LES TROUBLES DE VOISINAGE OCCASIONNES PAR LA CONSTRUCTION

Mémoire pour l’obtention du DEA
immobilier public et privé
Sous la direction de Mme GAVIN-MILAN Elodie
Présenté et soutenu par : M. KERKERIAN Grégory
En septembre 2004
 
SOMMAIRE
INTRODUCTION    3
PREMIERE PARTIE :    13
L’OBLIGATION À LA DETTE    13

Section I :     16
La responsabilité du maître de l’ouvrage pour troubles de voisinage    16
Paragraphe I :     17
Les conditions de mise en jeu de cette responsabilité    17
Paragraphe II :     27
La réparation des troubles anormaux de voisinage     27

Section II :     41
La responsabilité des constructeurs pour troubles de voisinage     41
Paragraphe I :     42
La diversité des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage     42
Paragraphe II :     48
L’unification des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage     48
DEUXIEME PARTIE :    57
LA CONTRIBUTION A LA DETTE    57

Section I :     59
Les recours fondés sur le contrat    59

Paragraphe I :     59
Les recours fondés sur une clause de garantie     59
Paragraphe II :     66
Les recours contractuels en l’absence d’une clause de garantie     66

Section II :     78
Les recours subrogatoires    78
Paragraphe I :     79
Les conditions de la subrogation    79
Paragraphe II :     82
La question controversée du fondement de la subrogation    82
CONCLUSION     89
BIBLIOGRAPHIE     92
INDEX ALPHABETIQUE    100
TABLE DES MATIERES     101

 
INTRODUCTION

Napoléon disait à Sainte-Hélène : « ma gloire ce n’est pas d’avoir remporté tant de batailles, ma gloire c’est le code civil qui perdurera au travers des siècles ».
En 1804, le droit de la responsabilité résidait dans cinq articles du code civil, ce qui laissait un travail d’interprétation aux juges. En matière de relation de voisinage, le code civil est plus attaché à défendre les atteintes portées aux fonds voisins qu’à condamner les nuisances entre voisins. Les codificateurs ont d’abord envisagé les rapports de voisinage sous l’aspect des servitudes, et accessoirement des devoirs des propriétaires voisins.
C’est pour cette raison essentielle que les juges ont dû mettre en place un régime de responsabilité pour les nuisances occasionnées par les voisins. D’où l’émergence de la théorie des troubles anormaux de voisinage. On parle du même concept « qui cause un dommage à autrui doit le réparer », sauf qu’autrui est le voisin, et la faute n’est pas nécessaire : seul le lien de causalité et le dommage subsistent. Seulement, le dommage doit être anormal, c’est-à-dire excéder les nuisances ordinaires du voisinage.
Le problème qui s’est posé est de savoir si la construction prétorienne des troubles de voisinage était compatible avec, d’une part, la protection interne du droit de propriété et, d’autre part, la protection européenne du droit au respect des biens. En effet, selon l’article 544 du code civil : « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ». L’article 1er du Premier Protocole additionnel du 20 mars 1952 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 prévoit le droit au respect des biens.
Dès lors, le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage apporte une restriction inhérente au droit de propriété tel que le définit l’article 544 du code civil.
 
Mais, quoi qu’il en soit, le droit de propriété n’est pas absolu ; son exercice trouve ses limites dans le respect des lois et règlements. Selon Mme Boucard,1 si la responsabilité pour inconvénients excessifs de voisinage ne peut, par sa source, être assimilée à une loi ou à un règlement, sa finalité rejoint celle des servitudes légales. De plus, la prohibition des troubles anormaux de voisinage ne heurte pas non plus le statut constitutionnel du droit de propriété,2 dans la mesure où la restriction posée à son usage n’est pas susceptible de le dénaturer en le vidant de sa substance.
C’est en ce sens que la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 23 octobre 2003,3 que : « le droit de propriété, tel que défini par l’article 544 du code civil et protégé par l’article 1er du Premier Protocole additionnel, est limité par le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui aucun trouble anormal de voisinage [et] cette restriction ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit protégé par [ladite] Convention ». La Cour de cassation juge ainsi que la responsabilité pour trouble anormal de voisinage apporte une restriction inhérente au droit de propriété consacré par le code, et que cette restriction est compatible avec la protection issue de la Convention, en raison de l’absence d’atteinte disproportionnée portée au droit garanti.4
Les hypothèses d’actions judiciaires sont nombreuses en matière de nuisances de voisinage, dont un des facteurs de prolifération a été le développement de l’urbanisation. Ceci explique l’intervention des juges pour garantir « le droit au repos et à la tranquillité, qui s’inscrit dans le cadre du droit à la qualité de vie et de la protection nécessaire de l’environnement » et qui constitue un « attribut essentiel du droit de propriété ».5
L’exercice du droit de propriété peut générer des dommages aux voisins. Il s’agit alors de savoir si l’auteur de l’acte dommageable peut être déclaré responsable en dépit de la maxime « neminem laedit qui suo jure utitur ».6 A Rome, par exemple, il est possible de sanctionner des nuisances graves et inhabituelles. Un célèbre texte d’Ulpien rappelle que faire évacuer sa fumée, ses eaux sur le fonds voisin constitue une atteinte au droit. De même au
1 Boucard (H.), « troubles anormaux de voisinage et Convention européenne des droits de l’homme », AJDI mars 2004, p. 189 et suiv.
2 Art. 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et dommages-intérêts Citoyen du 26 août 1789, et Préambule de la Constitution du 19 avril 1946, auxquels renvoie la Constitution du 4 octobre 1958. 3 Cass. civ., 23 octobre 2003, X c/ Inter Coop et autres, D. 2003, IR p. 2730. 4 Obs. Boucard (H.), préc. note 1.
5 TGI Saintes, 3 juill. 1990, D. 91, somm. p. 309, obs. Robert (A.).
6 Celui qui fait usage de son droit ne lèse personne.

 
XVIe siècle, plusieurs dispositions de la coutume de Paris conduisent le Parlement à déclarer responsable celui qui, par des travaux effectués sur son immeuble, nuit à la propriété voisine.7
C’est au XIXe siècle que, sur des fondements différents, les juges ont progressivement forgé un régime original de sanction des troubles de voisinage. La question qui se posait alors, était de savoir si, en dehors de la responsabilité que le propriétaire peut encourir lorsqu’il y a de sa part violation d’une loi ou d’un règlement, imprudence ou négligence, ou bien intention de nuire, un propriétaire a le droit de faire tout ce qui ne lui est pas expressément interdit.
Une telle solution aurait conduit à des résultats injustes. Les propriétés voisines souffriraient un préjudice qu’il serait injuste de laisser à leur charge. N’est-il pas équitable que celui qui retire les profits d’une activité répare les dommages qui en sont la conséquence inévitable ?
Aussi, une importante jurisprudence s’est-elle formée qui a consacré une responsabilité particulière résultant d’un exercice exceptionnel ou anormal du droit de propriété, bien qu’il soit licite en son principe. Une jurisprudence très abondante admet la responsabilité du propriétaire dans tous les cas où on peut lui reprocher un exercice exceptionnel ou anormal de son droit ayant entraîné un préjudice excédant la mesure des obligations de voisinage. Tel est le cas des constructions ou travaux exécutés de façon dangereuse pour les immeubles voisins8. Dans la plupart des cas, la responsabilité du propriétaire est engagée, alors qu’il n’a commis aucune faute caractérisée ; il a causé un dommage à autrui sans pouvoir l’éviter, en exerçant un droit qui présente pour lui un intérêt certain. Non seulement la jurisprudence ne sollicite pas l’exigence d’une faute caractérisée, mais elle ne sollicite pas non plus la référence à toute considération de culpabilité ; elle a même décidé que l’existence d’une faute quelconque n’était pas nécessaire9. La conduite du propriétaire est d’autant plus irréprochable que bien souvent l’acte dommageable est accompli par lui en vertu d’une autorisation administrative.
La doctrine s’est efforcée de chercher à quel principe général on pouvait rattacher la responsabilité qui incombe au propriétaire, et de trouver un critère précis permettant de déterminer la limite que ne doit pas dépasser le propriétaire.10
De nombreuses explications ont été proposées comme, par exemple, celle de Pothier selon laquelle la responsabilité découle d’un quasi-contrat de voisinage11. Cette explication se
7 Bueb (R.), « Troubles de voisinage : de la faute à la responsabilité objective », petites affiches, 14 févr. 2000 n° 31, p. 3-4.
8 Cass. Req., 23 mars 1927, DP 1928, I, 73, note Savatier.
9 Cass. 2e civ., 31 mai 2000, JCP 2000, p. 1917, n°6, chron. Périnet-Marquet. 10 Terré (F.), Simler (P.), Droit civil, les biens, Précis Dalloz.

 
fonde surtout sur les articles 651 et 1370 du code civil. L’article 651 dispose que : « la loi a assujetti les propriétaires à différentes obligations l’un à l’égard de l’autre, indépendamment de toute convention », et l’article 1370, aux termes duquel certains engagements se forment sans aucune convention, indique : « tels que ceux entre propriétaires voisins ». Ce fondement a été lourdement critiqué, principalement parce que ces textes se rapportent aux obligations spéciales que la loi impose aux propriétaires voisins et qu’énonce l’article 652. En effet, l’obligation de ne pas nuire aux voisins ne peut évidemment pas être absolue, sinon un propriétaire serait dans l’impossibilité d’user de son droit.
Ensuite, a été avancée la notion d’abus de droit pour expliquer la responsabilité du propriétaire. En effet, selon cette théorie, le propriétaire est encore responsable lorsqu’il use de sa propriété, non pas pour son agrément ou pour son profit personnel, mais uniquement dans l’intention de nuire à son voisin. Tel est, par exemple, le cas dans la célèbre affaire Clément-Bayard, où un propriétaire a édifié des ouvrages énormes garnis de pointes acérées destinées à déchirer les ballons dirigeables sortant du hangar voisin12. Ont pu également être considéré comme abusif les actes accomplis par un propriétaire même en vue d’un intérêt égoïste, lorsque cet intérêt n’est pas sérieux et légitime. Ce fondement est aussi critiquable car l’abus de droit se ramène toujours à une faute. A cet égard, on abuse incontestablement de son droit lorsqu’on l’exerce dans l’intention de nuire à autrui. Mais, concernant les troubles de voisinage, il n’est pas question d’abus de droit de propriété, car la responsabilité du propriétaire est engagée alors qu’il n’a commis aucune faute.
Certains, comme Henri Capitant,13 présentaient l’obligation de ne pas excéder les « inconvénients ordinaires habituels du voisinage » comme une obligation propter rem, autrement dit attachée au droit de propriété. Mais, si les articles 637 à 710 du code civil apportent une limitation dans l’exercice du droit de propriété, « cette référence ne saurait expliquer les applications de la théorie des troubles de voisinage hors des relations de
propriétaires ».14
D’autres, comme Georges Riper,15 ont pu voir dans la théorie du risque l’explication de la responsabilité du propriétaire. Selon cette théorie, celui qui crée un risque doit, si ce risque vient à se réaliser aux dépens d’une tierce personne, réparer les dommages causés. Cette théorie est critiquable car son adoption aurait comme conséquence pour le propriétaire
11 Pothier, Traité du contrat de société : Ed. Buguet, T. IV, n°230.
12 Clément-Bayard, Trib. civ. Compiègne, 12 fev. 1913, DP 1913, II, 177, note Josserand.
13 Capitant (H.), « Des obligations de voisinage », Rev. crit. légis. Et jurispr. 1900, p. 156, n° 187. 14 Juris-Classeur Resp. Civ. et Ass., Fasc. 265-10, sous les articles 1382 à 1386, p. 3.
15 Riper (G.), Th., « De l’exercice du droit de propriété dans ses rapports avec les propriétés voisines », Aix-enProvence, 1902.

 
de devoir réparer tous les dommages causés par son voisinage, qu’ils soient normaux ou anormaux. Or, la responsabilité pour troubles de voisinage ne s’applique que lorsque les nuisances dépassent les inconvénients normaux du voisinage. Autrement dit, les voisins doivent tolérer un minimum de gêne, liée à la proximité du voisinage, mais n’ont pas à supporter les troubles dépassant une certaine mesure.
Enfin, pour Henri Mazeaud, la réparation des troubles de voisinage restait fondée sur la faute, et il considérait comme telle l’immissio de celui qui pénétrait chez son voisin par des bruits, des fumées, des odeurs, etc. En d’autres termes, la faute réside dans le fait d’envahir le domaine d’autrui. Cette approche n’a pas non plus été retenue car elle n’explique pas pourquoi la jurisprudence exige que le préjudice subi par la victime excède les inconvénients normaux du voisinage.

La diversité des explications proposées n’a pas permis de définir le fondement sur lequel repose la responsabilité pour troubles de voisinage.
La Cour de cassation avait, dès 1844, écarté l’intention de nuire et consacré un droit à réparation fondé, sur l’article 1382 du code civil, pour les victimes riveraines d’une usine de laquelle émanaient des fumées.16 C’est sur le fondement de l’article 1382 que les premières condamnations ont été prononcées, les tribunaux estimant que, en causant un dommage, l’auteur avait dépassé les limites normales de son droit.17 La jurisprudence s’est également servie du fondement de l’article 1384, alinéa 1er, pour réparer les troubles occasionnés par un voisin. Seulement, du fait de la présomption de responsabilité que fait peser cet article sur le gardien, l’article 1384, alinéa 1er du code civil avait vocation à s’appliquer aux inconvénients de quelque origine que ce soit. Ainsi, cet article a trouvé à s’appliquer, par exemple, à l’écroulement d’une falaise,18 à l’éboulement de terres sur le fonds voisin,19 jusqu’à des choses moins palpables telles que des vapeurs ou poussières.20 L’article 1384, alinéa 1er peut donc s’appliquer aux inconvénients de quelque origine que ce soit, de telle sorte que, pour la doctrine, comme M. Durry,21 la théorie des troubles anormaux de voisinage était appelée à se fondre dans la responsabilité du fait des choses.
Mais, contre toute attente, l’absorption n’a pas eu lieu. Bien au contraire, la théorie des troubles anormaux de voisinage a acquis son autonomie par une décision de la troisième
16 Cass. civ., 7 nov. 1844, DP 1845. 1. 13.
17 Cass. req., 3 janv. 1887, DP 1888, 1, p. 39.
18 Cass. 2e civ., 16 juin 1961 : JCP G 1962, II, 12778, note Mourgeon. 19 Cass. civ., 25 juin 1952 : D. 1952, juris. p. 614. 20 Cass. 2e civ., 25 11 juin 1975 : D. 1975, somm. p. 100. 21 Durry (G.), obs. : RTD. civ. 1971, p. 856.

 
chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 février 1971.22 En effet, la Cour censure des décisions ayant subordonné la réparation des dommages à la preuve d’une faute, en considérant au visa des articles 544 et 1382 du code civil que « si, aux termes du premier de ces textes, la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements, le propriétaire voisin de celui qui construit légitimement sur son terrain est néanmoins tenu de subir les inconvénients normaux du voisinage, en revanche il est en droit d’exiger une réparation dès lors que les inconvénients excèdent cette limite ». La Cour de cassation écarte donc toute référence à la faute, puisqu’elle censure la décision qui avait exonéré un propriétaire de sa responsabilité envers son voisin au motif « qu’on ne saurait déduire une faute du seul fait de l’existence d’un dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage ».
Pour autant, s’agissait-il de l’affirmation par la Cour de cassation d’une responsabilité sans faute ? La doctrine était partagée entre ceux qui penchaient pour la responsabilité objective et ceux qui penchaient pour la responsabilité subjective.
La Cour de cassation a, dans un arrêt du 19 novembre 1986,23 mis fin aux polémiques en abandonnant les visas des articles 544 et 1382 du code civil au profit du principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble de voisinage ». Cette pratique, qui permet à la Cour de cassation d’énoncer un principe sans aucune mention à un article est, selon M. Oppetit,24 assez récente et se rattache au développement en jurisprudence des principes généraux.
Un propriétaire n’a pas le droit d’imposer impunément à ses voisins une gêne excédant les inconvénients normaux du voisinage. Entre les fonds voisins, doit exister un rapport d’équilibre. C’est dire que la théorie des troubles de voisinage s’applique entre des fonds plus qu’entre des personnes. La Cour de cassation a, dans l’arrêt du 25 juin 1995,25 jugé que le fait de ne plus être domicilié dans l’immeuble subissant des troubles n’empêche pas d’obtenir réparation.26 La vie en communauté implique une gêne réciproque, mais celle-ci doit être cantonnée dans des limites normales. C’est en cela que la Cour de cassation a, par cet arrêt, maintenant érigé la prohibition des troubles anormaux de voisinage en principe général du droit.
22 Cass. 3e civ., 4 févr. 1971 : Bull. civ. III, n° 80.
23 Cass. 2e civ., 19 nov. 1986 : Bull. civ. II, n° 172.
24 Oppetit (B.), « in Rapport sur les principes généraux dans la jurisprudence de cassation », Entretiens de Nanterre, JCP 1989, n° suppl., p. 12 et s.
25 Cass. 2e civ., 28 juin 1995, RDI 1996 p. 175, obs. Bergel (J-L.).
26 Cass. 2e civ., 28 juin 1995, Bull. civ. II, n°222.

 
L’émancipation de la théorie des troubles de voisinage à l’égard de l’article 1382 du code civil est nette, les juges pouvant condamner à la réparation des troubles « sans avoir à rechercher une faute ».27 Elle est tout aussi clairement énoncée à l’égard de l’article 1384 du code civil, déclaré « étranger à la réparation des troubles de voisinage ».28 Ceci dit, sans remettre en cause l’autonomie et la portée pratique de la théorie des troubles de voisinage, il est nécessaire de préciser que son fondement autonome n’exclut pas la possibilité de responsabilité pour faute prouvée en application du droit commun de la responsabilité.
La notion de troubles de voisinage se définit par rapport à celle de dommage causé à un voisin, sans pour autant que ces deux notions soient assimilables. En effet, un dommage causé à un voisin ne peut être qualifié de trouble de voisinage que s’il présente des caractères de continuité et d’anormalité. Ce sont les dommages causés à un voisin qui, lorsqu’ils excèdent les inconvénients ordinaires du voisinage, sont jugés anormaux et obligent l’auteur du trouble à dédommager la victime, quand bien même ce trouble serait inhérent à une activité licite et qu’aucune faute ne pourrait être reprochée à celui qui la cause.29
Une solution contraire aurait conduit à des résultats injustes notamment pour les constructeurs. En effet, la construction est par essence créatrice de nuisances pour l’entourage. Admettre la réparation de tous les troubles causés aux voisins aurait conduit à faire peser sur les constructeurs une obligation d’indemniser les voisins avant même le commencement des travaux. Mais la solution retenue consiste à réparer seulement les dommages qui excèdent les inconvénients normaux du voisinage.
Toute opération de construction, quel que soit le soin mis à y procéder, entraîne nécessairement des inconvénients pour le voisinage. Ainsi, M. Malinvaud distingue trois catégories de dommages causés aux voisins par l’activité de chantier30.
En premier lieu, les inconvénients divers causés par l’activité du chantier : bruits dus aux engins de chantier, poussières provoquées par les démolitions ou les terrassements, présence de panneaux, de grues et de baraquements inesthétiques, noria de camions pour évacuer les déblais ou pour approvisionner le chantier, etc. Il s’ensuit pour les voisins des nuisances diverses qui vont durer pendant tout le temps du chantier, de l’ordre de six mois à deux ans ou plus. La gêne peut-être plus importante encore, ou en tout cas plus quantifiable, pour les voisins commerçants qui vont voir leur clientèle se détourner et leur chiffre d’affaire baisser. De telles nuisances sont inéluctables, même si parfois elles peuvent être atténuées en
27 Cass. 3e civ., 12 févr. 1992 : RCA 1992, comm. n° 179.
28 Cass. 2e civ., 20 juin 1990 : Bull. civ. II, n° 140 ; RCA 1990, comm. n° 328.
29 Cornu : Vocabulaire juridique, Vis Troubles anormaux de voisinage, PUF 2000.
30 Malinvaud (P.), « Les dommages aux voisins dus aux opérations de construction », RDI nov./déc. 2001 p. 479.

 
prenant des précautions particulières ; elles sont inhérentes à l’opération de construction, donc à la décision même de construire prise par le maître de l'ouvrage, mais elles sont matériellement causées par les constructeurs qui interviennent sur le chantier.
En second lieu, M. Malinvaud opère une distinction avec les dommages causés aux immeubles voisins. Il s’agit le plus souvent de désordres liés à la nature du sol et survenant lors des fouilles ou des terrassements qui, étant fait très profondément pour réaliser de nombreux étages de garages, risquent d’entraîner une déstabilisation des immeubles voisins. Parfois même, lorsque l’opération a lieu sur des terrains en pente, il peut se produire un glissement de terrain mettant en péril les immeubles situés plus haut. A la différence des inconvénients divers de chantier qui sont inéluctables, les dommages aux immeubles voisins peuvent généralement être évités, si l’on prend des précautions particulières et si l’on adopte, par exemple, des techniques de fondation plus coûteuses qui n’ont peut-être pas été proposées ou acceptées par le maître de l'ouvrage. En revanche, si à l’occasion des travaux de construction, un incendie se produit sur le chantier et s’étend aux immeubles contigus, il s’agit non d’un trouble de voisinage, mais d’une communication d’incendie relevant de l’application de 1384, alinéa 2, du code civil.31
Enfin, d’autres fois, les troubles dont souffrent les voisins résultent de la seule présence de l’immeuble nouveau. La pratique en fournit des exemples, en particulier pour les immeubles de grande hauteur entraînant la perturbation des émissions télévisées, ou le défaut de tirage des cheminées, ou bien encore enlevant toute lumière aux petits immeubles voisins.
Plus récemment, est apparue la notion de trouble esthétique32 ; pourtant même si les voisins portent souvent un jugement peu flatteur sur l’esthétique des constructions, les tribunaux se refusent à se faire juge de la beauté. Dès lors, c’est la décision même de construire qui est remise en cause et non la manière dont l’ouvrage a été réalisé par les constructeurs.
Qui du maître de l'ouvrage ou des constructeurs doit réparer ces troubles de voisinage, et sur quels fondements ?
Telle est la problématique qui va être ici envisagée et qui soulève des problèmes tout à fait spécifiques. Par dommage de voisinage, on entend celui qui, par sa nature même, ne peut frapper qu’un voisin. Ainsi en est-il des bruits du chantier ou de la déstabilisation de
31 Cass. 3e civ., 15 nov. 1978, Bull. civ., III, n° 345 ; RDI 1979 p. 306, obs. Bergel.
32 Fabre (J.) et Meyer-Fabre (N.), « construction neuve : les troubles « visuels » de voisinage ou la recherche du critère d’anormalité », AJPI 1988 p. 149. A cet égard, la Cour de cassation a considéré comme un trouble de voisinage, non pas une construction, mais le bouleversement du terrain et la modification de l’environnement consécutifs à l’exploitation d’une carrière et affectant « les conditions d’habitation d’une maison située en pleine campagne et ayant une vocation de résidence secondaire » Cass. 2e civ., 29 nov. 1995, Bull. civ. II, n° 298.
 
33 Libchaber (R.), « Le droit de propriété, un modèle pour la réparation des troubles de voisinage ». Mélanges Mouly, Litec, 1998, p. 421 et s.
l’immeuble contigu ; en revanche, dans le cas où une personne est blessée par la chute de matériaux, le préjudice subi est étranger à la relation de voisinage même si la victime est en fait un voisin, car il aurait pu atteindre une personne quelconque.
Lorsqu’une opération de construction entraîne ainsi un dommage aux voisins, il s’agit de savoir qui du locateur d’ouvrage ou du maître de l'ouvrage peut être poursuivi et condamné. En cas de condamnation, celui qui est condamné a-t-il alors un recours contre l’autre ?
On laisse de côté la question des dommages qui, tout en étant causés à l’occasion de l’opération de construction, sont sans lien avec la relation de voisinage ; quand, par exemple, un passant est blessé par la chute d’une grue ou de matériaux. De tels dommages relèvent de l’application du pur droit commun et leur réparation ne soulève pas de difficultés particulières. Sont également exclus les troubles anormaux de voisinage causés par les travaux publics, car notre étude se limite au droit privé.
Les tribunaux ont souvent eu à statuer en la matière mais en dépit ou à cause de l’abondance de la jurisprudence, il est assez difficile de tirer les lignes directrices qui animent les décisions. La difficulté tient pour une large part au fait que les voisins-victimes poursuivent tantôt le maître de l'ouvrage, tantôt les constructeurs ; qu’ils invoquent des fondements juridiques très divers : tantôt le droit de la responsabilité, tantôt la théorie des troubles de voisinage. La matière est encore obscurcie par le fait que celui qui a été condamné à l’égard du voisin, le plus souvent le maître de l'ouvrage, exerce en général un recours contre les constructeurs.
Sur qui doit-on dès lors faire peser la réparation des troubles de voisinages ? Sur le constructeur prétendu responsable des troubles ou le propriétaire maître de l'ouvrage qui a commandé un ouvrage ?
Cette interrogation en appelle une autre, celle de savoir quel est le fondement de l’obligation de réparer le dommage anormal de voisinage : est-ce un fondement réel ou personnel ?
La responsabilité pour troubles de voisinage oscille en effet depuis sa création entre un fondement réel et un fondement personnel.33 Cette question est d’autant plus délicate que d’un côté, le constructeur est l’auteur du trouble de voisinage mais n’a pas la qualité de voisin et de l’autre, le maître de l'ouvrage a la qualité de voisin mais n’est pas l’auteur du trouble.
 
La réponse dépend de la prééminence qu’accorde la Cour de cassation soit au titulaire du droit de propriété soit à l’auteur des nuisances pour la réparation des troubles anormaux de voisinage. Est-ce au droit de propriété, puisque l’exploitation de son droit est à l’origine des nuisances, ou est-ce aux travaux qui bien souvent sont à l’origine des dommages causés au fonds voisin ?
Pour répondre à ces interrogations, nous allons présenter dans un premier temps qui du maître de l'ouvrage ou du constructeur est obligé à la dette (Première partie), pour ensuite déterminer comment va se règle la contribution entre eux (Deuxième partie).
 
34 Huet (J.), « L’obligation in solidum et le jeu de la solidarité dans la responsabilité des constructeurs » ; RDI 1983 p. 11.

PREMIERE PARTIE : L’OBLIGATION À LA DETTE

La loi dite Spinétta du 4 janvier 1978 fait peser sur tout constructeur d’un ouvrage une présomption de responsabilité pour les dommages qui affectent l’ouvrage. Ce texte établit une solidarité légale entre les constructeurs, qui permet donc au maître de l’ouvrage d’assigner un des intervenants à l’acte de construire sans se préoccuper de leur part respective de responsabilité. Il suffit simplement de rapporter la preuve du lien de causalité entre les ouvrages incriminés et les constructeurs. Ce n’est qu’après que le maître de l’ouvrage a été indemnisé, soit par l’assureur dommage ouvrage, soit par le constructeur assigné et son assureur de responsabilité, qu’il y a des recours entre les constructeurs responsables des désordres et à proportion de leur part de responsabilité.
Au premier abord on pourrait penser que la solidarité entre les constructeurs concerne les seuls dommages qui affectent l’ouvrage. Cela signifie que si des dommages affectaient les constructions voisines de l’ouvrage en cours de construction, il n’y aurait pas de solidarité entre les constructeurs. Ceci est d’autant plus vrai qu’en vertu de l’article 1202 du code civil : « la solidarité ne se présume point ; il faut qu’elle soit expressément stipulée » et son alinéa 2 précise que « cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d’une disposition de la loi ». Mais lorsque l’obligation in solidum s’impose au maître de l'ouvrage, d’une part et aux constructeurs, d’autre part, dans leurs rapports avec un tiers victime d’un dommage causé par la construction, en l’absence de tout lien contractuel avec le bénéficiaire de cette garantie, l’article 1202 n’a pas lieu d’y faire obstacle.34
De plus, dans certaines situations, il y a solidarité, même en l’absence de convention prévoyant la solidarité des constructeurs. En effet, lorsque le dommage est indivisible, les locateurs d’ouvrage qui sont intervenus dans l’opération de construction sont tenus in solidum à l’égard du maître, de l’acquéreur de l’ouvrage, ou plus récemment du voisin. Par exemple, il a été jugé que « chacun des coresponsables d’un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité sans qu’il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est procédé entre eux et qui n’affecte pas l’étendue de leurs obligations envers la partie lésée ».35 Cette règle jurisprudentielle n’est pas spécifique à la responsabilité des constructeurs ; elle n’est que la transposition à ce domaine des principes généraux du droit de la responsabilité, tels qu’ils ont été dégagés par l’article 1203 du code civil.
Il y a ainsi responsabilité in solidum dans le cas où le dommage est dû à l’action conjuguée et indissociable des divers locateurs d’ouvrage, chacun ayant contribué à causer le dommage dans son entier. Le dommage étant indivisible, les constructeurs seront condamnés in solidum à le réparer.36 Peu importe que le dommage soit dû à des fautes distinctes37 ; peu importe également que les divers co-responsables soient tenus sur des fondements différents, les uns contractuels, les autres délictuels.38 Seul compte qu’il y ait une faute commune,39et que cette faute ait concouru à la réalisation de l’entier dommage40
La Cour de cassation vient de réaffirmer cette règle dans un arrêt en date du 28 octobre
200341 : « Qu’en statuant ainsi, alors que chacun des responsables d’un même dommage doit être condamné à le réparer en totalité sans qu’il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est procédé entre eux et qui n’affecte pas l’étendue de leurs obligations envers la partie lésée, la cour d’appel a violé les textes susvisés42 ».
Cette règle fâche tout particulièrement les constructeurs et leurs assureurs dont la responsabilité dans la réalisation des désordres, telle que chiffrée par l’expert désigné, apparaît modeste. Tel est souvent le cas de l’architecte et, plus encore, du bureau de contrôle dont la part de responsabilité est souvent évaluée à 5 ou 10 pour cent. L’expérience montre qu’ils sont souvent poursuivis pour le tout par le maître de l’ouvrage, et que leurs assureurs se heurtent à des grandes difficultés, sinon à l’impossibilité de se retourner efficacement contre les autres constructeurs. Il s’ensuit qu’en pratique certains constructeurs se voient plus lourdement frappés que d’autres, ce qui rend l’assurance de leur responsabilité plus difficile et plus coûteuse.
Pour contourner cette difficulté, certains avaient imaginé d’écarter conventionnellement le jeu de l’obligation in solidum ; mais, la jurisprudence considère que cette obligation est une règle d’ordre public, et a déclaré nulle une telle clause.43

35 Cass. 3e Civ., 5 déc. 1984 : JCP 1986. II, p. 20543, note Dejean de la Bâtie.
36 Cass. 3e civ., 25 mars 1980, Bull. civ. III, n°69- 6 oct. 1993, Bull. civ. III, n° 120. 37 Cass. 3e civ., 5 déc. 1984, JCP 1986, II, 20543 et note N. Dejean de la Bâtie.
38 Cass. 3e civ., 11 juin 1976, Bull. civ. III, n° 260-25 mars 1980, Bull. civ. III, n° 69. 39 Cass. 1re civ., 9 avr. 1962 : Bull. civ. I, n° 201, p. 179. 40 Cass. 3e civ., 21 janv. 1971, JCP 71, II, 16729.
41 Cass. 3e civ., 28 oct. 2003, RDI janv./févr. 2004, p.126. 42 Art. 1203 c. civ., ensemble l’art. 1792 de ce code.
43 Cass. 3e civ., 18 juin 1980, Bull. civ. III, n° 121-25 nov. 1987, D. 1987, IR p. 247. 
44 Lexique des termes juridiques 10e éd. Dalloz.


Dès lors, lorsque le constructeur et le maître de l'ouvrage sont tous les deux assignés par le propriétaire victime en réparation des troubles de voisinage, leur responsabilité, si elle est retenue, l’est in solidum, même si c’est sur des fondements différents. L’un comme l’autre sont obligés à la dette. L’obligation à la dette est l’obligation de se soumettre à la poursuite du créancier et d’acquitter l’intégralité de la dette, quitte à agir, par voie récursoire, à l’encontre du véritable débiteur ou du co-obligé.44Mais alors, sur quels fondements juridiques leur responsabilité est-elle engagée ?
Pour répondre à ces questions, nous allons envisager dans un premier temps la responsabilité du maître de l'ouvrage pour troubles de voisinage avant d’exposer celle des constructeurs.
 
Section I : La responsabilité du maître de l’ouvrage pour troubles de voisinage

La responsabilité du maître de l'ouvrage, fondée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage, a été retenue par deux arrêts de principe de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 février 1971, qui ont posé les prémisses de la responsabilité de plein droit, en censurant des décisions ayant subordonné la réparation du dommage à la preuve d’une faute45. Depuis lors, la jurisprudence ne s’est pas départie de cette règle ; en effet la Cour de cassation estime, par exemple, qu’est justifiée la condamnation du maître de l'ouvrage à réparer les dommages causés aux fonds voisins alors que les travaux ont été effectués par un tiers46 ou que la faute imputée à l’entrepreneur ne saurait exonérer le propriétaire de sa responsabilité47, ou encore, qu’indépendamment de toute faute, le maître de l'ouvrage doit réparation à son voisin du préjudice occasionné par le trouble48. Il est donc établi que le maître de l'ouvrage doit, en cette seule qualité, assumer la charge des réparations des désordres affectant les immeubles voisins du fait des opérations de construction effectués sur son fonds. Il lui reste à exercer une action récursoire contre le ou les constructeurs qu’il estime responsables. Le maître de l'ouvrage doit donc répondre des troubles anormaux de voisinage sans que sa faute ait été établie, parce « qu’il avait pris l’initiative de l’opération immobilière et devait personnellement en tirer profit ».49
Pour que le maître de l'ouvrage puisse être responsable sur ce fondement, encore fautil que les conditions requises pour les troubles anormaux de voisinage soient réunies (§1), afin que le voisin puisse prétendre à une réparation (§2).

45 Cass. 3e civ., 4 fev. 1971 : Bull. civ. III, n°80 ; JCP G 1971, II, p. 16781, note Lindon. 46 Cass. 2e civ., 2 dec. 1982 : Bull. civ. II, n°160.
47 Cass. 3e civ., 8 mai 1979 : D. 1979, p. 470.
48 Cass. 2e civ., 11 fev. 1999 : RCA 1999, comm. n° 101.
49 Cass. 3e civ., 17 juill. 1974 : Bull. civ. III, n° 316.

 
Paragraphe I : Les conditions de mise en jeu de cette responsabilité

La théorie des troubles anormaux de voisinage présente la particularité de permettre à la victime d’établir la preuve du caractère anormal du trouble qu’elle subit, et non pas la faute de son auteur pour obtenir la réparation de son préjudice. En d’autres termes, le propriétaire maître de l'ouvrage peut être condamné à indemniser le voisin dès lors que le trouble causé aux voisins, par l’exercice de ses droits sur son terrain, est considéré comme dépassant les inconvénients normaux du voisinage.
Cependant, si le voisin est dispensé de la preuve d’une faute, il doit établir que le préjudice qu’il subit est la conséquence directe des nuisances causées par le bien voisin et être en mesure de quantifier, de façon chiffrée, ce préjudice.
Cette théorie n’étant applicable que dans les rapports de voisinage, il est nécessaire de préciser cette notion, en constante évolution, avant d’expliciter quels sont les critères retenus par les juges du fond pour établir que des nuisances excèdent les inconvénients normaux du voisinage.
A. La notion de voisinage
Le voisinage est un terme collectif et une notion spatio-temporelle traduisait l’idée de l’occupation de l’espace par des personnes, dont certaines, par leur situation de proximité, ont des droits et des devoirs spécifiques les unes par rapports aux autres. Mais les limites de cet espace sont relativement imprécises, si l’on considère qu’elles peuvent s’appliquer aussi bien à la promiscuité qu’à l’environnement. La notion de voisinage est donc difficile à cerner, puisqu’elle concerne aussi bien les relations de proximité, comme celles découlant de la copropriété, de la colocation, ou de contiguïté de fonds, que les atteintes à l’environnement.
En effet, qu’il soit copropriétaire ou locataire d’un immeuble, il dispose de l’action en réparation des troubles anormaux de voisinage. Ainsi, en matière de copropriété, l’article 8 de la loi de 1965 fait obligation d’établir un règlement conventionnel de copropriété. La question s’est vite posée de savoir si la règle du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ne faisait pas obstacle à l’application de la théorie des troubles de voisinage dans les rapports entre copropriétaires ?
 
50 Cass. 3e civ., 20 févr. 1973 : Gaz. Pal. 1973, I, p. 471, note Morand. 51 Obs. Durry (G.) : La responsabilité civile : RTD civ. 1977 p. 132.

Si la réponse à cette question est positive, elle conduit à interdire au demandeur de s’en prévaloir au motif qu’ils sont uniquement liés par ce règlement contractuel dont certaines clauses aménagent les rapports de voisinage. Mais la Cour de cassation ne l’a pas admis, faisant prévaloir la théorie des troubles anormaux de voisinage.50

Quant au locataire-victime, il dispose de deux actions qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre. L’une en responsabilité pour troubles de voisinage est dirigée contre l’auteur. L’autre, contractuelle, s’adressant au bailleur, est fondée sur la garantie d’une jouissance paisible que ce dernier doit à son locataire, en application de l’article 1719 du code civil.
Dès lors, la question qui se pose est de savoir où s’arrête le voisinage. Juridiquement, le voisinage apparaît davantage « comme une relation entre des personnes que dans un appareil de normes foncières, relation inhérente à la vie en société, créatrice de droits et d’obligations, ressortissant en principe à la responsabilité délictuelle pour la simple raison que les voisins ne sont généralement pas liés à une convention destinée à organiser le rapport, encore que la responsabilité contractuelle y fasse des incursions »51.

La notion de voisinage est donc une notion très importante, puisqu’elle permet l’application de la théorie des troubles anormaux de voisinage. En effet, pour qu’il y ait trouble de voisinage, il faut un litige entre deux ou plusieurs personnes qui ont la qualité de voisin et dont une au moins exerce des nuisances excessives par rapport aux inconvénients normaux de voisinage. Pour résoudre ce problème, il convient de déterminer qui a le titre de voisin, le propriétaire de la parcelle de terrain, de l’immeuble contigu, ou encore le détenteur de l’immeuble. Plus précisément, est-ce le titre de propriété qui confère la qualité de voisin ou est-ce l’occupation ?
La première démarche consiste donc à déterminer qui est le voisin victime et qui est le voisin auteur des nuisances.

1. Le voisin victime

Conformément aux règles de la responsabilité civile, le demandeur en réparation d’un trouble de voisinage doit avoir un intérêt direct et personnel. M. Martin avançait que seul un intérêt fondé sur l’usage juridiquement établi d’un fonds peut servir de base à l’introduction d’une action en justice. Tel est le cas du propriétaire voisin : l’action lui appartient comme éventuellement au syndicat des co-propriétaires. La question s’est cependant posée de savoir si un propriétaire non occupant était recevable à agir en réparation d’un trouble dont, par hypothèse, il ne subit pas les effets. La Cour de cassation a répondu par l’affirmative, en admettant qu’un propriétaire, même s’il ne réside pas sur son fonds, est recevable à demander qu’il soit mis fin aux troubles provenant du fonds voisin52. Dans ce rapport pour l’année 1995, la Cour de cassation explique que : « cette décision règle une question qui n’avait pas encore été jugée : l’action pour troubles de voisinage peut-elle être intentée uniquement par les victimes directes, celles qui subissent le trouble quotidiennement, ou bien peut-elle être mise en mouvement par les propriétaires du bien où le trouble est subi, indépendamment du fait qu’ils ne résident plus dans les lieux ? Par la présente décision, la Cour de cassation s’est orientée vers une solution qui permet au propriétaire d’agir même si l’immeuble est inoccupé et quant bien même la victime directe, locataire ou occupant à titre gratuit, s’abstiendrait de le faire ».
Une première question se pose quant à la détermination du voisin victime. Selon M. Berly, la notion de voisin ne s’interprète pas strictement, mais il s’agit de toute personne qui subit un préjudice du fait du chantier et qui a donc qualité pour agir sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.53 La réponse dépend du type de dommage causé. Alors que les nuisances du chantier affectent tous les voisins, propriétaires ou locataires, les désordres à l’immeuble contigu affectent principalement le propriétaire. C’est le propriétaire au moment du sinistre qui a en principe qualité pour demander réparation. Si l’immeuble est vendu après survenance du trouble, l’action n’est pas transmise de plein droit à l’acquéreur, et cela même si le trouble s’est traduit par un désordre subi par l’immeuble.54 Les troubles de voisinage ne sont donc pas seulement des atteintes aux personnes, mais aussi des atteintes aux biens.55 Ainsi, le voisin victime peut être indifféremment soit celui qui réside sur le fonds voisin, soit le propriétaire du fonds voisin, même s’il réside ailleurs. Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’« un propriétaire même s’il ne réside pas sur son fonds, est recevable à demander qu’il soit mis fin aux troubles anormaux de voisinage provenant d’un fonds
voisin56 ».

52 Cass. 2e civ., 28 juin 1995 : JCP N 1995, II, p. 1705.
53 Berly (J-M.), « la responsabilité du maître de l’ouvrage en raison des troubles anormaux de voisinage », Construction-Urbanisme, janv. 2000, p. 5 et suiv.
54 Cass. 3e civ., 18 juin 1997 : RDI 1997 p. 592 ; mais la stipulation contraire est possible.
55 Libchaber (R.), « Le droit de propriété : un modèle pour la réparation des troubles de voisinage », Mélanges Mouly, p. 421.
56 Cass. 2e civ., 28 juin 1995 : Bull. civ. II, n° 222 ; RDI 1996. p. 175, obs. Bergel. 
57 Cass. 3e civ., 28 fev. 1972 : JCP G 1972, II, p. 17176.


Il appartient à ce voisin de décider contre qui il va intenter son action, et sur quel fondement. Quoi qu’il en soit, le voisin est un tiers à l’égard du maître de l'ouvrage et des constructeurs, son action ne peut donc être de nature contractuelle. En pratique, il assigne le maître de l'ouvrage sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. Mais il peut aussi bien rechercher la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Enfin, il arrive également qu’il assigne tout le monde, auquel cas les coresponsables sont tenus in solidum, même si c’est sur des fondements juridiques différents.

Le voisin victime qui subit des nuisances doit saisir le juge d’une demande en réparation et en cessation de ce trouble. Pour ce faire, il doit désigner précisément qui est l’auteur de ses nuisances.


2. Le voisin auteur

Depuis assez longtemps, il est acquis que l’action peut être engagée contre le locataire fauteur de trouble, qu’elle soit fondée sur la faute, la garde ou, plus généralement et plus récemment, sur la responsabilité de plein droit du fait d’inconvénients excessifs de voisinage57. Pourtant, la question du fondement de l’action dirigée contre les entreprises du bâtiment intervenant sur le fonds voisin a donné lieu à des interrogations et prêté à controverses. En effet, dans les rapports entre le constructeur chargé des travaux à l’origine des troubles affectant le fonds voisin et le propriétaire de celui-ci, la jurisprudence était fluctuante et manquait de clarté, certains arrêts appliquant la théorie des troubles de voisinage, alors que d’autres invoquaient la responsabilité fondée sur la faute ou sur la garde des engins de chantier, voire du chantier. Cette incertitude quant au fondement de l’action ne présentait pas d’inconvénients majeurs tant qu’il n’avait pas été admis que le régime juridique des troubles de voisinage était celui de la responsabilité de plein droit. La situation est devenue plus délicate après l’affirmation de ce principe par la Cour de cassation.
L’une des originalités de l’élaboration prétorienne de la théorie est d’avoir créé une responsabilité du fait d’autrui à la charge du propriétaire. Il en est ainsi de la responsabilité du maître de l'ouvrage du fait des intervenants à une opération de construction. Il est vrai que la victime dispose, avec le propriétaire, d’une personne aisément identifiable, réputée solvable et détenant à l’égard de l’auteur du trouble de divers moyens d’intervention et de coercition. Par ailleurs, il est possible que le trouble invoqué soit imputable non pas à l’auteur apparent mais au bien lui-même ou à un manquement du propriétaire à ses propres obligations. C’est pour ces raisons que la responsabilité pour troubles de voisinage est parfois considérée comme un corollaire du droit de propriété.
Pendant longtemps, et jusqu’à une date récente, seul le maître de l’ouvrage pouvait être assigné sur le fondement des troubles anormaux de voisinage. Il se définit comme le propriétaire du terrain ou celui pour le compte de qui ont été exécutés les travaux. Mais comme pour le voisin victime des troubles anormaux de voisinage, la même difficulté se retrouve pour déterminer le voisin auteur de ce même trouble.

La difficulté réside dans le fait de savoir qui du maître de l'ouvrage ou du constructeur doit la réparation des troubles de voisinage. Cette interrogation peut se justifier car le maître de l'ouvrage est à l’origine de la décision de construire, tandis que le constructeur est souvent l’auteur des nuisances. Le responsable des ces troubles semblait être limité à ces deux personnes, jusqu’à un arrêt du 11 mai 200058 dans lequel la Cour de cassation contribue à nouveau à asseoir la spécificité de la responsabilité pour troubles de voisinage par rapport au droit commun. En effet, dans cet arrêt, elle décide que l’action en responsabilité pour troubles de voisinage contre le maître de l'ouvrage se justifie contre le propriétaire actuel du bien et non contre celui qui présidait à l’initiative des travaux. Jusqu’à cette décision, le maître de l'ouvrage devait répondre des troubles anormaux de voisinage parce « qu’il avait pris l’initiative de l’opération immobilière et devait personnellement en tirer profit ».59 Le maître de l'ouvrage, c’est à dire « celui pour qui l’ouvrage se fait »,60 correspond généralement au propriétaire du terrain au moment de la réalisation des travaux. Or, dans cette décision, les juges du fond avaient rejeté l’action des victimes du trouble de voisinage contre l’actuel maître de l'ouvrage et l’assureur de l’entrepreneur aux motifs, d’une part, que seul le maître d’origine avait eu la garde du chantier et, d’autre part, que cette garde n’avait pas été transférée à l’entrepreneur. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris a été censuré par la troisième chambre civile de la Cour de cassation qui a décidé, sous le visa du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de troubles excédant les inconvénients anormaux de voisinage, que : « Le propriétaire actuel du bien où ont eu lieu les travaux à l’origine des troubles anormaux

58 Cass. 3e civ., 11 mai 2000 : RDI juill./sept. 2000 p. 314 et suiv. note Bruschi. 59 Cass. 3e civ., 17 juill. 1974, Bull. civ. III, n° 316. 60 Art. 1711 du code civil.
 
de voisinage constatés dans le fonds voisin et l’entrepreneur auteur de ces travaux sont responsables de plein droit de ces troubles61 ».

Cet arrêt pose la question de la nature réelle ou personnelle de l’obligation de réparation.
Selon M. Bruschi, la Cour de cassation penche une nouvelle fois en faveur d’un fondement réel pour justifier l’action en réparation des troubles de voisinage, tout au moins au stade de l’action principale de la victime. En effet, le lien réel entre l’immeuble cause du dommage, et l’obligation de réparer le dommage sur le fondement de la responsabilité pour troubles de voisinage, expose le propriétaire actuel de l’immeuble dont la construction a été à l’origine du trouble, à le réparer alors même qu’il n’a pas eu l’initiative de commencer les travaux de construction. Par cette décision, on peut penser que l’obligation de réparer les troubles de voisinage n’est pas attachée à la personne du propriétaire sur la tête duquel elle est née, mais se transmet aux acquéreurs successifs de l’immeuble, quel que soit le mode d’acquisition.
Cette jurisprudence tend à faire de la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage une obligation propter rem. En effet, dans l’affaire le nouveau propriétaire de l’immeuble qui a été condamné sur le fondement de cette théorie n’est pas la personne qui, de concert avec les constructeurs, a pris la décision de construire. Dès lors, que peut-on lui reprocher ? D’avoir acquis un immeuble qui a généré des nuisances alors qu’il n’a même pas donné son accord pour construire?
Plus vraisemblablement, il semble que ce nouveau propriétaire a acquis un immeuble ainsi que ses accessoires, y compris les troubles de voisinage. Cette décision peut se rapprocher de celle qui préconise le transfert de la responsabilité du fait des bâtiments en même temps que le transfert de propriété.62 C’est ce qui fait dire à M. Atias que : « cette responsabilité qui a sa source dans la structure concrète du bien pèse sur le propriétaire
comme une véritable charge réelle ».63

Après avoir explicité la notion de voisinage, il faut déterminer qu’elles sont les conditions qui font des nuisances un trouble anormal de voisinage.

61 Cass. 3e civ., 11 mai 2000 : Bull. civ. III, n° 106 ; RDI 2000 p. 312, obs. Bruschi ; RCA 2000, n° 263, note Groutel.
62 Cass. 2e civ., 13 mai 1960, D. 1960 p. 589. note Savatier.
63 Atias (C.), Le transfert conventionnel de la propriété, th. Poitiers, 1974, n° 209.

 
B. La notion de trouble

En matière immobilière, on peut se demander quelle est précisément la limite de ce qui est acceptable, de ce qui doit être toléré : la construction d’un immeuble est une opération générant des nuisances incontestables ; pour autant, cette construction doit-elle entraîner une indemnisation automatique et complète du voisin victime ?
Pour répondre à cette question, tout dépend des caractéristiques du trouble que l’on prend en compte. Le trouble est l’action par laquelle on inquiète quelqu’un dans la jouissance de sa propriété, trouble de fait, voie de fait, acte qui se commet de manière à nuire à la possession.64 Les troubles anormaux de voisinage sont des nuisances qui excèdent les inconvénients normaux du voisinage. La victime d’un trouble de voisinage doit non seulement apporter la preuve d’un dommage mais aussi la preuve que ce dernier remplit les caractéristiques nécessaires pour être indemnisé.

1. La nécessité d’un dommage
Il n’y a pas de trouble s’il n’existe pas de dommage. La violation d’une règle légale, réglementaire ou contractuelle, régissant la construction, ne constitue, en elle-même, ni un trouble apporté aux relations de voisinage, ni un inconvénient excessif de celui-ci. On ne peut pas, non plus, déduire l’existence d’un trouble du seul fait qu’une infraction à disposition légale ou administrative a été commise.65 Comme le disait le Doyen Carbonnier, la théorie des troubles de voisinage visent à sanctionner l’anormal, pas l’illicite.66 Ainsi, les particuliers ne peuvent invoquer, devant les tribunaux de l’ordre judiciaire, la violation des règles d’urbanisme, alors même que la juridiction administrative a prononcé l’annulation du permis de construire, à moins d’établir l’existence d’un préjudice personnel, en relation avec l’infraction et non avec la seule présence de constructions environnantes. C’est donc à bon droit que les demandeurs avaient été déboutés de leur action, les juges du fond ayant souverainement relevés que le préjudice résultant de l’irrégularité de la construction était inexistant67. Dès lors, le fait qu’une construction a été édifiée sans permis de construire et en violation du plan d’occupation des sols ne suffit pas à caractériser le trouble. En effet, les autorisations d’urbanisme sont toujours octroyées sans préjudice du droit des tiers. Par
64 Littré, Vo trouble.
65 Cass. 2e civ., 17 fev. 1993 : RCA 1993, comm. n° 159.
66 V. Carbonnier (J.), Droit civil, T. 4, 22e éd., 2000, n° 232, p. 422 et T. 3, 19e éd., 2000, n° 167, p. 272. 67 Cass. 3e civ., 29 janv. 1992: RCA 1992, comm. n° 128.

 
exemple, il a été jugé par la Cour de cassation que : « Les juges du fond ne peuvent déduire l’existence de troubles anormaux de voisinage de la seule infraction à une disposition administrative, sans rechercher s’ils avaient excédé les troubles normaux de voisinage68 ». Encore faut-il qu’existe une relation directe de causalité entre l’infraction à une règle d’urbanisme et le préjudice allégué. Par conséquent, les juges du fond ne sauraient décider de la démolition d’un ouvrage au seul motif qu’il n’est pas conforme au permis de construire, sans rechercher si cet ouvrage cause un préjudice au demandeur.69
Si la preuve d’un dommage est nécessaire, tous les dommages n’ouvrent pas droit à réparation : encore faut-il qu’ils aient certaines caractéristiques.
2. Les caractéristiques du dommage
Il est incontestable que toute opération de construction est de nature à provoquer une gêne pour le voisinage de son lieu de réalisation. Qu’il s’agisse des engins de construction, des bruits ou des poussières dégagées par le chantier, ils causent toujours un trouble à l’environnement dans lequel le nouveau bâtiment est amené à prendre place. De la même façon, la construction une fois réalisée est susceptible de diminuer l’agrément des propriétés voisines, même lorsqu’elle respecte scrupuleusement les prescriptions administratives. Mais il ne faut pas pour autant que les voisins aient la possibilité de paralyser tout projet immobilier.
Il importe à présent de préciser quel est l’inconvénient qui est de nature à ouvrir droit à réparation.
La permanence ou la répétitivité de la nuisance, ainsi que sa durabilité, sont souvent présentées comme caractéristiques du trouble de voisinage, si bien que devrait être exclue toute application de la responsabilité spéciale aux dommages ponctuels et accidentels, tels qu’explosion, incendie, effondrement, ruine d’un bâtiment… De même un glissement de terrain ne peut certainement pas être assimilé à un trouble de voisinage, même s’il affecte un fonds voisin.
Pourtant, dans le domaine de la construction, les juges n’hésitent pas à faire application de la responsabilité pour trouble du voisinage en cas de dommage instantané et
purement accidentel.70
68 Cass. 2e civ., 17 févr. 1993 : Bull. civ. II, n° 68; Cass. 3e civ., 11 févr. 1998 : Bull. civ. III, n° 34.
69 Cass. 3e civ., 7 oct. 1998 : RCA 1999, comm. n° 2.
70 Cass. 3e civ., 30 juin 1998, RTD civ. 1999 p. 114 ; Cass. 2e civ., 11 févr. 1999, RCA 1999, comm. 101.

 
Dans un arrêt du 19 juin 200371 la deuxième chambre civile de la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence en refusant d’appliquer la théorie des troubles anormaux de voisinage à un glissement de terrain. Elle confirme donc que cette théorie doit être écartée au profit de l’article 1384, alinéa 1er du code civil, probablement parce que l’événement dommageable ne présentait pas les caractères d’un véritable trouble du voisinage.
Ensuite, il ne suffit pas que l’inconvénient existe, encore faut-il qu’il soit dommageable. Il s’agit là d’une question de fait livrée à l’appréciation souveraine des juges du fond.72 Par exemple, la Cour de cassation a jugé que : « du principe que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, il résulte que les juges du fond doivent rechercher si les nuisances, même en l’absence de toute infraction aux règlements, n’excèdent pas les inconvénients normaux de voisinage73 ».
La Cour de cassation se réserve le soin de vérifier que les juges du fond ont « suffisamment caractérisé le dommage comme anormal et continu et n’ont pas motivé leur refus par de simples considérations générales »74. Par exemple, la Cour d’appel de Paris avait retenu que la construction de la maison de la culture du Japon avait causé des préjudices et que des appartements voisins avaient subi une dépréciation liée à des pertes de vue et, d’une façon limitée, de jour. Même si les juges du fond sont souverains pour apprécier l’anormalité du trouble lié à la réalisation des travaux, il est nécessaire que celle-ci soit effectivement caractérisée. C’est d’ailleurs pour ne pas avoir procédé à cette appréciation du caractère anormal du trouble, que l’arrêt de la Cour d’appel encourt la cassation.75
Le caractère excessif du préjudice doit s’apprécier compte tenu de toutes les circonstances du cas et notamment de sa permanence. Il est naturel que les voisins supportent mutuellement certains inconvénients inhérents à cette situation. Le tout est de trouver la norme de tolérance et, par conséquent au-delà, le seuil de nuisance à partir duquel apparaît l’obligation de réparer. Il est possible de déclarer que le dommage qui donne lieu à réparation est le dommage anormal. Selon Mazeaud et Tunc, il faut désigner seulement par dommage anormal celui que les voisins n’ont pas l’habitude de subir dans telles ou telles régions et à de telles ou telles époques.76 La difficulté réside dans la détermination de la notion de trouble. On peut concevoir que ce qui est tolérable dans une zone industrielle ne le soit pas dans un
71 Cass. 2e civ., 19 juin 2003, Batimur c/ Mele et autres, arrêt n° 939 FS-P+B, RTD civ. oct./déc. 2003 p. 715
716.
72 Cass. 3e civ., 4 janv. 1990 : RCA 1990, comm. n° 107.
73 Cass. 3e civ., 24 oct. 1990 : Bull. civ. III, n° 205. 74 Cass. 2e civ., 18 juin 1997 : Juris-Data n° 002938.
75 Cass. 3e civ., 29 avr. 2002 : RDI mars/avr. 2003 p.154.
76 Mazeaud (H. et L.) et Tunc (A.) : Traité théorique et pratique de la responsabilité délictuelle et contractuelle,
T. 1 : 1965, n° 600.

 
quartier d’habitations, que ce qui est supportable dans un secteur urbain ne le soit pas dans une zone rurale, ou que ce qui est admissible dans un quartier à forte densité de population ne le soit pas dans une zone résidentielle. Par exemple, la réduction d’ensoleillement dans une cuisine, dont la durée varie selon les saisons, constitue un inconvénient normal et prévisible de voisinage en zone urbaine d’habitat continu, la perte d’ensoleillement minime ne créant pas d’obscurité préjudiciable à l’habitabilité de l’immeuble voisin77. A ce stade, il s’agit de se demander, objectivement, si le dommage invoqué existe. Ensuite, si la réponse est affirmative, la question est de savoir si ce dommage est anormal. Pour juger de la normalité du dommage allégué, il est nécessaire de la rapporter aux paramètres de son environnement, de tenir compte, par exemple, de la qualité de la construction en cause78, de la topographie, du sens des vents dominants, etc.
Conformément aux principes généraux de la responsabilité extra-contractuelle, le dommage doit être apprécié in concreto. La Cour d’appel d’Aix-en–Provence,79 par exemple, a jugé que le caractère anormal d’un trouble de voisinage doit s’apprécier in concreto en tenant compte des circonstances de lieu. Autre exemple, la Cour d’appel de Reims a jugé que lorsqu’il y a un trouble de voisinage, il faut l’apprécier au regard de la destination normale et habituelle du fonds troublé.80 Enfin, la Cour de cassation a pu juger que : « Les juges du fond apprécient souverainement en fonction des circonstances de temps et de lieu la limite de la normalité des troubles de voisinage81 ».
A ce stade du développement, on peut se demander si l’inconvénient de voisinage devient anormal du seul fait de la propre anormalité de celui qui l’invoque. C’est dire si la situation personnelle du demandeur peut jouer un rôle. La jurisprudence est assez peu résolue à prendre en compte la prédisposition de la victime82.
L’appréciation in concreto ne signifie pas pour autant qu’elle est arbitraire. Il existe en effet, en la matière, de plus en plus de paramètres techniques permettant d’évaluer le franchissement du seuil de la normalité. Les juges utilisent les services d’experts, tant pour les constatations que pour les préconisations des mesures à prendre. Il n’est pas rare non plus que les tribunaux se réfèrent à des rapports ou à des préconisations d’origine administrative, comme par exemple le rapport de la direction régionale de l’industrie, de la recherche et de
77 CA Paris, 19e ch. A, 22 avril 1997 : Juris-Data n° 020965.
78 CA Riom, 10 avril 1997, Juris-Data n° 041629.
79 CA Aix-en-Provence, 4e ch. B, 15 oct. 1996 : Juris-Data n° 046364. 80 CA Reims, 21 dec. 1982, Juris-Data n° 043712.
81 Cass. 3e civ., 3 nov. 1977 : D. 1978 p. 434, note Caballero ; Cass. 2e civ., 27 mai 1999 : Bull. civ. II, n° 100 ;
RDI 2000 p. 17, obs. Bergel.
82 CA Orléans, 18 dec. 1967 : Gaz. Pal. 1968, I, p. 262, note Blaevoet.

 
l’environnement, ou à des normes réglementaires, notamment en matière de nuisance acoustique.
L’anormalité du trouble doit être appréciée en fonction de sa gravité et de sa durée. S’agissant d’un chantier de construction, elle doit l’être par référence à l’environnement des lieux, aux inconvénients habituels du quartier, non par référence aux nuisances habituelles d’un chantier. Si, pour déterminer un trouble anormal, on prend comme critère les nuisances habituelles d’un chantier, c’est qu’on raisonne en terme de faute. En effet, cela équivaut à rechercher si le chantier a été mené normalement ou non, alors que la notion de troubles de voisinage est en principe totalement indépendante de la notion de faute.
Si le trouble anormal est caractérisé, le voisin victime peut demander au juge non seulement la réparation du trouble subi mais aussi la cessation du trouble pour l’avenir, ou du moins son atténuation.

Paragraphe II : La réparation des troubles anormaux de voisinage

Jugés comme une atteinte à la propriété, les troubles anormaux de voisinage doivent cesser. Ne pas les supprimer mais accorder un dédommagement à la victime pour préjudice subi, signifierait tolérer les atteintes à la propriété moyennant indemnité. C’est pourquoi, le juge doit toujours préférer la cessation du trouble en plus de l’allocation d’une indemnité pour le préjudice déjà subi, plutôt qu’une réparation par équivalent. Ce n’est qu’exceptionnellement, et lorsque la cessation du trouble n’est pas possible, qu’il faut prendre des mesures pour l’atténuer. Quoi qu’il en soit l’ensemble de ces mesures est accompagné de dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi. C’est généralement le maître de l'ouvrage, propriétaire du terrain à l’origine des nuisances, qui est assigné par les voisins victimes en réparation de ces troubles. Une fois le trouble constaté par les juges, il doit cesser et être réparé. En effet, étant une responsabilité objective, le seul constat d’un trouble qui excède les inconvénients normaux de voisinage, ainsi que la preuve du lien causal entre ce dernier et l’activité incriminée, suffit à engager la responsabilité du maître de l'ouvrage. Même s’il ne peut pas s’exonérer en rapportant la preuve d’une faute, le maître de l'ouvrage n’est pas pour autant démuni de toutes causes d’exonérations.
 
Dès lors, nous allons exposer les modes de réparation des troubles anormaux de voisinage, avant d’étudier les causes d’exonérations du maître de l'ouvrage.

A. Les modes de réparation

Selon la Cour de cassation, le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage.83 Il s’agit de faire disparaître le dommage, ce que seule la réparation en nature est en mesure d’accomplir.
En effet, la réparation en nature a pour but de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit. Quant à la réparation par équivalent, il s’agit d’une compensation, qui n’est pas forcément pécuniaire. Mme Roujou de Boubée a mis en lumière la distinction entre réparation du préjudice et suppression de l’illicite.84 Lorsque le juge ordonne la réfection d’un immeuble abîmé, il s’agit d’une réparation, et lorsqu’il prescrit des mesures destinées à faire cesser une situation non conforme au droit, nous sommes en présence d’une suppression de l’illicite. Alors que la réparation à proprement parler opère sur la matière du préjudice, la suppression de l’illicite agit sur sa cause. Elle a pour but d’empêcher le dommage de se produire en touchant au fait générateur. Une personne qui risque de souffrir d’un dommage illicite peut obtenir du juge, avant même sa réalisation, la suppression du fait constitutif, afin d’en prévenir la survenance.
Les juges du fond ont eu pendant longtemps la liberté de choix quant au mode de réparation du préjudice causé par les troubles anormaux de voisinage. Mais depuis un certain temps, une partie de la doctrine, comme Mazeaud, Tunc et Chabas,85 estime que ce choix appartient à la victime auquel le juge ne peut se substituer.
S’il est de principe que la réparation des troubles anormaux de voisinage se fait en nature, il se peut néanmoins et dans certains cas qu’elle se fasse par équivalent.
83 Cass. 2e civ., 7 déc. 1978 : Bull. civ. II, n° 269.
84 Roujou de Boubée (M.-E.), Essai sur la notion de réparation, LGDJ 1974, p. 161 et suiv.
85 J. Mazeaud, A. Tunc et F. Chaba, Traité théorique et pratique de la responsabilité délictuelle et contractuelle, Montchrétien, t. I, 6e éd. 1965 ; t. II, 5e éd. 1982 ; t. III, 6e éd. 
86 Mevoungou Nsana (R.), Le préjudice causé par un ouvrage immobilier : réparation en nature ou équivalent ?, RTD civ. 1995 p. 760 et suiv.
87 CA Agen, 2 févr. 1971, Gaz. Pal. 1971, I p. 328 ; RTD civ. 1971 p. 673, obs. Bredin. 88 Cass. 2e civ., 3 déc. 1964, D. 1965 p. 321, note Esmein.
89 Cass. 1re civ., 3 mai 1965, Bull. civ. I, n° 274.
90 Cass. 2e civ., 16 juill. 1992, JCP éd. G 1993, II, 22017, note Ph. Le Tourneau. 91 Cass. 2e civ., 20 oct. 1976, Bull. civ. II, n° 280.
92 Cass. 3e civ., 3 oct. 1985, Bull. civ., III, n° 118, surélévation des conduits de fumée.

par

1. Le principe de la réparation en nature

La réparation des troubles anormaux de voisinage peut prendre des formes diverses.
En dehors de la solution radicale préconisée lorsque la propriété de la victime est empiétée, la réparation des dommages provoqués par des nuisances pose un problème de priorité entre la sanction en nature, lorsqu’elle est demandée par la victime, et certains intérêts que le juge doit sauvegarder. Ces intérêts rivaux sont représentés par la situation de l’auteur du dommage et de la société tout entière.
Ainsi, face à une demande en réparation en nature, le juge doit distinguer entre les mesures dites de construction, qui tendent à réduire le dommage, et celles qui tendent à sa suppression, les mesures de démolition. En d’autres termes, le choix du juge peut avoir des conséquences très graves sur les propriétés qui sont à l’origine des dommages.
Les mesures de construction sont celles qui obligent le défenseur à effectuer des travaux sur un ouvrage immobilier pour que les inconvénients de voisinage qu’il génère retrouvent le seuil d’anormalité supportable, ou cessent tout simplement de produire des effets nocifs.86 Le juge les prononce plus aisément. Ainsi, par exemple, un propriétaire d’un immeuble dont la masse faisait écran à la propagation des émissions de télévision a été condamné à installer des dispositifs de réémission capables d’établir des conditions de réception satisfaisantes pour les immeubles voisins.87De la même façon, il a été mis à la charge d’un propriétaire l’obligation de sur-élever les cheminées ou de raccorder les radiateurs du voisin aux canalisations du chauffage urbain,88 ou encore de modifier un hangar.89
Des réparations en nature peuvent être ordonnées, éventuellement sous astreinte,90sous forme de travaux destinés à diminuer les troubles, soit à leur source chez le pollueur,91soit à leur débouché chez la victime.92 Les juges du fond apprécient les mesures propres à faire cesser le trouble et à le réparer dans l’exercice de leur pouvoir souverain. « Une cour d’appel apprécie souverainement la mesure propre à faire cesser le troubles anormal de voisinage93 ». Dans cette décision qui concernait un circuit de Karting, les juges ont pu interdire, sous astreinte, toute épreuve en attendant sa mise en conformité.
En revanche, les mesures de démolition sont celles qui entraînent la suppression des ouvrages. A leur égard, la jurisprudence les accorde avec parcimonie, sans toutefois aller jusqu’à la destruction des bâtiments entiers. Par exemple, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 22 avril 1975, ordonné l’enlèvement des barres d’acier enfoncées dans la propriété voisine en vue de fixer un mur.94 De la même manière, elle a condamné un propriétaire à la suppression d’un équipement de climatisation très bruyant.95
En ce domaine, la jurisprudence n’est pas constante. Par exemple, la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 décembre 1970,96après avoir censuré les premiers juges qui ont déclaré irrecevable un voisin à poursuivre la démolition d’un bâtiment, ne lui accorde finalement que des dommages-intérêts. Même si cette jurisprudence admet le principe d’une réparation en nature, elle ne franchit pas le pas afin de prescrire la condamnation qui s’impose. Dans la même lignée, lorsque les juridictions ordonnent la condamnation à démolition, cette dernière, jugée comme seule sanction adéquate, touche non la totalité de l’immeuble, mais la partie qui cause le trouble anormal.97
Reste néanmoins à savoir si une construction faite en violation d’une règle d’urbanisme dont il résulte un préjudice personnel pour les voisins, doit être démolie.
En effet, lorsqu’une construction a été édifiée en violation des règles d’urbanisme et que le propriétaire voisin montre que la violation des prescriptions lui cause un préjudice, la Cour de cassation fonde le droit d’obtenir la destruction de l’ouvrage en cause sur l’article 1143 du code civil et non sur la théorie des troubles anormaux de voisinage.98 La Cour se sert de cet article pour sanctionner la violation d’une obligation non contractuelle. Aux termes de ce texte : « le créancier a droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ». Selon M. Chaibou,99 l’invocation de l’article 1143 du code civil pour demander la suppression de l’illicite est souvent faite lorsque les parties sont tenues par des obligations contractuelles. Il en est ainsi, par exemple, en cas de violation des stipulations
93 Cass. 2e civ., 9 oct. 1996, Bull. civ. II, n° 231.
94 Cass. 22 avr. 1975, Gaz. Pal. 1975. II. p. 618.
95 CA Dijon, 8 oct. 1968, Gaz. Pal. 1968, II p. 390.
96 Cass. 3e civ., 11 déc. 1970, Bull. civ. III, n° 699.
97 CA Paris, 17 sept. 1986, Gaz. pal. 1987. somm. 17-18 août 1987.
98 Cass. 3e civ., 30 sept. 1998, Dr. env., juin 1999, p. 11, note Guihal, D. 1999 p. 374, note Kenderian.
99 Chaibou (A.), L’application de l’article 1143 du code civil et la théorie des troubles anormaux de voisinage, JCP N, n°20 du 15 mai 1998.

 
de cahier des charges, ou d’une servitude de lotissement. Cependant l’application de ce texte intervient dans les relations de voisinage lorsque les voisins invoquent la violation d’une règle d’urbanisme pour obtenir la démolition d’une construction litigieuse.
Or, comme le souligne M. Kenderian, le visa de l’article 1143 du code civil est artificiel et inutile, même si l’application extensive de cette disposition contractuelle au délit civil qu’est le trouble anormal de voisinage, permet d’automatiser « la sentence aveugle de la démolition » dans un domaine où les juges hésitent à demander la démolition demandée par la victime d’un trouble. La Cour de cassation a énoncé, dans un arrêt du 28 mars 2001,100 le principe selon lequel « la violation des règles de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme peut être invoquée au soutien d’une action en démolition engagée sur le fondement de l’article 1382 du code civil ». Selon Mme Gaillot-Mercier,101 la Cour de cassation se fonde sur l’article 1382 du code civil et non sur la théorie des troubles anormaux de voisinage conformément au principe affirmé en 1994, aux termes duquel l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme ne s’applique pas aux actions fondées sur les troubles de voisinage.102
En résumé si l’exploitation, en plus des nuisances qu’elle occasionne au voisinage, est installée en contravention aux règles de l’urbanisme, l’article 1143 du code civil permet de demander la démolition de la construction illicite. Le fondement de la demande sur la seule théorie des troubles anormaux de voisinage, n’aurait pas nécessairement abouti à un tel résultat. En effet, comme nous l’avons exposé, les juges sont réticents à condamner à la démolition et préfèrent ordonner des travaux qui tendent à réduire ou à faire cesser les nuisances. En revanche, lorsque le demandeur invoque l’application de l’article 1143 du code civil et justifie d’un trouble anormal de voisinage, la démolition de la construction litigieuse édifiée en contravention d’une règle d’urbanisme d’utilité publique s’impose. C’est pour cela que selon M. Chaibou,103 l’action en suppression de l’illicite, sur le fondement de l’article 1143 du code civil, tend vers l’unification d’un régime spécial de réparation distinct de la réparation en nature stricto sensu.

La condamnation en nature, comme la destruction de l’ouvrage nuisible ou sa remise en conformité, paraît être la meilleure des réparations. Seulement, il y a des situations dans lesquelles ces mesures ne sont plus possibles, c’est pourquoi seule la réparation par équivalent reste envisageable.
100 Cass. 3e civ., 28 mars 2001, Bull. civ. III, n° 40, Constr.-Urb., juill./août 2001, n° 147, note Cornille. 101 Gaillot-Mercier, Rép. civ. Dalloz, Vo troubles de voisinage, sept. 2002. 102 Cass. 3e civ., 20 juill. 1994, Bull. civ. III, n° 158, JCP 1994, I, p. 3809, obs. Viney. 103 Obs. Chaibou (A.), préc. note 99.
 
2. Le domaine résiduel de la réparation par équivalent

La réparation des préjudices causés par des nuisances d’origine immobilière s’octroie en nature. Dès lors, le juge n’a pas le choix entre la suppression des sources de dommages et la réparation pécuniaire. Néanmoins, la demande de la victime, aux fins d’obtenir la démolition d’un ouvrage ou sa mise en conformité, ne peut être satisfaite si le juge rencontre une impossibilité de nature matérielle ou juridique. En effet, la limitation de la condamnation du débiteur à l’exécution en nature a des origines légales ; ainsi, l’article 1184, alinéa 2 du code civil nous précise que « … La partie envers laquelle l’engagement n’a point été résolu, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention, lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages-intérêts ». L’article 1903 du dit code prévoit que : « Si le débiteur est dans l’impossibilité d’y satisfaire, il est tenu d’en payer la valeur eu égard au temps et au lieu où la chose devait être rendue d’après la convention ».
Tout d’abord, concernant les obstacles matériels à la réparation en nature, celle-ci n’est ordonnée par le juge que s’il est possible matériellement d’agir. Très souvent, l’on caractérise l’obstacle matériel à l’exécution en nature par le fait qu’il ne soit plus envisageable d’appréhender physiquement la cause du dommage. En d’autres termes, lorsque la source du dommage a disparu, le juge ne peut ordonner qu’une réparation en argent. C’est ainsi, par exemple, que le propriétaire d’un immeuble qui empêche par sa masse la bonne réception des ondes radio-phoniques et télévisuelles n’est plus condamné à l’exécution en nature lorsque le centre d’émissions a déjà procédé aux installations techniques nécessaires. Autre exemple, on a condamner à verser une indemnité pour avoir privé l’immeuble voisin de tout ensoleillement au point de le transformer en fond de puits.104 Le juge accorde plutôt des dommages-intérêts pour le préjudice subi dans le passé. Les tribunaux accordent donc des dommages-intérêts pour la réparation du préjudice passé ou actuel et définitif comme la dépréciation d’un bien105
ou encore futur.106
Une situation tout à fait différente est celle où le dommage subsiste au moment où le juge statue. Il se trouve alors en présence d’une impossibilité de réparer en nature due à des circonstances autres que la disparition du dommage. Dans la majorité des cas, sa décision est influencée par des considérations d’ordre économique, car chaque fois que ces intérêts sont en balance avec le droit à la tranquillité d’un foyer, seule la réparation par équivalent est allouée.
104 Cass. 3e civ., 18 juill. 1972, JCP 1972, II, p. 17203, rapport Fabre ; RTD civ. 1974 p. 637, obs. Bredin. 105 Cass. 2e civ., 30 janv. 1985, Bull. civ. II, n°24.
106 Cour d'appel Toulouse, 17 mars 1970, JCP éd. G 1970, II, 16534, rente tant que subsistera le dommage.

 
Généralement, à ces considérations économiques annonciatrices de la réparation pécuniaire, se greffent des considérations techniques. Dès lors, le juge n’accorde pas une réparation en nature à la victime lorsque la destruction de l’ouvrage est susceptible de causer un préjudice plus grand aux voisins et à l’auteur du dommage, qu’il soit propriétaire ou
promoteur.107
Toutefois la jurisprudence se montre très stricte dans l’appréciation de cette impossibilité. Ainsi l’auteur du dommage doit-il invoquer une impossibilité absolue pour échapper à la condamnation en nature, et non une « simple difficulté rendant l’exécution plus ardue ou onéreuse […] ».108La même tendance à la sévérité se manifeste dans l’appréciation de l’impossibilité juridique.
Ensuite, concernant les obstacles juridiques à la réparation en nature, la condamnation en nature crée, à la charge du constructeur qui provoque des nuisances, une obligation de faire ou de ne pas faire. Il doit détruire les ouvrages ou cesser l’activité dommageable. Or, en vertu de l’article 1142 du code civil : « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part le débiteur ». Selon M. Mevoungou Nsana109 ce principe peut s’étendre en matière délictuelle, et dès lors, on ne peut contraindre le responsable du trouble anormal de voisinage à faire ou à ne pas faire quelque chose.
Il en va différemment du second type d’obstacle juridique, à savoir le principe de la séparation des pouvoirs entre les autorités administratives et judiciaires. Ce principe influence de façon déterminante la forme de la réparation que le juge judiciaire doit accorder à la victime des troubles de voisinage et des désordres, car, en pratique, la plupart des constructions voient le jour après l’obtention d’une autorisation administrative. Or, la régularité de celle-ci ne peut être appréciée que par le juge administratif. En d’autres termes, on se demande si les tribunaux civils sont en mesure de faire cesser toute nuisance causée par un ouvrage bénéficiant d’une autorisation administrative, ou simplement de la réduire pour qu’elle atteigne le seuil d’anormalité supportable.110 Peuvent-ils condamner le propriétaire à cesser une activité, à modifier ou à détruire tout édifice conforme au permis de construire ?
Les arrêts rendus ont proclamé l’incompétence du juge civil à connaître les actes administratifs. En effet, le tribunal des conflits par un arrêt du 23 mai 1927 a décidé que :
107 Cass. 1re civ., 5 déc. 1973, Bull. civ. I, n° 339, p. 300 ; Cass. 3e civ., 18 juill. 1972, D. 1974, p. 73, note De La Marnière.
108 CA Paris, 17 juill. 1946, D. 1948 p. 171, note A. Weill.
109 Mevoungou Nsana (R.), « Le préjudice causé par un ouvrage immobilier : réparation en nature ou par équivalent ? », RTD civ. 1995 p. 760 et suiv.
110 Meyer-fabre (N.), « constructions neuves: Les troubles “visuels » du voisinage : la recherche du critère d’anormalité », AJPI 1988 p. 149.
 
« les tribunaux judiciaires n’ont compétence pour se prononcer sur les dommages-intérêts à allouer aux tiers que sur les mesures propres à faire cesser le préjudice […] dans l’avenir à condition que ces mesures ne contrarient pas les prescriptions édictées par l’administration dans l’intérêt de la sûreté et de la salubrité publique ». Dès ce moment, le juge judiciaire ne pouvait interdire une activité autorisée par l’administration.111 Ne pouvaient être ordonnés, ni la destruction d’un ouvrage ou la fermeture d’un chantier de construction régulièrement autorisé,112 ni l’accomplissement par le responsable de travaux susceptibles par leur ampleur de rendre leur déroulement impossible.
Avec la loi du 31 janvier 1976 qui a introduit l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme, on revient à une séparation stricte des pouvoirs et à ses effets contrariants sur le plan de la réparation des préjudices, qui orientent le juge judiciaire vers les condamnations par équivalent.
Désormais, « lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal judiciaire à la réparation du préjudice causé par la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir ou son illégalité a été constatée par la juridiction administrative […] 113 ». Dès lors on peut déduire de cette décision qu’il s’agit d’une question préjudicielle qui oblige le juge civil à surseoir à statuer tant que le juge administratif ne se sera pas prononcé sur la régularité du permis.
Néanmoins, la 3e chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 31 janvier 1984114 apporte des restrictions à l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme. En effet, la Cour a décidé qu’il appartient aux juges du fond, saisis par un propriétaire d’une demande en démolition d’un ouvrage irrégulièrement implanté au regard de la servitude de reculement prescrite par le plan d’occupation des sols, « de statuer sur la partie du litige qui relève de leur compétence si l’infraction est caractérisée et a causé préjudice à l’intéressé et, dans l’affirmative, ils ont le devoir […] de renvoyer à la juridiction administrative […] avant de prononcer la condamnation, l’appréciation de la légalité du permis de construire » et ce même si le demandeur n’a pas attaqué devant le juge administratif le permis de construire délivré au constructeur. En vertu de l’arrêt du 20 juillet 1989,115 il doit rechercher si la
111 Cass. 1re Civ., 8 juill. 1951, Bull. civ. I, n° 302, p. 258.
112 Req. 14 janv. 1944, DA 1944. J. 1945 ; Cass. civ., 5 nov. 1965, D. 1964 p. 178, note Gabolde.
113 Saint Alary, Droit de la construction, p. 217 ; T. confl. 16 juin 1923, Sept Fonds, Grands Arrêts du droit administratif.
114 Cass. 3e civ., 31 janv. 1984, Epoux Vergriète c/SCI Les tennis, Defrénois, 1984, art. 33418. 115 Cass. 3e civ., 20 juill. 1989, Epoux Prefontan, Bull. civ. III, n° 175.

 
construction dommageable est conforme aux règles d’urbanisme et surtout « si l’annulation du permis est fondée sur des règles distinctes de celles qui sont l’objet de l’infraction 116».
Selon M. Mevoungou Nsana,117 les constructeurs et les propriétaires profitent de l’inertie de l’administration. En revanche, un « rééquilibrage des rapports de force » a été opéré par la jurisprudence civile en faveur des victimes qui fait désormais du principe de la séparation des pouvoirs un principe « d’interprétation souple ».
Outre la séparation des autorités, certains, comme Mme Hauksson-Tresch,118ont pu justifier l’inertie du juge au regard de la suppression de l’illicite, par l’idée selon laquelle le premier occupant aurait une sorte de droit acquis à nuire. Ce droit, issu de la préoccupation, est consacré par l’article L. 122-16 du code de la construction et de l'habitation. Selon ce texte, il faut considérer que celui qui s’installe à proximité d’une zone industrielle, commerciale ou artisanale, ne peut obtenir réparation de son préjudice, car il a en quelque sorte accepté les inconvénients auxquels il s’expose. Seule une éventuelle aggravation des nuisances peut être prise en compte.119 Cette règle pose la question de savoir jusqu’à quel point elle reste en conformité avec le principe du droit à réparation.
Quoi qu’il en soit, les obstacles juridiques à la réparation en nature sortent largement affaiblis par les interprétations et les applications qu’en fait le droit positif. En d’autres termes, le juge qui rencontre ces obstacles dans un litige n’est pas obligé d’allouer uniquement des dommages-intérêts à la victime. Le recours à la réparation par équivalent s’est encore accentué considérablement, si bien que la solution du maintien d’un ouvrage immobilier moyennant indemnité gagnerait beaucoup de la prise en compte de l’intérêt général. Ainsi pour faire un parallèle avec les ouvrages publics, même s’ils ne relèvent pas de notre étude, on peut constater également une interprétation souple du principe de séparation des pouvoirs. Pendant longtemps et jusqu’à une période récente, sous couvert de l’intérêt général, le juge judiciaire a refusé de prescrire à l’administration non seulement les travaux susceptibles de faire cesser le trouble causé aux voisins, mais aussi la destruction des ouvrages publics. Il leur accorde généralement une indemnité. Mais depuis un arrêt du 20 avril 2003,120 suite à une longue évolution, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel qui retient que « le juge judiciaire ne peut ordonner la destruction de l’ouvrage
116 Cass. 3e civ., 28 mai 1986, Bull. civ. III, n° 81, p. 62, obs. J-L. Bergel, RDI 1987, II, p. 205. Cass. 3e civ., 8 oct. 1986, D. 1986, II p. 573, note Sargos ; RDI 1987, I, p. 35, obs. J-L. Bergel.
117 Mevoungou Nsana (R.), Le préjudice causé par un ouvrage immobilier : réparation en nature ou par équivalent ?, RTD civ. 1995 p. 760 et suiv.
118 Hauksson-Tresch (N.) : La détermination par le juge du mode de réparation, Petites affiches, 29 mai 1998, n° 64, p. 4-15.
119 Cass. 2e civ., 3 févr. 1993, RCA 1993, n° 160.
120 Cass. 3e civ., 20 avril 2003, Bull. civ. III, n° 92. 

121 Cass. 2e civ., 5 janv. 1983 : Bull. civ. II, n° 3.
public, mais a le pouvoir d’allouer des dommages-intérêts à celui qui subit un préjudice à la suite d’une voie de fait ». Elle retient que « si les juridictions de l’ordre judiciaire ne peuvent prescrire aucune mesure de nature à porter atteinte, sous quelque forme que ce soit, à l’intégrité et au fonctionnement d’un ouvrage public […] il en va autrement dans l’hypothèse où la réalisation de l’ouvrage procède d’un acte qui est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l’administration et qu’aucune procédure de régularisation appropriée n’a été engagée ». Autrement dit quant il y a voie de fait.
Le refus d’ordonner la cessation d’une situation illicite ne peut se justifier juridiquement. La seule explication possible serait que l’activité autorisée présente une utilité sociale dont l’intérêt est supérieur à l’intérêt privé.

Si le juge condamne le maître de l'ouvrage à réparer les troubles occasionnés par la construction, celui-ci peut invoquer des causes d’exonération.


B. Les causes d’exonérations du maître de l’ouvrage

Etant une responsabilité objective, la théorie des troubles anormaux de voisinage est indifférente à la notion de faute. La jurisprudence paraît, à l’exclusion de la faute de la victime, n’assortir cette théorie d’aucune autre cause d’exonération. A cette cause d’exonération s’ajoute peut-être « une cause d’immunité » résultant de la préoccupation en cas de nuisances dues à des activités agricoles, industrielles ou artisanales, prévue par l’article L. 112-16 code de la construction et de l'habitation.
En effet, selon la Cour de cassation, l’article L. 112-16 du code de la construction et de l'habitation, substitué à l’article L. 421-9 du code de l’urbanisme par la loi du 4 juillet 1980, précise que le dommage n’entraîne pas droit à réparation121seulement lorsque les activités auxquelles les nuisances sont dues se sont exercées antérieurement à la demande de permis de construire faite par le réclamant, en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et lorsqu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions.
Dès lors, nous allons préciser quelles sont les causes d’exonérations que le maître de l'ouvrage peut invoquer, avant d’expliquer en quoi certaines causes d’exonérations sont inopérantes.
 
1. Les causes d’exonérations admissibles en matière de troubles anormaux de voisinage
Tout d’abord, les juridictions civiles admettent que la responsabilité pour troubles de voisinage puisse se trouver totalement ou partiellement écartée si la victime a, par sa faute, contribué au trouble dont elle se plaint. En effet, la faute de la victime peut être alléguée pour tenter de combattre l’anormalité du trouble, et exonère ainsi de sa responsabilité, partiellement ou totalement, l’auteur du trouble, si cette activité est licite. C’est le cas par exemple d’un promoteur qui construit un immeuble à côté d’un aérodrome, sans prendre les précautions nécessaires contre le bruit.122 L’imprévoyance est assimilée à une faute exonératoire de responsabilité : les riverains auraient dû prendre la mesure des risques pris en s’installant à côté d’un aéroport. Quelquefois, les juges du fond prennent en compte le comportement de la victime pour réduire son indemnisation ; par exemple, la Cour d’appel de Dijon123 a qualifié de risque délibéré l’installation d’une habitation à côté d’une zone industrielle, ce qui a pour effet « une diminution prévisible du confort d’environnement » occasionnant une moins value immobilière dont il doit être tenu compte.
Une jurisprudence récente de la Cour de cassation semble confirmer que la faute de la victime peut justifier un partage de responsabilité. En effet dans cette affaire, il a été tenu compte de la faute du propriétaire des berges d’une rivière qui n’a pas fait procéder à des travaux confortatifs et qui a subi ultérieurement un dommage généré par une construction
riveraine.124
De la même façon, en n’entretenant pas convenablement son immeuble, le voisin qui se plaint de dommages à la suite des travaux entrepris sur le fonds proche du sien, commet une faute qui, dans la mesure où elle a contribué au préjudice subi par son immeuble, doit exonérer totalement ou partiellement de sa responsabilité le défendeur.
En revanche, la vétusté de l’immeuble voisin, l’absence, l’insuffisance, ou la légèreté de ses fondations, qui ne s’analysent pas comme une faute mais comme une simple prédisposition, ne sont jamais prises en considération pour écarter même en partie la responsabilité du propriétaire dont l’ouvrage a causé des désordres à cet immeuble.

122 Cass. 2e civ., 8 mai 1968, Bull. civ. II, n° 122.
123 C.A. Dijon, 12 avr. 1991, D. 1993, somm. 37, obs. Robert.
124 Cass. 3e civ., 20 mai 1998, Const.-Urb., n°hors série, déc. 2000, p. 44, n° 241. 
125 Cass. 3e civ., 27 avr. 2000, Bull. civ. III, n° 92, Constr.-Urb., juill./aout 2000, n° 186, obs. Sizaire.


Ensuite, la question est de savoir si la victime est autorisée à se plaindre des nuisances d’un voisin installé antérieurement : c’est la théorie de la pré-occupation. En effet, il est tentant d’invoquer « une sorte de loi du premier occupant » pour essayer de faire échec à une demande en réparation pour troubles de voisinage. D’ailleurs, n’y a-t-il pas acceptation des risques en voulant s’installer auprès d’une activité qui génère des nuisances ?
Quoi qu’il en soit, la loi en a fait une cause d’exonération. En effet, aux termes de l’article L. 112-16 : « les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales ou commerciales, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé aux nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant, dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles sont poursuivies dans les mêmes conditions ». La pré-occupation entraîne l’impossibilité de réparer et d’indemniser un trouble anormal de voisinage lorsque ces conditions d’application sont réunies. Ainsi, on peut relever trois conditions, à savoir l’antériorité de l’activité génératrice du trouble, l’exercice de l’activité en conformité avec la législation et l’absence de modification dans les conditions d’exploitation. En pratique, la notion de pré-occupation est l’objet d’une jurisprudence régulière qui enferme effectivement son admission dans ces conditions.125 D’ailleurs la Cour de cassation veille à ce que ce texte ne fasse pas l’objet d’une application extensive. D’une part, elle limite le champ aux seules activités citées. D’autre part, l’immunité n’est acquise au pré-occupant que si les activités se sont poursuivies dans les mêmes conditions. Le trouble peut, par conséquent, être retenu malgré l’antériorité de l’installation de l’entreprise si, postérieurement à l’acquisition ou à la demande de permis de construire par le propriétaire voisin, l’activité a connu ensuite une transformation ou une augmentation telles que les nuisances d’origine se sont aggravées.
A défaut d’exemples jurisprudentiels pour l’activité de construction, la question qui reste en suspens est de savoir si le constructeur peut bénéficier de ces dispositions.
En résumé, seule la faute de la victime, et dans une certaine mesure, cette disposition relative à la pré-occupation, peuvent être invoquées par l’auteur du trouble pour s’exonérer en partie ou totalement de sa responsabilité. Après avoir énoncé quelles étaient les causes d’exonérations retenues par la jurisprudence, nous allons exposer celles qui sont exclues.
 
2. L’irrecevabilité des autres causes d’exonérations

Si la jurisprudence ne permet pas à l’auteur du trouble de se prévaloir des causes d’exonérations de droit commun, c’est probablement pour protéger la victime afin de lui garantir la réparation de son préjudice la plus complète possible.
Tout d’abord, comme nous l’avons déjà exposé, la présomption de responsabilité ne tombe pas devant la preuve de l’absence de faute. C’est une constante en jurisprudence, l’allégation par le défenseur de l’absence d’une faute de sa part à l’origine du dommage est
inopérante.126
De même, la prétention exprimée par un défenseur qu’il a agi légitimement, dans le cadre strict de son droit et en dehors de toute intention de nuire ou d’abus, n’est pas susceptible de l’exonérer. Ainsi, par exemple, l’exercice légitime du droit de propriété et l’absence de volonté de nuire à ses voisins ont été jugés des motifs insuffisants à caractériser
le trouble.127
En outre, certains ont pu avancer que le trouble serait couvert par l’existence d’une servitude. Ce moyen est également inopérant. En effet, une servitude n’excuse pas l’embarras excessif subi par le fonds voisin. Il a d’ailleurs été jugé qu’il appartenait aux juges du fond de rechercher si les troubles subis par le propriétaire du fonds servant, du fait de l’exercice de la servitude acquise par le propriétaire du fonds dominant, excèdent ou non ce qui peut être
admissible.128
D’autres ont pu se prévaloir de l’obtention du permis de construire ou de toute autre forme d’autorisation administrative d’exploitation de son établissement pour tenter de faire échec aux prétentions du demandeur. La jurisprudence n’a jamais admis une telle excuse. Il est constant que le permis de construire est toujours délivré sous réserve du droit des tiers et qu’une autorisation administrative est donnée dans un intérêt public de salubrité ou de sécurité et ne saurait donc nuire aux tiers, de sorte que la régularité de l’autorisation ne permet pas au propriétaire ou à l’exploitant de s’exonérer de sa responsabilité pour troubles de
voisinage.129
Enfin, étant en présence d’une responsabilité de plein droit, le fait d’un tiers n’est pas de nature à exonérer le défendeur, sauf s’il revêt les caractéristiques de la force majeure.

126 Cass. 2e civ., 25 nov. 1971 : Bull. civ. II, n° 323.
127 Cass. 3e civ., 27 nov. 1996 : Juris-Data n° 004617 ; RCA 1997, comm. n° 54. 128 Cass. 3e civ., 26 juin 1996 : Juris-Data n° 002829. 129 Cass. Req., 7 déc. 1909 : DP 1910, 1, p.95. 
130 Cass. 2e civ., 2 déc. 1982 : Bull. civ. II, n° 160.


Mais, ce fait à la fois imprévisible et irrésistible est quasiment introuvable en jurisprudence, ce qui a pour effet de rompre le lien de causalité. Ainsi, comme nous l’avons vu, le bailleur n’est pas fondé à renvoyer le demandeur vers son locataire, non plus que le maître de l'ouvrage vers les entrepreneurs. La jurisprudence ne s’est pas départie de cette règle, la Cour de cassation estimant, par exemple, qu’est justifiée la condamnation du maître de l'ouvrage à réparer les dommages causés au fonds voisin alors que les travaux ont été effectués par un tiers130 ou que la faute de l’entrepreneur ne saurait exonérer le propriétaire de la responsabilité lui incombant en cette qualité. Il est donc établi que le maître de l'ouvrage doit, en cette seule qualité, assumer la charge des réparations des désordres affectant les immeubles voisins du fait des opérations de construction effectuées sur le fonds. Il lui reste à exercer une action récursoire ou en garantie contre le ou les constructeurs qu’il estime responsable.


Le maître de l’ouvrage propriétaire du fonds qui est à l’origine des nuisances aux voisins est généralement assigné sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. Mais, il arrive que les constructeurs soient assignés. S’ils pouvaient être assignés sur plusieurs fondements, nous allons voir que la jurisprudence a tenté d’unifier le contentieux.
 
131 Cass. 3e civ., 30 juin 1998, Bull. civ. III, n° 144 ; RDI 1998 p. 647, obs. Malinvaud.

Section II : La responsabilité des constructeurs pour troubles de voisinage

Dans les rapports entre le maître de l'ouvrage et le voisin victime, les recours sont clairs et établis depuis longtemps ; c’est la responsabilité objective fondée sur une jurisprudence prétorienne qui s’applique, selon laquelle nul ne doit causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage.
Mais dans les rapports entre le voisin victime et les constructeurs qui ont causé le trouble, les principes applicables étaient différents. En effet, on leur a longtemps refusé la qualité de voisin de la victime, ce qui rendait impossible de les assigner sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. De plus, n’étant pas contractuellement liées entre elles, les parties avaient donc comme unique solution d’agir sur le fondement délictuel.
Restaient alors comme seuls fondements celui de la faute et celui de la garde.
En effet, aux termes de l’article 1382 du code civil : « tout fait de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». L’article 1383 du code civil prévoit que : « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence ». Ce fondement nécessite la preuve d’une faute du constructeur, d’un dommage et d’un lien de causalité.
Quant à l’article 1384, alinéa 1er du code civil, il fait peser sur le gardien d’une chose une présomption de responsabilité pour les dommages qu’elle occasionne. Aux termes de cet article : « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ». Si ce fondement présente l’avantage de ne pas nécessiter la preuve d’une faute, en revanche, pour que ce texte s’applique, il faut pouvoir prouver que le gardien a l’usage, le contrôle et la direction de la chose.
Il a fallu attendre un arrêt du 30 juin 1998131 pour que les constructeurs puissent être assignés sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. En effet, et à partir de cette date, le constructeur est assimilé à un voisin. Dès lors, le voisin victime peut assigner indifféremment le maître de l'ouvrage ou les constructeurs sur le fondement de cette théorie sans avoir à se soucier de la preuve d’une faute ou que les conditions de la garde soient réunies. C’est dire que la jurisprudence a uniformisé les recours contre les constructeurs.
Dès lors, après avoir exposé la diversité des régimes en matière de troubles de voisinage, nous étudierons comment s’est réalisée l’unification des régimes de responsabilité.

Paragraphe I : La diversité des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage

La question qui se pose ici est de savoir sur quels fondements juridiques, les constructeurs peuvent être responsables de troubles de voisinage.
La jurisprudence avait dans un premier temps admis qu’ils ne pouvaient être responsables que sur le fondement de la faute ou de la garde.
Puis dans un second temps, la jurisprudence a refusé aux victimes de troubles de voisinage d’agir sur le fondement de la garde contre les constructeurs. Leur restait alors comme seul fondement juridique celui de la faute. Dès lors, les victimes de troubles de voisinage se trouvaient devant un choix, celui d’assigner les constructeurs sur le fondement de la faute, avec la charge de la preuve de la faute du constructeur, ou alors d’agir sur le fondement des troubles anormaux de voisinage contre le maître de l'ouvrage, qui ne nécessite pas la preuve de la faute.
Compte tenu de l’évolution jurisprudentielle, nous allons tout d’abord étudier les fondements retenus par la jurisprudence contre les constructeurs, avant d’étudier ceux qui en sont exclus.


A. Les fondements retenus contre les constructeurs

La victime dispose contre les constructeurs auteurs des troubles de voisinage de plusieurs fondements juridiques. S’il est à même d’établir la preuve d’une faute du constructeur, il peut l’actionner sur le fondement de l’article 1382 du code civil. A défaut de la preuve d’une faute, il lui est possible d’établir soit que le constructeur en cause était gardien du chantier à l’origine des troubles, soit de rapporter la preuve que ce dernier avait la garde matérielle des engins de chantier qui ont généré des nuisances. Dans cette option, il doit assigner les constructeurs sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er.
Que ce soit le fondement de la faute ou de la garde, le choix de l’action du voisin victime dépend essentiellement des éléments de preuve dont il dispose.


1. La responsabilité du constructeur pour faute

Lorsque les travaux de construction occasionnent des nuisances aux voisins, les constructeurs peuvent en être responsables sur le fondement de la faute. La victime de troubles de voisinage a la charge de prouver que le préjudice qu’il invoque est arrivé par la faute du constructeur.132 Ainsi, pour que le constructeur soit condamné à réparer les troubles de voisinage sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, la victime doit prouver la faute du constructeur, un dommage et un lien de causalité.133 En effet, tout préjudice, même mineur, est réparable dès lors que l’entrepreneur poursuivi est fautif.
Dès lors, les juges du fond doivent condamner les architectes et les entrepreneurs à garantir le maître de l'ouvrage, lorsque ceux-ci ont commis une faute dans la direction ou l’exécution des travaux ou ont manqué à leur devoir de conseil.
La responsabilité du constructeur peut être engagée pour faute en fonction des nuisances occasionnées par le chantier de construction.
Concernant tout d’abord les nuisances de chantier, la responsabilité de l’entrepreneur peut être recherchée si ces nuisances sont dues à une faute dans la conduite du chantier. Tel est le cas s’il méconnaît les règles en vigueur relatives au niveau sonore des engins de chantier, ou aux horaires autorisés.134 Bien que tiers au contrat, la jurisprudence a admis que le voisin peut invoquer, à titre de faute délictuelle, le manquement de l’entrepreneur aux obligations prescrites dans ce contrat.135 En pratique, ces nuisances de chantier se produisent en dehors de toute faute de l’entrepreneur. En effet, elles sont inhérentes à l’activité de construction et peuvent tout au plus être contenues.
Concernant, ensuite, les dommages occasionnés à l’immeuble contigu, ils peuvent être dus indifféremment à des défauts de conception de l’ouvrage à construire ou à des défauts

132 Cass. 3e civ., 6 mars 1991, n° 86-13.867, Bull. civ. III, n°78, Gaz. pal. 1991, 2, pan., p. 181 ; Cass. 3e civ., 16 mai 2001, n° 99-18.520, Defrénois 2002, art. 37459, p. 67, obs. Périnet-Marquet, RDI 2001, p. 394. 133 Cour d'appel Grenoble, 12 avr. 1989, Sté ELTF c/ Sté Sovipa.
134 Cass. 3e civ., 23 janv. 1979, JCP 1979. IV. P. 107.
135 Cass. 3e civ., 3 oct. 1970 : Bull. civ. III, n° 515.

 
d’exécution ; ils peuvent être imputables à l’entrepreneur, ou à l’architecte, ou encore au bureau de contrôle. Ces professionnels peuvent être condamnés à réparer le dommage sur le fondement de l’article 1382 du code civil, s’ils ont commis des fautes qui sont à l’origine des désordres subis par l’immeuble voisin. Ainsi, l’entrepreneur engage sa responsabilité délictuelle envers les voisins lorsque le dommage résulte d’une négligence ou d’une imprudence dans l’exécution des travaux ;136 de la même façon, un architecte commet une faute délictuelle à l’égard des voisins en ne s’assurant pas de l’état de l’immeuble contigu ou en ne prenant pas les précautions adéquates.137 Enfin, l’architecte qui n’avait pas averti son client, profane en matière de construction, des risques que comportaient les travaux et qui n’avait pas procédé aux vérifications préalables nécessaires, devait garantir le propriétaire déclaré responsable des dommages causés à l’immeuble voisin.138
La difficulté de prouver la faute pour le voisin victime peut être un frein à l’invocation de ce fondement juridique. Il lui reste alors le fondement de la garde.


2. La responsabilité du constructeur sur le fondement de la garde

L’article 1384, alinéa 1er établit une présomption de responsabilité pour le gardien de la chose, objet du dommage. La responsabilité du gardien présente un intérêt évident pour le voisin dans la mesure où il n’a plus alors à prouver la faute de quiconque, et où le dommage subi est réparé même s’il n’excède pas la mesure ordinaire des obligations de voisinage.
Par exemple, il a été jugé, s’agissant des nuisances de chantier, que l’entrepreneur est responsable en tant que gardien, non du chantier, mais des engins de chantier dont le vacarme assourdissant rendait pour les voisins tout travail presque impossible.139 Cette décision paraît isolée, car généralement, les voisins qui se plaignent de telles nuisances préfèrent rechercher la responsabilité du maître de l'ouvrage sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. La Cour de cassation s’est ralliée à la thèse de la garde matérielle, et définit le gardien comme celui qui, au moment du dommage, exerçait en toute indépendance un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle.140 Le constructeur est, par conséquent, responsable des troubles et des dommages causés par l’activité de chantier et la réalisation de la construction.

136 Cass. 3e civ., 25 mars 1998 : Bull. civ. III, n° 72.
137 Cass. 3e civ., 24 janv. 1973, JCP 1973. II, p. 17380, rapport Fabre. 138 Cour d'appel Caen, 27 nov. 1968, AJPI 1969, p. 827, note Caston. 139 Cass. 3e civ., 8 mars 1978, D. 1978 p. 641, note Larroumet.
140 Cass. ch. Réunies, 2 déc. 1941, JCP 1942, II, n° 1766, note Mihura.

 
Concernant les dommages subis par l’immeuble contigu, M. Malinvaud préconise que ce type de dommage soit rattaché, soit à la garde du chantier, soit à la garde du sol.141 La Cour de cassation a tout d’abord admis la responsabilité de plein droit de l’entrepreneur en qualité de gardien, pour ensuite subordonner sa responsabilité à la réunion des conditions tenant à la garde du chantier.
En effet, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 10 décembre 1970142 que : « le gardien d’un immeuble est responsable de plein droit, en vertu de l’article 1384 du code civil, des dommages causés aux immeubles voisins, et qu’au cours de l’édification d’un immeuble la garde du terrain et des constructions appartient à l’entrepreneur, cette garde n’étant restituée ou transférée au propriétaire du sol et maître de l'ouvrage qu’après la réception ».
Mais, par la suite, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 20 octobre 1971,143que l’entrepreneur n’était pas gardien de plein droit et qu’il incombait aux juges de rechercher si l’entrepreneur avait effectivement l’usage, la direction et le contrôle du chantier. Selon M. Malinvaud,144 même s’il n’existe pas d’exemples en jurisprudence, cette solution offre implicitement au voisin la possibilité d’assigner le maître de l'ouvrage sur le fondement de 1384 alinéa 1 du code civil.
Ce fondement juridique présente l’avantage pour la victime de faire peser sur le gardien de la chose une présomption de responsabilité. Le constructeur gardien du chantier ne peut donc s’exonérer en prouvant qu’il n’a pas commis de faute.
Mais ce fondement juridique présente un inconvénient pour les constructeurs, celui de réparer tous les dommages même les plus minimes, et non pas seulement les nuisances qui excèdent les inconvénients normaux du voisinage. C’est en partie pour cette raison et pour qu’il n’y ait pas de condamnations quasi-automatiques du constructeur à réparer toutes les nuisances, que la jurisprudence est aujourd’hui réticente à tolérer le fondement de la garde.

141 Malinvaud (P.) et Jestaz (P.), Droit de la promotion immobilière, Précis Dalloz, 1995, n°189. 142 Cass. 3e civ., 10 déc. 1970 : Bull. civ. III, n° 690.
143 Cass. 3e civ., 20 octobre 1971, D. 1972 p. 444, note Lapoyade-Deschamps.
144 Malinvaud (P.), « Les dommages aux voisins dus aux opérations de construction », RDI nov./déc. 2001 p. 479.

 
B. L’exclusion du fondement de l’article 1384 alinéa 1er

Peu à peu, la jurisprudence a rendu plus difficile l’admission du fondement de la garde contre les constructeurs. Le voisin victime est contraint à ne plus agir sur ce fondement juridique. Lui reste alors comme seul fondement, celui de la faute.
Après avoir exposé les explications possibles du rejet par la jurisprudence du fondement de la garde contre les constructeurs, nous allons présenter quelles en sont les conséquences.

1. Le rejet de ce fondement juridique par la Cour de cassation

Comme nous l’avons exposé, le constructeur était gardien de plein droit de l’immeuble à l’origine des nuisances. La Cour de cassation a par la suite exigé la preuve que le
constructeur était bien le gardien.145
Par la suite, la Cour suprême a même écarté l’article 1384, alinéa 1, dont l’application était demandée par le voisin victime en complément de la théorie des troubles de voisinage, pour assurer l’indemnisation de la partie du préjudice ne dépassant pas les inconvénients
ordinaires du voisinage.146
Compte tenu de cette jurisprudence, la responsabilité des constructeurs est de moins en moins recherchée par les voisins sur le fondement de la garde.
Cette réserve de la jurisprudence à l’égard de l’application de l’article 1384, alinéa 1, aux troubles de voisinage peut s’expliquer aisément. En effet, si on admettait que la responsabilité de l’entrepreneur puisse être recherchée par les voisins victimes sur le fondement de la garde du chantier, cela conduirait à la prise en charge systématique et totale par les constructeurs de tous les troubles, même mineurs, causés au voisinage par les opérations de construction. S’agissant d’une responsabilité de plein droit, les constructeurs ne pourraient ni invoquer une quelconque cause d’exonération et notamment par leur absence de faute, ni faire valoir le caractère normal de ces troubles.
En définitive et selon M. Malinvaud,147 cela aboutirait à faire peser une sorte de servitude sur les terrains non encore bâtis et à conférer corrélativement aux propriétaires voisins une situation injustement privilégiée puisque, à l’occasion de toute opération de construction ultérieure dans le voisinage, ils pourraient demander indemnité, au titre soit des

145 Cf. supra.
146 Cass. 2e civ., 20 juin 1990, JCP 1990, IV p. 317. 147 Obs. Malinvaud préc. note n° 144.

 
bruits et inconvénients divers inhérents à toute opération de construction, soit de la présence même de l’immeuble nouveau.
En outre ce serait aller sinon à l’encontre, tout du moins largement au-delà de la jurisprudence qui a conçu la théorie des troubles de voisinage et qui l’applique précisément dans le domaine de la construction.
Si le rejet de ce fondement peut s’expliquer aisément, en revanche, il a de lourdes conséquences pour la responsabilité des constructeurs.

2. Les conséquences du rejet de ce fondement

En rejetant le fondement de la garde contre les constructeurs, il ne restait plus aux voisins que le fondement de la faute. C’est dire que les voisins n’avaient plus aucun intérêt à assigner les constructeurs puisqu’ils pouvaient assigner le maître de l'ouvrage sur le fondement des troubles anormaux de voisinage qui ne nécessite pas la preuve d’une faute. Par cette prise de position, la jurisprudence voulait peut-être faire peser sur le maître de l'ouvrage la réparation de ces troubles. Ce dernier, condamné à réparer le trouble, ne pouvait se retourner contre les constructeurs que sur le fondement de la faute. Le maître de l'ouvrage devait en quelque sorte assurer la contribution définitive des troubles de voisinage, puisque, comme nous l’avons vu, la preuve de la faute du constructeur est difficile à apporter.
Au regard de la jurisprudence, il est prudent que le maître de l'ouvrage prenne des mesures préventives avant le commencement du chantier de construction. Pour prévenir ou diminuer les effets des dommages susceptibles d’être causés aux immeubles voisins par les travaux de construction, il n’est pas inutile de recourir au référé préventif comme le permet les articles 145 et 809, alinéa 1er, du nouveau code de procédure civile. Le juge des référés peut également prescrire, parmi les mesures qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent, l’allocation d’une provision au demandeur, afin de lui permettre d’exécuter des travaux nécessaires. Il peut être reproché au maître de l'ouvrage de ne pas avoir pris l’initiative d’un référé préventif dont l’objet est de soumettre contradictoirement à un expert judiciaire les difficultés entre voisins pouvant résulter d’une opération de construction. En effet, la mission de l’expert lui permet très souvent de poursuivre son intervention jusqu’à que soient exécutés les travaux de démolitions, fondations et gros œuvre qui sont les plus susceptibles de créer des désordres dans les immeubles contigus, donc de préconiser des solutions techniques susceptibles de prévenir les risques.
 
Dans le cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable, l’article 809, alinéa 2 du nouveau code de procédure civile prévoit que le président du tribunal de grande instance peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution d’une obligation, même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Le référé préventif est donc un moyen d’assurer la rencontre entre les acteurs du chantier et les voisins afin de les informer sur l’ampleur du chantier, sa durée, et sur les éventuelles nuisances. Il est nécessaire de respecter autant que possible la décision de l’expert judiciaire désigné pour mettre en œuvre le référé préventif. Par exemple, la quatorzième chambre B de la Cour d'appel de Paris en date du 15 février 2002 a confirmé la décision des premiers juges aux termes de laquelle un arrêt de chantier avait été ordonné tant que l’entreprise n’aurait pas mis en œuvre de nouvelles et suffisantes protections des riverains.148

Mais le rejet du fondement de la garde contre les constructeurs ne s’est pas fait sans contrepartie. La jurisprudence dénigre l’application du fondement de la garde contre les constructeurs au profit de la théorie des troubles anormaux de voisinage. Désormais, le constructeur est au même titre que le maître de l'ouvrage un voisin. Selon M. Malinvaud,149 les constructeurs sont au même titre que le maître de l’ouvrage des voisins pour l’application de la théorie des troubles anormaux de voisinage, contre partie accordée aux constructeurs de la mise à l’écart de l’article 1384 alinéa 1er du code civil.
En unifiant le régime de responsabilité des différents intervenants à l’acte de construire à celui de maître de l'ouvrage, la jurisprudence facilite l’indemnisation du voisin victime et lui offre le choix d’assigner sans doute la personne la plus solvable.

Paragraphe II : L’unification des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage

Comme nous l’avons précisé, les rapports triangulaires sont fréquents dans le domaine de la construction. L’originalité des troubles de voisinage était la diversité des fondements offerts par la jurisprudence à la victime pour réparer les nuisances, selon qu’elle assignait le constructeur ou le maître de l'ouvrage. Aujourd’hui l’originalité de cette théorie réside dans le

148 Peyron (N.), Les nuisances sonores émanant d’un chantier : principes et conséquences, Const.-Urb., 6 mai 2004 p.6.
149 Obs. Malinvaud préc. note n° 144. 
150 Malinvaud (P.) Jestaz (P.), Droit de la promotion immobilière, Précis Dalloz, 1999. 151 Cass. 3e civ., 13 nov. 1986 : Bull. civ. III, n° 172.


fait que les rapports entre la victime et le maître de l'ouvrage, et les rapports entre la victime et les constructeurs sont unifiés. Désormais l’un comme l’autre peuvent être assignés directement sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. Mais cette unification des régimes de responsabilité n’a pu se faire qu’en étendant la qualité de voisin aux constructeurs. Après avoir explicité l’extension de la notion de voisin aux constructeurs nous allons présenter les conséquences de cette unification des régimes de responsabilité.

A. L’extension de l’application de la théorie aux constructeurs

L’objection selon laquelle la victime et les constructeurs auteurs des nuisances ne sont pas en rapport de voisinage n’est pas déterminante et elle a été écartée. C’est en effet en travaillant sur le fonds voisin que le constructeur a causé le trouble. Comme le soutiennent MM. Malinvaud et Jestaz, il est devenu en quelque sorte un « voisin occasionnel ».150Cette jurisprudence a pour effet non seulement de mettre fin à la jurisprudence qui considère que seul le maître de l'ouvrage peut être responsable sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, mais surtout d’étendre la notion de voisin aux constructeurs.


1. La responsabilité du maître de l’ouvrage fondée sur le fondement des troubles anormaux de voisinage : « une solution acquise depuis longtemps »

Rattachée à l’origine à l’idée de faute, puis à celle d’immissio, la théorie des troubles de voisinage est aujourd’hui une source de responsabilité autonome, qui est subordonnée à la seule constatation d’un trouble anormal. Depuis l’arrêt du 13 novembre 1986,151 les décisions ne sont plus désormais rendues sous le visa de l’article 1382, mais sous celui d’un nouveau principe général du droit selon lequel : « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
Cette théorie a été conçue pour régler les rapports entre propriétaire voisins. Dès lors, la jurisprudence l’a tout naturellement étendue aux dommages causés par l’activité de chantier.
 
152 Cass. 1re civ., 1er juin 1977, Bull. civ. III, n° 237.
153 Cass. 3e civ., 4 février 1971, JCP 1971. II. p. 16781, note Lindon.


En effet, la responsabilité du maître de l'ouvrage est retenue uniquement si le trouble dépasse la limite des inconvénients ordinaires de voisinage. L’anormalité du trouble s’apprécie, en principe, en fonction de sa gravité et de sa durée.
Ainsi, s’agissant d’un chantier de construction, elle doit l’être par référence à l’environnement des lieux, aux inconvénients habituels du quartier et non pas par référence aux nuisances habituelles d’un chantier. En effet, rechercher si le chantier a été mené normalement ou non, c’est raisonner en termes de faute, alors que la notion de trouble de voisinage est en principe indépendante de celle de faute. En pratique, l’appréciation du caractère anormal du trouble relève du pouvoir souverain des juges du fond.152
En revanche, en ce qui concerne les désordres subis par un immeuble contigu, la jurisprudence élargit voire déforme la notion de trouble de voisinage. En ce domaine et depuis un arrêt du 4 février 1971, la Cour de cassation a toujours retenu la responsabilité du maître de l'ouvrage sur le fondement des troubles de voisinage.153 Mais la jurisprudence applique cette théorie à des dommages qui ne répondent pas aux caractéristiques classiques du trouble de voisinage, lequel suppose un dommage continu, et non pas accidentel comme un affaissement, et un dommage supportable jusqu’à un certain seuil, ce qui n’est pas le cas de désordres causés à l’immeuble voisin.
Enfin, concernant le trouble causé par l’ouvrage lui-même, c’est encore sur le fondement de la théorie des troubles de voisinage que la jurisprudence en ordonne la réparation.
Quelle que soit la forme du dommage, la jurisprudence a toujours, et jusqu’à une date récente, condamné le maître de l’ouvrage à réparer des troubles de voisinage causés par la construction. Cette solution est d’autant plus logique que la notion de voisin est attachée au droit de propriété. Or, le maître de l'ouvrage est le propriétaire du terrain ou celui pour le compte de qui les travaux sont exécutés.
Mais rompant avec cette jurisprudence, la Cour de cassation a fini par assimiler le constructeur à un voisin.
 
2. L’extension de la notion de voisin aux constructeurs

La question se pose à nouveau de savoir qui, du maître de l'ouvrage ou du constructeur, est le débiteur de la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage.
Pendant longtemps, la jurisprudence considérait que dans une opération de construction, le voisin responsable ne pouvait être que le propriétaire du terrain, maître de l'ouvrage, qui a commandé les travaux immobiliers, et non pas les constructeurs. Si la victime voulait poursuivre les constructeurs, elle ne pouvait le faire que sur le fondement de la faute, ou encore de la garde du chantier. Cette solution s’explique aisément, dans le sens où cette théorie n’à vocation à s’appliquer qu’entre voisins, et les constructeurs ne sont pas des voisins.
Mais rompant avec sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation a retenu, dans un arrêt du 30 juin 1998154, sur le fondement de la théorie des troubles de voisinage, la responsabilité d’un sous-traitant qui avait injecté du béton au-delà des limites du terrain, au point de pénétrer dans les locaux du voisin. C’est dire alors que les voisins peuvent diriger leur action soit contre le maître de l'ouvrage soit contre l’entrepreneur et le sous-traitant.
On aurait pu penser qu’il s’agissait d’un arrêt isolé, mais il se trouve confirmé par un arrêt de la 3e chambre civile en date du 11 mai 2000,155 qui retient que le propriétaire et l’entrepreneur auteur des travaux à l’origine des dommages sont responsables de plein droit des troubles excédents les inconvénients normaux du voisinage constatés dans le fonds voisin.
Cette solution est dans la logique de l’évolution de la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage. Initialement conçue comme une charge de la propriété ou une limite au droit de propriété, son domaine n’a cessé de s’étendre. Elle ne se limite pas à des rapports entre fonds, mais s’étend à des relations strictement personnelles entre auteur et victime du dommage. Cela explique que l’entrepreneur puisse répondre des troubles excessifs qu’il cause dans le voisinage du chantier.
Il faut aujourd’hui constater que l’autonomie affirmée et développée de la théorie des troubles de voisinage permet d’élargir le champ d’action de cette théorie et de rechercher la responsabilité pour troubles de voisinage en dehors de la sphère traditionnelle du voisinage direct. A cet égard, le professeur Cornu considère que la théorie des inconvénients anormaux de voisinage est entièrement construite sur la considération d’un fait objectif, le trouble anormal, et qu’elle obéit en conséquence à « une logique réaliste rayonnante qui justifie que

154 Cass. 3e civ., 30 juin 1998, Bull. civ. III, n° 144 ; RDI 1998 p. 647, obs. Malinvaud.
155 Cass. 3e civ., 11 mai 2000, D. 2000, IR p. 165 ; Cass. 3e civ., 21 juill. 1999, Bull. civ. III, n° 182.

 
la responsabilité de l’entrepreneur auteur du trouble, soit retenue sur ce fondement, quand le trouble a été causé à un moment où il était en situation de voisinage ».
L’extension de la notion de voisin aux constructeurs poursuit peut-être un seul but, celui de rendre plus facile l’indemnisation des voisins victimes. En effet, cette unification des régimes de responsabilité fondée sur la théorie des troubles anormaux de voisinage permet au voisin d’assigner indifféremment le maître de l'ouvrage ou le constructeur. Avant cette unification, le voisin ne pouvait assigner le constructeur que sur le fondement de la faute ou de la garde de la chose. Concernant le fondement de la faute, l’article 1382 du code civil impose au voisin victime de rapporter la preuve de la faute, du dommage et du lien de causalité. La preuve de la faute étant difficile à rapporter, il était donc plus avantageux pour lui d’assigner le maître de l'ouvrage sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, qui est une responsabilité sans faute et qui nécessite la seule preuve du caractère anormal du trouble. Concernant la responsabilité sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er du code civil, le voisin devait rapporter la preuve que le constructeur avait l’usage, le contrôle et la direction du chantier. Si dans ce cas aussi, la preuve de la réunion de ces trois éléments entre les mains du constructeur était difficile, ce fondement avait pour avantage de réparer n’importe quel dommage aussi minime soit-il, même s’il n’excède pas les inconvénients normaux de voisinage. Mais la jurisprudence a fini par écarter ce fondement juridique, au motif peut-être qu’il était préjudiciable aux constructeurs car il entraînait une réparation systématique de toutes les nuisances causées par la construction.
Dès lors, il ne restait plus que le fondement de la faute contre les constructeurs. Pour se faire indemniser, la victime avait donc le choix entre assigner le constructeur sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil qui nécessite la lourde charge de la preuve d’une faute du lien de causalité avec les dommages, et assigner le maître de l'ouvrage sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage qui ne nécessite pas la preuve d’une faute. Le voisin victime n’avait donc plus d’intérêt à assigner les constructeurs et n’avait plus que la solution d’assigner le maître de l'ouvrage.
C’est peut-être pour cette raison essentielle, outre celle qui permet une meilleure indemnisation, que la jurisprudence permet à la victime de nuisances d’assigner directement le constructeur sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.
Mais cette unification des régimes de responsabilité n’est pas sans conséquence sur la réparation des troubles anormaux de voisinage.
 
156 Cf. supra.

B. Les conséquences de cette unification

En assimilant le constructeur au voisin, la jurisprudence a permis à une victime de nuisances dues à la construction d’assigner le constructeur sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. Cette assimilation n’est pas sans conséquence. Si elle a le mérite de faciliter l’indemnisation du voisin victime, elle présente un inconvénient, celui d’avoir modifié le régime de responsabilité des constructeurs. Malgré cette option offerte au voisin entre assigner le maître de l'ouvrage ou assigner le constructeur, il semble que le lien de causalité peut être un frein à cette liberté de choix.


1. Les conséquences quant aux constructeurs

Ainsi, suivant cette jurisprudence, les constructeurs sont désormais au même titre que le maître de l'ouvrage, des voisins pour l’application du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage. Mais si cette évolution jurisprudentielle des recours tend à faciliter le succès de l’action des voisins victimes, elle présente néanmoins de nombreux inconvénients.
En effet, si l’article 1384, alinéa 1er, apparaît comme inadapté à la réparation de certains dommages causés aux voisins, notamment des nuisances causées par l’activité de chantier, la théorie des troubles de voisinage n’est guère mieux adaptée à la spécialité de certains de ces troubles, et en particulier des dommages ponctuels causés à l’immeuble contigu.
La notion de voisin est également modifiée ; elle a des conséquences fâcheuses à double égard :
D’une part, il faut que les constructeurs s’assurent contre ce nouveau risque, ce qui
n’est pas le cas aujourd’hui. De plus, l’assurance suppose un aléa qui n’existe pas en l’espèce.
D’autre part, l’accession des constructeurs à la qualité de voisin entraîne des difficultés
pour l’organisation des recours entre les responsables co-obligés. Le constructeur condamné à
réparer les nuisances sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage doit
se retourner contre le maître de l'ouvrage. Comme pour l’action récursoire du maître de
l'ouvrage contre les constructeurs, son succès est subordonné à la preuve d’une faute.156 Mais 
quelle faute peut-il invoquer contre le maître de l'ouvrage ? Celle qui consiste à dire qu’il a commis une faute parce qu’il a pris la décision de construire ?
Plus vraisemblablement, comme en matière de responsabilité des constructeurs, ne peut-on pas reprocher au maître de l'ouvrage de s’être immiscé dans les travaux, d’avoir accepté certains risques ou encore d’avoir fait de la maîtrise d’œuvre ?
En effet, pour la première cause d’exonération, la Cour de cassation exige pour qu’un constructeur puisse s’exonérer de sa responsabilité, que deux conditions soient réunies ; à savoir que le maître de l'ouvrage se soit immiscé dans les travaux et qu’il soit notoirement compétent. Concernant la deuxième cause d’exonération, l’acceptation délibérée des risques consiste à dire que le maître de l'ouvrage qui est correctement informé du risque qu’il prend ne peut pas reprocher son choix aux constructeurs. Enfin, quant à la troisième cause d’exonération, le constructeur peut s’exonérer de sa responsabilité si le maître de l'ouvrage se réserve des tâches qui relèvent de la maîtrise d’œuvre.
Jusqu’à cette nouvelle jurisprudence, la réparation des troubles anormaux de voisinage avait un fondement réel. C’était au maître de l'ouvrage propriétaire de l’immeuble qu’il incombait de réparer ces troubles. Aujourd’hui, et compte tenu de cette jurisprudence, on en revient à se demander quel est le fondement de la réparation des troubles anormaux de voisinage ? Est-ce un fondement réel ou personnel ? Ou plus exactement, est-ce que les tribunaux veulent faire peser la charge de la réparation des troubles anormaux de voisinage sur les constructeurs, auteurs du trouble ? Et par conséquent donner une nature personnelle à la réparation de ces troubles ?
Ces questions en appellent une autre ; le fondement de la réparation des troubles anormaux de voisinage peut-il dépendre de la volonté du voisin victime ? On aboutit peut être à une déformation de la notion de troubles de voisinage.
Reste enfin une autre solution, celle qui consiste à dire que le fondement de la réparation des troubles anormaux de voisinage dépend étroitement du lien de causalité.


2. Les conséquences quant à la détermination de l’auteur du trouble

En assimilant le constructeur à un voisin, tant le maître de l'ouvrage que le constructeur peuvent être assignés sur le fondement des troubles anormaux de voisinage. Dès lors, étant tous les deux obligés à la dette de réparation des troubles de voisinage, la détermination du responsable dépend du seul choix de la victime. Cependant ce choix est tout
 
157 Cour d'appel Versailles, 30 nov. 1989, D. 1990, IR p. 18.

de même limité par la preuve du lien de causalité. En effet, si la théorie des troubles anormaux de voisinage ne nécessite pas la preuve d’une faute, la preuve du lien de causalité est quant à elle indispensable. Par conséquent, si trouble il y a, c’est son auteur qui en doit réparation. C’est en fonction des dommages causés aux voisins qu’on peut déterminer qui est l’auteur des troubles.
Tout d’abord, lorsque la source d’un trouble de voisinage réside dans les nuisances du chantier, l’auteur de ces troubles est généralement le constructeur et non le propriétaire maître de l'ouvrage. Ceci vient du fait que les troubles causés par l’activité de chantier sont le fait des constructeurs et non du maître de l'ouvrage.
Ensuite, comme pour les nuisances de chantier, les dommages causés à l’immeuble voisin peuvent être que le fait du constructeur. En effet, seul le constructeur peut voir sa responsabilité engagée, car il y a un de lien de causalité entre l’exécution des travaux et le trouble créé au voisin.
Enfin, lorsque le dommage résulte de la seule présence de l’immeuble nouveau, la responsabilité du constructeur ne peut être retenue, car ici le dommage est inhérent au fait de construire et il n’existe alors plus de lien de causalité entre l’exécution des travaux et le trouble invoqué. La responsabilité doit peser sur celui qui, a pris la décision de construire et tire dans le même temps profit de l’ouvrage. Ainsi, par exemple, une cour d’appel a retenu la responsabilité du maître de l'ouvrage, « n’étant pas contesté qu’il aurait pu choisir pour sa construction une implantation différente susceptible de procurer à son voisin une gêne moins importante ».157 Ce lien de causalité semble revêtir une importance particulière quant à la détermination de la personne responsable. D’ailleurs, celui-ci est démontré dans les rapports d’expertise.

Si donc la responsabilité objective pour troubles de voisinage est applicable aussi bien au maître de l'ouvrage qu’à l’entrepreneur, c’est uniquement pour offrir au voisin victime une indemnisation rapide et intégrale du trouble qu’il a subi. Cette responsabilité de plein droit, qui contourne les règles traditionnelles de la preuve de la faute et donc des responsables, facilite l’action du voisin victime. Mais, ce dernier peut s’adresser aussi bien au maître de l'ouvrage qu’aux constructeurs pour réparer les troubles occasionnés sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, il n’en demeure pas moins qu’ils ne sont pas tous deux les responsables définitifs. C’est au stade des recours entre coresponsables qu’il convient de
 
rechercher le véritable auteur des troubles et de lui imputer la charge définitive de la dette de réparation. La charge de la réparation est, en effet, répartie en fonction de la part de responsabilité de chaque intervenant à l’opération de construction ; il faut alors démontrer dans quelle mesure ils ont contribué à la réalisation du préjudice. C’est le problème des recours entre coresponsables ; celui qui a été condamné à indemniser la victime va t’il pouvoir se retourner contre l’autre intervenant à l’acte de construire ? Et si oui, sur quels fondements ? La jurisprudence est fluctuante quant au fondement de l’action récursoire, à la différence de l’action du voisin contre les responsables des troubles anormaux de voisinage. En effet, comme l’a affirmé Monsieur le Conseiller Villien,158 dans le domaine de la construction, les rapports triangulaires sont fréquents, et la jurisprudence a uniformisé deux côtés du triangle ; à savoir le côté victime-maître de l'ouvrage et victime-constructeurs. Reste alors la question des recours entre les coresponsables maître de l'ouvrage et constructeur, qui est en l’occurrence le troisième côté du triangle.

C’est pour répondre à toutes ces interrogations qu’il convient d’étudier dans une deuxième partie la contribution à la dette. Celle-ci permet de déterminer qui est le responsable définitif, le maître de l'ouvrage ou les constructeurs, le maître de l'ouvrage et un des constructeurs, voire même plusieurs d’entre eux.

158 Villien (P.), Vers une unification des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage dans la construction immobilière ; RDI juill./sept. 2000 p. 275-278.
 
DEUXIEME PARTIE :LA CONTRIBUTION A LA DETTE

La contribution à la dette est le règlement final intervenant, une fois le créancier satisfait, entre l’auteur du paiement et le véritable débiteur ou entre l’auteur du paiement et ses coobligés.159
Si le voisin a assigné tant le constructeur que le maître de l'ouvrage et obtenu leur condamnation « in solidum », il restera à régler les recours entre eux, ce qui pourra être demandé devant le juge qui a statué sur la demande principale. S’il n’a assigné que l’un des deux, il incombera à celui-là d’exercer un recours contre l’autre.
En pratique, on peut rencontrer deux hypothèses. Le plus souvent, il s’agit du recours du maître de l'ouvrage, condamné en sa qualité de voisin, contre les constructeurs. Plus rarement ce sont les constructeurs, condamnés sur un des fondements quelconques, qui se retourneront contre le maître de l'ouvrage.
On ne retient que l’hypothèse la plus fréquente du maître de l'ouvrage condamné à l’égard du voisin sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. Il peut exercer ses recours contre les constructeurs sur deux fondements, soit en se fondant sur le contrat le liant aux constructeurs, soit en invoquant la subrogation dans les droits du voisin qu’il a indemnisé contre les constructeurs.
Il s’est posé la question en doctrine de savoir si on pouvait étendre ce dernier côté du triangle, à savoir celui des rapports maître de l'ouvrage et constructeurs, à la responsabilité objective pour troubles du voisinage.
A cette question, Monsieur le Conseiller Villien160 y répond par la négative au motif que dans les rapports entre ces parties, la notion de voisinage n’a pas sa place. Le maître de l'ouvrage auteur du trouble n’est pas le voisin de ses propres constructeurs.
Dès lors, comment va s’organiser la contribution à la dette entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs ?
En effet, si le principe d’interdiction des troubles anormaux de voisinage préside à la réparation dans le côté du triangle unissant le maître de l'ouvrage auteur au voisin victime et

159 Lexique des termes juridiques 10e éd. Dalloz.
160 Villien (P.), Vers l’unification des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage en matière immobilière, RDI juill./sept. 2000 p. 275.

 
dans le côté liant la victime au constructeur, en revanche le fondement est différent dans les rapports entre le maître de l'ouvrage et ses propres constructeurs. C’est la responsabilité contractuelle de droit commun qui a été retenue par l’arrêt du 24 mars 1999.161
Le recours entre coresponsable dans le droit commun de la responsabilité civile est habituellement fondé sur la subrogation.162 En effet, le maître de l'ouvrage, qui a indemnisé le voisin victime, est subrogé dans les droits et actions de celle-ci. Mais la jurisprudence reconnaît aussi que le solvens dispose d’une action personnelle, subsistant lorsque la subrogation ne peut pas jouer.
« L’action du maître de l'ouvrage, dont le bien est à l’origine de troubles du voisinage, contre l’entrepreneur les ayants causés, lorsqu’il n’est pas établi que le maître ait été subrogé après paiement dans les droits du voisin victime, est fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun ».163 Tant que le maître de l'ouvrage, même condamné, n’a pas indemnisé le voisin, il ne peut agir contre son constructeur qu’au plan contractuel.
A ce stade des développements, on peut se demander quel est le recours qui permet une contribution « équitable » à la dette. Du moins, le recours contractuel aussi bien que la subrogation permettent une répartition à la dette à proportion des parts de responsabilité ?
Pour répondre à ces interrogations, nous allons envisager, tout d’abord, les recours fondés sur le contrat, avant d’étudier la technique de la subrogation.

161 Cass. 3e civ., 24 mars 1999 n° 96-19.775, RDI 99 p. 412.
162 Viney (V.G.) et Jourdain (P.), les conditions de la responsabilité, LGDJ, 2e éd. 1998, n° 423. 163 Cass. 3e civ., 20 nov. 2002 : Bull. civ. III, n° 231.
 164 Cass. 3e civ., 24 mars 1999 n° 96-19.775, RDI 99 p. 412.
165 Cass. 3e civ., 23 jan. 1991, n° 89-15.097, Bull. civ. III, n° 27, RDI 1991, p. 721.


Section I : Les recours fondés sur le contrat

Lorsque le voisin victime assigne directement le maître de l'ouvrage, ce dernier va généralement appeler en garantie ses constructeurs.
A partir de là, il va s’agir de régler la contribution à la dette. Celle-ci va pouvoir s’effectuer de deux façons.
Il se peut, tout d’abord, que le contrat de construction contienne des dispositions précises en ce qui concerne les contraintes qui pèsent sur l’entreprise à l’égard de l’environnement du chantier. A côté des mesures légales de conformité du matériel utilisé, le marché de travaux peut prévoir, dans le détail, la méthodologie d’exécution qui est mise en œuvre par l’entreprise. Mais les parties peuvent surtout inclure dans le contrat une clause de garantie du constructeur contre toute réclamation du voisin.
Ensuite, et à défaut de clause de garantie, le maître de l'ouvrage a, depuis le 24 mars 1999,164 un recours de nature contractuelle contre les constructeurs.
Compte tenu de la variété des situations, nous allons présenter, tout d’abord, les recours en présence d’une clause contractuelle, pour voir ensuite comment s’organisent les recours en l’absence d’une telle clause.

Paragraphe I : Les recours fondés sur une clause de garantie

La clause de garantie est une clause qui prévoit à l’avance qui doit contribuer à la dette de réparation des troubles anormaux de voisinage.
S’est très vite posé en jurisprudence la question de la validité des clauses par laquelle un maître de l'ouvrage se fait garantir par une entreprise des conséquences pécuniaires de sa responsabilité envers les tiers, du fait ou à l’occasion des travaux. La Cour de cassation a, dans un arrêt en date du 23 janvier 1991, reconnu la validité de ces clauses, en estimant qu’elles ne constituaient pas des clauses d’exonération de responsabilité prohibée.165
 
166 Cass. 3e civ., 17 juill. 1974 : Bull. Civ. III, n° 316. 167 Cass. 3e civ., 10 janv. 1978 : Bull. civ. III, n° 27.

Si la validité de ces clauses n’est pas contestée en jurisprudence, néanmoins elles peuvent être à l’origine de nombreux conflits avec les assureurs. En effet, si les parties contractualisent la charge définitive de la dette, les assureurs peuvent avoir prévu dans les contrats d’assurance des clauses qui interdisent cette pratique, ce qui peut avoir comme conséquences d’exclure ou de limiter leur garantie.
C’est pourquoi, après avoir exposé en quoi consiste cette clause de garantie, nous allons étudier quelles sont les incidences de cette clause sur l’assurance.


A. Le règlement de la charge définitive des troubles de voisinage entre le maître de l’ouvrage et le constructeur

Il se peut que le contrat prévoie expressément qui, du maître de l'ouvrage ou du constructeur, supporte la charge des troubles causés aux voisins. Dès lors, si le juge est saisi d’un litige, il est tenu d’appliquer les dispositions contractuelles. Par exemple, si le contrat se réfère à la norme AFNOR P 03.001 de décembre 2000, l’article 5.2.2 de celle-ci met à la charge de l’entrepreneur les dommages aux tiers dus à sa faute : « chaque entrepreneur est responsable de tous les accidents ou dommages qu’une faute dans l’exécution de ses travaux ou le fait de ses agents ou ouvriers peuvent causer à toutes personnes. Il s’engage à éventuellement garantir le maître de l'ouvrage et le maître d’œuvre de tout recours qui pourrait être exercé contre eux du fait de l’inobservation par lui de l’une quelconque de ses obligations ».
Il est de pratique courante que le maître de l'ouvrage essaie de faire prendre en charge par les constructeurs les faits dommageables de toutes natures qui pourraient se produire du fait ou à l’occasion des travaux, et ce même en l’absence de faute. La validité de la clause qui reporte sur l’entrepreneur le risque de dommage aux tiers, en dehors de toute faute, peut paraître très contestable. Mais la jurisprudence ne les prohibe pas, d’ailleurs, elle a très tôt validé ces clauses. Déjà, un arrêt du 17 juillet 1974166 de la troisième chambre avait admis a contrario la validité de telles clauses, ainsi qu’un arrêt de la même chambre en date du 10 janvier 1978,167 concernant une espèce où le maître de l'ouvrage avait été condamné pour troubles de voisinage du fait de l’utilisation d’engins bruyants et polluants et où le marché précisait que l’entreprise devait supporter la charge des dommages causés aux tiers de son fait. La jurisprudence avait également validé des clauses voisines. Par exemple, elle a validé
 
la clause figurant dans la norme AFNOR P 03.001 de 1948 qui faisait reposer sur l’entrepreneur la responsabilité liée à la garde du chantier168. Mais seul le maître de l'ouvrage peut se prévaloir de cette clause, non le maître d’œuvre qui demeure responsable de ses propres fautes169. Il en va de même de la clause figurant dans le cahier des prescriptions spéciales de la SNCF qui édicte une garantie générale de la SCNF par les entreprises « contre les actions ou réclamations qui pourraient être dirigées contre elle » pour « les désordres, dégradations ou préjudices quelconques qui, du fait ou à l’occasion des travaux pourraient survenir aux biens meubles ou immeubles appartenant à un tiers170 ». D’après la jurisprudence, une telle clause n’est contraire ni à la loi ni à l’ordre public171.
Lorsque la convention prévoit, comme le fait actuellement la norme AFNOR, que l’entrepreneur est tenu de ces dommages en cas de faute, il en résulte implicitement qu’il doit en être déchargé au cas où ces dommages se sont produits sans faute de sa part. De telles clauses sont bien évidemment inopposables aux tiers. Mais, si ces tiers ont obtenu la condamnation de l’employeur sur un fondement autre que la faute, alors il faut admettre que celui-ci peut, en application de cette clause, exercer un recours contre le maître de l'ouvrage.
Si le report conventionnel sur l’entrepreneur de la responsabilité pour trouble de voisinage paraît valable, il semble toutefois devoir être limité aux cas des nuisances du chantier et des dommages à l’immeuble contigu. En effet, dans les deux cas, c’est généralement les constructeurs qui sont à l’origine des dommages, mais on comprend mal qu’il puisse être étendu au cas du dommage causé par la présence même de l’immeuble construit, qui est la conséquence de la décision de construire prise par le seul maître de l'ouvrage.

Si cette clause a le mérite de régler la contribution définitive entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en évitant le contentieux , elle soulève des difficultés quant à l’appel en garantie de l’assureur.

168 Cass. 3e civ., 14 mai 1971, Bull. civ. III, n°305. 169 Cass. 3e civ., 24 janv. 1973, Bull. civ. III, n°71. 170 Cass. 3e civ., 23 janv. 1991, Bull. civ. III, n°27. 171 Cass. 2e civ., 29 mars 1962, Bull. civ. II, n°360. 
172 C. assur., art. L 242-1.


B. Le problème de l’intervention de l’assureur appelé en garantie

Le législateur de 1978 a voulu séparer radicalement le problème de la réparation des dommages, laquelle doit être rapide, de celui de la recherche des responsabilités, qui peut prendre plus de temps. A cet effet, il a institué un système d’assurance obligatoire dit à « double détente » dans le cadre duquel l’objectif de rapidité doit être atteint par une assurance de choses, dont l’objet est de garantir « en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables, les constructeurs au sens de l’article 1792-1 du code civil, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l’article 1792 du code civil ».172 L’assurance de choses fonctionne comme une assurance de préfinancement, impliquant qu’après que celui-ci a été effectué, l’assureur de choses, alors légalement subrogé dans les droits et actions du propriétaire ou de l’acquéreur de l’ouvrage, puisse recouvrer les sommes ainsi avancées sur les constructeurs responsables de plein droit et leurs assureurs de responsabilité.
La loi impose d’assurer les travaux effectués sur un ouvrage déterminé mais elle n’impose pas d’assurer les dommages causés aux tiers par les travaux de construction. Dès lors, la question qui se pose est de savoir si les troubles anormaux de voisinage peuvent être garantis par une assurance.
Et si la réponse à cette question est positive, une autre question se pose, celle de savoir quel assureur va garantir ces troubles de voisinage. Est-ce l’assureur de dommages-ouvrage ou l’assureur de responsabilité ?

Pour répondre à ces questions, il convient de s’interroger, tout d’abord, sur le fait de savoir si des clauses du contrat d’assurance peuvent limiter voire exclure les dommages causés aux voisins, pour étudier ensuite, quelles sont les assurances qui peuvent les garantir.


1. Opposabilité des clauses d’exclusion de garantie

Le constructeur qui a indemnisé la victime va appeler en garantie son assureur. Cette garantie repose nécessairement sur un contrat d’assurance de responsabilité de droit commun. En effet, aux termes de l’article A. 243-1, annexe I du code des assurances, l’assurance de
 
173 Cass. 1re civ., 20 nov. 2002 : RDI mars/avr. 2003 p. 148. obs. Grynbaum.

responsabilité décennale ne couvre que la responsabilité du constructeur née de l’application des articles 1792 et suivants du code civil. L’assurance obligatoire de responsabilité n’a donc pas vocation à couvrir les dommages nés d’un trouble de voisinage.
Toutefois il arrive que le contrat de construction prévoie la répartition de la charge définitive des troubles de voisinage. Et il est de plus en plus fréquent dans les contrats d’assurance de responsabilité, que les assureurs prévoient des clauses excluant la garantie des obligations conventionnelles souscrites par l’assuré et qui seraient plus lourdes que les dispositions légales. Cela signifie que ces clauses peuvent exclure la garantie de l’assuré, qui aménage contractuellement sa responsabilité ainsi que les conséquences de celle-ci. En effet, l’assurance de responsabilité a pour objet de couvrir les dommages dont on impute la responsabilité civile ou contractuelle, ou quelquefois les deux, à un assuré. Or, lorsque dans un contrat de construction, l’assuré insère une clause qui l’oblige à prendre toutes les mesures pour éviter des dommages aux voisins, tout dommage aux voisins s’analyse en une inexécution contractuelle.
Par exemple, dans l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 20 novembre 2002,173 le cahier des clauses administratives particulières régissant le chantier prévoyait que l’entrepreneur s’engageait à prendre toutes dispositions propres à ne pas endommager tous les ouvrages avoisinants. Or, l’assurance de responsabilité comportait une clause d’exclusion des « conséquences d’obligations conventionnelles acceptées par l’assuré ». Le maître de l'ouvrage ayant été condamné sur le fondement des troubles de voisinage, l’entrepreneur avait dû le garantir. L’assureur refuse sa garantie du fait de cette clause d’exclusion.
La Cour d’appel a estimé qu’il ne pouvait prétendre à la garantie de son assureur de responsabilité car la police excluait la garantie des obligations conventionnelles souscrites par l’assuré qui seraient plus lourdes que les « dispositions légales ». Ce qui inclut bien entendu les obligations créées par la jurisprudence. Elle avait admis l’argumentation de l’assureur qui se prévalait de l’exclusion, car la clause de marché instaurait une responsabilité objective et donc plus lourde que les dispositions légales nécessitant la preuve d’une faute. Dès lors, il se posait la question devant la Cour de cassation, de savoir si l’exclusion de la garantie des obligations contractuelles permettait de faire échec à la demande de couverture des troubles anormaux de voisinage.
 
174 Obs. Grynbaum, préc. note 84.
175 Cass. 1re civ., 18 sept. 2002 : RDI jan./févr. 2003, note Leguay (G.).

La Cour de cassation rappelle que cette exclusion n’est applicable qu’au cas où l’obligation conventionnelle acceptée par l’assuré entraînerait des conséquences auxquelles il n’aurait pas été soumis par les dispositions légales. La Cour casse l’arrêt de la Cour d’appel, et, c’est au visa de l’article 1134 du code civil qu’elle invite la cour de renvoi à examiner si l’entrepreneur « n’avait pas commis de fautes qui auraient pu avoir pour elle, comme conséquences, une condamnation identique sur le fondement des dispositions légales retenant la responsabilité contractuelle de droit commun…».174 En effet, la clause d’exclusion de garantie n’a plus à s’appliquer si la responsabilité du constructeur est susceptible d’être retenue en dehors de toute inexécution d’une obligation contractuelle expressément stipulée.
La Cour de cassation précise, enfin, que si le maître de l'ouvrage agit contre l’entrepreneur en qualité de subrogé dans les droits du voisin, sur le fondement des troubles de voisinage, l’assureur de responsabilité du constructeur ne peut pas invoquer contre son assuré la clause d’exclusion de garantie de toute responsabilité contractuelle. En effet, les troubles anormaux de voisinage engendrent une responsabilité objective et autonome, totalement étrangère à la notion de faute.

Compte tenu de l’extension de la notion de voisin aux constructeurs en 1998, et des solutions adoptées dans le cadre des actions récursoires engagées par un maître de l'ouvrage à l’encontre des constructeurs, il faut inciter les assureurs à garantir les responsabilités sans faute du maître de l'ouvrage et des constructeurs.175 Jusqu’à aujourd’hui, les contrats d’assurance de responsabilité n’accordent leur garantie qu’ à la condition de prouver la faute de l’assuré. Reste à savoir quel assureur doit la garantie des troubles anormaux de voisinage ? Est-ce uniquement l’assureur de responsabilité de droit commun, ou est-ce également l’assureur dommages ouvrage ?


2. La garantie des troubles de voisinage par l’assurance

La question va être ici abordée est de savoir quelle assurance va garantir les dommages causés aux tiers.
 
176 Cass. 3e civ., 3 févr. 2004, RDI mars/avr. 2004 p. 195, note Malinvaud.

En effet, cette question fait l’objet de controverses : est-ce l’assureur dommagesouvrage ou l’assureur de responsabilité de droit commun qui doit la garantie de ces dommages.
En vertu de l’article 1792 du code civil : « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination ». De plus, en vertu de l’article L. 242-1 du code des assurances, toute personne qui fait réaliser des travaux de bâtiment doit souscrire une assurance garantissant le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs. Aux termes de ces deux articles, l’assurance dommage-ouvrage garantit donc les dommages qui atteignent l’ouvrage « assuré » et non les dommages qui affectent les ouvrages du voisin. Les dommages aux tiers ne sont pas des dommages à l’ouvrage. Dès lors, c’est l’assureur de responsabilité qui doit la garantie de ces dommages. Ce raisonnement peut paraître satisfaisant si on en reste à la réparation du dommage principal. Mais qu’en est-il lorsque les dommages aux tiers sont consécutifs à un dommage à l’ouvrage assuré ? Cette question soulève un autre problème : si les dommages aux tiers ne peuvent être réparés à titre principal par l’assureur dommages-ouvrage, peuventils l’être à titre consécutif à un dommage qui affecte l’ouvrage assuré ?
La Cour de cassation dans un arrêt en date du 3 février 2004176 ouvre peut être la voie à une solution nouvelle. En l’espèce, la construction d’un mur de soutènement a eu pour conséquence d’entraîner des désordres à l’immeuble voisin. Les voisins victimes ont assigné le constructeur du mur ainsi que le voisin. Condamné à indemniser le voisin victime, le maître de l'ouvrage a exercé un recours en garantie contre le constructeur et son assureur sur le fondement de l’article 1792 du code civil. La Cour d’appel a condamné le constructeur à garantir le maître de l'ouvrage sur le fondement de l’article 1792 aux motifs que l’ouvrage n’avait pas été édifié conformément aux règles de l’art et que les dommages allégués par les voisins n’étaient qu’une conséquence du dommage à l’ouvrage assuré.
La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel au motif que « la garantie légale de l’article 1792 du code civil n’est pas applicable au locateur d’ouvrage assigné en garantie par un maître de l'ouvrage condamné à réparer les dommages causés à un tiers ». Le maître de l'ouvrage qui a été condamné à réparer les troubles subis par le voisin ne peut fonder son
 
177 Obs. Malinvaud, Ibid.


recours sur le fondement des articles 1792 et suivant du code civil, car il n’y a pas eu de dommage à l’ouvrage. Toutefois, la Cour de cassation, même si elle casse l’arrêt de la Cour d’appel, souligne que cette dernière « était saisie à titre principal d’une demande en réparation des dommages causés à la propriété d’un voisin », ce qui selon M. Malinvaud177 laisse penser que la solution aurait pu être différente si la Cour avait été saisie à titre principal d’une action en réparation des dommages causés à l’ouvrage, auquel cas le dommage du voisin serait apparu comme un dommage annexe, voire consécutif. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce où la non-conformité alléguée du mur de soutènement aux règles de l’art n’avait entraîné aucun dommage à ce mur.
Il est à noter enfin, que le maître de l'ouvrage est également bien avisé, bien que cela ne soit pas obligatoire, de souscrire une police « responsabilité civile Maître de l'ouvrage » qui a justement pour objet de garantir les désordres occasionnés par le chantier chez les voisins, ce qui peut lui éviter bien des désagréments.
Pour autant, le maître de l'ouvrage n’est pas dépourvu de tout recours contre les constructeurs. Mais il aurait pu fonder son recours soit sur le contrat qui le lie aux constructeurs, soit sur le fondement de la faute ou encore sur la théorie des troubles anormaux de voisinage.

Paragraphe II : Les recours contractuels en l’absence d’une clause de garantie

Traditionnellement, le voisin qui est victime de troubles de voisinage résultant de travaux immobiliers dispose d’un choix entre, d’une part, une action exercée contre le propriétaire du fonds où se sont réalisés les travaux et, d’autre part, une action exercée contre le constructeur à l’origine des travaux litigieux. La Cour de cassation avait réaffirmé le principe d’une telle option dans un arrêt du 30 juin 1998 en condamnant un sous-traitant sur le fondement du principe général selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Cette solution présente le mérite de faciliter l’indemnisation de la victime qui peut profiter ainsi du principe de responsabilité pour troubles de voisinage directement contre celui qui est à l’origine des nuisances par son activité pour laquelle d’ailleurs il est assuré.
 
Mais l’exercice de cette option peut poser certaines difficultés au maître de l'ouvrage si celui-ci est choisi comme défendeur par la victime puis est condamné à réparer le trouble de voisinage. Même en dehors de toute clause du contrat, le maître de l'ouvrage condamné pour trouble de voisinage peut rechercher la responsabilité de l’entrepreneur. L’avantage de la clause du contrat est de prévoir par avance qui va assumer la contribution définitive des troubles causés aux voisins et dans quelles proportions. De plus, le fondement du recours du maître de l'ouvrage, condamné pour troubles de voisinage, est incertain. Tant en doctrine qu’en jurisprudence, de nombreux fondements ont été avancés et critiqués. La solution qui est retenue permet de déterminer sur qui les juges vont faire peser la réparation définitive de ces troubles : sur l’auteur de ces troubles ou sur le propriétaire du terrain. En effet, la responsabilité pour troubles de voisinage oscille depuis sa création entre un fondement réel et un fondement personnel.178 Dès lors, se pose la question de la nature de l’obligation de réparation . A-t-elle un fondement réel ou personnel ?
Pour répondre à ces interrogations, il convient de préciser le fondement de l’action récursoire, avant d’en étudier son régime.


A. Le fondement de l’action récursoire du maître de l’ouvrage

L’existence de ces actions récursoires s’explique par le fait que les constructeurs et le maître de l'ouvrage sont responsables ensemble et pour le tout du dommage causé. S’ils en sont responsables séparément et pour partie, il leur suffit de procéder à la réparation chacun dans la mesure qui lui incombe, et il n’y a pas de recours à exercer entre eux. Coauteurs du dommage, ils sont obligés in solidum de le réparer en entier, et se retournent les uns contre les autres pour obtenir une contribution à la dette.
L’action du maître de l'ouvrage solvens contre le constructeur est une action en contribution, par nature distincte de l’action en responsabilité de la victime. En effet, selon M. Pin,179 l’action en responsabilité de la victime relève de la poursuite, c’est à dire qu’elle vise à indemniser, alors que la contribution est un recours entre coauteurs qui dépend du rôle causal de chacun. Il ne s’agit pas pour le maître de l'ouvrage d’obtenir réparation mais de demander au juge la répartition de la charge de cette réparation. On peut alors se demander

178 Libchaber (R.), Le droit de propriété, un modèle pour la réparation des troubles de voisinage, Mélanges Mouly, Litec 1998, p. 421 et suiv.
179 Pin (X.), JCP Entreprise et Affaires, n° 21 du 23 mai 2002, p. 857-861.

 
quelle est la nature du recours du maître de l'ouvrage contre le constructeur, condamné à indemniser un tiers pour des nuisances occasionnées par un chantier.
La Cour de cassation avait dans un premier temps estimé que : « L’action récursoire du maître de l'ouvrage condamné au profit des propriétaires voisins trouve sa source dans les dommages causés à des tiers au contrat le liant au constructeur et est soumise aux règles de
la responsabilité quasi-délictuelle ».180
Puis, par un arrêt du 24 mars 1999, la 3e chambre écarte le fondement délictuel de l’action du maître de l’ouvrage pour retenir un fondement de nature contractuelle.181 Selon M. Jourdain,182 en condamnant la possibilité d’une action quasi-délictuelle, cet arrêt écarte le recours subrogatoire au profit du seul fondement contractuel, et met donc un terme à une jurisprudence qui offrait au maître de l'ouvrage une option entre une action subrogatoire pouvant être délictuelle et une action personnelle de type contractuel.183
Mais cette solution a été à la fois confirmée et remise en cause le même jour par trois arrêts, de la 3e chambre civile de la Cour de cassation en date du 21 juillet 1999.184 En effet, la Cour a, dans deux espèces, confirmé sa jurisprudence.185 Dans la troisième espèce, elle l’a remise en cause,186 puisqu’elle a admis « qu’un maître de l'ouvrage devait, dans son recours en garantie contre les constructeurs, être subrogé dans les droits et actions des victimes de troubles anormaux de voisinage, ce qui le dispensait d’avoir à prouver une faute des entrepreneurs ». Cette décision a fait l’objet de nombreuses critiques de la part de la doctrine, comme M. Courtieu,187 qui estime que cette solution conduit à faire supporter la charge définitive des troubles à l’entrepreneur, alors que le chantier procède d’une décision concertée. La majorité de la doctrine, dont M. Jourdain,188avait estimé que l’arrêt du 24 mars 2001 était un revirement de jurisprudence. Or, la troisième espèce de l’arrêt du 21 juillet 1999 remet en cause l’interprétation de cet arrêt.
Dès lors, on pouvait se poser la question de savoir si le maître de l'ouvrage condamné sur le fondement des troubles anormaux de voisinage avait conservé une option contre les

180 Cass. 3e civ., 31 oct. 1989 : Bull. civ. III, n° 199.
181 Cass. 3e civ., 24 mars 1999 : Bull. civ. III, n° 74 ; RDI 1999 p. 412 ; RTD civ. 1999 p. 640. 182 Cass. 3e civ., 21 juill. 1999: RTD civ. Janv./mars 2000, p. 120 et suiv., note Jourdain. 183 Cass. 3e civ., 1er déc. 1971 : Bull. civ. III,, n° 593.
184 Cass. 3e civ., 21 juill. 1999: Bull. civ. III, n° 182 ; RTD civ. Janv./mars 2000, p. 120 et suiv., note Jourdain. 185 Dastac et autres c/. Franjau et autres, non publié au Bulletin ; et Sprinks assurances et autre c/. Association immobilière des amis de l’adoration et autres, non publié au Bulletin, RTD civ. janv./mars 2000, p. 120 et suiv. 186 Société Sprinks assurances et autre c/. Syndicat des copropriétaires du 2-4 rue Thuillieret 42, rue d’Ulm, 75005 Paris, et autres, Bull. civ. III, n° 182 ; RTD civ. janv./mars 2000, p. 120 et suiv.
187 Courtieu (G.), « travaux de bâtiments et dommages au voisinage : d’arrêts de principe… en rapports annuels » : RCA 2000, chron. P. 6.
188 Jourdain (P.), obs. sous Cass. 3e civ., 31 oct. 2001, RTD civ. avr./juin 2002 p. 315.

 
constructeurs entre le recours personnel fondé sur le contrat et le recours subrogatoire lui permettant d’invoquer les règles délictuelles ?
L’explication est venue du rapport de la Cour de cassation pour l’année 1999. En effet, selon le Conseiller Villien,189 la subrogation était discutable lorsqu’il s’agissait d’un appel en garantie avant condamnation. Dans ce cas, le maître de l'ouvrage est donc tenu de fonder son action récursoire sur le contrat le liant à l’entrepreneur faute de pouvoir admettre une subrogation in futurum, avant tout paiement. En revanche, s’il a indemnisé la victime, il peut être subrogé dans ses droits et actions. En définitive, la possibilité d’exercer le recours subrogatoire va dépendre de l’indemnisation préalable de la victime, mais il reste tout à fait envisageable.
Enfin, dans la même lignée de l’arrêt du 24 mars 1999, la Cour de cassation dans un arrêt du 28 novembre 2001 affirme, au visa de l’article 1147 du code civil, que : « la responsabilité de l’entrepreneur, appelé en garantie, vis-à-vis du maître de l'ouvrage condamné à réparer les dommages causés à un tiers sur le fondement des troubles anormaux de voisinage est de nature contractuelle, et le maître de l'ouvrage ne peut invoquer une présomption de responsabilité à l’encontre de l’entrepreneur gardien du chantier190 ».
Selon M. Pin,191 cette solution permet peut-être de « réaffirmer la règle du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, qui semble méconnue par la jurisprudence offrant ainsi une option en faveur du recours subrogatoire délictuel ». En effet, dans cet arrêt, c’est au visa de l’article 1147 du code civil que la Cour de cassation rejette le recours du maître de l'ouvrage contre le constructeur fondé sur la responsabilité du fait des choses de l’article 1384, alinéa 1er. Or, en vertu du principe de non-cumul des responsabilités délictuelles et contractuelles, si le maître de l'ouvrage est contractuellement lié au constructeur, il ne peut agir que sur le fondement contractuel. En rejetant la possibilité au maître de l'ouvrage, condamné pour trouble anormal de voisinage, de faire un recours contre le constructeur sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er c’est-à-dire sur le fondement délictuel, M. Pin estime qu’il s’agit d’une condamnation implicite au recours à la théorie des troubles anormaux de voisinage. Mais selon M. Leturmy,192 cette règle n’est pas méconnue

189 Rapport de la Cour de cassation pour l’année 1999, « Vers une unification des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage dans la construction immobilière », p. 263 et suiv. 190 Cass. 3 e civ., 28 nov. 2001: Bull. civ. III, n°135 ; D. 2002. p. 3299, note Rabreau ; JCP E 2002. p. 809, note Pin ; Defrénois 2002. p. 1034, obs. Périnet-Marquet ; RCA 2002, n°60 note Groutel ; RDI imm. 2002. p. 90, obs. Malinvaud ; RTD civ. 2002. p. 315, obs. Jourdain.
191 Pin (X.), JCP Entreprise et Affaires, n° 21 du 23 mai 2002, p. 857-861.
192 Leturmy (L.), « La responsabilité délictuelle du contractant », RTD civ. 1998, p. 845-846.

 
car, en exerçant l’action subrogatoire, le maître de l'ouvrage prend la place du tiers indemnisé ; il n’agit donc pas comme une partie au contrat initial.
Mais la vraie question est alors de savoir si la Cour de cassation entend rejeter tout fondement délictuel en vertu du principe du non-cumul, ou alors si elle entend seulement écarter le recours du maître de l'ouvrage, condamné pour trouble anormal de voisinage, sur le fondement de la garde.
Dans l’arrêt du 28 novembre 2001 et à la différence de celui du 31 octobre 2001,193 le maître de l'ouvrage n’avait pas encore indemnisé la victime au jour où le juge avait dû se prononcer sur la garantie de l’entrepreneur ; faute de paiement, il n’y avait donc pas subrogation possible dans le droit de la victime de se prévaloir des règles délictuelles. Cette décision n’est donc pas en contradiction avec les décisions précédentes.
De l’ensemble de ces arrêts, M. Jourdain tire comme conséquence qu’il n’existe plus d’option entre les actions personnelle et subrogatoire. En effet, faute de subrogation après paiement, la responsabilité de l’entrepreneur est de nature contractuelle, c’est-à-dire que le maître de l'ouvrage n’a pas le choix des recours : soit il a indemnisé la victime et il peut être subrogé, soit il ne l’a pas indemnisé et le seul recours qui lui reste est un recours contractuel. Cela peut être perçu comme une innovation au regard de la jurisprudence antérieure qui admettait une option entre l’exercice d’une action délictuelle subrogatoire, même en cas d’appel en garantie avant condamnation.194 Dès lors, il semble que la Cour de cassation veuille empêcher le recours sur le fondement de la garde et non pas tout recours de nature délictuelle. Cette solution se comprend aisément, car offrir la possibilité au maître de l'ouvrage de faire un recours sur ce fondement aurait fait peser la charge des troubles de voisinage sur les constructeurs.
Reste en suspens, la question de savoir quelle est la mesure de la contribution entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs.
Ce trouble a été semé par M. Pin,195qui voit dans les termes employés par la Cour de cassation non pas une action en contribution mais une action en réparation. En effet, il estime que lorsque la Cour de Cassation dans l’arrêt du 28 novembre 2001 emploie les termes suivants : « la responsabilité de l’entrepreneur […] vis-à-vis du maître de l'ouvrage condamné […] est de nature contractuelle », elle semble assimiler le recours du maître de l'ouvrage à un recours en réparation, alors que la logique du recours relève de la contribution. Il ajoute

193 Cass. 3e civ., 31 oct. 2001, Société Ventmeca c/ Reumond, RTD civ. Avr./juin 2002, p. 316 et suiv.
194 Cass. 3e civ., 21 févr. 1984, Bull. civ. III, n° 42 ; RTD civ. 1984 p. 740, obs. Rémy ; 29 janv. 1992, Bull. civ. IV, n° 30.
195 Pin (X.), chron. Préc. note (83).

 
qu’« on ne peut raisonnablement avancer que celui qui a été condamné pour avoir causé un dommage est, à son tour, victime de son paiement ». En réalité, le maître de l'ouvrage n’est pas victime mais débiteur d’une obligation légale, parce qu’il a pris l’initiative d’un chantier qui s’est révélé nuisible.
Dès lors, le maître de l'ouvrage est-il coauteur du dommage ou victime. A cette question sommaire s’ajoute la véritable question de la nature juridique de cette action, à savoir si le maître de l'ouvrage condamné sur le fondement des troubles anormaux de voisinage envers le voisin, dispose contre le constructeur d’une action en responsabilité ou d’une action récursoire.

Si le maître de l'ouvrage pouvait se prévaloir d’une responsabilité de plein droit, il se verrait offrir un recours intégral ce qui serait contraire à la mesure de la contribution.
En effet, le maître de l'ouvrage et le constructeur, ayant procédé à la construction d’un commun accord, sont tenus in solidum à l’égard des tiers. Ainsi, les victimes peuvent agir indifféremment contre le maître de l'ouvrage ou contre l’entrepreneur sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. Dès lors, chacun doit avoir une action récursoire contre l’autre car il est injuste de laisser systématiquement la totalité de la dette à la charge de l’un d’entre eux. Au contraire, chaque auteur est tenu de sa part et garant de celle des autres. C’est en ce sens que la Cour de cassation, dans l’arrêt du 28 novembre 2001, a écarté la responsabilité de plein droit édictée par l’article 1384, alinéa 1er du code civil à l’encontre de l’entrepreneur gardien du chantier. En effet, une solution contraire aurait conduit l’entrepreneur à supporter la réparation intégrale des troubles causés, y compris ceux qui ne dépassent pas les inconvénients normaux du voisinage. Le recours est fonction de la qualité du maître de l'ouvrage et de celle du constructeur. Le partage s’opère suivant le rôle causal de chacun, laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond. Si le solvens a été condamné en qualité de coauteur, il ne peut recourir que pour partie car il doit supporter sa part. S’il a été condamné sur le fondement d’une responsabilité sans faute ou de plein droit, qui aurait pu également être imputée au défendeur, M. Pin préconise une répartition par parts viriles. En revanche, s’il a été condamné non comme coresponsable mais comme garant, son recours peut s’exercer sur le tout.
Le présent arrêt, en rejetant l’article 1384, alinéa 1er , du code civil, refuse la logique de garantie et place le maître de l'ouvrage sur le même plan que le constructeur. En effet, la décision de construire sur tel sol à tel endroit appartient au maître de l'ouvrage. Dès lors, sa décision est en partie à l’origine des nuisances causées à ses voisins. Par conséquent, M. Pin 196 Cass. 3e civ., 16 mai 2001, RDI 2001, p. 394, obs. Malinvaud. 197Obs. Villien préc. note n° préconise qu’à défaut de faute du constructeur, le maître de l'ouvrage doit être privé d’un recours systématique sur le tout. Mais, il met en garde contre les injustices de cette solution qui consisterait à faire supporter au maître de l'ouvrage l’entière réparation, en mettant à sa charge la preuve d’une faute contractuelle quasi-impossible à apporter.

Pour répondre valablement à cette question, il convient de préciser comment mettre en œuvre la responsabilité contractuelle du constructeur.


B. Régime de l’action récursoire du maître de l’ouvrage

Contrairement à la responsabilité spécifique des constructeurs, il n’existe pas de régime unifié en matière de responsabilité contractuelle de droit commun. Il n’existe pas non plus de présomption de responsabilité, car ce régime de responsabilité ne peut être prévu que par la loi. Si le législateur a souhaité instaurer un régime de garantie au maître de l'ouvrage pour les dommages qui affectent son ouvrage, il ne l’a pas prévu lorsque les dommages affectent les voisins. En effet, le maître de l'ouvrage condamné pour troubles anormaux de voisinage ne peut rechercher la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur ou de tout intervenant, que si ce trouble est dû à l’inobservation des prescriptions imposées par la convention.
Il reste notamment à déterminer le contenu de l’obligation des constructeurs. Est-ce une obligation de moyens ou de résultat ?
Cette question soulève quelques problèmes ; même si la Cour de cassation a admis que la responsabilité des constructeurs envers les voisins n’est pas une responsabilité fondée sur une obligation de résultat, la preuve de la faute est nécessaire.196 En effet, l’entrepreneur a contracté une obligation de résultat, celle d’édifier sans désordres un immeuble. Pour autant est-ce que cette obligation de résultat peut s’étendre à la sauvegarde de l’immeuble voisin ?
En dehors d’une clause contractuelle, cette solution semble peu probable. D’ailleurs, selon le Monsieur le Conseiller Villien,197 si on admettait que l’obligation de résultat puisse s’étendre à la sauvegarde de l’immeuble voisin, il y a des situations dans lesquelles elle ne peut s’appliquer. En effet, cette obligation ne pourrait s’étendre aux troubles causés par l’existence même de l’immeuble. Dans cette situation, il est nécessaire de maintenir l’exigence d’une faute contractuelle. Peut-on reprocher, en effet, à un architecte ou à un entrepreneur d’avoir construit un immeuble à l’endroit où le maître de l'ouvrage lui a demandé de le faire, sauf à mettre en jeu leur responsabilité contractuelle pour défaillance dans le devoir de conseil ?
Quoi qu’il en soit, à l’heure actuelle, la jurisprudence exige la preuve de l’existence d’une faute contractuelle.
Si le maître de l'ouvrage choisit la voie contractuelle, ne disposant pas de fondement subrogatoire, il doit apporter la preuve que le trouble de voisinage est dû à une faute commise par l’entrepreneur dans l’exécution des ses travaux. Il doit donc rapporter la preuve de l’inexécution par l’entrepreneur de ses obligations nées du contrat, ainsi que la preuve que cette inexécution est la cause du trouble. Ainsi par exemple, la 3e chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 24 avril 2003198 a réaffirmé qu’à défaut de dispositions contractuelles, le recours du maître de l'ouvrage condamné sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, contre le constructeur, nécessite la preuve d’une faute. En effet, jusqu’à ce jour, la jurisprudence n’admet pas de responsabilité objective des constructeurs, ce qui signifie qu’elle consacre ici une obligation de moyens de ne pas causer de dommages aux tiers. Quant à la faute du constructeur, elle peut être caractérisée, par exemple, si l’entrepreneur travaille en dehors des heures qui ont été prévues par le contrat199, ou sans respecter les normes de bruits imposées, ou s’il a manqué aux règles de l’art, etc. Le maître de l'ouvrage qui a dû en indemniser les voisins peut exercer un recours pour manquement aux obligations du contrat. Un arrêt isolé de la Cour d’appel de Paris a même admis que « sauf réserves formulées par l’entrepreneur, il pesait sur lui une obligation de résultat de ne pas causer de dommages aux voisins200 ».
Enfin, le maître de l'ouvrage peut aussi fonder son recours sur le manquement de l’entrepreneur ou du maître d’œuvre à son obligation de conseil ; cette obligation pèse également sur le contrôleur technique, même dans le cas où sa mission ne porte pas sur des ouvrages avoisinants. Ainsi, par exemple, la cour de cassation a décidé le 5 avril 1995 que le contrôleur technique « chargé de la prévention des risques, devait prendre en considération la nature du terrain et se préoccuper des modifications à apporter au sol en vue de la

198 Cass. 3e civ., 24 avr. 2003 : RDI juill./aôut 2003, p 358. Obs. Malinvaud.
199 Cass. 3e civ., 22 nov. 2000, RDI 2001 p. 87; l’arrêt retient également la responsabilité de l’architecte pour n’avoir pas veillé au respect par l’entrepreneur des prescriptions de son marché relativement aux précautions à prendre pour éviter les nuisances.
200 CA Paris, 19e ch. B. 13 janv. 2000. RDI 2000 p. 184, obs. P. Malinvaud.

 
construction (…) et appeler l’attention du maître de l'ouvrage ou des architectes sur la nécessité de faire procéder à une étude géotechnique201 ».
Il incombe en effet à ses professionnels d’avertir le maître de l'ouvrage des risques de l’opération pour la tranquillité des voisins, pour la solidité des immeubles contigus, et même pour les inconvénients qui résultent pour les voisins de la présence du nouvel immeuble. Mais, si le maître de l'ouvrage passe outre les avertissements qui lui ont été donnés, il est censé en avoir accepté les risques202.
Or, dans l’arrêt du 24 avril 2003203, le maître de l'ouvrage ne parvient pas à rapporter la preuve que des fissurations apparues sur le fonds voisin étaient dues à une faute commise par l’entrepreneur dans l’exécution de ses obligations, et logiquement, la Cour de cassation a alors déclaré irrecevable l’appel en garantie.
Mais l’inconvénient n’est pas seulement de rapporter cette preuve, il réside également dans le fait que la réparation n’est pas forcément intégrale, puisqu’elle est limitée au dommage prévisible et qu’une clause limitative de responsabilité peut être opposée au maître de l'ouvrage.
En effet, en matière de responsabilité contractuelle, l’article 1150 du code civil limite le dommage réparable à ce qui était prévu et prévisible lors du contrat afin « de ne pas trahir leurs prévisions et de ne pas déséquilibrer l’acte rétrospectivement ».204
Concernant les clauses limitatives de responsabilité, cette interrogation est d’autant plus intéressante que ces clauses, normalement valables uniquement entre personnes de mêmes compétences, peuvent être opposées par un profane par le biais de l’action directe.
La question de la validité des clauses limitatives de responsabilité ne se pose pas en ce qui concerne la responsabilité spécifique des constructeurs, puisque l’article 1792-5 du code civil les répute non écrites.
En revanche, cette interrogation reprend tout son intérêt en matière de responsabilité contractuelle de droit commun. Il convient de distinguer entre deux types de clauses allégeant la responsabilité du constructeur, celles qui délimitent l’obligation du débiteur, qui agissent sur la source de la responsabilité, c’est-à-dire sur l’obligation violée, et celles qui limitent ou excluent la réparation des dommages qui agissent sur les effets de l’obligation violée. Par principe, les unes et les autres sont valables par application de la théorie de l’autonomie de la volonté, à la condition préalable de l’égalité des contractants, c’est-à-dire des rapports entre

201 Cass. 3e civ., 5 avril 1995, RDI 1995 p. 553.
202 Cass. 3e civ., 19 janv. 1994, Bull. civ. III, n°6 ; RDI 1994, p. 253, obs. P. Malinvaud. 203 Obs. Malinvaud préc. n° 189.
204 Radé (C.), « Droit à réparation », juris-classeur civil, Fasc. 170, art. 1146 à 1155.

 
deux professionnels ou entre deux profanes. En effet, une clause qui allège la responsabilité peut être déclarée abusive, en application de l’article L. 132-1 du code de la consommation.
Toutefois, la clause délimitant l’obligation contractuelle doit laisser un sens et une utilité au contrat. Elle n’est donc efficace que si elle n’écarte pas l’obligation essentielle du contrat, qui autrement manquerait de cause.

Mais l’admission de la voie contractuelle présente également quelques difficultés. En effet, lorsque la nature des dommages exclut l’application de la responsabilité de plein droit des articles 1792 et suivants du code civil, et que le contrat ne garantit pas expressément les dommages causés aux tiers, le maître de l'ouvrage doit prouver la mauvaise exécution du contrat.205 De plus, il ne faut pas oublier que le recours du maître de l'ouvrage se trouve partiellement ou totalement anéanti en cas d’immixtion de sa part206 ou lorsqu’il a imposé des
économies.207
Cette exigence prive pratiquement le maître de l'ouvrage de tout recours car l’exécution du contrat au préjudice des tiers ne s’analyse pas a priori en une inexécution contractuelle. L’action de type contractuelle n’est efficace que si les parties ont prévu une répartition des conséquences dommageables de leur entreprise commune. Pour M. Pin,208 en dehors de ces cas, la seule solution consisterait à faire comme s’il y avait un contrat sur la répartition des conséquences préjudiciables du chantier, c’est-à-dire se placer sur le terrain du quasi-contrat.
Certains ont pu avancer qu’il s’agissait d’une gestion d’affaire, mais M. Pin réfute cette théorie, car la gestion d’affaire suppose de gérer l’affaire d’autrui, ce qui n’est pas le cas du solvens condamné à réparation. Pour d’autres, comme M. Canin,209 l’action « récursoire personnelle » trouve son fondement dans la théorie de l’enrichissement sans cause. En effet, lorsqu’un coresponsable paye une dette qu’il ne devait pas supporter définitivement en tout ou en partie, il se produit un enrichissement et un appauvrissement corrélatif, ce qui justifie le retour à l’équilibre. Mais il ajoute que pour admettre cette théorie, il faut écarter deux objections.
La première consiste à dire, que celui qui acquitte sa propre dette ne s’appauvrit pas sans cause, puisqu’il agit en exécution d’une obligation légale. A cette première objection, M.

205 Cass. 3e civ., 23 janv. 1991 : Bull. civ. III, n° 27.
206 Cass. 3e civ., 8 mars 1968 : Bull. civ. III, n° 99. 207 Cass. 3e civ., 8 juill. 1971 : Bull. civ. III, n° 348. 208 Pin (X.), chron. Préc. note (83).
209 Canin (V.P.), « Les actions récursoires entre coresponsables », Litec, 1996, n°110.

 
Dejean de la Bâtie210 répond qu’il existe certes une obligation légale de réparation à l’égard de la victime, mais qu’il n’existe aucune obligation légale de contribuer définitivement à cette dette.
Concernant la deuxième objection, le caractère subsidiaire de l’action de in rem verso a été avancé. Cette objection n’est pas non plus dirimante, non seulement parce que la subsidiarité est remise en cause par la jurisprudence,211 mais aussi parce qu’il n’est pas nécessaire que le recours entre coresponsables emprunte la technique de l’action de in rem verso. Par exemple, la chambre des requêtes de la Cour de cassation dans un arrêt du 15 juin 1892 a jugé que : « cette action dérivant du principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est soumis à aucune condition déterminée ; qu’il suffit, pour la rendre recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à celui contre lequel il agit ».
Enfin, il relève que la logique de la contribution commande que le quasi-contrat complète le contrat. En effet, le contrat porte sur l’exécution des travaux et le quasi-contrat vise à répartir la charge des dommages, en l’absence de prévision des parties. De là, le recours en contribution pourrait même apparaître comme l’une des suites possibles du contrat, au sens de l’article 1135 du code civil : « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites de l’équité, l’usage et la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».
En limitant le recours du maître de l'ouvrage condamné sur le fondement des troubles de voisinage envers le voisin, contre le constructeur sur le fondement contractuel, la Cour de cassation semble vouloir faire peser la contribution définitive de la responsabilité sur ce dernier. En effet, la preuve de la faute du constructeur étant difficile à rapporter, sauf cas marginaux, les situations dans lesquelles le maître de l'ouvrage peut faire un recours contre les constructeurs sont exceptionnelles. La Cour de cassation penchait déjà en faveur d’un fondement réel pour justifier l’action en réparation des troubles de voisinage, tout au moins au stade de l’action principale de la victime. En enfermant le recours du maître de l'ouvrage contre le constructeur sur le fondement contractuel, et de ce fait en le rendant quasi illusoire, la Cour penche à nouveau sur un fondement réel pour justifier cette action récursoire.

210 Dejean de la Bâtie (N.), note sous Cass. 1re civ., 7 juin 1977 : JCP G 1978, II, p. 19003. 211 Terré (F.), Simler (P.) et Lequette (Y.), Droit civil, les obligations, Dalloz, 7e éd., n° 940.
 

Lorsque le maître de l'ouvrage est condamné sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, il dispose de deux actions différentes. Comme nous l'avons vu, il peut se prévaloir de sa qualité de co-contractant de l'entrepreneur, ce qui lui permet d'exercer une action personnelle et contractuelle. Comme nous allons le voir, il peut aussi se prévaloir de sa qualité de Øveııs, ce qui lui permet d'agir dans les droits des victimes indemnisées grâce au mécanisme de la subrogation légale.
 
Section II : Les recours subrogatoires

Plutôt que d’exercer son action récursoire sur le fondement du contrat de louage d’ouvrage, le maître de l'ouvrage peut avoir intérêt à se prévaloir de la subrogation. L’obligation in solidum s’accompagne normalement du jeu de la subrogation ; lorsque l’un des responsables a désintéressé la victime, il est censé avoir payé pour d’autres et peut se retourner contre les coauteurs du dommage. Le maître de l'ouvrage doit donc consentir à exécuter la décision rendue au bénéfice de son voisin, puis après paiement, exercer un recours subrogatoire contre le constructeur. L’intérêt de ce processus est d’éviter d’avoir à prouver la faute, puisque la subrogation dans les droits du voisin porte sur une responsabilité de plein droit. De plus, à la différence de la voie contractuelle, la réparation n’est pas limitée aux dommages prévisibles mais s’étend à la totalité de ce dommage. Et une clause limitative de responsabilité ne peut pas être opposée au maître de l'ouvrage.
En revanche, le maître de l'ouvrage peut également continuer à procéder par voie d’appel en garantie, sur le fondement d’une responsabilité contractuelle, mais il lui appartient de prouver la faute.
En effet, un maître de l'ouvrage dont la responsabilité est recherchée par son voisin pour troubles de voisinage peut exercer son appel en garantie ou son recours contre les constructeurs sur deux fondements différents : ou bien il se fonde sur le contrat qui le lie aux constructeurs, ou bien, mais seulement après avoir indemnisé le voisin, il invoque la subrogation dans les droits de ce voisin. Dans le premier cas, la responsabilité est contractuelle, dans le second délictuelle. En effet, par exemple la Cour de cassation décide que : « encourt la cassation l’arrêt qui, pour débouter le maître de l'ouvrage de son action récursoire, relève que celui-ci, agissant contre l’entrepreneur sur le fondement qui n’est pas l’art. 1792 du c. civ., doit démontrer l’existence d’une faute et que la preuve de cette faute n’est pas rapportée, alors qu’il constate que le maître de l'ouvrage est subrogé dans les droits et actions de ses voisins, victimes de troubles anormaux de voisinage212 ».
En visant l’article 1147 du code civil, les auteurs, comme M. Pin, ont pu penser que la troisième chambre civile avait décidé d’abandonner la voie de la subrogation. Mais, dans le

212 Cass. 3e civ., 21 juill. 1999 : Bull. civ. III, n° 182 ; D. 1999. IR. P. 228 ; RCA 1999. Chron. 23, par Groutel ; RDI 1999 p. 656 obs. Malinvaud ; RTD. civ. 2000 p. 120, obs. Jourdain.
 
rapport de la Cour de cassation pour l’année 1999, le Conseiller Villien nous précise que le maître de l'ouvrage n’a plus d’option entre le recours contractuel et la subrogation. Il ne peut être subrogé que s’il a indemnisé la victime. A défaut d’indemnisation, le seul recours possible est la voie contractuelle.
Puisque le maître de l’ouvrage peut être subrogé dans les droits et actions de la victime, nous allons tout abord étudier les conditions de la subrogation avant d’en préciser son fondement.

Paragraphe I : Les conditions de la subrogation

Le maître de l'ouvrage qui a indemnisé le voisin victime de trouble de voisinage se trouve subrogé par application de l’article 1251, alinéa 3 du code civil, dans les droits dont ce voisin disposait à l’encontre des constructeurs. Selon cet article, la subrogation a lieu de plein droit « au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour d’autres au paiement de la dette, avait intérêt à l’acquitter ». Il en est ainsi notamment dans le cas d’obligation in solidum.213
Lorsque deux coauteurs ont par leurs fautes contribué à la production du même
dommage, celui qui a désintéressé intégralement la victime a, par l’effet de la subrogation
légale, un recours contre l’autre coauteur.214 Pour que cette disposition puisse trouver
application, le maître de l'ouvrage doit avoir été juridiquement obligé à la dette, il doit avoir
indemnisé la victime et il doit avoir payé la victime en qualité de co-débiteur ou de garant. Il
est à préciser que le subrogé n’a pas plus de droits que son subrogeant au lieu et place duquel
il agit. Ainsi, par exemple, dans l’arrêt du 24 septembre 2003,215 la Cour de cassation a pu
juger que « le maître de l'ouvrage qui a effectué des paiements au profit des voisins était
subrogé, dans les droits de ce dernier, à hauteur de ces paiements contre les constructeurs et
leurs assureurs sur le fondement du principe prohibant les troubles anormaux de voisinage ».
Selon M. Pin, l’article 1236 du code civil pourrait apporter une limitation à
subrogation. En effet, selon son alinéa premier, « une obligation peut être acquittée par toute
personne qui y est intéressée, telle qu’un coobligé ou une caution » ; le second alinéa précise
que « l’obligation peut même être acquittée par un tiers qui n’y est point intéressé, pourvu

213 Cass. 1re civ., 23 oct. 1984 : Bull. civ. I, n° 276.
214 Cass. 2e civ., 1er oct. 1975 : Bull. civ. II, n° 235.
215 Cass. 3e civ., 24 sept. 2003 : RCA déc. 2003 p. 16, obs. Grroutel. 
216 Obs. Grroutel préc. note 211. 217 Obs. Villien préc. note n° 185.

que ce tiers agisse au nom et en l’acquit du débiteur, ou que, s’il agit en son nom propre, il ne soit pas subrogé aux droits du créancier ». C’est en confrontant les articles 1251, alinéa 3 et 1236 du code civil, qu’il s’aperçoit que la subrogation n’est possible qu’en faveur d’une personne ayant payé « au nom et en l’acquit du débiteur » ou d’une personne ayant eu un intérêt à la dette. Si le maître de l'ouvrage est condamné « au nom et en l’acquit » du véritable responsable, il s’agit d’un responsable du fait d’autrui, qui joue un rôle de garant. Il préconise de rejeter cette solution car les hypothèses de responsabilité du fait d’autrui sont strictement limitées. Si le maître de l'ouvrage est condamné « en son nom propre », comme un coresponsable, il n’est pas subrogé dans les droits du créancier victime. D’ailleurs, il préconise d’étendre cette analyse à toutes les hypothèses de coresponsabilité car la subrogation est une faveur qui ne doit s’appliquer qu’au profit des assureurs ou des véritables garants ( caution, coobligés contractuels), afin de préserver leur intérêt à la dette. Pour ceux qui ne sont pas intéressés à la dette, le fondement de l’action récursoire doit être contractuel.
Quoi qu’il en soit, les tribunaux permettent au maître de l'ouvrage qui a indemnisé la victime d’être subrogé dans ses droits contre les constructeurs, et cela même très récemment dans un arrêt du 24 septembre 2003.216 Si l’ensemble des conditions nécessaires à la mise en œuvre de la subrogation ne soulève pas de problèmes majeurs, en revanche la condition du paiement est sans cesse discutée. La question qui s’est posée en doctrine était de savoir, si l’on pouvait admettre la subrogation in futurum ?
Monsieur le Conseiller Villien217 a mis fin à la division doctrinale, en précisant dans le rapport de la Cour de cassation pour l’année 1999, que le maître de l'ouvrage qui a indemnisé la victime, peut être subrogé dans ses droits contre le constructeur.
Il faut souligner qu’actuellement, la jurisprudence refuse d’appliquer la subrogation in futurum. En d’autres termes, pour profiter des effets de la subrogation, celui qui l’invoque doit au préalable rapporter la preuve du paiement qu’il a effectué entre les mains de celui dans les droits duquel il veut être subrogé : une promesse de paiement ne suffit pas. En définitive, la possibilité d’exercer le recours subrogatoire va dépendre de l’indemnisation préalable de la victime, mais il reste tout à fait envisageable.
Pour que le maître de l'ouvrage puisse être subrogé dans les droits et actions de la victime, il faut que la procédure se déroule en deux temps. Il doit indemniser la victime et ensuite faire un recours contre les constructeurs. Mais le plus souvent il n’en est pas ainsi : la victime appelle son voisin qui appelle en garantie ses constructeurs. Dans ce cas, on se heurte à la prohibition de la subrogation in futurum retenue par la jurisprudence, sous réserve, peutêtre de certains cas liés au contrat d’assurance : pas de subrogation tant que le paiement n’a pas eu lieu.218
En effet, en vertu de l’article L. 121-12 du code des assurances, l’assureur de dommages dispose d’une subrogation légale dans les droits de son assuré à l’encontre de tout tiers responsable envers ce même assuré. Mais le texte est formel, qui subordonne cette subrogation au fait que l’assureur ait préalablement indemnisé son assuré. De ce fait on en a longtemps déduit que, si cette condition n’était pas remplie, l’action subrogatoire était irrecevable.
Mais, dans un arrêt du 9 octobre 2001,219 l’assureur qui n’avait pas encore indemnisé la victime, demandait à être subrogé dans ses droits contre les responsables en s’appuyant sur l’article 126 du nouveau code de procédure civile. Aux termes de cet article, une irrecevabilité peut être écartée, si la cause de la fin de non-recevoir a disparu au moment où le juge statue. Donc, l’assureur est considéré comme ayant valablement exercé son action subrogatoire, même s’il n’a pas encore réglé son assuré lorsqu’il l’intente, dès lors que le paiement est intervenu avant que le juge statue. C’est en ce sens que la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d'appel qui déclare irrecevable la demande de l’assureur. M. Durry220 approuve cette solution lorsqu’il énonce qu’en matière d’assurance construction, les déclarations de sinistre sont souvent faîtes à la fin de la période décennale, ce qui obligerait l’assureur de dommages à payer la victime sur-le-champ pour échapper à la prescription, alors qu’il est en droit d’étudier le dossier avant de se prononcer sur sa garantie. Il ajoute que cette solution s’applique également à l’assureur de responsabilité, qui bénéficie de la subrogation légale, chaque fois qu’il y a lieu d’envisager un recours contre un co-responsable. Enfin, la régularisation est possible, pourvu qu’elle intervienne avant que le juge statue, que ce soit devant le tribunal ou la cour d'appel. En revanche, naturellement, au stade de la cassation, ce serait trop tard.

Certains auteurs, comme M. Jourdain, ont tenté d’assimiler cette solution au recours du maître de l'ouvrage contre le constructeur. En effet, en l’état actuel de la jurisprudence, en l’absence d’indemnisation des victimes, le maître de l'ouvrage ne peut exercer un recours de nature subrogatoire, la subrogation étant subordonnée à un paiement préalable.221 Dès lors, le maître de l'ouvrage devait se contenter d’un recours personnel de nature contractuelle, ce qui

218 Cass. 1re civ., 24 mars 1992, Bull. civ. n° 91, p. 60.
219 Cass. 1re civ., 9 oct. 2001, RDI janv./févr. 2002 p. 31-32, obs. Durry. 220 Obs. Durry, Ibid.
221 Obs. Jourdain (P.), RTD civ. 2001, p. 315. 
222 Cass. 1re civ., 18 mars 2003, RTD civ. juill./sept. 2003 p. 514 et suiv., obs. Jourdain.
223 Cf. supra.


implique en principe, sauf engagement spécial de l’entrepreneur, la preuve de la faute de celui-ci. Or, dans l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 18 mars 2003,222 un tel engagement existait puisque l’entrepreneur s’obligeait à garantir le maître contre le recours des tiers. Et comme nous l’avons déjà énoncé,223 en présence de la clause d’exclusion d’assurance, l’entrepreneur ne pouvait l’opposer à son assureur.
C’est pour cette raison essentielle que M. Jourdain préconise d’admettre une subrogation légale anticipée lorsqu’un co-responsable de dommages est assigné par la victime. En effet, cette solution aurait pour mérite de régler dans un même procès la question des recours en contribution en les fondant sur la subrogation légale, sans distinguer selon qu’un paiement est ou non intervenu. Du point de vue de l’assurance, la possibilité d’une condamnation immédiate fondée sur la subrogation tiendrait en échec les clauses d’exclusion de garantie pour des engagements contractuels excédant la responsabilité de droit commun.


S’il est incontestable que la subrogation suppose normalement un paiement, la question du fondement de la subrogation est controversé.

Paragraphe II : La question controversée du fondement de la subrogation

Le maître de l’ouvrage qui a indemnisé le voisin victime est subrogé dans ses droits et actions contre les constructeurs. Le fondement de la subrogation du maître de l’ouvrage est donc fonction des actions dont dispose le voisin contre les constructeurs.
Ce voisin victime peut rechercher la responsabilité des constructeurs sur le fondement de l’article 1382 du code civil, qui exige de rapporter la preuve d’une faute, ou sur le fondement de l’article 1384 du même code, en sa qualité de gardien de la chose, ou encore depuis peu sur le fondement des troubles anormaux de voisinage.
Dès lors, est-ce que le maître de l’ouvrage peut être subrogé contre les constructeurs sur ces différents fondements ?
 
Pour le savoir, nous allons présenter dans un premier temps, la subrogation sur le fondement de la faute et de la garde, avant d’étudier la question délicate de la subrogation sur le fondement des troubles de voisinage.

A. Subrogation fondée sur la faute ou la garde de la chose

Plutôt que d’exercer son action récursoire sur le fondement du contrat, le maître de l'ouvrage a tout intérêt à se prévaloir de la subrogation.
Pouvoir invoquer la faute délictuelle des constructeurs ne présente pour le maître de l'ouvrage aucun avantage par rapport à l’action dont il dispose déjà au plan contractuel.
En revanche, il a tout intérêt à exercer un recours subrogatoire sur le fondement de la garde, car il bénéficie alors de la présomption de responsabilité qui pèse sur le gardien et qui ne tombe que devant la preuve de la cause étrangère, mais la jurisprudence est très réticente à l’admettre.224
La question qui se pose alors est de savoir si le maître de l'ouvrage peut bénéficier d’un tel recours. Pour que le maître de l'ouvrage puisse en bénéficier, encore faut-il que le voisin ait effectivement disposé de cette action contre les constructeurs. Or, si la jurisprudence l’a admis dans un premier temps, elle se montre très réticente à l’admettre aujourd’hui. En effet, toutes les demandes fondées sur la garde sont en général rejetées au motif qu’il n’est pas démontré que l’entrepreneur avait l’usage, la direction et le contrôle du chantier. C’est pour cette raison essentielle, que ce fondement est difficilement admis par la jurisprudence lorsqu’il s’agit d’un recours subrogatoire.
Ainsi, ce recours n’était pas admis par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation225, en revanche, il l’était par la troisième chambre.226 Puis, la troisième chambre n’a admis sur ce fondement qu’un recours partiel.227 Par la suite, elle a écarté le recours au motif que l’entrepreneur et le maître de l'ouvrage étaient contractuellement liés,228 mais c’était dans

224 Cass. 3e civ., 28 nov. 2001, RDI 2002, p. 90, obs. Malinvaud ; D. 2002, juris. p. 3299, note Rabreau ; RTYD civ. 2002, Chron. p. 315, obs. Jourdain.
225 Cass. 2e civ., 17 nov. 1970, JCP. 1971. II. p. 16748 ; 31 janv. 1973. Bull. civ. II, n°38. 226 Cass. 3e civ., 9 nov. 1982, Bull. civ. III, n°82.
227 Cass. 3e civ., 6 mars 1991, JCP 1991. IV. p. 173.
228 Cass. 3e civ., 24 mars 1999, D. 1999. IR. p.111 ; RTD civ. 1999, p. 640, obs. P. Jourdain; RDI 1999 p. 412, obs. P. Malinvaud.

 
une hypothèse où le maître de l'ouvrage n’avait pas encore indemnisé le tiers voisin si bien qu’il ne pouvait invoquer le bénéfice de la subrogation.
La Cour de cassation semble vouloir écarter toute application de l’article 1384, alinéa 1, en matière de troubles de voisinage, même si à ce jour elle ne l’a pas encore affirmé clairement. Ainsi, par exemple, dans l’arrêt du 24 mars 1999229, la Cour de cassation a toutefois écarté le recours du maître de l'ouvrage sur le fondement de la garde dans les termes suivants : « mais attendu, d’une part, que l’entrepreneur et le maître de l'ouvrage étant contractuellement liés, la Cour d'appel a retenu, à bon droit, que c’était en vain que ce dernier invoquait à l’appui de son action en garantie, une présomption de responsabilité à l’encontre de l’entrepreneur, au motif que celui-ci avait la garde du chantier. »
Par ailleurs, depuis que la Cour de cassation a ouvert un recours aux voisins contre le constructeur sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, une nouvelle question se pose à savoir si le maître de l'ouvrage condamné à l’égard du voisin sur le fondement de cette théorie peut exercer un recours subrogatoire contre l’entrepreneur sur ce même fondement.


B. Subrogation fondée sur les troubles de voisinage

La Cour de cassation, dans un arrêt du 21 juillet 1999, admet implicitement le principe du recours subrogatoire du maître de l'ouvrage contre le constructeur sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage puisqu’elle casse l’arrêt d’appel qui avait écarté ce recours au motif que le maître de l'ouvrage ne démontrait pas l’existence d’une faute de l’entrepreneur au visa du principe selon lequel : « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage230 ».
Selon la doctrine unanime, dont M. Malinvaud ou M. Jourdain ou encore M. PerinetMarquet, le maître de l'ouvrage ne peut être subrogé sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage contre le constructeur. En effet, cette théorie n’est pas destinée à répartir la dette entre eux, mais permet un recours pour le tout contre le constructeur. L’admission de la subrogation sur ce fondement ferait du maître de l'ouvrage non pas un coauteur mais un garant. Comme nous l’avons précisé, lorsque le coauteur fait une action en contribution à la dette, c’est pour demander au juge qu’il répartisse la dette entre

229 Cass. 3e civ., 24 mars 1999 : Bull. civ. III, n° 74 ; RDI 1999 p. 412 ; RTD civ. 1999 p. 640.
230 Cass. 3e civ., 21 juill. 1999, Bull. civ. III, n°182; RDT civ. 2000, p. 120, obs. P. Jourdain; RDI 1999 p. 656, obs. P. Malinvaud.
 
231 Cass. 1re civ., 18 sept. 2002, RDI jan./Févr. 2003 p. 96-97, note Malinvaud. 232Cass. 3e civ., 24 sept. 2003, RDI nov./déc. 2003 p.582-583, note Malinvaud.

eux à proportion de leur responsabilité. Or, la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage est une responsabilité objective, qui est par nature étrangère de la notion de faute. Par contre, si le maître de l'ouvrage est garant du constructeur, il peut se retourner contre ce dernier à ce moment là pour le tout.
De plus, admettre ce fondement, c’est faire peser la contribution à la dette sur les constructeurs et non plus sur le maître de l'ouvrage. C’est dire que le fondement de l’obligation de réparer le dommage anormal de voisinage pourrait osciller vers un fondement personnel et non plus vers un fondement réel.
Par la suite, la première chambre civile de la Cour de cassation, toujours au visa du même principe, a confirmé de manière non équivoque cette jurisprudence implicite. En effet, c’est dans un arrêt en date du 18 septembre 2002 que la Cour casse l’arrêt de la Cour d’appel qui avait estimé « que l’action contre l’entrepreneur pour troubles de voisinage est réservée aux tiers lésés dans les droits duquel le maître de l'ouvrage ne peut prétendre être
subrogé ».231
Enfin, c’est dans un arrêt du 24 septembre 2003, que la troisième chambre civile de la Cour de cassation admet cette fois sans équivoque et de manière explicite la possibilité pour le maître de l'ouvrage d’être subrogé sur le fondement des troubles de voisinage contre les constructeurs.232 En effet, la Cour constate la subrogation du maître de l'ouvrage dans les droits du voisin désintéressé et décide qu’il était bien fondé « à recourir contre les constructeurs et leurs assureurs sur le fondement du principe prohibant les troubles anormaux de voisinage, qui ne requiert pas la preuve d’une faute ».
Face à cette jurisprudence commune aux deux chambres, on peut en déduire que les constructeurs doivent relever le maître de l'ouvrage des condamnations que ce dernier pourrait encourir à l’égard des voisins pour troubles anormaux de voisinage.
S’il ne fait plus aucun doute que le maître de l'ouvrage peut être subrogé dans les droits et actions du voisin contre le constructeur sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, la question reste entière de savoir si le recours doit être total ou partiel. Ces trois arrêts cités n’abordent pas cette question.
S’agissant d’une responsabilité objective, sans lien avec la notion de faute, on ne pourrait procéder à un partage en fonction de la gravité des fautes respectives.
Mais alors sur quelle base opérer ce partage ? Faut-il faire un partage par moitié au motif qu’il s’agit d’une présomption de responsabilité ? Ou bien faut-il distinguer suivant que
 
233 Obs. Malinvaud, Ibid.

le trouble est dû à l’exécution des travaux auquel cas il resterait à la charge de l’entrepreneur seul, ou de la décision même de construire, auquel cas il resterait à la charge du maître de l'ouvrage ?
En effet, selon M. Malinvaud,233 tout doit dépendre des circonstances de fait ou de droit. C’est selon la nature des dommages causés par la construction, que l’on peut apporter une réponse à cette question. Ainsi, concernant les troubles liés à la seule présence de l’immeuble nouvellement construit, on imagine assez mal que le constructeur puisse être condamné à l’égard du voisin pour troubles anormaux de voisinage. Si la preuve de la faute n’est pas nécessaire en matière de troubles anormaux de voisinage, en revanche, la preuve du lien de causalité ainsi que du dommage est indispensable. Dès lors, si la position de l’immeuble nouvellement construit crée un trouble qui excède les inconvénients normaux de voisinage, les voisins victimes ne peuvent imputer cette responsabilité qu’à la personne qui a pris la décision de construire, c’est à dire, au maître de l'ouvrage, et non pas à celle qui a exécuté un ouvrage conformément à un contrat de louage d’ouvrage. Cette solution ne peut s’appliquer que si les constructeurs n’ont pas manqué à leur obligation de conseil.
En revanche, concernant les inconvénients causés par l’activité de chantier et pour les désordres causés à l’immeuble contigu, ils doivent peser sur les constructeurs. En effet, dans les deux cas ces nuisances sont le fait des constructeurs et non du maître de l'ouvrage.

Ensuite, la subrogation sur le fondement des troubles anormaux de voisinage pose un autre problème. En effet, si tant le maître de l'ouvrage que l’entrepreneur peuvent être condamnés sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, on pourrait imaginer que l’un comme l’autre peuvent être subrogé dans les droits et actions de la victime des nuisances. C’est dire que le constructeur qui a été condamné pour troubles de voisinage envers le voisin-victime peut valablement exercer un recours subrogatoire contre le maître de l'ouvrage, à la condition de l’avoir indemnisé au préalable, sur le fondement de cette même théorie.
Enfin, et à défaut de partage, cela signifierait que le maître de l'ouvrage ou le constructeur qui est subrogé dans les droits et actions du voisin peut se retourner contre l’autre pour le tout. Par voie de conséquence, la contribution définitive à la dette est fonction de la décision des plaideurs d’assigner le constructeur ou le maître de l'ouvrage.
 
Cette solution ne paraît pas satisfaisante, d’autant plus que la jurisprudence a tendance à vouloir faire peser la réparation des troubles de voisinage sur le maître de l'ouvrage propriétaire de l’immeuble. En effet, comme nous l’avons montré, ce n’est qu’exceptionnellement que le constructeur va assumer cette charge à titre définitif, sauf convention contraire. C’est pour ces raisons que M. Malinvaud234 exclu la possibilité d’un recours total.
Dès lors il serait peut être opportun soit de mettre un terme à la technique de la subrogation en ce domaine comme dans le domaine des recours entre constructeurs, soit de la limiter à l’un ou à l’autre des protagonistes. M. Malinvaud préconise d’écarter la subrogation, comme c’est le cas dans les rapports des constructeurs entre eux, et de statuer sur le fondement de la faute.235 Il ajoute enfin, qu’en l’absence de toute faute des constructeurs, la charge de la réparation doit rester sur la tête du maître de l'ouvrage : « Ubi emolumentum ibi onus ».236
De cette solution va dépendre l’intention des tribunaux de faire peser la charge définitive des troubles de voisinage sur le maître de l'ouvrage propriétaire de l’immeuble ou sur les constructeurs. C’est dire doit-on accorder la prééminence au titulaire du droit de propriété ou à l’auteur des troubles pour la réparation des troubles anormaux de voisinage. Au vue des développements précédents, il semblait que l’intention des juges était de faire peser la réparation des troubles anormaux de voisinage sur le propriétaire et non sur l’auteur des nuisances. Cette remarque est d’autant plus pertinente qu’elle est confirmée par un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 11 mai 2000,237 qui fait peser la responsabilité des troubles anormaux de voisinage non pas sur le maître de l'ouvrage qui est à l’origine des travaux mais sur le nouveau propriétaire de l’immeuble. Si cette jurisprudence est confirmée dans le futur, elle montre bien l’attachement des juges à la nature réelle de l’obligation de réparation des troubles anormaux de voisinage.
Seulement, en permettant la subrogation du maître de l'ouvrage sur le fondement des troubles de voisinage contre les constructeurs, la jurisprudence fait peser la charge de ces troubles sur les constructeurs et non plus sur le propriétaire. Est-ce que cette variation signifie que l’obligation de réparation des troubles anormaux de voisinage peut avoir dans certains cas une nature réelle et dans d’autres une nature personnelle ?

234 Obs. Malinvaud, Ibid.
235 Cass. 3e civ., 21 juill. 1999: RDI 1999, p. 656, obs. Malinvaud.
236 Roland (H.) et Boyer (L.), Adages du droit Français, 4e éd., n° 452.
237 Cass. 3e civ., 11 mai 2000 : RDI juill./sept. 2000 p. 314 et suiv. note Bruschi.
 

Si dans le passé, la nature de l'obligation de réparation de ces troubles a oscillé entre ces deux fondements, doit-elle dépendre aujourd'hui de la décision des plaideurs d'assigner le maître de l'ouvrage ou les constructeurs
 
238 Cass. 3e civ., 30 juin 1998, Bull. civ. III, n° 144 ; RDI 1998 p. 647, obs. Malinvaud.

CONCLUSION

Au fil des années, la jurisprudence a abandonné les visas des articles 544 et 1382 du code civil au profit du principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble de voisinage ». Cette pratique, qui permet à la Cour de cassation d’énoncer un principe sans aucune mention à un article, fait suite au développement des principes généraux. La théorie des troubles anormaux de voisinage est donc autonome des autres régimes de responsabilité.
Mais, compte tenu de l’application particulière de cette théorie au domaine de la construction, on se demande si elle ne déclare pas son autonomie envers la théorie des troubles anormaux de voisinage du droit commun ?
En effet, cette théorie a été à l’origine conçue pour régler les rapports entre propriétaires riverains. Avec l’extension de la notion de voisin aux constructeurs, la théorie peut s’appliquer dans les rapports voisins victime et constructeurs responsables du trouble. On arrive donc à une déformation de la théorie des troubles de voisinage. La déformation est telle que l’obligation de réparation des troubles anormaux de voisinage est passée d’un fondement réel à un fondement personnel.
Cette affirmation est ensuite corroborée par le fait qu’en permettant au maître de l'ouvrage qui a indemnisé la victime d’être subrogé dans ses droits et actions contre les constructeurs sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, la jurisprudence veut faire peser la charge définitive de ces troubles sur les constructeurs. C’est dire que l’obligation de réparer les troubles anormaux de voisinage a bien un fondement personnel. En effet, cette théorie met en place un régime de responsabilité objective qui est indifférent à la notion de faute, et par voie de conséquence inadapté pour permettre une répartition à la dette, ce qui fait que le maître de l'ouvrage peut être subrogé pour le tout contre les constructeurs. C’est parce que la jurisprudence a étendu la notion de voisin aux constructeurs, que le maître de l'ouvrage peut être subrogé sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. En effet, pour que le maître de l'ouvrage puisse être subrogé sur le fondement de cette théorie contre les constructeurs, il fallait que le voisin victime détienne une action sur ce fondement contre les constructeurs, ce qu’il n’avait pas jusqu’à un arrêt du 30 juin 1998.238
 
Pour M. Malinvaud, l’extension de la théorie aux constructeurs est la conséquence du rejet du fondement de l’article 1384, alinéa 1er contre ces derniers. Le fondement de la garde contre les constructeurs présente peut être plus d’inconvénients que celui des troubles anormaux de voisinage. En effet, à la différence des troubles anormaux de voisinage, ce régime de responsabilité permet la réparation de toutes nuisances y compris celles qui n’excèdent pas les inconvénients normaux du voisinage. C’est dire que le fondement de la garde faisait peser sur les constructeurs une responsabilité quasi-automatique.
D’un autre côté, à défaut d’être subrogé dans les droits du voisin victime, le maître de l'ouvrage n’a plus que le choix d’agir sur le fondement contractuel. En effet, depuis un arrêt du 24 mars 1999, la 3e chambre écarte le fondement délictuel de l’action du maître de l’ouvrage pour retenir un fondement de nature contractuelle.239 Le maître de l'ouvrage doit rapporter la preuve d’une faute contractuelle du constructeur pour pouvoir se retourner contre lui. Cette solution, même si elle paraît sévère, puisque la preuve de cette faute est difficile à rapporter, est conforme à l’intention des juges de faire peser la réparation des troubles anormaux de voisinage sur le maître de l'ouvrage propriétaire de l’ouvrage. La nature réelle de l’obligation de réparation des troubles anormaux de voisinage a été confortée par un arrêt du 11 mai 2000,240 qui fait peser la responsabilité des troubles anormaux de voisinage non pas sur le maître de l'ouvrage qui est à l’origine des travaux mais sur le nouveau propriétaire de l’immeuble. En effet, cette jurisprudence fait des troubles anormaux de voisinage une obligation propter rem, c’est à dire que la réparation de ces troubles incombe non au maître de l'ouvrage qui a pris la décision de construire, mais au propriétaire successif du bien.
Quoi qu’il en soit, il semble aujourd’hui que l’obligation de réparer les troubles anormaux de voisinage oscille plutôt en faveur d’un fondement personnel.
Enfin, il faut prendre quelques précautions, puisque la jurisprudence permet aux constructeurs responsables des nuisances d’être assignés sur le fondement des troubles anormaux de voisinage. En effet, comme nous l’avons démontré, on peut tout à fait imaginer que le constructeur qui a indemnisé le voisin victime puisse être subrogé dans ses droits et actions contre le maître de l'ouvrage sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. Et, comme pour le maître de l'ouvrage, le constructeur pourrait être subrogé pour le tout. Dès lors ce n’est plus les constructeurs qui vont assumer la charge de la réparation des troubles anormaux de voisinage mais le maître de l'ouvrage. C’est dire qu’on revient à un fondement réel. Cette solution est une simple hypothèse, car la jurisprudence n’a pas encore
239 Cass. 3e civ., 24 mars 1999 : Bull. civ. III, n° 74 ; RDI 1999 p. 412 ; RTD civ. 1999 p. 640. 240 Cass. 3e civ., 11 mai 2000 : RDI juill./sept. 2000 p. 314 et suiv. note Bruschi.
 
eu à statuer sur la subrogation du constructeur dans les droits et actions du voisin victime contre le maître de l’ouvrage sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. Mais, puisque les juges autorisent le maître de l’ouvrage à être subrogé contre les constructeurs, comment pourraient-ils interdire les constructeurs d’exercer la voie de la subrogation ?
Si cette solution est admise en jurisprudence, l’obligation de réparer les troubles anormaux de voisinage peut avoir tantôt une nature réelle, tantôt une nature personnelle, selon que c’est le maître de l'ouvrage ou le constructeur qui est assigné par les voisins.
Pour conclure, nous pouvons avancer qu’avec ces différences, la théorie des troubles anormaux de voisinage appliquée à la construction prend peu à peu son autonomie envers celle du droit commun.
 
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INDEX ALPHABETIQUE
 
A
Abus de droit, 39
Action directe contractuelle, 68 Action récursoire, 67 Action récursoire faute, 75 Action récursoire fondement, 68 Action récursoire régime, 73 Anormalité du trouble durée, 27 Anormalité du trouble gravité, 27 Appréciation in concreto, 26 Assurance, 62
Assurance de dommages, 65 Assurance de responsabilité, 65 Assurance opposabilité des clauses
exclusives de responsabilité, 63 Ateur, 20
Autorisations administratives, 39

C
Clause de garantie, 59
conditions de l'action récursoire, 74 Contrat, 59
Contrat règlement de la charge définitive de la dette, 60

D
Démolition, 30 Dommage, 23 Dommage anormal, 25 Dommage permanent, 24 Dommages-intérêts, 32

E
Exonération du maître de l'ouvrage, 36
F
Fait d'un tiers, 40
Faute de la victime, 37 Faute du constructeur, 43
G
Garde, 45
N
Nuisances durables, 24 Nuisances répétitives, 24

R
Réparation, 28
Réparation en nature, 29
Réparation en nature mesures qui tendent à
réduire le dommage, 29 Réparation par équivalent, 32

S
Servitude, 39
Solidarité in solidum, 13 Subrogation, 79 Subrogation conditions, 79 Subrogation faute, 83 Subrogation garde de la chose, 84
T
Troubles, 23
V
Victime, 18
Voisinage, 17
Voisinage (troubles anormaux du)
constructeur, 51
 
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION    3

PREMIERE PARTIE :    13
L’OBLIGATION À LA DETTE    13
Section I :     16
La responsabilité du maître de l’ouvrage pour troubles de voisinage    16
Paragraphe I :     17
Les conditions de mise en jeu de cette responsabilité    17
A. La notion de voisinage     17
1. Le voisin victime    18
2. Le voisin auteur    20
B. La notion de trouble    23
1. La nécessité d’un dommage     23
2. Les caractéristiques du dommage     24
Paragraphe II :     27
La réparation des troubles anormaux de voisinage     27
A. Les modes de réparation    28
1. Le principe de la réparation en nature    29
2. Le domaine résiduel de la réparation par équivalent    32
B. Les causes d’exonérations du maître de l’ouvrage    36 1. Les causes d’exonérations admissibles en matière de troubles anormaux de
voisinage    37
2. L’irrecevabilité des autres causes d’exonération     39

Section II :     41
La responsabilité des constructeurs pour troubles de voisinage     41
Paragraphe I :     42
La diversité des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage     42
A. Les fondements retenus contre les constructeurs     42
1. La responsabilité du constructeur pour faute     43
2. La responsabilité du constructeur sur le fondement de la garde     44
B. L’exclusion du fondement de l’article 1384 alinéa 1er     46
1. Le rejet de ce fondement juridique par la Cour de cassation     46
2. Les conséquences du rejet de ce fondement    47
Paragraphe II :     48
L’unification des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage     48
A. L’extension de l’application de la théorie aux constructeurs    49 1. La responsabilité du maître de l’ouvrage fondée sur le fondement des troubles
anormaux de voisinage : « une solution acquise depuis longtemps »    49
2. L’extension de la notion de voisin aux constructeurs     51
B. Les conséquences de cette unification    53
1. Les conséquences quant aux constructeurs     53
2. Les conséquences quant à la détermination de l’auteur du trouble    54
 
DEUXIEME PARTIE :    57
LA CONTRIBUTION A LA DETTE    57
Section I :     59
Les recours fondés sur le contrat    59
Paragraphe I :     59
Les recours fondés sur une clause de garantie     59 A. Le règlement de la charge définitive des troubles de voisinage entre le maître de
l’ouvrage et le constructeur    60
B. Le problème de l’intervention de l’assureur appelé en garantie    62
1. Opposabilité des clauses d’exclusion de garantie     62
2. La garantie des troubles de voisinage par l’assurance     64
Paragraphe II :     66
Les recours contractuels en l’absence d’une clause de garantie     66
A. Le fondement de l’action récursoire du maître de l’ouvrage     67
B. Régime de l’action récursoire du maître de l’ouvrage     72
Section II :     78
Les recours subrogatoires    78
Paragraphe I :     79
Les conditions de la subrogation    79
Paragraphe II :     82
La question controversée du fondement de la subrogation    82
A. Subrogation fondée sur la faute ou la garde de la chose     83
B. Subrogation fondée sur les troubles de voisinage     84
CONCLUSION     89
BIBLIOGRAPHIE     92
INDEX ALPHABETIQUE    100
TABLE DES MATIERES     101