La loi « ENL » du 13 juillet 2006 et les baux d'habitation et mixtes
Eric BAZIN
Magistrat


La loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 entrée en vigueur le 17 juillet, a apporté d'importantes modifications à la loi du 6 juillet 1989. Les nouvelles dispositions ont pour finalité de lutter contre la crise actuelle du logement, d'accroî tre la liste des clauses interdites, de sanctionner plus efficacement l'indécence des logements et de retoucher le régime des charges locatives et du cautionnement.

I. 09 1. Après un chemin législatif tourmenté (1), la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (dite loi Borloo II) a été publiée au Journal Officiel le 16 juillet dernier et est entrée en vigueur le 17 juillet 2006, sauf pour les dispositions qui sont subordonnées à la publication d'un décret. Ce texte volumineux comporte 112 articles et a pour ambition de lutter contre la crise actuelle du logement, d'une part en favorisant l'offre de logements, et d'autre part en garantissant la protection de l'acquéreur ou de l'occupant. Cette loi renforce le volet logement du plan cohésion sociale et constitue le volet législatif du Pacte national pour le logement. En particulier, il s'agit d'accroître l'offre de logements en recourant à des mesures d'urbanisme et fiscales, en créant de nouvelles dispositions destinées à favoriser l'accession à la propriété (par la création par exemple des sociétés civiles immobilières d'accession progressive à la propriété), en adoptant de nouvelles règles pour lutter contre la pénurie de l'offre locative privée à loyers modérés (par exemple, par l'exonération de TVA sur les opérations de portage immobilier provisoire) et en renforçant la protection des acquéreurs ou des occupants de logements (par exemple, en prenant en compte désormais les risques naturels ou en créant la vente d'immeubles à rénover). Ces mesures ne seront pas présentées ci-après(2).

2. Cet aperçu se propose donc de mettre en exergue les modifications apportées par la loi portant engagement national pour le logement à la loi du 6 juillet 1989 relative au bail d'habitation et mixte, et qui figurent aux articles 84 et 86 à 88 de la présente réforme. Ces modifications visent à accroî tre la liste des clauses interdites, à sanctionner plus efficacement l'indécence des logements(3) et à retoucher le régime des charges locatives et du cautionnement.
I. L'extension des clauses interdites

3. Neuf clauses viennent désormais s'ajouter à la liste des dix qui ont été déclarées illicites en 1989 par le législateur et insérées à l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989, à savoir :

     - la clause qui oblige le locataire, en vue de la vente ou de la location du local loué, à laisser visiter celui-ci les jours fériés ou plus de deux heures les jours ouvrables (article 4 a),
     - la clause par laquelle le locataire est obligé de souscrire une assurance auprès d'une compagnie choisie par le bailleur (article 4 b),
     - la clause qui impose au locataire de payer le loyer par prélèvement automatique sur son compte courant ou par la signature par avance de traites ou de billets à ordre (article 4 c),
     - la clause par laquelle le locataire autorise le bailleur à prélever ou à faire prélever les loyers directement sur son salaire (article 4 d),
     - la clause qui prévoit la responsabilité collective des locataires en cas de dégradation d'un élément commun de la chose louée (article 4 e),
     - la clause par laquelle le locataire s'engage par avance à des remboursements sur la base d'une estimation faite unilatéralement par le bailleur au titre des réparations (article 4 f),
    - la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du ­contrat en cas d'inexécution des obligations du locataire pour un motif autre que le non-paiement des loyers, des charges, du dépôt de garantie, la non-souscription d'une assurance des risques locatifs (article 4 g),
     - la clause qui autorise le bailleur à diminuer ou à ­supprimer, sans contrepartie équivalente, des prestations stipulées au contrat (article 4 h),
    - la clause qui autorise le bailleur à percevoir des amendes en cas d'infraction aux clauses d'un contrat de location ou d'un règlement intérieur à l'immeuble (article 4 i),
     - la clause qui interdit au locataire l'exercice d'une activité politique, syndicale, associative ou confessionnelle (article 4 j).

4. La liste des clauses prohibées comporte désormais dix neuf clauses réputées non écrites(4). Une telle liste reste limitative, même si les clauses qui viennent heurter des dispositions impératives de la loi du 6 juillet 1989 ne manqueront pas d'être déclarées nulles(5) et d'autres clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du locataire, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, seront susceptibles d'être déclarées abusives(6). En effet, à la différence de la nullité des clauses contrevenant à l'ordre public des baux d'habitation, la clause réputée non écrite s'apparente beaucoup plus à une inexistence qu'à une nullité (7). En effet, dès lors que la clause ne saurait produire d'effets, la nullité du contrat ne peut être prononcée. C'est dire que le locataire peut faire constater à tout moment l'inexistence de clauses prohibées, sans que son action soit enfermée dans un quelconque délai de prescription.

5. Il convient donc d'examiner, de manière plus détaillée, le contenu de ces neuf nouvelles clauses interdites insérées par l'article 84 de la loi du 13 juillet 2006 à l'article 4 de la loi du 6 juillet 1989(8) qui reprennent en large partie la recommandation n° 00-01 de la Commission des clauses abusives(9).

A. Clause relative à la facturation de l'état des lieux d'entrée ou de sortie (article 4 k)

6. Cette clause est ainsi rédigée : « Qui impose au locataire la facturation de l'état des lieux dès lors que celui-ci n'est pas établi par un huissier de justice dans le cas prévu à l'article 3 ».

Avant d'examiner le sort des frais d'établissement de l'état des lieux, il convient de rappeler l'importance de l'état des lieux contradictoire ou réputé contradictoire.

En premier lieu, l'absence d'état des lieux permet au locataire de rapporter la preuve que le bailleur a fait obstacle à son établissement, ce qui fait perdre à ce dernier la présomption de bon état du logement avec pour résultat qu'il devra supporter les dégradations du logement et ­restituer au locataire sortant l'intégralité du dépôt de garantie.

En second lieu, l'état des lieux doit permettre au bailleur non seulement de justifier de la conformité du logement au regard des normes de confort et d'habitabilité fixées par le décret n° 87-149 du 6 mars 1987 mais également de délivrer au locataire un logement décent et en bon état d'usage et de réparation en vertu de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989.

En troisième lieu, l'établissement des états des lieux à l'entrée et à la sortie du bail a l'avantage de faciliter le travail du juge qui en comparant les deux états des lieux, saura distinguer ce qui est à la charge du preneur et ce qui est à la charge du bailleur.

En quatrième lieu, lorsqu'il n'a pas été fait d'état des lieux d'entrée, le locataire est présumé, en vertu de l'article 1731 du Code civil, les avoir reçus en bon état de réparation locative, sauf preuve contraire (sachant que la négligence du bailleur à établir l'état des lieux d'entrée ne lui fait pas perdre la présomption légale de bon état du logement).

Enfin, lorsque l'huissier de justice agit dans le cadre de l'article 3 de la loi de 1989, c'est-à-dire lorsque le bailleur et le locataire n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur la nécessité ou le contenu d'un état des lieux, le constat dressé par cet officier ministériel sera réputé contradictoire et les frais seront partagés par moitié entre le bailleur et le locataire. Il n'en demeure pas moins que l'admission du constat unilatéral comme mode de preuve est fonction des circonstances(10) :

     - si le locataire est responsable du défaut de contradiction de l'état des lieux, notamment en quittant le logement, sans donner sa nouvelle adresse (départ « à la cloche de bois ») (11),
     - si l'état des lieux a été fait immédiatement après le départ du locataire(12),
    - si l'huissier de justice a été commis par ordonnance sur requête toujours après un départ précipité du locataire(13),
     - si l'état des lieux non contradictoire au départ a fait l'objet d'une discussion contradictoire des parties, en application des dispositions de l'article 16 du nouveau Code de procédure civile(14).

En revanche, le constat unilatéral n'a aucune valeur juridique lorsque le non-respect du principe du contradictoire est dû à la faute du bailleur, qu'elle soit volontaire ou involontaire(15).

7. Pour toutes ces raisons, il est facile de comprendre généralement l'engouement des bailleurs à faire établir les états des lieux par des intermédiaires lorsqu'ils sont des professionnels incontestables de l'immobilier. De même, les bailleurs ont tendance à faire intervenir de plus en plus des huissiers de justice en vue de faire dresser un état objectif et impartial des lieux d'entrée ou/et de sortie afin d'éviter toute discussion sur la prise en charge des travaux nécessaires à la remise en état du logement à la fin du bail.

8. Se pose alors la question récurrente du sort des frais d'établissement des états des lieux(16).

Plusieurs hypothèses sont à examiner.

Tout d'abord, le bailleur pourra-t-il continuer à prévoir dans les contrats de bail que les frais d'établissement des états des lieux d'entrée ou de sortie seront à la charge du locataire ?

La réponse est clairement négative. En effet, l'article 4 k) de la loi du 6 juillet 1989 condamne l'insertion (systématique ou épisodique) des clauses de style dans les contrats de ­location stipulant que la facturation des frais d'établissement des états des lieux d'entrée ou de sortie par des intermédiaires (par exemple, un agent immobilier ou un gérant d'immeuble) (17) reste à la charge du locataire. De même, sera interdite la clause prévoyant le partage par moitié de tels frais lorsque l'état des lieux est dressé non pas par un huissier de justice dans le cadre de l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989 mais par un mandataire désigné par le bailleur, y compris en cas de désaccord des parties sur le principe ou le contenu de l'état des lieux. Selon l'article 3 alinéa 2 de la loi du 6 juillet 1989, le partage des frais d'établissement des lieux par moitié ne concerne que le cas où le constat est dressé par un huissier de justice. Si une rémunération est sollicitée par l'intermédiaire, elle devra être supportée intégralement par le bailleur. Le législateur conforte ainsi la recommandation n° 2000-1 de la Commission des clauses abusives en date du 17 février 2000 qui avait mis à l'index une telle clause dans les contrats de bail(18).

Il est même possible de s'interroger sur le caractère illicite de la clause par laquelle le bailleur imposerait au locataire de faire établir l'état des lieux d'entrée ou de sortie par un technicien désigné par lui. D'une part, si le technicien n'a pas la qualité de mandataire du bailleur, il ne peut valablement établir l'état des lieux du logement. Ainsi, il a été jugé que la gardienne de l'immeuble, salariée de la société d'HLM, n'avait pas qualité pour rédiger un constat d'état des lieux(19). D'autre part, a été déclarée nulle la clause obligeant le locataire à souscrire un contrat d'entretien auprès d'un prestataire de services choisi par le bailleur. C'est dire que non seulement le fait d'imposer au locataire le rédacteur de l'état des lieux peut certainement créer un déséquilibre significatif des devoirs et obligations des parties mais surtout une telle clause contrevient à l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989 dans la mesure où elle prive le locataire d'éviter la rédaction par un tiers de l'état des lieux qui est forcément « subordonné » au bailleur, en l'absence patente de désaccord entre les parties. En revanche, rien n'interdit évidemment au bailleur de se faire représenter ou assister par tout technicien ou expert de son choix. Par ailleurs, il a été jugé que lorsque chaque partie fait dresser un état des lieux par huissier, chacun devait supporter les frais qu'il avait engagés(20).

9. Ensuite, le bailleur peut-il prévoir dans les contrats de bail le recours systématique à l'huissier de justice pour établir les états des lieux d'entrée ou de sortie, même en stipulant que les frais du constat seront partagés par moitié entre les parties ?

La réponse est encore négative. En effet, l'article 4 k) sanctionne également la clause qui imposerait l'intervention automatique de l'huissier de justice pour établir les états des lieux. La raison en est simple. En application de l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989, l'huissier de justice ne peut intervenir qu'en cas de mésentente entre les parties sur la nécessité ou le contenu d'un constat. Il faut rappeler qu'une réponse ministérielle avait déjà précisé que les frais de l'état des lieux incombaient en totalité à celui qui avait pris l'initiative du recours à l'huissier de justice lorsque l'autre ne s'était pas opposé à son établissement amiable(21). Il faut également rappeler la position de la Cour d'appel d'Aix en Provence qui a décidé, à juste titre, que si le locataire sollicite un constat à l'amiable et que le bailleur fait établir unilatéralement un constat d'huissier, les frais doivent être supportés par lui, nonobstant la clause du bail prévoyant un partage par moitié des frais(22). Il ­convient désormais d'aller plus loin et de se demander si la clause prévoyant l'intervention systématique de l'huissier de justice ne risque pas de se retourner contre cet officier ministériel. En effet, l'huissier de justice doit s'assurer que son intervention répond aux conditions de l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989. A défaut, il court le risque de se voir appliquer l'article 650 du nouveau Code de procédure civile, en vertu duquel les frais afférents aux actes inutiles sont à la charge des huissiers de justice qui les ont faits(23). Le législateur n'a pas été au bout de sa ­condamnation de l'intervention automatique des intermédiaires ou des huissiers de justice dans la rédaction des états des lieux puisque le champ de la prohibition ne concerne que la facturation des frais d'établissement des constats. C'est dire que la valeur probatoire des états des lieux établis par un tiers au contrat de location se trouve maintenue, d'autant plus si l'état des lieux est contradictoire.

S'agissant d'une disposition d'ordre public, le locataire ne pourra renoncer à la protection voulue par le législateur en décidant d'un commun accord un partage par moitié des frais d'intervention d'un tiers pour rédiger un état des lieux.

10. Enfin, le bailleur peut-il insérer une clause dans le contrat de location prévoyant à sa charge l'intervention systématique d'un huissier de justice pour établir les états des lieux d'entrée ou de sortie ?

La réponse nous semble toujours négative. Une telle clause paraît contrevenir aux dispositions de l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989 qui ne prévoit l'intervention de l'huissier de justice qu'en cas de désaccord des parties sur un constat amiable. Elle sera sans doute déclarée illicite et donc nulle(24). Une nouvelle fois, l'huissier de justice qui accepterait d'intervenir à la demande du bailleur en application de la clause litigieuse sans s'assurer qu'on a fait appel à ses services après l'échec de l'établissement de l'état des lieux entre les parties et que la partie qui le sollicite a bien été la plus diligente au sens de l'article 3 de la loi du 6 juillet 1989 risque de supporter les frais du constat en application de l'article 650 du nouveau Code de procédure civile.

En conclusion, à travers l'article 4 k) de la loi du 6 juillet 1989, c'est toute l'économie des clauses relatives à l'état des lieux qui doit disparaître lorsqu'il s'agit de forcer le locataire à signer un état des lieux établi par un spécialiste pour le compte du bailleur.

B. Clause modifiant la durée du bail en cas de renouvellement (article 4 l)

11. Cette clause est la suivante : « Qui prévoit le renouvellement du bail par tacite reconduction pour une durée inférieure à celle prévue à l'article 10 ».

L'article 10 alinéa 3 de la loi du 6 juillet 1989 dispose explicitement qu'en cas de renouvellement par tacite reconduction du bail, la durée du contrat reconduit est de trois ans pour les bailleurs personnes physiques ainsi que pour les bailleurs définis à l'article 13 et de six ans pour les bailleurs personnes morales. C'est dire que la clause litigieuse contrevient forcément aux dispositions de ce texte.

C. Clause d'exonération de responsabilité du bailleur (article 4 m)

12. Cette clause est rédigée comme suit : « Qui interdit au locataire de rechercher la responsabilité du bailleur ou qui exonère le bailleur de toute responsabilité ».

Une telle clause est manifestement illicite au regard des dispositions de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989. Le bailleur ne peut par exemple limiter sa responsabilité en cas d'arrêt ou de mauvais fonctionnement des éléments présents dans les lieux loués ou dans l'immeuble (article 6 a et c) ou encore en cas de trouble de jouissance causé par un colocataire(25).

La responsabilité du bailleur est d'ailleurs renforcée par l'obligation de délivrer un logement décent. Le législateur conforte ainsi la recommandation n° 2000-1 de la Commission des clauses abusives qui avait décidé que les clauses d'exonération de responsabilité du bailleur étaient abusives :

     - en ce qu'elles interdisent au locataire tout recours,
     - en ce qu'elles tendent à interdire au locataire toute réclamation,
     - en ce qu'elles exonèrent le bailleur de ses obligations liées à l'entretien et au fonctionnement des installations ou à la sécurité des équipements,
     - en ce qu'elles interdisent la mise en jeu de la responsabilité du bailleur en cas de destruction totale des lieux loués,
     - en ce qu'elles déchargent le bailleur de sa responsabilité du fait de ses préposés ou des tiers désignés par lui,
     - en ce qu'elles dispensent le bailleur de garantir une jouissance paisible et d'agir en conséquence dans la limite de ses obligations et de ses droits.

D. Clause interdisant l'hébergement de tiers dans les lieux loués (article 4 n)

13. Cette clause est ainsi rédigée : « Qui interdit au locataire d'héberger des personnes ne vivant pas habituellement avec lui ».

Dans un arrêt de principe du 22 mars 2006(26), la Cour de cassation vient de confirmer une nouvelle fois mais de manière plus conséquente et solennelle que les clauses d'un bail d'habitation ne peuvent, en application des dispositions de l'article 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avoir pour effet de priver le preneur de la possibilité d'héberger ses proches. En l'espèce, la Haute juridiction casse un arrêt rendu par la Cour d'appel de Fort-de-France en date du 23 janvier 2004 pour avoir accueilli la demande d'expulsion et de dommages et intérêts formée par un locataire d'un appartement à l'encontre de la fille de sa colocataire qui réside avec cette dernière dans le logement.

Le législateur conforte cette jurisprudence mais aussi certainement la recommandation de la Commission n° 2000-01 de la Commission des clauses abusives qui avait considéré que la clause interdisant au preneur de faire occuper les lieux loués par toute personne de son choix était abusive.

E. Clause mettant à la charge du locataire des frais supplémentaires (article 4 o)

14. Cette clause est la suivante : « Qui impose au locataire le versement, lors de l'entrée dans les lieux, de sommes d'argent en plus de celles prévues aux articles 5 et 22 ».

L'article 5 de la loi du 6 juillet 1989 dispose : « la rémunération des personnes qui se livrent ou prêtent leur ­concours à l'établissement d'un acte de location d'un immeuble appartenant à autrui tel que défini à l'article 2 est partagée par moitié entre le bailleur et le locataire ».

Ce texte pose essentiellement deux conditions à la rémunération des frais d'établissement du contrat de location :

     - seuls les intermédiaires peuvent prétendre à une rémunération, d'où l'exclusion du bailleur lui-même,
     - seules les personnes qui prêtent leur concours à l'établissement de l'acte de location peuvent être rémunérées, d'où l'exclusion des honoraires de gestion du gérant d'immeuble(27), des frais d'annonces passés dans les journaux(28), des frais d'établissement des états des lieux, des frais que des associations de propriétaires facturent à leurs adhérents à l'occasion de l'établissement d'un contrat de bail(29) et des frais liés à l'existence de contrats de réservation (30).(30)

C'est dire que le bailleur ne pourra plus imposer ­contractuellement au locataire de verser des sommes ­supplémentaires à celles prévues à l'article 5 de la loi du 6 juillet 1989.

En application des dispositions de l'article 22 de la loi du 6 juillet 1989, le dépôt de garantie ne peut être supérieur à un mois de loyer en principal, c'est-à-dire hors charges. Dans un arrêt du 17 novembre 1998, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a rappelé qu'après avoir versé deux mois de loyers, le locataire n'a pas à s'acquitter d'un versement supplémentaire entre les mains d'un prestataire au titre de charges récupérables(31).

C'est dire encore que le bailleur n'a pas à imposer ­contractuellement au locataire de verser, en sus du maximum autorisé en matière de dépôt de garantie, des sommes complémentaires.

L'article 4 o) condamne désormais de telles clauses d'adhésion.

F. Clause faisant supporter au locataire des frais de relance ou de quittance (article 4 p)

15. Cette clause est rédigée de la manière suivante : « Qui fait supporter au locataire des frais de relance ou d'expédition de la quittance ainsi que les frais de procédure en plus des sommes versées au titre des dépens et de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ».

Une telle clause contrevient aux dispositions de l'article 21 alinéa 1er de la loi du 6 juillet 1989 qui prévoient que la délivrance de la quittance doit avoir lieu gratuitement. Elle contrevient également aux dispositions de l'article 23 de la même loi et à l'annexe au décret n° 87-713 du 26 août 1987 relatif aux charges récupérables qui ne permettent pas de facturer au locataire des frais d'expédition de la quittance ou de relance(32). De telles pratiques contractuelles détestables méritaient d'être prohibées.

G. Clause relative aux réparations locatives (article 4 q)

16. Cette clause est la suivante : « Qui prévoit que le locataire est automatiquement responsable des dégradations constatées dans le logement ».

Les dégradations locatives dues par le locataire doivent être établies contradictoirement et c'est la comparaison entre l'état des lieux d'entrée et celui de sortie qui permet d'en déterminer le montant. C'est dire qu'une telle clause ne pouvait encore prospérer… car elle viole manifestement l'article 7 c) de la loi du 6 juillet 1989(33). Le législateur ne fait que conforter la recommandation n° 2000-01 de la Commission des clauses abusives qui avait dénoncé le caractère abusif de la clause par laquelle le preneur répond de toutes dégradations survenues pendant sa jouissance des lieux à l'exclusion seulement de celles résultant de la vétusté et de la force majeure dans la mesure où une telle clause ne permet pas au locataire de s'exonérer de sa responsabilité en prouvant qu'il n'a pas commis de faute (article 1732 du Code civil).

H. Clause relative aux travaux (article 4 r)

17. Cette clause « qui interdit au locataire de demander une indemnité au bailleur lorsque ce dernier réalise des travaux d'une durée supérieure à quarante jours » est forcément illicite puisqu'elle contrevient aux dispositions de l'article 1724 du Code civil(34). En vertu de ce texte, si les travaux durent plus de quarante jours, le prix du bail sera diminué à proportion du temps et de la partie de la chose dont le preneur aura été privé.

I. Clause relative à la résiliation de plein droit du bail (article 4 s)

18. Cette clause est rédigée comme suit : « Qui permet au bailleur d'obtenir la résiliation de plein droit du bail au moyen d'une simple ordonnance de référé insusceptible d'appel ».

Par sa généralité, une telle clause contrevient à la procédure pré-contentieuse et contentieuse applicable en matière de baux d'habitation. Le juge des référés n'est effectivement compétent que pour prononcer l'acquisition de la clause résolutoire(35).

19. La loi du 13 juillet 2006 ne se limite pas à interdire certaines clauses insérées dans les contrats de bail d'habitation. Il modifie le régime des sanctions de la décence.

II. Le nouveau visage de la protection des occupants des logements indécents

20. L'article 86 de la loi du 13 juillet 2006 apporte trois modifications au droit de la protection du locataire contre le logement indécent :

     - la commission départementale de conciliation est désormais compétente pour régler à l'amiable les litiges concernant l'indécence des logements,
     - le locataire peut être assisté ou représenté plus largement dans les litiges portant sur le respect des caractéristiques de décence de son logement,
     - le juge peut dorénavant suspendre les loyers ou la durée du bail jusqu'à l'exécution des travaux pour remédier à l'indécence d'un logement.

A. L'extension de la compétence de la commission départementale de conciliation pour régler la question des logements indécents

21. Il convient de rappeler que la commission départementale de conciliation est compétente :

     - pour l'application de l'article 17 de la loi du 6 juillet 1989 et plus particulièrement de l'application de l'article 17 c) relatif à la fixation du loyer de renouvellement(36),
     - pour l'application des articles 30 et 31 de la loi Méhaignerie du 23 décembre 1986, relatifs à la fixation du loyer d'un bail de sortie de la loi de 1948,
     - depuis la loi du 13 décembre 2000 dite loi SRU :
     - en matière de litiges concernant l'état des lieux, le dépôt de garantie, les charges locatives, les réparations,
     - en matière de difficultés résultant de l'application des accords collectifs nationaux prévus aux articles 41 ter et 42 de la loi du 23 décembre 1986 (loi Méhaignerie) et du plan de concertation locative prévu à l'article 44 bis de la loi du 23 décembre 1986 et des modalités de fonctionnement de l'immeuble ou du groupe d'immeubles.

Au cours de l'élaboration de la loi SRU, c'est volontairement que la compétence de la commission départementale de conciliation n'a pas été étendue au caractère décent du logement. Monsieur Besson, secrétaire d'Etat au logement, déclarait d'ailleurs : « autant la conciliation paraît pouvoir être réalisée sans difficulté lorsqu'il s'agit de litiges portant sur des éléments précis et vérifiables autant elle paraît lourde à mettre en oeuvre lorsqu'il s'agit de questions de décence qui impliquent le plus souvent que l'on ait recours à un ou des experts, ce qui pose le problème du coût de l'expertise(37) ».

22. Visiblement, le législateur a changé d'avis, sans doute s'est-il rendu compte que favoriser l'offre de logements suppose d'assouplir la mise en conformité des logements indécents en ouvrant la voie de la concertation(38). Il ajoute effectivement au deuxième alinéa de l'article 20 de la loi du 6 juillet 1989 un alinéa ainsi rédigé : « des litiges portant sur les caractéristiques du logement mentionnées aux premier et deuxième alinéas de l'article 6 », soit en matière de décence du logement. Il faut espérer que la commission départementale de conciliation saura se montrer inflexible sur les logements faisant apparaître un risque évident pour la sécurité des occupants.

Par voie de conséquence de cette nouvelle compétence attribuée à la commission départementale de conciliation, l'article 86 de la loi du 13 juillet 2006 modifie également l'article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 en remplaçant l'avant dernière phrase de la manière suivante : « A défaut d'accord entre les parties ou à défaut de réponse du propriétaire dans un délai de deux mois, la commission départementale de conciliation est saisie dans les conditions fixées à l'article 20. A défaut d'accord constaté par la commission, le juge est saisi par l'une ou l'autre parties ».

23. C'est dire qu'en matière de litiges portant sur le caractère décent du logement, en combinant les articles 20 et 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 tels que modifiés par la loi ENL,(39) la saisine de la commission départementale de ­conciliation semble rester facultative (et non obligatoire) puisqu'elle peut être saisie par le bailleur ou le locataire. Le juge d'­instance devrait pouvoir être directement saisi pour trancher les litiges concernant les logements indécents (39).

La commission départementale de conciliation devra également rendre son avis non seulement à défaut d'accord entre les parties mais également à défaut de réponse du propriétaire dans un délai de deux mois. En outre, la commission devra constater le désaccord entre les parties sur la question de la décence du logement. Chacune des parties conservera le droit de saisir le juge en lui transmettant l'avis de ladite commission. Le juge n'est toujours pas lié par l'avis donné par la commission.

B. Assistance et représentation des locataires par une association

24. L'article 86 de la loi du 13 juillet 2006 réécrit la fin du premier alinéa de l'article 24-1 de la loi du 6 juillet 1989 aux fins de permettre aux locataires de se faire assister ou représenter par des associations non seulement de défense des personnes en situation d'exclusion mais également dont l'un des objets est l'insertion ou le logement des personnes défavorisées, selon les modalités définies à l'article 828 du nouveau Code de procédure civile. D'une part, le législateur permet à de nouvelles associations d'intervenir dans un ­contentieux sensible. D'autre part, le législateur clarifie les modalités d'assistance ou de représentation en décidant que les associations devront intervenir suivant les modalités définies à l'article 828 du nouveau Code de procédure civile, soit en cas de représentation par une association en justifiant d'un pouvoir spécial.

C. La possibilité pour le juge de suspendre les loyers ou la durée du bail

25. Il convient de rappeler qu'en application des dispositions de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur est tenu de plusieurs obligations :

     - il doit d'abord délivrer un logement décent(40) et en bon état(41),
     - il doit ensuite entretenir le logement(42) et procéder aux travaux qui ne sont pas à la charge du locataire en se reportant aux charges et réparations locatives figurant dans les décrets n° 87-712 et 87-713 du 26 août 1987,
     - il doit enfin assurer au locataire la jouissance paisible du logement(43).

Avant la réforme opérée par la loi du 13 juillet 2006, l'article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 prévoyait deux sanctions en cas de manquement par le bailleur à son obligation de décence :

     - une sanction principale : la mise en conformité des locaux au regard des normes de décence posées par les textes (article 6 de la loi du 6 juillet 1989 et décret du 30 janvier 2002),
     - une sanction subsidiaire : la réduction du loyer en cas d'inexécution des travaux ordonnés par le juge. Ce n'est effectivement qu'à défaut de mise en conformité du logement aux normes de décence que le juge pouvait réduire le montant du loyer.

La rédaction nouvelle de l'article 20-1 in fine de la loi du 6 juillet 1989 modifie considérablement les pouvoirs du juge en matière de sanction des logements indécents. Cet article est rédigé comme suit : « le juge détermine, le cas échéant, la nature des travaux à réaliser et le délai de leur exécution. Il peut réduire le montant du loyer ou suspendre, avec ou sans consignation, son paiement et la durée du bail jusqu'à l'exécution de ces travaux ».

Auparavant, l'article 20-1 édictait que « à défaut d'accord entre les parties, le juge détermine, le cas échéant, la nature des travaux à réaliser et le délai de leur exécution. A défaut de mise en conformité dans les conditions précitées, le juge peut réduire le montant du loyer ».

26. Ce qui ne change pas, c'est le droit pour le locataire de saisir le juge, soit directement après une mise en demeure adressée au bailleur de remédier à l'indécence du logement(44), soit après échec de la procédure de concertation devant la commission départementale de conciliation(45), pour lui demander la mise en conformité aux frais du bailleur des locaux au regard des caractéristiques de décence(46). Ce juge dispose toujours d'une liberté d'appréciation. Mais la lettre et l'esprit du texte nous paraissent imposer au juge de condamner le bailleur à faire les travaux nécessaires pour que le logement ne soit plus indécent, même si économiquement, il ne peut le faire (47)ou si le coût de tels travaux est économiquement exorbitant(48). En revanche, le législateur n'a pas tranché la question d'une mise en conformité matériellement impossible à réaliser (par exemple, une chambre d'une surface habitable inférieure à 9 m2 restera toujours de taille trop petite…).

27. Ce qui change, c'est la réduction du montant du loyer ou la suspension, avec ou sans consignation, du paiement du loyer ou de la durée du bail jusqu'à l'exécution des travaux.

Antérieurement, seule la réduction du montant du loyer était possible et cette réduction était subordonnée à l'inexécution des travaux par le bailleur.

D'une part, il faut rappeler que le locataire devait, après avoir constaté l'inexécution des travaux par le bailleur, saisir une seconde fois le juge pour obtenir comme sanction la réduction du montant du loyer. Désormais, le juge pourra, dès l'introduction de l'instance, réduire le montant du loyer jusqu'à l'exécution des travaux par le bailleur. Il s'agit, comme le souligne les travaux préparatoires, d'inciter les bailleurs à effectuer les travaux de mise en conformité du logement aux normes de décence et d'éviter au locataire de saisir une seconde fois le juge en la matière.

D'autre part, à la réduction du montant du loyer qui est maintenue par la réforme, viennent s'ajouter la suspension du paiement des loyers ou de la durée du bail. Si l'exception d'inexécution n'est pas encore admise, réserve faite de l'impossibilité totale d'habiter les lieux, rien n'interdit au locataire de demander au juge de réduire le montant du loyer tant pour l'avenir que pour le passé. Autrement dit, tant que les travaux n'auront pas été exécutés par le bailleur(49), la sanction qui sera prononcée par le juge constituera une sanction particulièrement dissuasive puisque le locataire pourra jouir des lieux, selon la sanction choisie, à un tarif réduit, voire à titre gratuit ou plus longtemps.

En dehors des sanctions légalement prévues à l'article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 des logements indécents, si le relogement du locataire ne peut constituer une sanction alternative à la mise en conformité, même en cas d'impossibilité matérielle d'exécuter les travaux, le bailleur conserve le droit de demander au juge de prononcer la résiliation du bail. A la résiliation du bail(50), s'ajoute la faculté de demander des dommages et intérêts dès lors que le bailleur ne pouvait ignorer qu'il était en infraction avec les caractéristiques de décence en louant le logement(51).

28. La loi du 13 juillet 2006 vient encore modifier le régime des charges locatives et du cautionnement.

III. Les retouches au régime des charges récupérables et du cautionnement

29. Il convient d'examiner les retouches d'abord aux règles relatives aux charges récupérables, puis à celles ­concernant le cautionnement des loyers.

A. En matière de charges récupérables sur le locataire de locaux à usage d'habitation

30. L'article 86 de la loi du 13 juillet 2006 apporte les précisions suivantes en matière de charges locatives.

D'abord, il s'agit de corriger l'absence de coordinations législatives en matière de charges récupérables lorsque la loi urbanisme et habitat du 2 juillet 2003 a apporté sensiblement des modifications à la sécurité des ascenseurs. En effet, depuis cette réforme, seule subsiste une obligation de conclure un contrat d'entretien des ascenseurs. Le législateur de 2006 a alors considéré que les seuls bénéficiaires des dépenses engagées par les propriétaires de ces équipements étaient les locataires qui devaient par voie de conséquence supporter la charge de ces frais.

Sont désormais récupérables(52) :

     - les dépenses liées aux opérations et vérifications périodiques minimales,
   - parmi les opérations occasionnelles, la réparation et le remplacement de petites pièces présentant des signes d'usure excessive,
   - les interventions pour dégager les personnes bloquées en cabine et le dépannage et la remise en fonctionnement normal des appareils.

Si les deux premières charges récupérables ne sont pas discutables, en revanche, il nous semble que le locataire ne devrait pas avoir à prendre à sa charge le coût des interventions des dépanneurs qui interviennent sur des ascenseurs qui tombent en panne parce qu'ils sont trop anciens. Une telle mesure aboutit en quelque sorte à exonérer le bailleur de son obligation d'entretenir les équipements communs. Au surplus, un locataire n'a pas à supporter les pannes provoquées par d'autres locataires. A défaut, c'est rétablir une sanction collective de tous les occupants d'un immeuble. Cette mesure est donc particulièrement injuste.

En outre, le bailleur pourra désormais récupérer sur le locataire la dépense TTC qu'il aura acquittée(53). Le législateur a entendu par cette mesure surmonter les difficultés occasionnées, en matière de calcul des charges récupérables, par une jurisprudence de la Cour de cassation(54), qui impose que soit retirée du calcul de ces charges la marge bénéficiaire de l'entreprise, alors même, comme le souligne les travaux préparatoires, que le bailleur n'a pas les moyens de la connaî tre.

Enfin, l'article 23 alinéa 5 de la loi du 6 juillet 1989 a été modifié pour tenir compte des évolutions techniques. Désormais, il sera possible de déroger à la liste des charges récupérables par un accord collectif local afin de prendre en considération l'amélioration de la sécurité ou le développement durable.

B. En matière de cautionnement

31. Désormais, il est interdit de refuser une caution locative située en outre-mer.

 En effet, il s'agit de lutter contre les bailleurs qui refusent que des parents qui résident en outre-mer se portent caution de leurs enfants venus étudier en métropole (article 87 de la loi ENL qui modifie en conséquence l'alinéa 1er de l'article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989). Cette mesure qui remédie à une discrimination mérite entièrement d'être approuvée.

32. En conclusion, la loi dite ENL apporte des précisions importantes pour le droit des baux d'habitation non seulement pour la profession des huissiers de justice qui ne pourra plus établir à la demande des bailleurs des états des lieux sans s'assurer de la légalité de leur intervention mais également pour le bailleur qui devra assurément s'efforcer de délivrer aujourd'hui des locaux décents, compte tenu de l'ampleur de la sanction ­économique applicable en matière d'indécence des ­logements.