire « d’exagérément
42 Code civil, Livre II, Titre I, Chapitre I, articles 517 à 526
43 Collection Lamy Droit civil, Lamy Droit de la responsabilité, Mai 2003, La responsabilité du fait des bâtiments, n° 265-40.
 
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laxiste »44, la jurisprudence est aujourd’hui revenue à plus « d’orthodoxie »45 dans la définition (§ 2).
§ 1 : L’adoption initiale d’une conception large de la notion de bâtiment
12.- La jurisprudence a, dans un premier temps, eu recours à une définition extensive du mot « bâtiment » (A) dans un objectif de faveur envers les victimes (B).
A) Le recours à une définition excessivement large du « bâtiment »
13.- Afin d’étendre le domaine d’application de l’article 1386 du code, les tribunaux ont utilisé la notion d’immeuble par destination pour définir le bâtiment (1°) et ont pris en compte des immeubles ne s’apparentant pas à des édifices.
1°) L’utilisation de la notion d’immeuble par destination
14.- La jurisprudence, afin d’adopter une définition très compréhensive du « bâtiment », a utilisé les articles 524 et 525 du code civil relatifs aux immeubles par destination. Ainsi, dans un arrêt du 19 avril 1887, la chambre civile de la Cour de cassation affirme : « Mais attendu que la disposition de l’article 1386 c. civ., relative au vice de construction d’un bâtiment, a pour base ce principe que le propriétaire est responsable de plein droit des défauts qui y sont inhérents ; - Que ce principe s’étend à tout ce qui en dépend par incorporation46 ». Il s’agissait en l’espèce d’un accident dû à la défectuosité du volant d’une machine industrielle. L’attendu précité est régulièrement repris par les juridictions inférieures. La Cour de Douai, dans un arrêt rendu le 28 juillet 1896, va même encore plus loin dans sa motivation et déclare : « Que la disposition de l’article 1384 c. civ., relative aux choses inanimées, est donc inséparable de l’article 1386, qui fait dériver la responsabilité d’un
44 C. Giraudel, Responsabilité du fait des bâtiments, Jurisclasseur, 1996, fascicule 152, n°34. 45 F. Bénac-Schmidt, Responsabilité du fait des bâtiments, Répertoire civil Dalloz, 2e éd. 46 Civ., 19 avril 1887, D. 1888.1.27.
 
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défaut d’entretien ou d’un vice de la chose ; - Que cet article 1386 est d’une application générale , bien qu’il ne parle que de bâtiments, lesquels sont cités à titre d’exemple comme étant le cas le plus usuel47 ». De même, la Cour de Paris, dans un arrêt du 19 mai 1893, vit un « bâtiment » dans une chaudière de bateau48 et déclara encore, dans un arrêt du 11 mars 1904, qu’une armoire à glace, c’est-à-dire un meuble meublant, rentrait dans la catégorie des bâtiments49. La chambre des requêtes adopta une solution identique à propos des ascenseurs50. L’utilisation de la notion d’immeuble par destination permettait ainsi de considérer comme partie intégrante du bâtiment le matériel mobilier simplement affecté à l’exploitation. Ces solutions ont été par la suite abandonnées, les tribunaux ne se référant plus spécifiquement aux immeubles par destination mais préférant la notion « d’incorporation »ou « d’attache à
perpétuelle demeure »51.
Dans l’ esprit d’extension du domaine de l’article 1386, des immeubles ne s’apparentant pas à des édifices furent considérés comme des bâtiments.
2°) La prise en compte d’immeubles ne s’apparentant pas à des édifices
15.- De même qu’elle intégra dans la notion de bâtiment les immeubles par destination, qu’il s’agisse de meubles attachés à perpétuelle demeure ou de meubles simplement affectés à l’exploitation du bâtiment, la jurisprudence appliqua l’article 1386 du code civil à des immeubles qui ne pouvaient manifestement pas être qualifiés d’ édifices. Ainsi, dans un arrêt du 20 août 1877, la Cour de Paris52 décida qu’un arbre constituait un bâtiment au sens de l’article 1386. Elle considéra que cet arbre, bordant un boulevard dans Paris, avait été planté puis dirigé par l’homme et devenait de ce fait une véritable construction végétale. Or, comme l’ont relevé H. et L. Mazeaud, la distinction effectuée par l’article 518 du code civil entre, d’une part, « les fonds de terre » et, d’autre part, « les bâtiments » implique que ces derniers visent nécessairement une construction. « Par suite le sol n’est certainement pas un bâtiment, et l’on ne saurait condamner en vertu de l’article 1386 le propriétaire d’un terrain qui s’effondre ou dont le glissement cause préjudice aux fonds
47 Douai, 28 janvier 1896, D. 1897.2.349.
48 Paris, 19 mai 1893, D. 1897.1.433 (sous Civ. 16 juin 1896). 49 Paris, 11 mars 1904, D. 1904.2.257. 50 Req., 29 mars 1897, DP. 1897.1.216. 51 Cf.infra, n° 23.
52 Paris, 20 août 1877, S. 1878.2.48.
 
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inférieurs, ni le propriétaire de rochers qui s’éboulent53 ». On peut appliquer le même raisonnement pour les végétaux qui ne sauraient être assimilés à des constructions, à moins d’être considérés comme « des bâtiments d’un type à vrai dire bien particulier !54 ». Les tribunaux sont d’ailleurs par la suite revenus sur cette jurisprudence en décidant qu’un arbre ne pouvait être considéré comme un bâtiment55.
Si cette interprétation de la notion de bâtiment est contestable, elle était justifiée à l’époque par une volonté de favoriser l’indemnisation des victimes.
B) Une interprétation justifiée par une volonté de faveur envers les victimes
16.- En 1804, lors de la promulgation du code civil, la responsabilité délictuelle de droit commun était celle des articles 1382 et 1383 du code civil prévoyant une responsabilité du fait personnel. On estimait qu’une chose ne pouvait être que l’instrument d’une action humaine et que donc il convenait de rechercher si l’auteur de cette action avait commis une faute. Un régime dérogatoire était cependant prévu lorsque le dommage était le fait d’un bâtiment en ruine56. Ne nécessitant pas la preuve d’une faute mais seulement le défaut d’entretien ou le vice de construction, il était considéré comme plus favorable à la victime.
Or, au XIXe siècle, les accidents dus au développement du machinisme se multiplièrent et de nombreuses victimes, ne parvenant pas à démontrer l’existence d’une faute à l’origine du dommage, ne pouvaient obtenir réparation. Notamment, de nombreux ouvriers utilisateurs de machines, victimes de dommages causés par elles se retrouvaient sans aucun moyen de subsistance, la responsabilité de l’employeur propriétaire de la machine ne pouvant être engagée en l’absence de faute de sa part.
53 H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. 2, 6e éd., Montchrestien, 1970, n° 1039.
54 P. Azard, note sous Civ. 2e, 12 mai 1966, D. 1966. 700.
55 V° notamment Paris 19 février 1931, DH. 1931, som. 40 : « L’article 1386 c. civ. Ne peut être appliqué en dehors du cas spécial de chute d’un édifice ; il ne peut être étendu aux dommages causés aux tiers par la chute d’un arbre, même lorsqu’elle est le résultat de la vétusté ou du vice propre du tronc, occulte ou apparent ; un arbre, même quand il est sur pied, ne peut être assimilé à un bâtiment ».
56 Il existait également un autre régime dérogatoire prévu par l’article 1385 c. civ. lorsque le fait d’un animal était en cause mais il n’est pas utile de l’évoquer dans le cadre de notre étude.
 
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L’objectif étant d’améliorer principalement le sort des victimes d’accidents du travail, la jurisprudence eut alors recours à l’article 1386 du code civil et l’idée consista à l’appliquer non seulement aux bâtiments mais aussi à d’autres choses inanimées par un raisonnement a fortiori : s’il existe une responsabilité du fait des bâtiments, il doit exister a fortiori une responsabilité pour les choses plus dangereuses que les bâtiments telles les machines. L’avantage pour les victimes au point de vue de leur indemnisation était tel que toutes sortes de choses, meubles ou immeubles, furent intégrées à la catégorie des bâtiments57.
Mais, dès lors qu’on découvrit un principe général de responsabilité du fait des choses à partir de l’article 1384 alinéa 1 et que son domaine d’application fut étendu aux immeubles58, le « forçage de la notion de bâtiment »59 n’était plus nécessaire et la jurisprudence est alors revenue à une définition plus stricte.
§ 2 : L’application actuelle d’une définition stricte de la notion de « bâtiment »
17.- Dans le langage courant, le terme « bâtiment » désigne « toute construction servant à loger soit hommes, soit bêtes, soit choses60 ». S’il est admis unanimement que cette interprétation restrictive n’est pas à retenir, il n’en demeure pas moins que la notion doit obéir à une définition stricte. Ainsi, dans un arrêt du 26 novembre 1946, la Cour d’appel de Paris a défini le bâtiment comme : « une construction résultant de l’assemblage de matériaux qui, d’une part, sont reliés artificiellement de façon à procurer une union durable, et d’autre part, sont incorporés au sol ou à un immeuble par nature61 ». Ces termes sont repris le 30 novembre 1960 par la deuxième chambre civile : « Mais attendu qu’un mur de soutènement ne peut être considéré comme un bâtiment que s’il est composé de matériaux assemblés et reliés artificiellement de façon à procurer entre eux une union durable et à condition qu’il se trouve incorporé au sol ou à un autre immeuble par nature62 ». De ces attendus, on peut dégager deux
57 Cf. supra, n° 12 et s.
58 Req., 6 mars 1928, DP. 1928.1.97, note Josserand.
59 Collection Lamy Droit civil – Lamy Droit de la responsabilité, Responsabilité du fait des bâtiments, mai 2003, n° 265-40.
60 Littré, dictionnaire de la langue française.
61 Paris, 26 novembre 1946, JCP G 1947.2.3444.
62 Civ. 2e, 30 novembre 1960, Bull. civ. II, n° 722.
 
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éléments entrant dans la définition du bâtiment : il faut une construction (A) qui doit être incorporée au sol de façon durable (B).
A) Une construction
18.- On peut définir la construction comme un assemblage de matériaux durables, quels que soient ces matériaux (pierres, briques, bois, ciment, moellons, béton, verre, etc.), effectué par la main de l’homme. Cela permet d’écarter l’article 1386 pour les dommages causés aux tiers par des immeubles qui sont par nature « non construits ». Ainsi, contrairement à l’interprétation ancienne63, la chute d’un arbre ne peut relever de l’article 1386 du code civil, l’arbre n’étant pas assimilable à un bâtiment64. De même, la responsabilité du fait de la ruine d’un bâtiment ne saurait s’appliquer lorsqu’un éboulement de terrain est en cause65. Dans ces hypothèses, seuls les articles 1382 et 1384 sont envisageables66.
Dès lors qu’on est en présence d’une construction, peu importe son affectation (1°) ou sa situation par rapport au sol (2°).
1°) Indifférence de l’affectation du bâtiment
19.- Il est sans intérêt de s’arrêter à la destination de l’immeuble pour savoir s’il constitue ou pas un bâtiment. Une large majorité de la doctrine qualifie l’immeuble de bâtiment quelle que soit son affectation : « Il n’y a pas lieu de s’arrêter à la destination de la construction : peu importe qu’elle serve ou non au logement67 ». Seul Rodière contestait cette théorie et invoquait à cet effet un argument historique en rappelant que la cautio damni infecti visait uniquement les dommages que risquaient de causer des constructions « servant à loger
63 Paris, 28 août 1877, S. 1878.2.48.
64 Paris, 19 février 1931, DH. 1931.som.40 - Civ., 11 juin 1936, S. 1936.1.346 - Civ. 1re, 30 avril 1952, Bull. civ. I, n° 147.
65 Civ., 25 juin 1952, JCP G 1952.II.7338, note Esmein – Civ. 2e, 9 février 1966, Bull. civ. II, n° 182 – Civ. 2e, 21 janvier 1981, JCP G 1982.II.19814.
66 Cf. infra, n° 91.
67 H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. II, 6e éd., Montchrestien, 1970, n° 1039.
 
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des hommes, des bêtes ou des choses »68. Mais, il n’a jamais été suivi dans la mesure où aucun des éléments de la responsabilité du fait des bâtiments en ruine ne justifie une telle restriction. Et, aujourd’hui encore, la construction ne s’entend pas seulement d’un bâtiment à usage d’habitation : elle peut faire office d’entrepôt et il peut même s’agir d’un ouvrage tel
qu’un mur69, un pont70, un barrage, un canal71…
2°) Indifférence du caractère souterrain ou élevé de la construction
20.- Schlumberger considérait qu’un bâtiment ne pouvait être qu’une construction élevée au-dessus du sol72. Cette analyse a été rejetée à la fois par la doctrine et par la jurisprudence. Ainsi, Savatier déclarait : « Peu importe, d’ailleurs, que la construction soit souterraine : une cave maçonnée nous semble une construction73 ». De même, H. et L. Mazeaud considèrent que les fondations de construction sont des bâtiments au sens de l’article 1386 du code civil74. La jurisprudence, quant à elle, a toujours fait jouer la responsabilité du fait de la ruine d’un bâtiment que la construction soit élevée sur le sol ou bien qu’elle soit souterraine. Notamment, un caveau funéraire est un bâtiment75, de même qu’un puits76 ou la dalle recouvrant un puits abandonné77, voire des voûtes construites dans le sous-sol d’un chemin78 ou une cave creusée en contrebas d’une colline79.
B) Une incorporation durable au sol ou au bâtiment
68 R. Rodière, note sous Pau, 5 juillet 1946, JCP G 1946.II.3324.
69 Civ. 2e, 16 janvier 1974, D. 1974.som.52.
70 Civ. 2e, 26 avril 1972, D.1972.som.150.
71 G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les obligations, Les conditions de la responsabilité, 2e éd., LGDJ, 1988, n° 721-1.
72 R. Schlumberger, La responsabilité délictuelle en matière immobilière, Thèse, Strasbourg, dactyl., 1934, p. 13 : « ... sont des bâtiments toutes les constructions, c’est-à-dire tous assemblages de matériaux destinés par l’homme à réaliser un ouvrage dépassant le sol … ».
73 R. Savatier, Responsabilité civile, T.1, Les sources de la responsabilité civile, LGDJ, 1939, n° 418. 74 H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. II, 6e éd., Montchrestien, 1970, n° 1039.
75 Paris, 8 décembre 1938, Gaz. Pal. 1939.1.35 – Rennes, 29 janvier 1991, Juris-Data, n° 04109 – Paris, 9 décembre 1992, Juris-Data, n° 024031.
76 Limoges, 25 novembre 1993, Juris-Data, n° 051751.
77 Nancy, 30 mai 1945, D. 1946.14.
78 Civ., 21 juin 1930, Gaz. Pal. 1930.2.337.
79 T. civ. Saumur, 28 novembre 1935, S. 1936.2.156.
 
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21.- La construction, pour être considérée comme un bâtiment, doit être incorporée au sol ou à un autre immeuble par nature. Ainsi, les meubles meublants ou les constructions mobilières provisoires qui ne sont pas fixées durablement au sol n’entrent pas dans les prévisions du texte de l’article 1386 du code civil. La Cour de Lyon a considéré, dans un arrêt du 30 novembre 1953, qu’un baraquement posé sur un chantier pendant la durée des travaux n’était pas un bâtiment80. La chambre civile de la Cour de cassation a adopté la même solution à propos d’une palissade simplement maintenue au sol par des contrefiches81. La qualification de bâtiment peut même dépendre de la façon dont est construite la chose dans la mesure où elle pourra influencer sa fixation durable au sol. C’est ainsi qu’un mur soutenant un chemin forestier, composé de pierres sèches, plus ou moins jointes et contenant, sans liaison avec elles, des pierres et des terres rapportées ne constitue pas un bâtiment82, alors qu’un mur de soutènement construit en pierres et en briques ayant présenté une résistance insuffisante à la poussée des terres en raison d’un vice de construction relève de l’article 1386 du code civil83.

22.- Une difficulté est apparue concernant la compatibilité de la définition stricte du bâtiment avec la notion d’immeubles par destination. La doctrine est divisée à ce sujet. Certains considèrent que le « bâtiment » au sens de l’article 1386 ne peut s’entendre que d’un immeuble par nature en raison de l’existence de l’article 518 du code civil84. D’autres sont au contraire favorables à l’inclusion de certains immeubles par destination dans la catégorie des bâtiments. Ainsi, Aubry et Rau considèrent que « les accessoires qui lui (bâtiment) sont
80 Lyon, 30 novembre 1953, D.1954.172, note Rodière.
81 Civ., 23 octobre 1950, D. 1950.774.
82 Civ. 2e 30 novembre 1960, Bull. civ. II, n° 722.
83 Civ. 2e, 14 février 1979, Bull. civ. II, n° 48.
84 H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. II, 6e éd., Montchrestien, 1970, n° 1039 ; R. Schlumberger, La responsabilité délictuelle en matière immobilière, Thèse, Strasbourg, dactyl., 1934, p.13 : « …sont des bâtiments toutes les constructions, c’est-à-dire tous assemblages destinés par l’homme à réaliser un ouvrage dépassant le sol, à condition qu’elles constituent des immeubles par nature » ; en ce sens également, L. Fosse, La responsabilité du fait des choses dans son application aux immeubles, Thèse, Montpellier, dactyl., 1935, p.43 ; et, A. Besson, La notion de garde dans la responsabilité du fait des choses, Dalloz, 1927, p.184 et 185 ; plus récemment, G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les obligations, Les conditions de la responsabilité, 2e éd., LGDJ, 1998, n° 721-2 .
 
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attachés à perpétuelle demeure » relèvent de l’article 1386, peu importe leur nature mobilière ou immobilière, « dès lors qu’ils sont incorporés au bâtiment de façon permanente »85.

23.- La jurisprudence, après avoir utilisé la référence aux immeubles par destination, l’exclut explicitement aujourd’hui et lui préfère la notion « d’incorporation », celle-ci conférant la qualité d’immeuble par nature à l’objet incorporé. En réalité, elle ne distingue plus entre immeubles par nature et immeubles par destination, dès lors que ceux-ci sont attachés à perpétuelle demeure. La Cour de cassation considère les portails comme des bâtiments, en leur qualité d’élément incorporé ; « Mais attendu que la ruine d’un bâtiment s’entend non seulement de sa destruction totale, mais encore de la dégradation partielle de toute partie de la construction ou de tout élément mobilier ou immobilier qui, résultant de l’assemblage des matériaux reliés artificiellement de façon à procurer une union durable, s’y trouve incorporé d’une façon indissoluble ; - Attendu en l’espèce que les juges d’appel, ayant constaté que la grille, quoique mobile, faisait partie intégrante de l’immeuble et y était incorporé de façon durable, ont justement conclu qu’elle devait être considérée comme un bâtiment86 ». Elle a adopté le même raisonnement pour un panneau décoratif encastré dans le mur extérieur d’une construction87, pour un panneau de la porte coulissante d’un garage88 ou encore pour un lavabo scellé au mur89. Mais, dès lors que l’élément en cause ne fait pas corps avec le bâtiment, l’article 1386 ne peut être appliqué. Ainsi, les accidents provoqués par un monte-charge90 ou par un ascenseur ne peuvent plus être réparés sur le fondement de cet article91 ; il faut recourir à l’article 1384 alinéa 1. L’exclusion se justifie par le fait que ces deux types d’éléments ne sont pas attachés à perpétuelle demeure mais constituent des équipements ayant vocation à être remplacés92.
85 C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, Responsabilité délictuelle, T. VI.2, par N. Dejean de la Bâtie, 8e éd.,
Librairie technique, 1989, n° 118 ; en ce sens également, F. Bénac-Schmidt, Responsabilité du fait des
bâtiments, Rép. civ. Dalloz, janvier 2003.
86 Civ. 2e, 14 décembre 1956, D. 1957.72 ; RTD civ. 1957.335, obs. H. et L. Mazeaud.
87 Civ. 2e, 16 mars 1959, D. 1959.som.74.
88 Civ. 2e, 4 mai 1972, Bull. civ. II, n° 128. 89 Paris, 27 avril 1984, Juris-Data n° 023223.
90 Aix-en-Provence, 14 avril 1977, D. 1978.IR.404, obs. C. Larroumet.
91 A une époque ce type d’accident était réparé sur le fondement de l’article 1386 ; V° notamment, Paris, 25 mars
1901, DP. 1901.2.396.
92 V° pour une critique de cette position, V. Depadt-Sebag, La justification du maintien de l’article 1386 du code
civil, LGDJ, 2000, p. 126 : « Pourquoi refuser de qualifier un ascenseur d’immeuble par destination ou par
incorporation, alors que la jurisprudence l’admet indifféremment pour un portail, pour une rampe d’escalier,
pour une porte et même pour une poignée de porte ? De telles différences de traitement sont injustifiables ».
 
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La définition stricte adoptée par la jurisprudence permet ainsi de recouvrir une grande diversité de situations tout en cantonnant l’article 1386 à son domaine initial : le dommage doit avoir été causé par la catégorie particulière d’immeubles que constituent les bâtiments auxquels est assimilé tout élément qui leur est incorporé de façon indissoluble. Mais, pour déterminer l’application de la responsabilité du fait des bâtiments, encore faut-il constater l’existence d’un évènement spécifique, seul générateur de la responsabilité.
Section 2 : L’événement générateur de la responsabilité : la ruine du bâtiment due a un défaut d’entretien ou à un vice de construction
24.- La mise en jeu de l’article 1386 du code civil n’est pas susceptible d’être déclenchée par un fait quelconque imputable au bâtiment. Il est en effet nécessaire que le dommage ait été produit par la ruine de ce bâtiment (§ 1), ruine dont l’origine doit correspondre à l’une des hypothèses visées par la loi, à savoir un défaut d’entretien ou un vice de construction (§ 2).
§ 1 : La ruine du bâtiment
25.- La notion de « ruine » n’est pas définie par le Code civil et c’est donc la jurisprudence qui a eu pour tâche d’en préciser le contenu. Pour des raisons identiques à celles exposées à propos du terme de « bâtiment »93, elle a fait l’objet de définitions plus ou moins larges suivant les époques (A). Cependant, certaines hypothèses particulières en ont toujours été exclues (B).
A) La notion de « ruine »
93 Cf. supra, n° 16.
 
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26.- Afin de soustraire les victimes de dommages dus au fait d’un bâtiment à l’article 1382 du code civil, la jurisprudence avait adopté une définition extensive de la « ruine » (1°). Mais, suite à la découverte du principe général de la responsabilité du fait des choses et à la nouvelle interprétation de l’article 1384 alinéa 1, elle est revenue à une conception plus restrictive (2°).
1°) La « ruine », initialement entendue de manière extensive
27.- La « ruine », selon une conception extensive, se définirait d’une façon générale comme le délabrement, le mauvais état de l’immeuble. Elle serait assimilée ainsi à toute espèce de dégradation ou détérioration affectant le bâtiment. Certains auteurs avaient opté en faveur de cette interprétation large. Notamment, R. Forge considère que : « La ruine du bâtiment prévue par l’article 1386 est la ruine, totale, spontanée ou non, causant un dommage de quelque façon que ce soit, du bâtiment ou des choses qui lui sont incorporées94 ». Il ajoute qu’elle ne doit pas être limitée à la chute et qu’elle peut, par exemple, correspondre à une explosion voire même à des mouvements désordonnés d’un ascenseur. La jurisprudence a d’ailleurs suivi pendant un temps cette approche souple de la notion. C’est ainsi qu’elle a pu appliquer, par exemple, la ruine aux cas d’incendie95 ou encore d’explosions, celles-ci étant fréquente en matière d’accidents du travail96. La Cour de Douai, dans un arrêt du 28 juillet 1896, avait, quant à elle, qualifié de « ruine » une flammèche échappée d’une batteuse mécanique97. Dans le même esprit, la Cour de Poitiers avait considéré l’aménagement défectueux d’un terrain de tennis comme une « ruine » au sens de l’article 138698. En réalité, à cette époque, les tribunaux n’avaient pas adopté de définition précise du terme. Cela leur permettait de prendre en compte au titre de la « ruine » des situations qui n’y correspondaient manifestement pas mais que des raisons d’opportunité commandaient de soumettre à l’article 1386 du code civil.
94 R. Forge, De la responsabilité du fait des bâtiments, Thèse, Paris, dactyl., 1909, p. 25.
95 Paris, 21 juin 1899, D. 1899.2.289. Aujourd’hui, la question est réglée par l’article 1384 alinéa 2 issu d’une loi du 7 novembre 1922, qui prévoit un régime spécifique de réparation des dommages en cas de communication d’incendie. Cf. infra, n° 105 et s.
96 C’est essentiellement pour trouver une solution à l’absence d’indemnisation des victimes d’accidents du travail que la jurisprudence a eu recours à une interprétation large des termes de « bâtiment » et de « ruine ». Cf. supra, n° 16.
97 Douai, 28 juillet 1896, D. 1897.2.349.
98 Poitiers, 25 octobre 1926, D. 1927.2.105, note H. Lalou.
 
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Aujourd’hui, la jurisprudence est revenue à une conception plus restrictive de la notion, approuvée en cela par la majorité de la doctrine99.
2°) La « ruine », actuellement entendue de manière plus restrictive
28.- Dans un arrêt du 12 juillet 1966, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation considère que la ruine d’un bâtiment « doit s’entendre non seulement de sa destruction totale, mais encore de la dégradation partielle de toute partie de la construction ou de tout élément mobilier ou immobilier qui y est incorporé de façon indissoluble100 ». Cette formulation a souvent été reprise101 et précisée.

29.- Ruine totale ou partielle. De l’attendu de l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 1966, il ressort que la ruine du bâtiment en cause peut être totale ou simplement partielle. Cette analyse correspond au sens courant attribué à ce terme et qui désigne la grave dégradation d’un édifice, allant jusqu’à l’écroulement total ou partiel102. De plus, il aurait été contraire à l’esprit du texte de restreindre sa portée aux seules hypothèses d’écroulement total. En effet, les rédacteurs ont adopté, à l’époque, ce cas particulier de responsabilité afin de favoriser l’indemnisation des victimes ; dans cette optique, ils n’ont certainement pas entendu limiter cette faveur aux seules personnes atteintes par la ruine totale du bâtiment, hypothèse assez rare, en tous cas beaucoup moins fréquente que celle d’une ruine partielle car elle ne concerne qu’un des éléments de l’immeuble. La jurisprudence a donc très souvent appliqué la responsabilité du fait des bâtiments à des ruines partielles. Ainsi, la chute d’une simple tuile a pu être considérée comme relevant de L’article 1386 du Code civil dans un arrêt de la Cour d’Aix-en-Provence du 8 janvier 1951103, solution confirmée par la deuxième chambre civile dans un arrêt du 4 mai 2000104. La même solution a été retenue à propos de l’arrachement
99 V° pour une opinion contraire, V. Depadt-Sebag, La justification du maintien de l’article 1386 du code civil, LGDJ, 2000, p. 190, qui plaide en faveur de la conception extensive pour éviter les distinctions incohérentes et arbitraires.
100 Civ. 2e, 12 juillet 1966, D. 1966 p.632 ; JCP G 1967.II.15185, note Dejean de la Bâtie ; Paris, 3 avril 1998, Juris-Data n° 021224.
101 V° notamment, pour un attendu identique, Civ. 2e, 23 janvier 2003, Resp. civ. Et assur., com. n° 93 102 Dictionnaire Le Robert.
103 Aix-en-Provence, 8 janvier 1951, D. 1951.223.
104 Civ. 2e, 4 mai 2000, Resp. civ. Et assur. 2000, com. n° 218, note H. Groutel : « La chute d’une tuile constituait la ruine partielle au sens de l’article 1386 du Code civil ».
 
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d’une toiture sous l’effet du vent105 ou encore pour la chute d’une porte se déplaçant au moyen d’une roue à gorge et incorporée de façon durable à l’immeuble106.

30.- Nécessité d’une chute effective du bâtiment ou d’un élément du bâtiment. La plupart des décisions faisant application de l’article 1386 du code civil se référaient à l’existence d’une chute à l’origine du dommage, mais, ce n’est pourtant que récemment que la Cour de cassation, dans un arrêt du 3 mars 1993, a expressément exigé que la ruine soit caractérisée par la chute de matériaux. En l’espèce, une chaudière, de par son fonctionnement défectueux, était à l’origine de l’intoxication de trois personnes. L’assureur avait exercé un recours contre le propriétaire sur le fondement de l’article 1386 au motif que la cheminée présentait une fissuration. Les juges refusèrent de considérer cette dégradation comme une ruine affirmant que « la ruine implique nécessairement la chute d’un élément de la construction107. Il avait déjà été jugé que pouvait être engagée, sur le fondement de l’article 1386, la responsabilité du propriétaire d’un bâtiment à l’intérieur duquel un visiteur s’était blessé lors d’une chute due à l’effondrement de l’escalier qu’il empruntait108, alors que la même formation, le 30 novembre 1977, refusa d’appliquer cet article considérant que le mauvais état des marches d’un escalier ne représente pas une ruine109. C’était implicitement exiger un écroulement pour adopter la qualification de ruine. Ce type de jurisprudence, si elle est conforme à l’étymologie du terme110, a suscité des critiques au regard du sort réservé aux victimes qui ne dépendraient finalement que de considérations de fait purement aléatoires. Certains y ont puisé un argument en faveur de l’abrogation de l’article 1386111, tandis que d’autres invoquent la nécessité d’une modification de l’interprétation des conditions de la responsabilité du fait des bâtiments112.

31.- Causalité entre la ruine et le préjudice. Il revient à la victime de prouver que le dommage qu’elle a subi provient de la ruine d’un bâtiment. Elle devra rapporter la preuve non seulement de l’écroulement de ce bâtiment, mais encore que cet écroulement est la cause de son préjudice. Ainsi, un arrêt d’une Cour d’appel avait été censuré pour s’être borné à relever
105 Paris, 27 septembre 1994, Zmarzly c/ Amroud, Juris-Data n° 023626. 106 Civ.2e, 8 juin 1994, Bull. civ. II, n° 150 ; D. 1994.IR.26.
107 Civ. 2e, 3 mars 1993, D. 1993.IR.83 ; Gaz. Pal., 1993, n°36203. 108 Civ. 2e, 17 avril 1959, Bull. civ. II, n° 321.
109 Civ. 2e, 30 novembre 1977, Bull. civ. II, n°227.
110 Le terme de « ruine » vient du mot latin « ruina » tiré du verbe « ruere » signifiant « tomber ». 111 Cf. supra, n° 6.
112 V. Depadt-Sebag, La justification du maintien de l’article 1386 du Code civil, LGDJ, 2000.
 
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qu’un vice de construction affectait le système de fermeture d’une porte sans rechercher si la porte, élément du bâtiment était en ruine113. Mais, d’une manière générale, la jurisprudence est plutôt libérale dans la mesure où elle estime que la ruine du bâtiment est la cause du dommage, même s’il n’y a pas eu contact direct entre les matériaux écroulés et la personne ou les biens de la victime. Ainsi, par exemple, le dommage provoqué par l’écoulement des eaux d’un barrage qui s’était rompu a été considéré comme dû à la ruine de ce dernier114. La solution aurait été différente si l’inondation n’avait pas été causée par la ruine d’un bâtiment ; il aurait fallu appliquer l’article 1382 ou 1384 alinéa 1, à l’exclusion de l’article 1386.
La ruine, si elle doit présenter un lien de causalité avec le préjudice, n’a pas pour autant à être absolument concomitante au dommage, elle peut être successive. Ainsi, la Cour de Nancy a affirmé que le fait que les vestiges des anciennes installations d’une usine aient déjà été en ruine au moment de l’accident ne faisait pas obstacle à l’application de l’article 1386. Peu importe donc que la chute d’un élément continue ou parachève la ruine d’un
bâtiment déjà très détérioré115.
Qu’elle se place dans le cadre d’une conception extensive ou étroite de la notion de ruine, la jurisprudence a toujours exclu certaines hypothèses particulières de cette qualification.
B) Les hypothèses exclues de la qualification de « ruine »
32.- L’article 1386 du Code civil n’entend assurer que la réparation des dommages subis du fait de la chute effective et spontanée d’un bâtiment ou de l’un de ses éléments. Aussi, les hypothèses de bâtiments qui menacent ruine ou de bâtiments en cours de construction, de démolition ou de travaux ont-elles constamment été écartées de la qualification de « ruine ».
1°) Les bâtiments qui menacent ruine
113 Civ. 2e, 17 octobre 1990, JCP G 1990.IV.403 ; D. 1990.IR.261.
114 Civ. 28 novembre 1949, D. 1950.105, note H. Lalou ; dans le même sens, Civ. 2e, 16 janvier 1974, D. 1974, som. 52.
115 Nancy, 8 février 1978, Juris-Data n° 003596.
 
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33.- Divergences doctrinales. La doctrine s’est divisée sur le point de savoir si l’article 1386 du code civil, en employant le terme de ruine, exigeait nécessairement un fait accompli ou si une simple menace suffisait.
Certains ont considéré que, même si la loi était muette à ce sujet, le voisin menacé pouvait réclamer des mesures de prévention116. Demogue a, quant à lui, analysé la portée de l’article 1386 en ces termes : « L’article 1386 peut être considéré comme n’établissant pas seulement une sanction du dommage, mais un devoir d’entretien pour ne pas causer de
dommage117.
D’autres, au contraire, se fondant sur le silence du Code civil et sur les travaux préparatoires, ont estimé que l’article 1386 avait un caractère uniquement réparateur, même s’ils déplorent pour la plupart cette situation118. En effet, il ressort explicitement des travaux préparatoires et de la formulation de l’article que les codificateurs ont voulu supprimer toute action préventive fondée sur la responsabilité du fait des bâtiments en ruine, rompant ainsi avec la tradition romaine de la cautio damni infecti et avec les mesures préventives de notre ancien droit119. Un auteur a même ajouté qu’adjoindre un caractère préventif à l’article 1386 reviendrait à en modifier le sens initial120.

34.- Solution jurisprudentielle. La jurisprudence, depuis le XIXe siècle, a toujours refusé que l’article 1386 serve de fondement à l’action de la personne menacée par la ruine d’un bâtiment. Dans une décision du 14 août 1845, la chambre criminelle de la Cour de cassation affirme que : « A l’autorité municipale seule appartient d’ordonner la démolition ou la réparation des murs et bâtiments menaçant ruine : le tribunal est incompétent pour se prononcer à cet égard121 ». En 1859, la Chambre des requêtes s’est prononcée dans le même
116 V° notamment, A. Colin et H. Capitan, Cours élémentaires de droit civil français, 10e éd., T. II, par L. Julliot de la Morandière, Dalloz 1953, n° 862.
117 R. Demogue, Traité des obligations en général, I, Source des obligations, T. V, Librairie Arthur Rousseau, 1925, n° 1106-1107 ; pour une conclusion dans le même sens, R. Schlumberger, La responsabilité délictuelle en matière immobilière, Thèse, Strasbourg, dactyl., 1934, p. 20.
118 M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, 2e éd., T. VI, Obligations, 1e partie par P. Esmein, LGDJ, 1952, n° 611 ;H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. II, 6e éd., Montchrestien, 1970, n° 1045 ; A. Lescaillon, La revue des huissiers de justice, 1990, p. 897 ; C. Giraudel, Responsabilité du fait des bâtiments, Jurisclasseur, 1996, fascicule 152, n° 3.
119 Cf. supra, n° 3.
120 G. Viney et P. Jourdain, Traité de doit civil, Les obligations, Les conditions de la responsabilité, 2e éd., LGDJ, 1998, n° 722-2.
121 Crim., 14 août 1845, S. 1846.1.32.
 
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sens à propos d’un bâtiment situé en dehors du champ de compétence de l’autorité administrative : « Attendu que le mur de soutènement fait partie intégrante de la chaussée, et alors même qu’il serait considéré comme un édifice contigu à la chaussée, l’obligation imposée par la loi au propriétaire de cet édifice de réparer le préjudice causé par sa ruine, ne saurait être convertie en obligation de l’entretenir au profit d’autrui122.
La personne menacée n’est cependant pas totalement démunie face à pareil danger. Elle a notamment la ressource de s’adresser à l’autorité administrative pour solliciter son intervention. La réglementation particulière aux édifices menaçant ruine est prévue par les articles L. 511-1 et suivants et R. 511-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation, ainsi que par les articles L. 131-1 et suivants du Code des communes. Selon les cas, le maire pourra ordonner, sous le contrôle du tribunal administratif, la démolition de l’immeuble ou l’exécution aux frais du propriétaire des travaux nécessaires.
Sur le plan du droit civil, une jurisprudence ancienne autorise le voisin menacé à se prévaloir des articles 1382 et 1383 du Code civil pour contraindre le propriétaire à procéder aux réparations utiles123. En effet, conformément aux principes généraux relatif au mode de réparation du préjudice causé, le danger de ruine constitue un préjudice virtuel et certain, bien que futur, qui permet une réclamation pour en obtenir la réparation sous forme soit de dommages et intérêts, soit de travaux. De plus, les dispositions de l’article 809 du nouveau Code de procédure civile permettent au président du tribunal de grande instance de prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent. Et, le voisin peut produire un constat d’huissier de justice assorti de photographies pour justifier de ses prétentions.
De même que la menace de ruine ne peut être équivalente à la ruine, la chute du bâtiment ou de l’un de ses éléments résultant d’une intervention volontaire n’est pas réellement imputable à sa « ruine ».
2°) Les bâtiments en cours de construction, de démolition ou de travaux
35.- Les bâtiments en cours de construction. La jurisprudence refuse d’appliquer l’article 1386 aux dommages causés par l’effondrement d’un bâtiment intervenu au cours de sa construction. Il s’agit d’une solution ancienne124, régulièrement réaffirmée. Ainsi, dans un
122 Req.,7 décembre 1859, D. 1860.1.33.
123 Req., 15 mai 1861, DP. 1861.1.329 ; Paris, 10 novembre 1885, Gaz. Pal. 1886.1.133 ; Tribunal civil de Coutances, 7 février 1933, Gaz. Pal. 1933.1.825.
124 Req., 2 août 1897, D. 1897.1.612
 
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arrêt du 21 décembre 1965, la Cour de cassation, pour répondre au pourvoi qui reprochait à la Cour d’appel de n’avoir pas appliqué l’article 1386, énonce : « Mais attendu que la Cour d’appel remarque que le bâtiment était en cours de construction, l’entrepreneur chargé de cette construction était, en application de l’article 1384 alinéa 1, responsable des dommages causés par le fait de la chose sur laquelle il travaillait dans la mesure où ce fait était en relation avec l’entreprise dont il a la charge125 ». La Cour de Toulouse est encore plus explicite : « L’article 1386 du Code civil, qui prévoit le dommage causé par la ruine du bâtiment, mais uniquement si cette ruine est arrivée par une suite du défaut d’entretien ou par le vice de sa construction, est inapplicable, le texte visant la ruine de bâtiments déjà édifiés mais non celle survenant au moment même de la mise en œuvre des matériaux servant à leur construction126 ». Ainsi, la jurisprudence considère que seule peut être engagée, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil, la responsabilité de l’entrepreneur chargé de la construction. La justification résiderait dans le fait que le propriétaire ne peut se voir imputer la responsabilité de dommages causés par un bâtiment dont il n’a pas la garde. En revanche, s’il garde la maîtrise de l’édifice en assumant la surveillance ou la direction des travaux, il encourt la responsabilité prévue à l’article 1386127. La solution est identique si le bâtiment à l’origine du dommage ne fait pas partie du chantier128. Ce raisonnement a été critiqué par certains auteurs qui considèrent que rien ne justifie l’exigence d’achèvement de l’immeuble pour faire jouer l’article 1386129, et qu’il est même incompatible avec le fondement de la responsabilité du fait des bâtiments en ruine analysée comme une charge de la propriété130. Mlle Viney affirme que c’est « une solution tout à fait illogique » et qu’elle ne s’explique que « par une volonté de limiter l’application de l’article 1386131 ». Cependant, il a été remarqué qu’admettre ces hypothèses dans le domaine de l’article 1386 reviendrait à priver la victime de toute possibilité de réparation dans la mesure où la preuve du défaut d’entretien ou du vice de construction serait impossible à rapporter, la ruine étant
125 Civ. 2e, 21 décembre 1965, Bull. civ. II, n° 1065.
126 Toulouse, 4 février 1969, D. 1970.som.62. 127 Crim., 24 novembre 1865, S. 1866.1.181. 128 Civ. 3e, 4 juin 1973, Bull. civ. III, n° 397.
129 H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et
contractuelle, T. II, 6e éd.,Montchrestien, 1970, n° 1040.
130 V. Depadt-Sebag, La justification du maintien de l’article 1386 du Code civil, LGDJ, 2000, n° 331.
131 G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les obligations, Les conditions de la responsabilité, 2e éd.,
LGDJ, 1998, n° 721-3.
 
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nécessairement due à une autre cause132. Cet argument peut également s’appliquer aux cas des bâtiments en cours de démolition ou de travaux.

36.- Les bâtiments en cours de démolition ou de travaux. Dans un arrêt du 12 décembre 1972, la Cour de Colmar a affirmé : « En sa qualité de gardien, le propriétaire d’un immeuble est responsable du dommage occasionné à l’immeuble voisin du fait de la démolition qu’il a ordonné133 ». Ainsi, les dommages causés au cours de la réparation ou de la démolition d’un bâtiment par les objets qui s’en sont détachés ne peuvent être réparés par application de l’article 1386134. La victime, pour obtenir une indemnisation, pourra cependant invoquer l’article 1384 alinéa 1 ou encore l’article 1382 du Code civil. C’est sur ce dernier fondement que la troisième chambre civile de la Cour de cassation a condamné un propriétaire, considérant qu’il avait commis une faute personnelle en démolissant son bâtiment malgré l’avis d’un expert ayant prévu que la démolition envisagée risquait de provoquer l’effondrement des constructions voisines135 ». La responsabilité pour troubles anormaux de voisinage a également pu être appliquée dans une espèce où des désordres avaient été provoqués dans un immeuble contigu par des travaux de démolition136. Elle constitue un régime favorable d’indemnisation dans la mesure où elle joue dès lors qu’est constaté le caractère anormal du trouble de voisinage, sans avoir à prouver une quelconque faute. De plus, depuis peu, la jurisprudence offre une véritable option à la victime entre d’une part, une action contre le propriétaire du fonds où se sont réalisés les travaux et qui correspond normalement au maître de l’ouvrage et, d’autre part, une action contre l’entrepreneur à l’origine des troubles137.
Ainsi, il découle de ce qui précède que la « ruine » exigée par l’article 1386 du Code civil ne peut correspondre qu’aux hypothèses de chute effective d’un bâtiment ou de l’un de ses éléments, incorporé de façon indissoluble, ne résultant pas d’une intervention volontaire.
132 V. Depadt-Sebag, La justification du maintien de l’article 1386 du Code civil, LGDJ, 2000, n° 331. A moins que le dommage soit dû à la fois aux travaux et à l’une des causes de l’article 1386 : défaut d’entretien ou vice de construction.
133 Colmar, 12 décembre 1972, D. 1973.som.148.
134 A moins que la ruine soit la conséquence du défaut d’entretien, alors même que des travaux de réparation sont en cours ou ont été accomplis.
135 Civ. 3e, 5 janvier 1973, Bull. civ. III, n° 27.
136 Civ. 3e, 8 mai 1979, Gaz. Pal. 1980.2.684.
137 Alors que cette responsabilité ne pouvait auparavant être imputée qu’au seul propriétaire, maître d’ouvrage des travaux, la Cour de cassation a décidé récemment que les constructeurs pouvaient également voir leur responsabilité engagée sur ce fondement : Civ. 3e, 30 juin 1998, RTD civ. 1999.114, obs. Jourdain ; Civ. 3e, 11 mai 2000, Resp. civ. Et assur. 2000, n° 263, note H. Groutel.
 
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Cependant, à lui seul, cet événement générateur de la responsabilité du fait des bâtiments ne suffit pas, encore faut-il que certains éléments de preuve relatifs à son origine soient apportés.
§ 2 : La détermination de l’origine de la ruine
37.- N’importe quel événement n’est pas de nature à déclencher l’application de l’article 1386. Celui-ci exige que la ruine soit due à un défaut d’entretien ou à un vice de construction (A) et que le demandeur en rapporte la preuve (B).
A) Un défaut d’entretien ou un vice de construction, cause de la ruine
38.- Contrairement aux termes de « bâtiments » et de « ruine » qui font aujourd’hui l’objet d’une interprétation plutôt restrictive, la jurisprudence adopte une conception large des notions de « défaut d’entretien » (1°) et de « vice de construction » (2°), afin de faciliter l’admission de cette preuve conditionnant l’indemnisation des victimes.
1°) La notion de défaut d’entretien
39.- Le défaut d’entretien correspond traditionnellement à une carence objectivement établie dans l’entretien du bâtiment, quelle que soit la personne à laquelle elle est imputable. Mais, son appréciation est une question de fait qui relève donc du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. Ainsi, la responsabilité d’un propriétaire a été retenue sur la base du défaut d’entretien pour des blessures occasionnées à un visiteur de son immeuble en raison de l’effondrement de plusieurs marches d’escalier. Les juges ont considéré qu’en acceptant de louer sa maison, il laissait supposer que ses parties essentielles étaient d’une
 
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solidité excluant tout danger immédiat138. La même solution a été adoptée à l’encontre d’un propriétaire qui avait laissé en l’état une poutre fendue depuis plusieurs années139.
Le défaut d’entretien peut également être dû à un abandon prolongé de l’immeuble par son propriétaire. C’est ce qu’a décidé la Cour de Paris, dans un arrêt du 20 janvier 1993, à propos d’un accident au cours d’une visite dû à la négligence du propriétaire qui n’avait effectué aucune vérification de son immeuble depuis plus de dix ans140.
Adoptant une conception large du défaut d’entretien, la jurisprudence y a assimilé la vétusté. Dans un arrêt du 30 mars 1971, la Cour de cassation a sanctionné les juges du fond pour avoir refusé au plaideur qu’il apporte la preuve que l’effondrement d’une écurie était dû à l’état de vétusté où celle-ci se trouvait par suite du défaut d’entretien141. En réalité, ce n’est pas la vétusté elle-même qui constitue le défaut d’entretien mais le fait pour le propriétaire d’avoir ignoré l’action néfaste du temps sur son bâtiment et de n’avoir donc pas pris les mesures propres à y remédier. On pourrait voir dans cette jurisprudence une certaine forme de prévention des risques de ruine même si elle est certainement moins efficace qu’une action purement préventive, ayant pour objet de contraindre le propriétaire à l’exécution de mesures d’entretien ou réparatrices.
La même liberté d’appréciation peut être constatée à propos de la notion de vice de construction.

2°) La notion de vice de construction

40.- Le vice de construction s’apparente à une anomalie ou un désordre affectant la construction telle qu’une erreur de conception ou une malfaçon compromettant la solidité de l’ouvrage. On le retrouve souvent en cas de manquement aux règles de l’art, aux règlements ou au permis de construire. Les vices de construction qui ont pu être retenus sont ainsi très diversifiés. Cependant, certains reviennent plus fréquemment que d’autres, comme par exemple les défauts d’ancrage ou les ancrages insuffisants de certains éléments du bâtiment
(cheminée142, toiture143, panneau décoratif144…) ou encore l’absence ou l’insuffisance de
138 Civ. 2e, 17 avril 1959, Bull. civ. II, n°321.
139 Limoges, 7 septembre 1989, Juris-Data n°044459.
140 Paris, 20 janvier 1993, UAP c/ Landolsi, Juris-Data n° 020382. 141 Civ. 2e, 30 mars 1971, JCP G 1971.IV.129. 142 Poitiers, 20 janvier 1988, Juris-Data n° 043502. 143 Civ. 2e, 14 décembre 1978, Gaz. Pal. 1979.2.401. 144 Civ. 2e, 16 mars 1960, Bull. civ. II, n° 275.
 
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protection du bâtiment ou de l’un de ses composants (absence de protection d’une terrasse contre les risques de chute145, manque de stabilité d’une porte se déplaçant au moyen d’une roue à gorge glissant sur un rail fixé le long d’un hangar146…).
En principe, le vice de construction doit être contemporain de la construction du bâtiment et c’est une solution qui semblait étymologiquement évidente. Pourtant, dans un arrêt du 4 novembre 1971, la Cour d’Angers en a jugé autrement en faisant état d’un vice de construction postérieur à l’édification de l’immeuble en cause. En l’espèce, un pont vieux de deux cents ans s’était effondré lors du passage d’un camion de quinze tonnes endommageant un véhicule dont le propriétaire demandait réparation sur le fondement de l’article 1386. La Cour d’appel a fait droit à sa demande en déclarant : « Il en résulte que cette construction, plus que suffisante au XVIIIe siècle, était par contre inadaptée aux transports effectués à l’époque actuelle à l’aide de véhicules beaucoup plus lourds et d’un empâtement plus grand ; que ce pont était dès lors affecté d’un vice de construction, lequel doit s’entendre en considération de l’usage actuel de l’édifice et non pas en se référant à celui existant à l’époque de sa construction147 ». Cette interprétation a été unanimement critiquée par la doctrine. Notamment, M. Durry, a déclaré : « Si les mots ont un sens, le vice de construction est nécessairement contemporain de l’édification de l’immeuble ». Mme Giraudel considère quant à elle qu’ « il n’y a vice de construction que si le désordre remonte à la période de construction » et que l’arrêt de la Cour d’Angers ne présente « qu’un intérêt anecdotique »148. Pour l’heure, cette solution n’a jamais été reprise ni infirmée. Mais, il ne semble pas, aujourd’hui, qu’il soit juridiquement et socialement utile de maintenir une telle interprétation du vice de construction, eu égard notamment à la possibilité de recourir à l’article 1382 du Code civil (dans l’arrêt de la Cour d’Angers, la faute aurait pu consister en l’absence d’avertissement à l’entrée du pont concernant le poids maximum, voire en l’absence de travaux rendant l’ouvrage apte à sa nouvelle destination, à savoir supporter des charges plus lourdes) et à l’extension sans cesse accrue du domaine de l’article 1384 alinéa 1149.
Pour déterminer l’application de l’article 1386, la preuve de l’existence du défaut d’entretien ou du vice de construction doit être apportée et cette charge incombe au demandeur victime.
145 Rouen, 7 janvier 1982, Juris-Data n° 004626.
146 Civ. 2e, 8 juin 1994, JCP G 1994.IV.264.
147 Angers, 4 novembre 1971, RTD civ. 1972.787, obs. G. Durry ; déjà antérieurement, Req., 29 mars 1897, D. 1897.1.216 : à propos d’un accident survenu dans un ascenseur, condamnation du propriétaire pour un vice postérieur à la mise en service de l’immeuble.
148 C. Giraudel, La responsabilité du fait des bâtiments, Jurisclasseur civil, fascicule 152, 1996, n° 56. 149 Cf. infra, 2e partie, n° 79 et s.
 
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B) La preuve de l’origine de la ruine

41.- L’article 1386 du Code civil ne précise pas à qui incombe la charge de la preuve de l’évènement générateur de la ruine. Cependant, en vertu du principe actori incombit probatio, on sait qu’elle revient au demandeur, à savoir la victime du dommage qui exerce l’action.

42.- Identification de l’événement générateur de la ruine. La victime, pour obtenir réparation sur le fondement de l’article 1386, doit tout d’abord établir soit un défaut d’entretien soit un vice de construction, même si ce fait générateur est imputable à une autre personne que le propriétaire, et à l’exclusion de toute faute de ce dernier. Ainsi, dans un arrêt du 22 novembre 1983, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle que « l’article 1386 exige seulement de la victime qu’elle établisse que la ruine du bâtiment est due à un vice de construction ou à un défaut d’entretien et non pas qu’elle fasse la preuve d’une faute du propriétaire150 ». De même, la Cour de Rennes considère que c’est à la victime de prouver l’origine de la ruine et non au propriétaire d’établir une cause d’exonération151.
S’agissant de faits juridiques, la preuve de l’une ou l’autre de ces causes peut être rapportée par tous moyens. Le juge dispose donc d’un pouvoir souverain d’appréciation pour admettre l’existence du fait reproché. C’est ce principe de la liberté de la preuve qui lui a notamment permis d’assimiler la vétusté à un défaut d’entretien ou de considérer l’effondrement d’un pont non adapté à son utilisation actuelle comme un vice de construction152. Un auteur a ainsi donné l’exemple d’une preuve par constat d’huissier assorti de photographies153. Cependant, le demandeur doit caractériser précisément laquelle des deux causes prévues par la loi a joué. Ainsi, une décision d’une Cour d’appel a été infirmée par la Cour de cassation qui a déclaré : « Attendu qu’en procédant par une pétition de principe au lieu de faire un choix entre les deux termes de l’alternative portée par la loi, la Cour d’appel a laissé incertaine la base de la condamnation ; en quoi elle n’a pas légalement justifié sa décision154 ». C’est aussi la raison pour laquelle si l’origine de la ruine est inconnue, la
150 Civ. 1re, 22 novembre 1983, Gaz. Pal. 1984.2.pan.263, obs. Chabas. 151 Rennes, 3 octobre 1989, Juris-Data, n° 044998.
152 Cf. supra, n° 40.
153 A. Lescaillon, La responsabilité du fait des bâtiments, La revue des huissiers de justice, 1990.897. 154 Civ. 2e, 10 octobre 1962, Bull. civ. II, n° 634.
 
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responsabilité du propriétaire ne peut être engagée sur le fondement de l’article 1386. La solution sera identique si la victime n’est pas en mesure de prouver le défaut d’entretien ou le vice de construction. La jurisprudence a cependant admis, dans ces hypothèses, le recours à la responsabilité pour faute prouvée des articles 1382 et 1383 du Code civil. En effet, dans un arrêt du 7 mai 1969, la Cour de cassation a déclaré que « la responsabilité instituée à l’article 1386 n’exclut pas l’application de la responsabilité délictuelle des articles 1382 et 1383 lorsqu’une faute est prouvée contre le propriétaire de l’immeuble155 ». En l’espèce, le propriétaire d’un bâtiment a été condamné pour n’avoir pas interdit l’accès d’un balcon, qui s’est effondré, à des amis trop nombreux qui avaient envahi la maison.

43.- Démonstration d’un lien de causalité entre la ruine et l’évènement générateur. La victime doit ensuite démontrer l’existence d’un rapport de causalité entre le défaut d’entretien ou le vice de construction et la ruine. S’il apparaît que la ruine provient d’une autre cause que celles prévues par la loi, la responsabilité du propriétaire ne saurait être engagée sur la base de l’article 1386. Ainsi, dans une espèce où des dommages avaient été provoqués par la rupture d’un barrage, elle-même due à une crue imprévisible, la Cour de cassation approuve la Cour de Limoges d’avoir refusé l’application de l’article 1386 : « Mais attendu que l’arrêt, qui a constaté que la vanne de vidange était ouverte à plein, énonce que la ruine du barrage n’avait eu pour cause ni un vice de construction ni un défaut d’entretien et provenait de sa submersion sous l’effet d’une crue extraordinaire156 ». La Cour de Lyon a également refusé de faire jouer la responsabilité du fait des bâtiments à propos de la chute d’un enfant de six mois de sa poussette sur le palier du premier étage, la preuve n’ayant pas été rapportée que la défectuosité de la rampe d’escalier avait joué un rôle dans la réalisation de l’accident157. De même, lorsque la ruine du bâtiment a été occasionnée par une explosion, l’article 1386 ne peut être appliqué. La victime devra se prévaloir de l’article 1384 alinéa 1158.
La question de la responsabilité du propriétaire s’est posée dans l’hypothèse d’une causalité partielle, c’est-à-dire lorsque le dommage résulte à la fois d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction et d’un événement extérieur au bâtiment159 qui, bien qu’ayant participé à la réalisation du dommage, ne présente pas les caractères de la force majeure. La jurisprudence a décidé que dans un tel cas de figure, l’article 1386 doit être appliqué chaque
155 Civ. 2e, 7 mai 1969, RTD civ. 1970.180, obs. G. Durry.
156 Civ. 2e, 3 décembre 1964, RTD civ. 1965.360, obs. J. Chevalier.
157 Lyon, 13 juillet 1993, SARL Sauzay et Goudard c/ Philippon, Juris-Data n° 046918. 158 Cf. infra, n° 93 et s.
159 Par exemple, avarie climatique, fait de guerre ou encore travaux de réparation ou de démolition.
 
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fois que ces conditions sont remplies. Soit l’évènement extérieur au bâtiment représente la seule cause de dommage et donc l’article 1386 est inapplicable puisqu’il n’existe aucun rapport causal entre la ruine et le défaut d’entretien ou le vice de construction. Soit le dommage ne pouvait se réaliser sans le défaut d’entretien ou le vice de construction et donc l’article 1386 doit être appliqué. Il n’y a donc pas de possibilité d’exonération partielle dans
ces hypothèses160.
L’existence de ces règles de preuve relative à l’origine de la ruine a suscité en doctrine un débat sur le degré de protection assuré à la victime par l’article 1386 par rapport à celui assuré par l’article 1384 alinéa 1. Certains considèrent qu’il est très insuffisant et suggèrent, de ce fait, une abrogation de l’article 1386, texte spécial, au profit du principe général de responsabilité du fait des choses161. D’autres sont plus nuancés et estiment qu’en pratique, quand il y a ruine, elle sera souvent provoquée par un défaut d’entretien ou un vice de construction qu’une expertise établira sans difficulté162. Récemment, un auteur a proposé de modifier les conditions de la responsabilité du fait des bâtiments et notamment, s’agissant de la condition d’imputabilité de la ruine du bâtiment à un défaut d’entretien ou à un vice de construction, de poser une présomption favorable à la victime163. Mais, la jurisprudence ne semble pas s’orienter dans cette voie.

44.- Annonce. Dès lors que les conditions d’engagement de la responsabilité du fait des bâtiments sont réunies, à savoir un bâtiment dont la ruine, due à un défaut d’entretien ou à un vice de construction, a provoqué un dommage, encore faut-il déterminer la personne à l’encontre de laquelle l’action sera dirigée et qui se verra ainsi imputer cette responsabilité.
160 Il existe une exception à ce principe dans l’hypothèse d’une faute de la victime. Cf. infra, n° 69 et s. 161 Cf. infra, n° 6.
162 H. Groutel, Les rapports de l’article 1386 et l’article 1384 alinéa 1 du Code civil, Resp. civ. Et assur., horssérie, décembre 1998, p. 141.
163 V. Depadt-Sebag, La justification du maintien de l’article 1386 du Code civil, LGDJ, 2000, n° 391 et s.
 
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Chapitre 2 : La détermination de la personne responsable

45.- Les termes de l’article 1386 du Code civil sont clairs. Ils désignent précisément le propriétaire164 en tant que responsable des dommages causés du fait de la ruine d’un bâtiment indépendamment des pouvoirs effectifs qu’il exerce sur la chose, et à l’exclusion de toute autre personne ne répondant pas à ce titre (section 1). Cependant, sa responsabilité n’est pas sans limites. Il existe des possibilités d’exonération qui, si elles ne sont pas envisagées par le texte, ont été dégagées par les tribunaux. De plus, le propriétaire a toujours la possibilité d’exercer une action récursoire contre le tiers éventuellement responsable (section 2).
Section 1 : Le principe de la responsabilité de plein droit du propriétaire
46.- Si dans son principe, l’affirmation de la responsabilité de plein droit165 du propriétaire sur le fondement de l’article 1386 ne fait pas de difficulté, il convient cependant de déterminer précisément quelle personne possède la qualité de propriétaire (§ 1) et d’envisager les hypothèses particulières relatives à la propriété partagée (§ 2).
164 Cependant, depuis peu, la jurisprudence admet que la responsabilité du gardien non propriétaire puisse être engagée en cas de ruine d’un bâtiment mais sur le fondement du principe général de responsabilité du fait des choses et non en vertu de l’article 1386 qui reste exclusivement applicable au propriétaire. Cf. infra, n° 98.
165 Solution dégagée par, Civ. 1re, 3 mars 1964, D. 1964.245, note R. Savatier ; RTD civ. 1964.552, obs. Tunc.
 
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§ 1 : La détermination de la qualité de propriétaire

47.- La détermination de la qualité de propriétaire suppose que soient envisagées successivement la question de l’identification des personnes susceptibles d’être qualifiées de propriétaires au sens de l’article 1386 du Code civil (A), ainsi que celle relative à la personne effectivement propriétaire au moment de la survenance de la ruine (B).
A) Les personnes susceptibles d’être qualifiées de propriétaire au sens de l’article 1386 du Code civil
48.- Dans certaines situations, la détermination de la personne responsable par référence à sa qualité de propriétaire ne présente aucune difficulté. Celui qui possède un titre de propriété sur le bâtiment qui a causé des dommages du fait de sa ruine doit en répondre sur le fondement de l’article 1386, qu’il soit ou non en possession de celui-ci et quels que soient les pouvoirs qu’il a contractuellement conférés à un tiers ou même s’il a été privé de sa chose contre sa volonté. Sur ce point, la mise en œuvre du régime de responsabilité du fait des bâtiments est facilitée par rapport à celle de l’article 1384 alinéa 1 qui impose que l’on identifie au préalable le « gardien » effectif. Ainsi, la responsabilité du propriétaire pourra être engagée alors même que son immeuble a été donné en location166, qu’il est détenu par une collectivité publique en raison d’une réquisition167 ou qu’il fait l’objet d’un classement comme monument historique. Cependant, dans ces hypothèses, il s’agit principalement d’une question d’obligation à la dette et non de contribution définitive. Le propriétaire pourra éventuellement exercer un recours contre le tiers véritablement responsable168.

49.- Le propriétaire du bâtiment, au sens de l’article 1386, peut s’entendre à la fois d’une personne physique ou d’une personne morale. En effet, cet article vise le propriétaire quel qu’il soit, sans opérer de distinction. Il peut donc être un simple particulier, une association, voire une société. Il peut s’agir également d’une personne privée comme d’une personne publique. Cependant, dans cette dernière hypothèse, il convient d’effectuer une
166 Civ., 28 juin 1936, DH. 1936.148.
167 Civ. 2e, 17 novembre 1955, D. 1956.196. 168 Cf. infra, n° 73 et s.
 
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distinction selon que l’immeuble à l’origine du dommage appartient au domaine public ou au domaine privé de l’Etat ou des collectivités publiques. Ainsi, lorsque la ruine est imputable à un bâtiment relevant de leur domaine privé, la compétence des tribunaux de l’ordre judiciaire a toujours été reconnue et les personnes publiques en cause sont susceptibles d’être condamnées sur le fondement de l’article 1386. C’est la solution qu’a adoptée la Cour de cassation dès le début du siècle et qu’elle a constamment réaffirmée169.
En revanche, l’article 1386 ne s’applique pas si les dommages ont été causés par un bâtiment appartenant au domaine public. Leurs réparations sont de la compétence des juridictions administratives qui leur appliquent, en cas de ruine, les règles de la responsabilité administrative170. La même solution doit être retenue si les dommages peuvent être considérés comme ayant été provoqués par des travaux publics, c’est-à-dire tout travail immobilier effectué dans un but d’intérêt général par une personne publique ou pour son compte ou par un organisme remplissant une mission de service public. C’est ainsi que l’effondrement du plancher d’une salle de réunion d’une mairie en raison de l’état défectueux d’une poutre doit être rattaché à l’exécution ou l’inexécution d’un travail public et donc soumis aux juridictions
administratives171.
La responsabilité du fait de la ruine des bâtiments suppose également que soit envisagée la question de la personne effectivement propriétaire du bâtiment lors de l’accident.
B) Responsabilité de la personne effectivement propriétaire lors de la ruine du bâtiment
169 Civ., 12 juin 1901, D. 1902.372 ; V° également, Civ. 1re, 2 mars 1956, Bull. civ. I, n° 124 ; Civ. 2e, 6 mai 1959, Bull. civ. II, n° 352.
170 Contra, Req., 28 février 1899, DP 1899.1.228, ayant admis, concernant des bâtiments du domaine public, la compétence des juridictions judiciaires et l’application de l’article 1386, mais il s’agit d’une décision ancienne qui ne semble pas devoir être confirmée.
171 Ass. plén., 8 mars 1950, Gaz. Pal. 1950.1.272.
 
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50.- Il est important, pour déterminer la personne responsable sur le fondement de l’article 1386, de se demander qui est propriétaire au moment de la survenance de la ruine de l’immeuble. C’est en effet le titre juridique de propriété existant lors du dommage qui désigne le responsable. La réponse à cette question dépend parfois du mode d’acquisition de la propriété ou de sa vocation à disparaître.

51.- Acquisition de la propriété. Dans l’hypothèse d’un transfert de propriété par contrat, le principe est que l’acheteur devient propriétaire dès l’échange des consentements, à moins qu’une clause expresse ne retarde le transfert. Ainsi, alors même que la délivrance de la chose n’a pas été effectuée, l’acheteur est responsable. C’est la solution que la Cour de cassation a adoptée en jugeant responsable un adjudicataire pour les dommages causés par la ruine d’un immeuble qui venait à peine de lui être adjugé par vente publique172. Même si la solution peut sembler injuste dans la mesure où ce nouveau propriétaire n’avait matériellement pas pu assurer l’entretien du bâtiment, elle s’explique par le fait que la responsabilité de l’article 1386 est une responsabilité objective analysée comme une charge de la propriété et non fondée sur une quelconque faute de sa part173. Une fois encore, cela ne signifie pas que le propriétaire sera forcément le seul responsable in fine.
Si la vente s’effectue sous condition suspensive, l’acheteur ne saurait être déclaré responsable de la ruine du bâtiment tant que cette condition n’est pas réalisée. Lorsque c’est un terme suspensif qui est stipulé, le transfert de propriété ne s’opère qu’à l’échéance du terme et l’acheteur n’est responsable que si la ruine survient à compter de cette date. Concernant la vente d’immeuble à construire, il faut distinguer deux hypothèses. En cas de vente à terme, le transfert de propriété s’opère à l’achèvement de l’immeuble et rétroagit au jour de la vente174. L’acheteur est donc responsable en vertu de l’article 1386 si la ruine est postérieure à son achèvement. Antérieurement, seul l’entrepreneur peut être condamné mais sur un autre fondement que l’article 1386175. S’il s’agit d’une vente en l’état futur d’achèvement, l’acquisition de la propriété du sol est immédiate et celle des constructions se fait au fur et à mesure de leur exécution176. L’acheteur est donc responsable dès l’origine177.
172 Civ., 3 mars 1964, D. 1964.245, note R. Savatier ; RTD civ. 1964.552, obs. Tunc.
173 P. Roubier, L’article 1386 du Code civil et sa portée dans le droit contemporain, JCP G 1949.I.768 ; G. Viney
et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les obligations, Les conditions de la responsabilité, 2e éd., LGDJ, 1998, n°
725.
174 Code civil, article 1601-2.
175 Cf. supra, n° 35 concernant les bâtiments en cours de construction.
176 Code civil, article 1601-3.
177 F. Bénac-Schmidt, La responsabilité du fait des bâtiments, Répertoire civil Dalloz, janvier 2003, n° 81.
 
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La propriété peut également résulter de l’accession par laquelle le propriétaire du sol devient propriétaire des plantations et constructions édifiées sur le terrain du seul fait de son incorporation au sol. De ce fait, il est tenu de réparer les dommages causés par leur ruine. Une exception à ce principe existe en matière de bail puisque l’accession est différée, sauf clause contraire à l’expiration du bail. C’est donc le preneur, en tant que propriétaire pendant la durée de la location, qui est responsable sur le fondement de l’article 1386178.

52.- Disparition du droit de propriété. La vente a pu être conclue sous condition résolutoire. Dans cette hypothèse, l’acheteur est responsable en sa qualité de propriétaire tant que la condition n’est pas réalisée et malgré la rétroactivité de la survenance éventuelle de cette condition et donc la perte de son droit de propriété.
Par contre, dès lors que le propriétaire fait l’objet d’une ordonnance d’expropriation pour cause d’utilité publique, il perd la propriété de son bien et n’est donc plus responsable du fait de sa ruine alors même qu’il conserverait encore pendant un temps la jouissance dudit bien. Cette solution ne saurait s’appliquer en cas de simple abandon du bâtiment. Le droit de propriété ne disparaît pas de ce simple fait ; le propriétaire continue donc de répondre des dommages causés du fait de sa ruine.
Si ces situations particulières doivent être envisagées afin de déterminer la portée de l’article 1386, elles ne sont cependant pas très fréquentes en pratique. En revanche, les hypothèses dans lesquelles la propriété est susceptible d’être divisée se rencontrent plus souvent et il est intéressant d’examiner ses incidences sur l’application de l’article 1386.

§ 2 : Les hypothèses particulières de la propriété partagée

53.- Les hypothèses de propriété partagée ou divisée correspondent aux cas de propriété démembrée (A) ainsi qu’à la copropriété (B).

A) La propriété démembrée

178 G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les obligations, Les conditions de la responsabilité, 2e éd., 1998, n° 726-1-b.
 
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54.- La propriété peut faire l’objet d’une division soit au profit d’un usufruitier (1°) soit au bénéfice d’un superficiaire (2°).

1°) Démembrement de la propriété au profit d’un usufruitier

55.- La propriété peut, tout d’abord, être décomposée en nue-propriété et en usufruit. En principe, seul le nu-propriétaire, qui reste le véritable propriétaire, peut encourir la responsabilité de l’article 1386 en cas de ruine du bâtiment sur lequel l’usufruit a été constitué. Il pourra cependant exercer un recours contre l’usufruitier s’il a manqué à son obligation d’entretien179. Cependant, pour certains auteurs, il faudrait effectuer des distinctions selon l’origine de la ruine180. Ainsi, si le dommage est dû à l’inexécution de grosses réparations ou à un vice de construction, le nu-propriétaire doit en répondre puisqu’il est tenu légalement d’y procéder. En revanche, si la ruine est imputable à un défaut d’entretien, l’usufruitier serait responsable dans la mesure où il lui incombait d’effectuer lesdites réparations d’entretien. Mais, c’est ignorer le fait que l’article 1386 du Code civil désigne comme seul responsable le propriétaire, en tous cas au stade de l’obligation à la dette à l’égard des tiers et même si la charge définitive ne lui est finalement pas imputable.
La propriété peut également faire l’objet d’un droit de superficie.

2°) Démembrement de la propriété au profit d’un superficiaire

56.- L’existence d’un droit de superficie a été reconnue par l’interprétation de l’article 553 du Code civil. Il signifie qu’un tiers a la possibilité d’acquérir des constructions ou ouvrages situés au-dessus ou en-dessous d’un fonds appartenant à autrui. Le propriétaire du sol ne peut donc être déclaré responsable en cas de ruine du bâtiment érigé sur son sol, puisque, en vertu du droit de superficie, il n’en est pas le propriétaire. Seul le superficiaire, en tant que propriétaire, pourra voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l’article 1386. La doctrine rattache au droit de superficie le cas de la concession immobilière régie par la loi
179 Cf. infra, n° 77.
180 B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Droit civil, Les obligations, T.1, La responsabilité délictuelle, 5e éd., Litec, 1996, n° 671.
 
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du 30 décembre 1967. Le concessionnaire devient propriétaire des constructions qu’il édifie jusqu’à l’expiration de la concession et donc répond des dommages qu’elles peuvent provoquer alors que le concédant assume la responsabilité des immeubles concédés qui demeurent sa propriété181. La même solution doit être appliquée au bail emphytéotique dans lequel le preneur est assimilé à un propriétaire et, par analogie, au bail ordinaire lorsque le locataire a érigé des constructions sur l’immeuble donné à bail182.
La propriété partagée recouvre également le cas particulier de la copropriété pour laquelle certaines solutions spécifiques ont été adoptées.
B) La copropriété
57.- En matière de copropriété, il convient d’effectuer une distinction selon que la copropriété correspond à une indivision ordinaire (1°) ou fait l’objet d’une organisation particulière (2°).
1°) La copropriété non organisée
58.- Au XIXe siècle, chaque copropriétaire était responsable pour sa part. Ainsi, dans une décision du 21 mai 1855, la Cour de Lyon déclare, à propos de dommages causés par un mur mitoyen, que les copropriétaires ne sont responsables que chacun pour sa part, « suivant la mesure de sa faute183 ». Cette solution a été critiquée, certains auteurs considérant « qu’il n’est aucune raison de ne pas appliquer ici les règles générales qui visent les coauteurs d’un dommage184 », tandis que d’autres dénonçaient l’incohérence de la solution au regard du
181 F. Bénac-Schmidt, La responsabilité du fait des bâtiments, Répertoire civil Dalloz, janvier 2003, n° 72 ; C. Giraudel, La responsabilité du fait des bâtiments, Jurisclasseur, 1996, fascicule 152, n° 33. 182 Cf. supra, n° 51.
183 Lyon, 21 mai 1855, D. 1856.2.35.
184 H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. II, 6e éd., Montchrestien, 1970, n° 1029.
 
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fondement de la responsabilité185. Aussi, la Cour de Toulouse a-t-elle opéré un revirement en déclarant que « chacun des copropriétaires du mur mitoyen est tenu envers les tiers, solidairement et pour le tout, sauf recours des copropriétaires entre eux186 ». Aujourd’hui, la solution d’une obligation in solidum des coindivisaires en cas de copropriété indivise d’un bâtiment est acquise187 ; tout le monde s’accorde sur le caractère objectif de la responsabilité du fait des bâtiments, lequel exclut que les copropriétaires soient responsables chacun en fonction de leur faute. La règle exposée est propre à l’hypothèse d’une copropriété non organisée. S’il s’agit d’une copropriété organisée, la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis a adopté certaines règles spécifiques188.

2°) La copropriété organisée

59.- En cas de ruine d’un bâtiment régi par le statut de la copropriété, il faut effectuer une distinction selon que la ruine a son origine dans une partie privative ou dans une partie commune.

60.- Origine de la ruine dans une partie privative. Si le dommage naît dans le lot d’un copropriétaire, lui seul pourra en être tenu pour responsable. La solution sera identique lorsque la ruine proviendra d’une partie commune mais dont la jouissance lui aura été exclusivement réservée. En effet, dans la mesure où le propriétaire exerce des droits exclusifs sur la partie en cause, il sera naturellement responsable des dommages dont elle peut être à l’origine.

61.- Origine de la ruine dans une partie privative. En revanche, l’article 14 alinéa 4 de la loi du 10 juillet 1965 rend responsable le syndicat des copropriétaires du défaut d’entretien et du vice de construction des parties communes de l’immeuble. Il dispose que « il (le syndicat) a pour objet la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes. Il (le syndicat) est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers par le vice de construction ou le défaut d’entretien des parties communes, sans préjudice
185 R. Forge, De la responsabilité du fait des bâtiments, Thèse, Paris, 1909, p. 88 : « Si le fondement de l’article 1386 n’est pas la faute démontrée, pourquoi répartir la responsabilité proportionnellement à la faute ». 186 Toulouse, 25 mai 1892, D. 1893.2.14.
187 Civ. 2e, 2 février 1962, Bull. civ. II, n° 154.
188 Loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, D. 1965.222.
 
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de toutes actions récursoires ». Ainsi, un syndicat a été déclaré responsable de la chute d’une verrière provoquée par l’accumulation de neige sur le toit189.
Cet article est considéré comme proche de l’article 1386 voire même comme l’application de l’article 1386 du Code civil à la copropriété alors que, sur plusieurs points, il s’en distingue. En effet, tout d’abord, le syndicat n’a pas la qualité de propriétaire mais seulement celle de gardien. De plus, la responsabilité sur le fondement de l’article 14 est plus étendue dans la mesure où l’événement générateur n’est pas limité à la notion de ruine. Enfin, le syndicat est responsable non seulement vis-à-vis des tiers mais encore vis-à-vis des copropriétaires. La Cour de cassation, dans un arrêt du 17 décembre 1997, a pourtant censuré une Cour d’appel pour avoir écarté, dans une espèce où un immeuble en copropriété s’était effondré du fait de la ruine d’un mur de refend correspondant à une partie commune, l’application de l’article 1386 au profit de l’article 1384 alinéa 1 en énonçant que le syndicat des copropriétaires n’a pas la qualité de propriétaire. Elle déclare : « Vu l’article 1386 c. civ., ensemble l’article 4 de la loi du 10 juillet 1965 ; - Attendu que le premier de ces textes, visant spécialement la ruine du bâtiment, exclut la disposition générale de l’article 1384 alinéa 1 c. civ. relative à la responsabilité de toute chose, mobilière ou immobilière, que l’on a sous sa garde190 ». La Cour de cassation, en permettant que la qualité de propriétaire soit étendue au syndicat de copropriétaires, introduit un tempérament à la rigueur de sa jurisprudence pour le cas des immeubles détenus en copropriété. Un auteur a considéré que, par cet arrêt, elle « exprimait clairement sa volonté de maintenir l’article 1386 dans toute sa portée191 ». La jurisprudence ultérieure de la Cour de cassation semble démontrer que cette analyse est
inexacte192.
Si le principe de la responsabilité du propriétaire est appliqué par la jurisprudence de manière plutôt stricte, il en existe pour autant certaines limites qui correspondent soit à des causes d’exonération soit à des possibilités de recours envers des tiers.
Section 2 : Les limites de la responsabilité du propriétaire
189 Paris, 28 septembre 1990, Gaz. Pal. 1991.1.som.232.
190 Civ. 2e, 17 décembre 1997, D. 1998.IR.45 ; Resp. civ. et assur. 1998.com.75.
191 V. Depadt-Sebag, La justification du maintien de l’article 1386 du Code civil, LGDJ, 2000, n° 138.
192 Civ. 2e, 23 mars 2000, GAJC, 11e éd., n° 191-192 (II) ; D. 2001.586, note Garçon ; JCP 2000.I.280, n° 22, obs. Viney ; Resp. civ. et assur. 2000, chron. 16, par H. Groutel ; RTD civ. 2000.581, obs. Jourdain ; V° également, Rapport de la Cour de cassation, 2000, p. 13 ; V° également infra, n° 98.
 
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62.- Dès lors que la victime a établi le défaut d’entretien ou le vice de construction du bâtiment à l’origine de sa ruine, le propriétaire est de plein droit responsable. La démonstration de son absence de faute est inefficace à l’exonérer de sa responsabilité. Cette solution est constante en jurisprudence193 et se justifie dans la mesure où la responsabilité du fait des bâtiments est une responsabilité objective qui n’est pas fondée sur la faute mais qui est analysée comme une charge de la propriété194. C’est pourquoi le propriétaire ne peut pas non plus invoquer le transfert de la garde de l’immeuble pour échapper à sa responsabilité195.
Il existe cependant des limites à sa responsabilité. Celles-ci découlent des divers modes d’exonération dont il peut se prévaloir, même s’ils sont limités, et que l’on regroupe sous le vocable de cause étrangère (§ 1), ainsi que des possibilités d’exercer une action récursoire contre le tiers éventuellement responsable (§ 2).
§ 1 : Les modes limités d’exonération : la cause étrangère
63.- Le propriétaire ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en apportant la preuve d’une cause étrangère à l’origine du dommage. En effet, dans un arrêt du 3 mars 1964, la Cour de cassation affirme que « le propriétaire d’un bâtiment dont la ruine a causé un dommage en raison d’un vice de construction ou du défaut d’entretien ne peut s’exonérer de la responsabilité de plein droit par lui encourue que s’il prouve que ce dommage est dû à une cause étrangère qui ne peut lui être imputée196 ». Celle-ci peut correspondre soit à un cas de force majeure (A), soit au fait d’un tiers (B) soit à une faute de la victime(C).

A) Force majeure

193 Civ., 19 avril 1887, DP 1888.1.27 ; Req., 26 juillet 1909, DP 1909.1.533 ; Civ., 21 juin 1930, Gaz. Pal. 1930.2.337.
194 C’est la thèse majoritaire dans la doctrine. V° notamment, G. Viney et P. Jourdain, Traité de doit civil, Les obligations, Les conditions de la responsabilité, 2e éd., 1998 ; F. Bénac-Schmidt, La responsabilité du fait des bâtiments, Répertoire civil Dalloz, janvier 2003 ; G. Marty et P. Raynaud, Les obligations, T. 1, Les sources, 2e éd., Sirey, 1987.
195 Cf. supra, n° 48.
196 Civ. 1re, 3 mars 1964, D. 1964.245, note R. Savatier ; RTD civ. 1964.552, obs. Tunc.
 
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64.- La question de la place de la force majeure au sein de l’article 1386 du Code civil a suscité des divergences en doctrine. Certains auteurs ont contesté le rôle de la force majeure comme cause d’exonération197. En effet, si la force majeure provoque la ruine du bâtiment, l’irresponsabilité tient au fait que les conditions d’application de l’article 1386 ne sont pas réunies ; par hypothèse, la ruine n’est pas due à un défaut d’entretien ou un vice de construction. En réalité, la réponse à cette question nécessite une distinction entre deux hypothèses : l’hypothèse d’un cas de force majeure comme cause unique du dommage (1°) et celle du concours entre un cas de force majeure et un défaut d’entretien ou un vice de construction à l’origine du dommage (2°).
1°) La force majeure comme cause unique du dommage

65.- Si la force majeure, événement imprévisible, insurmontable et extérieur, s’avère être la cause unique du dommage, cela suppose que la preuve d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction ainsi que son lien de causalité avec la ruine n’a pas été rapportée ou n’a pas été admise par les juges. Les conditions d’application de l’article 1386 ne sont alors pas remplies et la responsabilité du propriétaire ne saurait être engagée sur ce fondement. La force majeure n’apparaît donc pas ici comme une véritable cause d’exonération. On peut en trouver quelques exemples en jurisprudence. Ainsi, si un immeuble bien construit et bien entretenu s’écroule à la suite d’un bombardement, l’article 1386 est inapplicable, faute d’avoir établi le défaut d’entretien ou le vice de construction, preuve exigée par le texte198. La même solution doit être retenue concernant des dommages provoqués par une crue exceptionnelle ayant entraîné la rupture d’un barrage199 ou par le survol de l’immeuble par un avion supersonique200, ou encore à propos de la dégradation d’un terrain côtier par l’action naturelle
de la mer201.
197 V° notamment, J. Flour, J.L. Aubert et E. Savaux, Les obligations, Le fait juridique, 10e éd., Armand Colin, 2003, n° 299 ; G. Viney et P. Jourdain, Traité de doit civil, Les obligations, Les conditions de la responsabilité, 2e éd., 1998, n° 729.
198 Req., 18 janvier 1926, DH. 1926.82 ; Nancy, 10 novembre 1952, D. 1952.788.
199 Civ. 2e, 3 décembre 1964, D. 1965.326 ; RTD civ. 1965.360, obs. Rodière ; V° également, Civ. 2e, 16 janvier 1974, D. 1974.som.52.
200 Civ. 3e, 18 juin 1974, Bull. civ. III, n° 257.
201 Civ. 2e, 21 janvier 1981, JCP G 1982.II.19814, note N. Dejean de la Batie.
 
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Les phénomènes naturels de tempête et de vent font l’objet d’un important contentieux quant au point de savoir s’ils constituent ou non un cas de force majeure. Il semble que deux conditions soient exigées en jurisprudence pour les considérer comme tel. Tout d’abord, ils doivent présenter un caractère d’exceptionnelle violence. Mais, ils doivent aussi présenter une force anormale dans la région où ils se produisent. C’est ainsi que la Cour de Douai, dans une espèce où la chute d’une cheminée abattue par le vent avait causé des dommages, a déclaré, pour exonérer le propriétaire de sa responsabilité, « qu’il s’agissait en la circonstance, au vu de l’échelle de Baufort, d’une tempête d’une violence exceptionnelle, même pour cette région202 ». Cette solution avait déjà été retenue dans une affaire où le vent avait soufflé à 176 Km/h, vitesse jamais atteinte depuis la création de la station météorologique203. En revanche, la qualification de cas de force majeure a été refusée à propos de dommages causés par le soufflement d’une toiture au motif que la tempête n’avait pas revêtu un caractère de violence exceptionnelle, excédant la normale des troubles atmosphériques auxquels il faut s’attendre dans la région de montagne considérée204.
2°) Concours entre un cas de force majeure et un défaut d’entretien ou un vice de construction
66.- La seconde hypothèse correspond au cas où la force majeure a concouru avec le défaut d’entretien ou le vice de construction à la réalisation du dommage. En principe, la responsabilité du propriétaire devrait être engagée puisque les conditions de l’article 1386 sont réunies. Mais, la jurisprudence a admis l’exonération du propriétaire dans des espèces où, bien que la ruine du bâtiment soit due à un défaut d’entretien, l’invasion du territoire par l’ennemi ou les ordres de l’Etat avaient empêché le propriétaire de faire les travaux d’entretien nécessaires205. La notion de force majeure est ainsi entendue comme un événement ayant rendu impossible l’exécution de travaux d’entretien ou de réparation, c’est-à-dire un événement ayant empêché la prévention du dommage.

67.- Une atténuation de la responsabilité du propriétaire a parfois été retenue lorsque le dommage, provoqué par la force majeure, avait été rendu possible ou aggravé par un vice de
202 Douai, 11 décembre 1981, Juris-Data n° 042662.
203 TGI Chambéry, 21 juin 1961, D. 1961.710.
204 Civ. 2e, 14 décembre 1978, Gaz. Pal. 1979.2.401, note Plancqueel.
205 V° par exemple, Civ. 21 juin 1930, Gaz. Pal. 1930.2.337, après délibération en chambre du conseil, occupation ennemie empêchant l’entretien du bâtiment.
 
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construction ou un défaut d’entretien antérieur. C’est la solution adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 juillet 1905. En effet, elle a admis une exonération partielle du propriétaire en raison d’un cas de force majeure ayant concouru à la production du dommage avec un vice de construction206. Il en est de même lorsque le défaut d’entretien ou de surveillance est postérieur à l’évènement de force majeure. Ainsi, un propriétaire a été déclaré partiellement responsable des dommages causés par l’effondrement d’un balcon dont le délabrement était certes imputable à des bombardements mais qui aurait pu être réparé depuis la fin des hostilités207. Dans ces hypothèses, la notion de force majeure n’est cependant pas utilisée comme une véritable cause exonératoire de responsabilité mais plutôt comme un facteur d’allègement de la responsabilité du propriétaire. La doctrine est d’ailleurs hostile à ce partage de responsabilité. Elle considère que la force majeure ne peut être invoquée dans le seul but d’atténuer la responsabilité et fonde son affirmation sur le fait que l’absence de prise en considération de la causalité partielle à propos des articles 1384 alinéa 1 et 1382 du Code civil doit être étendue, par analogie, à l’article 1386208.
A côté de la force majeure, la cause étrangère, exonératoire de responsabilité, peut résulter du fait d’un tiers.

B) Le fait d’un tiers

68.- Le défaut d’entretien ou le vice de construction peut être imputable à un tiers qui sera généralement fautif. Et, souvent, ce tiers est uni par des liens contractuels avec le propriétaire. Ainsi, le fait générateur peut provenir des divers locateurs d’ouvrages, du précédent propriétaire, du locataire, de l’usufruitier… Dans cette hypothèse, en principe, le propriétaire reste quand même intégralement responsable du dommage survenu du fait de la ruine du bâtiment209. Il devient une sorte de garant du fait d’autrui.
Cependant, la jurisprudence a admis dans certains cas que la faute d’un tiers pouvait libérer le propriétaire. Ainsi, dans une espèce où une personne avait été blessée par la chute de pierres provenant d’une balustrade bordant la terrasse d’un immeuble, la Cour de Bordeaux a
206 Req., 4 juillet 1905, DP. 1906.1.245.
207 Civ. 2e, 17 novembre 1955, JCP G 1955.II.9144, note Esmein ; D. 1956.196.
208 F. Bénac-Schmidt, La responsabilité du fait des bâtiments, Répertoire civil Dalloz, janvier 2003, n° 88 ; G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les obligations, Les conditions de la responsabilité, 2e éd., 1998, n°729.
209 Cf. supra, n° 46 et s.
 
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rejeté la responsabilité du propriétaire en considérant que seule la faute du locataire était à l’origine de l’accident. Ce dernier avait, avec l’aide d’amis, hissé au moyen de cordages un bureau pour le faire passer au-dessus de la balustrade210. La Cour de cassation a, quant à elle, exonéré un propriétaire, dans une affaire où une personne avait été blessée par une pierre tombée d’une tour en ruine, après avoir constaté que la chute résultait du fait d’un tiers qui était monté au sommet de la tour211. Mais, en réalité, dans ces espèces, plus que le fait du tiers, c’est l’absence de lien de causalité entre le défaut d’entretien ou le vice de construction et la ruine qui ont motivé la libération du propriétaire de sa responsabilité sur le fondement de l’article 1386. Cela explique sûrement pourquoi le fait du tiers est très rarement cité comme cause d’exonération de la responsabilité du propriétaire, et n’intervient le plus souvent que pour répondre à la question de la charge définitive de la responsabilité212. Mme Viney affirme ainsi : « Quant au fait d’un tiers imprévisible et irrésistible, il est également en principe exclu : en effet, le propriétaire répond du défaut d’entretien ou du vice de construction même s’il est imputable à une autre personne213 ». En tous cas, le fait d’un tiers pour être éventuellement exonératoire de responsabilité doit présenter les caractères de la force majeure, c’est-à-dire être imprévisible, insurmontable et extérieur.
En revanche, la faute de la victime a toujours été considéré comme pouvant entraîner l’absence de responsabilité du propriétaire du bâtiment conformément au droit commun de la responsabilité civile.

C) La faute de la victime

69.- Il est admis unanimement que le fait non fautif de la victime n’a aucune valeur libératoire214. Seule une faute de sa part est susceptible de justifier la diminution de l’indemnité qui lui est due. La Cour de cassation le rappelle fréquemment. Par exemple, le fait pour la victime de s’asseoir sur une clôture surplombant le vide qui présentait les apparences
210 Bordeaux, 6 mai 1986, Gatinel c/ Pebeyre, Juris-Data n° 041912.
211 Civ. 2e, 26 mai 1992, Resp. civ. et assur. 1992, com. 304.
212 Cf. infra, n° 73 et s., sur les possibilités d’actions récursoires du propriétaire à l’égard du tiers responsable.
213 G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les obligations, Les conditions de la responsabilité, 2e éd., 1998, n° 729.
214 Cette solution n’a pas toujours été celle retenue puisque la Cour de cassation a pendant longtemps admis que le gardien puisse être partiellement déchargé de sa responsabilité par la preuve d’un simple fait, même non fautif, de la victime. Cf. infra, n° 152, sur l’évolution en la matière.
 
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d’une solidité suffisante constitue un fait non fautif qui n’est pas de nature à faire disparaître la responsabilité du propriétaire215. Il a été jugé de même à propos du fait pour la victime d’être montée, avec l’accord des locataires, dans un grenier dont le plancher était pourri, ce dont il ne pouvait lui-même se rendre compte216. On constate par là-même que lorsque le danger du bâtiment n’est pas apparent, les agissements de la victime sont rarement assimilés à une faute de sa part. Cependant, si le fait de la victime est non fautif mais imprévisible et insurmontable, c’est-à-dire ayant les caractères de la force majeure, il peut entraîner une exonération totale du propriétaire si ce dernier prouve que le dommage est dû à ce seul fait217. En revanche, le fait fautif de la victime permet, selon les circonstances, de conduire à une exonération totale ou partielle du propriétaire.

70.- La faute de la victime : cause unique du dommage. Si la faute de la victime est la cause unique du dommage, la solution est identique à celle adoptée à propos de la force majeure. Le propriétaire ne verra pas sa responsabilité engagée sur le fondement de l’article 1386 dans la mesure où une de ses conditions d’application n’est pas remplie, le défaut d’entretien ou le vice de construction n’ayant pas, par eux-mêmes, provoqué la ruine. Ainsi, dans une espèce où un enfant avait été écrasé par l’écroulement d’un pan de mur, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a considéré que, bien que le bâtiment se trouvât en état de délabrement, l’accident était dû uniquement à la faute de la victime qui, aidée de camarades, s’amusait à arracher des cailloux du mur, pratiquant de ce fait un trou à sa base. La responsabilité du propriétaire a donc été écartée218.

71.- Concours de la faute de la victime et du défaut d’entretien ou du vice de construction. Lorsque la faute de la victime a concouru avec un défaut d’entretien ou un vice de construction au dommage qu’elle a subi, la jurisprudence accepte une exonération partielle du propriétaire, opérant ainsi un partage de responsabilité. Souvent, les victimes sont des enfants qui commettent des imprudences, par exemple en pénétrant dans des bâtiments en ruine pour jouer. Dans ces hypothèses, la jurisprudence retient facilement le partage de responsabilité. Ainsi, un jeune garçon avait été mortellement blessé par l’effondrement d’une voûte d’un bâtiment alors qu’il y avait pénétré sans autorisation et qu’il s’amusait à frapper
215 Civ. 3e, 1er juillet 1971, D. 1971.672 , RTD civ. 1972.405, obs. G. Durry ; V° également, Civ. 2e, 1er avril
1974, D. 1974.IR.163.
216 Civ. 2e, 12 mai 1976, Bull. civ. II, n° 157.
217 Civ. 2e, 6 mai 1959, Bull. civ. II, n° 352.
218 Civ. 2e, 10 juillet 1978, Gaz. Pal. 1978.2.som.422.
 
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une partie de l’édifice à coups de bâton. La Cour d’Aix-en-Provence considéra que cette faute commise par la victime était de nature à exonérer les propriétaires de leur responsabilité à hauteur du quart des dommages, alors même que l’immeuble était non clôturé et non entretenu219. Certains auteurs considèrent que la faute de la victime « ne peut guère consister qu’à être entré dans la propriété sans autorisation220 ». S’il est vrai que le cas est fréquent, il n’est cependant le seul exemple de faute de la victime. De plus, l’absence d’autorisation est souvent associée à d’autres comportements fautifs ; il est rare qu’elle constitue à elle seule la faute.

72.- Concours de la faute de la victime et du fait du tiers. Il est possible qu’en plus de la faute de la victime, le fait d’un tiers ait également concouru au dommage. Là encore, les tribunaux optent pour un partage de responsabilité entre les différents protagonistes ayant participé d’une manière quelconque à la réalisation du dommage. Ainsi, la Cour de Paris, dans un arrêt du 13 juin 1986, admit à la fois la responsabilité du propriétaire d’un immeuble qui s’était effondré en raison du défaut prolongé d’entretien, celle de la ville de Paris qui en démolissant des immeubles accolés avait favorisé le dommage et enfin celle du propriétaire de l’immeuble voisin endommagé pour n’avoir pas pris les mesures de protection nécessaires221.
Les causes d’exonération de la responsabilité du propriétaire sont donc assez limitées et jouent plutôt dans des hypothèses restreintes. Mais, à défaut de s’exonérer en invoquant une cause étrangère, le propriétaire qui a indemnisé la victime peut exercer un recours à l’encontre des personnes éventuellement responsables du défaut d’entretien ou de vice de construction à l’origine de la ruine.

§ 2 : Les actions récursoires du propriétaire

73.- La responsabilité édictée par l’article 1386 du Code civil à l’encontre du propriétaire ne signifie pas qu’il sera toujours in fine responsable ni qu’il assumera seul la totalité de la charge de la dette. En effet, ce texte pose une obligation à la dette sans pour autant préjuger de la question de la contribution définitive à la dette. Le propriétaire, dont la
219 Aix-en-Provence, 16 avril 1991, Guiramand c/ Trécat, Juris-Data n° 048030.
220 J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Les obligations, Le fait juridique, 10e éd., Armand Colin, 2003, n°299. 221 Paris, 13 juin 1986, Maire de Paris c/ Elstejn, Juris-Data n° 024587.
 
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responsabilité aura été retenue à raison d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction qui ne lui est pas imputable, sera certes tenue envers la victime, mais il pourra se retourner contre le tiers, auteur de l’un de ces vices, afin de se décharger totalement ou partiellement de sa responsabilité.
La nature juridique de ces recours dépendra des rapports existants entre le propriétaire condamné et le tiers à l’encontre duquel il exerce son action récursoire. Le recours pourra ainsi être de nature contractuelle, par exemple s’il est dirigé contre l’architecte ou l’entrepreneur, le vendeur ou le locataire, de nature délictuelle pour faute prouvée, voire même, il pourra s’agir d’un recours devant les tribunaux administratifs si le propriétaire cherche à mettre en cause la responsabilité de la puissance publique.
En dehors de l’hypothèse où un copropriétaire a été condamné à la réparation intégrale du dommage et dispose, de ce fait d’un recours contre ses copropriétaires, pour connaître précisément les possibilités d’actions récursoires du propriétaire, il convient de distinguer selon l’origine de la ruine, c’est-à-dire selon qu’elle a eu pour cause un vice de construction (A) ou un défaut d’entretien (B).
A) Les recours en cas de vice de construction
74.- Dans l’hypothèse où le propriétaire du bâtiment voit sa responsabilité engagée à raison d’un vice de construction qui ne lui est pas imputable, il peut exercer un recours qui, selon les circonstances, sera dirigé soit contre le vendeur de l’immeuble soit contre l’entrepreneur ou l’architecte, à l’origine de l’édification du bâtiment.

75.- Recours du propriétaire contre le vendeur de l’immeuble. Le propriétaire actuel du bâtiment, dont la responsabilité est retenue sur le fondement de l’article 1386, dispose d’une action récursoire à l’encontre de son vendeur en cas de vice caché conformément aux articles 1641 et suivants du Code civil. Il pourra, à son choix, demander soit la résolution de la vente soit une simple diminution du prix de vente222. Mais surtout, le propriétaire pourra obtenir des dommages-intérêts, dont le montant sera le plus souvent équivalent à celui des indemnités versées à la victime, s’il prouve que le vendeur était de mauvaise foi, c’est-à-dire qu’il connaissait le vice caché de la construction223. Et, il faut
222 Code civil, article 1644. 223 Code civil, article 1645.
 
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préciser à cet égard que le vendeur professionnel est présumé connaître les vices de la chose qu’il vend224, ce qui exclut la possibilité pour lui d’invoquer une stipulation écartant, limitant ou aménageant à l’avance sa garantie pour vices cachés225. Cependant, ce type de recours perd de son intérêt dès lors que le vendeur non professionnel était de bonne foi ou qu’une clause d’exonération ou limitative de garantie avait été stipulée à son profit dans le contrat de vente puisqu’il ne sera pas tenu de garantir les conséquences du dommage causé par le vice226.

76.- Recours contre l’entrepreneur ou l’architecte, auteur de l’édification du bâtiment. Si le propriétaire s’est adressé à des professionnels, entrepreneur ou architecte, dans le but d’édifier l’immeuble et a conclu, à cet effet, un contrat d’entreprise, il pourra rechercher la responsabilité de celui auquel est imputable le vice de construction227. Son recours obéit aux dispositions des articles 1792 et 2270 du Code civil réglementant la responsabilité des locateurs d’ouvrage envers le maître de l’ouvrage. En principe, l’action est soumise à un délai de prescription décennale qui court à compter de la réception des travaux. Mais, la jurisprudence admet, pour éviter que le recours du propriétaire ne soit paralysé par cette prescription, son action récursoire contre le constructeur pendant trente ans, écartant le délai précité de dix ans, cette action étant de nature contractuelle.
Elle a également reconnu au maître de l’ouvrage une action subrogatoire contre l’auteur de la construction. Il peut exercer, en tant que subrogé, l’action en responsabilité délictuelle que le tiers victime aurait pu lui-même intenter directement contre les entrepreneurs. Ainsi, dans un arrêt du 10 janvier 1984, la Cour de cassation a affirmé que l’action récursoire dirigée contre l’entrepreneur par le maître de l’ouvrage, subrogé dans l’action des héritiers de la victime décédée à la suite de l’effondrement d’un escalier, a un fondement quasi-délictuel, la victime et ses héritiers n’ayant pas été parties au contrat d’entreprise228. L’adoption de cette solution a permis, antérieurement, au maître de l’ouvrage de bénéficier de la prescription trentenaire tant qu’elle était applicable. Actuellement, elle lui permet d’exercer son action seulement pendant dix ans mais le délai ne court qu’à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation229, contrairement à celui de la garantie
224 Com., 27 novembre 1991, Bull. civ. IV, n° 367 ; Com., 21 janvier 1992, Contrats Conc. Consom. 1992.94, note Leveneur.
225 Civ. 3e, 3 janvier 1984, Bull. civ. III, n° 4.
226 Code civil, article 1643, article 1646.
227 Req., 17 avril 1896, S. 1904.1.437 ; Civ., 28 avril 1903, DP. 1905.1.413.
228 Civ. 3e, 10 janvier 1984, RTD civ. 1984.740, obs. Rémy ; V°aussi, Civ. 3e, 31 octobre 1989, RD imm. 1990.88.
229 Code civil, article 2270-1, issu de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985.
 
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des constructeurs qui commence à courir dès la réception des travaux. Et, malgré les critiques répétées de la doctrine230, la jurisprudence n’a jamais remis en cause l’admission de cette action subrogatoire au profit du propriétaire.
Le propriétaire peut également exercer un recours dans l’hypothèse où sa responsabilité a été retenue à raison d’un défaut d’entretien imputable à un tiers.
B) Les recours en cas de défaut d’entretien
77.- Si la charge d’entretenir un bâtiment pèse sur son propriétaire seul, ce dernier n’a évidemment aucun recours s’il est condamné à réparer les dommages causés par sa ruine. Il en va différemment lorsque cette obligation d’entretien incombait à une autre personne. Le propriétaire pourra alors se retourner contre elle pour lui réclamer le remboursement des indemnités versées à la victime.
Il en est tout d’abord ainsi lorsque le défaut d’entretien est imputable non au propriétaire actuel, mais à son vendeur. Conformément aux principes généraux qui gouvernent la responsabilité contractuelle du vendeur231, ce dernier ne sera responsable, sauf convention contraire, sur le fondement de la garantie des vices cachés, que si le défaut d’entretien, cause de la ruine, ne pouvait pas être décelé par l’acquéreur au moment de la vente. Cette situation est cependant rare en pratique.
En revanche, il est beaucoup plus fréquent que le défaut d’entretien soit le fait de l’usufruitier ou du locataire lorsque le bâtiment à l’origine du dommage a fait l’objet d’un usufruit ou d’un contrat de bail. En effet, la loi prévoit que l’usufruitier a la charge d’effectuer les « réparations d’entretien232 » et confie au locataire le soin de procéder aux « réparations locatives et de menu entretien233 », auxquelles il faut ajouter celles que la convention aura éventuellement prévu. Ainsi, si la ruine est due au non respect des obligations que leur imposent la loi et la convention, le propriétaire condamné sur le fondement de l’article 1386 pourra se retourner contre le véritable fautif afin qu’il assume in fine la charge de la dette234.
230 J. Fossereau, Le « clair-obscur » de la responsabilité des constructeurs, D. 1977, chron. 13 , qui considère que la solution adoptée par la Cour de cassation est un « résultat équitable et (un) procédé commode, mais d’une justification difficile en droit » ; MM. Malinvaud et Jestaz, RD imm. 1990.88. 231 Code civil, article 1641 et suivants.
232 Code civil, article 605.
233 Code civil, article 1754 ; Loi du 6 juillet 1989, article 7d.
234 Req., 28 février 1899, DP. 1899.1.228 ; Paris, 20 janvier 1958, Gaz. Pal. 1958.1.269.
 
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En revanche, le propriétaire ne pourra pas exercer de recours dès lors que les réparations non effectuées ne peuvent être imputées au preneur mais incombent à lui seul235, et ce, même si le locataire a omis de signaler au propriétaire les réparations qui étaient nécessaires236. De même, le preneur ne saurait être tenu des dépenses d’entretien tendant à pallier les inconvénients de la vétusté, lesquelles sont à la charge du bailleur. La Cour de cassation l’a affirmé à l’occasion d’une affaire dans laquelle une personne était passée au travers d’un plancher pourri en raison de l’état de la toiture et alors que le bail avait mis à la charge du preneur l’entretien de la toiture237.
Le propriétaire peut avoir confié l’entretien de son bâtiment à une tierce personne. Dans cette hypothèse, il pourra se retourner contre elle si sa responsabilité est engagée du fait d’un défaut d’entretien. Ainsi, dans une espèce où un enfant avait été blessé par une grille sortie de ses gonds, la Cour de Metz a admis que le propriétaire puisse appeler en garantie l’administrateur de biens à qui il avait donné pouvoir d’entretenir l’immeuble, et qui, plus particulièrement, constatant que la grille était déposée contre le mur, aurait dû faire procéder à
sa réparation et à sa repose238.
Enfin, le propriétaire peut voir sa responsabilité engagée alors que l’Etat ou une autorité publique avait une obligation d’entretien du bâtiment. Dans ce cas, il pourra exercer un recours. Ainsi, l’Etat qui n’exécute pas son obligation de réparation des bâtiments classés « monuments historiques » assumera la charge définitive de l’indemnisation des victimes en
cas de dommages239.
Ainsi, si l’article 1386 du Code civil édicte une responsabilité dont le propriétaire aura du mal à s’exonérer en raison du caractère limité des modes d’exonération existant en la matière, il ne préjuge pas pour autant de la question de la contribution définitive à la dette de responsabilité. En effet, la condamnation du propriétaire en raison du dommage causé par la ruine de son bâtiment ne signifie pas pour autant qu’il sera toujours seul responsable et qu’il supportera in fine la charge de l’indemnisation, même s’il reste tenu au stade de l’obligation à la dette, c’est-à-dire à l’égard de la victime. On peut alors affirmer, à l’instar de MM. Le Tourneau et Cadiet, que si la responsabilité édictée par l’article 1386 est une charge de la propriété, elle ne l’est qu’en apparence240.
235 Req., 4 juillet 1905, D. 1906.1.245.
236 Civ., 26 janvier 1936, DH. 1936.148 ; Paris, 6 mars 1952, D. 1952.293. 237 Civ. 2e, 12 mai 1976, Bull. civ. II, n° 157.
238 Metz, 20 juin 1989, Juris-Data n° 045061.
239 CE, 13 février 1942, JCP 1943.II.2419, note Charlier.
240 Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2002/2003, n°8017.
 
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Conclusion de la première partie
78.- Depuis deux siècles, on constate que la responsabilité du fait des bâtiments en ruine, malgré la constance de sa formulation textuelle, inchangée depuis 1804, a fait l’objet d’importantes fluctuations que ce soit dans l’interprétation de ses conditions d’application ou qu’il s’agisse de sa place au sein du doit de la responsabilité civile délictuelle, l’évolution
 
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ayant suivi les tendances et les idées qui gouvernent l’ensemble de la matière. De texte exceptionnel dérogeant au principe général de responsabilité pour faute prouvée résultant des articles 1382 et 1383 du Code civil et devant être en tant que tel interprété restrictivement, l’article 1386 fut par la suite considéré comme la solution à l’absence d’indemnisation des victimes du machinisme et connut de ce fait une extension considérable de son domaine d’application, à un point tel que certains auteurs ont pu parler de « hardiesse prétorienne241 ». La découverte d’un principe général de la responsabilité du fait des choses fondé sur l’article 1384 alinéa 1 et son application ultérieure aux immeubles permit de revenir à une interprétation plus restrictive de l’article 1386242.

Ainsi, si la charge imposée au propriétaire par l’article 1386 a pu apparaître à une certaine époque comme particulièrement étendue, elle est aujourd’hui de plus en plus limitée. En effet, les termes de « bâtiment », « ruine », « défaut d’entretien » et « vice de construction » ont désormais un sens précis et restrictif qui restreint d’autant le domaine d’application de la responsabilité spéciale du fait des bâtiments. De plus, même si les possibilités d’exonération sont restreintes, le propriétaire responsable, qui reste tenu à l’égard de la victime, dispose cependant, dans la plupart des hypothèses, d’un recours contre un tiers, ce qui lui permettra d’échapper à la charge définitive de l’indemnisation. Enfin, récemment, la Cour de cassation a introduit indirectement une nouvelle limite à la responsabilité du propriétaire en admettant, dans un arrêt du 23 mars 2000 qualifié de « spectaculaire revirement243 », que le gardien non propriétaire puisse être responsable en cas de ruine du bâtiment sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1244.

Ainsi, alors que l’article 1386 pouvait être considéré comme un texte réglant l’entière question de la responsabilité du fait des choses immobilières, il a peu à peu vu son rôle réduit, jusqu’à n’être aujourd’hui plus qu’une « peau de chagrin 245», au profit de celui de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil qui, en posant un principe général du fait des choses inanimées, permet d’engager la responsabilité du fait quelconque d’un immeuble.
241 G. Marty et P. Raynaud, Les obligations, Les sources, T. 1, 2e éd., Sirey, 1987. 242 Cf. supra, n° 5.
243 H. Groutel, Resp. civ. et assur. 2000, chr. 16.
244 Civ. 2e, 23 mars 2000, GAJC, 11e éd., n° 191-192 (II). Cf. Infra, n° 98.
245 Ph. Casson, La responsabilité du fait des bâtiments, PA, 19 juin 1995, n° 73, p. 23.
 
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Deuxième partie : La responsabilité du fait quelconque de l’immeuble

79.- L’article 1384 alinéa 1 du Code civil énonce qu’« on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait […] des choses que l’on a sous sa garde ». De simple article de transition dans l’esprit des rédacteurs du Code civil, uniquement destiné à annoncer des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui ou du fait des choses prévus aux alinéas et articles suivants, la
 
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jurisprudence l’érigea en véritable règle de droit en y découvrant le principe d’une responsabilité nouvelle et générale du fait des choses inanimées246.
Mais, une fois admis dans son principe, encore fallait-il déterminer la portée exacte de ce nouveau régime autonome de responsabilité, notamment quant à son application en matière immobilière et au regard du cas particulier de responsabilité du fait des bâtiments prévu par l’article 1386. C’est ce à quoi la jurisprudence, critiquée et aidée par la doctrine, s’est attachée au cours de plus d’un demi-siècle de travail en déterminant, au fil de ses décisions, les conditions d’engagement de cette responsabilité (chapitre 1) et en s’intéressant à la question de son imputabilité (chapitre 2).

Chapitre 1 : Les conditions d’engagement de la responsabilité

80.- La loi vise « les choses » et « le fait » des choses. A partir de ces indications, pour le moins vagues, la jurisprudence s’est efforcée, d’une part, de préciser l’objet de cette responsabilité notamment quant à son application aux immeubles (section 1), et, d’autre part, de déterminer ce qu’il fallait entendre par « fait » de la chose, événement générateur de cette responsabilité (section 2).
246 Civ., 16 juin 1896, Teffaine, DP 1897.1.433, note Saleilles ; S. 1897.1.17, note P. Esmein ; Cass. Ch. réun., 13 février 1930, Jand’heur, GAJC, 11e éd., n° 193 DP 1930.1.57, concl. Matter, note Ripert ; S. 1930.1.121, note Esmein.
 
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Section 1 : L’objet de la responsabilité : un immeuble

81.- Après avoir un temps exclu l’application de l’article 1384 alinéa 1 aux dommages causés par un immeuble dans le but de protéger le domaine de l’article 1386 du Code civil (§ 1), la jurisprudence est revenue sur cette solution et a considéré que « les choses » visées par le texte pouvaient être de nature immobilière (§ 2).
§ 1 : Le refus antérieur d’appliquer le principe général du fait des choses aux immeubles
82.- Plusieurs arrêts de la Cour de cassation ont dans un premier temps refusé de soumettre les dommages causés par des immeubles à l’article 1384 alinéa 1 (A). Cette position de la jurisprudence fut immédiatement critiquée par la majorité des auteurs qui la considérait comme infondée (B).

A) La condamnation de cette application par la Cour de cassation

83.- Dans un arrêt du 26 juin 1924, la chambre civile de la Cour de cassation déclare que l’article 1384 alinéa 1 « est inapplicable aux immeubles ; que le propriétaire d’un bâtiment n’est présumé responsable que du dommage causé par sa ruine lorsqu’elle est arrivée par suite d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction ; qu’en dehors de ce cas prévu par l’article 1386, il reste soumis à la règle de l’article 1382247 ». Cette solution, déjà formulée dans les mêmes termes par un arrêt de la chambre des requêtes en date du 18 mai 1909248, fut reprise par cette même chambre en 1925 qu’elle justifia par le principe en vertu duquel toute dérogation doit faire l’objet d’une interprétation restrictive. En effet, elle affirme que les articles 1384, 1385 et 1386 du Code civil apportent à la règle de droit commun formulée par les articles 1382 et 1383 des dérogations qui doivent, en principe, être strictement appliquées
247 Civ., 26 juin 1924, D. 1924.1.159 ; DH. 1924.600. 248 Req., 18 mai 1909, DP.1909.1.461.
 
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et que donc la disposition de l’article 1384 alinéa 1, d’après laquelle on est responsable du dommage causé par le fait des choses que l’on a sous sa garde, ne s’applique pas au cas où la chose inanimée est un immeuble249. Ainsi, l’exclusion des immeubles du domaine de l’article 1384 alinéa 1 serait fondée sur un argument textuel. L’existence de l’article 1386 du Code civil relatif aux bâtiments justifierait le fait qu’aucune autre disposition ne puisse être considérée comme s’appliquant aux immeubles puisque les auteurs du Code civil auraient entendu limiter de la sorte, en matière immobilière, le domaine des présomptions favorables aux victimes, et ce, en vertu de l’adage « specialia generalibus derogant » : les dispositions spéciales dérogent aux dispositions générales. Ces arguments apparaissent clairement dans un arrêt rendu par la Cour de Poitiers en 1922 : « quelque large que soit cette expression de « choses », il n’apparaît pas qu’elle puisse comprendre les immeubles en même temps que les choses mobilières, que l’existence de l’article 1386 n’aurait pas de raison d’être si l’article 1384 s’appliquait aux immeubles ; qu’on ne peut objecter que le législateur n’a voulu viser dans l’article 1386 que la situation particulière du propriétaire qui n’a pas la garde de son immeuble, mais que les articles 1382 et 1383 comprennent déjà les éléments de la responsabilité entraînée par le défaut ou le vice du bâtiment dont la ruine a causé un dommage250 ». Nombre d’auteurs, à la suite de ces arrêts, ont émis de vives critiques quant à la solution adoptée dont ils ont considéré la justification invoquée comme guère convaincante.

B) La critique unanime de cette solution par la doctrine

84.- Plusieurs arguments, plus ou moins pertinents, ont été avancés par les auteurs dans le but de mettre en évidence le caractère infondé de la solution dégagée par la jurisprudence et de provoquer son abandon. Certains se réfèrent aux applications jurisprudentielles antérieures tandis que d’autres se basent sur les textes et l’esprit des textes.

85.- Les applications jurisprudentielles antérieures. Il a été soutenu que la jurisprudence antérieure portait en elle-même « la condamnation du point de vue étroit auquel la Cour de cassation prétend se tenir251 ». En effet, l’auteur fait état de nombreuses décisions, ayant appliqué l’article 1384 alinéa 1 aux dommages causés par le fait d’immeubles, qu’il
249 Req., 10 février 1925, DP. 1925.1.97 ; S. 1925.1.65.
250 Poitiers, 16 mai 1922, D. 1922.2.137.
251 L. Josserand, note sous Req., 10 février 1925, DP. 1925.1.97.
 
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s’agisse de choses immobilisées par leur destination252, de biens devenus immeubles par suite de leur incorporation à un bâtiment253, voire même de biens immeubles par nature. L. Josserand considère que l’abondance de ces décisions favorables à l’application de l’article 1384 alinéa 1 constitue « une vérité jurisprudentielle » à laquelle s’oppose la formule restrictive de la Cour de cassation.
Mais, à l’époque, la jurisprudence est plutôt hésitante quant au fondement à retenir et certaines décisions cumulent même les deux textes pour assurer la réparation de certains dommages254. De plus, la plupart des décisions évoquées émanent des juridictions du fond. Ces incertitudes ne permettent alors pas vraiment de parler de « vérité jurisprudentielle » et confèrent, semble-t-il, peu de poids à cet argument. En revanche, le recours à la lettre et à l’esprit des textes permet davantage d’emporter la conviction en faveur de l’abandon de la conception restrictive.

86.- Le recours à la lettre et à l’esprit des textes. Tout d’abord, l’article 1386 du Code civil ne vise que les dommages causés par la ruine d’un bâtiment, et non pas tous les dommages résultant du fait d’une chose immobilière. Donc, la tendance à considérer l’article 1384 alinéa 1 comme le texte général en matière de responsabilité du fait des choses devrait aboutir à cantonner l’article 1386 dans son domaine strict255.
Par ailleurs, l’article 1384 alinéa 1 parle des « choses », terme des plus compréhensifs et larges, et ne distingue pas entre les meubles et les immeubles. Or, la où la loi ne distingue pas il n’y a pas lieu de distinguer. Le texte viserait donc tous les biens corporels, meubles ou immeubles, avec simplement une dérogation pour les bâtiments qui serait soumis à l’article 1386256. Mais, à cet égard, H. et L. Mazeaud souligne le fait que, dans l’esprit des rédacteurs, le mot « choses » avait un sens précis : il désignait les seuls animaux. Et pour cette raison, l’argument, invoqué seul, n’est pas décisif257. L. Josserand ajoute que la responsabilité établie
252 Cf. application de l’article 1384 alinéa 1 à des dommages causés par des batteuses mécaniques : Orléans, 24 janvier 1907, S. 1908.2.59 ; Chambéry, 12 juillet 1905, DP. 1905.2.97.
253 Cf. application de l’article 1384 alinéa 1 à des dommages causés par le fonctionnement d’un ascenseur : Paris, 25 mars 1901, DP. 1901.2.396 ; 13 décembre 1918, DP. 1921.2.103 ; 28 janvier 1924, DP. 1924.2.84. 254 Par ex., Paris, 10 décembre 1921, Rec. Gaz. des tribunaux 1922.2.75, recours à l’article 1386 et 1384 alinéa 1 cumulativement pour mettre en jeu la responsabilité d’un propriétaire pour des dommages causés par des arbres sur une voie ferrée.
255 P. Roubier, « l’article 1386 du Code civil et sa portée dans le droit contemporain », JCP G 1949.1.768.
256 L. Josserand, « le travail de refoulement de la responsabilité du fait des choses inanimées », DH. 1930, chr.7 (I).
257 H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. 2, 6e éd., Montchrestien, 1970.
 
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par ce texte est rattachée à la garde de la chose et non à cette chose même. Il est donc indifférent que celle-ci soit mobilière ou immobilière. « Meubles et immeubles comportent la notion de garde : on peut être le gardien d’un bâtiment, d’un phare, d’une usine, d’une poudrière, d’une canalisation, tout aussi bien et même mieux que celui d’une armoire ou d’un
siphon258 ».
Enfin, la loi du 7 novembre 1922 a apporté une dérogation à l’article 1384 alinéa 1 qu’elle a intégrée à ce texte sous la forme d’un alinéa 2 ainsi rédigé : « Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable ». Il y a donc d’abord le principe, puis l’exception : le principe, c’est la responsabilité de plein droit ; l’exception, c’est la responsabilité pour faute prouvée en cas d’incendie. Or, l’exception a la même nature que le principe auquel elle déroge ; elle appartient nécessairement au même ordre ; et du moment que l’exception édictée par la loi de 1922 vise les immeubles, il doit en être de même du principe : l’article 1384 alinéa 1 serait donc applicable pour les dommages causés par des choses immobilières.
Les critiques des auteurs des arrêts consacrant une conception restrictive du domaine de l’article 1384 alinéa 1 vont être entendues et déterminer la Cour de cassation à revenir sur sa position.
§ 2 : La prise en compte ultérieure des immeubles dans le cadre du principe général de responsabilité du fait des choses
87.- Dans un arrêt de la chambre des requêtes du 6 mars 1928, confirmé par l’arrêt « Jand’heur » du 13 février 1930, la Cour de cassation a fini par étendre le domaine de l’article 1384 alinéa 1 aux immeubles (A). A l’heure actuelle, les applications sont nombreuses et visent toute sorte d’immeubles (B).

A) La solution des arrêts de principe des 6 mars 1928 et 13 février 1930

258 L. Josserand, note sous Req., 10 février 1925, DP. 1925.I.97.
 
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88.- Alors que, par trois fois, la Cour de cassation avait précédemment déclaré, en des termes catégoriques, dans une formule générale et tranchante, que la disposition du premier paragraphe de l’article 1384 du Code civil est inapplicable lorsque le dommage a été causé par un immeuble259, elle consacre dans son arrêt de la chambre des requêtes du 6 mars 1928, sous une forme non moins nette et non moins générale, la thèse contraire : désormais, pour elle, la disposition est « d’une généralité absolue », elle vise le dommage causé par le fait d’un immeuble aussi bien que celui qui tient au fait d’un meuble. En effet, elle affirme : « Mais attendu que la disposition du paragraphe premier de l’article 1384 est d’une généralité absolue ; qu’elle vise, sans distinction, le dommage causé par le fait de toute chose […] ; que ce texte distingue si peu les choses mobilières des choses immobilières ; que la loi interprétative du 7 novembre 1922, qui précise l’exception qu’il convient d’apporter en cas d’incendie au principe général qu’il énonce, prévoit expressément le dommage causé par l’incendie des immeubles, exception qui n’aurait aucune raison d’être si le gardien d’un immeuble n’était pas soumis, comme le gardien d’un meuble, à la règle édictée par l’article 1384260 ». En l’espèce, la Cour de cassation avait à statuer sur un accident causé par un ascenseur et aurait pu, par conséquent, restreindre la portée de sa décision aux immeubles par destination. Mais, elle a tenu à poser en principe que l’article 1384 alinéa 1, ne distinguant nullement entre les choses mobilières et immobilières, s’appliquait aux immeubles. C’est un changement de point de vue complet qui avait été fortement espéré par la majorité de la doctrine. On constate d’ailleurs, à cet égard, que la motivation retenue par la Cour régulatrice dans son arrêt reprend les arguments développés par nombre d’auteurs pour s’opposer à la solution précédemment consacrée et refusant la soumission des immeubles à l’article 1384 alinéa 1.
Cependant, malgré le caractère net et général de la décision de la chambre des requêtes, la chambre civile n’en persista pas moins dans sa jurisprudence : elle répéta à maintes reprises que l’article 1384 alinéa1 établissait une présomption de faute « contre celui qui a sous sa garde la chose mobilière inanimée qui a causé le dommage261 ». Elle finit par céder dans un arrêt du 11 février 1930 dans lequel elle abandonna cette formule qui, pourtant, était devenue de style et lui substitua une formule nouvelle qui n’excluait plus les immeubles :
259 Req., 18 mai 1909, DP. 1909.1.461 ; Civ., 26 juin 1924, D. 1924.1.159 ; Req., 10 février 1925, DP. 1925.1.97.
260 Req., 6 mars 1928, DP. 1928.1.97.
261 Civ., 27 mars 1928, Gaz. Pal. 1928.1.616 ; Civ., 11 juin 1928, Gaz. Pal. 1928.2.307 ; Civ., 18 juillet 1928, Gaz. Pal. 1928.2.610 ; Civ., 5 novembre 1928, Gaz. Pal. 1928.2.849 ; Civ., 5 mars 1929, Gaz. Pal. 1929.1.707 ; Civ., 12 mars 1929, Gaz. Pal. 1929.1.735.
 
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« Attendu que tout dommage causé par une chose soumise par sa nature à la nécessité d’une garde oblige celui à qui cette garde incombe à le réparer262 ».
Deux jours après, les chambres réunies sont venues consacrer ce point de vue dans l’arrêt Jand’heur du 13 février 1930. Elles ont supprimé à leur tour le terme de « mobilière », marquant ainsi nettement leur volonté de rejeter cette distinction injustifiable entre meubles et immeubles : « Attendu que la présomption de responsabilité établie par cet article à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui…263 ». Selon M. Ripert, cette formulation signifiait simplement que la Cour de cassation avait voulu réserver la question264. Mais, comme l’ont fait remarquer MM. H. et L. Mazeaud265, l’attention des chambres réunies avait été appelé sur le problème par le procureur général Matter266. Elles ont donc certainement entendu le trancher en se rangeant à l’avis de la chambre des requêtes, lequel était devenu peu de temps auparavant celui de la chambre civile.
Aussi, depuis l’arrêt des chambres réunies, toutes les juridictions appliquent-elles l’article 1384 alinéa 1 aux immeubles. Les arrêts visent, non plus « la chose mobilière inanimée qui a causé le dommage », mais « la chose inanimée qui a causé le dommage267 ». La Cour de cassation précise même parfois que l’article 1384 alinéa 1 s’applique « à la responsabilité du fait de toute chose, mobilière ou immobilière, que l’on a sous sa garde268 ». La solution est désormais définitivement acquise et les applications sont aujourd’hui nombreuses et diverses.

B) Les applications ultérieures à toute sorte d’immeubles

89.- Il suffit d’ouvrir un répertoire de jurisprudence pour se rendre compte de l’importance et de la diversité des applications de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil aux
262 Civ., 11 février 1930, Gaz. Pal. 1930.I.676.
263 Ch. réun., 13 février 1930, Jand’heur, GAJC, 11e éd., n° 193 ; DP. 1930.I.57, concl. Matter, note Ripert ; S. 1930.I.121, note Esmein.
264 Note D. 1930.1.58 (1re col.).
265 H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. 2, 6e éd., Montchrestien, 1970, n° 1028.
266 Concl., D. 1930.1.64 ; Gaz. Pal. 1930.1.393 (IV).
267 Civ., 17 mars 1930, Gaz. Pal. 1930.1.841 ; Civ., 14 avril 1930, D. 1930.1.81 ; Civ., 24 juillet 1930, Gaz. Pal. 1930.2.298.
268 Par ex., Civ. 4 août 1942, GAJC, 11e éd., n° 191-192 (I) ; Civ., 15 juillet 1943, DA. 1943.som.16 ; Civ. 2e, 16 janvier 1963, Bull. civ. 1963.II.n°51, p. 38.
 
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immeubles. Très nombreuses, en effet, sont les décisions qui ont appliqué cette disposition aux dommages causés par des choses immobilières, qu’il s’agisse de choses immobilisées par leur destination, de biens devenus immeubles par suite de leur incorporation ou de biens immeubles par nature.
90.- L’application de l’article 1384 alinéa 1 aux immeubles par destination ou par incorporation. Que les biens en cause soient devenus immeubles par leur destination, c’est-àdire par leur affectation au service ou à l’exploitation d’un fonds et indépendamment de toute incorporation matérielle, ou qu’ils participent au statut immobilier par suite de leur incorporation à un bâtiment, la jurisprudence n’hésite plus à fonder la réparation des dommages qu’ils ont causé sur l’article 1384 alinéa 1. Ainsi, ce texte a-t-il été utilisé pour des accidents causés par des éléments d’équipement tel un escalier roulant269, des portes
vitrées270, des verrières271, les portes automatiques d’un magasin272, une conduite souterraine273, ou encore des canalisations274.
Le cas des accidents causés par des ascenseurs est ici typique de l’application de l’article 1384 alinéa 1 aux immeubles. En effet, qu’ils constituent des immeubles par incorporation parce qu’ils font partie du bâtiment ou qu’ils soient des immeubles par destination, la jurisprudence a admis très tôt que les dommages qu’ils provoquaient relevaient de l’article 1384 alinéa 1 et alors même qu’elle excluait l’application de cette disposition aux immeubles275. Depuis, elle n’est jamais revenue sur cette solution276 Et, c’est à l’occasion d’une espèce relative à la réparation d’un accident causé par un ascenseur que la Cour de cassation a étendu le domaine de ce texte à l’ensemble des biens immobiliers, y compris les biens immeubles par nature.

91.- L’application de l’article 1384 alinéa 1 aux immeubles par nature. S’il n’en a pas toujours été ainsi, il est aujourd’hui acquis que le principe général de responsabilité du fait des choses s’étend aux immeubles par nature, c’est-à-dire des biens qui se présentent comme tels dès leur origine, de par leur constitution même, et non en considération du lien, intellectuel ou matériel, qui les uniraient après coup à un fonds ou à un bâtiment. On peut
269 Civ. 2e, 2 avril 1997, Resp. civ. et assur. 1997.comm. 255 ; Dr. et patrimoine 9/1997, p.85, obs. F. Chabas. 270 Civ. 2e, 20 janvier 1993, Bull.civ. II, n° 21.
271 Civ. 2e, 16 mars 1994, Gaz. Pal. 1994.II.pan. jurispr. p. 221.
272 Civ. 1re, 11 mai 1999, Contrats, conc., consom. 1999, comm. 140, obs. L. Leveneur. 273 Req., 3 juillet 1934, DH. 1934.443.
274 Trib. Civ. Seine, 2 décembre 1936, RTD civ. 1937.120.
275 Paris, 13 décembre 1918, DP. 1921.2.103 ; 28 janvier 1924, DP. 1924.II.84.
276 V° notamment, Civ. 3e, 27 janvier 1977, D. 1977.IR.321 ; Civ. 2e, avril 1997, Bull. civ. II, n° 109, 2 arrêts.
 
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distinguer trois grands groupes de biens immeubles par nature qui se voient le plus souvent soumis à l’article 1384 alinéa 1 : les végétaux, les fonds de terre et les bâtiments.
En matière de végétaux, l’application la plus fréquente du principe général de responsabilité du fait des choses inanimées concerne les dommages causés par les arbres. Auparavant, les articles 1382 et 1383 du Code civil avaient servi de base aux demandes en indemnité consécutives à la chute d’un arbre entier ou d’une branche ayant entraîné un préjudice corporel ou matériel pour un tiers. Mais, ces recours étaient fréquemment rejetés, faute pour la victime d’avoir démontré la faute du propriétaire qui, dans bien des cas, avait pris les précautions nécessaires et usuelles pour éviter un accident que rien ne faisait prévoir. L’idée fut alors de faire appel à la présomption de responsabilité découlant de l’article 1386 du Code civil, recours dont la justification était pour le moins originale comme le montre un arrêt de la Cour de Paris du 20 août 1877. En l’espèce, elle a considéré qu’un arbre bordant un boulevard dans Paris, ayant été planté et dirigé par l’homme, devenait de ce fait une véritable construction277. Etant donné l’artifice évident d’un tel raisonnement, cette solution fut rapidement abandonnée au profit de l’application de l’article 1384 alinéa 1, et ce avant même que la Cour de cassation ne consacrât l’utilisation autonome de ce texte278. Mais, c’est surtout à partir de celle-ci que les dommages causés par les arbres furent systématiquement soumis au principe général de responsabilité du fait des choses279. Ainsi, dans un arrêt du 12 mai 1966, la Cour de cassation affirme que l’acquéreur d’un lot d’arbres à abattre sur une route nationale est à bon droit présumé responsable, par application de l’article 1384 alinéa 1, des dommages résultant de l’accident survenu à un motocycliste tué en heurtant un de ces arbres, déraciné par la tempête280. De même, la Cour de Versailles, dans un arrêt du 18 juin 1999 déclare une société HLM responsable du dommage subi par un enfant du fait d’un arbre épineux sur lefondement de l’article 1384 alinéa 1281.

En ce qui concerne les fonds de terre, la Cour de cassation, contrairement à la solution originairement retenue, décide désormais que les dommages causés par le sol, les glissements du sol ou les éboulements rocheux ne sont pas du domaine de l’article 1386 mais relèvent de l’article 1384 alinéa 1. Ainsi, le sol huileux d’un hall d’immeuble ou un sol ciré particulièrement glissant peuvent causer un préjudice susceptible d’être réparé sur le
277 Paris, 20 août 1877, S. 1978.2.48.
278 V° Grenoble, 10 février 1892, S. 1893.2.205.
279 Civ., 11 juin 1936, S. 1936.1.346 ; Civ., 30 avril 1952, JCP G 1952.II.7111, note C. Blaevoet ; Civ. 2e, 29
mars 1971, D. 1971.som.203 ; Civ. 2e, 5 mai 1993, Gaz. Pal. 1993.2.pan.jurispr., p. 255.
280 Civ. 2e, 12 mai 1966, D. 1966.700 (1er arrêt).
281 Versailles, 3e ch., 18 juin 1999, D. 1999.IR.226.
 
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fondement de l’article 1384 alinéa 1282. La même solution est retenue à propos des dommages provoqués soit par des glissements de terrain qui, selon la Cour régulatrice, ne peuvent donner lieu qu’à l’application du principe général de responsabilité du fait des choses283, soit par des
éboulements de falaises284.
Enfin, il a été admis que l’article 1384 alinéa 1 pouvait s’appliquer à des bâtiments. En effet, à partir du moment où on a considéré que l’existence de l’article 1386 du Code civil ne saurait exclure d’une manière générale l’application de l’article 1384 alinéa 1 aux immeubles, il convenait de cantonner le premier de ces textes à son objet strict, c’est-à-dire à l’hypothèse de dommages causés par la ruine d’un bâtiment, elle-même due à un défaut d’entretien ou à un vice de construction. Ainsi, l’article 1384 alinéa 1 ne serait écarté que lorsque ces conditions de mise en œuvre seraient réunies, et retrouverait son empire dès lors que le dommage, même imputable à un bâtiment, n’aurait pas été provoqué par sa ruine. Si cette solution a prévalu en jurisprudence pendant longtemps, elle vient d’être modifiée partiellement par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 23 mars 2000, la deuxième chambre civile a en effet décidé que la victime pouvait invoquer l’article 1384 alinéa 1 alors même que son dommage résulterait de la ruine d’un bâtiment, réduisant ainsi le domaine de l’article 1386 et étendant corrélativement celui du principe général de responsabilité du fait des choses inanimées285. Elle pose cependant une condition à une telle action puisqu’elle n’est susceptible d’être mise en œuvre qu’à l’encontre du gardien non propriétaire286.
Une fois admise l’application de l’article 1384 alinéa 1 aux immeubles, l’événement générateur de cette responsabilité, à savoir « le fait de la chose », et plus précisément pour ce qui intéresse notre étude le fait de l’immeuble, devait nécessairement être précisé.
282 Civ. 2e, 16 février 1994, RJDA 1994, n° 164 ; Civ. 2e, 11 décembre 2003, D. 2004.IR.109.
283 Civ. 2e, 19 juin 2003, D. 2003.IR.2053 ; Resp. civ. et assur. 2003.comm.224 ; RTD civ. 2003.715 ; V° également, Civ., 25 juin 1952, D. 1952.614 ; Civ. 2e, 20 novembre 1968, JCP G 1970.II.16567,à propos du sommet d’une colline qui glisse.
284 Civ. 2e, 16 juin 1961, RTD civ. 1962.641, obs. A. Tunc ; Civ. 2e, 15 novembre 1984, Gaz. Pal. 1985.1.296 ; Civ. 2e, 17 mars 1993, Bull. civ. II, n° 116 ; Civ. 2e, 17 mai 1995, Bull. civ. II, n° 142 ; Plus récemment, mais dans un cas un peu particulier, Civ. 2e, 26 septembre 2002, JCP G 2003.I.154 (cf infra). 285 Civ. 2e, 23 mars 2000, GAJC, n° 191-192 (II) ; RTD civ. 2000.581, obs. P. Jourdain. 286 Cf. infra, n° 98.
 
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Section 2 : L’événement générateur de la responsabilité

92.- En principe, l’expression « fait de la chose » contenue dans l’article 1384 alinéa 1 du Code civil vise, selon la jurisprudence, le fait quelconque de la chose et donc de l’immeuble (§ 1). Cependant, pour des raisons circonstancielles, le législateur a, par une loi du 7 novembre 1922 insérée aux alinéas 2 et 3 de l’article 1384, envisagé le cas particulier dans lequel le fait de l’immeuble s’analyse en une communication d’incendie (§ 2).

§ 1 : Le fait quelconque de l’immeuble

93.- La jurisprudence a progressivement affiné son interprétation de la formule « fait de la chose » et pose aujourd’hui l’exigence d’un fait quelconque mais actif de l’immeuble (A) dont elle a déterminé la charge et le contenu de la preuve (B).

A) La notion de fait actif de l’immeuble

94.- Pour que la responsabilité du gardien soit engagée, il faut que la chose, en l’espèce l’immeuble, placée sous sa garde ait, par son fait, causé le dommage. Ce fait, tel que l’entend le droit positif, ne se réduit pas à une intervention quelconque : il faut que le rôle joué par la chose immobilière ait été actif, c’est-à-dire qu’il puisse être qualifié de cause juridique du dommage (1°). Jusqu’à une époque récente, le fait actif de l’immeuble ne pouvait consister dans la ruine du bâtiment (2°).

1°) Le fait de l’immeuble : cause juridique du dommage

95.- La jurisprudence a rejeté l’une après l’autre les tentatives doctrinales de limitation du domaine de l’article 1384 alinéa 1 fondées sur une interprétation étroite de la formule « fait de la chose ». Elle a ainsi successivement écarté l’exigence d’un vice propre de la chose auquel le dommage serait dû et la distinction entre le fait autonome de la chose, qui, seul,
 
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pourrait conduire à l’application de l’article 1384 alinéa 1, et la chose actionnée par la main de l’homme, qui relèverait du seul article 1382 du Code civil. Le seul critère considéré comme déterminant se résume alors à l’exigence d’un rapport de causalité reliant la chose, donc l’immeuble, au dommage287. Et, si un lien de causalité est toujours nécessaire entre le préjudice et le fait dommageable, il émerge, en l’espèce, sous deux aspects particuliers.

96.- L’intervention matérielle de l’immeuble dans la réalisation du dommage. Il est tout d’abord nécessaire qu’il y ait eu intervention de l’immeuble, c’est-à-dire la participation de celui-ci à la réalisation du dommage. Mais, cela ne signifie pas que le contact entre l’immeuble et la victime soit exigé. En effet, dans deux arrêts du 22 janvier 1940, la Cour de cassation affirme que « l’article 1384 alinéa 1, en posant comme condition à son application que le dommage ait été causé par le fait de la chose incriminée, n’exige pas pour autant la matérialité d’un contact. L’absence de contact entre la chose et la personne ou l’objet qui ont subi le dommage n’est pas nécessairement exclusive du lien de causalité288 ». Parfois, il y a bien choc, mais par l’intermédiaire d’une chose médiate, qui a été projetée ou poussée par la première289. Plus radicalement, il arrive qu’il n’y ait aucun contact d’aucune sorte entre la chose immobilière gardée, généralement occupant une position anormale290, et la victime ou le bien endommagé, le dommage pouvant être relié de manière purement psychologique à l’usage de la chose immobilière, par exemple lorsque celle-ci, par sa seule présence, conduit quelqu’un, par peur ou maladresse, à un acte dommageable291. Récemment, la Cour de cassation a même admis que le risque pouvait, en tant que tel, être la cause d’un dommage et constituer le fait de la chose immobilière, dans une espèce où le risque d’éboulement d’une falaise avait conduit le maire de la commune des Baux-de-Provence à prendre un arrêté interdisant l’exploitation de l’hôtel restaurant situé en contrebas pendant la durée des travaux confortatifs, et dont l’hôtelier demandait réparation des ses préjudices économiques et financiers sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1292. Cet arrêt, s’il est surprenant de prime
287 V° J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, T. 2, Le fait juridique, Armand Colin, 9e éd., 2001, n° 250, p. 239 ; Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action, 4e éd., 2002/2003, n° 7787.
288 Civ.,22 janvier 1940 (2 arrêts), DC. 1941.101, note R. Savatier.
289 Aix-en-Provence, 8 mai 1981, JCP G 1982.II.19819, pierre se détachant sous l’effet de la corde d’un ascensionniste.
290 Cf. infra, n° 100.
291 On pourrait par exemple penser à une manœuvre de « sauvetage » par un automobiliste pour éviter un arbre tombé sur la route.
292 Civ. 2e, 26 septembre 2002, JCP G 2003.I.154 ; RTD civ. 2003.100, obs. P. Jourdain.
 
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abord, n’est finalement qu’une illustration de la position de la jurisprudence selon laquelle l’absence de contact physique entre la chose, immobilière en l’occurrence, et le siège du dommage n’est pas un obstacle à la responsabilité du fait des choses, sous réserve que le demandeur établisse soit le « vice », soit la position ou le comportement anormal de cette
chose immobilière293.
De même, il n’est pas nécessaire que la chose immobilière ait été en mouvement au moment de l’accident. L’adoption d’une telle solution aurait conduit à exclure l’article 1384 alinéa 1 dans de nombreuses hypothèses impliquant des immeubles, comme par exemple dans les cas où une personne glisse dans un escalier (non roulant) ou encore heurte un mur ou bien un arbre. Ainsi, a-t-il été décidé que l’immobilité de la chose immobilière n’excluait pas, à elle seule, son intervention dans l’accident.

97.- L’intervention causale de l’immeuble dans la réalisation du dommage. Mais, si la participation de l’immeuble à la réalisation du dommage est une condition nécessaire, elle n’est cependant pas suffisante pour établir qu’elle en est la cause juridique. En effet, le fait de la chose immobilière n’est pris en considération que s’il a joué un rôle actif dans la survenance du préjudice, la chose ayant été, selon les expressions employées par la Cour de cassation, « en quelque manière » (ou « de par sa position »), « l’instrument du dommage294 ». La plupart du temps, le rôle actif de la chose immobilière se traduit par quelque anormalité de cette chose, dans son fonctionnement, son maniement, son emplacement, etc.295. Et, cette anormalité résulte elle-même bien souvent d’une faute de son gardien. Certains arrêts récents utilisent l’expression « d’intervention » de la chose immobilière, plus neutre que celle de fait actif, mais il n’est pas certain que leurs rédacteurs aient entendu lui donner un sens particulier, et alléger la charge de la preuve pesant sur la victime296, d’autres décisions continuant d’exiger fait actif et anormalité de la chose immobilière.
Si le fait de l’immeuble peut entraîner la responsabilité de son gardien sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 dès lors qu’il constitue la cause juridique du dommage, c’était à l’exclusion de la ruine du bâtiment qui relevait du seul article 1386 du Code civil. La
293 Cf. infra, n° 100.
294 V° par ex., Civ. 2e, 29 mars 1971, JCP G 1972.II.17086 ( 2e espèce), note Boré ; Civ. 2e, 19 novembre 1998, Resp. civ. et assur. 1999.comm.5 ; Civ. 2e, 12 décembre 2000, Juris-Data n° 2000-006232.
295 V° la formule caractéristique a contrario de Versailles, 21 avril 2000, D. 2000.IR.154, exonération du gardien à propos de choses dont le « fonctionnement est normal, c’est-à-dire ni violent, ni rapide, ni irrégulier ». 296 Civ. 2e, 15 juin 2000, Liebrand, JCP G 2000.IV.2353 ; Civ. 2e, 19 février 2004, 2nd arrêt Liebrand, Resp. civ. et assur., juin 2004, alerte 14, note L. Bloch ; Civ. 2e, 25 octobre 2001, Resp. civ. et assur. 2002.comm.16.
 
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Cour de cassation est récemment revenue sur cette solution, critiquée de longue date par la doctrine.

2°) l’admission récente de la ruine du bâtiment comme fait actif possible de l’immeuble

98.- Dans un arrêt du 23 mars 2000, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a admis que le recours à l’article 1384 alinéa 1 pour fonder une demande en réparation d’un dommage consécutif à la ruine d’un bâtiment297. En l’espèce, en raison de la rupture d’une pièce de charpente, le toit d’une grange, grevée d’un droit d’usage, s’effondre, endommageant l’immeuble voisin. Le propriétaire de l’immeuble endommagé demande réparation non au propriétaire de la grange mais au titulaire du droit d’usage en se fondant sur les articles 1386 et 1384 alinéa 1 du Code civil. Sa demande est repoussée. Sur le fondement de l’article 1386 parce qu’aucun défaut d’entretien n’est imputable au titulaire du droit d’usage et sur celui de l’article 1384 alinéa 1 car l’application en la cause des règles particulières de l’article 1386 interdit à la victime d’invoquer à titre subsidiaire la disposition générale de l’article 1384 alinéa 1 relative à la responsabilité du fait des choses. Sur le pourvoi formé par le propriétaire de l’immeuble endommagé, la Cour régulatrice casse l’arrêt d’appel et énonce que l’article 1386 du Code civil n’exclut pas que les dispositions de l’article 1384 alinéa 1 du même code soient invoquées à l’encontre du gardien non propriétaire. Qualifiée de « spectaculaire revirement298 », cette décision met fin à une jurisprudence dénoncée régulièrement par la doctrine. Déjà, en 1975, suite à un arrêt refusant de faire jouer l’article 1384 alinéa 1 pour la réparation de dommages consécutifs à une inondation provoquée par l’effondrement du mur latéral d’un canal, M. Durry s’indignait : « Quel anachronisme que l’existence dans notre Code civil d’un texte tel que l’article 1386 ! Rédigé en 1804 pour favoriser les victimes de la ruine d’un bâtiment en leur permettant de se faire indemniser par les propriétaires d’immeubles, sans que ceux-ci puissent invoquer la faute d’un tiers, dès lors que le défaut d’entretien ou le vice de construction était prouvé, il se retourne aujourd’hui contre elles. Où, en effet, l’article 1384 alinéa 1 les dispense de toute preuve d’une faute du gardien, elles ne peuvent en cas de ruine être indemnisées que par le propriétaire, quand bien même il ne serait pas gardien de son immeuble, et doivent apporter la
297 Civ. 2e, 23 mars 2000, GAJC, 11e éd., n° 191-192 (II) ; RTD civ. 2000.581, obs. P. Jourdain.
298 H. Groutel, « Ruine d’un bâtiment : le spectaculaire revirement de la Cour de cassation », Resp. civ. et assur. 2000.chron.16.
 
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preuve difficile (…) du défaut d’entretien ou du vice de construction. Rien ne saurait justifier une différence de traitement semblable299 ». Les mêmes attaques ont été émises à propos d’une décision rendue le 30 novembre 1988 dans laquelle la Cour de cassation affirmait solennellement que l’article 1386 du Code civil visant spécialement la ruine du bâtiment excluait la disposition générale de l’article 1384 alinéa 1 relative à la responsabilité du fait de toute chose, mobilière ou immobilière que l’on a sous sa garde300, même lorsque le propriétaire du bâtiment n’en était pas le gardien au moment de la réalisation du dommage. Désormais, avec l’arrêt du 23 mars 2000, la ruine du bâtiment est susceptible de réaliser la condition de fait actif exigé pour l’application du principe général de responsabilité du fait des choses, sous réserve toutefois que l’action soit dirigée contre le gardien non propriétaire301.
Une fois la notion de fait actif précisée, il y a lieu de s’intéresser à la question de la preuve d’un tel fait qui diffère selon l’existence ou non de certaines circonstances.

B) La preuve du fait actif de l’immeuble

99.- En principe, c’est à la victime qu’il incombe de prouver le fait de la chose immobilière, c’est-à-dire d’établir que l’objet incriminé a participé de façon incontestable et déterminante à la production du préjudice302. L’objet de la preuve est double : il s’agit non seulement d’apporter la preuve de l’intervention matérielle de l’immeuble dans la production du dommage mais aussi celle de sa participation causale au préjudice. Alors que la participation matérielle doit être établie en toute hypothèse par la victime, celle-ci est susceptible de voir son fardeau probatoire considérablement allégé par l’introduction de présomptions de causalité, en ce qui concerne la participation causale, en fonction des circonstances de survenance du dommage. En la matière, une distinction fondamentale doit être opérée entre l’hypothèse des choses immobilières inertes au moment de l’accident (1°) et celle des choses immobilières en mouvement (2°).

1°) Le cas des choses immobilières inertes au moment de l’accident

299 G. Durry, RTD civ. 1975.315.
300 Civ. 2e, 30 novembre 1988, JCP G 1989.II.21319, note C. Giraudel.
301 Cf. infra, n°126 et s., sur la question du transfert de la garde.
302 V° par ex. Civ. 2e, 22 novembre 1984, Bull. civ. II, n° 175 ; Civ. 2e, 5 mai 1993, Bull. civ. II, n° 168, à propos de la chute mortelle d’un arbre.
 
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100.- S’il est admis qu’une chose immobilière peut être la cause d’un dommage alors même qu’elle est par nature inerte ou que, susceptible de mouvement, elle était immobile au moment du dommage, il ne serait guère justifié de présumer son rôle actif du seul fait par exemple qu’elle a été heurtée par la victime. Dans un tel cas en effet, on est plutôt fondé à croire que l’immeuble n’a fait que subir l’action de la victime, le dommage devant ainsi être imputé à sa maladresse. La considération de la plus grande probabilité conduit ainsi, en de telles circonstances, à écarter toute présomption de fait actif de la chose immobilière et à imposer à la victime de faire la preuve qu’en dépit de son inertie, cette chose immobilière a, par son fait actif, causé le dommage : soit qu’elle ait eu une position anormale, soit encore que l’on puisse rattacher le dommage à une défectuosité de sa structure303. C’est précisément en ce sens que s’est déterminée la jurisprudence.
Alors qu’elle avait paru admettre, dans un premier temps, que la victime bénéficiait dans tous les cas d’une présomption de fait actif de la chose immobilière dès lors qu’elle avait démontré l’intervention matérielle de celle-ci, sauf le gardien à s’exonérer par la preuve d’une cause étrangère ou du rôle purement passif de la chose immobilière304, la Cour de cassation a posé dans un second temps, à partir des années soixante, que la responsabilité du gardien d’une chose immobilière inerte supposait rapportée la preuve que ladite chose occupait une position anormale ou qu’elle était en mauvais état305. Ainsi, celui qui fait une chute dans la fosse de graissage d’un garage ou dans une cage d’ascenseur, celui qui glisse dans un escalier ou sur le sol, le passant qui se blesse en heurtant une porte vitrée et, plus généralement, toute victime qui invoquerait le fait actif d’une chose immobilière inerte devra prouver que cette chose a, par sa position ou sa structure défectueuse, causé le dommage. La victime devra donc, selon les cas, démontrer que le sol était anormalement glissant, que l’escalier était anormalement agencé ou encore que la vitre heurtée était défectueuse, mal placée ou insuffisamment signalée.

101.- Toutefois, s’agissant des parois vitrées que des passants plus ou moins distraits peuvent heurter, la jurisprudence semble faciliter la tâche du demandeur. Plusieurs décisions
303 V° Aubry et Rau, Droit civil français, T. VI, vol. 2, Responsabilité délictuelle, Litec, 8e éd., par N. Dejean de la Bâtie, 1989, n° 126.
304 V° par ex. Civ., 19 février 1941 et Civ., 24 février 1941, DC. 1941, p. 85, note J. Flour ; Cf. infra, n° 140 et s., concernant la question de l’exonération par la preuve du rôle passif de la chose. 305 V° en ce sens Civ. 2e, 29 mai 1964, JCP 1965.II.14248 (2e espèce), note Boré ; Civ. 2e, 11 janvier 1995, Bull. civ. II, n° 18 ; Civ. 2e, 7 mai 2002, D. 2003.somm.461, obs. Jourdain (1re espèce), escalier d’un hôtel ne présentant aucun caractère dangereux et convenablement éclairé.
 
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ont en effet admis que le rôle actif d’une telle chose immobilière pouvait se déduire de la seule constatation de fait qu’elle a été percutée par la victime306. La solution peut surprendre dans la mesure où il est possible de penser que la victime a été distraite et que le dommage est donc imputable à sa maladresse. On peut tenter d’expliquer ces décisions par le fait que dans les espèces qui y ont donné lieu, la vitre s’était brisée : les hauts magistrats considèrent donc vraisemblablement que le bris de la vitre est en lui-même constitutif d’un fait actif de la chose immobilière. Ainsi, la Cour de cassation, dans son arrêt du 29 avril 1998, énonce-t-elle que « la seule constatation que le jeune garçon s’était blessé à la suite du bris du carreau de la porte palière qu’il avait poussé suffisait à établir que la vitre avait été l’instrument du dommage et, par là même, à justifier la responsabilité du gardien ».
Quoi qu’il en soit, et sous réserve de ce courant jurisprudentiel éventuellement dissident, la victime qui invoque le fait d’une chose immobilière inerte, fût-elle entée en contact avec cette chose, sera déboutée si elle ne parvient pas à rapporter la preuve du rôle causal de celle-ci. La situation peut être différente dans l’hypothèse de choses immobilières en mouvement au moment de l’accident.

2°) L’hypothèse des choses immobilières en mouvement au moment de l’accident

102.- En ce domaine, il convient de faire une sous-distinction selon que la chose immobilière en mouvement est entrée ou non en contact avec le siège du dommage.

103.- La chose immobilière en mouvement n’est pas entrée en contact avec le siège du dommage. A priori, lorsqu’il n’y a pas eu de contact, l’intervention matérielle de chose immobilière n’est pas établie. On pourrait donc refuser d’admettre qu’il y a fait de la chose immobilière et écarter purement et simplement l’application de l’article 1384 alinéa 1. Mais, comme on l’a vu précédemment, la Cour de cassation n’a pas voulu aller jusque-là. Elle décide de longue date que l’absence de contact entre la chose immobilière et la personne ou l’objet ayant subi le dommage n’est pas nécessairement exclusive du lien de causalité307. Cependant, dans de telles circonstances, elle impose à la victime qui invoque la responsabilité du gardien de rapporter la preuve que la chose immobilière a joué un rôle actif dans la réalisation du préjudice. C’est ainsi que le demandeur, qui ne bénéficie pas d’une présomption
306 Civ. 2e, 4 juillet 1990, Bull. civ. II, n° 165 ; Civ. 2e, 29 avril 1998, RTD civ. 1998.913, obs. P. Jourdain ; Civ. 2e, 15 juin 2000, Liebrand, JCP 2000, éd. G, IV.2353 ; Civ. 2e, 19 février 2004, 2nd arrêt Liebrand, Resp. civ. et assur. Juin 2004, alerte 14.
307 Cf. supra, n° 96.
 
de causalité, devra, dans un tel cas, démontrer que la présence de la chose immobilière a été une condition sine qua non du dommage. La preuve du rôle actif résultera alors soit du « vice », soit de la position ou du comportement anormal de l’immeuble. Ainsi, dans l’affaire du risque d’éboulement de la falaise de la commune des Baux-de-Provence, la preuve du vice était rapportée puisque la falaise était fragilisée au point que certains blocs s’en étaient déjà détachés et que l’étude technique ordonnée par le maire avait révélé la nécessité de travaux confortatifs. En outre, il n’était pas contesté que ce fût ce vice qui avait rendu nécessaire l’arrêté administratif d’interdiction d’exploitation308.
Cette situation du demandeur au regard de la preuve du rôle actif est améliorée par l’introduction d’une présomption de causalité dans l’hypothèse où la chose immobilière en mouvement est entrée en contact avec le siège du dommage.

104.- La chose immobilière en mouvement est entrée en contact avec le siège du dommage. Dès lors que la chose immobilière était en mouvement et qu’elle est entrée en contact avec le siège du dommage, c’est-à-dire avec la victime ou un bien lui appartenant, on présume qu’elle en est « la cause génératrice ». Cette solution a été admise très tôt par la Cour de cassation dans deux arrêts des 9 juin 1939 et 19 février 1941309. Elle affirme que « pour l’application de l’article 1384 alinéa 1, la chose inanimée doit être la cause du dommage, mais que, du moment où il est établi qu’elle a contribué à la réalisation du dommage, elle est présumée en être la cause génératrice, sauf au gardien à apporter la preuve contraire » ou encore que « la chose est présumée être la cause génératrice du dommage, dès lors qu’inerte ou non, elle est intervenue dans sa réalisation »310. La victime peut donc se contenter dans une telle hypothèse de prouver l’intervention matérielle de la chose immobilière : dès lors qu’il y a eu à la fois mouvement et contact, il n’est pas déraisonnable de penser qu’elle a joué un rôle actif. Le gardien, selon la jurisprudence, doit être tenu a priori pour responsable, et il lui appartient pour tenter de s’exonérer de prouver que le dommage est en réalité imputable à une
cause étrangère311.
La doctrine enseigne généralement que cette présomption instituée au profit de la victime s’analyse en une présomption de causalité312. Si cette affirmation n’est pas inexacte,
308 Civ. 2e, 26 septembre 2002, JCP 2003.I.154 ; RTD civ. 2003.100, obs. P. Jourdain.
309 Civ. 9 juin 1939, DH. 1939.2.283 ; Civ., 19 février 1941, DC. 1941.85, note J. Flour.
310 A cette époque, la présomption jouait également pour les choses inertes. Mais, la jurisprudence est aujourd’hui revenue sur cette solution à leur égard.
311 Cf. infra, n° 143 et s.
312 V° notamment, H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, Les obligations, T. II, Vol. 1, Théorie générale, Montchrestien, 9e éd., 1998, n° 534 ; J. Flour et J.-L. Aubert, Les obligations, Vol. 2, Le fait
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elle ne rend cependant pas parfaitement compte de la réalité. C’est non seulement la causalité qui est présumée entre le fait de la chose immobilière et le dommage, mais aussi et surtout le fait de la chose immobilière lui-même313. En effet, avec la règle posée par la jurisprudence, le gardien peut être condamné à réparer alors que les circonstances exactes du dommage ne sont pas déterminées, et donc alors même que le fait actif de la chose immobilière demeure hypothétique314. Dans ces conditions, il est peut-être plus exact de parler d’une présomption de fait actif de la chose immobilière ou, selon l’expression d’un auteur, « de présomption de
fait défectueux de la chose315 ».
Si, aujourd’hui, la notion de fait de la chose immobilière, susceptible d’engager la responsabilité de plein droit du gardien, reçoit une interprétation des plus larges, incluant même l’hypothèse de la ruine d’un bâtiment, il faut cependant réserver le cas particulier dans lequel ce « fait » s’analyse en une communication d’incendie.

§ 2 : Le cas particulier de la communication d’incendie

105.- Cédant à la pression des compagnies d’assurances, émues devant les conséquences de l’application de l’article 1384 alinéa 1 aux dommages découlant d’un incendie316, le législateur a, par une loi du 7 novembre 1922 insérée aux alinéas 2 et 3 de l’article 1384, adopté un régime dérogatoire reposant sur la preuve de la faute du détenteur 317
juridique, Armand Colin, 9e éd., 2001, n° 250 ; B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Obligations, Droit civil, T. I, Responsabilité délictuelle, Litec, 5e éd., 1996, n° 487.
313 Collection Lamy droit civil, Droit de la responsabilité, Le principe général de responsabilité du fait des choses, Etude 260, Mai 2003, n° 260-73.
314 Alors que, dans le cas des choses inertes ou des choses en mouvement non entrées en contact avec le siège du dommage, c’est la victime qui doit supporter les conséquences de l’indétermination des causes du dommage. 315 Aubry et Rau, Droit civil français, T. VI, Vol. 2, Responsabilité délictuelle, Litec, 8e éd., par N. Dejean de la Bâtie, 1989, n° 122.
316 V° notamment Civ., 16 novembre 1920, affaire dite « des résines », DP. 1920.1.169, note Savatier, un incendie, né pour une cause inconnue dans la gare maritime de Bordeaux, avait gagné la voie publique et endommagé des immeubles voisins. La responsabilité de la Compagnie des chemins de fer du Midi fut engagée sur la base de l’article 1384 alinéa 1. Auparavant, la responsabilité ne pouvait être fondée que sur l’article 1382 du Code civil mais, le régime de la faute prouvée était défavorable aux victimes, privées de réparation notamment lorsque la cause du sinistre était inconnue.
317 Cf. infra, n° 131 et s.
 
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dès lors que le dommage a été provoqué par un immeuble (ou un meuble) dans lequel un incendie a pris naissance et qui s’est propagé aux biens des tiers. Ainsi, l’article 1384 alinéa 2 pose-t-il un fait générateur spécifique impliquant à la fois l’existence d’un incendie (A) et sa communication (B).
A) La nécessité d’un incendie

106.- L’exclusion de l’article 1384 alinéa 1 par la loi de 1922 n’est possible que dans le cas où le dommage subi par la victime trouve son origine dans un incendie qui a pris naissance dans tout ou partie d’un immeuble. Cela résulte très clairement de l’article 1384 alinéa 2. Mais, la notion d’incendie d’une chose immobilière peut faire difficulté et la jurisprudence a été amenée à la préciser (1°). De même, elle s’est interrogée sur l’influence des causes de l’incendie quant à l’application de l’article 1384 alinéa 2 (2°).

1°) La notion d’incendie

107.- La responsabilité de l’article 1384 alinéa 2 ne joue que si un incendie est né dans la chose immobilière. On ne saurait considérer qu’on est en présence d’un incendie chaque fois que des flammes s’échappent d’un objet. En effet, le feu dégageant de la chaleur ou d’autres procédés permettant la combustion d’éléments les plus divers sont utilisés dans la fabrication de l’énergie. Il n’y a là rien que de très normal. En réalité, il ne peut y avoir incendie qu’en présence d’une combustion anormale. L’incendie est avant tout un phénomène accidentel ou, pour employer la terminologie du droit des assurances, un sinistre. Aussi, les clauses types des contrats d’assurance contre l’incendie le définissent-ils comme « une combustion avec flammes en dehors d’un foyer normal ». Selon J. Fossereau, l’incendie peut encore être qualifié de « feu anormal destructeur et dangereux causant des dommages d’importance appréciable318 ». La jurisprudence en déduit que les dommages causés à des tiers doivent être la conséquence d’un foyer accidentel et anormal. Ainsi, un feu volontairement allumé ne constitue pas un incendie au sens de l’article 1384 alinéa 2 et ne peut donc entraîner une quelconque responsabilité sur ce fondement. C’est la solution retenue par la Cour de cassation à l’occasion d’une affaire dans laquelle une entreprise avait allumé
318 J. Fossereau, La notion d’incendie, LGDJ 1963, n° 165, p. 167.
 
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un feu pour brûler des branches à courte distance de bâtiments qui avaient été incendiés par les étincelles et escarbilles rabattues par le vent319.
De même, une combustion lente et progressive ne peut être considérée comme un incendie, celle-ci ne causant aucun embrasement à la surface du sol et ne se manifestant pas par une propagation visible du feu320. C’est alors sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 que la responsabilité est engagée pour les dommages subis par le voisinage. Une solution identique est retenue lorsque la chose immobilière a été à l’origine d’un incendie ou de dommages subis par un tiers mais sans avoir elle-même contenu un foyer normal ou fait l’objet d’un incendie. La Cour de cassation a ainsi décidé que, l’incendie ayant été provoqué par une forte chaleur dégagée dans le conduit de cheminée d’un appartement ce qui avait entraîné la lente combustion d’une poutre de l’appartement voisin, encastré dans le mur mitoyen, l’article 1384 alinéa 2 n’était pas applicable, l’incendie n’ayant pas pris naissance
dans l’immeuble du défendeur321.

108.- A l’incendie né dans la chose immobilière, on assimile l’incendie propagé, c’està-dire transmis par un autre bien et entraînant lui-même des dommages aux tiers. La responsabilité du détenteur du bien intermédiaire est engagée sur la base de l’article 1384 alinéa 2 dans la mesure où il a commis une faute favorisant la propagation de l’incendie322. Cette interprétation large contraste avec l’interprétation stricte de l’article 1384 alinéa 2 qui prédomine généralement, celui-ci dérogeant au principe général de responsabilité du fait des choses. Elle se justifie par la nécessité pratique de soumettre le détenteur de l’immeuble intermédiaire à un régime au moins aussi favorable que celui dont bénéficie le détenteur de l’immeuble où le feu a pris naissance. Cette analyse a été consacrée par la Cour de cassation
dans un arrêt du 3 juillet 1953323.
Si l’incendie doit avoir pris naissance dans tout ou partie de la chose immobilière, la cause de cet incendie est désormais indifférente à l’application de l’article 1384 alinéa 2.

2°) La cause de l’incendie

319 Civ. 2e, 17 décembre 1970, Bull. civ. II, n° 352.
320 Montpellier, 24 juin 1981, JCP G 1982.IV.224 ; V° également, motifs de la décision de Bourges, 20 juillet 1999, qui transparaissent dans de Civ. 2e, 13 mars 2003, Resp. civ. et assur. 2003.comm.159. 321 Civ. 2e, 11 janvier 1995, Bull. civ., n° 9.
322 Cf. infra, n° 132.
323 Civ. 2e, 3 juillet 1953, D. 1953, jurispr. p. 595.
 
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109.- La cause de l’incendie est ici entendue au sens de l’événement matériel l’ayant provoqué indépendamment de la considération de la faute324. La défaveur avec laquelle les juridictions considéraient l’article 1384 alinéa 2 avaient conduit celles-ci à recourir à la notion de « cause de l’incendie » pour réduire le champ d’application de ce texte. Elle le cantonnait aux cas où l’incendie était la cause première des dommages, en l’excluant lorsqu’il avait été provoqué par une autre cause. Aujourd’hui, la Cour de cassation a abandonné cette solution et décide que « la loi ne distingue pas suivant que la cause première de l’incendie a été ou non déterminée et qu’elle se trouve liée ou non à une chose dont le détenteur à un titre quelconque du fonds premier incendié serait le gardien ; il est nécessaire et suffisant pour l’application de l’alinéa 2 de l’article 1384 que l’incendie ait pris naissance dans l’immeuble ou les biens mobiliers dudit détenteur325 ». Ainsi, si l’engin où se situe le foyer normal, sans être incendié lui-même, provoque dans un premier temps l’incendie de biens du gardien et dans un second temps l’incendie de biens appartenant à des tiers, l’article 1384 alinéa 2 est susceptible de servir de fondement à l’action en responsabilité.
Concernant les rapports entre explosion et incendie, la jurisprudence décidait que l’article 1384 alinéa 2 était applicable lorsque l’incendie de la chose immobilière avait provoqué une explosion occasionnant des dommages à des tiers326, mais qu’il était inutilisable dans l’hypothèse où c’était l’explosion qui avait causé l’incendie de la chose immobilière, lequel avait entraîné des dommages à des tiers327. Cette solution a été condamnée par l’arrêt de principe de l’Assemblée plénière de Cour de cassation du 25 février 1966, et réaffirmée, après des hésitations, par un arrêt de la deuxième chambre civile du 13 février 1991328.
Enfin, la solution est identique lorsque l’incendie a pour origine un court-circuit ; cette circonstance n’exclut pas l’application de l’article 1384 alinéa 2. La Cour de cassation, dans un arrêt du 19 mars 1997, a ainsi censuré la décision d’une Cour d’appel qui avait rejeté l’action fondée sur l’article 1384 alinéa 2 exercée par les parents d’un jeune enfant brûlé suite à un incendie provoqué par un court-circuit sur un radiateur électrique placé dans la chambre où il dormait. Elle affirme « qu’en se déterminant ainsi, alors qu’elle constatait que le
324 Sur cette question, Cf. infra, n° 131 et s.
325 Ass. plén., 25 février 1966, D. 1966.389, note Esmein ; RTD civ. 1966.540, obs. R. Rodière ; V° également, Civ. 2e, 13 mars 2003, Resp. civ et assur. 2003.comm.159.
326Req., 1er février 1944, S. 1944.1.126.
327 V° par ex., Req., 14 février 1928, S. 1928.1.199 ; Civ. 14 mars 1958, Bull. civ. II, n° 202.
328 Civ.2e, 13 février 1991, RTD civ. 1991.341, obs. P. Jourdain ; V° également, Civ. 2e, 13 mars 1991, Bull. civ. II, n° 85.
 
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dommage causé à l’enfant était dû à l’incendie ayant pris naissance dans l’appartement, la
cour d’appel a violé le texte susvisé329.
L’existence d’un incendie n’est pas suffisante pour permettre l’application de l’article 1384 alinéa 2. Il faut également que l’incendie ait causé des dommages aux biens de tiers, notamment par sa communication.

B) La communication de l’incendie

110.- La responsabilité de l’article 1384 alinéa 2 s’applique littéralement aux dommages causés aux tiers par l’incendie né dans la chose immobilière du détenteur. L’hypothèse la plus fréquente est la communication de l’incendie avec les dommages matériels et éventuellement corporels qui en résultent. C’est pourquoi les développements consacrés à cette question sont souvent désignés par cette expression (1°). Cependant, la généralité des termes de la loi implique que tous les autres dommages découlant de l’incendie initial se trouvent également visés (2°).
1°) Les dommages liés à la communication de l’incendie
111.- Né dans un immeuble (ou dans un meuble), l’incendie peut indifféremment être communiqué à une chose mobilière ou immobilière.
En ce qui concerne les meubles, souvent les choses mobilières incendiées font ellesmêmes partie d’un immeuble touché également par l’incendie et peuvent avoir la nature d’immeubles par destination, comme par exemple un incendie communiqué à un entrepôt de
stockage de marchandises330.
On retrouve pour les immeubles touchés par la communication d’incendie la même diversité que pour les immeubles où l’incendie a pris naissance, immeubles bâtis ou non bâtis,
329 Civ. 2e, 19 mars 1997, Resp. civ. et assur. 1997.comm.185 ; RTD civ. 1997.951, obs. P. Jourdain. 330 TGI Paris, 4e ch., 18 mai 1994, Juris-Data n° 023954.
 
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à affectations diverses. Il y a même eu le cas d’un port de plaisance incendié par un bateau en
flammes331.
Le texte ne distinguant pas, les dommages concernés peuvent être non seulement matériels mais aussi corporels. La communication d’incendie peut entraîner différents dommages corporels. On peut notamment citer l’exemple du décès de l’occupant d’un immeuble incendié ayant fait une chute mortelle en tentant de descendre par une gouttière332, le cas d’une victime s’étant blessée en sautant par la fenêtre pour échapper à un risque d’asphyxie et de blessures333, ou encore l’hypothèse de l’intoxication d’un occupant par du
gaz de combustion334.
Les dommages matériels peuvent être considérables et entraîner des conséquences graves par exemple pour la survie de l’exploitation en cas d’incendie d’usine ou d’établissement. Ainsi, un arrêt a-t-il accordé des dommages-intérêts supplémentaires compte tenu de la liquidation de biens ultérieure de l’entreprise qui était la conséquence de la perte du
matériel335.
Si la réparation des dommages liés à la communication de l’incendie est l’hypothèse la plus fréquente d’une application de l’article 1384 alinéa 2, il n’en demeure pas moins que tous les autres dommages découlant de l’incendie initial peuvent aussi être réparés sur ce fondement.
2°) Les autres dommages
112.- M. Groutel rappelle : « Le texte est clair : il suffit que l’incendie qui a pris naissance dans les biens détenus par une personne ait causé des dommages336 ». Ainsi, il n’est pas nécessaire que l’incendie soit effectivement passé d’une chose immobilière à l’autre et ait livré cette dernière aux flammes pour que l’article 1384 alinéa 2 s’applique et ce malgré l’habitude prise de parler de « communication d’incendie ». Le recours à l’article 1384 alinéa 2 est donc possible que les dommages aient été ressentis dans ou hors de la chose immobilière où est né l’incendie.
331 Rennes, 7e ch., 5 juillet 1995, Juris-Data n° 052422.
332 Paris, 7e ch., 4 mai 1994, Juris-Data n° 022220.
333 Paris, 7e ch. A, 17 février 1993, Juris-Data n° 005203.
334 Paris, 7e ch., 30 avril 1997, Juris-Data n° 021529.
335 Paris, 21 janvier 1981, Juris-Data n° 021220.
336 H. Groutel, « L’article 1384 alinéa 2 du Code civil se porte bien », Resp. civ. et assur. 1996.chr.38.
 
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113.- Au titre de la réparation des dommages ressentis hors de la chose immobilière où est né l’incendie, sans qu’il y ait communication de l’incendie, la jurisprudence en fournit quelques illustrations. C’est le cas, par exemple, du préjudice économique subi par des commerçants voisins du fait que leur magasin ne pouvait être ouvert avant que l’immeuble incendié ait été abattu et qui ont alors été obligés de transporter leur établissement ailleurs337. La solution adoptée est la même concernant le dommage causé par la chaleur et la fumée issues d’un magasin incendié au crépi de l’immeuble et aux plantations voisines338.

114.- De même, les dommages ressentis dans la chose immobilière où est né l’incendie sont susceptibles de faire l’objet d’une réparation sur le fondement de l’article 1384 alinéa 2. Ainsi, la Cour de cassation, dans son arrêt du 19 mars 1997, a-t-elle admis l’application de ce texte au dommage subi par un enfant, brûlé en raison de l’incendie né dans l’appartement de la personne qui le gardait bénévolement. Or, sauf à assimiler abusivement la personne humaine à une chose, il est difficile de parler de communication d’incendie lorsque celui-ci provoque des brûlures. Pourtant, l’article 1384 alinéa 2 s’applique. La Cour suprême affirme clairement le principe selon lequel « il suffit que l’incendie soit né dans l’immeuble ou les biens mobiliers » du détenteur de la chose où est né l’incendie. Pour H. Groutel, cette jurisprudence constitue la preuve de la vitalité du texte, contrairement à la position de la majorité des auteurs et de la Cour de cassation qui réclament son abrogation. En effet, cette disposition est considérée comme ayant un fondement juridique incertain et aboutissant à des conséquences inéquitables339. La Chancellerie a d’ailleurs eu l’occasion d’affirmer, en écho aux opposants de ce texte, que des consultations étaient menées en vue de son abrogation340. Celle-ci ne semble pourtant plus à l’ordre du jour puisque, dans son dernier rapport annuel, la Cour de cassation affirme que la proposition de suppression ou de modification de ce texte figurant dans tous les rapports annuels depuis 1991 est retirée « eu égard à l’impossibilité manifeste de parvenir à une réforme », en raison du désaccord des autres départements
ministériels intéressés341.

337 Civ. 2e, 11 mai 1955, Bull. civ. II, n° 253.
338 Civ. 2e, 16 avril 1996, Bull. civ. II, n° 93 ; Resp. civ. et assur. 1996.chr.38, obs. H. Groutel.
339 En ce sens, G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les obligations, Les conditions de la responsabilité, 2e éd., LGDJ, 1998, n° 648 ; M.-F. Feuerbach-Steinle, « De l’opportunité de la suppression de l’alinéa 2 de l’article 1384 du Code civil, JCP N 1993.I.38 ; G. Courtière, « Communication d’incendie : une loi à éteindre », Gaz. Pal. 1995.1.610 ; Rapport annuel de la Cour de cassation depuis 1991, suggestions de modifications. 340 Rép. min. n° 2410, 12 août 1993, JCP G 1994.V.5 ; Rép. min. n° 30669, 8 janvier 1996, JCP G 1996.V.33. 341 Rapport annuel de la Cour de cassation 2003, p.12-13.
 
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115.- Annonce. Dès lors que les conditions d’engagement de la responsabilité du fait des choses inanimées sont réunies, à savoir le fait actif de la chose mobilière ou immobilière ou, par exception, la communication d’un incendie, il faut déterminer quelles personnes se verront imposer la charge de la réparation des dommages. C’est ici envisager la question de l’imputabilité de la responsabilité.
 
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Chapitre 2 : L’imputabilité de la responsabilité

116.- Aborder la question de l’imputabilité de la responsabilité suppose que l’on s’intéresse non seulement aux personnes susceptibles d’être déclarées responsables des dommages causés par le fait de l’immeuble (section 1), mais également aux possibilités d’exonération qui, même réduites, existent nécessairement, la responsabilité n’étant jamais sans limites (section 2).

Section 1 : La détermination de la personne responsable

117.- L’alinéa 1 de l’article 1384 du Code civil énonce qu’ « on est responsable du dommage causé par le fait des choses que l’on a sous sa garde ». Il résulte de ce texte, et de l’interprétation qui en a été faite par la jurisprudence, que le gardien de la chose immobilière est responsable de plein droit342 des dommages causés par celle-ci (§ 1). Cependant, l’alinéa 2 de l’article 1384 déroge à cette règle en prévoyant que le détenteur de la chose immobilière où est né un incendie n’engage sa responsabilité vis-à-vis des tiers que s’il est prouvé que l’incendie doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable (§ 2).

§ 1 : La responsabilité de plein droit du gardien de l’immeuble

118.- Depuis l’arrêt « Jand’heur » de 1930343, la jurisprudence voit dans la responsabilité du fait des choses inanimées une responsabilité objective qui ne repose pas sur une faute, même présumée, du gardien. En effet, dès lors que les conditions d’engagement de la responsabilité sont réunies, celui-ci est automatiquement déclaré responsable des
342 On parle aussi de présomption de responsabilité.
343 Cass. Ch. réun., 13 février 1930, Jand’heur, GAJC, 11e éd., n° 193 ; DP. 1930.1.57, concl. Matter, note Ripert ; S. 1930.1.121, note Esmein.
 
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dommages causés par la chose dont il a la garde344. Il n’est donc pas possible, à l’instar du langage courant, de définir le gardien comme la personne qui surveille, qui prend soin, cette définition présentant une connotation nettement subjective. Les auteurs s’accordent alors à dire que la garde est liée au pouvoir parce que la responsabilité est liée au pouvoir345. Pour déterminer le gardien, il faut donc préciser en quoi consiste ce pouvoir qui caractérise la notion de garde (A) et, ensuite, se demander qui exerçait ce pouvoir au moment du dommage, l’arrêt de 1930 rattachant la présomption de responsabilité à la garde de la chose immobilière et non à la chose immobilière elle-même (B).

A) La notion de garde

119.- C’est à l’occasion de l’affaire « Franck » que la Cour de cassation a défini la notion de garde, en énonçant les pouvoirs qui la caractérisent346. Selon la Haute juridiction, le gardien de la chose, mobilière ou immobilière, est celui qui dispose sur celle-ci, au moment du dommage, des pouvoirs « d’usage, de direction et de contrôle ». En l’espèce, elle considéra que le propriétaire d’un véhicule, dépossédé de ce dernier par un voleur, ne pouvait plus être considéré comme gardien de celui-ci et partant, ne devait pas assumer la responsabilité des dommages occasionnés par le voleur, dans la mesure où il n’avait plus au moment du dommage les pouvoirs caractérisant la garde, qui lui eussent permis éventuellement d’éviter le dommage. Cet arrêt marque le triomphe de ce qu’il est convenu d’appeler la conception matérielle de la garde, par opposition à la conception juridique, cette dernière approche désignant comme gardien celui qui était investi d’un droit sur la chose347. Au contraire, la solution consacrée en 1941 fait de la garde un simple pouvoir de fait, apprécié concrètement dans chaque espèce, et revient à réserver la qualité de gardien à celui qui, au moment du
344 Sous réserve des moyens d’exonération dont il peut disposer et qui seront envisagées plus loin, Cf. infra, n° 136 et s.
345 V° en ce sens, Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Droit civil, Les obligations, Défrénois, 2004, n° 198 ; G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les obligations, Les conditions de la responsabilité, 2e éd., LGDJ, 1998, n° 675.
346 Cass. Ch. réunies, 2 décembre 1941, Franck, DC. 1942.25, note G. Ripert ; S. 1941.1.217, note H. Mazeaud ; JCP G 1942.II.1766, note Mihura.
347 V° H. Mazeaud, « La faute dans la garde », RTD civ. 1925, p. 802 ; V° aussi sur les différentes approches possibles, A. Tunc, « La détermination du gardien responsable dans la responsabilité du fait des choses », JCP G 1960.I.1592.
 
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dommage, disposait de pouvoirs effectifs sur la chose permettant d’en assurer la maîtrise, même si ces pouvoirs trouvent leur origine dans une usurpation. Depuis l’arrêt « Franck », les juges ont repris avec constance sa définition de la garde348 dont il convient d’analyser les termes pour préciser la notion : d’une part, usage de la chose (1°), d’autre part, direction et contrôle de la chose (2°).

1°) Le pouvoir d’usage

120.- Le gardien de la chose immobilière, au sens de l’article 1384 alinéa 1, doit d’abord avoir l’usage de cette chose. L’expression date de l’arrêt des chambres réunies du 2 décembre 1941 qui entendaient par là démontrer que le propriétaire de la chose dépossédée par un vol ne pouvait avoir l’usage de cette chose, dans la mesure où c’était le voleur qui en bénéficiait. Cependant, le terme a été repris par presque tous les arrêts qui avaient à statuer sur la détermination du gardien aussi bien dans les cas où le propriétaire de la chose en avait été dépossédé involontairement que dans d’autres cas, faisant ainsi de l’usage un élément indispensable de la garde.
D’une façon générale, avoir l’usage d’une chose immobilière signifie que l’on utilise cette chose pour la satisfaction d’un besoin déterminé. Par conséquent, l’usage démontre une emprise sur la chose immobilière par son utilisateur. Cette emprise peut aussi bien être une emprise matérielle et directe qu’une emprise exercée par l’intermédiaire d’autrui. C’est ainsi que le commettant aura l’usage de la chose immobilière utilisée par son préposé par l’intermédiaire de celui-ci, dans la mesure où il peut lui donner des ordres. Il en résulte que celui qui a l’usage d’une chose immobilière n’est pas obligatoirement le détenteur matériel de cette chose. C’est en ce sens que certains auteurs ont opposé la garde matérielle qui appartient au simple détenteur et qui ne saurait autoriser l’application de l’article 1384 alinéa 1 à son encontre, à la garde juridique ou intellectuelle qui suppose un pouvoir autonome sur la chose immobilière, et le détenteur n’est pas obligatoirement investi d’un tel pouvoir.
Par conséquent, l’usage de la chose immobilière n’implique nullement la faculté de se servir matériellement de la chose à des fins personnelles. L’essentiel réside avant tout dans l’emprise directe ou indirecte d’un individu sur une chose. Ce n’est qu’à cette condition qu’on
348 V° par ex., Civ. 1re, 23 février 1977, Gaz. Pal. 1978.1.90, note Plancqueel, « La responsabilité du dommage causé par une chose est liée à l’usage qui est fait de la chose ainsi qu’aux pouvoirs de surveillance et de contôle exercés sur elle, qui caractérisent la garde » ; V° plus récemment, Civ. 2e, 24 avril 2003, D. 2003.IR.1340, qui énonce que pour déclarer un personne gardienne d’une chose, il faut préciser en quoi la personne a acquis sur cette chose un pouvoir d’usage, de contrôle et de direction effectif et indépendant caractérisant la garde.
 
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peut lui reconnaître un pouvoir d’usage sur la chose. Toutefois, si l’usage de la chose est nécessaire, il ne suffit pas à caractériser le gardien. Il faut, en outre, un pouvoir de contrôle et de direction. Ainsi, a-t-il été jugé qu’un groupement de fait ayant occupé une mine dans laquelle s’est déclaré un incendie n’a pas nécessairement la garde des locaux ; il faut pour cela qu’il dispose également de la direction et du contrôle de ces locaux349.

2°) Les pouvoirs de direction et de contrôle

121.- Avant l’arrêt des chambres réunies de 1941, la Cour de cassation avait défini le gardien en fonction du pouvoir qu’il exerçait, à titre autonome ou d’une façon indépendante, sur la chose immobilière. La responsabilité du fait des choses apparaissait alors comme la contrepartie des pouvoirs reconnus au gardien, pouvoirs qui, selon la jurisprudence, étaient caractérisés par la direction de la chose immobilière et son contrôle350. Les chambres réunies ainsi que les arrêts postérieurs ont repris ces termes. Ainsi, récemment, dans un arrêt du 24 avril 2003, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a approuvé la décision d’une Cour d’appel qui avait refusé la demande d’indemnisation fondée sur l’article 1384 alinéa 1 d’un alpiniste blessé par une pierre mise en mouvement par un autre, retenant qu’un alpiniste posant le pied sur une pierre « ne peut raisonnablement pas diriger et contrôler cette dernière » et qu’il n’exerce donc pas sur cette pierre les pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction qui caractérisent la garde d’une chose351.
La direction illustre le pouvoir d’initiative du gardien tandis que le contrôle de la chose immobilière implique une autorité sur celle-ci, c’est-à-dire la possibilité d’exercer un pouvoir de surveillance lui permettant, le cas échéant, d’empêcher qu’elle ne soit à l’origine de dommages. Les prérogatives matérielles dont dispose le détenteur de la chose immobilière sont autant d’indices permettant de constater ses prérogatives intellectuelles caractérisées par la direction et le contrôle cette chose immobilière. En effet, n’est gardien que celui qui dirige l’immeuble comme il l’entend, sans être soumis aux directives d’un tiers. Cela explique que la jurisprudence considère que les qualités de gardien et de préposé soient incompatibles352, ce dernier ne disposant pas de l’autonomie qui caractérise la garde matérielle. S’il a certes l’usage de la chose immobilière, il n’en a cependant pas la direction et le contrôle qui restent acquis à son commettant, seul apte à guider l’activité du préposé en lui fournissant des
349 TGI Nanterre, 30 juillet 1975, Gaz. Pal. 1976.1.somm.109.
350 V° notamment, Req., 15 décembre 1930, Gaz. Pal. 1931.1.121 ; Civ. 19 juin 1934, S. 1935.1.28. 351 Civ. 2e, 24 avril 2003, D. 2003.IR.1340.
352 Civ., 27 avril 1929, DP. 1929.1.129, note G. Ripert, solution constante et réaffirmée régulièrement.
 
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instructions353. Récemment, une Cour d’appel a rappelé implicitement ce principe d’incompatibilité des qualités de gardien et de préposé en désignant une entreprise de marché de travaux de terrassement, gardienne des parois d’une tranchée, alors qu’un de ses préposés avait commis une faute à l’origine de leur effondrement354.

122.- L’exigence d’un pouvoir de direction et de contrôle de la chose immobilière pour caractériser la garde aurait pu laisser penser que la qualité de gardien était également incompatible avec une absence de capacité de discernement de la personne, celle-ci pouvant difficilement remplir la condition d’autonomie et de maîtrise de la chose. Pourtant, dès 1964, la Cour de cassation admit qu’une personne atteinte d’un trouble mental puisse être considérée comme gardien355. Le législateur est venu consacrer cette position dans une loi du 3 janvier 1968 qui introduisit dans le Code civil un article 489-2 ainsi rédigé : « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental, n’en est pas moins obligé à réparation ». Une solution identique devait être adoptée à propos de l’infans dans un arrêt « Derguini » de l’Assemblée plénière du 9 mai 1984. La Haute juridiction dénia toute exigence de discernement pour l’application de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil, en l’occurrence à l’égard d’un enfant de 3 ans356. Cette jurisprudence, quelles que soient les critiques qui peuvent être émises à son encontre, est aujourd’hui d’application constante.
L’arrêt des chambres réunies de 1941 ayant consacré la conception de la garde matérielle, c’est-à-dire comme un simple pouvoir de fait, il convient de déterminer, dans chaque espèce, celui qui exerçait effectivement les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de la chose immobilière au moment du dommage, autrement dit celui qui disposait sur la chose immobilière d’un « pouvoir de commandement357.

B) La détermination du gardien de l’immeuble

353 V° sur ce thème, M.-A. Péano, « L’incompatibilité des qualités de gardien et de préposé », D. 1991.chr.51. 354 Pau, 21 novembre 2001, Juris-Data n° 2001-171364.
355 Civ. 2e, 18 décembre 1964, JCP G 1965.II.14304, note N. Dejean de la Bâtie.
356 Cass. Ass. plén., 9 mai 1984, JCP G 1984.II.20255, note N. Dejean de la Bâtie ; RTD civ. 1986.120, obs. J. Huet.
357 H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. II, 6e éd., Montchrestien, 1970, n° 1189.
 
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123.- L’application de la théorie de la garde matérielle ne détruit pas tous les liens entre les notions de garde et de propriété. Certes, il n’y a pas, en l’état actuel de la jurisprudence, d’assimilation possible de la garde et de la propriété. Pour autant, les tribunaux ne condamnent pas totalement la théorie de la garde juridique. La Cour de cassation conserve la première proposition de cette théorie, selon laquelle le gardien est en principe celui qui dispose d’un titre de propriété. Elle admet ainsi que le propriétaire de l’immeuble est présumé en être le gardien (1°). Mais cette présomption est une présomption simple. En effet, il est possible qu’au moment du dommage le propriétaire n’exerce plus la maîtrise effective de la chose immobilière, la garde ayant été transférée à un tiers non propriétaire mais qui dispose des pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle (2°).

1°) La présomption de garde pesant sur le propriétaire

124.- Partant du constat indiscutable que c’est le plus souvent le propriétaire de la chose immobilière qui dispose sur celle-ci des pouvoirs de fait caractérisant la garde, la Cour de cassation a institué une présomption en ce sens. En effet, par un arrêt du 12 janvier 1927, la Haute juridiction a posé que « si en principe le propriétaire est réputé avoir la garde de la chose, rien ne s’oppose à ce qu’il prépose un tiers à cette garde358 ». La jurisprudence n’a jamais varié depuis cette date et il a été fait application de cette présomption de garde de manière constante.
Lorsque le propriétaire est également le détenteur de la chose immobilière sur laquelle il exerce directement les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle, il n’y a pas de difficultés majeures, il est évidemment responsable des dommages qu’elle cause sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1. Mais, l’attribution de la qualité de gardien au propriétaire est moins évidente lorsque le contexte rend incertaine l’identité du détenteur de la chose immobilière. C’est précisément en de telles circonstances que réside l’intérêt de la présomption désignant le propriétaire comme gardien responsable. En effet, cela permet de trancher les situations douteuses et d’entraîner la responsabilité du propriétaire, faute de pouvoir constater le transfert à un tiers de la maîtrise de fait sur la chose immobilière. C’est ainsi que le propriétaire d’un immeuble loué par appartements demeure gardien du mur de façade359. De même, la première chambre civile de la Cour de cassation a admis que la mission de surveillance confiée à une entreprise spécialisée n’a pas pour effet de décharger le
358 Req., 12 janvier 1927, DP. 1927.1.145, note R. Savatier ; S. 1927.1.129, note H. Mazeaud. 359 Civ. 2e, 17 mai 1983, Gaz. Pal. 1983.2.pan. jurispr.275.
 
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propriétaire de sa responsabilité sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil360. Enfin, le propriétaire du sol est également propriétaire du sous-sol, ce qui fait présumer sa responsabilité en cas de dommages causés par des canalisations situées dans le sous-sol de la
parcelle litigieuse361
De façon générale, la Cour de cassation considère que les juridictions du fond ne peuvent écarter la présomption pesant sur le propriétaire sans préciser les circonstances d’où aurait résulté un transfert de la garde à un tiers362. Et, la jurisprudence a toujours considéré que le fait pour le propriétaire de confier la chose immobilière à un préposé ne réalise pas le transfert de garde puisque ce dernier ne dispose pas de l’autonomie qui caractérise la garde matérielle363 ; la présomption de garde continue donc de peser sur le propriétaire, alors même qu’il ne manipule pas lui-même la chose immobilière.
125.- En principe, la garde a un « caractère alternatif et non cumulatif »364. Cela signifie que les pouvoirs qui constituent la garde ne sauraient normalement appartenir à plusieurs personnes. Cependant, il est des décisions qui ont attribué collectivement la garde à plusieurs personnes désignées ensemble comme gardiens de la même chose immobilière. En réalité, la Cour de cassation distingue selon que les pouvoirs exercés sur la chose immobilière sont identiques ou différents : lorsque plusieurs personnes exercent simultanément sur la chose immobilière des pouvoirs identiques, les tribunaux admettent qu’elles peuvent être désignées ensemble comme gardien. Ainsi, en matière immobilière, lorsque plusieurs personnes possèdent sur le bien les mêmes pouvoirs issus de titres de propriété semblables, ils sont présumés co-gardiens. Ceci a été affirmé, par exemple, pour le cas d’un bien en
copropriété365 ou mitoyen366.
La jurisprudence a également admis que, pour une même chose, il soit possible de désigner deux gardiens dont l’un répondrait des dommages dus à la « structure », c’est-à-dire essentiellement au vice interne la chose, tandis que l’autre serait tenu des dommages imputables au « comportement », c’est-à-dire au mouvement et à l’utilisation de cette
360 Civ. 1re, 16 juin 1998, JCP G 1998.I.185, obs. G. Viney ; RTD civ. 1998.917, obs. P. Jourdain. 361 Civ. 3e, 14 novembre 2001, Resp. civ. et assur. 2002.comm.50.
362 Civ. 2e, 14 juin 1995, Bull. civ. II, n° 185.
363 Cf. supra, n° 121.
364 V° par ex., pour des arrêts l’affirmant, Civ. 1re, 15 novembre 1955, D. 1956.113, note R. Savatier ; Civ. 2e, 23 novembre 1972, Bull. civ. II, n°298.
365 Civ. 2e, 17 mars 1970, Bull. civ. II, n° 106 ; 21 novembre 1979, Bull. civ. II, n° 274.
366 Civ. 2e, 21 novembre 1979, JCP G 1980.IV.49, cas d’un rocher situé à cheval sur deux fonds.
 
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chose367. L’objectif de départ était de réaliser une plus juste répartition de la charge de la responsabilité du fait des choses entre leur propriétaire et les autres titulaires d’un pouvoir sur elles, et plus précisément d’accentuer la liaison entre garde et propriété afin d’alléger la responsabilité mise à la charge du gardien non propriétaire. La garde de la structure était alors attribuée au propriétaire368. En principe, cette distinction avait également vocation à ne s’appliquer qu’aux choses dotées d’un dynamisme propre susceptibles de se manifester dangereusement, catégorie qui ne semblait guère concerner les immeubles. Cependant, certaines décisions l’ont appliquée à des choses ne présentant pas a priori de dynamisme structurel et parmi lesquelles se retrouvent toutes sortes d’immeubles tels qu’un terril369, un
tuyau d’eau370, un balcon371 ou encore à des arbres372. Elle fait aujourd’hui l’objet de vives
critiques de la part de la doctrine. De plus, la Cour de cassation ne semble désormais s’y référer qu’avec parcimonie et il est possible de se demander si, à plus ou moins long terme, la jurisprudence n’est pas susceptible de l’abandonner purement et simplement.
La présomption de garde n’est donc pas une simple présomption de fait mais une présomption de droit qui s’impose au juge. Il ne s’agit cependant pas d’une présomption irréfragable puisqu’il est admis que le gardien puisse être un tiers qui dispose des pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle.

2°) L’acquisition par le non propriétaire des pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle

367 Distinction proposée par Bertold Goldman dans sa thèse soutenue en 1946, « La détermination du gardien responsable du fait des choses inanimées », éd. Sirey, 1947.
368 Par la suite, des arrêts ont imputé cette garde de la structure au fabricant ou au revendeur d’un produit défectueux, favorisant de ce fait la situation du propriétaire, souvent lui-même victime. Aujourd’hui, on peut s’interroger sur l’avenir d’une telle jurisprudence en raison de l’introduction dans notre droit, par une loi du 19 mai 1998, de la directive européenne du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité des produits défectueux et prévoyant à la charge du fabricant une responsabilité stricte profitant uniformément à toutes les victimes du défaut de sécurité d’un produit, indépendamment de leur qualité de cocontractants ou de tiers. 369 Civ. 2e, 24 mai 1984, Bull. civ. II, n° 95 ; RTD civ. 1985.400, note J. Huet.
370 Civ. 3e, 12 juin 1969, Bull. civ. III, n° 473, la Cour de cassation décide que le locataire d’un immeuble n’est pas gardien de la structure d’un tuyau d’eau.
371 Civ. 2e, 6 avril 1987, Gaz. Pal. 1987.pan. juripr.140.
372 V° par ex., Civ. 2e, 18 juin 1975, Bull. civ. II, n° 190, en l’espèce, la Cour de cassation a considéré que le propriétaire avait perdu la garde de la structure.
 
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126.- Si la présomption de garde pesant sur le propriétaire s’est imposée parce qu’elle allie « vraisemblance et commodité »373, pour autant, elle ne reflète pas toujours la réalité. En effet, il est possible que, au moment du dommage, le propriétaire n’exerce plus la maîtrise effective de la chose immobilière, soit qu’il en ait perdu la garde soit qu’il l’ait transférée au profit d’un tiers.

127.- La perte involontaire de la garde. Depuis l’arrêt « Franck »374, il est admis que tout pouvoir de commandement sur une chose, qu’il soit de droit ou de fait, et même s’il trouve son origine dans une usurpation et notamment dans un vol suffit à déterminer le gardien. Sans doute, l’arrêt ne le dit-il pas expressément, et en particulier il ne précise pas que le voleur de l’automobile est devenu gardien à la place de son propriétaire. Cependant, la solution ne saurait faire de doute dans la mesure où, si le propriétaire a perdu les pouvoirs qui caractérisent la garde, c’est que celle-ci appartient obligatoirement à celui qui s’est emparé illégalement de la chose. La solution est logique dans la mesure où la garde est un pouvoir effectif de maîtrise sur la chose et elle est en constante en jurisprudence non seulement lorsqu’il s’agit d’un vol proprement dit, mais aussi de toute utilisation d’une chose par un tiers à l’insu de son propriétaire ou contre son gré. Et, il en va de même en matière de chose immobilière. Ainsi, l’occupant sans droit d’un local en devient le gardien et doit répondre des dommages causés par son fait375. De même, un propriétaire n’est plus gardien des arbres que la commission des sites empêche d’abattre376. De façon générale, c’est l’incapacité du propriétaire à surveiller la chose immobilière qui lui fait perdre sa qualité de gardien, et corrélativement la confère au tiers qui acquiert la faculté de prévenir les dommages. La charge de la preuve pèse ici sur le propriétaire qui doit démontrer le caractère involontaire de la
dépossession377.
373 F. Leduc, « La responsabilité du fait des choses : réflexions autour d’un centenaire », Economica, 1997, p. 45. La justification d’une telle affirmation réside dans le fait que le propriétaire est celui qui, statistiquement, a le plus souvent l’usage, la direction et le contrôle de la chose, et que par ailleurs, étant le mieux à même de contracter l’assurance, il offre le double avantage d’une réparation effective pour la victime, indolore pour le responsable.
374 Cass. Ch. réunies, 2 décembre 1941, DC. 1942.25, note G. Ripert ; S. 1941.1.217, note H. Mazeaud ; JCP G 1942.II.1766, note Mihura.
375 Civ. 1re, 23 février 1977, D. 1977.IR.3.
376 Rennes, 29 septembre 1966, Gaz. Pal. 1966.2.302.
377 Civ. 2e, 22 janvier 1970, D. 1970, jurispr. p. 228 ; 21 février 1973, Bull. civ. II, n° 64.
 
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128.- Le transfert volontaire de la garde. Le plus souvent cependant, le propriétaire perdra sa qualité de gardien à la suite d’un transfert volontaire de la garde, c’est-à-dire la transmission à autrui des pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle. Ce transfert pourra tout d’abord résulter d’une remise de la chose immobilière à un tiers en vertu d’un contrat. En effet, les tribunaux admettent, en règle générale, que certains contrats opèrent par définition un transfert de garde, dans la mesure où ils confèrent au détenteur la totalité des prérogatives caractérisant la garde matérielle. Encore faut-il vérifier que le détenteur dispose de la maîtrise effective de la chose immobilière. Ainsi, le contrat de vente implique-il un transfert de garde du vendeur à l’acquéreur dès que ce dernier dispose effectivement des pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle. A cet égard, l’acheteur peut donc devenir gardien de la chose immobilière avant d’en acquérir la propriété ou postérieurement à l’acquisition de cette propriété.
De même, le contrat de location produit lui aussi en principe un transfert de la garde du bailleur au locataire. C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt récent, a engagé la responsabilité du locataire d’un immeuble destiné à organiser des expositions du fait d’une marche non signalée378. Cela étant, l’existence d’un contrat de bail ne permet pas toujours à elle seule de conclure à un transfert de la garde de la chose immobilière au preneur. Le bailleur demeure ainsi gardien d’un champ sur lequel est situé l’arbre qui est tombé sur une voiture garée à proximité. En effet, l’article 1719 du Code civil impose au bailleur d’entretenir la chose louée en état de servir à l’usage prévu et d’assurer la permanence et la qualité des plantations. En l’occurrence, il n’appartenait donc pas au locataire de surveiller le bon état des arbres, ni de vérifier qu’il ne présentait aucun danger de chute pour les tiers379. Par ailleurs, la responsabilité du locataire est écartée lorsqu’il perd la maîtrise effective de la chose immobilière. Ainsi, l’action en responsabilité engagée sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 à l’encontre du locataire d’un appartement en raison du décès de sa fiancée et des frères et sœurs de celle-ci par intoxication à l’oxyde de carbone dégagée par le chauffeeau, ne peut aboutir, dès lors qu’il est établi que le locataire se trouvait sur son lieu de travail le jour du sinistre et qu’il n’avait donc plus, du fait de son absence prolongée, ni l’usage, ni la direction, ni le contrôle du chauffe-eau. Il ne pouvait en conséquence ni prévoir, ni empêcher la mise en place d’un chiffon humide sur la face supérieure du chauffe-eau, cause exclusive de l’accident, la garde de l’appareil ayant été transférée aux occupants de l’appartement380.
378 Paris, 25 juin 2001, Resp. civ. et assur. 2001.comm.282. 379 Bourges, 17 février 1999, Juris-Data n° 1999-041114. 380 Lyon, 1er mars 2000, Juris-Data n° 2000-132247.
 
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Enfin, le contrat d’entreprise est en principe à l’origine d’un transfert de la garde de la chose immobilière que l’entrepreneur doit entretenir, réparer, modifier, aménager. Ainsi, en matière de construction immobilière, l’entrepreneur est généralement le gardien de l’ensemble des éléments du chantier, c’est-à-dire que, outre la garde des matériels et des matériaux utilisés, il acquiert celle du terrain occupé381. Les tribunaux doivent toutefois constater que la maîtrise de la chose immobilière incombait effectivement à l’entrepreneur et qu’il avait donc « toute possibilité de prévenir lui-même le préjudice que (la chose) peut causer382 ». Cette jurisprudence fait peser sur le propriétaire un devoir d’information. A défaut de s’en acquitter, il demeure gardien responsable.
Cette analyse concrète du transfert de la garde prévaut aussi, a fortiori, en l’absence de contrat. Cette seconde situation, si elle n’est pas la plus fréquente, est toutefois parfaitement envisageable, la garde et le transfert de celle-ci n’étant pas forcément conditionnés par un pouvoir juridique sur la chose immobilière. Les pouvoirs caractérisant la garde sont des pouvoirs de fait et le transfert de la garde peut donc intervenir indépendamment de tout acte juridique conclu sur la chose.
Si le gardien de la chose immobilière est présumé responsable des dommages causés par le fait quelconque de celle-ci, en revanche, le détenteur de la chose immobilière dans laquelle un incendie a pris naissance n’engage sa responsabilité que s’il est démontré que l’incendie doit être attribué à sa faute ou à celle des personnes dont il doit répondre.

§ 2 : La faute du détenteur du bien dans lequel un incendie a pris naissance

129.- L’article 1384 alinéa 2 envisage la responsabilité de « celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ». L’absence de précisions du texte a suscité des interrogations relativement au terme de « détenteur » (A) dont la faute est exigée pour engager sa responsabilité (B).

A) La notion de « détenteur »

381 Civ. 2e, 28 mars 1990, RTD civ. 1991.346, obs. P. Jourdain.
382 Civ. 1re, 9 juin 1993, JCP G 1994.II.22202, note G. Viney ; RTD civ. 1993.833, obs. P. Jourdain.
 
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130.- La loi prend soin de préciser qu’elle « ne s’applique pas aux rapports entre propriétaires et locataires, qui demeurent régis par les articles 1733 et 1734 du Code civil »383. C’est que la responsabilité qui incombe au locataire à l’égard de son propriétaire du fait de l’incendie de la chose immobilière louée ressort du domaine de la responsabilité contractuelle, non de celui de la responsabilité délictuelle, seul visé par la loi de 1922. Mais, dans ce dernier domaine, quelles sont les personnes visées par la loi ; quelles sont celles qui ne répondent du dommage causé par une chose immobilière incendiée qu’à la condition que leur faute soit établie ? Plus précisément, l’intérêt direct d’une telle question est de savoir si les personnes visées par l’article 1384 alinéa 1, les « gardiens », correspondent aux « détenteurs » évoqués par la loi de 1922.
Il est tout d’abord certain que l’article 1384 alinéa 2, en désignant « celui qui détient, à un titre quelconque », ne vise certainement pas la détention stricto sensu, au sens technique du terme, c’est-à-dire le fait d’avoir une emprise sur un bien en vertu d’un titre attribuant à autrui la propriété du bien384, et qui s’oppose à la possession. En adoptant la loi du 7 novembre 1922, le législateur a donc entendu consacrer la détention au sens large, c’est-à-dire le fait d’avoir une chose dans les mains. La définition des personnes responsables donnée par le texte ne correspondrait alors pas à celle du gardien responsable en vertu de l’article 1384 alinéa 1. En effet, il est admis que le gardien ne se confond pas avec le détenteur : si, d’une part, un gardien peut être détenteur, tous les détenteurs ne sont pas gardiens, et si, d’autre part, un détenteur peut être gardien, tous les gardiens ne sont pas détenteurs. Par conséquent, le détenteur de l’article 1384 alinéa 2 serait un individu qui, soit parce qu’il est propriétaire ou possesseur, soit pour toute autre raison, a une emprise matérielle sur une chose. Dans une certaine mesure, ce peut être le cas d’un gardien responsable en vertu de l’article 1384 alinéa 1 quand le pouvoir d’usage, de contrôle et de direction appartient à une personne qui dispose en même temps de la chose immobilière entre ses mains. Mais que décider à propos de celui qui ne détient pas matériellement cette chose ? Par exemple, un commettant gardien de la chose immobilière remise à son préposé, un propriétaire gardien de la chose immobilière remise à un locataire, etc. Ces individus n’étant pas détenteurs, même à un titre quelconque, ne pourraient donc pas être poursuivis sur la base de l’article 1384 alinéa 2 et, par conséquent, même en cas d’incendie, l’article 1384 alinéa 1 demeurerait applicable à leur encontre. Le fait
383 Code civil, article 1384 alinéa 3.
384 G. Cornu, Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, v. Détention, P.U.F., 8e éd., 2000.
 
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que le mot garde ait été écarté lors de la discussion de la loi pourrait être un argument en
faveur de cette position385.
Si la jurisprudence avait voulu limiter le plus possible l’article 1384 alinéa 2, en l’interprétant littéralement, elle aurait peut-être pu adopter cette façon de voir. Cependant, pareille interprétation aurait abouti à vider le texte de sa signification véritable. En effet, le législateur de 1922 est intervenu pour soustraire, en cas d’incendie, à la présomption de responsabilité de l’article 1384 alinéa 1, tous ceux qui étaient soumis à cette présomption, et il n’est intervenu que pour cela. La loi de 1922 doit donc nécessairement s’appliquer à tous les « gardiens ». En visant « celui qui détient, à un titre quelconque » la chose incendiée, le législateur n’a songé qu’à donner une formule aussi compréhensive que possible. Se servir de cette formule pour restreindre à certains gardiens la portée de la loi serait aller directement à l’encontre de ses intentions.
Deux hypothèses peuvent donc se présenter : ou bien l’éventuel responsable n’est pas gardien au sens de l’article 1384 alinéa 1, ou bien il est gardien au sens de ce texte. S’il n’est pas gardien, aucune exception à l’interprétation de l’article 1384 alinéa 1 n’est à envisager puisque, par hypothèse, le texte ne saurait être appliqué à l’encontre d’un individu qui n’est pas gardien. Dans ce cas, il s’agit du droit commun de l’article 1382 qui est, du reste, conforme aux dispositions de l’article 1384 alinéa 2. S’il est gardien, il n’est pas possible d’appliquer l’article 1384 alinéa 1, non parce que les conditions d’application ne sont pas réunies comme dans l’hypothèse précédente, mais parce que l’alinéa 2 de cet article exclut l’intervention de l’alinéa 1 dans le cas de communication d’incendie. S’il devait en être autrement, la réforme opérée par la loi de 1922 n’aurait aucun sens et aucune portée. Par conséquent, l’individu visé par l’article 1384 alinéa 2 est le même que celui visé par l’alinéa 1er ; les personnes auxquelles s’applique la loi de 1922 sont les « gardiens » de l’article 1384 alinéa 1, c’est-à-dire celles qui ont relativement à la chose immobilière incendiée un pouvoir de commandement386. C’est en ce sens que s’est prononcée la Cour de cassation387, tout comme la majorité de la doctrine388. Un auteur a d’ailleurs proposé, à cet égard, de substituer
385 A. Besson, « Le recours des voisins en cas d’incendie et la loi du 7 novembre 1922 », Rev. crit. légis. et juris. 1927, p. 316.
386 Cf. supra, n° 121 et s., sur la notion de garde.
387 Civ. 2e, 23 novembre 1961, Gaz. Pal. 1962.1.154 ; Civ. 1re, 5 janvier 1978, JCP G 1978.IV.78 ; Civ. 2e, 3 octobre 1979, D. 1980.325 (1re espèce), note Larroumet, assimile la notion de détenteur à celle de gardien à propos de l’implosion d’un téléviseur qui a provoqué un incendie.
388 V° notamment, H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle, T. II, 6e éd., Montchrestien, 1970, n° 1342 et s. ; F. Bénac-Schmidt et C. Larroumet,
 
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la notion de garde à celle de détention, considérant que ce n’est qu’au prix d’une déformation de cette dernière que la personne est déclarée responsable sur le fondement de l’article 1384 alinéa 2 dès lors que l’incendie est imputable à un individu dont elle doit répondre. En effet, en principe, seul celui-ci dispose de la détention matérielle de l’immeuble alors que le responsable n’en a que la direction intellectuelle389.
S’il est admis, selon l’opinion dominante, que le terme de « détenteur » désigne le gardien de l’article 1384 alinéa 1, c’est-à-dire celui qui a l’usage, la direction et le contrôle de l’immeuble, sa responsabilité dans l’hypothèse de l’article 1384 alinéa 2 n’est cependant plus présumée mais suppose la preuve que l’incendie doit être attribué à sa faute ou à celle des personnes dont il est responsable.

B) L’exigence d’une faute

131.- La victime, pour obtenir réparation, doit démontrer que l’incendie, cause de son préjudice, trouve son origine dans une faute. La jurisprudence a adopté une conception extensive de la faute (1°) qui peut être imputable au détenteur lui-même ou aux personnes dont il doit répondre (2°).

1°) La conception extensive de la faute

132.- L’article 1384 alinéa 2 du Code civil met à la charge de la victime la preuve de la faute du détenteur du bien immobilier dans lequel un incendie a pris naissance avant d’incendier le bien de la victime. Cette faute à retenir ne consiste pas seulement dans celle qui a donné naissance au sinistre, mais s’étend à toute négligence ou imprudence ayant concouru à l’extension ou l’aggravation du sinistre. Ainsi, dans un arrêt du 31 mai 1976, la troisième chambre civile de la Cour de cassation déclare en ce sens : « La responsabilité de celui qui détient à un titre quelconque tout ou partie de l’immeuble (…) dans lequel l’incendie a pris naissance est engagée vis-à-vis des tiers victimes des dommages causés par cet incendie dès lors qu’il est prouvé que soit la naissance dudit incendie soit son aggravation ou son extension
Rép. civ. Dalloz, 2e éd., 1989, La responsabilité du fait des choses inanimées, n° 465 et s ; Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action, 2002/2003, n° 7751. 389 S. Szames, « L’abrogation de l’article 1384 alinéa 2 du Code civil : une nécessité aujourd’hui impérieuse », P.A., 27 mars 2002, p. 6 et s.
 
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doivent être attribuées à sa faute ou à celle des personnes dont il est responsable390 ». En l’espèce, cela permettait d’octroyer une réparation à la victime malgré l’ignorance de l’origine du sinistre. Récemment, la deuxième chambre civile a réaffirmé cette solution en approuvant une Cour d’appel d’avoir retenu la responsabilité d’un exploitant d’un site de stockage d’hydrocarbures, considérant que sa faute avait contribué tant à la naissance, au développement ou à la propagation de l’incendie qu’à la réalisation des dommages391. M. Durry approuve cette jurisprudence au motif que « la loi de 1922 a eu pour objet d’interdire, en cas d’incendie, le recours à l’article 1384 alinéa 1, non pas d’empêcher le jeu normal de l’article 1382392 ». En effet, en vertu de l’article 1382 du Code civil, toute faute ou imprudence, même légère, engage la responsabilité de son auteur, et il doit en être de même sur le fondement de l’article 1384 alinéa 2 qui n’est qu’une application de la responsabilité pour faute prouvée de l’article 1382. Cette conception extensive de la faute traduit également le désir des tribunaux de retenir plus facilement la responsabilité du défendeur et de diminuer ainsi la portée de la dérogation à l’article 1384 alinéa 1, laquelle est particulièrement défavorable aux victimes et à contre courant de l’évolution générale de la responsabilité civile tendant à l’amélioration de l’indemnisation des victimes.

133.- Les illustrations jurisprudentielles des comportements fautifs retenus sur le fondement de l’article 1384 alinéa 2 sont ainsi nombreuses et diversifiées. Pour la plupart, il est cependant possible de les regrouper en trois catégories essentielles. Tout d’abord, la faute peut être caractérisée par la méconnaissance de règles administratives de construction. Par exemple, constitue une faute le fait de ne pas se conformer à une prescription administrative imposant l’existence d’un mur séparatif en maçonnerie d’épaisseur suffisante pour s’opposer à la propagation d’un incendie393. Parfois, l’incendie peut être dû à la non-conformité d’une installation électrique. Ainsi, un propriétaire d’immeuble a engagé sa responsabilité pour n’avoir pas remplacé une installation électrique vétuste, alimentant un chauffe-eau dans une salle de bains, qui, suite à un court-circuit, a provoqué un incendie394. Enfin, la faute peut consister en un manquement à l’obligation légale de débroussaillage. La Cour de cassation en a ainsi décidé, dans un arrêt du 1er février 1973, en condamnant deux propriétaires de terrains
390 Civ. 3e, 31 mai 1976, Bull. civ. III, n° 236 ; V° également précédemment, Civ. 2e, 4 décembre 1969, RTD civ. 1970.781, obs. G. Durry.
391 Civ. 2e, 12 décembre 2002, Resp. civ. et assur. 2003.comm.59.
392 G. Durry, note sous Civ. 2e, 4 décembre 1969, RTD civ. 1970.781.
393 Civ. 2e, 9 mai 1972, Bull. civ. II, n° 134.
394 Paris, 7e ch., 21 février 1996, Juris-Data n° 020825.
 
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qui n’avaient pas rempli leur obligation de débroussaillage, permettant de ce fait la propagation de l’incendie à un terrain voisin395.
Mais, de façon générale, toute imprudence ou négligence ayant contribué à la naissance ou à la propagation de l’incendie peut être prise en considération, même sans violation d’une réglementation préexistante. Ainsi, pour le cas d’une armoire de commande d’un ascenseur placée dans un environnement relativement combustible à proximité de la charpente396, d’une utilisation imprudente d’un chauffage d’appoint dans une pièce encombrée d’emballages facilement inflammables397, ou encore d’un propriétaire ayant éteint l’incendie lui-même sans avertir les pompiers et sans surveillance postérieure de l’immeuble398. Une simple abstention est donc suffisante s’il est établi que le comportement qui a fait défaut aurait pu éviter la naissance ou la propagation de l’incendie.
Cette faute peut être attribuée non seulement au détenteur lui-même mais également aux personnes dont il est responsable.

2°) Responsabilité du fait personnel ou responsabilité du fait d’autrui

134.- Responsabilité du fait personnel. Fréquemment, le détenteur est en même temps le propriétaire de l’immeuble. Ainsi, dans un immeuble en copropriété, chaque propriétaire est détenteur des parties privatives, le syndicat l’étant des parties communes. Par exemple, dans un arrêt du 31 mars 1978, la Cour de cassation a retenu la responsabilité du syndicat des copropriétaires pour un incendie né dans les parties communes d’un immeuble, l’entrée de celui-ci donnant accès à un hall d’exposition rempli d’objets inflammables399 En revanche, lorsque le sinistre est né dans les parties privatives, le copropriétaire concerné peut seul engager sa responsabilité vis-à-vis des copropriétaires sinistrés, les indemnités éventuelles étant réparties parmi ceux-ci en fonction de la consistance de leur lot.
Cependant, il arrive que le propriétaire transfère la détention de l’immeuble à un tiers, notamment un locataire. Si ce dernier répond du dommage causé au propriétaire par l’incendie de la chose louée sur la base des articles 1733 et 1734 du Code civil400, par contre, en ce qui concerne le dommage causé aux tiers, sa responsabilité est engagée sur le fondement
395 Civ. 2e, 1er février 1973, Gaz. Pal. 1973.1.somm.62.
396 Civ. 2e, 22 novembre 1995, Juris-Data n° 004091. 397 Paris, 7e ch., 4 mai 1994, Juris-Data n° 022220.
398 Grenoble, 2e ch. civ., 29 avril 1997, Juris-Data n° 041017. 399 Civ. 2e, 31 mars 1978, JCP N 1978.prat.543. 400 Code civil, article 1384 alinéa 3.
 
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de l’article 1384 alinéa 2. Le transfert de la détention peut découler d’un contrat, mais ce n’est pas obligatoirement toujours le cas. En effet, ce transfert peut très bien être étranger à tout contrat. En la matière, les solutions dégagées sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 à propos du transfert de la garde sont applicables, le détenteur étant assimilé au gardien401.

135.- Responsabilité du fait d’autrui. En énonçant que « celui qui détient l’immeuble (…) ne sera responsable (…) que s’il est prouvé qu’il doit être attribué (…) à la faute des personnes dont il est responsable », l’article 1384 alinéa 2 permet d’engager la responsabilité du détenteur sur le fondement de la responsabilité du fait d’autrui. Les cas les plus fréquents concernent la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés. Conformément à l’article 1384 alinéa 2, pour que la responsabilité du commettant soit engagée, il faut que la faute du préposé dans la naissance ou la propagation de l’incendie soit établie. Ainsi, la preuve des fautes des dirigeants et préposés d’une entreprise industrielle rend celle-ci responsable de la naissance et du développement d’un incendie et de sa propagation à l’immeuble voisin402. La responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur pourra également être engagée. Mais, elle jouera dans des conditions plus strictes du fait de l’exigence, découlant de l’article 1384 alinéa 2, de la preuve d’une faute du mineur. Et, d’une manière générale, l’article 1384 alinéa 2 renvoie aux différents cas de responsabilité du fait d’autrui prévus par le Code civil. Ainsi, la responsabilité du détenteur sera, de même, engagée si l’auteur de l’incendie ou celui qui a participé à son aggravation est un apprenti ou un élève. La jurisprudence a même admis, récemment, que l’article 1384 alinéa 2, en visant « les personnes dont on est responsable », s’applique à des marginaux, auteurs d’un incendie allumé par imprudence, et dont une commune avait toléré la présence dans les lieux, endossant par là d’avance les conséquences dommageables de cette situation403. La Cour de cassation fait ainsi une interprétation « autonomiste » de la formule qui semblait auparavant ne renvoyer qu’aux cas de responsabilité du fait d’autrui visés aux alinéas 4 et s. de l’article 1384.
Une fois désigné comme responsable, le gardien ou le détenteur peut toutefois échapper aux conséquences de sa responsabilité en se prévalant de certaines circonstances qui constituent des modes d’exonération.
401 Cf. supra, n° 126 et s.
402 Paris, 19 novembre 1984, Gaz. Pal. 1985.2.somm.248.
403 Civ. 2e, 22 mai 1995, Dr. et patr. novembre 1996, p. 69, obs. F. Chabas.
 
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Section 2 : Les modes d’exonération du responsable

136.- Envisager les modes d’exonération suppose que, l’espace d’au moins un instant, la charge de la réparation ait pesée sur le responsable désigné. C’est pourquoi, les répliques du défendeur tendant à faire constater le défaut d’une condition d’application de la responsabilité, telles que le transfert de la garde à autrui au moment de l’accident404 ou l’absence de faute en cas de responsabilité du fait d’une chose incendiée405, se situent, stricto sensu, en amont de la notion d’exonération, même si, pratiquement, elles en sont très proches, surtout dans une perspective judiciaire.
En s’en tenant au problème de l’exonération proprement dite, il est possible d’observer le caractère inopérant de certains modes d’exonération notamment à l’égard du gardien de l’immeuble (§ 1), tandis que la cause étrangère apparaît quant à elle comme un moyen d’exonération efficient tant à l’égard du gardien que du détenteur (§ 2).

§ 1 : Les modes d’exonération inopérants du gardien

137.- Les tribunaux excluent depuis longtemps l’absence de faute du gardien de la liste des modes d’exonération de responsabilité du fait des choses (A). La situation est plus ambigüe en ce qui concerne le rôle passif de la chose. L’évolution jurisprudentielle traduit son effacement progressif, à un point tel qu’il ne semble plus être envisagé aujourd’hui comme un mode d’exonération de responsabilité (B).

A) L’exclusion constante de l’absence de faute

138.- La question s’est très tôt posée de savoir si la preuve de l’absence de faute permettait au gardien de s’exonérer de sa responsabilité. A l’heure des prémices de la responsabilité du fait des choses, le célèbre arrêt dit « du remorqueur » a implicitement limité
404 Cf. supra, n° 126 et s. 405 Cf. supra, 131 et s.
 
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l’exonération de responsabilité à la preuve d’un cas fortuit ou d’une force majeure, excluant par là même l’absence de faute du gardien des instruments mis à sa disposition pour échapper aux conséquences de sa responsabilité. En l’espèce, la chaudière d’un remorqueur ayant explosé et tué un ouvrier, la chambre civile faisait peser la charge de la réparation sur l’employeur, après avoir constaté que l’explosion trouvait son origine dans un vice de fabrication de la chaudière non constitutif d’un cas de force majeure. En privant en l’occurrence le défendeur de toute possibilité d’exonération, elle sous-entendait que seule la force majeure aurait pu lui permettre d’échapper aux conséquences de sa responsabilité406.
Après une période de flou jurisprudentiel, la chambre civile de la Cour de cassation a expressément et définitivement refusé au gardien la possibilité d’invoquer utilement son absence de faute407. Et, le fameux arrêt « Jand’heur » a confirmé cette solution : la présomption de responsabilité établie par l’article 1384 alinéa 1 du Code civil « ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui est pas imputable ; il ne suffit pas de prouver qu’il (le gardien) n’a commis aucune faute408. L’exclusion de l’absence de faute des modes d’exonération n’a, depuis, pratiquement
pas été remise en cause409.

139.- Le refus généralement opposé au gardien qui se prévaut de son absence de faute à titre exonératoire explique notamment l’échec du moyen fondé sur son acquittement par une juridiction pénale. Cette circonstance ne permet pas au défendeur déclaré responsable sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil par une juridiction civile, d’échapper aux conséquences de cette responsabilité. A cet égard, l’autorité au civil de la chose jugée au pénal a pour seul et unique effet de faire obstacle à la découverte d’une faute du défendeur par la juridiction civile. Par ailleurs, la jurisprudence a associé à l’exclusion systématique de l’absence de faute du gardien celle de l’indétermination des circonstances. L’arrêt « Jand’heur » précise : « il ne suffit pas de prouver qu’il (le gardien) n’a commis aucune faute
406 Civ., 16 juin 1896, « Teffaine », D. 1897.1.433, concl. Sarrut, note Saleilles ; S. 1897.1.17, note Esmein.
407 Civ., 21 janvier 1919 et Civ., 15 mars 1921, D. 1922.1.25 (1re et 3e espèce), note Ripert ; Civ., 16 novembre 1920, D. 1920.1.169, note Savatier.
408 Cass. ch. réun., 13 février 1930, « Jand’heur », GAJC, 11e éd., 2000, n° 193, obs. F. Terré et Y. Lequette ; DP. 1930.1.57, concl. Matter, note Ripert ; S. 1930.1.121, note Esmein ; V° également, Civ. 2e, 20 novembre 1968, JCP G 1970.II.16567, note Dejean de la Bâtie ; RTD civ. 1969.337, obs. Durry, qui affirme que « le principe de la responsabilité du fait des choses inanimées trouve son fondement dans la notion de garde, indépendamment (…) de toute faute personnelle du gardien ».
409 Civ. 2e, 20 juillet 1981, JCP G 1982.II.19848, note Chabas ; RTD civ. 1982.423, obs. Durry ; Civ. 2e, 4 juin 1984, Gaz. Pal. 1984.2.634, note Chabas.
 
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ou que la cause du fait dommageable est demeurée inconnue » pour détruire la présomption de responsabilité établie par l’article 1384 alinéa 1 du Code civil. C’est conforter implicitement la jurisprudence qui écarte l’exonération justifiée par le comportement prudent et diligent du gardien. Par exemple, le propriétaire d’un ascenseur ne peut s’exonérer de sa responsabilité en arguant que l’ouverture de la porte palière à l’origine du dommage n’a pu se faire que par une manipulation anormale de l’appareil qui ne lui est pas imputable, ce dont il résulte que les circonstances de l’accident sont indéterminées410. L’ouverture anormale n’aurait pu être prise en compte que si elle avait revêtu les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité spécifiques de la cause étrangère411.
Une telle constance jurisprudentielle est assez exceptionnelle dans le contentieux afférent à la responsabilité du fait des choses. Elle se justifie en la matière, aussi bien en raison de considérations d’opportunité, qu’en raison de considérations juridiques. Sur le plan de l’opportunité, les tribunaux se sont toujours montrés soucieux de concevoir un régime de responsabilité du fait des choses protecteur des intérêts des victimes, notamment en limitant les possibilités offertes au gardien de s’exonérer. C’est ce qui explique sans doute que, même à l’époque où la Cour de cassation fondait l’application de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil sur une présomption de faute, elle refusait d’y voir une présomption simple, susceptible d’être détruite par la preuve contraire de l’absence de faute. Le gardien de l’immeuble dommageable était présumé en faute. Mais, on lui interdisait d’établir qu’il n’en avait pas commise. D’un point de vue juridique, l’exclusion de l’absence de faute de la liste des modes d’exonération s’impose incontestablement depuis la consécration d’un système de responsabilité de plus en plus objective, après l’abandon de l’expression « présomption de responsabilité » consacrée par l’arrêt « Jand’heur », et son remplacement par la notion de « responsabilité de plein droit »412. Le gardien est alors tenu, indépendamment d’une quelconque référence à sa faute, de tous les risques engendrés par son activité, réserve faite de la survenance d’une cause étrangère413.
Alors que le caractère inopérant de l’absence de faute comme mode d’exonération ne fait aujourd’hui plus aucun doute, l’influence de la preuve du rôle passif de la chose sur l’exonération du gardien suscite davantage d’incertitude. Il est toutefois possible de constater un net recul de cette cause d’exonération, au point que la question de son maintien en tant que telle se pose de plus en plus.
410 Civ. 2e, 29 mai 1996, Bull. civ. II, n° 117.
411 Cf. infra, n° 143 et s.
412 Civ. 2e, 24 novembre 1959, JCP G 1959.II.10935, note Rodière.
413 Cf. infra, n° 143 et s.
 
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B) L’effacement progressif du rôle passif

140.- C’est dans un arrêt de 1941 que la Cour de cassation découvre le rôle passif de la chose immobilière, dont elle semble faire d’emblée un mode d’exonération de la responsabilité du fait des choses. En l’espèce, une cliente d’un établissement de bains, victime d’une syncope, était tombée sur la tuyauterie du chauffage central et s’était brûlée. La chambre civile exonère le propriétaire de l’établissement de toute responsabilité, au motif que, si la chose « est présumée être la cause génératrice du dommage, dès lors qu’inerte ou non elle est intervenue dans sa réalisation, le gardien peut détruire cette présomption en prouvant que la chose n’a joué qu’un rôle purement passif, qu’elle a seulement subi l’action étrangère génératrice du dommage ; qu’il résulte des constatations des juges du fond que tel a été le cas en l’espèce, la tuyauterie contre laquelle la dame Cadé s’est affaissée se trouvant installée dans des conditions normales et la cause génératrice du dommage résidant toute entière dans la syncope qui a fait tomber la dame Cadé de la chaise où elle était assise, et a permis qu’elle demeurât inanimée en contact avec un tube chaud assez longtemps pour être brûlée414 ». Autrement dit, le lien de causalité, présumé sur le fondement de la participation matérielle de la chose immobilière à la réalisation du dommage, peut être contredit par la preuve que la chose immobilière n’a pas réellement causé le dommage, parce qu’elle était « installée dans des conditions normales ». La même solution a été consacrée par la chambre des requêtes, dans l’hypothèse où un piéton était tombé après avoir heurté une bouche d’eau. La bouche d’eau n’a eu qu’un rôle passif exonératoire415. Loin de restreindre l’effet exonératoire du rôle passif aux choses immobilières inertes, les tribunaux en ont étendu l’application aux choses immobilières en mouvement. A ce stade de l’évolution, le rôle passif libérait le défendeur qui démontrait avoir utilisé la chose immobilière dans des conditions normales au moment de la réalisation du dommage.
Très protectrice des intérêts du gardien, cette solution éloignait la responsabilité du fait des choses d’un système de responsabilité objective, fondée sur le risque. A cet égard, une doctrine majoritaire a constaté que la possibilité offerte au gardien d’échapper aux conséquences de sa responsabilité en prouvant la normalité de l’utilisation de la chose immobilière au moment de la réalisation du dommage, produisait un retour de la faute parmi
414 Civ. 19 février 1941, GAJC, 11e éd., 2000, n° 200, obs. F. Terré et Y. Lequette ; DC. 1941.85, note Flour. 415 Req., 13 février 1942, JCP G 1942.II.2037, note Rodière.
 
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les principes directeurs de la responsabilité du fait des choses. En effet, il s’agit purement et simplement d’admettre que le gardien peut échapper aux conséquences de sa responsabilité en établissant ne pas avoir commis de faute dans son devoir de surveillance de la chose immobilière. C’est pourquoi cette position a été abondamment critiquée416. Il est vrai qu’elle semble en contradiction avec un système de responsabilité du fait des choses qui n’est pas fondé sur la faute du gardien.
L’exonération du gardien sur le fondement du rôle passif de la chose immobilière visait à lui épargner la délicate preuve d’une cause étrangère présentant les caractères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité417. En effet, dans la mesure où il pouvait se contenter de démontrer la normalité du comportement de la chose immobilière litigieuse, il n’avait pas à désigner la cause précise du dommage. Or, l’évolution du régime de la responsabilité du fait des choses démontre qu’il n’y a plus de raison particulière de faciliter la tâche du gardien responsable. D’une part, la limitation de la présomption de rôle actif de la chose immobilière au cas où une chose immobilière en mouvement entre en contact avec la victime, oblige celle-ci à supporter la charge de la preuve de la participation causale de la chose immobilière, et protège indirectement le gardien. D’autre part, la fonction protectrice du rôle passif de la chose ne s’impose pas dans la mesure où l’assurance de responsabilité permet au gardien responsable assuré de ne pas supporter la charge finale de la réparation, tout en offrant à la victime une indemnisation systématique et intégrale de ses préjudices.

141.- L’anachronisme du retour implicite à la faute et l’inutilité du rôle passif ont été perçus progressivement par les tribunaux. Même si l’évolution jurisprudentielle est chaotique, il semble qu’elle se soit progressivement orientée vers un abandon de la fonction exonératoire du rôle passif pour aborder la question du fait de la chose immobilière en amont, c’est-à-dire au stade des conditions de mise en jeu de la responsabilité. Ainsi, à cet égard, l’arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est significatif. Un enfant de deux ans est blessé à la suite d’une chute sur un escalator d’un hôtel. La Cour d’appel déboute les parents de la victime de leur demande de réparation car ils n’ont pas démontré que l’escalator, utilisé dans des conditions normales, a joué un rôle actif dans la réalisation du dommage. La décision est cassée au motif « qu’en exonérant l’hôtel de la présomption de responsabilité qui pesait sur lui alors que, s’agissant d’un escalator en mouvement, instrument du dommage, il
416 V° par ex., J. Flour, note sous Civ., 19 février 1941, DC. 1941.85. ; G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 2e éd., 1998, n° 667 et s. ; Ph. le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action, 2002/2003, n° 7802.
417 Cf. infra, n° 143 et s.
 
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appartenait à son gardien de démontrer que l’accident avait une cause étrangère au fonctionnement de l’escalator et revêtait à l’égard de l’hôtel un caractère imprévisible et irrésistible, la Cour d’appel a violé le texte susvisé418. La solution a d’autant plus de portée que le contexte se prêtait tout particulièrement à l’exonération du gardien par la preuve du rôle passif de la chose immobilière. Certes, l’escalator est en mouvement, ce qui rend au premier abord difficile le constat de son rôle passif. Mais, c’est en l’occurrence la victime qui a chuté dans l’escalator, lequel se déplaçait dans des conditions parfaitement normales. Il n’était pas possible de mieux observer le rôle passif de la chose immobilière et celui, actif, de la victime dans la réalisation du dommage. Par le passé, c’est en pareilles circonstances que la Cour de cassation avait le plus aisément admis la fonction exonératoire du rôle passif de la chose.

142.- Cela étant, certains arrêts se réfèrent encore expressément à la notion de rôle passif, entretenant par là même quelques doutes quant à l’abandon effectif de ce mode d’exonération. Ainsi, dans une affaire où la victime avait plongé dans un étang à un endroit où la profondeur était insuffisante, la deuxième chambre civile a retenu le rôle passif de la chose immobilière pour exonérer la société qui exploitait la base de loisirs de sa responsabilité419. Plus récemment, référence est faite au rôle passif d’une rampe fixe inclinée assurant la liaison entre deux planchers d’un magasin sur laquelle la victime s’est blessée en tombant. La Cour de cassation affirme qu’ « il n’était ni allégué ni démontré que la rampe fixe présentât un défaut d’entretien ou un vice interne, que la présence d’un tel dispositif dans un magasin type grande surface exposant du mobilier n’apparaît pas contraire aux conditions normales de sécurité et que la chose n’avait eu qu’un rôle passif dans la survenance de la chute420 ».
Si certains auteurs, sur la base de ces décisions, continuent d’inscrire le rôle passif parmi les modes efficients d’exonération de la responsabilité du fait des choses421, il semble cependant que la notion n’est aujourd’hui plus utilisée au stade de l’exonération, mais au stade des conditions de la responsabilité, lorsque se pose le problème de la participation causale de la chose immobilière, c’est-à-dire du fait de la chose immobilière422. Autrement
418 Civ. 2e, 2 avril 1997, Resp. civ. et assur. 1997.comm.255, note F. Leduc.
419 Civ. 2e, 14 décembre 2000, Resp. civ. et assur. 2001.comm.76, obs. H. Groutel. 420 Civ. 2e, 11 juillet 2002, Resp. civ. et assur. 2002.comm.326.
421 V° par ex., Ph. le Tourneau et L. Cadiet, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz action, 2002/2003, n° 7921.
422 V° en ce sens, J. Flour et J.-L. Aubert, Droit des obligations, vol. 2, Le fait juridique, Armand Colin, 10e éd., 2003, n° 281 ; V° également, S. Bertolaso, La responsabilité du fait des choses, Modes d’exonération, JurisClasseur, 2004, Responsabilité civile et assurances, fasc. 150-60, p. 6, qui considère que la formulation utilisée
 
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dit, le gardien qui veut échapper aux conséquences de sa responsabilité ne peut plus se contenter d’établir le rôle passif de la chose immobilière, sans désigner la cause précise du dommage. Il doit alléguer une cause étrangère déterminée. Ce mode d’exonération peut également être invoqué utilement par le détenteur de l’immeuble dans lequel un incendie a pris naissance.
§ 2 : La cause étrangère : mode d’exonération efficient
143.- Le gardien de l’immeuble, responsable, ne peut se décharger des conséquences de sa responsabilité qu’en démontrant que le dommage a été causé en tout ou partie par une cause étrangère. C’est ce qui résulte notamment du célèbre arrêt « Jand’heur », selon lequel « la présomption de responsabilité établie par l’article 1384 alinéa 1 du Code civil à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé le dommage à autrui, ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable423 ». La notion de cause étrangère, initialement spécifique à la responsabilité contractuelle comme en témoignent les dispositions de l’article 1148 du Code civil, a été transposée par les tribunaux à la responsabilité délictuelle du fait des choses. Elle constitue un moyen d’exonération efficace, sous réserve de revêtir les caractères généraux d’imprévisibilité, d’irrésistibilité et d’extériorité. Autrement dit, le gardien doit établir l’existence d’un événement qu’il n’a pas pu prévoir et auquel il n’a pas pu résister, ou plus exactement, dont il n’a pas pu éviter les effets. En outre, cet événement doit être extérieur non seulement au gardien mais encore à la chose immobilière elle-même. Cette dernière exigence écarte de la liste des causes étrangères exonératoires le vice de la chose immobilière. Cette solution a été expressément et clairement exprimée, par exemple à propos d’un glissement de
par la Cour de cassation dans son arrêt du 11 juillet 2002- « la chose n’avait eu qu’un rôle passif dans la survenance de la chute » et donc « elle n’avait pas été l’instrument du dommage »- manifeste « ostensiblement la volonté de la haute juridiction de ne pas faire du rôle passif un mode d’exonération de responsabilité, mais un mode d’appréciation de l’intervention causale de la chose, au moment où se pose la question de savoir si les conditions de la responsabilité sont réunies ».
423 Cass. ch. réun., 13 février 1930, « Jand’heur », GAJC, préc.
 
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terrain dû à un relèvement de la nappe phréatique424, de l’accident provoqué par la chute de rochers425, de celui provoqué par la chute d’un arbre en raison de sa pourriture426.
Si l’appréciation de l’extériorité au gardien et à la chose immobilière n’a subi aucun infléchissement au cours du temps, l’analyse des notions d’imprévisibilité et d’irrésistibilité s’est modifiée. De l’exigence d’un événement absolument imprévisible et irrésistible, on est passé à celle d’un événement « normalement » imprévisible et irrésistible. Cependant, en la matière, la jurisprudence apparaît d’une grande complexité et un certain flou demeure quant aux principes à appliquer, certaines décisions semblant déduire la prévisibilité de la simple survenance de l’événement, alors que d’autres n’exigent que le caractère irrésistible pour retenir l’existence d’une cause étrangère exonératoire. Cette complexité de la notion est accrue par l’hétérogénéité de son régime, selon que la cause étrangère prend la forme d’un cas de force majeure (A), du fait d’un tiers, ou du fait ou de la faute de la victime (B).
A) La force majeure
144.- Si on s’en tient aux dispositions de l’article 1148 du Code civil, force majeure et cause étrangère semblent synonymes. Cette conception extensive de la force majeure ne tient pas compte de la distinction opérée par les tribunaux entre les différentes représentations de la cause étrangère. Dans une conception plus restrictive, la force majeure s’entend de « manifestations des forces de la nature » telles un tremblement de terre ou un cyclone427. A titre exceptionnel, la force majeure prend la forme d’un comportement humain, pourvu qu’il s’intègre dans un cadre collectif et anonyme (par exemple une émeute) ou qu’il intervienne au nom de l’autorité publique (on parle alors de fait du prince).
Les événements naturels cumulent rarement les caractères de la cause étrangère. Soit l’exigence d’extériorité fait défaut ~ et c’est le cas notamment en présence d’un vice indécelable de la chose428 ~ soit l’événement litigieux n’est ni imprévisible, ni irrésistible. En pratique, les tribunaux procèdent à une appréciation circonstancielle et se montrent généralement très sélectifs au détriment de l’intérêt du gardien. Ainsi, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a-t-elle admis que « l’événement extérieur exceptionnel
424 Civ. 2e, 20 novembre 1968, JCP G 1970.II.16567, note N. Dejean de la Bâtie. 425 Civ.2e, 24 Juin 1971, Bull. civ. II, n° 236.
426 Civ. 2e, 5 mai 1975, Bull. civ. II, n° 135.
427 J. Flour et J.-L. Aubert, Droit des obligations, vol. 2, Le fait juridique, Armand Colin, 10e éd., 2003, n° 267. 428 Cf. supra, n° 143.
 
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constitué par l’abondance des pluies ne constituait pas un cas de force majeure que les époux X ne pouvaient ni prévoir ni empêcher ». Ils ne peuvent donc pas échapper aux conséquences de leur responsabilité encourue en qualité de gardien, et doivent réparation des dommages causés par le déversement des terres dont ils sont propriétaires429. Cela étant, la jurisprudence se caractérise en la matière par une grande incertitude, ce qui ne facilite guère la tâche des plaideurs.
Lorsque le gardien cherche à se prévaloir du comportement d’un individu pour échapper aux conséquences de sa responsabilité, il invoque généralement le fait de la victime ou d’un tiers. Ce n’est donc qu’exceptionnellement qu’une activité humaine s’apparente à un cas de force majeure. Par exemple, la deuxième chambre civile a qualifié la décision d’une commune, à l’origine du débordement d’un canal artificiel privé, de fait du prince équivalent
à la force majeure430.

145.- Si la force majeure est rarement constatée, elle produit cependant des effets particulièrement significatifs. Pendant longtemps, elle a systématiquement entraîné l’exonération totale du gardien, lequel était ainsi dispensé de réparer le préjudice subi par la victime. Mais, la Cour de cassation a progressivement nuancé sa jurisprudence en ne retenant qu’une exonération partielle de responsabilité dans des hypothèses où la force majeure cohabitait avec un fait de la chose ou un fait de la victime ayant eux-mêmes contribué à la réalisation du dommage. Dans le célèbre arrêt « Lamoricière », il a été admis que le naufrage du paquebot du même nom était dû pour 4/5° à un violent cyclone, et pour 1/5° au fait de la chose, en l’occurrence du charbon défectueux431. Certains auteurs s’inquiètent de cet infléchissement jurisprudentiel au motif que « l’on ne peut pas mesurer le pouvoir causal de deux antécédents432 ». D’autres relèvent que « les forces de la nature sont plus ou moins extérieures, imprévisibles et insurmontables » et qu’il « n’est pas exclu que le calcul d’une causalité partielle puisse être scientifiquement établi433 ».Cela étant, l’exclusion de toute exonération de responsabilité, même partielle, semble constante en présence d’événements ne présentant pas les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité434.
429 Civ. 2e, 22 février 2002, Resp. civ. et assur. 2003.comm.60.
430 Civ. 2e, 22 février 1973, Bull. civ. II, n° 70.
431 Cass. Com., 19 juin 1951, JCP G 1951.II.6426, note Becqué ; D. 1951.717, note Ripert ; dans le même sens, Civ. 2e, 13 mars 1957, JCP G 1957.II.10084, note Esmein.
432 J. Flour et J.-L. Aubert, Droit des obligations, vol. 2, Le fait juridique, Armand Colin, 10e éd., 2003, n° 268. 433 F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 8e éd., 2002, n° 799. 434 Civ. 2e, 22 novembre 1978, Bull. civ. II, n° 243.
 
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Si le doute subsiste quant à l’existence d’une exonération partielle en présence d’un cas de force majeure, il est évincé quand le gardien se prévaut du fait d’un tiers ou de la victime pour échapper aux conséquences de sa responsabilité.
B) Le fait du tiers ou de la victime
146.- Si le fait du tiers (1°) ou de la victime (2°) ont été admis très tôt comme des moyens offerts au gardien d’échapper aux conséquences de sa responsabilité, l’efficacité de tels modes d’exonération varie cependant selon les circonstances.
1°) Le fait du tiers
147.- Le fait du tiers ne produit pas les mêmes effets selon qu’il revêt ou non les caractères de la cause étrangère.

148.- Le fait du tiers présentant les caractères de la force majeure. La Cour de cassation a très tôt subordonné l’exonération totale du gardien à la présence d’un fait d’un tiers imprévisible et irrésistible435. Concernant la condition d’extériorité, la jurisprudence a précisé que le gardien ne pouvait utilement se prévaloir du fait d’une personne dont il est civilement responsable (enfant ou préposé notamment), faute pour lui de réunir toutes les conditions caractéristiques de la cause étrangère exonératoire436. En principe, seul le fait du tiers que le gardien ne pouvait pas « normalement » prévoir est totalement exonératoire, l’appréciation de l’imprévisibilité dépendant notamment de la gravité de la faute du tiers ou du caractère soudain de son intervention437. Mais, même si le caractère fautif du comportement du tiers peut accroître, en pratique, son caractère imprévisible, la force
435 Civ., 19 juin 1934, DH. 1934.209.
436 Req., 22 janvier 1945, Gaz. Pal. 1945.1.84.
437 Civ. 2e, 24 octobre 1963, Gaz. Pal. 1964.1.63 ; V° également, J. Boré, note sous Civ. 2e, 11 juillet 1963, JCP 1964.II.13607.
 
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exonératoire du fait du tiers est, en principe, la même que ce fait soit fautif ou non. De même, peu importe que le tiers n’ait pu être identifié dès lors que le gardien est parvenu à établir son
existence438.

149.- Le fait du tiers ne présentant pas les caractères de la force majeure. Lorsque le fait du tiers ne présente pas les caractères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité requis en vue de l’exonération totale, il produit des effets différents dans les rapports du gardien et de la victime et dans les rapports du gardien et du tiers. La Cour de cassation a d’abord admis l’exonération partielle du gardien en présence du fait d’un tiers prévisible et surmontable, sous réserve de sa contribution à la production du dommage439. Cette solution a été abandonnée. Désormais, le gardien de la chose immobilière instrument du dommage, hors le cas où il établit l’existence d’une cause étrangère totalement exonératoire, est tenu dans ses rapports avec la victime à la réparation intégrale440. Cependant, le fait du tiers autorise le gardien à engager une action récursoire contre le tiers dont le comportement a contribué à la réalisation du dommage. Et, c’est dans ce cadre que la qualification du fait du tiers présente une importance déterminante. S’il n’est pas constitutif d’une faute, le gardien ne pourra obtenir qu’un remboursement partiel de la somme versée à la victime à titre de réparation, le recours aboutissant à une division par tête de la dette de réparation. En revanche, si le fait du tiers est fautif, le gardien est habilité à recourir contre lui pour le tout.
L’attitude de la victime est également susceptible d’avoir une influence sur l’étendue de la responsabilité du gardien.

2°) Le fait de la victime

150.- L’efficacité du mode d’exonération constitué par le comportement de la victime varie selon qu’il est fautif ou non fautif.

151.- La faute de la victime. La faute de la victime est appréciée en fonction des critères habituels de la faute. Il s’agit donc d’une faute objective qui consiste dans un comportement non conforme à celui qu’aurait adopté, dans les mêmes circonstances, le « bon père de famille » normalement prudent et diligent. Autrement dit, c’est une erreur de conduite.
438 Req., 1er août 1929, DP. 1930.1.25, note Josserand.
439 Civ. 2e, 15 janvier 1960, JCP G 1962.II.12728, note Esmein ; D. 1961.681, note Radouant.
440 Civ. 2e, 15 juin 1977, JCP G 1978.II.18780, note Baudouin ; Civ. 2e, 26 avril 1990, Bull. civ. II, n° 79 ; Civ. 2e, 29 mars 2001, RTD civ. 2001.598, obs. Jourdain ; Civ. 2e, 13 mars 2003, D. 2003.IR.866.
 
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Si le gardien établit l’existence d’une faute de la victime présentant les caractères de la cause étrangère, à savoir extérieure, imprévisible et irrésistible, il échappe à toutes les conséquences de sa responsabilité. La solution est acquise depuis longtemps et la rédaction des décisions ne laisse pas le moindre doute : le gardien doit établir l’existence d’une faute de la victime constitutive d’une « cause étrangère » et « revêtant un caractère imprévisible et irrésistible »441. De façon générale, les juridictions procèdent à une appréciation circonstancielle pour déterminer si le comportement fautif de la victime est extérieur, imprévisible et irrésistible. Il ressort, en la matière, une hostilité de la Cour de cassation à toute indulgence en faveur du gardien normalement attentif et prudent. Dès lors, les demandes d’exonération fondées sur une faute de la victime constitutive d’une cause étrangère aboutissent de moins en moins.
Lorsque la faute de la victime ne présente pas les caractères de la cause étrangère, l’exonération du gardien ne peut être en revanche que partielle. Dans un premier temps, la Cour de cassation permettait au gardien de s’exonérer totalement de sa responsabilité, quand bien même la faute de la victime n’était ni imprévisible, ni irrésistible442. Mais, très vite, les tribunaux ont manifesté leur volonté de faciliter l’accès de la victime à la réparation de son dommage et ont alors considéré que seule l’exonération partielle était envisageable443. Sous réserve de l’intermède de la jurisprudence « Desmares », excluant toute exonération partielle du gardien, notamment celle résultant d’une simple faute de la victime444, la Cour de cassation affirme régulièrement, en présence d’une faute de la victime ne présentant pas les caractères de la cause étrangère, que « le gardien de la chose instrument du dommage est partiellement exonéré de sa responsabilité s’il prouve que la faute de la victime a contribué au dommage445 ». Concernant le calcul du partage de la réparation, les tribunaux ont opté pour une méthode attribuant à la victime une part de responsabilité d’autant plus forte que la faute commise est grave.
Concernant l’acceptation fautive des risques par la victime, c’est-à-dire le fait de s’exposer à une situation à laquelle « le bon père de famille », normalement prudent et
441 Civ. 2e, 2 avril 1997, Resp. civ. et assur. 1997.comm.255, note Leduc ; 25 juin 1998, Resp. civ. et assur. 1998.comm.296, obs. Groutel ; 11 janvier 2001, RTD civ. 2001.375, obs. Jourdain ; 11 juillet 2002, Resp. civ. et assur. 2002.comm.325 ; 27 mars 2003, D. 2003.IR.1078.
442 V° notamment, Req., 10 juillet 1923, S. 1926.1.297, note Esmein.
443 V° par ex., Civ., 8 février 1938, GAJC, 11e éd., 2000, n° 204, obs. F. Terré et Y. Lequette.
444 Civ. 2e, 21 juillet 1982, « Desmares », GAJC, 11e éd., 2000, n° 205, obs. F. Terré et Y. Lequette ; RTD civ. 1982.106, obs. Durry.
445 Civ. 2e, 6 avril 1987 (3 arrêts), GAJC, 11e éd., 2000, n° 205, obs. F. Terré et Y. Lequette, mettant un terme à la jurisprudence « Desmares ».
 
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diligent, ne s’exposerait pas, elle ne donne lieu à aucun traitement spécifique. Elle emporte donc, soit une exonération totale lorsqu’elle est imprévisible et irrésistible, soit une exonération partielle si elle n’est pas constitutive d’un cas de force majeure.

152.- Le fait non fautif de la victime. A l’inverse de la faute de la victime, le simple fait de la victime suppose sa participation au dommage sans qu’il soit nécessaire de la caractériser au regard des critères usuels d’appréciation de la faute. Lorsque le fait de la victime est extérieur, imprévisible et irrésistible, l’exonération totale du gardien est systématiquement retenue. Les tribunaux ne procèdent à aucune différenciation, fut-ce terminologique, entre la « faute » et le « fait » de la victime. La solution s’impose dans la mesure où le comportement de la victime est alors doté d’une efficience causale telle qu’elle exclut toute contribution du gardien à la réalisation du dommage.
En revanche, lorsque le fait de la victime ne présente pas les caractères de la cause étrangère, la jurisprudence refuse désormais toute exonération, même partielle, du gardien. Dans un premier temps, la Cour de cassation censurait les décisions qui subordonnaient l’exonération du gardien à la preuve d’une faute ; elle se contentait d’un fait de la victime et de son lien de causalité avec le dommage pour limiter la responsabilité du gardien. L’arrêt « Desmares » mit un terme à cette jurisprudence en écartant toute possibilité d’exonération partielle du gardien. La question de cette exonération partielle du gardien en présence d’un fait non fautif de la victime ne s’est posée de nouveau qu’à la suite de l’abandon de la jurisprudence « Desmares ». La rédaction des arrêts du 6 avril 1987 semble nettement exclure toute possibilité de partage de responsabilité, l’exonération partielle n’étant concevable que dans la seule hypothèse où le gardien « prouve que la faute de la victime a contribué à la production du dommage446 ». L’exigence d’une faute de la victime est expressément formulée et suffit à exclure l’exonération partielle de responsabilité en cas de fait non fautif de la victime. La solution ne surprend pas dans la mesure où l’évolution du régime de la responsabilité du fait des choses s’accommoderait mal d’une jurisprudence qui, d’un côté, limite les possibilités d’exonération totale sur le fondement de la faute de la victime constitutive d’une force majeure, et d’un autre côté, autorise le gardien à échapper partiellement aux conséquences de sa responsabilité en présence d’un fait non fautif, prévisible et surmontable, de la victime.
153.- A l’heure actuelle, il semble que les possibilités offertes au gardien d’échapper aux conséquences de sa responsabilité soient de moins en moins faciles d’accès. La seule preuve de l’absence de faute du gardien est dépourvue d’effet exonératoire. Les tribunaux
446 Civ. 2e, 6 avril 1987 (3 arrêts), GAJC, 11e éd., 2000, n° 205, obs. F. Terré et Y. Lequette.
 
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excluent de facto le rôle passif de la chose immobilière de la liste des modes d’exonération de responsabilité. Seule la cause étrangère permet au gardien de ne pas supporter la charge de la réparation des préjudices subis par la victime. Mais, la Cour de cassation a récemment privilégié une conception restrictive de ce mode d’exonération, à tel point que certains auteurs s’interrogent sur son devenir447. Désormais, les gardiens responsables ne peuvent guère compter que sur une exonération partielle de responsabilité. Mais encore faut-il qu’ils établissent une faute de la victime.

Conclusion

447 H. Groutel, « La force majeure introuvable », Resp. civ. et assur. 2003.repère 4 ; S. Hocquet-Berg, « Gardien cherche force majeure désespérément », Resp. civ. et assur. 2003.chron.12.
 
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154.- A l’issue de cette étude, il est possible de constater que le sort réservé aux victimes de dommages consécutifs au fait des immeubles, quant à leurs possibilités d’indemnisation, est parfois bien aléatoire. En effet, selon la nature de l’immeuble en cause ou la spécificité du fait générateur, l’obtention d’une réparation sera plus ou moins aisée, voire même impossible dans certains cas. Tantôt, la victime devra simplement établir l’intervention matérielle de la chose immobilière dans la survenance du dommage, tantôt elle se verra contrainte de prouver l’existence d’un vice de construction ou d’un défaut d’entretien, ou de démontrer que son préjudice peut être rattaché à une faute du responsable désigné, ces dernières exigences de preuves étant parfois délicates à rapporter. De plus, en fonction des mêmes circonstances, elle pourra bénéficier d’un responsable unique ou d’une pluralité de responsables, lui assurant ainsi une plus ou moins grande sécurité quant à l’effectivité de sa réparation.
Cet état de fait, en contradiction avec l’évolution générale de la responsabilité civile tendant à l’amélioration de la condition des victimes en général, et de leur indemnisation en particulier, provoque une désapprobation quasi-unanime. Nombre d’auteurs réclament en effet la suppression des articles 1384 alinéa 2 et 1386 du Code civil, considérés comme les principaux responsables des injustices constatées en raison de leurs conditions d’application plus strictes. Une telle abrogation ne pouvant être le fait des tribunaux, l’appel est ainsi lancé au législateur d’intervenir.
Et, au-delà du problème particulier de l’indemnisation des victimes de dommages causées par les immeubles, c’est l’ensemble du système de réparation fondée sur l’engagement d’une responsabilité civile délictuelle qui suscite aujourd’hui un mouvement de réflexion général ainsi que des propositions de réforme, afin de se mettre en adéquation avec les évolutions enregistrées par la société et reflétées en grande partie par la jurisprudence.
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•    L’article 1384 alinéa 2 du Code civil se porte bien, Responsabilité civile et assurances, Hors série, décembre 1998, p. 143.
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•    A propos du fait de la chose, Responsabilité civile et assurances, Hors série, décembre 1998, p. 146.
•    L’exonération du gardien en cas d’accident d’escalator ou d’ascenseur, Responsabilité civile et assurances, Hors série, décembre 1998, p. 148.
•    Ruine d’un bâtiment : le spectaculaire revirement de la Cour de cassation, Responsabilité civile et assurances, 2000, Chronique 16.
•    La force majeure introuvable, Responsabilité civile et assurances, 2003, Repère 4.

•    Hocquet-Berg S.,
•    Gardien cherche force majeure désespérément, Responsabilité civile et assurances, 2003, Chronique 12.
•    Josserand L.,
•    Le travail de refoulement de la responsabilité du fait des choses inanimées, Recueil hebdomadaire Dalloz, 1930, p. 5.
•    Lasserre-Kiesow V.,
•    La garde et la responsabilité du fait d’autrui sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 ou 4 du Code civil, Les petites affiches, 11 octobre 2001, p. 12 et s.
•    Lescaillon A.,
•    La responsabilité du fait des bâtiments, La revue des huissiers de justice, 1990, p. 897.
•    Locré,
•    Code civil, Tome XIII.
•    Magnin P.,
•    La responsabilité des accidents causés par les ascenseurs et l’article 1384 du Code civil, Revue trimestrielle de droit civil, 1930.1.
 
126
•    Mazeaud H.,
•    La faute dans la garde, Revue trimestrielle de droit civil, 1925.802.
•    Péano M.-A.,
•    L’incompatibilité des qualités de gardien et préposé, Recueil Dalloz, 1991, Chronique 51.
•    Roubier P.,
•    L’article 1386 du Code civil et sa portée dans le droit contemporain, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1949.I.768.
•    Szames S.,
•    L’abrogation de l’article 1384 alinéa 2 du Code civil : une nécessité aujourd’hui impérieuse, Les petites affiches, 27 mars 2002, p. 7.
•    Tournier F.,
•    Mobile et objet de la loi du 7 novembre 1922, Recueil Dalloz périodique, 1923.4.89.
•    Tunc A.,
•    La détermination du gardien responsable dans la responsabilité du fait des choses, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1960.I.1592.


IV. ~ Notes, observations de jurisprudence :


•    Audic O.,
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 26 septembre 2002, Recueil Dalloz, 2003.1257.
•    Azard P.,
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 12 mai 1966 (2 arrêts), Recueil Dalloz, 1966.700.
•    Bergel J.-L.,
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 28 juin 1995, Revue de droit immobilier, 1996.175.
•    Chabas F.,
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 15 novembre 1984, Gazette du Palais, 1985, Jurisprudence 296.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 22 mai 1995, Revue droit et patrimoine, 1996.69.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 2 avril 1997, Revue droit et patrimoine, 1997.85.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 14 novembre 2002, Revue droit et patrimoine, 2003.105.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 12 décembre 2002, Revue droit et patrimoine, 2003.107.
 
127
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 19 juin 2003, Revue droit et patrimoine, 2003.91.
•    Chevalier J.,
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 3 décembre 1964, Revue trimestrielle de droit civil, 1965.360.
•    Dagorne-Labbe Y.,
•    Observation sous arrêt, 2e Chambre civile, 23 mars 2000, Jurisclasseur périodique, édition générale, 2000.II.10379.
•    Damas N.,
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 18 septembre 2003, Recueil Dalloz, 2004.25.
•    Dejean de la Bâtie N.,
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 18 décembre 1964, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1965.II.14304.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 12 juillet 1966, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1967.II.15185.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 28 novembre 1968, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1970.II.16567.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 21 janvier 1981, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1982.II.19814.
•    Note sous arrêt, Assemblée plénière, 9 mai 1984, Jurisclasseur périodique, 1984.II.20255.
•    Durry G.,
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 20 novembre 1968, Revue trimestrielle de droit civil, 1969.337.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 7 mai 1969, Revue trimestrielle de droit civil, 1970.180.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 4 décembre 1969, Revue trimestrielle de droit civil, 1970.781.
•    Note sous arrêt, Angers, 4 novembre 1971, Revue trimestrielle de droit civil, 1972.787.
• Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 16 janvier 1974, Revue trimestrielle de droit civil, 1975.314.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 21 juillet 1982, Revue trimestrielle de droit civil, 1982.106.
•    Esmein P.,
•    Note sous arrêt Teffaine, Chambre civile, 16 juin 1896, Recueil Sirey, 1897.1.17.
•    Note sous arrêt, Chambre des requêtes, 10 juillet 1923, Recueil Sirey, 1926.297.
 
128
•    Note sous arrêt Jand’heur, Chambres réunies, 13 février 1930, Recueil Sirey, 1930.1.121.
•    Note sous arrêt, Chambre civile, 25 juin 1952, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1952.II.7338.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 17 novembre 1955, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1955.II.9144.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 13 mars 1957, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1957.II.10084.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 15 janvier 1960, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1962.II.12728.
•    Note sous arrêt, Assemblée plénière, 25 février 1966, Recueil Dalloz, 1966.389.
•    Flour J.,
•    Note sous arrêt, Chambre civile, 19 février 1941 et 24 février 1941, Recueil critique Dalloz, 1941.85.

•    Giraudel C.,
•    Observations sous arrêt, 2e Chambre civile, 30 novembre 1988, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1989.II.21319.
•    Groutel H.,
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 25 juin 1998, Responsabilité civile et assurances, 1998, Commentaire 296.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 27 mai 1999, Responsabilité civile et assurances, 1999, Commentaire 245.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 4 mai 2000, Responsabilité civile et assurances, 2000, Commentaire 218.
•    Note sous arrêt, 3e Chambre civile, 11 mai 2000, Responsabilité civile et assurances, Commentaire 263.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 14 décembre 2000, Responsabilité civile et assurances, 2001, Commentaire 76.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 5 février 2004, Responsabilité civile et assurances, 2004.15.
•    Huet J.,
•    Note sous arrêt, Assemblée plénière, 9 mai 1984, Revue trimestrielle de droit civil, 1986.120.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 24 mai 1984, Revue trimestrielle de droit civil, 1985.400.
 
129
•    Josserand L.,
•    Note sous arrêt, Chambre des requêtes, 10 février 1925, Receuil Dalloz périodique, 1925.1.97.
•    Note sous arrêt, Chambre des requêtes, 6 mars 1928, Recueil Dalloz périodique 1928.1.97.
•    Note sous arrêt, Chambre des requêtes, 1er août 1929, Recueil Dalloz périodique, 1930.1.25.
•    Jourdain P.,
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 28 mars 1990, Revue trimestrielle de droit civil, 1991.346.
•    Note sous arrêt, 1re Chambre civile, 9 juin 1993, Revue trimestrielle de droit civil 1993.833.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 19 mars 1997, Revue trimestrielle de droit civil, 1997.951.
•    Note sous arrêt, 1re Chambre civile, 16 juin 1998, Revue trimestrielle de droit civil, 1998.917.
•    Note sous arrêt, 3e Chambre civile, 30 juin 1998, Revue trimestrielle de droit civil, 1999.114.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 23 mars 2000, Revue trimestrielle de droit civil, 2000.581.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 11 janvier 2001, Revue trimestrielle de droit civil, 2001.375.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 29 mars 2001, Revue trimestrielle de droit civil, 2001.598.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 7 mai 2002, Recueil Dalloz, 2003, Sommaire 461.
• Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 26 septembre 2002, Revue trimestrielle de droit civil, 2003.100.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 19 juin 2003, Revue trimestrielle de droit civil, 2003.715.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 18 septembre 2003, Revue trimestrielle de droit civil, 2004.108.
•    Lalou H.,
•    Note sous arrêt, Chambre civile 28 novembre 1949, Recueil Dalloz, 1950.105.
•    Larroumet C.,
•    Observations sous arrêt, Aix-en-Provence, 14 avril 1977, Recueil Dalloz, 1978, informations rapides, p. 404.
 
130
•    Leduc F.,
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 2 avril 1997, Responsabilité civile et assurances, 1997, Commentaire 255.
•    Mazeaud D.,
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 23 mars 2000, Recueil Dalloz, 2000, Sommaires commentés, p. 467.
•    Mazeaud H.,
•    Note sous arrêt Franck, Chambres réunies, 2 décembre 1941, Recueil Sirey, 1941.1.217.

•    Mazeaud H. et L.,
•    Observations sous arrêt, 2e Chambre civile, 14 décembre 1956, Revue trimestrielle de droit civil, 1957.335.
•    Ripert G.,
•    Note sous arrêt, Chambre civile, 27 avril 1929, Recueil Dalloz périodique, 1929.1.129.
• Note sous arrêt Jand’heur, Chambres réunies, 13 février 1930, Recueil Dalloz périodique, 1930.1.57.
•    Note sous arrêt Franck, Chambres réunies, 2 décembre 1941, Recueil critique Dalloz, 1942.25.
•    Rodière R.,
•    Note sous arrêt, Chambre des requêtes, 13 février 1942, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1942.II.2037.
•    Note sous arrêt, Pau, 5 juillet 1946, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1946.II.3324.
•    Note sous arrêt, Lyon, 30 novembre 1953, Recueil Dalloz, 1954.172.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 3 décembre 1964, Revue trimestrielle de droit civil, 1965.360.
•    Note sous arrêt, Assemblée plénière, 25 février 1966, Revue trimestrielle de droit civil, 1966.540.
•    Saleilles R.,
•    Note sous arrêt Teffaine, Chambre civile, 16 juin 1896, Recueil Dalloz périodique, 1897.1.433.
•    Savatier R.,
•    Note sous arrêt, Chambre civile, 16 novembre 1920, Recueil Dalloz périodique, 1920.1.169.
 
131
•    Note sous arrêt, Chambre civile, 22 janvier 1940 (2 arrêts), Recueil critique Dalloz, 1941.101.
•    Note sous arrêt, Chambre civile, 3 mars 1964, Recueil Dalloz, 1964.245.
•    Tunc A.,
•    Note sous arrêt, Chambre civile, 3 mars 1964, Revue trimestrielle de droit civil, 1964.552.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 16 juin 1961, Revue trimestrielle de droit civil, 1962.641.

•    Viney G.,
•    Note sous arrêt, 1re Chambre civile, 9 juin 1993, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1994.II.22202.
•    Observations sous arrêt, 2e Chambre civile, 23 mars 2000, Jurisclasseur périodique, édition générale, 2000.I.280.
•    Note sous arrêt, 2e Chambre civile, 26 septembre 2002, Jurisclasseur périodique, édition générale, 2003.I.154.


V. ~ Divers :
 
•    Réponses ministérielles,
•    Réponse n° 2410, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1993, p. 5.
•    Réponse n° 30669, Jurisclasseur périodique, édition générale, 1996, p. 33
 
132
Table des matières
SOMMAIRE    0
LISTE DES ABRÉVIATIONS     3
INTRODUCTION     4
PREMIÈRE PARTIE : LA RESPONSABILITÉ DU FAIT DE LA RUINE DE L’IMMEUBLE 15 CHAPITRE 1 : LES CONDITIONS D’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ    16
Section 1 : L’objet spécifique de la responsabilité : un bâtiment    16
§ 1 : L’adoption initiale d’une conception large de la notion de bâtiment     17
A) Le recours à une définition excessivement large du « bâtiment »    17
1°) L’utilisation de la notion d’immeuble par destination     17
2°) La prise en compte d’immeubles ne s’apparentant pas à des édifices    18
B) Une interprétation justifiée par une volonté de faveur envers les victimes    19
§ 2 : L’application actuelle d’une définition stricte de la notion de « bâtiment »    20
A) Une construction    21
1°) Indifférence de l’affectation du bâtiment    21
2°) Indifférence du caractère souterrain ou élevé de la construction     22
B) Une incorporation durable au sol ou au bâtiment     22
Section 2 : L’événement générateur de la responsabilité : la ruine du bâtiment due a un défaut
d’entretien ou à un vice de construction    25
§ 1 : La ruine du bâtiment     25
A) La notion de « ruine »    25
1°) La « ruine », initialement entendue de manière extensive     26
2°) La « ruine », actuellement entendue de manière plus restrictive     27
B) Les hypothèses exclues de la qualification de « ruine »    29
1°) Les bâtiments qui menacent ruine     29
2°) Les bâtiments en cours de construction, de démolition ou de travaux    31
 
133
§ 2 : La détermination de l’origine de la ruine     34
A) Un défaut d’entretien ou un vice de construction, cause de la ruine    34
1°) La notion de défaut d’entretien    34
2°) La notion de vice de construction    35
B) La preuve de l’origine de la ruine    37
CHAPITRE 2 : LA DÉTERMINATION DE LA PERSONNE RESPONSABLE    40
Section 1 : Le principe de la responsabilité de plein droit du propriétaire    40
§ 1 : La détermination de la qualité de propriétaire    41 A) Les personnes susceptibles d’être qualifiées de propriétaire au sens de l’article 1386 du Code civil
     41
B) Responsabilité de la personne effectivement propriétaire lors de la ruine du bâtiment    42
§ 2 : Les hypothèses particulières de la propriété partagée     44
A) La propriété démembrée    44
1°) Démembrement de la propriété au profit d’un usufruitier     45
2°) Démembrement de la propriété au profit d’un superficiaire     45
B) La copropriété    46
1°) La copropriété non organisée    46
2°) La copropriété organisée     47
Section 2 : Les limites de la responsabilité du propriétaire    48
§ 1 : Les modes limités d’exonération : la cause étrangère     49
A) Force majeure    49
1°) La force majeure comme cause unique du dommage     50
2°) Concours entre un cas de force majeure et un défaut d’entretien ou un vice de construction... 51 B) Le fait d’un tiers     52
C) La faute de la victime     53
§ 2 : Les actions récursoires du propriétaire    55
A) Les recours en cas de vice de construction     56
B) Les recours en cas de défaut d’entretien     58
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE     60
DEUXIÈME PARTIE : LA RESPONSABILITÉ DU FAIT QUELCONQUE DE L’IMMEUBLE
     62
CHAPITRE 1 : LES CONDITIONS D’ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ    63
Section 1 : L’objet de la responsabilité : un immeuble     64
§ 1 : Le refus antérieur d’appliquer le principe général du fait des choses aux immeubles    64
A) La condamnation de cette application par la Cour de cassation    64
B) La critique unanime de cette solution par la doctrine     65
§ 2 : La prise en compte ultérieure des immeubles dans le cadre du principe général de responsabilité du
fait des choses     67
A) La solution des arrêts de principe des 6 mars 1928 et 13 février 1930     67
B) Les applications ultérieures à toute sorte d’immeubles    69
Section 2 : L’événement générateur de la responsabilité    73
§ 1 : Le fait quelconque de l’immeuble    73
A) La notion de fait actif de l’immeuble    73
1°) Le fait de l’immeuble : cause juridique du dommage    73
2°) l’admission récente de la ruine du bâtiment comme fait actif possible de l’immeuble    76
 
134
B) La preuve du fait actif de l’immeuble    77
1°) Le cas des choses immobilières inertes au moment de l’accident    77
2°) L’hypothèse des choses immobilières en mouvement au moment de l’accident     79
§ 2 : Le cas particulier de la communication d’incendie    81
A) La nécessité d’un incendie    82
1°) La notion d’incendie    82
2°) La cause de l’incendie     83
B) La communication de l’incendie    85
1°) Les dommages liés à la communication de l’incendie    85
2°) Les autres dommages    86
CHAPITRE 2 : L’IMPUTABILITÉ DE LA RESPONSABILITÉ    89
Section 1 : La détermination de la personne responsable    89
§ 1 : La responsabilité de plein droit du gardien de l’immeuble     89
A) La notion de garde        90
1°) Le pouvoir d’usage        91
2°) Les pouvoirs de direction et de contrôle    92
B) La détermination du gardien de l’immeuble     93
1°) La présomption de garde pesant sur le propriétaire     94
2°) L’acquisition par le non propriétaire des pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle    96
§ 2 : La faute du détenteur du bien dans lequel un incendie a pris naissance    99
A) La notion de « détenteur »     99
B) L’exigence d’une faute     102
1°) La conception extensive de la faute    102
2°) Responsabilité du fait personnel ou responsabilité du fait d’autrui     104
Section 2 : Les modes d’exonération du responsable    106
§ 1 : Les modes d’exonération inopérants du gardien    106
A) L’exclusion constante de l’absence de faute    106
B) L’effacement progressif du rôle passif    109
§ 2 : La cause étrangère : mode d’exonération efficient    112
A) La force majeure    113
B) Le fait du tiers ou de la victime     115
1°) Le fait du tiers    115
2°) Le fait de la victime    116
CONCLUSION    119
BIBLIOGRAPHIE    120
TABLE DES MATIÈRES     132