La présomption de bonne foi dans le droit du surendettement

(argumentaire en faveur d'un revirement de jurisprudence)
par Guillaume-Xavier BOURIN
Docteur en droit(1)

Le principe fondamental selon lequel la bonne foi du débiteur se présume, en matière de surendettement, emporte deux conséquences selon la Cour de cassation. D'une part, il incombe au créancier de prouver la mauvaise foi du débiteur. D'autre part, le juge ne peut pas soulever d'office une fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur. Or, cette seconde conséquence peut être remise en cause au regard de l'office du juge.

I. 04 1. Selon la Cour de cassation, le débiteur qui présente une demande de traitement de son surendettement est présumé de bonne foi. La solution a été forgée par la haute juridiction dès les premiers arrêts qui, aux lendemains de l'entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1989 relative au surendettement des particuliers, eurent à statuer sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de bonne foi du débiteur.

La Cour régulatrice a rendu le 4 avril 1991 trois décisions de principe à ce sujet(2). Depuis, la Cour de cassation n'a jamais varié. Fixée par une jurisprudence univoque et constante, la solution prend ainsi valeur de règle d'or, de principe(3).

La solution est digne d'approbation. Le principe selon lequel la bonne foi se présume est généralisé à partir de dispositions éparses du Code civil, d'une part l'article 2268(4) relatif à la prescription acquisitive abrégée et d'autre part l'article 1116 alinéa deuxième(5) afférent au dol civil dans la formation des conventions. De nombreux droits étrangers élèvent d'ailleurs au rang de principe général la règle selon laquelle la bonne foi se présume, à l'instar du Code civil québécois dont l'article 2805 placé sous le livre traitant du régime général de la preuve affirme que « la bonne foi se présume toujours, à moins que la loi n'exige expressément de la prouver ». La généralisation de la règle à partir de textes législatifs, sa vocation à l'universalité dans les droits libéraux dévoile sa véritable nature juridique. Il s'agit d'un principe fondamental des obligations civiles et commerciales au sens constitutionnel français du terme. A ce titre, il est dévolu dans notre pays au domaine de la loi par l'article 34 de notre Constitution. La présomption a donc valeur légale.

2. De ce principe fondamental, la Cour de cassation a tiré deux corollaires, deux règles juridiques.

La Cour de cassation déduit d'abord de la présomption de bonne foi la règle selon laquelle il incombe au créancier d'alléguer la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur, et d'en rapporter la preuve. La solution se justifie pleinement. Chacun sait, en effet, que le jeu d'une présomption légale renverse la charge de la preuve. En principe, c'est au demandeur qui réclame l'application d'un droit de prouver qu'il réunit les conditions pour en bénéficier. Le débiteur qui réclame l'application des procédures de désendettement devrait donc, par application des principes probatoires généraux, établir sa bonne foi, de la même manière qu'il doit, selon la jurisprudence constante, justifier de son état de surendettement. Or, le jeu de la présomption légale dispense précisément le débiteur de rapporter la preuve de l'élément présumé. La présomption légale de bonne foi déplace sur les créanciers qui contestent le droit du demandeur de bénéficier de la législation sur le surendettement la charge d'établir sa mauvaise foi afin de détruire la présomption de bonne foi dont il jouit. La présomption légale a ainsi pour résultat de mettre le risque de la preuve à la charge du créancier. Si les créanciers faillissent dans leur démonstration et ne parviennent pas à dissiper toute incertitude raisonnable sur l'état d'esprit qui a animé le débiteur, le doute sera retenu à leur détriment.

Ce premier corollaire dérive incontestablement de la présomption légale de bonne foi et en emprunte dès lors la valeur juridique et la force obligatoire. Il lie de ce fait fatalement les parties en présence, quelle que soit la procédure de désendettement empruntée et l'étape de cette procédure.

3. Dans le prolongement du premier corollaire qu'elle a dégagé, la Cour de cassation déduit ensuite de la présomption de bonne foi une autre règle, cette fois critiquable, exprimée dans de très nombreux arrêts(6). D'après la Cour régulatrice, la présomption de bonne foi entraîne comme conséquence que le juge ne puisse pas relever d'office la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi de l'intéressé, encore que, ainsi qu'on le verra, le tableau du droit positif est beaucoup plus contrasté. Bref, en principe, suivant les arrêts, le jeu de la présomption prive le juge du pouvoir de soulever de sa propre initiative l'absence de bonne foi du débiteur. A quoi il faut ajouter que l'interdiction pour le juge du surendettement de statuer de son propre chef sur la mauvaise foi du débiteur ne tire pas seulement, d'après la Cour unificatrice, sa justification de la présomption légale de bonne foi. Selon un avis exprimé par la Cour de cassation le 16 décembre 1994, la prohibition dérive aussi du caractère d'ordre public de protection attaché à la législation sur le surendettement(7). La solution n'a cependant jamais été reprise dans les arrêts. Elle n'est certes pas surérogatoire. Mais sa fragilité évidente explique certainement la discrétion de la jurisprudence à cet égard. Le caractère d'ordre public de la législation sur le surendettement constitue donc, en quelque sorte, un fondement secondaire.

En somme, le deuxième corollaire de la présomption de bonne foi, associé au caractère d'ordre public de protection de la législation sur le surendettement, délimite l'office de la commission de surendettement et du juge de l'exécution relativement à la fin de non-recevoir tirée de l'absence de bonne foi du débiteur, c'est-à-dire, ni plus ni moins, le pouvoir dévolu à ces organes de soulever de leur propre chef la cause d'irrecevabilité.

4. Or, cette conception de l'office du juge et de la commission qui résulte du droit positif n'est pas conforme à celle qui, selon nous, doit découler de l'application de la législation sur le surendettement, ni des principes généraux et notamment de la présomption de bonne foi. Autrement dit, le deuxième corollaire déduit de la présomption de bonne foi par la Cour de cassation, avec l'approbation de la doctrine, nous paraî t contestable. Cette conception discutable de l'office du juge dans le droit positif nous paraî t devoir céder la place à une autre conception de son office, bien plus préférable. Tel est le sens de l'argumentation ici développée.

I. Une conception discutable de l'office du juge

5. Suivant la jurisprudence, la présomption légale de bonne foi dont bénéficie le débiteur emporte comme premier corollaire qu'il incombe à ses créanciers de renverser cette présomption en alléguant et en prouvant les faits propres à démontrer sa mauvaise foi. En vertu du second corollaire déduit de la présomption légale, le juge ne peut pas statuer sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de bonne foi du débiteur, s'il n'est pas expressément saisi par un créancier à cette fin, la mauvaise foi du débiteur transpirerait-elle du dossier. Dans la conception qui a prévalu en jurisprudence et en doctrine jusqu'à présent, la règle ainsi déduite souffre tellement peu la discussion que, parfois, la Cour unificatrice ne prend plus la peine de la relier à la présomption légale de bonne foi. La solution procède alors dans certains arrêts de l'affirmation brute. La justification n'est plus qu'implicite : « Attendu que, lorsque la commission de surendettement s'est prononcée sur la recevabilité d'une demande aux fins d'élaboration d'un plan de redressement et que le juge est saisi d'un recours contre une telle décision, il ne peut soulever d'office la fin de non-recevoir résultant de l'absence de bonne foi(8) ».

Le jeu de la présomption légale, associé au caractère d'ordre public de protection de la législation sur le surendettement, emporte ainsi comme conséquence que le juge, même placé devant des cas manifestes d'intention frauduleuse, doit impérativement s'abstenir de relever d'office la fin de non-recevoir. Il est en toutes circonstances tenu, en cas de carence ou d'abstention des créanciers, d'accueillir la demande du débiteur et de le faire bénéficier des dispositions protectrices des procédures de désendettement. Si les créanciers ne contestent pas la bonne foi du débiteur, le juge ne peut se substituer à eux. Ses décisions ne peuvent qu'être des décisions de recevabilité.

Pour cette raison, tombe aussi sous la censure de la Cour de cassation, le juge qui relève la mauvaise foi du débiteur alors que la commission a déclaré irrecevable sa demande en se fondant sur un autre motif comme, par exemple, le caractère professionnel de l'endettement(9) ou le caractère inéligible à la procédure du demandeur commerçant(10). En revanche, parce qu'il ne soulève pas en ce cas d'office la fin de non-recevoir, le juge qui est saisi d'un recours formé contre la décision d'irrecevabilité prise par une commission pour cause de mauvaise foi, peut confirmer cette décision en reprenant le motif mis en avant par la commission, quoique celui-ci n'ait pas été spécialement invoqué devant lui par un créancier. En effet, en ce cas, l'absence de bonne foi était dans la cause depuis la décision d'irrecevabilité, objet du recours(11).

6. Champ d'application du deuxième corollaire. Fondée sur la présomption légale de bonne foi, la règle selon laquelle le juge ne peut pas relever d'office la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur devrait lier l'ensemble des instances chargées d'appliquer la législation sur le surendettement.

Cela dit, les choses ne sont pas si simples et le tableau du droit positif est complexe et incertain, le deuxième corollaire de la présomption légale s'effaçant parfois au profit du pouvoir du juge de soulever la fin de non-recevoir. Cependant, en poussant l'analyse, l'état du droit en vigueur s'ordonne, semble-t-il, autour du principe d'interprétation suivant : quand le Code de la consommation n'apporte aucune dérogation expresse à l'interdiction attachée à la présomption légale de bonne foi de soulever d'office la mauvaise foi du débiteur, le juge, légalement tenu par les effets attachés à la présomption ne peut s'arroger ce pouvoir. Si la bonne foi du débiteur n'est pas attaquée devant lui, il doit la tenir pour constante, en application de la présomption légale. Si, par dérogation à la présomption légale de bonne foi, le code confère expressément au juge la prérogative de relever d'office la mauvaise foi du débiteur, le magistrat puise alors dans une disposition légale spéciale le pouvoir de le faire. La démonstration sera faite à partir de la jurisprudence relative au recours formé contre les décisions de la commission en matière de recevabilité et à celle relative à l'ouverture de la procédure de rétablissement personnel. De ces jurisprudences se déduit le principe actuel d'interprétation de l'office des instances en charge des procédures de surendettement relatif à leur pouvoir de relever la fin de non-recevoir tirée de l'absence de bonne foi du débiteur.

7. Tableau du droit positif. Application de la règle tirée de la présomption légale au juge saisi du recours sur une décision de recevabilité. L'interdiction de relever d'office la fin de non-recevoir s'applique au juge saisi d'un recours formé contre une décision de la commission prise en matière recevabilité de la demande. La règle jurisprudentielle régit au premier chef l'examen de la recevabilité de la demande auquel la commission procède après le dépôt de son dossier par le débiteur(12). La série d'arrêts rapportés plus haut porte au demeurant sur les décisions de recevabilité prises par la commission de surendettement et les jugements rendus après contestation de ces décisions.

La raison en est que le rôle assigné par le Code de la consommation au juge saisi d'un recours contre la décision de la commission en matière de recevabilité se limite au contrôle de cette décision. A ce stade, le code ne confère pas au juge le pouvoir de s'assurer des conditions d'application de la loi. Il investit de cette mission la commission de surendettement des particuliers. Le code la charge en effet de vérifier que le demandeur se trouve de bonne foi en situation de surendettement(13). En comparaison, le rôle du juge du surendettement, à cette étape de la procédure, est beaucoup plus limité. Il est juge du recours formé contre la décision de la commission en matière de recevabilité et son office est, faute de précision explicite posée par la loi, réduit à l'examen du recours formé devant lui(14). Ainsi, à défaut de dérogation légale explicite à la présomption légale de bonne foi, le magistrat est impuissant à soulever proprio motu la mauvaise foi du débiteur, si les parties ne mettent pas ce moyen dans la cause. En somme et pour aller au fond des choses, la présomption légale de bonne foi, conjuguée à la règle tirée de l'ordre public économique de protection sociale des lois sur le surendettement, bornent l'office du juge. Faute d'une dérogation légale explicite à l'interdiction de relever d'office la mauvaise foi du débiteur, le juge excéderait ses pouvoirs s'il jugeait de sa propre initiative la demande du débiteur irrecevable.

8. Tableau du droit positif (suite). Eviction de la règle pour le juge du rétablissement personnel. En revanche, la Cour de cassation a écarté la prohibition de relever d'office la mauvaise foi du débiteur en matière de rétablissement personnel par un important arrêt du 14 décembre 2006(15).

Suivant le raisonnement adopté par la Cour de cassation, en la matière, le juge de l'exécution tire de l'article L. 332-6 du Code de la consommation le pouvoir d'apprécier, même d'office, la bonne foi du débiteur avant de se prononcer sur l'ouverture d'une procédure de rétablissement personnel : « attendu que le juge de l'exécution tient de l'article L. 332-6 du Code de la consommation le pouvoir d'apprécier, même d'office, le caractère irrémédiablement compromis de la situation du débiteur ainsi que sa bonne foi pour prononcer l'ouverture de la procédure de rétablissement personnel ». L'article L. 332-6 du Code de la consommation, relatif à la procédure de rétablissement personnel, porte en effet : « le juge de l'exécution, dans le délai d'un mois, convoque le débiteur et les créanciers connus à une audience d'ouverture de la procédure de rétablissement personnel. Il peut inviter un travailleur social à assister à cette audience. Le juge, après avoir entendu le débiteur s'il se présente et apprécié le caractère irrémédiablement compromis de sa situation ainsi que sa bonne foi, rend un jugement prononçant l'ouverture de la procédure ». La Cour de cassation en déduit que l'interdiction pour le juge de relever d'office la mauvaise foi du débiteur est écartée par un texte législatif spécifique, qui déroge à la règle générale de prohibition dérivant de la présomption légale de bonne foi.

Au-delà de la lettre du texte, la solution s'explique par le fait que la saisine du juge de l'exécution de l'ouverture d'une procédure de rétalissement personnel dessaisit la commission du dossier. Il revient dès lors au juge d'endosser les habits de la commission et de vérifier si les conditions d'application de la loi sont réunies. Cette mission implique de lui un rôle actif, lequel rôle suppose la reconnaissance à son profit du pouvoir d'examiner de sa propre initiative si le débiteur est de bonne foi. La présomption légale de bonne foi n'est pas pour autant renversée. Ce n'est pas au débiteur de démontrer qu'il est de bonne foi. Mais si le juge réunit assez d'éléments caractéristiques de la mauvaise foi du débiteur, alors la présomption qui lui bénéficie tombe.

La confrontation de ces deux jurisprudences permet de clarifier et de mieux appréhender le droit positif. Cette confrontation met en lumière les motifs qui gouvernent les solutions adoptées par la Cour de cassation au sujet du pouvoir du juge de relever d'office la mauvaise foi du débiteur. La présomption légale de bonne foi et les dispositions légales spécifiques qui en écartent le corollaire faisant interdiction à la juridiction de relever de lui-même l'absence de bonne foi du débiteur, délimitent l'office du juge. Quand aucun texte ne statue sur la question, la présomption légale de bonne foi impose au juge de s'abstenir de soulever proprio motu la mauvaise foi du débiteur. Si un texte législatif autorise le juge à relever la fin de non-recevoir, le texte spécial déroge à la règle générale d'abstention. Cette analyse faite, il n'est plus qu'à appliquer le principe d'interprétation de l'office du juge à l'ensemble des cas de figure susceptibles de se produire.

9. Tableau du droit positif (suite). Application de la règle au juge saisi d'une demande d'homologation des mesures recommandées. Les motifs qui proscrivent au juge, saisi d'un recours en matière de recevabilité de la demande, de relever d'office la mauvaise foi du débiteur se retrouvent avec la même vigueur quand la juridiction de l'exécution confère force exécutoire aux mesures recommandées de désendettement par la commission de surendettement des particuliers. Le juge a un pouvoir lié à cet égard et la loi ne lui attribue pas d'autres prérogatives que celles de vérifier si les mesures de redressement préconisées sont celles-là même que la loi a prévues(16). Aucune disposition légale ne confie au juge le pouvoir de relever d'office la mauvaise foi du débiteur. Dès lors, s'applique la règle générale d'interdiction de soulever l'absence de bonne foi de l'intéressé, tirée de la présomption légale de bonne foi.

10. Tableau du droit positif (suite). Inapplication de la règle attachée à la présomption légale à la commission de surendettement. La loi assigne explicitement à la commission de surendettement des particuliers la mission de vérifier que le demandeur se trouve de bonne foi en situation de surendettement(17). En vertu du pouvoir exprès qui lui est dévolu, la commission a pour rôle de s'assurer que le débiteur remplit les conditions pour bénéficier des procédure de désendettement. Il lui est dévolu à cette fin un pouvoir d'instruction destiné précisément à vérifier si le débiteur est de bonne foi dans l'impossibilité manifeste de faire face à son passif(18). Certes, à première vue, il est paradoxal de considérer qu'une règle énoncée avec autant de force et de constance au juge du surendettement cesse de recevoir application dans les locaux de la commission.

Il serait a priori logique d'astreindre la commission et le juge aux mêmes règles, et ce d'autant plus que la loi investit le second du pouvoir d'apprécier la régularité des décision de la première(19). Mais, examinée sous un strict point de vue procédural, la question se présente sous un angle très différent et la distinction opérée par le Code peut se comprendre. Le juge statue dans un cadre juridictionnel, avec des normes substantielles et formelles qui définissent son office. En particulier, il ne peut statuer qu'aux termes d'une procédure qui garantisse l'impartialité de son intervention et, en respectant le principe de la contradiction et le jeux des règles sur la charge de la preuve. C'est pour cette raison qu'il ne peut retenir la mauvaise foi du débiteur sans qu'elle n'ait été soulevée par les créanciers sur lesquels reposent la charge de renverser la présomption de bonne foi dont bénéficie le débiteur. La commission de surendettement des particuliers intervient, en revanche, à un stade non contentieux et non juridictionnel et sur un mode inquisitorial. Ainsi qu'il a été dit plus haut, le code attribue expressément à la commission le pouvoir de vérifier que le demandeur se trouve de bonne foi en situation de surendettement(20). N'étant pas tenue de respecter le principe de la contradiction, elle examine la recevabilité de la demande sans recueillir les observations des créanciers qui ne seront avisés de la procédure qu'à compter de la notification de sa décision sur la recevabilité. Il lui appartient de rechercher de sa propre initiative si les conditions de recevabilité sont réunies. La loi l'investit de ce fait de la prérogative de relever d'office et même de débusquer la mauvaise foi du débiteur. Une disposition légale explicite écarte dès lors la présomption légale de bonne foi. Au reste, une solution inverse aboutirait immanquablement, dans la mesure où les créanciers n'interviennent pas durant la phase d'examen par la commission de la recevabilité de la demande, à limiter le débat sur la bonne foi à la seule phase judiciaire. Or, telle n'est pas la position de la jurisprudence qui admet que le juge de l'exécution puisse être saisi d'un recours formé contre la décision d'irrecevabilité prise par une commission pour cause de mauvaise foi, quoique ce motif n'ait pas été spécialement invoqué devant lui par un créancier(21).

11. Tableau du droit positif (suite). La question de l'application de la règle au juge saisi d'une contestation des mesures recommandées. La question est en revanche délicate et n'est pas tranchée de savoir si le juge de l'exécution saisi d'une contestation des mesures recommandées par la commission de surendettement peut relever d'office la mauvaise foi du débiteur.

Ouvrant une parenthèse, il convient à ce point de notre propos de préciser que le juge de l'exécution, saisi d'une contestation formée sur les mesures recommandées par la commission, qui s'apercevrait que le débiteur n'est pas surendetté peut relever d'office cette fin de non-recevoir, dans la mesure où la décision de recevabilité prise lors de la phase d'examen par la commission est dépourvue de l'autorité de chose jugée. La seule obligation du tribunal est de provoquer les explications des parties, conformément au principe de la contradiction. La formulation de l'article L. 332-2 qui paraît interdire au juge de relever proprio motu l'absence de surendettement du débiteur est défectueuse. Il est, comme on l'a souligné plus haut, de la mission des juridictions de veiller au strict respect du champ d'application d'une loi d'ordre public et de ne pas étendre ou restreindre le domaine en-deçà ou au-delà de ce que le législateur a voulu.

Cette parenthèse refermée, il apparaît qu'en cas de contestation des mesures recommandées par la commission de surendettement, l'office du juge relativement à la condition légale de bonne foi du débiteur fait l'objet d'une controverse. Sur la foi de l'article L. 332-2 du Code de la consommation des interprétations antagoniques divisent la Cour de cassation sur le point de savoir si le juge peut relever d'office la mauvaise foi du débiteur.

12. La commission de méthodologie en matière de procédure civile installée à la Cour de cassation interprète ce texte comme déniant au juge la prérogative de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur. Elle fait valoir « que le texte ne précise pas que cette vérification se fait d'office, le terme d'office n'étant appliqué qu'à la vérification des créances ». « Par conséquent, conclut cette commission, le juge ne peut déclarer irrecevable la demande que si cette irrecevabilité est soulevée par un des créanciers(22) ».

13. Un arrêt de la Cour de cassation, non publié au bulletin, semble adopter une interprétation opposée. La haute juridiction y relève expressément que, « aux termes de l'article L. 332-2 du Code de la consommation, le juge du surendettement peut, lorsqu'il statue sur la contestation des mesures recommandées, s'assurer, même d'office, que le débiteur se trouve bien dans la situation définie à l'article L. 331-2 du même Code(23) ».

En somme, d'après cet arrêt, l'interdiction faite à la juridiction du fond de relever d'office la mauvaise foi du débiteur est cantonnée aux hypothèses où elle statue sur le recours formé contre la décision de recevabilité prise par la commission. En revanche, le juge recouvre le droit de vérifier de son propre chef que le débiteur se trouve dans une situation de surendettement quand il statue sur la contestation des mesures recommandées par la commission.

La portée de l'arrêt prête à discussion. D'un côté, l'interprétation faite par la Cour de cassation de l'article L. 332-2 du Code de la consommation, sous la forme d'un attendu rédigé en forme de chapeau coiffant les motifs, est significatif de l'énoncé d'une solution de principe destinée à fixer la jurisprudence pour l'avenir. D'un autre côté, en dépit du soin apporté à sa rédaction, la décision peut malgré tout se comprendre comme un arrêt d'espèce. Il est ainsi à noter qu'en l'espèce deux des créanciers avaient invoqué la mauvaise foi de la débitrice à l'audience. La fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi de la demanderesse n'avait donc pas été relevée d'office par le juge. La censure de la décision déférée à la Cour régulatrice s'imposait en tout état de cause. La question du pouvoir d'office du juge n'était donc pas dans le moyen soumis à la discussion devant la Cour unificatrice. Par ailleurs, la décision n'a pas eu les honneurs du bulletin des arrêts de la Cour de cassation. Aussi, reconnaî tre à cette décision la valeur d'une décision de principe reviendrait à lui accorder une portée dont elle est dépourvue.

L'interprétation privilégiée par cet arrêt isolé, en l'absence d'un texte législatif décisif sur lequel elle pourrait se fonder, se heurte à de fortes objections, dont la principale est son illogisme. Comment sans incohérence juger d'un côté que la juridiction saisie du recours formé contre une décision de recevabilité ne peut pas relever la mauvaise foi du débiteur et d'un autre côté juger qu'elle en a le pouvoir quand le recours porte sur la régularité ou le bien-fondé des mesures de redressement ? La solution que la haute juridiction fait dériver de la présomption légale – l'interdiction pour le juge de soulever d'office la mauvaise foi du débiteur – peut-elle varier selon la voie de recours exercée par le justiciable, bien que ni dans un cas, ni dans l'autre la mauvaise foi ne soit l'objet du litige ?

14. Appréciation du droit positif. Les développements du paragraphe précédent rendent compte du principe d'interprétation qui imprime actuellement les solutions du droit positif. Ces solutions dérivent de l'office du juge tel qu'il est déterminé d'une part par le jeu de la présomption légale de bonne foi et la nature d'ordre public de protection de la législation sur le surendettement et, d'autre part, par l'existence de dispositions légales dérogatoires. L'interdiction pour le juge de relever d'office la mauvaise foi du débiteur, laquelle dérive de la présomption légale de bonne foi et de la nature d'ordre public de protection des procédures de désendettement, exprime la règle générale applicable. Elle s'efface le cas échéant devant des dispositions législatives dérogatoires, qui confèrent aux instances chargées d'appliquer le droit du surendettement le pouvoir de soulever, de leur propre initiative, la mauvaise foi du débiteur.

Aussi bien, comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, il est de la dernière évidence que les solutions jurisprudentielles adoptées au sujet du pouvoir du juge ou de la commission de relever ou non la mauvaise foi du débiteur découle de la détermination exacte de l'office de ces organes, c'est-à-dire des prérogatives et des devoirs que la loi leur assigne.

15. Cela étant, la jurisprudence fait-elle une juste analyse de cet office en considérant que, en règle générale, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge, sauf disposition législative expresse, de relever de sa propre initiative la mauvaise foi du débiteur ? Il est permis de douter de la justesse des solutions adoptées par la Cour régulatrice, qui paraî t procéder d'une analyse inexacte des normes sur lesquelles elles se fondent explicitement ou implicitement. En réalité, une autre conception de l'office du juge du surendettement s'impose. Cette autre conception est préférable. Elle découle en effet tant de l'interprétation de la législation sur le surendettement, que de l'application des principes généraux du droit relatifs à la présomption de bonne foi. Elle conduit à reconnaî tre au juge de l'exécution le pouvoir de relever de sa propre initiative la mauvaise foi du débiteur, dès lors, naturellement qu'il a invité les parties à s'expliquer sur le moyen ainsi mis dans le débat.

II. Une conception préférable de l'office du juge du surendettement

16. Des deux règles mises en avant par la Cour de cassation pour justifier sa jurisprudence relative au pouvoir du juge ou de la commission de relever ou non la mauvaise foi, aucune n'emporte la conviction. La jurisprudence s'est, selon nous, édifiée à partir d'une appréciation inexacte des corollaires de la présomption légale de bonne foi et du régime des législations d'ordre public de protection.

17. La présomption légale de bonne foi n'emporte nullement comme corollaire l'interdiction pour le juge de relever d'office la mauvaise foi du débiteur. Il n'est dès lors nul besoin d'un texte législatif spécial pour lui conférer ce pouvoir. La jurisprudence et l'analyse doctrinale reposent depuis les arrêts fondateurs de 1991 jusqu'aux décisions les plus récentes sur une confusion. Si la solution jurisprudentielle selon laquelle une présomption de bonne foi s'attache au débiteur est justifiée, les conséquences que déduit la Cour de cassation de cette présomption au sujet de l'office du juge peuvent en effet être légitimement discutées. Certes, le juge doit se conformer à la présomption légale, aussi longtemps que la preuve contraire n'a pas été rapportée contradictoirement au cours du procès. Mais si les faits débattus devant lui contredisent la présomption, celle-ci est dès lors détruite. La présomption étant détruite, le juge n'en est plus tenu. Et comme, par ailleurs, il est de son office de vérifier que les conditions d'application de la loi sont réunies, il n'est pas obligé de subordonner son jugement à l'allégation par le créancier de la mauvaise foi du débiteur. De telle sorte que le juge peut, de sa propre initiative, mettre l'absence de bonne foi du débiteur dans le débat et en tirer, après avoir provoqué l'explication des parties, toutes les conséquences qui en dérivent, à savoir l'irrecevabilité de la demande.

18. Le corps de normes sur le surendettement est certes au premier chef un corpus d'ordre public économique de protection sociale visant par nature à protéger les débiteurs, comme le relève la Cour de cassation dans son avis du 16 décembre 1994 reproduit plus haut. Mais ce caractère d'ordre public de protection de la législation sur le surendettement n'interdit nullement au juge de relever d'office la mauvaise foi du débiteur. D'ailleurs, si le caractère d'ordre public économique de protection sociale de la législation sur le surendettement devait interdire au juge de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur, il devrait en être à plus fortes raison ainsi en matière de rétablissement personnel. Le caractère d'ordre public de protection baigne en effet toute la procédure de rétablissement personnel. La défense des débiteurs y est poussée à son paroxysme puisque la procédure trouve son épilogue dans l'effacement de ses dettes, et qu'elle ne peut jamais être engagée sans l'accord du bénéficiaire. Quant à la réussite du désendettement, elle est clairement fondée sur l'intérêt général, puisqu'elle vise à sauvegarder la dignité des personnes et des familles(24). Or, la Cour régulatrice juge, dans son arrêt du 14 décembre 2006 examiné ci-dessus, que le Code de la consommation fait un devoir au juge de relever d'office la fin de non-recevoir prise de la mauvaise foi du débiteur. La nature juridique et la finalité protectrice de la procédure de rétablissement personnel n'ont donc nullement empêché la haute juridiction de déduire du texte en cause le devoir pour le juge d'examiner d'initiative la mauvaise foi du débiteur.

Au juste, et contrairement à la solution exprimée par l'avis du 16 décembre 1994, les tribunaux sont tenus de relever d'office les fins de non-recevoir d'ordre public. Leur devoir à cet égard dérive de la règle fixée à l'article 125 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile, règle d'après laquelle « les fins de non-recevoir doivent être relevées d'office lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public ». Le régime des fins de non-recevoir d'ordre public est, sous ce rapport, comparable qu'il s'agisse d'une fin de non-recevoir d'ordre public de protection ou de direction. L'existence de deux types d'ordre public n'entraî ne de dualité de régime applicable qu'en ce qui concerne les dispositions substantielles. Les arrêts rendus en matière de droit de la consommation montrent clairement que la distinction opérée entre les règles d'ordre public de protection – que les tribunaux ne peuvent relever d'office – et les règles d'ordre public de direction – qu'ils sont autorisés à appliquer d'initiative –, intéresse exclusivement les dispositions substantielles. La jurisprudence est fermement établie en ce sens que la transgression par un établissement des règles de protection des consommateurs relatives à l'offre préalable de crédit ou à la reconduction annuelle d'une ouverture de crédit utilisable par fraction, ne peut être opposée qu'à la demande de la personne que cette disposition a pour objet de protéger. Analysant la nature de l'ordre public duquel participent les textes consuméristes en cause, la Cour de cassation relève que la finalité de protection et d'informer des emprunteurs du dispositif et en tire la conclusion que, s'agissant d'un ordre public de protection, eux-seuls pouvent en invoquer le bénéfice(25). En revanche, la distinction ne s'applique pas aux fins de non-recevoir. Il incombe dès lors aux juridictions de les relever même si elles ressortissent à l'ordre public de protection. Ainsi, suivant la jurisprudence de la haute juridiction, quand la règle du dispositif législatif d'ordre public de protection méconnue constitue une fin de non-recevoir, il revient aux juridictions du fond, sous le contrôle de la Cour régulatrice, de soulever d'office la méconnaissance de la règle, conformément au devoir que leur assigne l'article 125 du nouveau Code de procédure civile(26). La solution retenue dans l'avis du 16 décembre 1994, au terme duquel le juge ne peut relever d'office la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur, jure donc avec le caractère d'ordre public reconnu à la législation sur le surendettement. L'avis ignore la distinction entre les dispositions substantielles d'ordre public de protection que les tribunaux ne peuvent relever d'office et les fins de non-recevoir participant de ce même ordre public qu'il incombe au contraire aux juridictions d'appliquer. Cela étant, cette ignorance ne tirerait guère à conséquence aujourd'hui. L'article 125 alinéa 2 du nouveau Code de procédure dans sa mouture issue d'un décret du 20 octobre 2004 ouvre désormais au juge la faculté de relever d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité du justiciable. Elle l'arme dès lors de ce fait de la prérogative de déclarer de sa propre initiative irrecevable le débiteur dépourvu de bonne foi.

19. Comme les développements précédents permettent de s'en convaincre, ni la présomption légale de bonne foi, ni le caractère d'ordre public économique de protection sociale ne justifient l'interdiction faite au juge de relever de son propre chef la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur. L'office du juge est déterminé par le droit commun. A cet égard, l'article 125 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile relatif aux fins de non-recevoir d'ordre public commande au contraire aux juridictions de déclarer d'initiative irrecevable le débiteur de mauvaise foi en sa demande.

20. L'office du juge ne prend d'ailleurs pas sa justification dans les seules dispositions de valeur réglementaire énoncées dans l'article 125 alinéa 1er du nouveau Code de procédure civile et, subsidiairement en quelque sorte, dans le deuxième alinéa de ce texte. Il dérive du principe d'interprétation qui gouverne le droit du surendettement selon lequel les lésions infligées aux droits des créanciers ne sont justifiées qu'autant qu'elles se révèlent strictement nécessaire au désendettement du particulier(27). Or, il est certain que la libération du débiteur en conséquence des mesures de désendettement dont il bénéficie obéit à un motif d'intérêt général au sens constitutionnel du terme et répond à une cause d'utilité publique au sens conventionnel du mot. En effet, une impérieuse raison d'intérêt général – la lutte contre l'exclusion et la sauvegarde de la dignité des personnes et des familles – justifie l'atteinte portée par la législation sur le désendettement aux principes supra législatif de droit de propriété, d'intangibilité des conventions et de réparation du préjudice des victimes d'actes fautifs. Mais cette atteinte n'est légitime qu'autant que le débiteur ne spolie pas sciemment ses créanciers et n'instrumentalise pas les procédures de désendettement pour les priver de leurs droits constitutionnellement et conventionnellement protégés. D'où la nécessité constitutionnelle de subordonner l'application du dispositif de traitement du surendettement aux débiteurs de bonne foi. L'observation, rarement faite, est importante dans la mesure où les textes internationaux font un devoir aux tribunaux de neutraliser la législation nationale qui leur est incompatible(28). Or, le fait que la haute juridiction considère depuis son arrêt du 14 décembre 2006 que le juge tient de la loi, en matière de procédure de rétablissement personnel, le pouvoir de relever d'office la mauvaise foi du débiteur, ne suffit à soustraire la législation sur le surendettement, telle qu'elle est interprétée à ce jour, à tout grief d'inconstitutionnalité ou de non conformité à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Il nous semble que la Cour de cassation, pour soustraire notre droit du surendettement à toute objection prise de la non conformité de l'application qu'elle fait des textes, se doit d'étendre sa jurisprudence du 14 décembre à l'ensemble des procédures de désendettement.

A ce dernier égard, il importe notamment de souligner que l'amputation des droits des créanciers portée par les mesures prises en application de la procédure d'effacement partiel prévue à l'article L. 331-7-1 est parfois comparable, par son ampleur, avec la spoliation infligée sur le fondement du rétablissement personnel. Le débiteur insolvable peut, sous les conditions requises par l'article L. 331-7-1, bénéficier d'un moratoire éventuellement complété si son insolvabilité perdure par l'effacement partiel de ses dettes. Si, sauf à violer l'esprit de la loi et ruiner l'articulation des procédures qu'elle a voulue instaurer, l'effacement partiel des créances ne doit pas déguiser par son ampleur un effacement total, il reste que l'effacement partiel mutile substantiellement les droits des créanciers. Si l'on ajoute que l'effacement partiel peut être prononcé sans autre contrepartie pour les créanciers que la perspective de percevoir une part de leurs créances, la différence avec l'effacement de l'ensemble des créances prononcé sur le fondement du rétablissement personnel après liquidation des biens du débiteur et désintéressement des créanciers s'estompe. N'est-il pas discutable dès lors, au regard des principes supra législatif, de réserver l'invocation d'office de la mauvaise foi du débiteur à la seule procédure de rétablissement personnel alors que la raison qui commande d'attribuer au juge ce pouvoir réside dans le respect du principe de proportionnalité, lequel principe impose de ne pas favoriser les intérêts des débiteurs sur ceux des créanciers au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif légal ?

La solution retenue dans l'arrêt du 14 décembre 2006 ne met donc pas à l'abri notre législation sur le surendettement de tout grief tiré de son incompatibilité avec les principes fondamentaux. Pour que notre droit soit indemne de toutes objections tirées des normes constitutionnelles ou conventionnelles, encore faut-il, d'après les règles constantes d'interprétation de la Constitution et de la Convention, que les atteintes infligées aux droits des créances ne s'avèrent pas disproportionnées à l'objectif à atteindre, et ne sacrifie pas de ce fait sans justification des intérêts en conflits. Le respect de la règle de proportionnalité amène dès lors à s'interroger sur le point de savoir si l'interdiction faite au juge de relever d'office la mauvaise foi du bénéficiaire d'une procédure de désendettement, autre que le rétablissement personnel, n'excède pas l'objectif de sauvetage des insolvables de bonne foi et ne favorise pas de façon excessive les débiteurs au détriment des créanciers. La question se résout assez aisément à la lumière d'un constat dressé par les praticiens d'après lequel la mauvaise foi du débiteur reste parfois imperceptible pour chacun des créanciers et pour la commission et apparaî t en revanche au juge qui connaî t de l'ensemble du dossier et statue contradictoirement. Certes, ainsi qu'il a été indiqué plus haut, la Cour de cassation reconnaî t à la commission le pouvoir de relever d'office la mauvaise foi du débiteur. Le problème est, cependant que, statuant sans les observations des créanciers et bien souvent au vu de la seule déclaration faite par le débiteur, la commission ne dispose pas toujours de l'ensemble des éléments d'information lui permettant d'apprécier pleinement la bonne foi du débiteur et ce n'est qu'à l'occasion du débat contradictoire qui se tient devant le juge, en cas de contestation, que peuvent apparaî tre les éléments caractéristiques de la mauvaise foi.

21. Bref, s'il incombe au juge de l'exécution de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur quand il statue sur l'ouverture d'une procédure de rétablissement personnel, c'est moins en vertu de l'interprétation déduite de l'article L. 332-6 du Code de la consommation par le Cour de cassation, trop réductrice, que pour des motifs plus généraux. La remarque est importante. La solution adoptée par la haute juridiction le 14 décembre 2006 cantonne le pouvoir du juge de soulever d'office la mauvaise foi du demandeur à la procédure de rétablissement personnel. Or, tant l'application de la règle énoncée à l'article 125 du nouveau Code de procédure civile que la prise en compte des normes fondamentales impliquent des tribunaux qu'ils contrôlent d'initiative la bonne foi du débiteur quelle que soit la procédure de désendettement applicable.

A quoi s'ajoutent des raisons de cohérence intrinsèques à la législation sur le surendettement, qui justifient d'étendre à l'ensemble des procédures de désendettement l'office du juge de relever d'office la mauvaise foi du débiteur. L'existence de passerelles entre les diverses procédures constitue assurément un argument à prendre en compte. Ainsi, suivant l'article L. 332-12, « à tout moment de la procédure (de rétablissement personnel), le juge peut, s'il estime que la situation du débiteur n'est pas irrémédiablement compromise, renvoyer le dossier à la commission ». Symétriquement, en vertu de l'article L. 331-7-2, « si, en cours d'exécution d'un plan conventionnel ou de recommandations, il apparaît que la situation du débiteur devient irrémédiablement compromise, le débiteur peut saisir la commission afin de bénéficier d'une procédure de rétablissement personnel ». Un débiteur peut donc passer de l'une à l'autre des procédures. N'est-il pas alors logique de prévoir un régime unique de contrôle de la bonne foi du débiteur ?

22. En définitive, le lecteur l'aura compris : ce n'est rien moins qu'à la propagation à l'ensemble du droit du surendettement de la solution adoptée en matière de rétablissement personnel par la Cour de cassation le 14 décembre 2006 que les présents propos appellent. La solution préconisée implique l'abandon d'une jurisprudence constante érigée en véritable doctrine judiciaire… et le triomphe d'une autre conception de l'office du juge, lui reconnaissant le pouvoir de relever de sa propre initiative la fin de non-recevoir tirée de la mauvaise foi du débiteur, quand celle-ci résulte du dossier. Cette conception préférable de l'office du juge semble d'ailleurs seule à même de garantir l'autorité et le crédit qui doivent s'attacher à la loi et à l'institution judiciaire. Elle est en effet de nature à préserver le dispositif légal du discrédit en éloignant l'idée qu'il est permis, en France, de s'endetter sans rembourser, de s'engager sans tenir.