La poursuite des biens mobiliers indivis

Thierry Guinot
Huissier de Justice Président de la Chambre des Huissiers de Justice de Paris

La poursuite d'un débiteur sur ses biens mobiliers se heurte parfois au régime de l'indivision, lequel représente pour le créancier une source non négligeable de difficultés de par la complexité de certaines des situations qu'il recouvre. L'exécutant se doit alors d'identifier et de contourner ces problèmes, ce qui suppose de les connaître.

Dans un premier temps, il convient d'analyser le domaine et le contenu de l'indivision, que le Code civil a instituée en tant que régime provisoire. Toutefois on constate en plusieurs occasions l'extension de ce régime dans le temps ; le provisoire peut donc devenir durable, soit par l'effet de la loi, soit par celui des conventions.

Un second stade de la réflexion conduit à considérer la situation, les droits et les contraintes des créanciers, selon qu'ils poursuivent l'indivision elle-même ou l'un des co-indivisaires à titre personnel.

Enfin il n'est pas inutile d'examiner quelques difficultés propres à cette matière et touchant aux actes de disposition, sûretés et libéralités susceptibles d'affecter le gage des créanciers, sans compter la délicate question de la délimitation des situations dans le temps.

I. 05 1. Le catalogue des complications susceptibles de menacer une procédure d'exécution ne manque pas d'articles ; les rencontres fortuites avec un régime juridique à la manipulation délicate en constituent l'un des chapitres. Parmi les chausse-trappes et embûches en tous genres on trouve l'indivision, cette situation résultant de la cotitularité d'un droit de même nature sur un même bien ou sur une même masse de biens, situation dont l'allure classique et débonnaire peut tromper la vigilance de l'exécutant et égarer ce dernier sur des chemins de traverse.

Bien qu'elle puisse concerner d'autres droits (l'usufruit par exemple), c'est le droit de propriété qui est le plus souvent impliqué dans cette structure collective. Si le droit romain connaissait déjà l'indivision sous l'appellation de communio incidens, la notion de propriété collective a tardé à s'installer en droit français, puisque ce n'est qu'au vingtième siècle qu'un régime fut spécialement aménagé à son intention. Le Code civil de 1804 ne mentionnait à cet égard que le régime matrimonial de communauté et la mitoyenneté, alors que le Code de commerce de 1807 envisageait, lui, la propriété collective dans le cadre des personnes morales.

On remarquera d'ailleurs que propriété collective et personnalité morale ne s'impliquent pas réciproquement, ce qui peut conduire à des paradoxes : ainsi la propriété d'une personne morale est théoriquement toujours individuelle, puisqu'il n'existe qu'un seul titulaire du droit, alors que cette personne morale est elle-même normalement un sujet de droit multiple, une collectivité d'intérêts(1). A l'inverse, et ceci depuis la loi du 11 juillet 1985, le statut d'entreprise unipersonnelle (ou d'entreprise agricole) à responsabilité limitée confère la personnalité morale, en dehors de tout intérêt collectif, à une entité pourvue d'un associé unique ! Derrière ce face-à-face de l'un et du multiple se cache en réalité une dialectique du tout et de ses parties, dialectique que l'on retrouve à chaque pas sur le chemin parfois tortueux du régime de l'indivision.

La loi du 28 juin 1938 fut la première pierre à l'édifice de l'indivision moderne, qui ne concernait toutefois que les immeubles bâtis et divisés en lots ; elle fut suivie par les lois des 10 juillet 1965, 3 janvier 1967 et 26 juin 1987 s'agissant des navires et autres bâtiments de mer, cependant que les régimes matrimoniaux étaient modifiés par la loi du 13 juillet 1965, puis celle du 23 décembre 1985, et que les fonds communs de placement (qui possèdent un régime de copropriété) étaient organisés par la loi du 23 décembre 1988.

La loi du 31 décembre 1976, modifiée par celle du 10 juin 1978, a réellement organisé le régime de l'indivision de droit commun en modifiant l'article 815 du Code civil, en ajoutant les articles 815-1 à 815-18, et en créant un titre IX bis dans le livre troisième du même code, sous l'intitulé « Des conventions relatives à l'exercice des droits indivis(2) ».

Les créanciers préfèrent généralement ignorer ces dispositions, qui restreignent leurs droits et engendrent des complications parfois sérieuses. Néanmoins, il arrive que le patrimoine de leur débiteur ne leur laisse pas d'autre choix que de s'aventurer dans cette direction. L'huissier de justice doit alors les y précéder afin de les conseiller utilement quant à l'orientation des poursuites, mais aussi de les avertir des risques que celles-ci comportent. Les pages qui suivent alimenteront peut-être utilement sa réflexion.

Nous n'aborderons dans cette étude que les règles concernant les biens mobiliers(3). Ceci suffira cependant à remplir notre propos, sachant que la prise en compte des biens immeubles eût alourdi considérablement le sujet. Nous avons choisi, d'une manière sans doute assez peu scolastique, de traiter d'une institution à l'aune des critères d'une autre, en l'occurrence d'exposer la matière de l'indivision en tant qu'elle concerne l'objet d'une mesure d'exécution.

2. Le droit de l'indivision recouvre plusieurs réalités ; l'examen de son domaine constituera notre première démarche (I) ; il y aura lieu, dans une seconde réflexion, d'aborder la situation des créanciers dans ce régime (II), le tout sans perdre de vue la perspective qui est la nôtre, donc le sort des biens meubles dans les méandres du domaine comme dans les subtilités du régime.

I. Le domaine de l'indivision des biens mobiliers

3. Il convient de dresser tout d'abord un inventaire des situations et des biens pouvant rentrer dans le cadre du régime (A). C'est ce regard circulaire qui permettra au créancier et à l'huissier de justice de reconnaître dans le patrimoine d'un débiteur les cas d'application du système juridique considéré. D'autre part, l'indivision constituant toujours un obstacle à la réalisation des droits du créancier, ce dernier aura intérêt à distinguer si son débiteur est susceptible ou non de se maintenir dans une telle situation (B).

A. Sujets et objets d'indivision

4. La distinction sujet/objet requiert une investigation. Ici, nous nous attacherons d'une part à discerner le « territoire » de l'indivision, en distinguant le domaine expressément identifié par la loi du domaine d'application éventuelle de celle-ci, d'autre part à examiner le contenu de la masse indivise.

1. Domaine expressément organisé par la loi

5. La loi renvoie un certain nombre de situations au régime de l'indivision, soit directement soit indirectement, néanmoins de manière constante. On peut les regrouper comme suit.

a). L'indivision successorale

6. A l'évidence la forme la plus ancienne de cette institution(4), c'est celle qui concerne les héritiers à partir du décès du de cujus, du moins – bien entendu – s'ils ont accepté la succession. Elle peut également s'appliquer entre héritiers et légataires si la dévolution successorale s'effectue partiellement en vertu d'un testament, en cas de legs de quotité. Elle s'appliquera encore au bien légué à titre particulier, en cas de réduction partielle en nature(5). S'il s'agit d'une succession testamentaire, le régime de l'indivision s'appliquera aux co-légataires, sauf clause testamentaire d'attribution de parts divises sur le bien légué(6).
b). L'indivision résultant de libéralités conjointes

7. Il s'agit de l'hypothèse où plusieurs personnes bénéficient conjointement d'une donation. Elles seront alors soumises au régime de l'indivision(7).

c). L'indivision née de l'acquisition conjointe d'un bien

8. Forme, là encore, très ancienne de l'institution(8), la co-acquisition d'un bien entraîne l'indivision entre les co-acquéreurs, même s'il n'existe pas de convention d'indivision(9). Peu importent les proportions du financement de l'achat : elles se retrouveront dans le règlement des comptes de l'indivision, sans pouvoir affecter le régime proprement dit ; même le financement par un seul des co-acquéreurs ne remet pas en cause l'indivision(10).

C'est dans cette catégorie que l'on peut trouver des sociétés ayant acquis conjointement un bien qu'elles exploitent en commun, ceci devant attirer particulièrement la vigilance des créanciers désireux de saisir. En effet, les règles propres aux sociétés sont susceptibles de compliquer tout à la fois la définition juridique du problème et l'action des créanciers, par exemple en cas de procédure collective à l'encontre de l'un des co-indivisaires.

Autre exemple : les époux co-acquéreurs séparés de biens sont présumés indivisaires si aucun ne peut justifier d'une propriété exclusive(11). Ceci est intéressant dans le cadre des comptes joints ouverts aux noms de deux époux séparés de biens ; la Cour de cassation estime que le droit de propriété ne porte que sur les biens existant à l'actif du compte au jour où celui-ci est clôturé(12) ; elle a également statué à propos des effets de la saisie d'un compte joint par le créancier de l'un des époux séparés de biens, en décidant qu'ils devaient être limités à la moitié indivise des valeurs déposées sur ce compte, lorsque la preuve qu'elles fussent la propriété de l'époux débiteur n'avait pas été rapportée(13).

Par contre, si l'acte d'acquisition conjointe comporte une clause d'accroissement, l'indivision ne s'appliquera pas : il s'agira d'une tontine(14).

d). L'indivision post-communautaire

9. Si la communauté entre époux ne peut s'analyser comme une indivision, sa dissolution – en revanche – fait des ex-membres de la communauté des co-indivisaires(15), et ils peuvent se maintenir dans l'indivision y compris en faisant homologuer une convention dans le cadre du divorce(16). En cas de décès de l'un des époux, c'est l'époux survivant et la succession de l'époux décédé qui deviendront indivisaires(17). Nous aurons l'occasion de revenir sur quelques problèmes particuliers qui s'attachent à l'indivision post-communautaire, particulièrement sur le point de départ de celle-ci.

e). L'indivision issue de la conjonction de droits démembrés

10. Des droits conjoints de même nature sur un même objet, ceci n'implique pas qu'il s'agisse systématiquement du droit de propriété ; ainsi des démembrements de celui-ci peuvent parfaitement faire l'objet d'une indivision. On trouve donc des usufruitiers indivis sur le bien dont ils ont la jouissance commune, de même qu'il peut exister une indivision, dans le cas d'une succession, entre des successeurs en pleine propriété et d'autres qui sont usufruitiers ; l'indivision ne concernera alors que la jouissance du bien.

De la même façon, il peut y avoir indivision entre nus-propriétaires, ou entre indivisaires en pleine propriété et indivisaires en nue-propriété ; l'indivision ne concernera cette fois que les droits attachés à la nue-propriété. Par contre, il ne peut exister d'indivision entre nu-propriétaire et usufruitier(18), pour cause de différence de nature entre leurs droits respectifs ; une convention d'un tel type est certes rendue possible par les articles 1873-1 et 1873-16 du Code civil, mais elle relève plus largement d'un avatar hybride que du statut de l'indivision à proprement parler, en tout cas elle est exorbitante du régime légal.

2. Domaine de l'application éventuelle

11. On notera que dans certains cas, le régime de l'indivision peut s'appliquer à une situation pour laquelle il n'a pas été expressément prévu : nous pensons particulièrement aux sociétés dépourvues de personnalité morale, aux associations non déclarées ainsi qu'à certaines situations de cotitularité d'un droit.

a). Les sociétés en participation

12. Aux termes de l'article 1871 du Code civil, la société en participation est dépourvue de personnalité morale. Le régime auquel sont soumis les biens d'une telle entité laisse vite apparaître sa complexité, car si le droit commun des sociétés s'applique normalement entre associés(19), à l'égard des tiers la structure rationnelle se dédouble ; les biens mis à la disposition de la société par les associés demeurent la propriété individuelle de ceux-ci(20), mais il peut y avoir indivision entre les associés dans trois cas :

    - si les biens étaient déjà indivis entre les associés avant d'être mis à la disposition de la société ;
   - s'ils ont été acquis dans le cours du contrat de société au moyen de deniers indivis ;
   - si les associés ont décidé de placer certains biens sous ce régime, avec ou sans convention d'indivision particulière(21). On notera par ailleurs qu'il ne pourra y avoir partage avant dissolution de la société, sauf convention contraire(22).

b). Les sociétés créées de fait

13. Ce type de société, qui n'a pas la personnalité juridique, suit le même régime que celui de la société en participation(23). A l'inverse, d'ailleurs, une situation d'indivision peut se trouver requalifiée en société créée de fait, lorsqu'on y trouve des éléments constitutifs du contrat de société : affectio societatis, participation des membres aux bénéfices et aux pertes(24). Une telle requalification peut s'appliquer à une indivision successorale portant sur des biens constitutifs d'une entreprise(25).

c). Les sociétés dissoutes

14. Dès la clôture de sa liquidation, toute société perd sa personnalité morale et devient une indivision(26), entre les associés ou entre certains d'entre eux ; la plupart du temps elle est de courte durée, mais le partage n'est pas obligatoire et l'indivision peut alors se prolonger.

d). Les sociétés nulles

15. A l'égard de la personne morale qui a pu prendre naissance, la nullité de la société produit les effets d'une dissolution prononcée par justice(27). L'annulation d'une société place donc les biens sociaux dans une situation d'indivision(28), bien que la Cour de cassation ait estimé que la nullité d'une société pour défaut d'affectio societatis ne pouvait laisser conclure à une telle possibilité(29) ; ce dernier cas constitue toutefois l'exception.

e). Les associations non déclarées

16. Il s'agit d'un cas très particulier : l'association qui n'a pas effectué la déclaration préalable n'a pas la personnalité morale(30), mais peut néanmoins acquérir des biens financés par les apports ou cotisations de ses membres : il y aura indivision entre eux. Toutefois cette indivision se révèle dérogatoire au régime des articles 815 et suivants, du fait que l'association – même non déclarée – demeure régie par ses statuts(31), ce qui implique une renonciation au partage… Le sort des biens dépend par conséquent des dispositions statutaires, et ce n'est que dans le silence de celles-ci que le droit commun de l'indivision s'appliquera.

f). Les indivisions forcées et perpétuelles

17. Les biens qui, par nature ou par destination, ne peuvent être partagés, relèvent du régime de l'indivision forcée et perpétuelle. La plupart du temps il s'agit de biens immobiliers (passages, ruelles, canaux, cours ou caves communes, etc.), donc hors du propos dans cette étude, et la plupart du temps aussi ces indivisions sont régies par des textes spéciaux. Leur point commun est l'exclusion du droit de demander le partage, avec en corollaire des droits plus étendus au bénéfice des co-indivisaires, lesquels peuvent – par exemple – apporter sans autorisation des modifications à la chose(32) ou encore se comporter comme s'ils étaient propriétaires exclusifs de celle-ci(33). Toutefois la jurisprudence demeure assez partagée – et, pour tout dire, sans doute embarrassée – devant cette excroissance quelque peu monstrueuse du régime de l'indivision.

Ici le critère de nature et de destination constitue le pivot du raisonnement. Un indivisaire ne peut changer la destination de la chose(34), cette destination résultant de sa nature et de l'usage auquel elle a été affectée(35).

Il en est ainsi des biens acquis pour le compte des paroisses, lorsque celles-ci n'ont pas le statut d'associations cultuelles résultant de la loi du 9 décembre 1905. Elles ne disposent alors d'aucune représentation collective ni autonomie patrimoniale, et les biens acquis par les paroissiens(36) deviennent propriété commune sous forme d'indivision forcée et perpétuelle. Cependant il a été récemment jugé qu'aucun texte ne fait échapper les biens d'utilité religieuse, du seul fait de leur nature ou de leur destination, à la règle de l'article 815 alinéa 1er(37), ce qui laisse pour l'instant non résolu le problème de ce régime.

g). Les communes possédant entre elles des biens et droits indivis

18. Voici un domaine très atypique de l'indivision, régi par les articles L. 5222-1 à L. 5222-6 du Code général des collectivités territoriales. Nous sommes, ici, dans un régime de droit public, donc parfaitement indépendant des dispositions du Code civil, mais il est intéressant de remarquer qu'en dépit de cette différence il existe une certaine parenté conceptuelle entre les textes. On retrouve, dans l'indivision intercommunale, la notion de partage, non pas telle qu'elle est contenue dans l'article 815 du Code civil(38) mais à l'initiative des conseils municipaux ; ou encore celle d'attribution éliminatoire portant sur un lot en nature ou sur sa contre-valeur en argent, avec – le cas échéant intervention du juge de l'expropriation.

Il va de soi que ces biens indivis appartiennent au domaine public, et que les créanciers se heurtent au principe de l'immunité d'exécution de l'Etat et des collectivités territoriales, principe d'ailleurs rappelé par la Cour de cassation(39).

3. Contenu de la masse indivise

19. A présent que nous avons délimité le domaine de l'indivision, il importe de déterminer précisément le contenu de la masse indivise, puisque celle-ci constitue directement le gage des créanciers de l'indivision et – indirectement, après partage ou attribution par exemple – celui des créanciers personnels des co-indivisaires. Il s'agit d'un ensemble multiforme, au sein duquel on peut identifier divers éléments.

a). Les biens existant à la naissance de l'indivision

Cette catégorie ne pose aucune difficulté d'identification ou d'interprétation. On mentionnera simplement qu'en cas d'indivision successorale, s'y trouveront inclus les biens donnés par le de cujus, ou légués par testament, et qui seraient rapportables en nature à la masse.

b). Les créances contenues dans l'indivision

20. Bien que cette seconde catégorie paraisse poser aussi peu de problèmes que la précédente, elle cache une difficulté bien réelle en matière de successions. En effet l'article 1220 du Code civil érige en principe l'indivisibilité des obligations pour souligner immédiatement l'exception héréditaire(40), avant que l'article 1221 n'énumère lui-même les exceptions à l'exception(41) ! Cette règle semble déjà compliquée, pour ne pas dire confuse, mais il y a pire : alors qu'en vertu du « contre-principe » de division entre héritiers, les créances ne devraient pas tomber dans l'indivision, l'article 832 inclut les droits et les créances dans le partage – donc dans la masse indivise – tandis que l'article 883 revient à une règle de division très clairement exprimée(42). Cette fois, nous nous trouvons devant une contradiction des textes.

La jurisprudence a tranché ce nœud gordien en imposant les solutions suivantes : chacun des indivisaires peut recouvrer les créances héréditaires pour la part qui lui revient(43), sauf à rendre compte à ses co-indivisaires des sommes perçues au-delà de sa part ; toute cession d'une créance héréditaire consentie par l'un des indivisaires se voit appliquer l'effet déclaratif du partage(44), mais sera nulle si elle n'est pas attribuée au cédant lors du partage(45). Ces solutions sont cohérentes : le droit de créance apparaît divisible s'agissant de l'usus, indivisible concernant l'abusus.

Dans la même logique, on peut considérer que les créances héréditaires sont saisissables, cette faculté étant toutefois réservée aux seuls créanciers de l'indivision ; les créanciers personnels des indivisaires en sont exclus.

c). Les biens remplacés ou le problème de la subrogation réelle

21. Lorsque des biens ou des droits originairement contenus dans la masse indivise ont été remplacés par d'autres, se pose la question du régime de ces derniers. En cas de vente d'un bien indivis, quel est le sort du prix de vente ? A l'inverse, en cas d'emploi de fonds indivis pour acquérir un bien, quel est le régime applicable à celui-ci ? Suivant la règle instituée en matière de remploi, la Cour de cassation a estimé que le régime de l'indivision se transmettait au bien ou au droit de remplacement(46), en invoquant la subrogation réelle.

La jurisprudence de la Haute Cour a eu, depuis, l'occasion de confirmer ce principe, en décidant que le prix d'un immeuble se substituait à l'immeuble vendu(47), qu'un nouvel immeuble acquis en remploi du bien d'origine tombait dans la masse(48), et même qu'en cas de revente d'un immeuble lui-même acquis en remploi le prix de revente y tombait également(49). Les valeurs de remplacement subiront le même sort en cas de remboursement de créances, ou encore de versement d'indemnités suite à un sinistre sur un bien indivis. On estime qu'il s'agit d'une subrogation réelle de plein droit, à condition – naturellement – que les opérations d'aliénation ou d'acquisition aient été effectuées conformément aux règles de gestion de l'indivision considérée.

Ce principe présente un intérêt évident pour les créanciers, étant observé que le créancier d'un indivisaire peut soulever l'inopposabilité de la subrogation si son débiteur apparaît dans l'acte d'achat comme étant l'acquéreur unique(50).

d). Les fruits de l'indivision

22. L'article 815-10 règle le sort des fruits en disposant dans son alinéa 1er que « les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l'indivision, à défaut de partage provisionnel ou de tout autre accord établissant la jouissance divise », et dans son alinéa 3 que « chaque indivisaire a droit aux bénéfices provenant des biens indivis et supporte les pertes proportionnellement à ses droits dans l'indivision(51) ». L'alinéa 1er laisse donc aux indivisaires la faculté d'écarter le principe qu'il édicte, notamment au cas où l'un d'entre eux gère pour le compte de l'indivision : il pourra – par convention – percevoir les fruits. De même si les bénéfices d'exploitation d'un bien indivis tel qu'une entreprise accroissent à l'indivision, ceci n'exclut pas de rémunérer le co-indivisaire exploitant(52). Le créancier personnel de ce dernier pourra alors saisir valablement la rémunération de son débiteur, dès lors qu'elle aura été extraite des fruits de l'indivision proprement dits.

Cependant, faute d'un accord écartant le principe, celui-ci s'applique. La profession d'huissier de justice a servi d'exemple : la valeur patrimoniale des parts d'une société civile professionnelle titulaire d'un office constituant un bien dépendant de la communauté des époux, les fruits et revenus de ce bien – perçus par le mari en sa qualité d'associé pendant l'indivision post-communautaire – ont été considérés comme accroissant l'indivision(53).

e). Les plus-values et moins-values

23. Les plus ou moins-values constatées lors de l'évaluation des biens de l'indivision sont régies par l'article 815-10 alinéa 3, cité au paragraphe précédent, et profitent ou préjudicient à l'indivision, donc à chaque co-indivisaire en proportion de ses droits. Cette évaluation intervient à une date qui devrait (idéalement) être celle de la jouissance divise – mais tel n'est pas toujours le cas – et qui doit être la plus proche possible de la date du partage(54).

Néanmoins, et par assimilation aux améliorations, impenses, dégradations et détériorations visées à l'article 815-13, la jurisprudence considère généralement – mais elle n'est pas unanime – que l'on doit tenir compte à un indivisaire de la plus-value ou de la moins-value résultant de son fait personnel.

f). Les biens à caractère personnel

24. Il s'agit des biens qui ne sont transmissibles qu'en considération de la qualité de la personne : ainsi un office ministériel ou une clientèle libérale. On doit alors dissocier valeur patrimoniale et titularité, en considérant que la seconde peut ne concerner aucun des co-indivisaires(55) ; la solution consiste alors à vendre le bien : le prix de cession fera l'objet soit d'un remploi qui demeurera dans l'indivision, soit d'un partage immédiat entre les co-indivisaires.

Dans le cas particulier de l'indivision post-communautaire, on retrouve le même type de distinction entre valeur et titularité ; en revanche il existe une distorsion entre la règle de l'article 1404, qui déclare le bien propre par nature sauf récompense s'il y a lieu, et la jurisprudence de la Cour de cassation qui le déclare commun, sauf le titre ! Dans la solution légale, les fruits reviendront en propre à l'indivisaire concerné, tandis que dans la solution jurisprudentielle ils accroî tront à l'indivision. On répondra à cette objection que dans le premier cas il peut être déduit une récompense, mais que dans le second il peut être déduit la rémunération de l'époux qui exerce l'activité… Dans les deux cas la valeur de l'office ou de la clientèle, qui figurait à l'actif de la communauté, se retrouve à l'actif de l'indivision post-communautaire(56).

Les parts dans les sociétés de personnes constituent naturellement des biens « à caractère personnel ». Leur sort est normalement fixé par les statuts de la société en cas de décès de leur titulaire, ce qui déterminera qu'elles figurent ou non dans l'indivision successorale. Par contre s'il s'agit d'une situation post-communautaire, les parts entreront dans l'indivision en vertu de l'article 1832-2.

B. Régime du maintien dans l'indivision

25. Après avoir mesuré l'espace de l'indivision, le créancier doit en mesurer la dimension temporelle puisque la durée d'application de ce régime est de nature à affecter notablement ses droits. En effet l'indivision est susceptible de se prolonger, soit du fait de la loi en certaines circonstances, soit du fait d'une convention passée entre les co-indivisaires.

1. Maintien légal

26. En dépit du caractère statutairement provisoire de l'indivision, l'article 815 envisage dans trois de ses subdivisions le maintien du régime, ceci en dehors même de la volonté commune des co-indivisaires. On notera toutefois que ces situations sont strictement délimitées, et apparaissent donc clairement comme des exceptions insusceptibles d'interprétation extensive.

a). Le maintien légal de l'article 815-1

27. Il est prévu dans deux cas :

Au profit des descendants mineurs. Les biens concernés sont essentiellement de nature immobilière(57) : seuls nous intéressent ici les objets mobiliers servant à l'exercice de la profession, visés par l'alinéa 2 de l'article 815-1 dans le cadre du local professionnel. Le cas n'est sans doute pas fréquent. On doit noter que le maintien a lieu dans les conditions fixées par le tribunal(58), ce qui laisse au magistrat une assez large faculté d'organisation de la mesure : détermination du titulaire de la jouissance des biens, maintien de certains biens dans l'indivision et partage des autres, etc., mais toujours en fonction des intérêts en présence. Il ne pourra cependant prescrire le maintien pour une durée supérieure à cinq ans, renouvelable jusqu'à la majorité du plus jeune des descendants(59). On discernera, à travers ces dispositions, le souci de laisser le temps aux cohéritiers directs (enfants ou petits-enfants) de bénéficier de l'attribution préférentielle de l'article 832.

Au profit du conjoint survivant. Les biens visés sont les mêmes que précédemment, mais cette fois au profit du conjoint survivant copropriétaire(60) desdits biens, fût-ce par le fait du décès, à condition qu'il n'existe pas de descendants mineurs(61). Cette mesure doit être ordonnée par le tribunal sans pouvoir excéder cinq ans, cependant l'absence de limite de renouvellement laisse la possibilité d'une prolongation jusqu'au décès du conjoint, puisque ce régime est précisément destiné à la protection de celui-ci.

b). Le sursis au partage

28. Prévu par l'article 815 alinéa 2, le sursis au partage peut être demandé au juge pour une durée maximale de deux ans, dans le cas où le partage risquerait « de porter atteinte à la valeur des biens indivis »(62). Cette hypothèse est susceptible de recouvrir un certain nombre de situations différentes dont le dénominateur commun est de survenir à un moment mal choisi : les biens sont en cours de réparation ou doivent l'être prochainement, leur cours est au plus bas à l'époque considérée, etc., le juge appréciant souverainement l'opportunité de la demande(63). Le sursis peut s'appliquer à l'ensemble des biens indivis ou à certains d'entre eux seulement. Il peut être demandé par tout indivisaire, à condition naturellement qu'il existe une demande préalable en partage.

c). L'attribution éliminatoire

29. L'article 815 alinéa 3, sans doute après avoir apprécié les difficultés relationnelles inhérentes à la cotitularité d'un droit, a aménagé la possibilité d'attribuer sa part à l'un des co-indivisaires, faisant ainsi sortir celui-ci de l'indivision tout en y maintenant les autres(64). La demande peut être faite par un ou plusieurs d'entre eux, et le juge statuera, là encore, en fonction des intérêts en présence et sans préjudice de l'application des articles 832 à 832-3 s'agissant de l'attribution préférentielle ; ceci signifie qu'on ne pourra utiliser l'attribution éliminatoire à l'encontre d'un demandeur en attribution préférentielle tant qu'il n'aura pas été statué sur le droit de celui-ci.

Comme dans le cas précédent, il s'agit d'une hypothèse supposant une demande préalable en partage(65), sinon elle risquerait de favoriser des utilisations purement chicanières. Celles-ci ne sont pas pour autant totalement écartées : par exemple le demandeur initial au partage peut toujours se désister de sa demande, neutralisant ainsi la mise en œuvre de son élimination…

La réalisation de l'attribution doit respecter le principe d'égalité dans le partage, et s'opère soit en nature – si cette modalité est possible – soit en argent, si l'attribution en nature ne peut être commodément effectuée(66) ou si le demandeur en exprime la préférence. L'évaluation se fait par expertise. Dans l'hypothèse d'un paiement en argent, et « s'il n'existe pas dans l'indivision une somme suffisante, le complément est versé par ceux des indivisaires qui ont concouru à la demande, sans préjudice de la possibilité pour les autres indivisaires d'y participer s'ils en expriment la volonté(67) ». Le paiement au moyen des liquidités de l'indivision est de loin préférable, car la proportion des parts ainsi que l'accroissement restent inchangés ; à défaut l'article 815 alinéa 3 dispose que « la part de chacun dans l'indivision est augmentée en proportion de son versement ».

2. Maintien conventionnel

30. Le maintien dans l'indivision peut également résulter d'une convention entre les co-indivisaires, telle qu'organisée par les articles 1873-1 à 1873-18. A peine de nullité, la convention doit être établie par un écrit(68) comportant la désignation des biens indivis et l'indication des quotes-parts appartenant à chaque indivisaire. Si les biens indivis comprennent des créances, il y a lieu aux formalités de l'article 1690. Les conventions peuvent être de deux types : à durée déterminée ou indéterminée.

a). A durée déterminée

31. Elle ne peut être supérieure à cinq ans, renouvelable par décision expresse des co-indivisaires. Bien que cette décision de renouvellement ne soit pas expressément soumise à l'écrit, ce dernier est préférable pour des raisons aisément compréhensibles. Une clause de tacite reconduction est permise par l'article 1873-3 alinéa 3, pour une durée déterminée ou indéterminée. La survenance du terme de la convention renvoie les co-indivisaires dans le régime de l'indivision légale, tel qu'il est régi par les articles 815-1 et suivants.

La convention à durée déterminée n'exclut pas totalement le partage, mais celui-ci ne peut être provoqué avant le terme « qu'autant qu'il y en a de justes motifs(69) ». Le juge possède donc en la matière un pouvoir d'appréciation très large.

b). A durée indéterminée

32. Le partage y est plus accessible, puisqu'il peut être provoqué « à tout moment, pourvu que ce ne soit pas de mauvaise foi ou à contretemps(70) ».

On en conviendra : quels que soient son origine et son contenu, qu'elle soit légale ou conventionnelle, l'indivision constitue toujours un mécanisme multiplicateur de difficultés de par les effets de la cotitularité d'un droit, lesquels reviennent la plupart du temps à une confrontation de droits entre co-indivisaires. C'est dans ce contexte dialectique, assorti – comme nous allons le voir – de nombreuses contraintes, que doivent s'apprécier à présent la situation, les droits et les obligations des créanciers.

II. La situation des créanciers dans le régime de l'indivision des biens meubles corporels

33. L'indivision est traditionnellement considérée comme un régime d'exception, à telle enseigne que l'article 815 du Code civil édicte en premier lieu la règle du partage, comme si le droit principal des indivisaires était précisément de ne plus se trouver sous son empire(71). Ce partage constitue, en nombre d'occasions, la seule issue pour le créancier de réaliser le bien de son débiteur ; nous verrons toutefois qu'il existe d'autres possibilités. Par contre, le droit au partage peut se trouver limité par des conventions d'indivision ; dans cette hypothèse le créancier ne peut disposer de plus de droits que n'en dispose son débiteur, et la convention lui sera opposable.

Avant que de poursuivre, il importe de bien distinguer deux notions : le droit dont on est cotitulaire et la quote-part que l'on possède. Puisqu'il y a cotitularité d'un même droit, chacun exerce ce dernier sur la totalité de la chose ; par contre, chacun peut posséder une quote-part différente, sur laquelle il dispose d'un droit exclusif, en lui-même distinct du droit qu'il exerce sur la chose. Le droit sur la quote-part est quantifiable, tandis que celui sur la chose ne l'est pas. Le droit co-exercé par chaque indivisaire sur la chose est de catégorie constitutive, alors que le droit qu'il détient sur sa quote-part appartient à la catégorie distributive. Autrement dit, trois indivisaires détenant respectivement une quote-part de 25 %, 25 % et 50 % auront un droit exclusif quantifiable selon ces proportions sans qu'il y ait de division matérielle des parts, le droit de propriété sur l'objet de l'indivision lui-même appartenant à tous. Une telle discrimination apparaî t fondamentale, lorsqu'on sait que les poursuites diffèrent selon qu'elles s'exercent sur les biens indivis ou sur la quote-part dans l'indivision(72).

Il convient également de rappeler une seconde distinction, que nous avons notée en première partie, distinction d'ordre fonctionnel cette fois entre l'indivision légale, c'est-à-dire le régime de droit commun organisé par les articles 815 et suivants du Code civil, et l'indivision conventionnelle, fondée sur des stipulations contractuelles et prévue par les articles 1873-1 et suivants. Une telle convention peut être conclue à tout moment par les co-indivisaires ; elle doit cependant respecter nombre de dispositions impératives du régime légal.

Enfin l'indivision est souvent considérée, dans la pratique, comme une masse de biens possédant non pas une personnalité juridique, bien entendu, disons plutôt une certaine autonomie économique sinon patrimoniale(73), mais aussi comme une situation propre soumise à des règles spécifiques réglant les rapports des indivisaires entre eux, ainsi qu'avec leurs créanciers, en générant au passage quelques facteurs d'incidents et de confusions notoires.

C'est ainsi que l'article 815-17 alinéa 2 opère, à l'égard des créanciers, un premier degré de distinction entre les créanciers de l'indivision (A) et ceux des indivisaires (B). Examinons par conséquent ces deux catégories ; nous achèverons notre étude en considérant les difficultés particulières susceptibles d'obscurcir la vision des créanciers quels qu'ils soient (C).

A. Créanciers de l'indivision

34. Les créanciers de l'indivision se voient reconnaître par l'article 815-17 le droit de se payer par prélèvement sur l'actif avant le partage(74) ainsi que de poursuivre la saisie et la vente des biens indivis, et ceci que l'indivision soit légale ou conventionnelle(75). Si le créancier de l'indivision n'est autre que l'un des indivisaires, il sera payé assez logiquement par prélèvement sur l'actif(76), alors que cette solution apparaît plus originale s'agissant des créanciers tiers à l'indivision ; c'est pourtant le choix du législateur de 1976. Il faut y voir la volonté d'établir fermement le droit de gage des créanciers de l'indivision sur la masse indivise, faisant de ceux-ci des créanciers privilégiés par rapport à ceux des indivisaires, mais également le souci d'apurer le passif avant les opérations de partage qui entraî neront division de la dette. Ceci étant, la faculté de saisir les biens indivis reste une arme puissante entre les mains du créancier face à des indivisaires qui se montreraient retors(77).

Les créanciers visés peuvent être titulaires de deux sortes de créances, antérieures à l'indivision ou nées durant le fonctionnement de celle-ci.

Les créances antérieures à l'indivision elle-même sont visées par l'article 815-17 du Code civil lorsqu'il cite « les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu'il y eût indivision ». On peut envisager, dans ce cadre, les dettes nées du fait du de cujus dans l'indivision successorale, les dettes communes des articles 1409 et suivants dans l'indivision post-communautaire, ou encore celles éventuellement transmises avec le bien acquis en commun dans le cas d'une indivision par acquisition conjointe.

Les créances nées durant le fonctionnement de l'indivision sont concernées par le même article 815-17 lorsqu'il poursuit en citant les créanciers « dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis ». La jurisprudence préfère interpréter de manière large cette disposition en considérant que les créances nées du fonctionnement de l'indivision en général constituent des créances sur l'indivision elle-même. Dans cette acception, si l'un des indivisaires se trouve personnellement créancier de la masse indivise, il rentrera lui aussi dans cette catégorie, et pourra poursuivre la saisie des biens indivis sans être tenu d'attendre l'issue des opérations de partage(78).

Un second degré de distinction apparaît : bien que le créancier de l'indivision possède un droit sur le bien indivis, chacun des indivisaires ne supporte les pertes que proportionnellement à ses droits dans l'indivision. Ceci est la conséquence de la distinction première entre le droit sur la chose indivise et la quote-part dans l'indivision. Il y aura donc lieu de dissocier les rapports de l'indivision avec le créancier (obligation à la dette) et les rapports internes à l'indivision (contribution à la dette). A ce niveau, on peut voir surgir quelques sujets de réflexion délicats : par exemple si le bien indivis est un fonds de commerce, le gage des créanciers du commerçant doit-il être étendu à tous les biens indivis(79) ? D'une façon générale, les co-indivisaires sont tenus conjointement à la dette mais non solidairement, sauf si la solidarité a été stipulée dans une convention d'indivision par exemple(80).

35. La situation post-communautaire appelle également quelques remarques. Les créanciers de la communauté deviennent créanciers de l'indivision post-communautaire, puisqu'ils entrent dans la catégorie visée par l'article 815-17 alinéa 1er : celle des créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu'il y eût indivision ; de même qu'ils auraient pu se faire payer sur les biens communs, ils peuvent se faire payer sur les biens indivis(81). Ils disposent d'ailleurs d'autres droits en vertu des règles particulières au régime de la communauté, qui viennent se cumuler avec celles de l'indivision(82). En effet l'article 1482 dispose : « Chacun des époux peut être poursuivi pour la totalité des dettes existantes, au jour de la dissolution, qui étaient entrées en communauté de son chef ». Les biens propres de cet époux entrent donc également dans le gage du créancier. A ceci s'ajoute l'article 1483 alinéa 1er : « Chacun des époux ne peut être poursuivi que pour la moitié des dettes qui étaient entrées en communauté du chef de son conjoint », et ce sont alors les biens propres du conjoint qui peuvent subir le même sort pour la moitié de la dette(83). Comme on le voit, le créancier de l'indivision post-communautaire se trouve particulièrement garanti.

B. Créanciers personnels des indivisaires

36. De quels droits disposent les créanciers personnels d'un indivisaire ? Ils ne disposent pas d'un droit de gage général sur la masse indivise, au contraire des créanciers de l'indivision, mais sur le patrimoine de leur débiteur, qui comprend la quote-part de celui-ci dans l'indivision. L'article 815-17 comporte deux règles fondamentales à cet égard : l'interdiction de la saisie des parts indivises et le droit à provoquer le partage ou à intervenir à celui-ci, dispositions tempérées par l'article 1873-15 en matière d'indivision conventionnelle.

1. Interdiction de la saisie des parts

37. Si la masse des biens indivis constitue le gage des créanciers de l'indivision, elle ne peut – a contrario – être l'objet d'une saisie de la part des créanciers personnels des co-indivisaires, lesquels ne disposent pas du droit de gage général sur les biens indivis(84). Toute saisie serait nulle, et naturellement l'indivisaire débiteur – mais encore chacun des autres co-indivisaires – serait fondé à soulever cette nullité. L'huissier de justice doit donc s'abstenir de toute mesure de cette nature.

Par contre la quote-part de l'indivisaire débiteur fait théoriquement partie du gage général de ses créanciers, selon les dispositions des articles 2092 et 2093, et à ce titre devrait rester saisissable et réalisable par ces derniers. Pourtant le texte exclut une telle possibilité : « Les créanciers personnels d'un indivisaire ne peuvent saisir sa part dans les biens indivis, meubles ou immeubles », et la Cour de cassation ne laisse pas entrevoir un quelconque assouplissement lorsqu'elle précise qu'ils ne peuvent même « prendre aucune mesure ayant pour effet de rendre cette part indisponible(85) ».

Deux motivations justifient cette prohibition édictée par l'article 815-17 alinéa 2. Premièrement, il est impossible de connaître la valeur ni le contenu exact de la part de l'indivisaire tant que l'évaluation et le partage ne sont pas intervenus, or cette incertitude quant à l'objet frappe logiquement toute forme de saisie : saisie conservatoire(86), saisie-vente, saisie-attribution(87)… Deuxièmement, une vente de la quote-part entraînerait immanquablement une sous-évaluation du fait des inconvénients propres à l'indivision, ce qui préjudicierait à la fois au créancier et à l'indivisaire, et jusqu'aux co-indivisaires du débiteur puisque leurs quotes-parts respectives se trouveraient ainsi virtuellement dévalorisées. Si toute mesure impliquant une dépossession se trouve ainsi écartée, la prise d'une sûreté judiciaire reste cependant possible sur la quote-part – puisqu'elle n'entraî ne pas d'indisponibilité(88) – mais son efficacité restera subordonnée à l'issue du partage et à l'attribution au débiteur du bien grevé.

On remarque donc clairement la position d'infériorité des créanciers des indivisaires face à ceux de l'indivision. Toutefois, comme nous allons le voir, ils ne sont pas dépourvus d'action.

2. Droits quant au partage

38. En effet, l'article 815-17 alinéa 3 prévoit que les créanciers personnels d'un indivisaire ont « la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d'intervenir dans le partage provoqué par lui ». Il s'agit donc d'une double capacité d'action, en partage d'une part, en intervention au partage d'autre part. C'est après attribution de son lot au débiteur que le créancier pourra opérer la saisie et faire vendre alors à meilleur prix.

a). L'action en partage

39. Ouverte à l'initiative du créancier personnel, elle ne s'exerce pas en vertu d'un droit propre ; ce n'est pas une action directe, puisque le texte précise « au nom de leur débiteur », c'est une action oblique par référence à l'article 1166 du Code civil. Là encore, trois remarques s'imposent. La première est que le créancier ne doit pas être titulaire d'une créance conditionnelle ou d'une créance à terme, puisque l'action oblique ne lui est pas ouverte dans ces deux hypothèses : la créance conditionnelle n'est pas certaine, tandis que la créance à terme n'est pas exigible. La seconde est que le créancier ne peut exercer plus de droits que le débiteur n'en dispose lui-même, puisqu'il agit au nom de celui-ci ; il pourra donc se voir opposer les droits que les co-indivisaires auraient opposés au débiteur : ainsi les termes d'une convention d'indivision pourront limiter ou suspendre son action(89), de même qu'une demande des co-indivisaires en maintien d'indivision(90), un sursis au partage(91), ou encore si son débiteur – dans le cas d'une indivision successorale – est également débiteur de la succession pour un montant dépassant celui de sa part héréditaire(92) ; s'il existe un droit d'usufruit, le partage ne peut être ordonné que sous réserve de celui-ci(93) ; enfin l'action en réduction de libéralités excessives par voie oblique contre un indivisaire est préalablement soumise au choix offert à ce dernier – dans l'acte de donation – entre pleine propriété et usufruit, ladite option étant ouverte jusqu'au partage(94). La troisième remarque est que le créancier ne peut agir lui-même qu'en cas d'inaction de son débiteur susceptible de lui porter préjudice(95).

Par un effet de parallélisme de l'article 815-17 alinéa 3, le législateur a donné aux co-indivisaires la faculté d'« arrêter le cours de l'action en partage en acquittant l'obligation au nom et en l'acquis du débiteur », avec cette modalité particulière que « ceux qui exerceront cette faculté se rembourseront par prélèvement sur les biens indivis ». Une telle disposition apparaît exorbitante du droit commun, puisque le co-indivisaire solvens ne devient pas à proprement parler créancier du co-indivisaire débiteur et simplement subrogé dans les droits de celui-ci(96)) il devient en réalité créancier de l'indivision elle-même par le biais du droit à prélèvement. Concrètement la créance figurera à l'actif du compte d'indivision du solvens, à l'instar des dépenses effectuées dans l'intérêt de l'indivision, tandis que la dette équivalente sera portée au passif du compte du co-indivisaire débiteur, et il y aura lieu à rapport de ce montant lors des opérations de liquidation de l'indivision.

Le co-indivisaire solvens peut toutefois préférer ne pas attendre les opérations de liquidation, le texte ne lui imposant pas cette échéance ; il pourra se rembourser sur les fonds indivis s'il en existe, à défaut il pourrait théoriquement prélever un bien en nature puisque l'article 815-17 alinéa 3 vise un prélèvement sur les biens indivis, toutefois cette possibilité laisse entrevoir des complications sérieuses en cas de prélèvement d'un bien d'une valeur supérieure au montant de la créance du solvens sur l'indivision(97).

Par ailleurs, le co-indivisaire qui exerce son droit d'arrêter le cours de l'action en partage se substitue à l'indivisaire débiteur – en acquittant le montant de la créance tel qu'il résulte des titres produits par le créancier – mais n'acquiert pas pour autant tous les droits appartenant au débiteur ; sa faculté de substitution se limite au paiement : il dispose en compensation d'un droit à remboursement en vertu de l'article 815-17 alinéa 3 in fine, mais il ne peut, par exemple, contester le montant de la créance en vertu de laquelle le créancier poursuit le partage(98), ce droit n'appartenant qu'à l'indivisaire débiteur.

b). L'action en intervention au partage

40. Elle est ouverte aux créanciers personnels d'un co-indivisaire, théoriquement sans qu'il soit nécessaire de régulariser une opposition à partage ; il semble pourtant préférable que l'huissier de justice accomplisse cette formalité car elle rend un partage éventuel inopposable au créancier, lequel n'est pas censé être informé du calendrier des opérations.

Si l'on se réfère à la lettre du texte, l'action en intervention est ouverte, contre le débiteur, « en cas de partage provoqué par lui ». Ceci pourrait laisser penser qu'en cas de partage provoqué par un co-indivisaire autre que le débiteur le créancier ne dispose pas de ladite action ; ce serait là une interprétation erronée du texte, car la règle de l'article 882 demeure. Dans cette hypothèse le droit commun s'applique, mais l'opposition à partage est alors obligatoire, tandis qu'elle n'est que facultative en cas de partage provoqué par le débiteur. Dans les deux situations, l'intérêt de la présence du créancier aux opérations de partage reste le même : éviter que celles-ci ne s'effectuent en fraude de ses droits. Il pourra, de cette façon, s'opposer à l'attribution à son débiteur d'un bien insaisissable, ou faisant déjà l'objet d'une sûreté, ou manifestement surévalué, etc. De plus, il semble qu'il conserve le bénéfice de l'action en rescision pour lésion(99), exerçant alors celle-ci par voie oblique en vertu de l'article 1166(100), aux lieu et place du débiteur à qui cette action est conférée par l'article 888.

Il est à noter que les co-indivisaires – devenus co-partageants – peuvent toujours user de la faculté susmentionnée d'acquitter la dette du débiteur et de désintéresser ainsi le créancier, afin d'éviter que ce dernier n'intervienne au partage. S'ils choisissent – ou si l'un d'eux choisit – cette option, il y aura lieu à remboursement sur les biens indivis en vertu du dernier alinéa de l'article 815-17(101).

Dans la situation particulière d'un indivisaire faisant l'objet d'une procédure collective, une attention toute particulière devra être portée aux opérations de partage. En cas de vérification de créance et si aucun des co-indivisaires n'est en mesure de se substituer au débiteur pour désintéresser le ou les créancier(s), le partage ne peut être ordonné en l'état et il doit y être sursis(102). Mais dans l'hypothèse où le liquidateur exerce l'action en partage, il ne peut réclamer le paiement par prélèvement sur les biens indivis, ces deux actions n'étant pas de même nature(103). D'autre part les créanciers de l'indivisaire ne peuvent pas saisir et faire vendre le bien indivis, comme nous l'avons vu : pas davantage dans le cadre de la procédure collective le liquidateur de l'un des indivisaires ne dispose-t-il de ces droits. Enfin le créancier personnel d'un indivisaire in bonis ne peut agir par voie de saisie sur les biens communs en-dehors des cas où les créanciers du co-indivisaire soumis à liquidation judiciaire peuvent eux-mêmes agir(104).

Si un fonds de commerce se trouve lui-même en indivision et que l'indivisaire exploitant fait l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation, la Cour de cassation estime que la procédure peut être étendue aux co-indivisaires(105), bien que ceux-ci ne participent pas à l'exploitation du fonds.

Enfin par un raisonnement a fortiori, on doit considérer que les créanciers de l'indivision, s'ils bénéficient d'un régime de faveur, sont également créanciers personnels des indivisaires et peuvent par conséquent poursuivre ces derniers sur leurs biens autres qu'indivis. L'indivision n'ayant pas la personnalité morale, les biens indivis ne peuvent se trouver totalement isolés du patrimoine des co-indivisaires, ce qui implique que l'actif patrimonial de chacun d'eux doit répondre du passif de l'indivision(106).

Cette situation appelle deux remarques. D'une part, et sauf dans l'hypothèse d'une stipulation expresse de solidarité, chacun des co-indivisaires n'est tenu sur ses biens personnels du passif de l'indivision qu'à proportion de sa part dans cette dernière. D'autre part, s'agissant des biens personnels des co-indivisaires, les créanciers de l'indivision ne se trouvent plus dans une situation privilégiée : ils viennent en concurrence avec les autres créanciers personnels.

3. Le droit spécial des créanciers personnels dans l'indivision conventionnelle

41. Comme il a été indiqué, la convention d'indivision à durée déterminée est susceptible de faire échec au partage pour une durée pouvant atteindre cinq années, avec le risque d'immobilisation des créances que cela comporte à l'égard des créanciers personnels des indivisaires. C'est pourquoi, par exception au principe d'insaisissabilité et à la prohibition de la vente forcée des quotes-parts, l'article 1873-15 admet expressément la possibilité d'une telle mesure « en suivant les formes prévues par le Code de procédure civile » – c'est-à-dire en mettant en œuvre les procédures civiles d'exécution classiques – même si la quote-part subit de ce fait une probable dévaluation. Toutefois il reste aux co-indivisaires du débiteur la faculté de se substituer à l'acquéreur, en vertu de l'article 1873-12, afin d'éviter l'intrusion d'un tiers étranger à l'indivision originelle.

C. Les difficultés particulières

42. Certaines difficultés peuvent surgir dans le cas où un co-indivisaire exerce des droits, soit sur sa quote-part soit sur la chose indivise elle-même, droits susceptibles de porter atteinte aux intérêts des créanciers ou à tout le moins de gêner l'action de ceux-ci. Quant à la délimitation temporelle de l'indivision, elle pose souvent quelques points d'interrogation.

1. S'agissant de la quote-part

43. Comme nous l'avons vu, la quote-part constitue un droit patrimonial de l'indivisaire, qu'il lui est donc possible de céder ou de donner en garantie.

a). Cession de la quote-part par un indivisaire

44. Tout indivisaire peut céder sa quote-part indivise en tout ou en partie, à titre onéreux ou à titre gratuit. Il peut également en disposer à cause de mort, mais aussi à titre de libéralité.

Afin d'éviter l'entrée d'un tiers dans l'indivision, les articles 815-14 et 1873-12(107) prévoient un droit de préemption en faveur des indivisaires, qui doivent être préférés à tout autre acquéreur, de même qu'ils bénéficient du droit de se substituer à l'acquéreur – en cas de vente forcée de la quote-part – en lui remboursant le prix qu'il a payé.

La quote-part d'un indivisaire peut se transmettre par succession en cas de décès de celui-ci. S'il existe plusieurs héritiers, cette quote-part constituera elle-même l'objet d'une autre indivision, cette fois entre les co-héritiers de l'indivisaire décédé, créant la situation assez complexe d'une superposition d'indivisions : la seconde indivision portera sur une quote-part de la première. Une telle difficulté peut cependant être évitée par une convention d'indivision, prévoyant l'attribution ou la faculté d'acquisition de la quote-part par les héritiers ou le conjoint de l'indivisaire prédécédé(108).

En matière d'indivision successorale, le co-indivisaire devra satisfaire aux règles particulières des articles 1696 et suivants ; il convient encore de rappeler que toute cession ou donation vaudra de sa part acceptation de la succession en vertu de l'article 780(109).

Il va de soi que de tels actes de disposition sont susceptibles de nuire gravement aux intérêts du créancier de l'indivisaire, néanmoins ils apparaissent tout à fait valables : pis encore, ils lui sont parfaitement opposables. La jurisprudence estime généralement que l'opposition à partage, telle qu'elle est prévue à l'article 882, suffit à faire échec au droit de l'indivisaire débiteur de disposer de sa quote-part ; cette option, pour équitable qu'elle soit, ne saurait satisfaire pleinement la logique juridique dans la mesure où cession et partage sont loin d'être synonymes, outre qu'ils obéissent à des régimes très différents. L'acte d'opposition semble pourtant bien être la solution la plus fiable pour garantir la créance contre les tentatives du débiteur d'échapper à son créancier dans ces hypothèses.

b). Dation en garantie de la quote-part

45. L'indivisaire dispose du droit de donner sa quote-part en garantie. Nous n'envisagerons pas le cas d'une hypothèque, puisque nous ne traitons ici que de la matière mobilière.

La quote-part peut être donnée en gage lorsque l'indivision inclut des biens mobiliers corporels. Naturellement, au regard de l'article 2074, l'opposabilité aux tiers du privilège est subordonnée à l'existence d'un acte authentique ou sous seing privé dûment enregistré et répondant aux exigences déclaratives du texte. Dans ce cas, le créancier gagiste disposera du droit de préférence vis-à-vis des autres créanciers.

Par ailleurs il est possible de consentir un nantissement sur la quote-part de biens mobiliers incorporels, à condition toutefois qu'ils soient cessibles.

Si la dation en garantie de la quote-part est susceptible de nuire au créancier de l'indivisaire, cette situation est cependant réversible : le créancier peut évidemment lui-même bénéficier de la garantie, au détriment – dans cette hypothèse – de la garantie des autres créanciers.

2. S'agissant de la chose indivise

46. L'article 815-3 pose en principe que les actes d'administration et de disposition relatifs aux biens indivis requièrent le consentement de tous les indivisaires. Il apparaît alors beaucoup plus difficile de soustraire la chose indivise à l'intérêt des créanciers que d'y soustraire la quote-part de l'un des co-indivisaires.

a). Vente de la chose indivise

47. Les co-indivisaires étant titulaires d'un même droit sur une même chose, la vente de cette chose par l'un d'entre eux ne peut être à proprement parler frappée de nullité : en effet il ne s'agit pas d'une cession de la chose d'autrui. C'est pourquoi de nos jours la jurisprudence préfère la notion d'inopposabilité(110). Cette dernière concerne évidemment les co-indivisaires du vendeur, à cette exception près que si la chose vendue se trouve attribuée à ce dernier lors du partage, ils perdent tout intérêt à agir contre lui. Mais il existe d'autres possibilités.

Les co-indivisaires du vendeur ont la faculté de ratifier l'acte de vente, ce qui écarte pour l'avenir toute opposition de leur part, sans pour autant qu'ils renoncent à faire valoir leurs droits s'agissant du quantum lors des opérations de partage. En sens contraire, ils disposent de l'action en revendication(111) pour opposer leur propre droit au co-indivisaire vendeur.

Cette action en revendication se trouverait cependant contrariée par la garantie d'éviction dont bénéficie l'acquéreur ; ce dernier pourrait faire résilier la vente en vertu de l'article 1636 en cas d'éviction partielle, mais une action en annulation – comme nous l'avons dit – ne saurait prospérer.

Il peut toutefois arriver que la vente du bien indivis se révèle indispensable dans l'intérêt commun des indivisaires(112) ; en cas de refus de l'un d'eux l'article 815-5 prévoit l'autorisation du juge, qui sera opposable à l'indivisaire dont le consentement a fait défaut.

b). Libéralité consentie sur la chose indivise

48. Deux types de libéralités peuvent être ici envisagés : la donation et le legs.

    * - Pour les motifs qui viennent d'être évoqués, la donation de la chose indivise n'est pas nulle, mais elle est inopposable aux co-indivisaires du donateur et son efficacité subordonnée au résultat du partage, ceci par combinaison des articles 883 et 894(113).
    * - La situation résultant du legs se révèle plus complexe. Si le legs concerne un bien constituant à lui seul l'indivision, on estime généralement qu'il porte non sur la chose elle-même mais sur la quote-part du testateur dans l'indivision, ceci par interprétation de l'article 1010 en matière de legs à titre universel.

Par contre si le bien légué ne constitue qu'une partie de la masse indivise, deux solutions sont envisageables. Par combinaison des articles 883 et 1476, le legs peut s'exécuter en nature si par l'événement du partage le bien légué tombe au lot de cet indivisaire ou de sa succession(114) ; le partage est alors déterminant. Mais si le testateur a exprimé son désir de léguer une chose de valeur déterminée, le partage n'a plus qu'un rôle secondaire : selon son résultat le légataire recevra soit la chose en nature soit la valeur de la chose léguée, par assimilation logique à la règle de l'article 1423.

c). Nantissement du bien mobilier indivis

49. Le nantissement d'un bien mobilier indivis est le plus souvent analysé comme portant sur la quote-part de l'indivisaire constituant. Au-delà de cette généralité, il convient de considérer plusieurs situations. S'il s'agit d'une sûreté régulièrement publiée portant réellement sur la chose, et non sur la quote-part, elle sera entachée de nullité en cas d'attribution à un copartageant du constituant. Si la chose a été donnée en gage avec dépossession, on en revient à la conception d'une dation en garantie de la seule quote-part du co-indivisaire, situation précédemment décrite. Encore convient-il que les formalités légales requises pour la constitution de gage aient été respectées.

3. S'agissant du « bornage temporel » de l'indivision

50. L'indivision, situation temporaire, se trouve délimitée dans le temps par plusieurs dates, qu'il est indispensable au créancier de connaî tre, mais qui posent régulièrement des difficultés quant à leur détermination. Il convient de distinguer les deux événements situés aux extrémités, dont les dates sont certaines, mais aussi ceux qui s'insèrent dans le cours de l'indivision et entraî nent des changements tant dans les droits des co-indivisaires que dans la masse de l'indivision elle-même.

a). Date du fait générateur de l'indivision

51. C'est le point de départ de cette dernière. Ce sera, suivant les cas, la date de décès du de cujus pour l'indivision successorale ou celle de l'achat du bien pour l'indivision par acquisition conjointe ; quant à l'indivision post-communautaire, elle réserve un éventail plus large en fonction de l'événement qui produit la dissolution de la communauté : date du décès de l'un des époux, date de la demande en séparation de biens judiciaire(115), date de l'ordonnance de non-conciliation en cas de divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage, pour altération définitive du lien conjugal ou pour faute(116), date d'homologation de la convention en cas de divorce par consentement mutuel(117). On notera un cas original : celui de l'indivision entre un époux et les successeurs de l'autre en cas d'absence ; l'article 1441-2° – en mentionnant « l'absence déclarée » – fixe en réalité la date de la dissolution de la communauté à celle de la déclaration d'absence par le tribunal de grande instance(118), et non à celle de la constatation de la présomption d'absence qui intervient au moins dix années plus tôt… la différence n'est pas mince !

b). Date d'évaluation des biens

52. C'est – comme son nom l'indique – celle à laquelle est déterminée la valeur de chaque bien composant la masse de l'indivision. Elle concerne l'estimation.

c). Date de jouissance divise

53. Elle est souvent source de confusion. Il s'agit de la date à partir de laquelle les co-indivisaires acquièrent la jouissance personnelle des revenus des biens indivis, alors même que le partage n'est pas achevé. Cette date détermine l'exercice d'un droit sur les fruits, et non d'un droit en pleine propriété. Elle est parfois confondue à tort avec la date du partage, du fait qu'elle doit logiquement être la plus proche possible de celle-ci, mais également avec la date d'évaluation des biens.

d). Date de clôture des opérations de partage

54. Encore appelée « date du partage », elle constitue le point final de l'indivision, et confère définitivement aux ex-indivisaires la pleine propriété sur le lot qui leur a été attribué.

Les dates d'évaluation et de jouissance divise ne sont pas obligatoirement identiques, par contre elles sont structurellement liées à celle du partage. La date de jouissance divise est fixée soit conventionnellement entre les co-indivisaires, soit par le juge en cas de désaccord(119). A cet égard, bien que la Cour de cassation ait décidé que l'évaluation d'un bien se faisait au jour du partage(120), elle a admis plus récemment que le juge se trouvant confronté à des difficultés d'évaluation pourra évaluer le bien au jour où il statue et assortir son évaluation d'une clause d'indexation qui prendra effet jusqu'au jour de la jouissance divise(121))

Avant cette date de jouissance divise, les revenus des biens indivis accroissent à l'indivision(122), au-delà ils reviennent au co-indivisaire à titre personnel, alors même que le partage n'est pas encore intervenu. Il s'agit à cette date d'un partage de jouissance, qui peut être effectué à titre provisionnel en vertu de l'article 815-10 alinéa 1. Une telle convention de partage provisionnel des fruits et revenus ne peut par contre servir à constituer les lots des co-indivisaires, ce qui sera l'effet du partage proprement dit.

On appréciera l'intérêt de la détermination de ces dates au regard de l'exécution, tant à l'encontre de l'indivision qu'à l'encontre des co-indivisaires. Par exemple, après la date de jouissance divise, le créancier personnel d'un co-indivisaire pourra saisir les fruits entre les mains de son débiteur, de même qu'il pourra saisir la chose attribuée à ce dernier à partir de la date du partage.

55. Telles sont quelques-unes des réflexions que l'indivision mobilière est susceptible d'inspirer au créancier comme à l'huissier de justice. Naturellement nous ne prétendons pas à l'exhaustivité ; certaines situations eussent peut-être mérité de figurer dans cette étude et s'en sont trouvées écartées. L'œuvre de collaboration en matière de propriété littéraire et artistique (art L.113-2 et 3 du Code de la propriété intellectuelle) qui est la propriété commune des coauteurs, ou encore les brevets d'invention tombés en copropriété par suite du décès de leur titulaire(123) sont à la frontière de l'indivision, sans toutefois dépendre de son régime, du moins cette appartenance est-elle contestée. C'est pourquoi nous les avons prudemment évités, la matière se révélant déjà suffisamment variée.

En effet l'indivision apparaît bien comme le domaine du multiple dans tous les sens du terme. Que de sources de conflits entre co-indivisaires, que de motifs d'action pour leurs créanciers. La stabilité est rare dans cette situation toujours précaire, sur ce sol toujours mouvant. Il reste le sous-sol : c'est le lieu du tombeau. A défaut de disposition spéciale du concessionnaire fondateur, c'est bel et bien en indivisaires que les ascendants et descendants de celui-ci – mais également son conjoint – exerceront le droit d'être inhumé. Ici tout se simplifie ; l'exercice même de son droit devient synonyme, pour le co-indivisaire, d'un autre partage : celui de la perpétuelle demeure, où l'attribution s'effectue dans l'ordre des décès.

Alors plus de litige ! Il y a, écrivait Malraux, « une fraternité qui ne se trouve que de l'autre côté de la mort(124) », une éternelle félicité dont jouissent les indivisaires enfin apaisés, dans la contemplation commune des lois premières… et des fins dernières.