La poursuite des biens mobiliers indivis
Thierry Guinot
Huissier de Justice Président de la Chambre des Huissiers de Justice de Paris
La
poursuite d'un débiteur sur ses biens mobiliers se heurte parfois au
régime de l'indivision, lequel représente pour le créancier une source
non négligeable de difficultés de par la complexité de certaines des
situations qu'il recouvre. L'exécutant se doit alors d'identifier et de
contourner ces problèmes, ce qui suppose de les connaître.
Dans
un premier temps, il convient d'analyser le domaine et le contenu de
l'indivision, que le Code civil a instituée en tant que régime
provisoire. Toutefois on constate en plusieurs occasions l'extension de
ce régime dans le temps ; le provisoire peut donc devenir durable, soit
par l'effet de la loi, soit par celui des conventions.
Un second
stade de la réflexion conduit à considérer la situation, les droits et
les contraintes des créanciers, selon qu'ils poursuivent l'indivision
elle-même ou l'un des co-indivisaires à titre personnel.
Enfin
il n'est pas inutile d'examiner quelques difficultés propres à cette
matière et touchant aux actes de disposition, sûretés et libéralités
susceptibles d'affecter le gage des créanciers, sans compter la
délicate question de la délimitation des situations dans le temps.
I.
05 1. Le catalogue des complications susceptibles de menacer une
procédure d'exécution ne manque pas d'articles ; les rencontres
fortuites avec un régime juridique à la manipulation délicate en
constituent l'un des chapitres. Parmi les chausse-trappes et embûches
en tous genres on trouve l'indivision, cette situation résultant de la
cotitularité d'un droit de même nature sur un même bien ou sur une même
masse de biens, situation dont l'allure classique et débonnaire peut
tromper la vigilance de l'exécutant et égarer ce dernier sur des
chemins de traverse.
Bien qu'elle puisse concerner d'autres
droits (l'usufruit par exemple), c'est le droit de propriété qui est le
plus souvent impliqué dans cette structure collective. Si le droit
romain connaissait déjà l'indivision sous l'appellation de communio
incidens, la notion de propriété collective a tardé à s'installer en
droit français, puisque ce n'est qu'au vingtième siècle qu'un régime
fut spécialement aménagé à son intention. Le Code civil de 1804 ne
mentionnait à cet égard que le régime matrimonial de communauté et la
mitoyenneté, alors que le Code de commerce de 1807 envisageait, lui, la
propriété collective dans le cadre des personnes morales.
On
remarquera d'ailleurs que propriété collective et personnalité morale
ne s'impliquent pas réciproquement, ce qui peut conduire à des
paradoxes : ainsi la propriété d'une personne morale est théoriquement
toujours individuelle, puisqu'il n'existe qu'un seul titulaire du
droit, alors que cette personne morale est elle-même normalement un
sujet de droit multiple, une collectivité d'intérêts(1). A l'inverse,
et ceci depuis la loi du 11 juillet 1985, le statut d'entreprise
unipersonnelle (ou d'entreprise agricole) à responsabilité limitée
confère la personnalité morale, en dehors de tout intérêt collectif, à
une entité pourvue d'un associé unique ! Derrière ce face-à-face de
l'un et du multiple se cache en réalité une dialectique du tout et de
ses parties, dialectique que l'on retrouve à chaque pas sur le chemin
parfois tortueux du régime de l'indivision.
La loi du 28 juin
1938 fut la première pierre à l'édifice de l'indivision moderne, qui ne
concernait toutefois que les immeubles bâtis et divisés en lots ; elle
fut suivie par les lois des 10 juillet 1965, 3 janvier 1967 et 26 juin
1987 s'agissant des navires et autres bâtiments de mer, cependant que
les régimes matrimoniaux étaient modifiés par la loi du 13 juillet
1965, puis celle du 23 décembre 1985, et que les fonds communs de
placement (qui possèdent un régime de copropriété) étaient organisés
par la loi du 23 décembre 1988.
La loi du 31 décembre 1976,
modifiée par celle du 10 juin 1978, a réellement organisé le régime de
l'indivision de droit commun en modifiant l'article 815 du Code civil,
en ajoutant les articles 815-1 à 815-18, et en créant un titre IX bis
dans le livre troisième du même code, sous l'intitulé « Des conventions
relatives à l'exercice des droits indivis(2) ».
Les créanciers
préfèrent généralement ignorer ces dispositions, qui restreignent leurs
droits et engendrent des complications parfois sérieuses. Néanmoins, il
arrive que le patrimoine de leur débiteur ne leur laisse pas d'autre
choix que de s'aventurer dans cette direction. L'huissier de justice
doit alors les y précéder afin de les conseiller utilement quant à
l'orientation des poursuites, mais aussi de les avertir des risques que
celles-ci comportent. Les pages qui suivent alimenteront peut-être
utilement sa réflexion.
Nous n'aborderons dans cette étude que
les règles concernant les biens mobiliers(3). Ceci suffira cependant à
remplir notre propos, sachant que la prise en compte des biens
immeubles eût alourdi considérablement le sujet. Nous avons choisi,
d'une manière sans doute assez peu scolastique, de traiter d'une
institution à l'aune des critères d'une autre, en l'occurrence
d'exposer la matière de l'indivision en tant qu'elle concerne l'objet
d'une mesure d'exécution.
2. Le droit de l'indivision recouvre
plusieurs réalités ; l'examen de son domaine constituera notre première
démarche (I) ; il y aura lieu, dans une seconde réflexion, d'aborder la
situation des créanciers dans ce régime (II), le tout sans perdre de
vue la perspective qui est la nôtre, donc le sort des biens meubles
dans les méandres du domaine comme dans les subtilités du régime.
I. Le domaine de l'indivision des biens mobiliers
3.
Il convient de dresser tout d'abord un inventaire des situations et des
biens pouvant rentrer dans le cadre du régime (A). C'est ce regard
circulaire qui permettra au créancier et à l'huissier de justice de
reconnaître dans le patrimoine d'un débiteur les cas d'application du
système juridique considéré. D'autre part, l'indivision constituant
toujours un obstacle à la réalisation des droits du créancier, ce
dernier aura intérêt à distinguer si son débiteur est susceptible ou
non de se maintenir dans une telle situation (B).
A. Sujets et objets d'indivision
4.
La distinction sujet/objet requiert une investigation. Ici, nous nous
attacherons d'une part à discerner le « territoire » de l'indivision,
en distinguant le domaine expressément identifié par la loi du domaine
d'application éventuelle de celle-ci, d'autre part à examiner le
contenu de la masse indivise.
1. Domaine expressément organisé par la loi
5.
La loi renvoie un certain nombre de situations au régime de
l'indivision, soit directement soit indirectement, néanmoins de manière
constante. On peut les regrouper comme suit.
a). L'indivision successorale
6.
A l'évidence la forme la plus ancienne de cette institution(4), c'est
celle qui concerne les héritiers à partir du décès du de cujus, du
moins – bien entendu – s'ils ont accepté la succession. Elle peut
également s'appliquer entre héritiers et légataires si la dévolution
successorale s'effectue partiellement en vertu d'un testament, en cas
de legs de quotité. Elle s'appliquera encore au bien légué à titre
particulier, en cas de réduction partielle en nature(5). S'il s'agit
d'une succession testamentaire, le régime de l'indivision s'appliquera
aux co-légataires, sauf clause testamentaire d'attribution de parts
divises sur le bien légué(6).
b). L'indivision résultant de libéralités conjointes
7.
Il s'agit de l'hypothèse où plusieurs personnes bénéficient
conjointement d'une donation. Elles seront alors soumises au régime de
l'indivision(7).
c). L'indivision née de l'acquisition conjointe d'un bien
8.
Forme, là encore, très ancienne de l'institution(8), la co-acquisition
d'un bien entraîne l'indivision entre les co-acquéreurs, même s'il
n'existe pas de convention d'indivision(9). Peu importent les
proportions du financement de l'achat : elles se retrouveront dans le
règlement des comptes de l'indivision, sans pouvoir affecter le régime
proprement dit ; même le financement par un seul des co-acquéreurs ne
remet pas en cause l'indivision(10).
C'est dans cette catégorie
que l'on peut trouver des sociétés ayant acquis conjointement un bien
qu'elles exploitent en commun, ceci devant attirer particulièrement la
vigilance des créanciers désireux de saisir. En effet, les règles
propres aux sociétés sont susceptibles de compliquer tout à la fois la
définition juridique du problème et l'action des créanciers, par
exemple en cas de procédure collective à l'encontre de l'un des
co-indivisaires.
Autre exemple : les époux co-acquéreurs séparés
de biens sont présumés indivisaires si aucun ne peut justifier d'une
propriété exclusive(11). Ceci est intéressant dans le cadre des comptes
joints ouverts aux noms de deux époux séparés de biens ; la Cour de
cassation estime que le droit de propriété ne porte que sur les biens
existant à l'actif du compte au jour où celui-ci est clôturé(12) ; elle
a également statué à propos des effets de la saisie d'un compte joint
par le créancier de l'un des époux séparés de biens, en décidant qu'ils
devaient être limités à la moitié indivise des valeurs déposées sur ce
compte, lorsque la preuve qu'elles fussent la propriété de l'époux
débiteur n'avait pas été rapportée(13).
Par contre, si l'acte
d'acquisition conjointe comporte une clause d'accroissement,
l'indivision ne s'appliquera pas : il s'agira d'une tontine(14).
d). L'indivision post-communautaire
9.
Si la communauté entre époux ne peut s'analyser comme une indivision,
sa dissolution – en revanche – fait des ex-membres de la communauté des
co-indivisaires(15), et ils peuvent se maintenir dans l'indivision y
compris en faisant homologuer une convention dans le cadre du
divorce(16). En cas de décès de l'un des époux, c'est l'époux survivant
et la succession de l'époux décédé qui deviendront indivisaires(17).
Nous aurons l'occasion de revenir sur quelques problèmes particuliers
qui s'attachent à l'indivision post-communautaire, particulièrement sur
le point de départ de celle-ci.
e). L'indivision issue de la conjonction de droits démembrés
10.
Des droits conjoints de même nature sur un même objet, ceci n'implique
pas qu'il s'agisse systématiquement du droit de propriété ; ainsi des
démembrements de celui-ci peuvent parfaitement faire l'objet d'une
indivision. On trouve donc des usufruitiers indivis sur le bien dont
ils ont la jouissance commune, de même qu'il peut exister une
indivision, dans le cas d'une succession, entre des successeurs en
pleine propriété et d'autres qui sont usufruitiers ; l'indivision ne
concernera alors que la jouissance du bien.
De la même façon, il
peut y avoir indivision entre nus-propriétaires, ou entre indivisaires
en pleine propriété et indivisaires en nue-propriété ; l'indivision ne
concernera cette fois que les droits attachés à la nue-propriété. Par
contre, il ne peut exister d'indivision entre nu-propriétaire et
usufruitier(18), pour cause de différence de nature entre leurs droits
respectifs ; une convention d'un tel type est certes rendue possible
par les articles 1873-1 et 1873-16 du Code civil, mais elle relève plus
largement d'un avatar hybride que du statut de l'indivision à
proprement parler, en tout cas elle est exorbitante du régime légal.
2. Domaine de l'application éventuelle
11.
On notera que dans certains cas, le régime de l'indivision peut
s'appliquer à une situation pour laquelle il n'a pas été expressément
prévu : nous pensons particulièrement aux sociétés dépourvues de
personnalité morale, aux associations non déclarées ainsi qu'à
certaines situations de cotitularité d'un droit.
a). Les sociétés en participation
12.
Aux termes de l'article 1871 du Code civil, la société en participation
est dépourvue de personnalité morale. Le régime auquel sont soumis les
biens d'une telle entité laisse vite apparaître sa complexité, car si
le droit commun des sociétés s'applique normalement entre associés(19),
à l'égard des tiers la structure rationnelle se dédouble ; les biens
mis à la disposition de la société par les associés demeurent la
propriété individuelle de ceux-ci(20), mais il peut y avoir indivision
entre les associés dans trois cas :
- si les biens étaient déjà indivis entre les associés avant d'être mis à la disposition de la société ;
- s'ils ont été acquis dans le cours du contrat de société au moyen de deniers indivis ;
-
si les associés ont décidé de placer certains biens sous ce régime,
avec ou sans convention d'indivision particulière(21). On notera par
ailleurs qu'il ne pourra y avoir partage avant dissolution de la
société, sauf convention contraire(22).
b). Les sociétés créées de fait
13.
Ce type de société, qui n'a pas la personnalité juridique, suit le même
régime que celui de la société en participation(23). A l'inverse,
d'ailleurs, une situation d'indivision peut se trouver requalifiée en
société créée de fait, lorsqu'on y trouve des éléments constitutifs du
contrat de société : affectio societatis, participation des membres aux
bénéfices et aux pertes(24). Une telle requalification peut s'appliquer
à une indivision successorale portant sur des biens constitutifs d'une
entreprise(25).
c). Les sociétés dissoutes
14. Dès la clôture
de sa liquidation, toute société perd sa personnalité morale et devient
une indivision(26), entre les associés ou entre certains d'entre eux ;
la plupart du temps elle est de courte durée, mais le partage n'est pas
obligatoire et l'indivision peut alors se prolonger.
d). Les sociétés nulles
15.
A l'égard de la personne morale qui a pu prendre naissance, la nullité
de la société produit les effets d'une dissolution prononcée par
justice(27). L'annulation d'une société place donc les biens sociaux
dans une situation d'indivision(28), bien que la Cour de cassation ait
estimé que la nullité d'une société pour défaut d'affectio societatis
ne pouvait laisser conclure à une telle possibilité(29) ; ce dernier
cas constitue toutefois l'exception.
e). Les associations non déclarées
16.
Il s'agit d'un cas très particulier : l'association qui n'a pas
effectué la déclaration préalable n'a pas la personnalité morale(30),
mais peut néanmoins acquérir des biens financés par les apports ou
cotisations de ses membres : il y aura indivision entre eux. Toutefois
cette indivision se révèle dérogatoire au régime des articles 815 et
suivants, du fait que l'association – même non déclarée – demeure régie
par ses statuts(31), ce qui implique une renonciation au partage… Le
sort des biens dépend par conséquent des dispositions statutaires, et
ce n'est que dans le silence de celles-ci que le droit commun de
l'indivision s'appliquera.
f). Les indivisions forcées et perpétuelles
17.
Les biens qui, par nature ou par destination, ne peuvent être partagés,
relèvent du régime de l'indivision forcée et perpétuelle. La plupart du
temps il s'agit de biens immobiliers (passages, ruelles, canaux, cours
ou caves communes, etc.), donc hors du propos dans cette étude, et la
plupart du temps aussi ces indivisions sont régies par des textes
spéciaux. Leur point commun est l'exclusion du droit de demander le
partage, avec en corollaire des droits plus étendus au bénéfice des
co-indivisaires, lesquels peuvent – par exemple – apporter sans
autorisation des modifications à la chose(32) ou encore se comporter
comme s'ils étaient propriétaires exclusifs de celle-ci(33). Toutefois
la jurisprudence demeure assez partagée – et, pour tout dire, sans
doute embarrassée – devant cette excroissance quelque peu monstrueuse
du régime de l'indivision.
Ici le critère de nature et de
destination constitue le pivot du raisonnement. Un indivisaire ne peut
changer la destination de la chose(34), cette destination résultant de
sa nature et de l'usage auquel elle a été affectée(35).
Il en
est ainsi des biens acquis pour le compte des paroisses, lorsque
celles-ci n'ont pas le statut d'associations cultuelles résultant de la
loi du 9 décembre 1905. Elles ne disposent alors d'aucune
représentation collective ni autonomie patrimoniale, et les biens
acquis par les paroissiens(36) deviennent propriété commune sous forme
d'indivision forcée et perpétuelle. Cependant il a été récemment jugé
qu'aucun texte ne fait échapper les biens d'utilité religieuse, du seul
fait de leur nature ou de leur destination, à la règle de l'article 815
alinéa 1er(37), ce qui laisse pour l'instant non résolu le problème de
ce régime.
g). Les communes possédant entre elles des biens et droits indivis
18.
Voici un domaine très atypique de l'indivision, régi par les articles
L. 5222-1 à L. 5222-6 du Code général des collectivités territoriales.
Nous sommes, ici, dans un régime de droit public, donc parfaitement
indépendant des dispositions du Code civil, mais il est intéressant de
remarquer qu'en dépit de cette différence il existe une certaine
parenté conceptuelle entre les textes. On retrouve, dans l'indivision
intercommunale, la notion de partage, non pas telle qu'elle est
contenue dans l'article 815 du Code civil(38) mais à l'initiative des
conseils municipaux ; ou encore celle d'attribution éliminatoire
portant sur un lot en nature ou sur sa contre-valeur en argent, avec –
le cas échéant intervention du juge de l'expropriation.
Il va de
soi que ces biens indivis appartiennent au domaine public, et que les
créanciers se heurtent au principe de l'immunité d'exécution de l'Etat
et des collectivités territoriales, principe d'ailleurs rappelé par la
Cour de cassation(39).
3. Contenu de la masse indivise
19. A
présent que nous avons délimité le domaine de l'indivision, il importe
de déterminer précisément le contenu de la masse indivise, puisque
celle-ci constitue directement le gage des créanciers de l'indivision
et – indirectement, après partage ou attribution par exemple – celui
des créanciers personnels des co-indivisaires. Il s'agit d'un ensemble
multiforme, au sein duquel on peut identifier divers éléments.
a). Les biens existant à la naissance de l'indivision
Cette
catégorie ne pose aucune difficulté d'identification ou
d'interprétation. On mentionnera simplement qu'en cas d'indivision
successorale, s'y trouveront inclus les biens donnés par le de cujus,
ou légués par testament, et qui seraient rapportables en nature à la
masse.
b). Les créances contenues dans l'indivision
20. Bien
que cette seconde catégorie paraisse poser aussi peu de problèmes que
la précédente, elle cache une difficulté bien réelle en matière de
successions. En effet l'article 1220 du Code civil érige en principe
l'indivisibilité des obligations pour souligner immédiatement
l'exception héréditaire(40), avant que l'article 1221 n'énumère
lui-même les exceptions à l'exception(41) ! Cette règle semble déjà
compliquée, pour ne pas dire confuse, mais il y a pire : alors qu'en
vertu du « contre-principe » de division entre héritiers, les créances
ne devraient pas tomber dans l'indivision, l'article 832 inclut les
droits et les créances dans le partage – donc dans la masse indivise –
tandis que l'article 883 revient à une règle de division très
clairement exprimée(42). Cette fois, nous nous trouvons devant une
contradiction des textes.
La jurisprudence a tranché ce nœud
gordien en imposant les solutions suivantes : chacun des indivisaires
peut recouvrer les créances héréditaires pour la part qui lui
revient(43), sauf à rendre compte à ses co-indivisaires des sommes
perçues au-delà de sa part ; toute cession d'une créance héréditaire
consentie par l'un des indivisaires se voit appliquer l'effet
déclaratif du partage(44), mais sera nulle si elle n'est pas attribuée
au cédant lors du partage(45). Ces solutions sont cohérentes : le droit
de créance apparaît divisible s'agissant de l'usus, indivisible
concernant l'abusus.
Dans la même logique, on peut considérer
que les créances héréditaires sont saisissables, cette faculté étant
toutefois réservée aux seuls créanciers de l'indivision ; les
créanciers personnels des indivisaires en sont exclus.
c). Les biens remplacés ou le problème de la subrogation réelle
21.
Lorsque des biens ou des droits originairement contenus dans la masse
indivise ont été remplacés par d'autres, se pose la question du régime
de ces derniers. En cas de vente d'un bien indivis, quel est le sort du
prix de vente ? A l'inverse, en cas d'emploi de fonds indivis pour
acquérir un bien, quel est le régime applicable à celui-ci ? Suivant la
règle instituée en matière de remploi, la Cour de cassation a estimé
que le régime de l'indivision se transmettait au bien ou au droit de
remplacement(46), en invoquant la subrogation réelle.
La
jurisprudence de la Haute Cour a eu, depuis, l'occasion de confirmer ce
principe, en décidant que le prix d'un immeuble se substituait à
l'immeuble vendu(47), qu'un nouvel immeuble acquis en remploi du bien
d'origine tombait dans la masse(48), et même qu'en cas de revente d'un
immeuble lui-même acquis en remploi le prix de revente y tombait
également(49). Les valeurs de remplacement subiront le même sort en cas
de remboursement de créances, ou encore de versement d'indemnités suite
à un sinistre sur un bien indivis. On estime qu'il s'agit d'une
subrogation réelle de plein droit, à condition – naturellement – que
les opérations d'aliénation ou d'acquisition aient été effectuées
conformément aux règles de gestion de l'indivision considérée.
Ce
principe présente un intérêt évident pour les créanciers, étant observé
que le créancier d'un indivisaire peut soulever l'inopposabilité de la
subrogation si son débiteur apparaît dans l'acte d'achat comme étant
l'acquéreur unique(50).
d). Les fruits de l'indivision
22.
L'article 815-10 règle le sort des fruits en disposant dans son alinéa
1er que « les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à
l'indivision, à défaut de partage provisionnel ou de tout autre accord
établissant la jouissance divise », et dans son alinéa 3 que « chaque
indivisaire a droit aux bénéfices provenant des biens indivis et
supporte les pertes proportionnellement à ses droits dans
l'indivision(51) ». L'alinéa 1er laisse donc aux indivisaires la
faculté d'écarter le principe qu'il édicte, notamment au cas où l'un
d'entre eux gère pour le compte de l'indivision : il pourra – par
convention – percevoir les fruits. De même si les bénéfices
d'exploitation d'un bien indivis tel qu'une entreprise accroissent à
l'indivision, ceci n'exclut pas de rémunérer le co-indivisaire
exploitant(52). Le créancier personnel de ce dernier pourra alors
saisir valablement la rémunération de son débiteur, dès lors qu'elle
aura été extraite des fruits de l'indivision proprement dits.
Cependant,
faute d'un accord écartant le principe, celui-ci s'applique. La
profession d'huissier de justice a servi d'exemple : la valeur
patrimoniale des parts d'une société civile professionnelle titulaire
d'un office constituant un bien dépendant de la communauté des époux,
les fruits et revenus de ce bien – perçus par le mari en sa qualité
d'associé pendant l'indivision post-communautaire – ont été considérés
comme accroissant l'indivision(53).
e). Les plus-values et moins-values
23.
Les plus ou moins-values constatées lors de l'évaluation des biens de
l'indivision sont régies par l'article 815-10 alinéa 3, cité au
paragraphe précédent, et profitent ou préjudicient à l'indivision, donc
à chaque co-indivisaire en proportion de ses droits. Cette évaluation
intervient à une date qui devrait (idéalement) être celle de la
jouissance divise – mais tel n'est pas toujours le cas – et qui doit
être la plus proche possible de la date du partage(54).
Néanmoins,
et par assimilation aux améliorations, impenses, dégradations et
détériorations visées à l'article 815-13, la jurisprudence considère
généralement – mais elle n'est pas unanime – que l'on doit tenir compte
à un indivisaire de la plus-value ou de la moins-value résultant de son
fait personnel.
f). Les biens à caractère personnel
24. Il
s'agit des biens qui ne sont transmissibles qu'en considération de la
qualité de la personne : ainsi un office ministériel ou une clientèle
libérale. On doit alors dissocier valeur patrimoniale et titularité, en
considérant que la seconde peut ne concerner aucun des
co-indivisaires(55) ; la solution consiste alors à vendre le bien : le
prix de cession fera l'objet soit d'un remploi qui demeurera dans
l'indivision, soit d'un partage immédiat entre les co-indivisaires.
Dans
le cas particulier de l'indivision post-communautaire, on retrouve le
même type de distinction entre valeur et titularité ; en revanche il
existe une distorsion entre la règle de l'article 1404, qui déclare le
bien propre par nature sauf récompense s'il y a lieu, et la
jurisprudence de la Cour de cassation qui le déclare commun, sauf le
titre ! Dans la solution légale, les fruits reviendront en propre à
l'indivisaire concerné, tandis que dans la solution jurisprudentielle
ils accroî tront à l'indivision. On répondra à cette objection que dans
le premier cas il peut être déduit une récompense, mais que dans le
second il peut être déduit la rémunération de l'époux qui exerce
l'activité… Dans les deux cas la valeur de l'office ou de la clientèle,
qui figurait à l'actif de la communauté, se retrouve à l'actif de
l'indivision post-communautaire(56).
Les parts dans les sociétés
de personnes constituent naturellement des biens « à caractère
personnel ». Leur sort est normalement fixé par les statuts de la
société en cas de décès de leur titulaire, ce qui déterminera qu'elles
figurent ou non dans l'indivision successorale. Par contre s'il s'agit
d'une situation post-communautaire, les parts entreront dans
l'indivision en vertu de l'article 1832-2.
B. Régime du maintien dans l'indivision
25.
Après avoir mesuré l'espace de l'indivision, le créancier doit en
mesurer la dimension temporelle puisque la durée d'application de ce
régime est de nature à affecter notablement ses droits. En effet
l'indivision est susceptible de se prolonger, soit du fait de la loi en
certaines circonstances, soit du fait d'une convention passée entre les
co-indivisaires.
1. Maintien légal
26. En dépit du caractère
statutairement provisoire de l'indivision, l'article 815 envisage dans
trois de ses subdivisions le maintien du régime, ceci en dehors même de
la volonté commune des co-indivisaires. On notera toutefois que ces
situations sont strictement délimitées, et apparaissent donc clairement
comme des exceptions insusceptibles d'interprétation extensive.
a). Le maintien légal de l'article 815-1
27. Il est prévu dans deux cas :
–
Au profit des descendants mineurs. Les biens concernés sont
essentiellement de nature immobilière(57) : seuls nous intéressent ici
les objets mobiliers servant à l'exercice de la profession, visés par
l'alinéa 2 de l'article 815-1 dans le cadre du local professionnel. Le
cas n'est sans doute pas fréquent. On doit noter que le maintien a lieu
dans les conditions fixées par le tribunal(58), ce qui laisse au
magistrat une assez large faculté d'organisation de la mesure :
détermination du titulaire de la jouissance des biens, maintien de
certains biens dans l'indivision et partage des autres, etc., mais
toujours en fonction des intérêts en présence. Il ne pourra cependant
prescrire le maintien pour une durée supérieure à cinq ans,
renouvelable jusqu'à la majorité du plus jeune des descendants(59). On
discernera, à travers ces dispositions, le souci de laisser le temps
aux cohéritiers directs (enfants ou petits-enfants) de bénéficier de
l'attribution préférentielle de l'article 832.
– Au profit du
conjoint survivant. Les biens visés sont les mêmes que précédemment,
mais cette fois au profit du conjoint survivant copropriétaire(60)
desdits biens, fût-ce par le fait du décès, à condition qu'il n'existe
pas de descendants mineurs(61). Cette mesure doit être ordonnée par le
tribunal sans pouvoir excéder cinq ans, cependant l'absence de limite
de renouvellement laisse la possibilité d'une prolongation jusqu'au
décès du conjoint, puisque ce régime est précisément destiné à la
protection de celui-ci.
b). Le sursis au partage
28. Prévu
par l'article 815 alinéa 2, le sursis au partage peut être demandé au
juge pour une durée maximale de deux ans, dans le cas où le partage
risquerait « de porter atteinte à la valeur des biens indivis »(62).
Cette hypothèse est susceptible de recouvrir un certain nombre de
situations différentes dont le dénominateur commun est de survenir à un
moment mal choisi : les biens sont en cours de réparation ou doivent
l'être prochainement, leur cours est au plus bas à l'époque considérée,
etc., le juge appréciant souverainement l'opportunité de la
demande(63). Le sursis peut s'appliquer à l'ensemble des biens indivis
ou à certains d'entre eux seulement. Il peut être demandé par tout
indivisaire, à condition naturellement qu'il existe une demande
préalable en partage.
c). L'attribution éliminatoire
29.
L'article 815 alinéa 3, sans doute après avoir apprécié les difficultés
relationnelles inhérentes à la cotitularité d'un droit, a aménagé la
possibilité d'attribuer sa part à l'un des co-indivisaires, faisant
ainsi sortir celui-ci de l'indivision tout en y maintenant les
autres(64). La demande peut être faite par un ou plusieurs d'entre eux,
et le juge statuera, là encore, en fonction des intérêts en présence et
sans préjudice de l'application des articles 832 à 832-3 s'agissant de
l'attribution préférentielle ; ceci signifie qu'on ne pourra utiliser
l'attribution éliminatoire à l'encontre d'un demandeur en attribution
préférentielle tant qu'il n'aura pas été statué sur le droit de
celui-ci.
Comme dans le cas précédent, il s'agit d'une hypothèse
supposant une demande préalable en partage(65), sinon elle risquerait
de favoriser des utilisations purement chicanières. Celles-ci ne sont
pas pour autant totalement écartées : par exemple le demandeur initial
au partage peut toujours se désister de sa demande, neutralisant ainsi
la mise en œuvre de son élimination…
La réalisation de
l'attribution doit respecter le principe d'égalité dans le partage, et
s'opère soit en nature – si cette modalité est possible – soit en
argent, si l'attribution en nature ne peut être commodément
effectuée(66) ou si le demandeur en exprime la préférence. L'évaluation
se fait par expertise. Dans l'hypothèse d'un paiement en argent, et «
s'il n'existe pas dans l'indivision une somme suffisante, le complément
est versé par ceux des indivisaires qui ont concouru à la demande, sans
préjudice de la possibilité pour les autres indivisaires d'y participer
s'ils en expriment la volonté(67) ». Le paiement au moyen des
liquidités de l'indivision est de loin préférable, car la proportion
des parts ainsi que l'accroissement restent inchangés ; à défaut
l'article 815 alinéa 3 dispose que « la part de chacun dans
l'indivision est augmentée en proportion de son versement ».
2. Maintien conventionnel
30.
Le maintien dans l'indivision peut également résulter d'une convention
entre les co-indivisaires, telle qu'organisée par les articles 1873-1 à
1873-18. A peine de nullité, la convention doit être établie par un
écrit(68) comportant la désignation des biens indivis et l'indication
des quotes-parts appartenant à chaque indivisaire. Si les biens indivis
comprennent des créances, il y a lieu aux formalités de l'article 1690.
Les conventions peuvent être de deux types : à durée déterminée ou
indéterminée.
a). A durée déterminée
31. Elle ne peut être
supérieure à cinq ans, renouvelable par décision expresse des
co-indivisaires. Bien que cette décision de renouvellement ne soit pas
expressément soumise à l'écrit, ce dernier est préférable pour des
raisons aisément compréhensibles. Une clause de tacite reconduction est
permise par l'article 1873-3 alinéa 3, pour une durée déterminée ou
indéterminée. La survenance du terme de la convention renvoie les
co-indivisaires dans le régime de l'indivision légale, tel qu'il est
régi par les articles 815-1 et suivants.
La convention à durée
déterminée n'exclut pas totalement le partage, mais celui-ci ne peut
être provoqué avant le terme « qu'autant qu'il y en a de justes
motifs(69) ». Le juge possède donc en la matière un pouvoir
d'appréciation très large.
b). A durée indéterminée
32. Le
partage y est plus accessible, puisqu'il peut être provoqué « à tout
moment, pourvu que ce ne soit pas de mauvaise foi ou à contretemps(70)
».
On en conviendra : quels que soient son origine et son
contenu, qu'elle soit légale ou conventionnelle, l'indivision constitue
toujours un mécanisme multiplicateur de difficultés de par les effets
de la cotitularité d'un droit, lesquels reviennent la plupart du temps
à une confrontation de droits entre co-indivisaires. C'est dans ce
contexte dialectique, assorti – comme nous allons le voir – de
nombreuses contraintes, que doivent s'apprécier à présent la situation,
les droits et les obligations des créanciers.
II. La situation des créanciers dans le régime de l'indivision des biens meubles corporels
33.
L'indivision est traditionnellement considérée comme un régime
d'exception, à telle enseigne que l'article 815 du Code civil édicte en
premier lieu la règle du partage, comme si le droit principal des
indivisaires était précisément de ne plus se trouver sous son
empire(71). Ce partage constitue, en nombre d'occasions, la seule issue
pour le créancier de réaliser le bien de son débiteur ; nous verrons
toutefois qu'il existe d'autres possibilités. Par contre, le droit au
partage peut se trouver limité par des conventions d'indivision ; dans
cette hypothèse le créancier ne peut disposer de plus de droits que
n'en dispose son débiteur, et la convention lui sera opposable.
Avant
que de poursuivre, il importe de bien distinguer deux notions : le
droit dont on est cotitulaire et la quote-part que l'on possède.
Puisqu'il y a cotitularité d'un même droit, chacun exerce ce dernier
sur la totalité de la chose ; par contre, chacun peut posséder une
quote-part différente, sur laquelle il dispose d'un droit exclusif, en
lui-même distinct du droit qu'il exerce sur la chose. Le droit sur la
quote-part est quantifiable, tandis que celui sur la chose ne l'est
pas. Le droit co-exercé par chaque indivisaire sur la chose est de
catégorie constitutive, alors que le droit qu'il détient sur sa
quote-part appartient à la catégorie distributive. Autrement dit, trois
indivisaires détenant respectivement une quote-part de 25 %, 25 % et 50
% auront un droit exclusif quantifiable selon ces proportions sans
qu'il y ait de division matérielle des parts, le droit de propriété sur
l'objet de l'indivision lui-même appartenant à tous. Une telle
discrimination apparaî t fondamentale, lorsqu'on sait que les
poursuites diffèrent selon qu'elles s'exercent sur les biens indivis ou
sur la quote-part dans l'indivision(72).
Il convient également
de rappeler une seconde distinction, que nous avons notée en première
partie, distinction d'ordre fonctionnel cette fois entre l'indivision
légale, c'est-à-dire le régime de droit commun organisé par les
articles 815 et suivants du Code civil, et l'indivision
conventionnelle, fondée sur des stipulations contractuelles et prévue
par les articles 1873-1 et suivants. Une telle convention peut être
conclue à tout moment par les co-indivisaires ; elle doit cependant
respecter nombre de dispositions impératives du régime légal.
Enfin
l'indivision est souvent considérée, dans la pratique, comme une masse
de biens possédant non pas une personnalité juridique, bien entendu,
disons plutôt une certaine autonomie économique sinon patrimoniale(73),
mais aussi comme une situation propre soumise à des règles spécifiques
réglant les rapports des indivisaires entre eux, ainsi qu'avec leurs
créanciers, en générant au passage quelques facteurs d'incidents et de
confusions notoires.
C'est ainsi que l'article 815-17 alinéa 2
opère, à l'égard des créanciers, un premier degré de distinction entre
les créanciers de l'indivision (A) et ceux des indivisaires (B).
Examinons par conséquent ces deux catégories ; nous achèverons notre
étude en considérant les difficultés particulières susceptibles
d'obscurcir la vision des créanciers quels qu'ils soient (C).
A. Créanciers de l'indivision
34.
Les créanciers de l'indivision se voient reconnaître par l'article
815-17 le droit de se payer par prélèvement sur l'actif avant le
partage(74) ainsi que de poursuivre la saisie et la vente des biens
indivis, et ceci que l'indivision soit légale ou conventionnelle(75).
Si le créancier de l'indivision n'est autre que l'un des indivisaires,
il sera payé assez logiquement par prélèvement sur l'actif(76), alors
que cette solution apparaît plus originale s'agissant des créanciers
tiers à l'indivision ; c'est pourtant le choix du législateur de 1976.
Il faut y voir la volonté d'établir fermement le droit de gage des
créanciers de l'indivision sur la masse indivise, faisant de ceux-ci
des créanciers privilégiés par rapport à ceux des indivisaires, mais
également le souci d'apurer le passif avant les opérations de partage
qui entraî neront division de la dette. Ceci étant, la faculté de
saisir les biens indivis reste une arme puissante entre les mains du
créancier face à des indivisaires qui se montreraient retors(77).
Les
créanciers visés peuvent être titulaires de deux sortes de créances,
antérieures à l'indivision ou nées durant le fonctionnement de celle-ci.
Les
créances antérieures à l'indivision elle-même sont visées par l'article
815-17 du Code civil lorsqu'il cite « les créanciers qui auraient pu
agir sur les biens indivis avant qu'il y eût indivision ». On peut
envisager, dans ce cadre, les dettes nées du fait du de cujus dans
l'indivision successorale, les dettes communes des articles 1409 et
suivants dans l'indivision post-communautaire, ou encore celles
éventuellement transmises avec le bien acquis en commun dans le cas
d'une indivision par acquisition conjointe.
Les créances nées
durant le fonctionnement de l'indivision sont concernées par le même
article 815-17 lorsqu'il poursuit en citant les créanciers « dont la
créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis
». La jurisprudence préfère interpréter de manière large cette
disposition en considérant que les créances nées du fonctionnement de
l'indivision en général constituent des créances sur l'indivision
elle-même. Dans cette acception, si l'un des indivisaires se trouve
personnellement créancier de la masse indivise, il rentrera lui aussi
dans cette catégorie, et pourra poursuivre la saisie des biens indivis
sans être tenu d'attendre l'issue des opérations de partage(78).
Un
second degré de distinction apparaît : bien que le créancier de
l'indivision possède un droit sur le bien indivis, chacun des
indivisaires ne supporte les pertes que proportionnellement à ses
droits dans l'indivision. Ceci est la conséquence de la distinction
première entre le droit sur la chose indivise et la quote-part dans
l'indivision. Il y aura donc lieu de dissocier les rapports de
l'indivision avec le créancier (obligation à la dette) et les rapports
internes à l'indivision (contribution à la dette). A ce niveau, on peut
voir surgir quelques sujets de réflexion délicats : par exemple si le
bien indivis est un fonds de commerce, le gage des créanciers du
commerçant doit-il être étendu à tous les biens indivis(79) ? D'une
façon générale, les co-indivisaires sont tenus conjointement à la dette
mais non solidairement, sauf si la solidarité a été stipulée dans une
convention d'indivision par exemple(80).
35. La situation
post-communautaire appelle également quelques remarques. Les créanciers
de la communauté deviennent créanciers de l'indivision
post-communautaire, puisqu'ils entrent dans la catégorie visée par
l'article 815-17 alinéa 1er : celle des créanciers qui auraient pu agir
sur les biens indivis avant qu'il y eût indivision ; de même qu'ils
auraient pu se faire payer sur les biens communs, ils peuvent se faire
payer sur les biens indivis(81). Ils disposent d'ailleurs d'autres
droits en vertu des règles particulières au régime de la communauté,
qui viennent se cumuler avec celles de l'indivision(82). En effet
l'article 1482 dispose : « Chacun des époux peut être poursuivi pour la
totalité des dettes existantes, au jour de la dissolution, qui étaient
entrées en communauté de son chef ». Les biens propres de cet époux
entrent donc également dans le gage du créancier. A ceci s'ajoute
l'article 1483 alinéa 1er : « Chacun des époux ne peut être poursuivi
que pour la moitié des dettes qui étaient entrées en communauté du chef
de son conjoint », et ce sont alors les biens propres du conjoint qui
peuvent subir le même sort pour la moitié de la dette(83). Comme on le
voit, le créancier de l'indivision post-communautaire se trouve
particulièrement garanti.
B. Créanciers personnels des indivisaires
36.
De quels droits disposent les créanciers personnels d'un indivisaire ?
Ils ne disposent pas d'un droit de gage général sur la masse indivise,
au contraire des créanciers de l'indivision, mais sur le patrimoine de
leur débiteur, qui comprend la quote-part de celui-ci dans
l'indivision. L'article 815-17 comporte deux règles fondamentales à cet
égard : l'interdiction de la saisie des parts indivises et le droit à
provoquer le partage ou à intervenir à celui-ci, dispositions tempérées
par l'article 1873-15 en matière d'indivision conventionnelle.
1. Interdiction de la saisie des parts
37.
Si la masse des biens indivis constitue le gage des créanciers de
l'indivision, elle ne peut – a contrario – être l'objet d'une saisie de
la part des créanciers personnels des co-indivisaires, lesquels ne
disposent pas du droit de gage général sur les biens indivis(84). Toute
saisie serait nulle, et naturellement l'indivisaire débiteur – mais
encore chacun des autres co-indivisaires – serait fondé à soulever
cette nullité. L'huissier de justice doit donc s'abstenir de toute
mesure de cette nature.
Par contre la quote-part de
l'indivisaire débiteur fait théoriquement partie du gage général de ses
créanciers, selon les dispositions des articles 2092 et 2093, et à ce
titre devrait rester saisissable et réalisable par ces derniers.
Pourtant le texte exclut une telle possibilité : « Les créanciers
personnels d'un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens
indivis, meubles ou immeubles », et la Cour de cassation ne laisse pas
entrevoir un quelconque assouplissement lorsqu'elle précise qu'ils ne
peuvent même « prendre aucune mesure ayant pour effet de rendre cette
part indisponible(85) ».
Deux
motivations justifient cette
prohibition édictée par l'article 815-17 alinéa 2. Premièrement, il est
impossible de connaître la valeur ni le contenu exact de la part de
l'indivisaire tant que l'évaluation et le partage ne sont pas
intervenus, or cette incertitude quant à l'objet frappe logiquement
toute forme de saisie : saisie conservatoire(86), saisie-vente,
saisie-attribution(87)… Deuxièmement, une vente de la quote-part
entraînerait immanquablement une sous-évaluation du fait des
inconvénients
propres à l'indivision, ce qui préjudicierait à la fois au créancier et
à l'indivisaire, et jusqu'aux co-indivisaires du débiteur puisque leurs
quotes-parts respectives se trouveraient ainsi virtuellement
dévalorisées. Si toute mesure impliquant une dépossession se trouve
ainsi écartée, la prise d'une sûreté judiciaire reste cependant
possible sur la quote-part – puisqu'elle n'entraî ne pas
d'indisponibilité(88) – mais son efficacité restera subordonnée à
l'issue du partage et à l'attribution au débiteur du bien grevé.
On
remarque donc clairement la position d'infériorité des créanciers des
indivisaires face à ceux de l'indivision. Toutefois, comme nous allons
le voir, ils ne sont pas dépourvus d'action.
2. Droits quant au partage
38.
En effet, l'article 815-17 alinéa 3 prévoit que les créanciers
personnels d'un indivisaire ont « la faculté de provoquer le partage au
nom de leur débiteur ou d'intervenir dans le partage provoqué par lui
». Il s'agit donc d'une double capacité d'action, en partage d'une
part, en intervention au partage d'autre part. C'est après attribution
de son lot au débiteur que le créancier pourra opérer la saisie et
faire vendre alors à meilleur prix.
a). L'action en partage
39.
Ouverte à l'initiative du créancier personnel, elle ne s'exerce pas en
vertu d'un droit propre ; ce n'est pas une action directe, puisque le
texte précise « au nom de leur débiteur », c'est une action oblique par
référence à l'article 1166 du Code civil. Là encore, trois remarques
s'imposent. La première est que le créancier ne doit pas être titulaire
d'une créance conditionnelle ou d'une créance à terme, puisque l'action
oblique ne lui est pas ouverte dans ces deux hypothèses : la créance
conditionnelle n'est pas certaine, tandis que la créance à terme n'est
pas exigible. La seconde est que le créancier ne peut exercer plus de
droits que le débiteur n'en dispose lui-même, puisqu'il agit au nom de
celui-ci ; il pourra donc se voir opposer les droits que les
co-indivisaires auraient opposés au débiteur : ainsi les termes d'une
convention d'indivision pourront limiter ou suspendre son action(89),
de même qu'une demande des co-indivisaires en maintien
d'indivision(90), un sursis au partage(91), ou encore si son débiteur –
dans le cas d'une indivision successorale – est également débiteur de
la succession pour un montant dépassant celui de sa part
héréditaire(92) ; s'il existe un droit d'usufruit, le partage ne peut
être ordonné que sous réserve de celui-ci(93) ; enfin l'action en
réduction de libéralités excessives par voie oblique contre un
indivisaire est préalablement soumise au choix offert à ce dernier –
dans l'acte de donation – entre pleine propriété et usufruit, ladite
option étant ouverte jusqu'au partage(94). La troisième remarque est
que le créancier ne peut agir lui-même qu'en cas d'inaction de son
débiteur susceptible de lui porter préjudice(95).
Par un effet
de parallélisme de l'article 815-17 alinéa 3, le législateur a donné
aux co-indivisaires la faculté d'« arrêter le cours de l'action en
partage en acquittant l'obligation au nom et en l'acquis du débiteur »,
avec cette modalité particulière que « ceux qui exerceront cette
faculté se rembourseront par prélèvement sur les biens indivis ». Une
telle disposition apparaît exorbitante du droit commun, puisque le
co-indivisaire solvens ne devient pas à proprement parler créancier du
co-indivisaire débiteur et simplement subrogé dans les droits de
celui-ci(96)) il devient en réalité créancier de l'indivision elle-même
par le biais du droit à prélèvement. Concrètement la créance figurera à
l'actif du compte d'indivision du solvens, à l'instar des dépenses
effectuées dans l'intérêt de l'indivision, tandis que la dette
équivalente sera portée au passif du compte du co-indivisaire débiteur,
et il y aura lieu à rapport de ce montant lors des opérations de
liquidation de l'indivision.
Le co-indivisaire solvens peut
toutefois préférer ne pas attendre les opérations de liquidation, le
texte ne lui imposant pas cette échéance ; il pourra se rembourser sur
les fonds indivis s'il en existe, à défaut il pourrait théoriquement
prélever un bien en nature puisque l'article 815-17 alinéa 3 vise un
prélèvement sur les biens indivis, toutefois cette possibilité laisse
entrevoir des complications sérieuses en cas de prélèvement d'un bien
d'une valeur supérieure au montant de la créance du solvens sur
l'indivision(97).
Par ailleurs, le co-indivisaire qui exerce son
droit d'arrêter le cours de l'action en partage se substitue à
l'indivisaire débiteur – en acquittant le montant de la créance tel
qu'il résulte des titres produits par le créancier – mais n'acquiert
pas pour autant tous les droits appartenant au débiteur ; sa faculté de
substitution se limite au paiement : il dispose en compensation d'un
droit à remboursement en vertu de l'article 815-17 alinéa 3 in fine,
mais il ne peut, par exemple, contester le montant de la créance en
vertu de laquelle le créancier poursuit le partage(98), ce droit
n'appartenant qu'à l'indivisaire débiteur.
b). L'action en intervention au partage
40.
Elle est ouverte aux créanciers personnels d'un co-indivisaire,
théoriquement sans qu'il soit nécessaire de régulariser une opposition
à partage ; il semble pourtant préférable que l'huissier de justice
accomplisse cette formalité car elle rend un partage éventuel
inopposable au créancier, lequel n'est pas censé être informé du
calendrier des opérations.
Si l'on se réfère à la lettre du
texte, l'action en intervention est ouverte, contre le débiteur, « en
cas de partage provoqué par lui ». Ceci pourrait laisser penser qu'en
cas de partage provoqué par un co-indivisaire autre que le débiteur le
créancier ne dispose pas de ladite action ; ce serait là une
interprétation erronée du texte, car la règle de l'article 882 demeure.
Dans cette hypothèse le droit commun s'applique, mais l'opposition à
partage est alors obligatoire, tandis qu'elle n'est que facultative en
cas de partage provoqué par le débiteur. Dans les deux situations,
l'intérêt de la présence du créancier aux opérations de partage reste
le même : éviter que celles-ci ne s'effectuent en fraude de ses droits.
Il pourra, de cette façon, s'opposer à l'attribution à son débiteur
d'un bien insaisissable, ou faisant déjà l'objet d'une sûreté, ou
manifestement surévalué, etc. De plus, il semble qu'il conserve le
bénéfice de l'action en rescision pour lésion(99), exerçant alors
celle-ci par voie oblique en vertu de l'article 1166(100), aux lieu et
place du débiteur à qui cette action est conférée par l'article 888.
Il
est à noter que les co-indivisaires – devenus co-partageants – peuvent
toujours user de la faculté susmentionnée d'acquitter la dette du
débiteur et de désintéresser ainsi le créancier, afin d'éviter que ce
dernier n'intervienne au partage. S'ils choisissent – ou si l'un d'eux
choisit – cette option, il y aura lieu à remboursement sur les biens
indivis en vertu du dernier alinéa de l'article 815-17(101).
Dans
la situation particulière d'un indivisaire faisant l'objet d'une
procédure collective, une attention toute particulière devra être
portée aux opérations de partage. En cas de vérification de créance et
si aucun des co-indivisaires n'est en mesure de se substituer au
débiteur pour désintéresser le ou les créancier(s), le partage ne peut
être ordonné en l'état et il doit y être sursis(102). Mais dans
l'hypothèse où le liquidateur exerce l'action en partage, il ne peut
réclamer le paiement par prélèvement sur les biens indivis, ces deux
actions n'étant pas de même nature(103). D'autre part les créanciers de
l'indivisaire ne peuvent pas saisir et faire vendre le bien indivis,
comme nous l'avons vu : pas davantage dans le cadre de la procédure
collective le liquidateur de l'un des indivisaires ne dispose-t-il de
ces droits. Enfin le créancier personnel d'un indivisaire in bonis ne
peut agir par voie de saisie sur les biens communs en-dehors des cas où
les créanciers du co-indivisaire soumis à liquidation judiciaire
peuvent eux-mêmes agir(104).
Si un fonds de commerce se trouve
lui-même en indivision et que l'indivisaire exploitant fait l'objet
d'une procédure de redressement ou de liquidation, la Cour de cassation
estime que la procédure peut être étendue aux co-indivisaires(105),
bien que ceux-ci ne participent pas à l'exploitation du fonds.
Enfin
par un raisonnement a fortiori, on doit considérer que les créanciers
de l'indivision, s'ils bénéficient d'un régime de faveur, sont
également créanciers personnels des indivisaires et peuvent par
conséquent poursuivre ces derniers sur leurs biens autres qu'indivis.
L'indivision n'ayant pas la personnalité morale, les biens indivis ne
peuvent se trouver totalement isolés du patrimoine des co-indivisaires,
ce qui implique que l'actif patrimonial de chacun d'eux doit répondre
du passif de l'indivision(106).
Cette situation appelle deux
remarques. D'une part, et sauf dans l'hypothèse d'une stipulation
expresse de solidarité, chacun des co-indivisaires n'est tenu sur ses
biens personnels du passif de l'indivision qu'à proportion de sa part
dans cette dernière. D'autre part, s'agissant des biens personnels des
co-indivisaires, les créanciers de l'indivision ne se trouvent plus
dans une situation privilégiée : ils viennent en concurrence avec les
autres créanciers personnels.
3. Le droit spécial des créanciers personnels dans l'indivision conventionnelle
41.
Comme il a été indiqué, la convention d'indivision à durée déterminée
est susceptible de faire échec au partage pour une durée pouvant
atteindre cinq années, avec le risque d'immobilisation des créances que
cela comporte à l'égard des créanciers personnels des indivisaires.
C'est pourquoi, par exception au principe d'insaisissabilité et à la
prohibition de la vente forcée des quotes-parts, l'article 1873-15
admet expressément la possibilité d'une telle mesure « en suivant les
formes prévues par le Code de procédure civile » – c'est-à-dire en
mettant en œuvre les procédures civiles d'exécution classiques – même
si la quote-part subit de ce fait une probable dévaluation. Toutefois
il reste aux co-indivisaires du débiteur la faculté de se substituer à
l'acquéreur, en vertu de l'article 1873-12, afin d'éviter l'intrusion
d'un tiers étranger à l'indivision originelle.
C. Les difficultés particulières
42.
Certaines difficultés peuvent surgir dans le cas où un co-indivisaire
exerce des droits, soit sur sa quote-part soit sur la chose indivise
elle-même, droits susceptibles de porter atteinte aux intérêts des
créanciers ou à tout le moins de gêner l'action de ceux-ci. Quant à la
délimitation temporelle de l'indivision, elle pose souvent quelques
points d'interrogation.
1. S'agissant de la quote-part
43.
Comme nous l'avons vu, la quote-part constitue un droit patrimonial de
l'indivisaire, qu'il lui est donc possible de céder ou de donner en
garantie.
a). Cession de la quote-part par un indivisaire
44.
Tout indivisaire peut céder sa quote-part indivise en tout ou en
partie, à titre onéreux ou à titre gratuit. Il peut également en
disposer à cause de mort, mais aussi à titre de libéralité.
Afin
d'éviter l'entrée d'un tiers dans l'indivision, les articles 815-14 et
1873-12(107) prévoient un droit de préemption en faveur des
indivisaires, qui doivent être préférés à tout autre acquéreur, de même
qu'ils bénéficient du droit de se substituer à l'acquéreur – en cas de
vente forcée de la quote-part – en lui remboursant le prix qu'il a payé.
La
quote-part d'un indivisaire peut se transmettre par succession en cas
de décès de celui-ci. S'il existe plusieurs héritiers, cette quote-part
constituera elle-même l'objet d'une autre indivision, cette fois entre
les co-héritiers de l'indivisaire décédé, créant la situation assez
complexe d'une superposition d'indivisions : la seconde indivision
portera sur une quote-part de la première. Une telle difficulté peut
cependant être évitée par une convention d'indivision, prévoyant
l'attribution ou la faculté d'acquisition de la quote-part par les
héritiers ou le conjoint de l'indivisaire prédécédé(108).
En
matière d'indivision successorale, le co-indivisaire devra satisfaire
aux règles particulières des articles 1696 et suivants ; il convient
encore de rappeler que toute cession ou donation vaudra de sa part
acceptation de la succession en vertu de l'article 780(109).
Il
va de soi que de tels actes de disposition sont susceptibles de nuire
gravement aux intérêts du créancier de l'indivisaire, néanmoins ils
apparaissent tout à fait valables : pis encore, ils lui sont
parfaitement opposables. La jurisprudence estime généralement que
l'opposition à partage, telle qu'elle est prévue à l'article 882,
suffit à faire échec au droit de l'indivisaire débiteur de disposer de
sa quote-part ; cette option, pour équitable qu'elle soit, ne saurait
satisfaire pleinement la logique juridique dans la mesure où cession et
partage sont loin d'être synonymes, outre qu'ils obéissent à des
régimes très différents. L'acte d'opposition semble pourtant bien être
la solution la plus fiable pour garantir la créance contre les
tentatives du débiteur d'échapper à son créancier dans ces hypothèses.
b). Dation en garantie de la quote-part
45.
L'indivisaire dispose du droit de donner sa quote-part en garantie.
Nous n'envisagerons pas le cas d'une hypothèque, puisque nous ne
traitons ici que de la matière mobilière.
La quote-part peut
être donnée en gage lorsque l'indivision inclut des biens mobiliers
corporels. Naturellement, au regard de l'article 2074, l'opposabilité
aux tiers du privilège est subordonnée à l'existence d'un acte
authentique ou sous seing privé dûment enregistré et répondant aux
exigences déclaratives du texte. Dans ce cas, le créancier gagiste
disposera du droit de préférence vis-à-vis des autres créanciers.
Par
ailleurs il est possible de consentir un nantissement sur la quote-part
de biens mobiliers incorporels, à condition toutefois qu'ils soient
cessibles.
Si la dation en garantie de la quote-part est
susceptible de nuire au créancier de l'indivisaire, cette situation est
cependant réversible : le créancier peut évidemment lui-même bénéficier
de la garantie, au détriment – dans cette hypothèse – de la garantie
des autres créanciers.
2. S'agissant de la chose indivise
46.
L'article 815-3 pose en principe que les actes d'administration et de
disposition relatifs aux biens indivis requièrent le consentement de
tous les indivisaires. Il apparaît alors beaucoup plus difficile de
soustraire la chose indivise à l'intérêt des créanciers que d'y
soustraire la quote-part de l'un des co-indivisaires.
a). Vente de la chose indivise
47.
Les co-indivisaires étant titulaires d'un même droit sur une même
chose, la vente de cette chose par l'un d'entre eux ne peut être à
proprement parler frappée de nullité : en effet il ne s'agit pas d'une
cession de la chose d'autrui. C'est pourquoi de nos jours la
jurisprudence préfère la notion d'inopposabilité(110). Cette dernière
concerne évidemment les co-indivisaires du vendeur, à cette exception
près que si la chose vendue se trouve attribuée à ce dernier lors du
partage, ils perdent tout intérêt à agir contre lui. Mais il existe
d'autres possibilités.
Les co-indivisaires du vendeur ont la
faculté de ratifier l'acte de vente, ce qui écarte pour l'avenir toute
opposition de leur part, sans pour autant qu'ils renoncent à faire
valoir leurs droits s'agissant du quantum lors des opérations de
partage. En sens contraire, ils disposent de l'action en
revendication(111) pour opposer leur propre droit au co-indivisaire
vendeur.
Cette action en revendication se trouverait cependant
contrariée par la garantie d'éviction dont bénéficie l'acquéreur ; ce
dernier pourrait faire résilier la vente en vertu de l'article 1636 en
cas d'éviction partielle, mais une action en annulation – comme nous
l'avons dit – ne saurait prospérer.
Il peut toutefois arriver
que la vente du bien indivis se révèle indispensable dans l'intérêt
commun des indivisaires(112) ; en cas de refus de l'un d'eux l'article
815-5 prévoit l'autorisation du juge, qui sera opposable à
l'indivisaire dont le consentement a fait défaut.
b). Libéralité consentie sur la chose indivise
48. Deux types de libéralités peuvent être ici envisagés : la donation et le legs.
* - Pour les motifs qui viennent d'être évoqués, la donation de la
chose indivise n'est pas nulle, mais elle est inopposable aux
co-indivisaires du donateur et son efficacité subordonnée au résultat
du partage, ceci par combinaison des articles 883 et 894(113).
* - La situation résultant du legs se révèle plus complexe. Si le legs
concerne un bien constituant à lui seul l'indivision, on estime
généralement qu'il porte non sur la chose elle-même mais sur la
quote-part du testateur dans l'indivision, ceci par interprétation de
l'article 1010 en matière de legs à titre universel.
Par contre
si le bien légué ne constitue qu'une partie de la masse indivise, deux
solutions sont envisageables. Par combinaison des articles 883 et 1476,
le legs peut s'exécuter en nature si par l'événement du partage le bien
légué tombe au lot de cet indivisaire ou de sa succession(114) ; le
partage est alors déterminant. Mais si le testateur a exprimé son désir
de léguer une chose de valeur déterminée, le partage n'a plus qu'un
rôle secondaire : selon son résultat le légataire recevra soit la chose
en nature soit la valeur de la chose léguée, par assimilation logique à
la règle de l'article 1423.
c). Nantissement du bien mobilier indivis
49.
Le nantissement d'un bien mobilier indivis est le plus souvent analysé
comme portant sur la quote-part de l'indivisaire constituant. Au-delà
de cette généralité, il convient de considérer plusieurs situations.
S'il s'agit d'une sûreté régulièrement publiée portant réellement sur
la chose, et non sur la quote-part, elle sera entachée de nullité en
cas d'attribution à un copartageant du constituant. Si la chose a été
donnée en gage avec dépossession, on en revient à la conception d'une
dation en garantie de la seule quote-part du co-indivisaire, situation
précédemment décrite. Encore convient-il que les formalités légales
requises pour la constitution de gage aient été respectées.
3. S'agissant du « bornage temporel » de l'indivision
50.
L'indivision, situation temporaire, se trouve délimitée dans le temps
par plusieurs dates, qu'il est indispensable au créancier de connaî
tre, mais qui posent régulièrement des difficultés quant à leur
détermination. Il convient de distinguer les deux événements situés aux
extrémités, dont les dates sont certaines, mais aussi ceux qui
s'insèrent dans le cours de l'indivision et entraî nent des changements
tant dans les droits des co-indivisaires que dans la masse de
l'indivision elle-même.
a). Date du fait générateur de l'indivision
51.
C'est le point de départ de cette dernière. Ce sera, suivant les cas,
la date de décès du de cujus pour l'indivision successorale ou celle de
l'achat du bien pour l'indivision par acquisition conjointe ; quant à
l'indivision post-communautaire, elle réserve un éventail plus large en
fonction de l'événement qui produit la dissolution de la communauté :
date du décès de l'un des époux, date de la demande en séparation de
biens judiciaire(115), date de l'ordonnance de non-conciliation en cas
de divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage, pour
altération définitive du lien conjugal ou pour faute(116), date
d'homologation de la convention en cas de divorce par consentement
mutuel(117). On notera un cas original : celui de l'indivision entre un
époux et les successeurs de l'autre en cas d'absence ; l'article
1441-2° – en mentionnant « l'absence déclarée » – fixe en réalité la
date de la dissolution de la communauté à celle de la déclaration
d'absence par le tribunal de grande instance(118), et non à celle de la
constatation de la présomption d'absence qui intervient au moins dix
années plus tôt… la différence n'est pas mince !
b). Date d'évaluation des biens
52.
C'est – comme son nom l'indique – celle à laquelle est déterminée la
valeur de chaque bien composant la masse de l'indivision. Elle concerne
l'estimation.
c). Date de jouissance divise
53. Elle est
souvent source de confusion. Il s'agit de la date à partir de laquelle
les co-indivisaires acquièrent la jouissance personnelle des revenus
des biens indivis, alors même que le partage n'est pas achevé. Cette
date détermine l'exercice d'un droit sur les fruits, et non d'un droit
en pleine propriété. Elle est parfois confondue à tort avec la date du
partage, du fait qu'elle doit logiquement être la plus proche possible
de celle-ci, mais également avec la date d'évaluation des biens.
d). Date de clôture des opérations de partage
54.
Encore appelée « date du partage », elle constitue le point final de
l'indivision, et confère définitivement aux ex-indivisaires la pleine
propriété sur le lot qui leur a été attribué.
Les dates
d'évaluation et de jouissance divise ne sont pas obligatoirement
identiques, par contre elles sont structurellement liées à celle du
partage. La date de jouissance divise est fixée soit
conventionnellement entre les co-indivisaires, soit par le juge en cas
de désaccord(119). A cet égard, bien que la Cour de cassation ait
décidé que l'évaluation d'un bien se faisait au jour du partage(120),
elle a admis plus récemment que le juge se trouvant confronté à des
difficultés d'évaluation pourra évaluer le bien au jour où il statue et
assortir son évaluation d'une clause d'indexation qui prendra effet
jusqu'au jour de la jouissance divise(121))
Avant cette date de
jouissance divise, les revenus des biens indivis accroissent à
l'indivision(122), au-delà ils reviennent au co-indivisaire à titre
personnel, alors même que le partage n'est pas encore intervenu. Il
s'agit à cette date d'un partage de jouissance, qui peut être effectué
à titre provisionnel en vertu de l'article 815-10 alinéa 1. Une telle
convention de partage provisionnel des fruits et revenus ne peut par
contre servir à constituer les lots des co-indivisaires, ce qui sera
l'effet du partage proprement dit.
On appréciera l'intérêt de la
détermination de ces dates au regard de l'exécution, tant à l'encontre
de l'indivision qu'à l'encontre des co-indivisaires. Par exemple, après
la date de jouissance divise, le créancier personnel d'un
co-indivisaire pourra saisir les fruits entre les mains de son
débiteur, de même qu'il pourra saisir la chose attribuée à ce dernier à
partir de la date du partage.
55. Telles sont quelques-unes des
réflexions que l'indivision mobilière est susceptible d'inspirer au
créancier comme à l'huissier de justice. Naturellement nous ne
prétendons pas à l'exhaustivité ; certaines situations eussent
peut-être mérité de figurer dans cette étude et s'en sont trouvées
écartées. L'œuvre de collaboration en matière de propriété littéraire
et artistique (art L.113-2 et 3 du Code de la propriété intellectuelle)
qui est la propriété commune des coauteurs, ou encore les brevets
d'invention tombés en copropriété par suite du décès de leur
titulaire(123) sont à la frontière de l'indivision, sans toutefois
dépendre de son régime, du moins cette appartenance est-elle contestée.
C'est pourquoi nous les avons prudemment évités, la matière se révélant
déjà suffisamment variée.
En effet l'indivision apparaît bien
comme le domaine du multiple dans tous les sens du terme. Que de
sources de conflits entre co-indivisaires, que de motifs d'action pour
leurs créanciers. La stabilité est rare dans cette situation toujours
précaire, sur ce sol toujours mouvant. Il reste le sous-sol : c'est le
lieu du tombeau. A défaut de disposition spéciale du concessionnaire
fondateur, c'est bel et bien en indivisaires que les ascendants et
descendants de celui-ci – mais également son conjoint – exerceront le
droit d'être inhumé. Ici tout se simplifie ; l'exercice même de son
droit devient synonyme, pour le co-indivisaire, d'un autre partage :
celui de la perpétuelle demeure, où l'attribution s'effectue dans
l'ordre des décès.
Alors plus de litige ! Il y a, écrivait
Malraux, « une fraternité qui ne se trouve que de l'autre côté de la
mort(124) », une éternelle félicité dont jouissent les indivisaires
enfin apaisés, dans la contemplation commune des lois premières… et des
fins dernières.