
La présomption de bonne foi dans le droit du surendettement (argumentaire en faveur d'un revirement de jurisprudence)
par Guillaume-Xavier BOURIN
Docteur en droit(1)
Le
principe fondamental selon lequel la bonne foi du débiteur se présume,
en matière de surendettement, emporte deux conséquences selon la Cour
de cassation. D'une part, il incombe au créancier de prouver la
mauvaise foi du débiteur. D'autre part, le juge ne peut pas soulever
d'office une fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur.
Or, cette seconde conséquence peut être remise en cause au regard de
l'office du juge.
I. 04 1. Selon la Cour de cassation, le
débiteur qui présente une demande de traitement de son surendettement
est présumé de bonne foi. La solution a été forgée par la haute
juridiction dès les premiers arrêts qui, aux lendemains de l'entrée en
vigueur de la loi du 31 décembre 1989 relative au surendettement des
particuliers, eurent à statuer sur la fin de non-recevoir tirée de
l'absence de bonne foi du débiteur.
La Cour régulatrice a rendu
le 4 avril 1991 trois décisions de principe à ce sujet(2). Depuis, la
Cour de cassation n'a jamais varié. Fixée par une jurisprudence
univoque et constante, la solution prend ainsi valeur de règle d'or, de
principe(3).
La solution est digne d'approbation. Le principe
selon lequel la bonne foi se présume est généralisé à partir de
dispositions éparses du Code civil, d'une part l'article 2268(4)
relatif à la prescription acquisitive abrégée et d'autre part l'article
1116 alinéa deuxième(5) afférent au dol civil dans la formation des
conventions. De nombreux droits étrangers élèvent d'ailleurs au rang de
principe général la règle selon laquelle la bonne foi se présume, à
l'instar du Code civil québécois dont l'article 2805 placé sous le
livre traitant du régime général de la preuve affirme que « la bonne
foi se présume toujours, à moins que la loi n'exige expressément de la
prouver ». La généralisation de la règle à partir de textes
législatifs, sa vocation à l'universalité dans les droits libéraux
dévoile sa véritable nature juridique. Il s'agit d'un principe
fondamental des obligations civiles et commerciales au sens
constitutionnel français du terme. A ce titre, il est dévolu dans notre
pays au domaine de la loi par l'article 34 de notre Constitution. La
présomption a donc valeur légale.
2. De ce principe fondamental, la Cour de cassation a tiré deux corollaires, deux règles juridiques.
La
Cour de cassation déduit d'abord de la présomption de bonne foi la
règle selon laquelle il incombe au créancier d'alléguer la fin de
non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur, et d'en rapporter la
preuve. La solution se justifie pleinement. Chacun sait, en effet, que
le jeu d'une présomption légale renverse la charge de la preuve. En
principe, c'est au demandeur qui réclame l'application d'un droit de
prouver qu'il réunit les conditions pour en bénéficier. Le débiteur qui
réclame l'application des procédures de désendettement devrait donc,
par application des principes probatoires généraux, établir sa bonne
foi, de la même manière qu'il doit, selon la jurisprudence constante,
justifier de son état de surendettement. Or, le jeu de la présomption
légale dispense précisément le débiteur de rapporter la preuve de
l'élément présumé. La présomption légale de bonne foi déplace sur les
créanciers qui contestent le droit du demandeur de bénéficier de la
législation sur le surendettement la charge d'établir sa mauvaise foi
afin de détruire la présomption de bonne foi dont il jouit. La
présomption légale a ainsi pour résultat de mettre le risque de la
preuve à la charge du créancier. Si les créanciers faillissent dans
leur démonstration et ne parviennent pas à dissiper toute incertitude
raisonnable sur l'état d'esprit qui a animé le débiteur, le doute sera
retenu à leur détriment.
Ce premier corollaire dérive
incontestablement de la présomption légale de bonne foi et en emprunte
dès lors la valeur juridique et la force obligatoire. Il lie de ce fait
fatalement les parties en présence, quelle que soit la procédure de
désendettement empruntée et l'étape de cette procédure.
3. Dans
le prolongement du premier corollaire qu'elle a dégagé, la Cour de
cassation déduit ensuite de la présomption de bonne foi une autre
règle, cette fois critiquable, exprimée dans de très nombreux
arrêts(6). D'après la Cour régulatrice, la présomption de bonne foi
entraîne comme conséquence que le juge ne puisse pas relever d'office
la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi de l'intéressé, encore
que, ainsi qu'on le verra, le tableau du droit positif est beaucoup
plus contrasté. Bref, en principe, suivant les arrêts, le jeu de la
présomption prive le juge du pouvoir de soulever de sa propre
initiative l'absence de bonne foi du débiteur. A quoi il faut ajouter
que l'interdiction pour le juge du surendettement de statuer de son
propre chef sur la mauvaise foi du débiteur ne tire pas seulement,
d'après la Cour unificatrice, sa justification de la présomption légale
de bonne foi. Selon un avis exprimé par la Cour de cassation le 16
décembre 1994, la prohibition dérive aussi du caractère d'ordre public
de protection attaché à la législation sur le surendettement(7). La
solution n'a cependant jamais été reprise dans les arrêts. Elle n'est
certes pas surérogatoire. Mais sa fragilité évidente explique
certainement la discrétion de la jurisprudence à cet égard. Le
caractère d'ordre public de la législation sur le surendettement
constitue donc, en quelque sorte, un fondement secondaire.
En
somme, le deuxième corollaire de la présomption de bonne foi, associé
au caractère d'ordre public de protection de la législation sur le
surendettement, délimite l'office de la commission de surendettement et
du juge de l'exécution relativement à la fin de non-recevoir tirée de
l'absence de bonne foi du débiteur, c'est-à-dire, ni plus ni moins, le
pouvoir dévolu à ces organes de soulever de leur propre chef la cause
d'irrecevabilité.
4. Or, cette conception de l'office du juge et
de la commission qui résulte du droit positif n'est pas conforme à
celle qui, selon nous, doit découler de l'application de la législation
sur le surendettement, ni des principes généraux et notamment de la
présomption de bonne foi. Autrement dit, le deuxième corollaire déduit
de la présomption de bonne foi par la Cour de cassation, avec
l'approbation de la doctrine, nous paraî t contestable. Cette
conception discutable de l'office du juge dans le droit positif nous
paraî t devoir céder la place à une autre conception de son office,
bien plus préférable. Tel est le sens de l'argumentation ici développée.
I. Une conception discutable de l'office du juge
5.
Suivant la jurisprudence, la présomption légale de bonne foi dont
bénéficie le débiteur emporte comme premier corollaire qu'il incombe à
ses créanciers de renverser cette présomption en alléguant et en
prouvant les faits propres à démontrer sa mauvaise foi. En vertu du
second corollaire déduit de la présomption légale, le juge ne peut pas
statuer sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de bonne foi du
débiteur, s'il n'est pas expressément saisi par un créancier à cette
fin, la mauvaise foi du débiteur transpirerait-elle du dossier. Dans la
conception qui a prévalu en jurisprudence et en doctrine jusqu'à
présent, la règle ainsi déduite souffre tellement peu la discussion
que, parfois, la Cour unificatrice ne prend plus la peine de la relier
à la présomption légale de bonne foi. La solution procède alors dans
certains arrêts de l'affirmation brute. La justification n'est plus
qu'implicite : « Attendu que, lorsque la commission de surendettement
s'est prononcée sur la recevabilité d'une demande aux fins
d'élaboration d'un plan de redressement et que le juge est saisi d'un
recours contre une telle décision, il ne peut soulever d'office la fin
de non-recevoir résultant de l'absence de bonne foi(8) ».
Le jeu
de la présomption légale, associé au caractère d'ordre public de
protection de la législation sur le surendettement, emporte ainsi comme
conséquence que le juge, même placé devant des cas manifestes
d'intention frauduleuse, doit impérativement s'abstenir de relever
d'office la fin de non-recevoir. Il est en toutes circonstances tenu,
en cas de carence ou d'abstention des créanciers, d'accueillir la
demande du débiteur et de le faire bénéficier des dispositions
protectrices des procédures de désendettement. Si les créanciers ne
contestent pas la bonne foi du débiteur, le juge ne peut se substituer
à eux. Ses décisions ne peuvent qu'être des décisions de recevabilité.
Pour
cette raison, tombe aussi sous la censure de la Cour de cassation, le
juge qui relève la mauvaise foi du débiteur alors que la commission a
déclaré irrecevable sa demande en se fondant sur un autre motif comme,
par exemple, le caractère professionnel de l'endettement(9) ou le
caractère inéligible à la procédure du demandeur commerçant(10). En
revanche, parce qu'il ne soulève pas en ce cas d'office la fin de
non-recevoir, le juge qui est saisi d'un recours formé contre la
décision d'irrecevabilité prise par une commission pour cause de
mauvaise foi, peut confirmer cette décision en reprenant le motif mis
en avant par la commission, quoique celui-ci n'ait pas été spécialement
invoqué devant lui par un créancier. En effet, en ce cas, l'absence de
bonne foi était dans la cause depuis la décision d'irrecevabilité,
objet du recours(11).
6. Champ d'application du deuxième
corollaire. Fondée sur la présomption légale de bonne foi, la règle
selon laquelle le juge ne peut pas relever d'office la fin de
non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur devrait lier
l'ensemble des instances chargées d'appliquer la législation sur le
surendettement.
Cela dit, les choses ne sont pas si simples et le
tableau du droit positif est complexe et incertain, le deuxième
corollaire de la présomption légale s'effaçant parfois au profit du
pouvoir du juge de soulever la fin de non-recevoir. Cependant, en
poussant l'analyse, l'état du droit en vigueur s'ordonne, semble-t-il,
autour du principe d'interprétation suivant : quand le Code de la
consommation n'apporte aucune dérogation expresse à l'interdiction
attachée à la présomption légale de bonne foi de soulever d'office la
mauvaise foi du débiteur, le juge, légalement tenu par les effets
attachés à la présomption ne peut s'arroger ce pouvoir. Si la bonne foi
du débiteur n'est pas attaquée devant lui, il doit la tenir pour
constante, en application de la présomption légale. Si, par dérogation
à la présomption légale de bonne foi, le code confère expressément au
juge la prérogative de relever d'office la mauvaise foi du débiteur, le
magistrat puise alors dans une disposition légale spéciale le pouvoir
de le faire. La démonstration sera faite à partir de la jurisprudence
relative au recours formé contre les décisions de la commission en
matière de recevabilité et à celle relative à l'ouverture de la
procédure de rétablissement personnel. De ces jurisprudences se déduit
le principe actuel d'interprétation de l'office des instances en charge
des procédures de surendettement relatif à leur pouvoir de relever la
fin de non-recevoir tirée de l'absence de bonne foi du débiteur.
7.
Tableau du droit positif. Application de la règle tirée de la
présomption légale au juge saisi du recours sur une décision de
recevabilité. L'interdiction de relever d'office la fin de non-recevoir
s'applique au juge saisi d'un recours formé contre une décision de la
commission prise en matière recevabilité de la demande. La règle
jurisprudentielle régit au premier chef l'examen de la recevabilité de
la demande auquel la commission procède après le dépôt de son dossier
par le débiteur(12). La série d'arrêts rapportés plus haut porte au
demeurant sur les décisions de recevabilité prises par la commission de
surendettement et les jugements rendus après contestation de ces
décisions.
La raison en est que le rôle assigné par le Code de
la consommation au juge saisi d'un recours contre la décision de la
commission en matière de recevabilité se limite au contrôle de cette
décision. A ce stade, le code ne confère pas au juge le pouvoir de
s'assurer des conditions d'application de la loi. Il investit de cette
mission la commission de surendettement des particuliers. Le code la
charge en effet de vérifier que le demandeur se trouve de bonne foi en
situation de surendettement(13). En comparaison, le rôle du juge du
surendettement, à cette étape de la procédure, est beaucoup plus
limité. Il est juge du recours formé contre la décision de la
commission en matière de recevabilité et son office est, faute de
précision explicite posée par la loi, réduit à l'examen du recours
formé devant lui(14). Ainsi, à défaut de dérogation légale explicite à
la présomption légale de bonne foi, le magistrat est impuissant à
soulever proprio motu la mauvaise foi du débiteur, si les parties ne
mettent pas ce moyen dans la cause. En somme et pour aller au fond des
choses, la présomption légale de bonne foi, conjuguée à la règle tirée
de l'ordre public économique de protection sociale des lois sur le
surendettement, bornent l'office du juge. Faute d'une dérogation légale
explicite à l'interdiction de relever d'office la mauvaise foi du
débiteur, le juge excéderait ses pouvoirs s'il jugeait de sa propre
initiative la demande du débiteur irrecevable.
8. Tableau du
droit positif (suite). Eviction de la règle pour le juge du
rétablissement personnel. En revanche, la Cour de cassation a écarté la
prohibition de relever d'office la mauvaise foi du débiteur en matière
de rétablissement personnel par un important arrêt du 14 décembre
2006(15).
Suivant le raisonnement adopté par la Cour de cassation, en
la matière, le juge de l'exécution tire de l'article L. 332-6 du Code
de la consommation le pouvoir d'apprécier, même d'office, la bonne foi
du débiteur avant de se prononcer sur l'ouverture d'une procédure de
rétablissement personnel : « attendu que le juge de l'exécution tient
de l'article L. 332-6 du Code de la consommation le pouvoir
d'apprécier, même d'office, le caractère irrémédiablement compromis de
la situation du débiteur ainsi que sa bonne foi pour prononcer
l'ouverture de la procédure de rétablissement personnel ». L'article L.
332-6 du Code de la consommation, relatif à la procédure de
rétablissement personnel, porte en effet : « le juge de l'exécution,
dans le délai d'un mois, convoque le débiteur et les créanciers connus
à une audience d'ouverture de la procédure de rétablissement personnel.
Il peut inviter un travailleur social à assister à cette audience. Le
juge, après avoir entendu le débiteur s'il se présente et apprécié le
caractère irrémédiablement compromis de sa situation ainsi que sa bonne
foi, rend un jugement prononçant l'ouverture de la procédure ». La Cour
de cassation en déduit que l'interdiction pour le juge de relever
d'office la mauvaise foi du débiteur est écartée par un texte
législatif spécifique, qui déroge à la règle générale de prohibition
dérivant de la présomption légale de bonne foi.
Au-delà de la
lettre du texte, la solution s'explique par le fait que la saisine du
juge de l'exécution de l'ouverture d'une procédure de rétalissement
personnel dessaisit la commission du dossier. Il revient dès lors au
juge d'endosser les habits de la commission et de vérifier si les
conditions d'application de la loi sont réunies. Cette mission implique
de lui un rôle actif, lequel rôle suppose la reconnaissance à son
profit du pouvoir d'examiner de sa propre initiative si le débiteur est
de bonne foi. La présomption légale de bonne foi n'est pas pour autant
renversée. Ce n'est pas au débiteur de démontrer qu'il est de bonne
foi. Mais si le juge réunit assez d'éléments caractéristiques de la
mauvaise foi du débiteur, alors la présomption qui lui bénéficie tombe.
La
confrontation de ces deux jurisprudences permet de clarifier et de
mieux appréhender le droit positif. Cette confrontation met en lumière
les motifs qui gouvernent les solutions adoptées par la Cour de
cassation au sujet du pouvoir du juge de relever d'office la mauvaise
foi du débiteur. La présomption légale de bonne foi et les dispositions
légales spécifiques qui en écartent le corollaire faisant interdiction
à la juridiction de relever de lui-même l'absence de bonne foi du
débiteur, délimitent l'office du juge. Quand aucun texte ne statue sur
la question, la présomption légale de bonne foi impose au juge de
s'abstenir de soulever proprio motu la mauvaise foi du débiteur. Si un
texte législatif autorise le juge à relever la fin de non-recevoir, le
texte spécial déroge à la règle générale d'abstention. Cette analyse
faite, il n'est plus qu'à appliquer le principe d'interprétation de
l'office du juge à l'ensemble des cas de figure susceptibles de se
produire.
9. Tableau du droit positif (suite). Application de la
règle au juge saisi d'une demande d'homologation des mesures
recommandées. Les motifs qui proscrivent au juge, saisi d'un recours en
matière de recevabilité de la demande, de relever d'office la mauvaise
foi du débiteur se retrouvent avec la même vigueur quand la juridiction
de l'exécution confère force exécutoire aux mesures recommandées de
désendettement par la commission de surendettement des particuliers. Le
juge a un pouvoir lié à cet égard et la loi ne lui attribue pas
d'autres prérogatives que celles de vérifier si les mesures de
redressement préconisées sont celles-là même que la loi a prévues(16).
Aucune disposition légale ne confie au juge le pouvoir de relever
d'office la mauvaise foi du débiteur. Dès lors, s'applique la règle
générale d'interdiction de soulever l'absence de bonne foi de
l'intéressé, tirée de la présomption légale de bonne foi.
10.
Tableau du droit positif (suite). Inapplication de la règle attachée à
la présomption légale à la commission de surendettement. La loi assigne
explicitement à la commission de surendettement des particuliers la
mission de vérifier que le demandeur se trouve de bonne foi en
situation de surendettement(17). En vertu du pouvoir exprès qui lui est
dévolu, la commission a pour rôle de s'assurer que le débiteur remplit
les conditions pour bénéficier des procédure de désendettement. Il lui
est dévolu à cette fin un pouvoir d'instruction destiné précisément à
vérifier si le débiteur est de bonne foi dans l'impossibilité manifeste
de faire face à son passif(18). Certes, à première vue, il est
paradoxal de considérer qu'une règle énoncée avec autant de force et de
constance au juge du surendettement cesse de recevoir application dans
les locaux de la commission.
Il serait a priori logique d'astreindre la
commission et le juge aux mêmes règles, et ce d'autant plus que la loi
investit le second du pouvoir d'apprécier la régularité des décision de
la première(19). Mais, examinée sous un strict point de vue procédural,
la question se présente sous un angle très différent et la distinction
opérée par le Code peut se comprendre. Le juge statue dans un cadre
juridictionnel, avec des normes substantielles et formelles qui
définissent son office. En particulier, il ne peut statuer qu'aux
termes d'une procédure qui garantisse l'impartialité de son
intervention et, en respectant le principe de la contradiction et le
jeux des règles sur la charge de la preuve. C'est pour cette raison
qu'il ne peut retenir la mauvaise foi du débiteur sans qu'elle n'ait
été soulevée par les créanciers sur lesquels reposent la charge de
renverser la présomption de bonne foi dont bénéficie le débiteur. La
commission de surendettement des particuliers intervient, en revanche,
à un stade non contentieux et non juridictionnel et sur un mode
inquisitorial. Ainsi qu'il a été dit plus haut, le code attribue
expressément à la commission le pouvoir de vérifier que le demandeur se
trouve de bonne foi en situation de surendettement(20). N'étant pas
tenue de respecter le principe de la contradiction, elle examine la
recevabilité de la demande sans recueillir les observations des
créanciers qui ne seront avisés de la procédure qu'à compter de la
notification de sa décision sur la recevabilité. Il lui appartient de
rechercher de sa propre initiative si les conditions de recevabilité
sont réunies. La loi l'investit de ce fait de la prérogative de relever
d'office et même de débusquer la mauvaise foi du débiteur. Une
disposition légale explicite écarte dès lors la présomption légale de
bonne foi. Au reste, une solution inverse aboutirait immanquablement,
dans la mesure où les créanciers n'interviennent pas durant la phase
d'examen par la commission de la recevabilité de la demande, à limiter
le débat sur la bonne foi à la seule phase judiciaire. Or, telle n'est
pas la position de la jurisprudence qui admet que le juge de
l'exécution puisse être saisi d'un recours formé contre la décision
d'irrecevabilité prise par une commission pour cause de mauvaise foi,
quoique ce motif n'ait pas été spécialement invoqué devant lui par un
créancier(21).
11. Tableau du droit positif (suite). La question
de l'application de la règle au juge saisi d'une contestation des
mesures recommandées. La question est en revanche délicate et n'est pas
tranchée de savoir si le juge de l'exécution saisi d'une contestation
des mesures recommandées par la commission de surendettement peut
relever d'office la mauvaise foi du débiteur.
Ouvrant une
parenthèse, il convient à ce point de notre propos de préciser que le
juge de l'exécution, saisi d'une contestation formée sur les mesures
recommandées par la commission, qui s'apercevrait que le débiteur n'est
pas surendetté peut relever d'office cette fin de non-recevoir, dans la
mesure où la décision de recevabilité prise lors de la phase d'examen
par la commission est dépourvue de l'autorité de chose jugée. La seule
obligation du tribunal est de provoquer les explications des parties,
conformément au principe de la contradiction. La formulation de
l'article L. 332-2 qui paraît interdire au juge de relever proprio
motu l'absence de surendettement du débiteur est défectueuse. Il est,
comme on l'a souligné plus haut, de la mission des juridictions de
veiller au strict respect du champ d'application d'une loi d'ordre
public et de ne pas étendre ou restreindre le domaine en-deçà ou
au-delà de ce que le législateur a voulu.
Cette parenthèse
refermée, il apparaît qu'en cas de contestation des mesures
recommandées par la commission de surendettement, l'office du juge
relativement à la condition légale de bonne foi du débiteur fait
l'objet d'une controverse. Sur la foi de l'article L. 332-2 du Code de
la consommation des interprétations antagoniques divisent la Cour de
cassation sur le point de savoir si le juge peut relever d'office la
mauvaise foi du débiteur.
12. La commission de méthodologie en
matière de procédure civile installée à la Cour de cassation interprète
ce texte comme déniant au juge la prérogative de relever d'office la
fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur. Elle fait
valoir « que le texte ne précise pas que cette vérification se fait
d'office, le terme d'office n'étant appliqué qu'à la vérification des
créances ». « Par conséquent, conclut cette commission, le juge ne peut
déclarer irrecevable la demande que si cette irrecevabilité est
soulevée par un des créanciers(22) ».
13. Un arrêt de la Cour de
cassation, non publié au bulletin, semble adopter une interprétation
opposée. La haute juridiction y relève expressément que, « aux termes
de l'article L. 332-2 du Code de la consommation, le juge du
surendettement peut, lorsqu'il statue sur la contestation des mesures
recommandées, s'assurer, même d'office, que le débiteur se trouve bien
dans la situation définie à l'article L. 331-2 du même Code(23) ».
En
somme, d'après cet arrêt, l'interdiction faite à la juridiction du fond
de relever d'office la mauvaise foi du débiteur est cantonnée aux
hypothèses où elle statue sur le recours formé contre la décision de
recevabilité prise par la commission. En revanche, le juge recouvre le
droit de vérifier de son propre chef que le débiteur se trouve dans une
situation de surendettement quand il statue sur la contestation des
mesures recommandées par la commission.
La portée de l'arrêt
prête à discussion. D'un côté, l'interprétation faite par la Cour de
cassation de l'article L. 332-2 du Code de la consommation, sous la
forme d'un attendu rédigé en forme de chapeau coiffant les motifs, est
significatif de l'énoncé d'une solution de principe destinée à fixer la
jurisprudence pour l'avenir. D'un autre côté, en dépit du soin apporté
à sa rédaction, la décision peut malgré tout se comprendre comme un
arrêt d'espèce. Il est ainsi à noter qu'en l'espèce deux des créanciers
avaient invoqué la mauvaise foi de la débitrice à l'audience. La fin de
non-recevoir tirée de la mauvaise foi de la demanderesse n'avait donc
pas été relevée d'office par le juge. La censure de la décision déférée
à la Cour régulatrice s'imposait en tout état de cause. La question du
pouvoir d'office du juge n'était donc pas dans le moyen soumis à la
discussion devant la Cour unificatrice. Par ailleurs, la décision n'a
pas eu les honneurs du bulletin des arrêts de la Cour de cassation.
Aussi, reconnaî tre à cette décision la valeur d'une décision de
principe reviendrait à lui accorder une portée dont elle est dépourvue.
L'interprétation
privilégiée par cet arrêt isolé, en l'absence d'un texte législatif
décisif sur lequel elle pourrait se fonder, se heurte à de fortes
objections, dont la principale est son illogisme. Comment sans
incohérence juger d'un côté que la juridiction saisie du recours formé
contre une décision de recevabilité ne peut pas relever la mauvaise foi
du débiteur et d'un autre côté juger qu'elle en a le pouvoir quand le
recours porte sur la régularité ou le bien-fondé des mesures de
redressement ? La solution que la haute juridiction fait dériver de la
présomption légale – l'interdiction pour le juge de soulever d'office
la mauvaise foi du débiteur – peut-elle varier selon la voie de recours
exercée par le justiciable, bien que ni dans un cas, ni dans l'autre la
mauvaise foi ne soit l'objet du litige ?
14. Appréciation du
droit positif. Les développements du paragraphe précédent rendent
compte du principe d'interprétation qui imprime actuellement les
solutions du droit positif. Ces solutions dérivent de l'office du juge
tel qu'il est déterminé d'une part par le jeu de la présomption légale
de bonne foi et la nature d'ordre public de protection de la
législation sur le surendettement et, d'autre part, par l'existence de
dispositions légales dérogatoires. L'interdiction pour le juge de
relever d'office la mauvaise foi du débiteur, laquelle dérive de la
présomption légale de bonne foi et de la nature d'ordre public de
protection des procédures de désendettement, exprime la règle générale
applicable. Elle s'efface le cas échéant devant des dispositions
législatives dérogatoires, qui confèrent aux instances chargées
d'appliquer le droit du surendettement le pouvoir de soulever, de leur
propre initiative, la mauvaise foi du débiteur.
Aussi bien,
comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, il est de la dernière
évidence que les solutions jurisprudentielles adoptées au sujet du
pouvoir du juge ou de la commission de relever ou non la mauvaise foi
du débiteur découle de la détermination exacte de l'office de ces
organes, c'est-à-dire des prérogatives et des devoirs que la loi leur
assigne.
15. Cela étant, la jurisprudence fait-elle une juste
analyse de cet office en considérant que, en règle générale, il n'entre
pas dans les pouvoirs du juge, sauf disposition législative expresse,
de relever de sa propre initiative la mauvaise foi du débiteur ? Il est
permis de douter de la justesse des solutions adoptées par la Cour
régulatrice, qui paraî t procéder d'une analyse inexacte des normes sur
lesquelles elles se fondent explicitement ou implicitement. En réalité,
une autre conception de l'office du juge du surendettement s'impose.
Cette autre conception est préférable. Elle découle en effet tant de
l'interprétation de la législation sur le surendettement, que de
l'application des principes généraux du droit relatifs à la présomption
de bonne foi. Elle conduit à reconnaî tre au juge de l'exécution le
pouvoir de relever de sa propre initiative la mauvaise foi du débiteur,
dès lors, naturellement qu'il a invité les parties à s'expliquer sur le
moyen ainsi mis dans le débat.
II. Une conception préférable de l'office du juge du surendettement
16.
Des deux règles mises en avant par la Cour de cassation pour justifier
sa jurisprudence relative au pouvoir du juge ou de la commission de
relever ou non la mauvaise foi, aucune n'emporte la conviction. La
jurisprudence s'est, selon nous, édifiée à partir d'une appréciation
inexacte des corollaires de la présomption légale de bonne foi et du
régime des législations d'ordre public de protection.
17. La
présomption légale de bonne foi n'emporte nullement comme corollaire
l'interdiction pour le juge de relever d'office la mauvaise foi du
débiteur. Il n'est dès lors nul besoin d'un texte législatif spécial
pour lui conférer ce pouvoir. La jurisprudence et l'analyse doctrinale
reposent depuis les arrêts fondateurs de 1991 jusqu'aux décisions les
plus récentes sur une confusion. Si la solution jurisprudentielle selon
laquelle une présomption de bonne foi s'attache au débiteur est
justifiée, les conséquences que déduit la Cour de cassation de cette
présomption au sujet de l'office du juge peuvent en effet être
légitimement discutées. Certes, le juge doit se conformer à la
présomption légale, aussi longtemps que la preuve contraire n'a pas été
rapportée contradictoirement au cours du procès. Mais si les faits
débattus devant lui contredisent la présomption, celle-ci est dès lors
détruite. La présomption étant détruite, le juge n'en est plus tenu. Et
comme, par ailleurs, il est de son office de vérifier que les
conditions d'application de la loi sont réunies, il n'est pas obligé de
subordonner son jugement à l'allégation par le créancier de la mauvaise
foi du débiteur. De telle sorte que le juge peut, de sa propre
initiative, mettre l'absence de bonne foi du débiteur dans le débat et
en tirer, après avoir provoqué l'explication des parties, toutes les
conséquences qui en dérivent, à savoir l'irrecevabilité de la demande.
18.
Le corps de normes sur le surendettement est certes au premier chef un
corpus d'ordre public économique de protection sociale visant par
nature à protéger les débiteurs, comme le relève la Cour de cassation
dans son avis du 16 décembre 1994 reproduit plus haut. Mais ce
caractère d'ordre public de protection de la législation sur le
surendettement n'interdit nullement au juge de relever d'office la
mauvaise foi du débiteur. D'ailleurs, si le caractère d'ordre public
économique de protection sociale de la législation sur le
surendettement devait interdire au juge de relever d'office la fin de
non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur, il devrait en être à
plus fortes raison ainsi en matière de rétablissement personnel. Le
caractère d'ordre public de protection baigne en effet toute la
procédure de rétablissement personnel. La défense des débiteurs y est
poussée à son paroxysme puisque la procédure trouve son épilogue dans
l'effacement de ses dettes, et qu'elle ne peut jamais être engagée sans
l'accord du bénéficiaire. Quant à la réussite du désendettement, elle
est clairement fondée sur l'intérêt général, puisqu'elle vise à
sauvegarder la dignité des personnes et des familles(24). Or, la Cour
régulatrice juge, dans son arrêt du 14 décembre 2006 examiné ci-dessus,
que le Code de la consommation fait un devoir au juge de relever
d'office la fin de non-recevoir prise de la mauvaise foi du débiteur.
La nature juridique et la finalité protectrice de la procédure de
rétablissement personnel n'ont donc nullement empêché la haute
juridiction de déduire du texte en cause le devoir pour le juge
d'examiner d'initiative la mauvaise foi du débiteur.
Au juste,
et contrairement à la solution exprimée par l'avis du 16 décembre 1994,
les tribunaux sont tenus de relever d'office les fins de non-recevoir
d'ordre public. Leur devoir à cet égard dérive de la règle fixée à
l'article 125 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile, règle
d'après laquelle « les fins de non-recevoir doivent être relevées
d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public ». Le régime des
fins de non-recevoir d'ordre public est, sous ce rapport, comparable
qu'il s'agisse d'une fin de non-recevoir d'ordre public de protection
ou de direction. L'existence de deux types d'ordre public n'entraî ne
de dualité de régime applicable qu'en ce qui concerne les dispositions
substantielles. Les arrêts rendus en matière de droit de la
consommation montrent clairement que la distinction opérée entre les
règles d'ordre public de protection – que les tribunaux ne peuvent
relever d'office – et les règles d'ordre public de direction – qu'ils
sont autorisés à appliquer d'initiative –, intéresse exclusivement les
dispositions substantielles. La jurisprudence est fermement établie en
ce sens que la transgression par un établissement des règles de
protection des consommateurs relatives à l'offre préalable de crédit ou
à la reconduction annuelle d'une ouverture de crédit utilisable par
fraction, ne peut être opposée qu'à la demande de la personne que cette
disposition a pour objet de protéger. Analysant la nature de l'ordre
public duquel participent les textes consuméristes en cause, la Cour de
cassation relève que la finalité de protection et d'informer des
emprunteurs du dispositif et en tire la conclusion que, s'agissant d'un
ordre public de protection, eux-seuls pouvent en invoquer le
bénéfice(25). En revanche, la distinction ne s'applique pas aux fins de
non-recevoir. Il incombe dès lors aux juridictions de les relever même
si elles ressortissent à l'ordre public de protection. Ainsi, suivant
la jurisprudence de la haute juridiction, quand la règle du dispositif
législatif d'ordre public de protection méconnue constitue une fin de
non-recevoir, il revient aux juridictions du fond, sous le contrôle de
la Cour régulatrice, de soulever d'office la méconnaissance de la
règle, conformément au devoir que leur assigne l'article 125 du nouveau
Code de procédure civile(26). La solution retenue dans l'avis du 16
décembre 1994, au terme duquel le juge ne peut relever d'office la fin
de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur, jure donc avec le
caractère d'ordre public reconnu à la législation sur le
surendettement. L'avis ignore la distinction entre les dispositions
substantielles d'ordre public de protection que les tribunaux ne
peuvent relever d'office et les fins de non-recevoir participant de ce
même ordre public qu'il incombe au contraire aux juridictions
d'appliquer. Cela étant, cette ignorance ne tirerait guère à
conséquence aujourd'hui. L'article 125 alinéa 2 du nouveau Code de
procédure dans sa mouture issue d'un décret du 20 octobre 2004 ouvre
désormais au juge la faculté de relever d'office la fin de non-recevoir
tirée du défaut de qualité du justiciable. Elle l'arme dès lors de ce
fait de la prérogative de déclarer de sa propre initiative irrecevable
le débiteur dépourvu de bonne foi.
19. Comme les développements
précédents permettent de s'en convaincre, ni la présomption légale de
bonne foi, ni le caractère d'ordre public économique de protection
sociale ne justifient l'interdiction faite au juge de relever de son
propre chef la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du
débiteur. L'office du juge est déterminé par le droit commun. A cet
égard, l'article 125 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile
relatif aux fins de non-recevoir d'ordre public commande au contraire
aux juridictions de déclarer d'initiative irrecevable le débiteur de
mauvaise foi en sa demande.
20. L'office du juge ne prend
d'ailleurs pas sa justification dans les seules dispositions de valeur
réglementaire énoncées dans l'article 125 alinéa 1er du nouveau Code de
procédure civile et, subsidiairement en quelque sorte, dans le deuxième
alinéa de ce texte. Il dérive du principe d'interprétation qui gouverne
le droit du surendettement selon lequel les lésions infligées aux
droits des créanciers ne sont justifiées qu'autant qu'elles se révèlent
strictement nécessaire au désendettement du particulier(27). Or, il est
certain que la libération du débiteur en conséquence des mesures de
désendettement dont il bénéficie obéit à un motif d'intérêt général au
sens constitutionnel du terme et répond à une cause d'utilité publique
au sens conventionnel du mot. En effet, une impérieuse raison d'intérêt
général – la lutte contre l'exclusion et la sauvegarde de la dignité
des personnes et des familles – justifie l'atteinte portée par la
législation sur le désendettement aux principes supra législatif de
droit de propriété, d'intangibilité des conventions et de réparation du
préjudice des victimes d'actes fautifs. Mais cette atteinte n'est
légitime qu'autant que le débiteur ne spolie pas sciemment ses
créanciers et n'instrumentalise pas les procédures de désendettement
pour les priver de leurs droits constitutionnellement et
conventionnellement protégés. D'où la nécessité constitutionnelle de
subordonner l'application du dispositif de traitement du surendettement
aux débiteurs de bonne foi. L'observation, rarement faite, est
importante dans la mesure où les textes internationaux font un devoir
aux tribunaux de neutraliser la législation nationale qui leur est
incompatible(28). Or, le fait que la haute juridiction considère depuis
son arrêt du 14 décembre 2006 que le juge tient de la loi, en matière
de procédure de rétablissement personnel, le pouvoir de relever
d'office la mauvaise foi du débiteur, ne suffit à soustraire la
législation sur le surendettement, telle qu'elle est interprétée à ce
jour, à tout grief d'inconstitutionnalité ou de non conformité à la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Il nous
semble que la Cour de cassation, pour soustraire notre droit du
surendettement à toute objection prise de la non conformité de
l'application qu'elle fait des textes, se doit d'étendre sa
jurisprudence du 14 décembre à l'ensemble des procédures de
désendettement.
A ce dernier égard, il importe notamment de
souligner que l'amputation des droits des créanciers portée par les
mesures prises en application de la procédure d'effacement partiel
prévue à l'article L. 331-7-1 est parfois comparable, par son ampleur,
avec la spoliation infligée sur le fondement du rétablissement
personnel. Le débiteur insolvable peut, sous les conditions requises
par l'article L. 331-7-1, bénéficier d'un moratoire éventuellement
complété si son insolvabilité perdure par l'effacement partiel de ses
dettes. Si, sauf à violer l'esprit de la loi et ruiner l'articulation
des procédures qu'elle a voulue instaurer, l'effacement partiel des
créances ne doit pas déguiser par son ampleur un effacement total, il
reste que l'effacement partiel mutile substantiellement les droits des
créanciers. Si l'on ajoute que l'effacement partiel peut être prononcé
sans autre contrepartie pour les créanciers que la perspective de
percevoir une part de leurs créances, la différence avec l'effacement
de l'ensemble des créances prononcé sur le fondement du rétablissement
personnel après liquidation des biens du débiteur et désintéressement
des créanciers s'estompe. N'est-il pas discutable dès lors, au regard
des principes supra législatif, de réserver l'invocation d'office de la
mauvaise foi du débiteur à la seule procédure de rétablissement
personnel alors que la raison qui commande d'attribuer au juge ce
pouvoir réside dans le respect du principe de proportionnalité, lequel
principe impose de ne pas favoriser les intérêts des débiteurs sur ceux
des créanciers au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre
l'objectif légal ?
La solution retenue dans l'arrêt du 14
décembre 2006 ne met donc pas à l'abri notre législation sur le
surendettement de tout grief tiré de son incompatibilité avec les
principes fondamentaux. Pour que notre droit soit indemne de toutes
objections tirées des normes constitutionnelles ou conventionnelles,
encore faut-il, d'après les règles constantes d'interprétation de la
Constitution et de la Convention, que les atteintes infligées aux
droits des créances ne s'avèrent pas disproportionnées à l'objectif à
atteindre, et ne sacrifie pas de ce fait sans justification des
intérêts en conflits. Le respect de la règle de proportionnalité amène
dès lors à s'interroger sur le point de savoir si l'interdiction faite
au juge de relever d'office la mauvaise foi du bénéficiaire d'une
procédure de désendettement, autre que le rétablissement personnel,
n'excède pas l'objectif de sauvetage des insolvables de bonne foi et ne
favorise pas de façon excessive les débiteurs au détriment des
créanciers. La question se résout assez aisément à la lumière d'un
constat dressé par les praticiens d'après lequel la mauvaise foi du
débiteur reste parfois imperceptible pour chacun des créanciers et pour
la commission et apparaî t en revanche au juge qui connaî t de
l'ensemble du dossier et statue contradictoirement. Certes, ainsi qu'il
a été indiqué plus haut, la Cour de cassation reconnaî t à la
commission le pouvoir de relever d'office la mauvaise foi du débiteur.
Le problème est, cependant que, statuant sans les observations des
créanciers et bien souvent au vu de la seule déclaration faite par le
débiteur, la commission ne dispose pas toujours de l'ensemble des
éléments d'information lui permettant d'apprécier pleinement la bonne
foi du débiteur et ce n'est qu'à l'occasion du débat contradictoire qui
se tient devant le juge, en cas de contestation, que peuvent apparaî
tre les éléments caractéristiques de la mauvaise foi.
21. Bref,
s'il incombe au juge de l'exécution de relever d'office la fin de
non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur quand il statue sur
l'ouverture d'une procédure de rétablissement personnel, c'est moins en
vertu de l'interprétation déduite de l'article L. 332-6 du Code de la
consommation par le Cour de cassation, trop réductrice, que pour des
motifs plus généraux. La remarque est importante. La solution adoptée
par la haute juridiction le 14 décembre 2006 cantonne le pouvoir du
juge de soulever d'office la mauvaise foi du demandeur à la procédure
de rétablissement personnel. Or, tant l'application de la règle énoncée
à l'article 125 du nouveau Code de procédure civile que la prise en
compte des normes fondamentales impliquent des tribunaux qu'ils
contrôlent d'initiative la bonne foi du débiteur quelle que soit la
procédure de désendettement applicable.
A quoi s'ajoutent des
raisons de cohérence intrinsèques à la législation sur le
surendettement, qui justifient d'étendre à l'ensemble des procédures de
désendettement l'office du juge de relever d'office la mauvaise foi du
débiteur. L'existence de passerelles entre les diverses procédures
constitue assurément un argument à prendre en compte. Ainsi, suivant
l'article L. 332-12, « à tout moment de la procédure (de rétablissement
personnel), le juge peut, s'il estime que la situation du débiteur
n'est pas irrémédiablement compromise, renvoyer le dossier à la
commission ». Symétriquement, en vertu de l'article L. 331-7-2, « si,
en cours d'exécution d'un plan conventionnel ou de recommandations, il
apparaît que la situation du débiteur devient irrémédiablement
compromise, le débiteur peut saisir la commission afin de bénéficier
d'une procédure de rétablissement personnel ». Un débiteur peut donc
passer de l'une à l'autre des procédures. N'est-il pas alors logique de
prévoir un régime unique de contrôle de la bonne foi du débiteur ?
22.
En définitive, le lecteur l'aura compris : ce n'est rien moins qu'à la
propagation à l'ensemble du droit du surendettement de la solution
adoptée en matière de rétablissement personnel par la Cour de cassation
le 14 décembre 2006 que les présents propos appellent. La solution
préconisée implique l'abandon d'une jurisprudence constante érigée en
véritable doctrine judiciaire… et le triomphe d'une autre conception de
l'office du juge, lui reconnaissant le pouvoir de relever de sa propre
initiative la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur,
quand celle-ci résulte du dossier. Cette conception préférable de
l'office du juge semble d'ailleurs seule à même de garantir l'autorité
et le crédit qui doivent s'attacher à la loi et à l'institution
judiciaire. Elle est en effet de nature à préserver le dispositif légal
du discrédit en éloignant l'idée qu'il est permis, en France, de
s'endetter sans rembourser, de s'engager sans tenir.