La réforme du droit des sûretés par l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 : un livre IV nouveau du Code civil et des sûretés réelles modernisées
Olivier SALATI
Maî tre de conférences à l'Université d'Aix-Marseille III

C. 04 1. Introduction. Fruit des propositions de réforme de la Commission présidée par le professeur M. Grimaldi, l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés, publiée au Journal Officiel du 24 (page 4475) et entrée en vigueur le 25, à l'exception des dispositions relatives au gage de véhicule terrestre à moteur, crée dans le Code civil un nouveau Livre IV intitulé « Des sûretés ». Sur un plan formel cette innovation est plus que bienvenue : un livre IV entièrement consacré aux sûretés assurera une lisibilité accrue de ce droit. Du point de vue des règles de fond elle ne l'est pas moins : plus d'unité, c'est toujours plus de cohérence même s'il y a ici un certain goût d'inachevé. Il est par exemple dommage que l'énoncé des principes directeurs du droit des sûretés n'ait pas été repris dans l'ordonnance, du fait du caractère restrictif de la loi d'habilitation. Le livre IV comporte deux titres consacrés respectivement aux sûretés personnelles (articles 2288 à 2322) et aux sûretés réelles (articles 2323 à 2488), mais ce sont seulement ces dernières qui, faisant l'objet de modifications d'envergure, seront présentées dans le cadre de cette chronique. Ce titre II comporte un sous-titre 1er intitulé « Dispositions générales » (articles 2323 à 2328), un sous-titre II : « Des sûretés sur les meubles » (articles 2329 à 2372), un sous-titre III : « Des sûretés sur les immeubles » (articles 2373 à 2488). Auparavant, arrêtons-nous un instant sur les dispositions générales qui ouvrent le nouveau livre IV.

2. Dispositions générales du nouveau livre IV. L'ouverture est d'abord classique, puisque les articles 2284 et 2285 reproduisent les anciens articles 2092 et 2093 relatifs au droit de gage général et au principe d'égalité des créanciers. Mais aussitôt après, dans le nouvel article 2286, vient la consécration légale d'une « garantie » réelle très utilisée en pratique : le droit de rétention, et l'énonciation des différents types de situation dans lesquelles il peut être exercé, et perdu. L'article 2287, enfin, inscrit dans la loi la primauté du droit des procédures collectives sur le droit des sûretés puisqu'il y est énoncé que les dispositions du livre IV ne font pas obstacle à l'application des règles prévues en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ou encore en cas d'ouverture d'une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers.

3. « Dispositions générales » du titre II. Elles constituent le sous-titre premier, et reprennent purement et simplement sous les articles 2323 à 2328 les anciens ­articles 2094 à 2099. A part cela, rien de changé : énumération des causes légitimes de préférence, définition, rang et assiette des privilèges.

4. Sûretés sur les meubles. C'est le sous-titre II, qui comporte un chapitre sur les privilèges mobiliers, qui peuvent être généraux (article 2331) ou spéciaux (article 2332), ces derniers, s'il faut effectuer un classement, primant sauf dispositions contraires les privilèges généraux (article 2332-1) ; un autre sur le gage de meubles corporels, un troisième sur le nantissement de meubles incorporels et un quatrième et dernier sur la propriété retenue à titre de garantie. Ce sont là les quatre sortes de sûretés sur les meubles (article 2329), et on remarquera que désormais le terme de gage est ex­clusivement réservé aux sûretés sur meubles corporels (articles 2333 et s.), et celui de nantissement aux meubles incorporels (articles 2355 et s.).

Il n'y a pas lieu de revenir sur le chapitre premier relatif aux privilèges mobiliers qui, à la rubrique nouvelle concernant le classement des privilèges (articles 2332-1 et s.), reprend, dans les articles 2330 à 2332, les anciens articles 2100 à 2102.

En revanche, la réforme du « gage de meubles corporels » est l'un des apports majeurs de l'ordonnance. Ce chapitre II se divise en un droit commun (section 1, articles 2333 et  s.), et au gage portant sur un véhicule automobile (sect. 2, articles 2351 à 2353). Si l'on s'en tient au droit commun, c'est l'abandon du caractère réel du contrat de gage qui est capital. Aux termes de l'article 2336 en effet, « le gage est parfait par l'établissement d'un écrit contenant la désignation de la dette garantie, la quantité des biens donnés en gage ainsi que leur espèce ou leur nature ». Il est d'autre part opposable aux tiers soit par la publicité qui en est faite (article 2337 al. 1er) par inscription sur un « registre spécial » encore à créer (article 2338), soit, cela reste possible, par la dépossession entre les mains du créancier ou d'un tiers convenu du bien qui en fait l'objet (article 2337 al. 2). Rendu plus attractif par la réforme, le gage peut ainsi porter sur des biens futurs (article 2333), avoir pour objet des choses fongibles (article 2341-2342), un « gage des stocks » sans dépossession au bénéfice des établissements de crédit est même expressément prévu, mais dans le Code de commerce (article L. 527-1 et s.) ; enfin, le pacte commissoire est autorisé par l'article 2348 : c'est-à-dire qu' « il peut être convenu, lors de la constitution du gage ou postérieurement, qu'à défaut d'exécution de l'obligation garantie le créancier deviendra propriétaire du bien gagé », dont la valeur est « déterminée au jour du transfert par un expert désigné à l'amiable ou judiciairement ».

Mais pour que ces dispositions puissent recevoir application, encore faudra-t-il que le ou les biens en cause ne soient pas déjà privés de toute disponibilité juridique par l'effet d'une clause de réserve de propriété, accueillie en tant que sûreté dans le Code civil par le chapitre IV : « De la propriété retenue à titre de garantie » (v. aussi l'article 2329 4°) ! Selon l'article 2367 alinéa 1er, en effet, « la propriété d'un bien peut être retenue en garantie par l'effet d'une clause de réserve de propriété – « convenue par écrit » (article 2368) – qui suspend l'effet translatif d'un contrat jusqu'au complet paiement de l'obligation qui en constitue la contrepartie ». Ainsi, en cas de défaillance du débiteur, le créancier pourra « demander la restitution du bien afin de recouvrer le droit d'en disposer » (article 2371 al. 1er), sous réserve de l'obligation, « lorsque la valeur du bien repris excède le montant de la dette garantie encore exigible », de restituer au débiteur « une somme égale à la différence » (alinéa 3).

N'oublions pas, pour en terminer avec le sous-titre relatif aux sûretés sur les meubles, le chapitre 3 : « Du nantissement de meubles incorporels », défini par l'article 2355 alinéa 1er comme « l'affectation, en garantie d'une obligation, d'un bien meuble incorporel ou d'un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs ». Il peut être « conventionnel ou judiciaire » (alinéa 2), mais il faut surtout souligner ici que les textes établissent une distinction, s'agissant du nantissement conventionnel, entre le nantissement de créance et ceux ayant pour objet « d'autres meubles incorporels » (alinéa 5) ou « un compte » (article 2360). Pour le premier, l'article 2356 dispose qu' « à peine de nullité », il « doit être conclu par écrit », acte authentique ou seing privé, l'article 2362 alinéa 1er disposant pour sa part que ce n'est que pour être opposable au débiteur de la créance nantie que le nantissement doit lui être notifié. En revanche, la loi formule une exigence capitale dans l'article 2356 alinéa 2 : « les créances garanties et les créances nanties sont désignées dans l'acte ». Bien sûr, « si elles sont futures, l'acte doit permettre leur individualisation ou contenir des éléments permettant celle-ci tels que l'indication du débiteur, le lieu de paiement, le montant des créances ou leur évaluation et, s'il y a lieu, leur échéance » (alinéa 2). Quant à ses effets généraux, le droit nouveau s'inspire nettement de la technique du bordereau Dailly, puisque le nouvel article 2061 dispose que « le nantissement d'une créance, présente ou future, prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date de l'acte ». Enfin, en cas de défaillance de son débiteur, le créancier pourra, sans attendre l'échéance de la créance donnée en nantissement, se faire attribuer judiciairement celle-ci, à moins qu'un pacte commissoire ait été prévu par la convention (article 2365), et dans tous les cas, « s'il a été payé au créancier nanti une somme supérieure à la dette garantie, celui-ci doit la différence au constituant » (article 2366).

5. Sûretés sur les immeubles. C'est le sous-titre III, qui comporte sept chapitres. Elles évoluent aussi, et peut-être est-ce l'hypothèque, finalement, le principal vainqueur de la réforme avec ses deux nouveaux avatars que sont l'hypothèque rechargeable et l'hypothèque inversée, mais aussi la possibilité de consentir une hypothèque pour sûreté de créances futures pourvu qu'elles soient déterminables (article 2421), ou pour le créancier impayé de demander en justice l'attribution de l'immeuble en paiement s'il n'est pas convenu dans la convention d'hypothèque qu'il en deviendra propriétaire.

Les articles 2458 et 2459 excluent cependant l'attribution ou le pacte commissoire s'il s'agit de la résidence principale du débiteur. Mais en ouverture, il est d'abord énoncé que « les sûretés sur les immeubles sont les privilèges, l'antichrèse et les hypothèques.

La propriété de l'immeuble peut également être retenue en garantie » (article 2373). Après cela, un chapitre 1er : « Des privilèges immobiliers » (articles 2374 à 2386) qui n'apporte pas de nouveauté, un chapitre II : « De l'antichrèse » (articles 2387 à 2392) qui permet l'­antichrèse-bail, mais surtout les chapitres III à VII (articles 2393 à 2488) qui traitent de l'hypothèque.

La première innovation majeure est l'hypothèque rechargeable, dont le but est d'encourager le crédit hypothécaire en permettant qu'une même hypothèque garantisse des crédits successifs.

 Ce faisant, la Commission Grimaldi a assoupli les principes de spécialité de la sûreté quant à la créance garantie, et d'accessoriété de l'hypothèque. Elle est définie par l'article 2422 comme celle qui, conventionnelle, « peut être ultérieurement affectée à la garantie de créances autres que celles mentionnées par l'acte constitutif pourvu que celui-ci le prévoie expressément », étant précisé que « le constituant peut alors l'offrir en garantie, dans la limite de la somme prévue dans l'acte constitutif […] non seulement au créancier originaire, mais aussi à un nouveau créancier encore que le premier n'ait pas été payé ».

 La convention de rechargement prend la forme notariée (article 2422 alinéa 3), publiée, sous la forme d'une mention en marge de l'inscription initiale, à peine d'inopposabilité aux tiers (alinéa 4). Un des intérêts essentiels de l'hypothèque rechargeable est que le créancier bénéficiaire de la recharge bénéficiera du rang de l'hypothèque initiale, et primera donc celui qui ayant inscrit une sûreté sur l'immeuble antérieurement à la recharge, l'a toutefois fait après la publication de la constitution initiale de l'hypothèque. On aura compris que l'hypothèque rechargeable réduit l'intérêt de l'inscription d'une hypothèque de second rang, mais en présence d'une hypothèque judiciaire conservatoire il est heureusement dérogé à la règle du rang, c'est-à-dire que « l'inscription d'une hypothèque judiciaire conservatoire est réputée d'un rang antérieur à celui conféré à la convention de rechargement lorsque la publicité de cette convention est postérieure à l'inscription de l'hypothèque judiciaire conservatoire » (article 2425 alinéa 5). On signalera, enfin, que l'hypothèque rechargeable ne s'éteint pas par l'extinction principale (article 2488 1°), elle lui survit ce qui permet au constituant de l'offrir en garantie à de nouveaux créanciers.

La deuxième grande innovation est le « prêt viager hypothécaire » ou hypothèque inversée. En tant que support d'un crédit consenti à un particulier il figure plus logiquement dans le Code de la consommation. Disons simplement ici qu'il s'agit d'un contrat par lequel un établissement de crédit consent à une personne physique un prêt sous la forme d'un capital ou d'une rente, garanti par l'hypothèque d'un bien de l'emprunteur à usage exclusif d'habitation et dont le remboursement ne peut être exigé qu'au décès de celui-ci ou lors de l'aliénation ou du démembrement de la propriété de l'immeuble hypothéqué s'ils surviennent avant le décès (C. conso., article L. 314-1).