
LES TROUBLES DE VOISINAGE OCCASIONNES PAR LA CONSTRUCTION
Mémoire pour l’obtention du DEA
immobilier public et privé
Sous la direction de Mme GAVIN-MILAN Elodie
Présenté et soutenu par : M. KERKERIAN Grégory
En septembre 2004
SOMMAIRE
INTRODUCTION 3
PREMIERE PARTIE : 13
L’OBLIGATION À LA DETTE 13
Section I : 16
La responsabilité du maître de l’ouvrage pour troubles de voisinage 16
Paragraphe I : 17
Les conditions de mise en jeu de cette responsabilité 17
Paragraphe II : 27
La réparation des troubles anormaux de voisinage 27
Section II : 41
La responsabilité des constructeurs pour troubles de voisinage 41
Paragraphe I : 42
La diversité des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage 42
Paragraphe II : 48
L’unification des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage 48
DEUXIEME PARTIE : 57
LA CONTRIBUTION A LA DETTE 57
Section I : 59
Les recours fondés sur le contrat 59
Paragraphe I : 59
Les recours fondés sur une clause de garantie 59
Paragraphe II : 66
Les recours contractuels en l’absence d’une clause de garantie 66
Section II : 78
Les recours subrogatoires 78
Paragraphe I : 79
Les conditions de la subrogation 79
Paragraphe II : 82
La question controversée du fondement de la subrogation 82
CONCLUSION 89
BIBLIOGRAPHIE 92
INDEX ALPHABETIQUE 100
TABLE DES MATIERES 101 INTRODUCTIONNapoléon
disait à Sainte-Hélène : « ma gloire ce n’est pas d’avoir remporté tant
de batailles, ma gloire c’est le code civil qui perdurera au travers
des siècles ».En
1804, le droit de la responsabilité résidait dans cinq articles du code
civil, ce qui laissait un travail d’interprétation aux juges. En
matière de relation de voisinage, le code civil est plus attaché à
défendre les atteintes portées aux fonds voisins qu’à condamner les
nuisances entre voisins. Les codificateurs ont d’abord envisagé les
rapports de voisinage sous l’aspect des servitudes, et accessoirement
des devoirs des propriétaires voisins.C’est
pour cette raison essentielle que les juges ont dû mettre en place un
régime de responsabilité pour les nuisances occasionnées par les
voisins. D’où l’émergence de la théorie des troubles anormaux de
voisinage. On parle du même concept « qui cause un dommage à autrui
doit le réparer », sauf qu’autrui est le voisin, et la faute n’est pas
nécessaire : seul le lien de causalité et le dommage subsistent.
Seulement, le dommage doit être anormal, c’est-à-dire excéder les
nuisances ordinaires du voisinage.Le
problème qui s’est posé est de savoir si la construction prétorienne
des troubles de voisinage était compatible avec, d’une part, la
protection interne du droit de propriété et, d’autre part, la
protection européenne du droit au respect des biens. En effet, selon
l’article 544 du code civil : « la propriété est le droit de jouir et
disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en
fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».
L’article 1er du Premier Protocole additionnel du 20 mars 1952 à la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales du 4 novembre 1950 prévoit le droit au respect
des biens.Dès
lors, le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de trouble
anormal de voisinage apporte une restriction inhérente au droit de
propriété tel que le définit l’article 544 du code civil. Mais,
quoi qu’il en soit, le droit de propriété n’est pas absolu ; son
exercice trouve ses limites dans le respect des lois et règlements.
Selon Mme Boucard,1 si la responsabilité pour inconvénients excessifs
de voisinage ne peut, par sa source, être assimilée à une loi ou à un
règlement, sa finalité rejoint celle des servitudes légales. De plus,
la prohibition des troubles anormaux de voisinage ne heurte pas non
plus le statut constitutionnel du droit de propriété,2 dans la mesure
où la restriction posée à son usage n’est pas susceptible de le
dénaturer en le vidant de sa substance.C’est
en ce sens que la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 23 octobre
2003,3 que : « le droit de propriété, tel que défini par l’article 544
du code civil et protégé par l’article 1er du Premier Protocole
additionnel, est limité par le principe selon lequel nul ne doit causer
à autrui aucun trouble anormal de voisinage [et] cette restriction ne
constitue pas une atteinte disproportionnée au droit protégé par
[ladite] Convention ». La Cour de cassation juge ainsi que la
responsabilité pour trouble anormal de voisinage apporte une
restriction inhérente au droit de propriété consacré par le code, et
que cette restriction est compatible avec la protection issue de la
Convention, en raison de l’absence d’atteinte disproportionnée portée
au droit garanti.4Les
hypothèses d’actions judiciaires sont nombreuses en matière de
nuisances de voisinage, dont un des facteurs de prolifération a été le
développement de l’urbanisation. Ceci explique l’intervention des juges
pour garantir « le droit au repos et à la tranquillité, qui s’inscrit
dans le cadre du droit à la qualité de vie et de la protection
nécessaire de l’environnement » et qui constitue un « attribut
essentiel du droit de propriété ».5L’exercice
du droit de propriété peut générer des dommages aux voisins. Il s’agit
alors de savoir si l’auteur de l’acte dommageable peut être déclaré
responsable en dépit de la maxime « neminem laedit qui suo jure utitur
».6 A Rome, par exemple, il est possible de sanctionner des nuisances
graves et inhabituelles. Un célèbre texte d’Ulpien rappelle que faire
évacuer sa fumée, ses eaux sur le fonds voisin constitue une atteinte
au droit. De même au1
Boucard (H.), « troubles anormaux de voisinage et Convention européenne
des droits de l’homme », AJDI mars 2004, p. 189 et suiv.
2
Art. 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et
dommages-intérêts Citoyen du 26 août 1789, et Préambule de la
Constitution du 19 avril 1946, auxquels renvoie la Constitution du 4
octobre 1958. 3 Cass. civ., 23 octobre 2003, X c/ Inter Coop et autres,
D. 2003, IR p. 2730. 4 Obs. Boucard (H.), préc. note 1.
5 TGI Saintes, 3 juill. 1990, D. 91, somm. p. 309, obs. Robert (A.).
6 Celui qui fait usage de son droit ne lèse personne. XVIe
siècle, plusieurs dispositions de la coutume de Paris conduisent le
Parlement à déclarer responsable celui qui, par des travaux effectués
sur son immeuble, nuit à la propriété voisine.7C’est
au XIXe siècle que, sur des fondements différents, les juges ont
progressivement forgé un régime original de sanction des troubles de
voisinage. La question qui se posait alors, était de savoir si, en
dehors de la responsabilité que le propriétaire peut encourir lorsqu’il
y a de sa part violation d’une loi ou d’un règlement, imprudence ou
négligence, ou bien intention de nuire, un propriétaire a le droit de
faire tout ce qui ne lui est pas expressément interdit.Une
telle solution aurait conduit à des résultats injustes. Les propriétés
voisines souffriraient un préjudice qu’il serait injuste de laisser à
leur charge. N’est-il pas équitable que celui qui retire les profits
d’une activité répare les dommages qui en sont la conséquence
inévitable ?Aussi,
une importante jurisprudence s’est-elle formée qui a consacré une
responsabilité particulière résultant d’un exercice exceptionnel ou
anormal du droit de propriété, bien qu’il soit licite en son principe.
Une jurisprudence très abondante admet la responsabilité du
propriétaire dans tous les cas où on peut lui reprocher un exercice
exceptionnel ou anormal de son droit ayant entraîné un préjudice
excédant la mesure des obligations de voisinage. Tel est le cas des
constructions ou travaux exécutés de façon dangereuse pour les
immeubles voisins8. Dans la plupart des cas, la responsabilité du
propriétaire est engagée, alors qu’il n’a commis aucune faute
caractérisée ; il a causé un dommage à autrui sans pouvoir l’éviter, en
exerçant un droit qui présente pour lui un intérêt certain. Non
seulement la jurisprudence ne sollicite pas l’exigence d’une faute
caractérisée, mais elle ne sollicite pas non plus la référence à toute
considération de culpabilité ; elle a même décidé que l’existence d’une
faute quelconque n’était pas nécessaire9. La conduite du propriétaire
est d’autant plus irréprochable que bien souvent l’acte dommageable est
accompli par lui en vertu d’une autorisation administrative.La
doctrine s’est efforcée de chercher à quel principe général on pouvait
rattacher la responsabilité qui incombe au propriétaire, et de trouver
un critère précis permettant de déterminer la limite que ne doit pas
dépasser le propriétaire.10De
nombreuses explications ont été proposées comme, par exemple, celle de
Pothier selon laquelle la responsabilité découle d’un quasi-contrat de
voisinage11. Cette explication se7
Bueb (R.), « Troubles de voisinage : de la faute à la responsabilité
objective », petites affiches, 14 févr. 2000 n° 31, p. 3-4.
8 Cass. Req., 23 mars 1927, DP 1928, I, 73, note Savatier.
9
Cass. 2e civ., 31 mai 2000, JCP 2000, p. 1917, n°6, chron.
Périnet-Marquet. 10 Terré (F.), Simler (P.), Droit civil, les biens,
Précis Dalloz. fonde
surtout sur les articles 651 et 1370 du code civil. L’article 651
dispose que : « la loi a assujetti les propriétaires à différentes
obligations l’un à l’égard de l’autre, indépendamment de toute
convention », et l’article 1370, aux termes duquel certains engagements
se forment sans aucune convention, indique : « tels que ceux entre
propriétaires voisins ». Ce fondement a été lourdement critiqué,
principalement parce que ces textes se rapportent aux obligations
spéciales que la loi impose aux propriétaires voisins et qu’énonce
l’article 652. En effet, l’obligation de ne pas nuire aux voisins ne
peut évidemment pas être absolue, sinon un propriétaire serait dans
l’impossibilité d’user de son droit.Ensuite,
a été avancée la notion d’abus de droit pour expliquer la
responsabilité du propriétaire. En effet, selon cette théorie, le
propriétaire est encore responsable lorsqu’il use de sa propriété, non
pas pour son agrément ou pour son profit personnel, mais uniquement
dans l’intention de nuire à son voisin. Tel est, par exemple, le cas
dans la célèbre affaire Clément-Bayard, où un propriétaire a édifié des
ouvrages énormes garnis de pointes acérées destinées à déchirer les
ballons dirigeables sortant du hangar voisin12. Ont pu également être
considéré comme abusif les actes accomplis par un propriétaire même en
vue d’un intérêt égoïste, lorsque cet intérêt n’est pas sérieux et
légitime. Ce fondement est aussi critiquable car l’abus de droit se
ramène toujours à une faute. A cet égard, on abuse incontestablement de
son droit lorsqu’on l’exerce dans l’intention de nuire à autrui. Mais,
concernant les troubles de voisinage, il n’est pas question d’abus de
droit de propriété, car la responsabilité du propriétaire est engagée
alors qu’il n’a commis aucune faute.Certains,
comme Henri Capitant,13 présentaient l’obligation de ne pas excéder les
« inconvénients ordinaires habituels du voisinage » comme une
obligation propter rem, autrement dit attachée au droit de propriété.
Mais, si les articles 637 à 710 du code civil apportent une limitation
dans l’exercice du droit de propriété, « cette référence ne saurait
expliquer les applications de la théorie des troubles de voisinage hors
des relations depropriétaires ».14D’autres,
comme Georges Riper,15 ont pu voir dans la théorie du risque
l’explication de la responsabilité du propriétaire. Selon cette
théorie, celui qui crée un risque doit, si ce risque vient à se
réaliser aux dépens d’une tierce personne, réparer les dommages causés.
Cette théorie est critiquable car son adoption aurait comme conséquence
pour le propriétaire11 Pothier, Traité du contrat de société : Ed. Buguet, T. IV, n°230.
12 Clément-Bayard, Trib. civ. Compiègne, 12 fev. 1913, DP 1913, II, 177, note Josserand.
13
Capitant (H.), « Des obligations de voisinage », Rev. crit. légis. Et
jurispr. 1900, p. 156, n° 187. 14 Juris-Classeur Resp. Civ. et Ass.,
Fasc. 265-10, sous les articles 1382 à 1386, p. 3.
15
Riper (G.), Th., « De l’exercice du droit de propriété dans ses
rapports avec les propriétés voisines », Aix-enProvence, 1902. de
devoir réparer tous les dommages causés par son voisinage, qu’ils
soient normaux ou anormaux. Or, la responsabilité pour troubles de
voisinage ne s’applique que lorsque les nuisances dépassent les
inconvénients normaux du voisinage. Autrement dit, les voisins doivent
tolérer un minimum de gêne, liée à la proximité du voisinage, mais
n’ont pas à supporter les troubles dépassant une certaine mesure.Enfin,
pour Henri Mazeaud, la réparation des troubles de voisinage restait
fondée sur la faute, et il considérait comme telle l’immissio de celui
qui pénétrait chez son voisin par des bruits, des fumées, des odeurs,
etc. En d’autres termes, la faute réside dans le fait d’envahir le
domaine d’autrui. Cette approche n’a pas non plus été retenue car elle
n’explique pas pourquoi la jurisprudence exige que le préjudice subi
par la victime excède les inconvénients normaux du voisinage.La
diversité des explications proposées n’a pas permis de définir le
fondement sur lequel repose la responsabilité pour troubles de
voisinage.La
Cour de cassation avait, dès 1844, écarté l’intention de nuire et
consacré un droit à réparation fondé, sur l’article 1382 du code civil,
pour les victimes riveraines d’une usine de laquelle émanaient des
fumées.16 C’est sur le fondement de l’article 1382 que les premières
condamnations ont été prononcées, les tribunaux estimant que, en
causant un dommage, l’auteur avait dépassé les limites normales de son
droit.17 La jurisprudence s’est également servie du fondement de
l’article 1384, alinéa 1er, pour réparer les troubles occasionnés par
un voisin. Seulement, du fait de la présomption de responsabilité que
fait peser cet article sur le gardien, l’article 1384, alinéa 1er du
code civil avait vocation à s’appliquer aux inconvénients de quelque
origine que ce soit. Ainsi, cet article a trouvé à s’appliquer, par
exemple, à l’écroulement d’une falaise,18 à l’éboulement de terres sur
le fonds voisin,19 jusqu’à des choses moins palpables telles que des
vapeurs ou poussières.20 L’article 1384, alinéa 1er peut donc
s’appliquer aux inconvénients de quelque origine que ce soit, de telle
sorte que, pour la doctrine, comme M. Durry,21 la théorie des troubles
anormaux de voisinage était appelée à se fondre dans la responsabilité
du fait des choses.Mais,
contre toute attente, l’absorption n’a pas eu lieu. Bien au contraire,
la théorie des troubles anormaux de voisinage a acquis son autonomie
par une décision de la troisième16 Cass. civ., 7 nov. 1844, DP 1845. 1. 13.
17 Cass. req., 3 janv. 1887, DP 1888, 1, p. 39.
18
Cass. 2e civ., 16 juin 1961 : JCP G 1962, II, 12778, note Mourgeon. 19
Cass. civ., 25 juin 1952 : D. 1952, juris. p. 614. 20 Cass. 2e civ., 25
11 juin 1975 : D. 1975, somm. p. 100. 21 Durry (G.), obs. : RTD. civ.
1971, p. 856. chambre
civile de la Cour de cassation en date du 4 février 1971.22 En effet,
la Cour censure des décisions ayant subordonné la réparation des
dommages à la preuve d’une faute, en considérant au visa des articles
544 et 1382 du code civil que « si, aux termes du premier de ces
textes, la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de
la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage
prohibé par les lois ou par les règlements, le propriétaire voisin de
celui qui construit légitimement sur son terrain est néanmoins tenu de
subir les inconvénients normaux du voisinage, en revanche il est en
droit d’exiger une réparation dès lors que les inconvénients excèdent
cette limite ». La Cour de cassation écarte donc toute référence à la
faute, puisqu’elle censure la décision qui avait exonéré un
propriétaire de sa responsabilité envers son voisin au motif « qu’on ne
saurait déduire une faute du seul fait de l’existence d’un dommage
dépassant les inconvénients normaux du voisinage ».Pour
autant, s’agissait-il de l’affirmation par la Cour de cassation d’une
responsabilité sans faute ? La doctrine était partagée entre ceux qui
penchaient pour la responsabilité objective et ceux qui penchaient pour
la responsabilité subjective.La
Cour de cassation a, dans un arrêt du 19 novembre 1986,23 mis fin aux
polémiques en abandonnant les visas des articles 544 et 1382 du code
civil au profit du principe selon lequel « nul ne doit causer à autrui
un trouble de voisinage ». Cette pratique, qui permet à la Cour de
cassation d’énoncer un principe sans aucune mention à un article est,
selon M. Oppetit,24 assez récente et se rattache au développement en
jurisprudence des principes généraux.Un
propriétaire n’a pas le droit d’imposer impunément à ses voisins une
gêne excédant les inconvénients normaux du voisinage. Entre les fonds
voisins, doit exister un rapport d’équilibre. C’est dire que la théorie
des troubles de voisinage s’applique entre des fonds plus qu’entre des
personnes. La Cour de cassation a, dans l’arrêt du 25 juin 1995,25 jugé
que le fait de ne plus être domicilié dans l’immeuble subissant des
troubles n’empêche pas d’obtenir réparation.26 La vie en communauté
implique une gêne réciproque, mais celle-ci doit être cantonnée dans
des limites normales. C’est en cela que la Cour de cassation a, par cet
arrêt, maintenant érigé la prohibition des troubles anormaux de
voisinage en principe général du droit.22 Cass. 3e civ., 4 févr. 1971 : Bull. civ. III, n° 80.
23 Cass. 2e civ., 19 nov. 1986 : Bull. civ. II, n° 172.
24
Oppetit (B.), « in Rapport sur les principes généraux dans la
jurisprudence de cassation », Entretiens de Nanterre, JCP 1989, n°
suppl., p. 12 et s.
25 Cass. 2e civ., 28 juin 1995, RDI 1996 p. 175, obs. Bergel (J-L.).
26 Cass. 2e civ., 28 juin 1995, Bull. civ. II, n°222. L’émancipation
de la théorie des troubles de voisinage à l’égard de l’article 1382 du
code civil est nette, les juges pouvant condamner à la réparation des
troubles « sans avoir à rechercher une faute ».27 Elle est tout aussi
clairement énoncée à l’égard de l’article 1384 du code civil, déclaré «
étranger à la réparation des troubles de voisinage ».28 Ceci dit, sans
remettre en cause l’autonomie et la portée pratique de la théorie des
troubles de voisinage, il est nécessaire de préciser que son fondement
autonome n’exclut pas la possibilité de responsabilité pour faute
prouvée en application du droit commun de la responsabilité.La
notion de troubles de voisinage se définit par rapport à celle de
dommage causé à un voisin, sans pour autant que ces deux notions soient
assimilables. En effet, un dommage causé à un voisin ne peut être
qualifié de trouble de voisinage que s’il présente des caractères de
continuité et d’anormalité. Ce sont les dommages causés à un voisin
qui, lorsqu’ils excèdent les inconvénients ordinaires du voisinage,
sont jugés anormaux et obligent l’auteur du trouble à dédommager la
victime, quand bien même ce trouble serait inhérent à une activité
licite et qu’aucune faute ne pourrait être reprochée à celui qui la
cause.29Une
solution contraire aurait conduit à des résultats injustes notamment
pour les constructeurs. En effet, la construction est par essence
créatrice de nuisances pour l’entourage. Admettre la réparation de tous
les troubles causés aux voisins aurait conduit à faire peser sur les
constructeurs une obligation d’indemniser les voisins avant même le
commencement des travaux. Mais la solution retenue consiste à réparer
seulement les dommages qui excèdent les inconvénients normaux du
voisinage.Toute
opération de construction, quel que soit le soin mis à y procéder,
entraîne nécessairement des inconvénients pour le voisinage. Ainsi, M.
Malinvaud distingue trois catégories de dommages causés aux voisins par
l’activité de chantier30.En
premier lieu, les inconvénients divers causés par l’activité du
chantier : bruits dus aux engins de chantier, poussières provoquées par
les démolitions ou les terrassements, présence de panneaux, de grues et
de baraquements inesthétiques, noria de camions pour évacuer les
déblais ou pour approvisionner le chantier, etc. Il s’ensuit pour les
voisins des nuisances diverses qui vont durer pendant tout le temps du
chantier, de l’ordre de six mois à deux ans ou plus. La gêne peut-être
plus importante encore, ou en tout cas plus quantifiable, pour les
voisins commerçants qui vont voir leur clientèle se détourner et leur
chiffre d’affaire baisser. De telles nuisances sont inéluctables, même
si parfois elles peuvent être atténuées en27 Cass. 3e civ., 12 févr. 1992 : RCA 1992, comm. n° 179.
28 Cass. 2e civ., 20 juin 1990 : Bull. civ. II, n° 140 ; RCA 1990, comm. n° 328.
29 Cornu : Vocabulaire juridique, Vis Troubles anormaux de voisinage, PUF 2000.
30 Malinvaud (P.), « Les dommages aux voisins dus aux opérations de construction », RDI nov./déc. 2001 p. 479. prenant
des précautions particulières ; elles sont inhérentes à l’opération de
construction, donc à la décision même de construire prise par le maître
de l'ouvrage, mais elles sont matériellement causées par les
constructeurs qui interviennent sur le chantier.En
second lieu, M. Malinvaud opère une distinction avec les dommages
causés aux immeubles voisins. Il s’agit le plus souvent de désordres
liés à la nature du sol et survenant lors des fouilles ou des
terrassements qui, étant fait très profondément pour réaliser de
nombreux étages de garages, risquent d’entraîner une déstabilisation
des immeubles voisins. Parfois même, lorsque l’opération a lieu sur des
terrains en pente, il peut se produire un glissement de terrain mettant
en péril les immeubles situés plus haut. A la différence des
inconvénients divers de chantier qui sont inéluctables, les dommages
aux immeubles voisins peuvent généralement être évités, si l’on prend
des précautions particulières et si l’on adopte, par exemple, des
techniques de fondation plus coûteuses qui n’ont peut-être pas été
proposées ou acceptées par le maître de l'ouvrage. En revanche, si à
l’occasion des travaux de construction, un incendie se produit sur le
chantier et s’étend aux immeubles contigus, il s’agit non d’un trouble
de voisinage, mais d’une communication d’incendie relevant de
l’application de 1384, alinéa 2, du code civil.31Enfin,
d’autres fois, les troubles dont souffrent les voisins résultent de la
seule présence de l’immeuble nouveau. La pratique en fournit des
exemples, en particulier pour les immeubles de grande hauteur
entraînant la perturbation des émissions télévisées, ou le défaut de
tirage des cheminées, ou bien encore enlevant toute lumière aux petits
immeubles voisins.Plus
récemment, est apparue la notion de trouble esthétique32 ; pourtant
même si les voisins portent souvent un jugement peu flatteur sur
l’esthétique des constructions, les tribunaux se refusent à se faire
juge de la beauté. Dès lors, c’est la décision même de construire qui
est remise en cause et non la manière dont l’ouvrage a été réalisé par
les constructeurs.Qui du maître de l'ouvrage ou des constructeurs doit réparer ces troubles de voisinage, et sur quels fondements ?Telle
est la problématique qui va être ici envisagée et qui soulève des
problèmes tout à fait spécifiques. Par dommage de voisinage, on entend
celui qui, par sa nature même, ne peut frapper qu’un voisin. Ainsi en
est-il des bruits du chantier ou de la déstabilisation de31 Cass. 3e civ., 15 nov. 1978, Bull. civ., III, n° 345 ; RDI 1979 p. 306, obs. Bergel.
32
Fabre (J.) et Meyer-Fabre (N.), « construction neuve : les troubles «
visuels » de voisinage ou la recherche du critère d’anormalité », AJPI
1988 p. 149. A cet égard, la Cour de cassation a
considéré comme un trouble de voisinage, non pas une construction, mais
le bouleversement du terrain et la modification de l’environnement
consécutifs à l’exploitation d’une carrière et affectant « les
conditions d’habitation d’une maison située en pleine campagne et ayant
une vocation de résidence secondaire » Cass. 2e civ., 29 nov. 1995,
Bull. civ. II, n° 298. 33
Libchaber (R.), « Le droit de propriété, un modèle pour la réparation
des troubles de voisinage ». Mélanges Mouly, Litec, 1998, p. 421 et s.l’immeuble
contigu ; en revanche, dans le cas où une personne est blessée par la
chute de matériaux, le préjudice subi est étranger à la relation de
voisinage même si la victime est en fait un voisin, car il aurait pu
atteindre une personne quelconque.Lorsqu’une
opération de construction entraîne ainsi un dommage aux voisins, il
s’agit de savoir qui du locateur d’ouvrage ou du maître de l'ouvrage
peut être poursuivi et condamné. En cas de condamnation, celui qui est
condamné a-t-il alors un recours contre l’autre ?On
laisse de côté la question des dommages qui, tout en étant causés à
l’occasion de l’opération de construction, sont sans lien avec la
relation de voisinage ; quand, par exemple, un passant est blessé par
la chute d’une grue ou de matériaux. De tels dommages relèvent de
l’application du pur droit commun et leur réparation ne soulève pas de
difficultés particulières. Sont également exclus les troubles anormaux
de voisinage causés par les travaux publics, car notre étude se limite
au droit privé.Les
tribunaux ont souvent eu à statuer en la matière mais en dépit ou à
cause de l’abondance de la jurisprudence, il est assez difficile de
tirer les lignes directrices qui animent les décisions. La difficulté
tient pour une large part au fait que les voisins-victimes poursuivent
tantôt le maître de l'ouvrage, tantôt les constructeurs ; qu’ils
invoquent des fondements juridiques très divers : tantôt le droit de la
responsabilité, tantôt la théorie des troubles de voisinage. La matière
est encore obscurcie par le fait que celui qui a été condamné à l’égard
du voisin, le plus souvent le maître de l'ouvrage, exerce en général un
recours contre les constructeurs.Sur
qui doit-on dès lors faire peser la réparation des troubles de
voisinages ? Sur le constructeur prétendu responsable des troubles ou
le propriétaire maître de l'ouvrage qui a commandé un ouvrage ?Cette
interrogation en appelle une autre, celle de savoir quel est le
fondement de l’obligation de réparer le dommage anormal de voisinage :
est-ce un fondement réel ou personnel ?La
responsabilité pour troubles de voisinage oscille en effet depuis sa
création entre un fondement réel et un fondement personnel.33 Cette
question est d’autant plus délicate que d’un côté, le constructeur est
l’auteur du trouble de voisinage mais n’a pas la qualité de voisin et
de l’autre, le maître de l'ouvrage a la qualité de voisin mais n’est
pas l’auteur du trouble. La
réponse dépend de la prééminence qu’accorde la Cour de cassation soit
au titulaire du droit de propriété soit à l’auteur des nuisances pour
la réparation des troubles anormaux de voisinage. Est-ce au droit de
propriété, puisque l’exploitation de son droit est à l’origine des
nuisances, ou est-ce aux travaux qui bien souvent sont à l’origine des
dommages causés au fonds voisin ?Pour
répondre à ces interrogations, nous allons présenter dans un premier
temps qui du maître de l'ouvrage ou du constructeur est obligé à la
dette (Première partie), pour ensuite déterminer comment va se règle la
contribution entre eux (Deuxième partie). 34 Huet (J.), « L’obligation in solidum et le jeu de la solidarité dans la responsabilité des constructeurs » ; RDI 1983 p. 11.PREMIERE PARTIE : L’OBLIGATION À LA DETTELa
loi dite Spinétta du 4 janvier 1978 fait peser sur tout constructeur
d’un ouvrage une présomption de responsabilité pour les dommages qui
affectent l’ouvrage. Ce texte établit une solidarité légale entre les
constructeurs, qui permet donc au maître de l’ouvrage d’assigner un des
intervenants à l’acte de construire sans se préoccuper de leur part
respective de responsabilité. Il suffit simplement de rapporter la
preuve du lien de causalité entre les ouvrages incriminés et les
constructeurs. Ce n’est qu’après que le maître de l’ouvrage a été
indemnisé, soit par l’assureur dommage ouvrage, soit par le
constructeur assigné et son assureur de responsabilité, qu’il y a des
recours entre les constructeurs responsables des désordres et à
proportion de leur part de responsabilité.Au
premier abord on pourrait penser que la solidarité entre les
constructeurs concerne les seuls dommages qui affectent l’ouvrage. Cela
signifie que si des dommages affectaient les constructions voisines de
l’ouvrage en cours de construction, il n’y aurait pas de solidarité
entre les constructeurs. Ceci est d’autant plus vrai qu’en vertu de
l’article 1202 du code civil : « la solidarité ne se présume point ; il
faut qu’elle soit expressément stipulée » et son alinéa 2 précise que «
cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein
droit, en vertu d’une disposition de la loi ». Mais lorsque
l’obligation in solidum s’impose au maître de l'ouvrage, d’une part et
aux constructeurs, d’autre part, dans leurs rapports avec un tiers
victime d’un dommage causé par la construction, en l’absence de tout
lien contractuel avec le bénéficiaire de cette garantie, l’article 1202
n’a pas lieu d’y faire obstacle.34De
plus, dans certaines situations, il y a solidarité, même en l’absence
de convention prévoyant la solidarité des constructeurs. En effet,
lorsque le dommage est indivisible, les locateurs d’ouvrage qui sont
intervenus dans l’opération de construction sont tenus in solidum à
l’égard du maître, de l’acquéreur de l’ouvrage, ou plus récemment du
voisin. Par exemple, il a été jugé que « chacun des coresponsables d’un
même dommage doit être condamné à le réparer en totalité sans qu’il y
ait lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est
procédé entre eux et qui n’affecte pas l’étendue de leurs obligations
envers la partie lésée
».35 Cette règle jurisprudentielle n’est pas spécifique à la
responsabilité des constructeurs ; elle n’est que la transposition à ce
domaine des principes généraux du droit de la responsabilité, tels
qu’ils ont été dégagés par l’article 1203 du code civil.Il
y a ainsi responsabilité in solidum dans le cas où le dommage est dû à
l’action conjuguée et indissociable des divers locateurs d’ouvrage,
chacun ayant contribué à causer le dommage dans son entier. Le dommage
étant indivisible, les constructeurs seront condamnés in solidum à le
réparer.36 Peu importe que le dommage soit dû à des fautes distinctes37
; peu importe également que les divers co-responsables soient tenus sur
des fondements différents, les uns contractuels, les autres
délictuels.38 Seul compte qu’il y ait une faute commune,39et que cette
faute ait concouru à la réalisation de l’entier dommage40La Cour de cassation vient de réaffirmer cette règle dans un arrêt en date du 28 octobre200341
: « Qu’en statuant ainsi, alors que chacun des responsables d’un même
dommage doit être condamné à le réparer en totalité sans qu’il y ait
lieu de tenir compte du partage de responsabilité auquel il est procédé
entre eux et qui n’affecte pas l’étendue de leurs obligations envers la
partie lésée, la cour d’appel a violé les textes susvisés42 ».Cette
règle fâche tout particulièrement les constructeurs et leurs assureurs
dont la responsabilité dans la réalisation des désordres, telle que
chiffrée par l’expert désigné, apparaît modeste. Tel est souvent le cas
de l’architecte et, plus encore, du bureau de contrôle dont la part de
responsabilité est souvent évaluée à 5 ou 10 pour cent. L’expérience
montre qu’ils sont souvent poursuivis pour le tout par le maître de
l’ouvrage, et que leurs assureurs se heurtent à des grandes
difficultés, sinon à l’impossibilité de se retourner efficacement
contre les autres constructeurs. Il s’ensuit qu’en pratique certains
constructeurs se voient plus lourdement frappés que d’autres, ce qui
rend l’assurance de leur responsabilité plus difficile et plus coûteuse.Pour
contourner cette difficulté, certains avaient imaginé d’écarter
conventionnellement le jeu de l’obligation in solidum ; mais, la
jurisprudence considère que cette obligation est une règle d’ordre
public, et a déclaré nulle une telle clause.4335 Cass. 3e Civ., 5 déc. 1984 : JCP 1986. II, p. 20543, note Dejean de la Bâtie.
36
Cass. 3e civ., 25 mars 1980, Bull. civ. III, n°69- 6 oct. 1993, Bull.
civ. III, n° 120. 37 Cass. 3e civ., 5 déc. 1984, JCP 1986, II, 20543 et
note N. Dejean de la Bâtie.
38
Cass. 3e civ., 11 juin 1976, Bull. civ. III, n° 260-25 mars 1980, Bull.
civ. III, n° 69. 39 Cass. 1re civ., 9 avr. 1962 : Bull. civ. I, n° 201,
p. 179. 40 Cass. 3e civ., 21 janv. 1971, JCP 71, II, 16729.
41 Cass. 3e civ., 28 oct. 2003, RDI janv./févr. 2004, p.126. 42 Art. 1203 c. civ., ensemble l’art. 1792 de ce code.
43 Cass. 3e civ., 18 juin 1980, Bull. civ. III, n° 121-25 nov. 1987, D. 1987, IR p. 247.
44 Lexique des termes juridiques 10e éd. Dalloz.Dès
lors, lorsque le constructeur et le maître de l'ouvrage sont tous les
deux assignés par le propriétaire victime en réparation des troubles de
voisinage, leur responsabilité, si elle est retenue, l’est in solidum,
même si c’est sur des fondements différents. L’un comme l’autre sont
obligés à la dette. L’obligation à la dette est l’obligation de se
soumettre à la poursuite du créancier et d’acquitter l’intégralité de
la dette, quitte à agir, par voie récursoire, à l’encontre du véritable
débiteur ou du co-obligé.44Mais alors, sur quels fondements juridiques
leur responsabilité est-elle engagée ?Pour
répondre à ces questions, nous allons envisager dans un premier temps
la responsabilité du maître de l'ouvrage pour troubles de voisinage
avant d’exposer celle des constructeurs. Section I : La responsabilité du maître de l’ouvrage pour troubles de voisinageLa
responsabilité du maître de l'ouvrage, fondée sur la théorie des
troubles anormaux de voisinage, a été retenue par deux arrêts de
principe de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date
du 4 février 1971, qui ont posé les prémisses de la responsabilité de
plein droit, en censurant des décisions ayant subordonné la réparation
du dommage à la preuve d’une faute45. Depuis lors, la jurisprudence ne
s’est pas départie de cette règle ; en effet la Cour de cassation
estime, par exemple, qu’est justifiée la condamnation du maître de
l'ouvrage à réparer les dommages causés aux fonds voisins alors que les
travaux ont été effectués par un tiers46 ou que la faute imputée à
l’entrepreneur ne saurait exonérer le propriétaire de sa
responsabilité47, ou encore, qu’indépendamment de toute faute, le
maître de l'ouvrage doit réparation à son voisin du préjudice
occasionné par le trouble48. Il est donc établi que le maître de
l'ouvrage doit, en cette seule qualité, assumer la charge des
réparations des désordres affectant les immeubles voisins du fait des
opérations de construction effectués sur son fonds. Il lui reste à
exercer une action récursoire contre le ou les constructeurs qu’il
estime responsables. Le maître de l'ouvrage doit donc répondre des
troubles anormaux de voisinage sans que sa faute ait été établie, parce
« qu’il avait pris l’initiative de l’opération immobilière et devait
personnellement en tirer profit ».49Pour
que le maître de l'ouvrage puisse être responsable sur ce fondement,
encore fautil que les conditions requises pour les troubles anormaux de
voisinage soient réunies (§1), afin que le voisin puisse prétendre à
une réparation (§2).45
Cass. 3e civ., 4 fev. 1971 : Bull. civ. III, n°80 ; JCP G 1971, II, p.
16781, note Lindon. 46 Cass. 2e civ., 2 dec. 1982 : Bull. civ. II,
n°160.
47 Cass. 3e civ., 8 mai 1979 : D. 1979, p. 470.
48 Cass. 2e civ., 11 fev. 1999 : RCA 1999, comm. n° 101.
49 Cass. 3e civ., 17 juill. 1974 : Bull. civ. III, n° 316. Paragraphe I : Les conditions de mise en jeu de cette responsabilitéLa
théorie des troubles anormaux de voisinage présente la particularité de
permettre à la victime d’établir la preuve du caractère anormal du
trouble qu’elle subit, et non pas la faute de son auteur pour obtenir
la réparation de son préjudice. En d’autres termes, le propriétaire
maître de l'ouvrage peut être condamné à indemniser le voisin dès lors
que le trouble causé aux voisins, par l’exercice de ses droits sur son
terrain, est considéré comme dépassant les inconvénients normaux du
voisinage.Cependant,
si le voisin est dispensé de la preuve d’une faute, il doit établir que
le préjudice qu’il subit est la conséquence directe des nuisances
causées par le bien voisin et être en mesure de quantifier, de façon
chiffrée, ce préjudice.Cette
théorie n’étant applicable que dans les rapports de voisinage, il est
nécessaire de préciser cette notion, en constante évolution, avant
d’expliciter quels sont les critères retenus par les juges du fond pour
établir que des nuisances excèdent les inconvénients normaux du
voisinage.A. La notion de voisinageLe
voisinage est un terme collectif et une notion spatio-temporelle
traduisait l’idée de l’occupation de l’espace par des personnes, dont
certaines, par leur situation de proximité, ont des droits et des
devoirs spécifiques les unes par rapports aux autres. Mais les limites
de cet espace sont relativement imprécises, si l’on considère qu’elles
peuvent s’appliquer aussi bien à la promiscuité qu’à l’environnement.
La notion de voisinage est donc difficile à cerner, puisqu’elle
concerne aussi bien les relations de proximité, comme celles découlant
de la copropriété, de la colocation, ou de contiguïté de fonds, que les
atteintes à l’environnement.En
effet, qu’il soit copropriétaire ou locataire d’un immeuble, il dispose
de l’action en réparation des troubles anormaux de voisinage. Ainsi, en
matière de copropriété, l’article 8 de la loi de 1965 fait obligation
d’établir un règlement conventionnel de copropriété. La question s’est
vite posée de savoir si la règle du non-cumul des responsabilités
contractuelle et délictuelle ne faisait pas obstacle à l’application de
la théorie des troubles de voisinage dans les rapports entre
copropriétaires ? 50
Cass. 3e civ., 20 févr. 1973 : Gaz. Pal. 1973, I, p. 471, note Morand.
51 Obs. Durry (G.) : La responsabilité civile : RTD civ. 1977 p. 132.
Si
la réponse à cette question est positive, elle conduit à interdire au
demandeur de s’en prévaloir au motif qu’ils sont uniquement liés par ce
règlement contractuel dont certaines clauses aménagent les rapports de
voisinage. Mais la Cour de cassation ne l’a pas admis, faisant
prévaloir la théorie des troubles anormaux de voisinage.50Quant
au locataire-victime, il dispose de deux actions qui ne sont pas
exclusives l’une de l’autre. L’une en responsabilité pour troubles de
voisinage est dirigée contre l’auteur. L’autre, contractuelle,
s’adressant au bailleur, est fondée sur la garantie d’une jouissance
paisible que ce dernier doit à son locataire, en application de
l’article 1719 du code civil.Dès
lors, la question qui se pose est de savoir où s’arrête le voisinage.
Juridiquement, le voisinage apparaît davantage « comme une relation
entre des personnes que dans un appareil de normes foncières, relation
inhérente à la vie en société, créatrice de droits et d’obligations,
ressortissant en principe à la responsabilité délictuelle pour la
simple raison que les voisins ne sont généralement pas liés à une
convention destinée à organiser le rapport, encore que la
responsabilité contractuelle y fasse des incursions »51.La
notion de voisinage est donc une notion très importante, puisqu’elle
permet l’application de la théorie des troubles anormaux de voisinage.
En effet, pour qu’il y ait trouble de voisinage, il faut un litige
entre deux ou plusieurs personnes qui ont la qualité de voisin et dont
une au moins exerce des nuisances excessives par rapport aux
inconvénients normaux de voisinage. Pour résoudre ce problème, il
convient de déterminer qui a le titre de voisin, le propriétaire de la
parcelle de terrain, de l’immeuble contigu, ou encore le détenteur de
l’immeuble. Plus précisément, est-ce le titre de propriété qui confère
la qualité de voisin ou est-ce l’occupation ?La première démarche consiste donc à déterminer qui est le voisin victime et qui est le voisin auteur des nuisances.1. Le voisin victimeConformément
aux règles de la responsabilité civile, le demandeur en réparation d’un
trouble de voisinage doit avoir un intérêt direct et personnel. M.
Martin avançait que seul un intérêt fondé sur l’usage juridiquement
établi d’un fonds peut servir de base à l’introduction d’une action en
justice. Tel est le cas du propriétaire voisin : l’action lui
appartient comme éventuellement
au syndicat des co-propriétaires. La question s’est cependant posée de
savoir si un propriétaire non occupant était recevable à agir en
réparation d’un trouble dont, par hypothèse, il ne subit pas les
effets. La Cour de cassation a répondu par l’affirmative, en admettant
qu’un propriétaire, même s’il ne réside pas sur son fonds, est
recevable à demander qu’il soit mis fin aux troubles provenant du fonds
voisin52. Dans ce rapport pour l’année 1995, la Cour de cassation
explique que : « cette décision règle une question qui n’avait pas
encore été jugée : l’action pour troubles de voisinage peut-elle être
intentée uniquement par les victimes directes, celles qui subissent le
trouble quotidiennement, ou bien peut-elle être mise en mouvement par
les propriétaires du bien où le trouble est subi, indépendamment du
fait qu’ils ne résident plus dans les lieux ? Par la présente décision,
la Cour de cassation s’est orientée vers une solution qui permet au
propriétaire d’agir même si l’immeuble est inoccupé et quant bien même
la victime directe, locataire ou occupant à titre gratuit,
s’abstiendrait de le faire ».Une
première question se pose quant à la détermination du voisin victime.
Selon M. Berly, la notion de voisin ne s’interprète pas strictement,
mais il s’agit de toute personne qui subit un préjudice du fait du
chantier et qui a donc qualité pour agir sur le fondement de la théorie
des troubles anormaux de voisinage.53 La réponse dépend du type de
dommage causé. Alors que les nuisances du chantier affectent tous les
voisins, propriétaires ou locataires, les désordres à l’immeuble
contigu affectent principalement le propriétaire. C’est le propriétaire
au moment du sinistre qui a en principe qualité pour demander
réparation. Si l’immeuble est vendu après survenance du trouble,
l’action n’est pas transmise de plein droit à l’acquéreur, et cela même
si le trouble s’est traduit par un désordre subi par l’immeuble.54 Les
troubles de voisinage ne sont donc pas seulement des atteintes aux
personnes, mais aussi des atteintes aux biens.55 Ainsi, le voisin
victime peut être indifféremment soit celui qui réside sur le fonds
voisin, soit le propriétaire du fonds voisin, même s’il réside
ailleurs. Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’« un propriétaire
même s’il ne réside pas sur son fonds, est recevable à demander qu’il
soit mis fin aux troubles anormaux de voisinage provenant d’un fondsvoisin56 ».52 Cass. 2e civ., 28 juin 1995 : JCP N 1995, II, p. 1705.
53
Berly (J-M.), « la responsabilité du maître de l’ouvrage en raison des
troubles anormaux de voisinage », Construction-Urbanisme, janv. 2000,
p. 5 et suiv.
54 Cass. 3e civ., 18 juin 1997 : RDI 1997 p. 592 ; mais la stipulation contraire est possible.
55 Libchaber (R.), « Le droit de propriété : un modèle pour la réparation des troubles de voisinage », Mélanges Mouly, p. 421.
56 Cass. 2e civ., 28 juin 1995 : Bull. civ. II, n° 222 ; RDI 1996. p. 175, obs. Bergel.
57 Cass. 3e civ., 28 fev. 1972 : JCP G 1972, II, p. 17176.Il
appartient à ce voisin de décider contre qui il va intenter son action,
et sur quel fondement. Quoi qu’il en soit, le voisin est un tiers à
l’égard du maître de l'ouvrage et des constructeurs, son action ne peut
donc être de nature contractuelle. En pratique, il assigne le maître de
l'ouvrage sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de
voisinage. Mais il peut aussi bien rechercher la responsabilité des
constructeurs sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Enfin,
il arrive également qu’il assigne tout le monde, auquel cas les
coresponsables sont tenus in solidum, même si c’est sur des fondements
juridiques différents.Le
voisin victime qui subit des nuisances doit saisir le juge d’une
demande en réparation et en cessation de ce trouble. Pour ce faire, il
doit désigner précisément qui est l’auteur de ses nuisances.2. Le voisin auteurDepuis
assez longtemps, il est acquis que l’action peut être engagée contre le
locataire fauteur de trouble, qu’elle soit fondée sur la faute, la
garde ou, plus généralement et plus récemment, sur la responsabilité de
plein droit du fait d’inconvénients excessifs de voisinage57. Pourtant,
la question du fondement de l’action dirigée contre les entreprises du
bâtiment intervenant sur le fonds voisin a donné lieu à des
interrogations et prêté à controverses. En effet, dans les rapports
entre le constructeur chargé des travaux à l’origine des troubles
affectant le fonds voisin et le propriétaire de celui-ci, la
jurisprudence était fluctuante et manquait de clarté, certains arrêts
appliquant la théorie des troubles de voisinage, alors que d’autres
invoquaient la responsabilité fondée sur la faute ou sur la garde des
engins de chantier, voire du chantier. Cette incertitude quant au
fondement de l’action ne présentait pas d’inconvénients majeurs tant
qu’il n’avait pas été admis que le régime juridique des troubles de
voisinage était celui de la responsabilité de plein droit. La situation
est devenue plus délicate après l’affirmation de ce principe par la
Cour de cassation.L’une
des originalités de l’élaboration prétorienne de la théorie est d’avoir
créé une responsabilité du fait d’autrui à la charge du propriétaire.
Il en est ainsi de la responsabilité du maître de l'ouvrage du fait des
intervenants à une opération de construction. Il est vrai que la
victime dispose, avec le propriétaire, d’une personne aisément
identifiable, réputée solvable et détenant
à l’égard de l’auteur du trouble de divers moyens d’intervention et de
coercition. Par ailleurs, il est possible que le trouble invoqué soit
imputable non pas à l’auteur apparent mais au bien lui-même ou à un
manquement du propriétaire à ses propres obligations. C’est pour ces
raisons que la responsabilité pour troubles de voisinage est parfois
considérée comme un corollaire du droit de propriété.Pendant
longtemps, et jusqu’à une date récente, seul le maître de l’ouvrage
pouvait être assigné sur le fondement des troubles anormaux de
voisinage. Il se définit comme le propriétaire du terrain ou celui pour
le compte de qui ont été exécutés les travaux. Mais comme pour le
voisin victime des troubles anormaux de voisinage, la même difficulté
se retrouve pour déterminer le voisin auteur de ce même trouble.La
difficulté réside dans le fait de savoir qui du maître de l'ouvrage ou
du constructeur doit la réparation des troubles de voisinage. Cette
interrogation peut se justifier car le maître de l'ouvrage est à
l’origine de la décision de construire, tandis que le constructeur est
souvent l’auteur des nuisances. Le responsable des ces troubles
semblait être limité à ces deux personnes, jusqu’à un arrêt du 11 mai
200058 dans lequel la Cour de cassation contribue à nouveau à asseoir
la spécificité de la responsabilité pour troubles de voisinage par
rapport au droit commun. En effet, dans cet arrêt, elle décide que
l’action en responsabilité pour troubles de voisinage contre le maître
de l'ouvrage se justifie contre le propriétaire actuel du bien et non
contre celui qui présidait à l’initiative des travaux. Jusqu’à cette
décision, le maître de l'ouvrage devait répondre des troubles anormaux
de voisinage parce « qu’il avait pris l’initiative de l’opération
immobilière et devait personnellement en tirer profit ».59 Le maître de
l'ouvrage, c’est à dire « celui pour qui l’ouvrage se fait »,60
correspond généralement au propriétaire du terrain au moment de la
réalisation des travaux. Or, dans cette décision, les juges du fond
avaient rejeté l’action des victimes du trouble de voisinage contre
l’actuel maître de l'ouvrage et l’assureur de l’entrepreneur aux
motifs, d’une part, que seul le maître d’origine avait eu la garde du
chantier et, d’autre part, que cette garde n’avait pas été transférée à
l’entrepreneur. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris a été censuré par
la troisième chambre civile de la Cour de cassation qui a décidé, sous
le visa du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de
troubles excédant les inconvénients anormaux de voisinage, que : « Le
propriétaire actuel du bien où ont eu lieu les travaux à l’origine des
troubles anormaux58
Cass. 3e civ., 11 mai 2000 : RDI juill./sept. 2000 p. 314 et suiv. note
Bruschi. 59 Cass. 3e civ., 17 juill. 1974, Bull. civ. III, n° 316. 60
Art. 1711 du code civil. de
voisinage constatés dans le fonds voisin et l’entrepreneur auteur de
ces travaux sont responsables de plein droit de ces troubles61 ».Cet arrêt pose la question de la nature réelle ou personnelle de l’obligation de réparation.Selon
M. Bruschi, la Cour de cassation penche une nouvelle fois en faveur
d’un fondement réel pour justifier l’action en réparation des troubles
de voisinage, tout au moins au stade de l’action principale de la
victime. En effet, le lien réel entre l’immeuble cause du dommage, et
l’obligation de réparer le dommage sur le fondement de la
responsabilité pour troubles de voisinage, expose le propriétaire
actuel de l’immeuble dont la construction a été à l’origine du trouble,
à le réparer alors même qu’il n’a pas eu l’initiative de commencer les
travaux de construction. Par cette décision, on peut penser que
l’obligation de réparer les troubles de voisinage n’est pas attachée à
la personne du propriétaire sur la tête duquel elle est née, mais se
transmet aux acquéreurs successifs de l’immeuble, quel que soit le mode
d’acquisition.Cette
jurisprudence tend à faire de la responsabilité pour troubles anormaux
de voisinage une obligation propter rem. En effet, dans l’affaire le
nouveau propriétaire de l’immeuble qui a été condamné sur le fondement
de cette théorie n’est pas la personne qui, de concert avec les
constructeurs, a pris la décision de construire. Dès lors, que peut-on
lui reprocher ? D’avoir acquis un immeuble qui a généré des nuisances
alors qu’il n’a même pas donné son accord pour construire?Plus
vraisemblablement, il semble que ce nouveau propriétaire a acquis un
immeuble ainsi que ses accessoires, y compris les troubles de
voisinage. Cette décision peut se rapprocher de celle qui préconise le
transfert de la responsabilité du fait des bâtiments en même temps que
le transfert de propriété.62 C’est ce qui fait dire à M. Atias que : «
cette responsabilité qui a sa source dans la structure concrète du bien
pèse sur le propriétairecomme une véritable charge réelle ».63Après
avoir explicité la notion de voisinage, il faut déterminer qu’elles
sont les conditions qui font des nuisances un trouble anormal de
voisinage.61 Cass. 3e civ., 11 mai 2000 : Bull. civ. III, n° 106 ; RDI 2000 p. 312, obs. Bruschi ; RCA 2000, n° 263, note Groutel.
62 Cass. 2e civ., 13 mai 1960, D. 1960 p. 589. note Savatier.
63 Atias (C.), Le transfert conventionnel de la propriété, th. Poitiers, 1974, n° 209. B. La notion de troubleEn
matière immobilière, on peut se demander quelle est précisément la
limite de ce qui est acceptable, de ce qui doit être toléré : la
construction d’un immeuble est une opération générant des nuisances
incontestables ; pour autant, cette construction doit-elle entraîner
une indemnisation automatique et complète du voisin victime ?Pour
répondre à cette question, tout dépend des caractéristiques du trouble
que l’on prend en compte. Le trouble est l’action par laquelle on
inquiète quelqu’un dans la jouissance de sa propriété, trouble de fait,
voie de fait, acte qui se commet de manière à nuire à la possession.64
Les troubles anormaux de voisinage sont des nuisances qui excèdent les
inconvénients normaux du voisinage. La victime d’un trouble de
voisinage doit non seulement apporter la preuve d’un dommage mais aussi
la preuve que ce dernier remplit les caractéristiques nécessaires pour
être indemnisé.1. La nécessité d’un dommageIl
n’y a pas de trouble s’il n’existe pas de dommage. La violation d’une
règle légale, réglementaire ou contractuelle, régissant la
construction, ne constitue, en elle-même, ni un trouble apporté aux
relations de voisinage, ni un inconvénient excessif de celui-ci. On ne
peut pas, non plus, déduire l’existence d’un trouble du seul fait
qu’une infraction à disposition légale ou administrative a été
commise.65 Comme le disait le Doyen Carbonnier, la théorie des troubles
de voisinage visent à sanctionner l’anormal, pas l’illicite.66 Ainsi,
les particuliers ne peuvent invoquer, devant les tribunaux de l’ordre
judiciaire, la violation des règles d’urbanisme, alors même que la
juridiction administrative a prononcé l’annulation du permis de
construire, à moins d’établir l’existence d’un préjudice personnel, en
relation avec l’infraction et non avec la seule présence de
constructions environnantes. C’est donc à bon droit que les demandeurs
avaient été déboutés de leur action, les juges du fond ayant
souverainement relevés que le préjudice résultant de l’irrégularité de
la construction était inexistant67. Dès lors, le fait qu’une
construction a été édifiée sans permis de construire et en violation du
plan d’occupation des sols ne suffit pas à caractériser le trouble. En
effet, les autorisations d’urbanisme sont toujours octroyées sans
préjudice du droit des tiers. Par64 Littré, Vo trouble.
65 Cass. 2e civ., 17 fev. 1993 : RCA 1993, comm. n° 159.
66
V. Carbonnier (J.), Droit civil, T. 4, 22e éd., 2000, n° 232, p. 422 et
T. 3, 19e éd., 2000, n° 167, p. 272. 67 Cass. 3e civ., 29 janv. 1992:
RCA 1992, comm. n° 128. exemple,
il a été jugé par la Cour de cassation que : « Les juges du fond ne
peuvent déduire l’existence de troubles anormaux de voisinage de la
seule infraction à une disposition administrative, sans rechercher
s’ils avaient excédé les troubles normaux de voisinage68 ». Encore
faut-il qu’existe une relation directe de causalité entre l’infraction
à une règle d’urbanisme et le préjudice allégué. Par conséquent, les
juges du fond ne sauraient décider de la démolition d’un ouvrage au
seul motif qu’il n’est pas conforme au permis de construire, sans
rechercher si cet ouvrage cause un préjudice au demandeur.69Si
la preuve d’un dommage est nécessaire, tous les dommages n’ouvrent pas
droit à réparation : encore faut-il qu’ils aient certaines
caractéristiques.2. Les caractéristiques du dommageIl
est incontestable que toute opération de construction est de nature à
provoquer une gêne pour le voisinage de son lieu de réalisation. Qu’il
s’agisse des engins de construction, des bruits ou des poussières
dégagées par le chantier, ils causent toujours un trouble à
l’environnement dans lequel le nouveau bâtiment est amené à prendre
place. De la même façon, la construction une fois réalisée est
susceptible de diminuer l’agrément des propriétés voisines, même
lorsqu’elle respecte scrupuleusement les prescriptions administratives.
Mais il ne faut pas pour autant que les voisins aient la possibilité de
paralyser tout projet immobilier.Il importe à présent de préciser quel est l’inconvénient qui est de nature à ouvrir droit à réparation.La
permanence ou la répétitivité de la nuisance, ainsi que sa durabilité,
sont souvent présentées comme caractéristiques du trouble de voisinage,
si bien que devrait être exclue toute application de la responsabilité
spéciale aux dommages ponctuels et accidentels, tels qu’explosion,
incendie, effondrement, ruine d’un bâtiment… De même un glissement de
terrain ne peut certainement pas être assimilé à un trouble de
voisinage, même s’il affecte un fonds voisin.Pourtant,
dans le domaine de la construction, les juges n’hésitent pas à faire
application de la responsabilité pour trouble du voisinage en cas de
dommage instantané etpurement accidentel.7068 Cass. 2e civ., 17 févr. 1993 : Bull. civ. II, n° 68; Cass. 3e civ., 11 févr. 1998 : Bull. civ. III, n° 34.
69 Cass. 3e civ., 7 oct. 1998 : RCA 1999, comm. n° 2.
70 Cass. 3e civ., 30 juin 1998, RTD civ. 1999 p. 114 ; Cass. 2e civ., 11 févr. 1999, RCA 1999, comm. 101. Dans
un arrêt du 19 juin 200371 la deuxième chambre civile de la Cour de
cassation revient sur sa jurisprudence en refusant d’appliquer la
théorie des troubles anormaux de voisinage à un glissement de terrain.
Elle confirme donc que cette théorie doit être écartée au profit de
l’article 1384, alinéa 1er du code civil, probablement parce que
l’événement dommageable ne présentait pas les caractères d’un véritable
trouble du voisinage.Ensuite,
il ne suffit pas que l’inconvénient existe, encore faut-il qu’il soit
dommageable. Il s’agit là d’une question de fait livrée à
l’appréciation souveraine des juges du fond.72 Par exemple, la Cour de
cassation a jugé que : « du principe que nul ne doit causer à autrui un
trouble anormal de voisinage, il résulte que les juges du fond doivent
rechercher si les nuisances, même en l’absence de toute infraction aux
règlements, n’excèdent pas les inconvénients normaux de voisinage73 ».La
Cour de cassation se réserve le soin de vérifier que les juges du fond
ont « suffisamment caractérisé le dommage comme anormal et continu et
n’ont pas motivé leur refus par de simples considérations générales
»74. Par exemple, la Cour d’appel de Paris avait retenu que la
construction de la maison de la culture du Japon avait causé des
préjudices et que des appartements voisins avaient subi une
dépréciation liée à des pertes de vue et, d’une façon limitée, de jour.
Même si les juges du fond sont souverains pour apprécier l’anormalité
du trouble lié à la réalisation des travaux, il est nécessaire que
celle-ci soit effectivement caractérisée. C’est d’ailleurs pour ne pas
avoir procédé à cette appréciation du caractère anormal du trouble, que
l’arrêt de la Cour d’appel encourt la cassation.75Le
caractère excessif du préjudice doit s’apprécier compte tenu de toutes
les circonstances du cas et notamment de sa permanence. Il est naturel
que les voisins supportent mutuellement certains inconvénients
inhérents à cette situation. Le tout est de trouver la norme de
tolérance et, par conséquent au-delà, le seuil de nuisance à partir
duquel apparaît l’obligation de réparer. Il est possible de déclarer
que le dommage qui donne lieu à réparation est le dommage anormal.
Selon Mazeaud et Tunc, il faut désigner seulement par dommage anormal
celui que les voisins n’ont pas l’habitude de subir dans telles ou
telles régions et à de telles ou telles époques.76 La difficulté réside
dans la détermination de la notion de trouble. On peut concevoir que ce
qui est tolérable dans une zone industrielle ne le soit pas dans un71 Cass. 2e civ., 19 juin 2003, Batimur c/ Mele et autres, arrêt n° 939 FS-P+B, RTD civ. oct./déc. 2003 p. 715
716.
72 Cass. 3e civ., 4 janv. 1990 : RCA 1990, comm. n° 107.
73 Cass. 3e civ., 24 oct. 1990 : Bull. civ. III, n° 205. 74 Cass. 2e civ., 18 juin 1997 : Juris-Data n° 002938.
75 Cass. 3e civ., 29 avr. 2002 : RDI mars/avr. 2003 p.154.
76 Mazeaud (H. et L.) et Tunc (A.) : Traité théorique et pratique de la responsabilité délictuelle et contractuelle,
T. 1 : 1965, n° 600. quartier
d’habitations, que ce qui est supportable dans un secteur urbain ne le
soit pas dans une zone rurale, ou que ce qui est admissible dans un
quartier à forte densité de population ne le soit pas dans une zone
résidentielle. Par exemple, la réduction d’ensoleillement dans une
cuisine, dont la durée varie selon les saisons, constitue un
inconvénient normal et prévisible de voisinage en zone urbaine
d’habitat continu, la perte d’ensoleillement minime ne créant pas
d’obscurité préjudiciable à l’habitabilité de l’immeuble voisin77. A ce
stade, il s’agit de se demander, objectivement, si le dommage invoqué
existe. Ensuite, si la réponse est affirmative, la question est de
savoir si ce dommage est anormal. Pour juger de la normalité du dommage
allégué, il est nécessaire de la rapporter aux paramètres de son
environnement, de tenir compte, par exemple, de la qualité de la
construction en cause78, de la topographie, du sens des vents
dominants, etc.Conformément
aux principes généraux de la responsabilité extra-contractuelle, le
dommage doit être apprécié in concreto. La Cour d’appel
d’Aix-en–Provence,79 par exemple, a jugé que le caractère anormal d’un
trouble de voisinage doit s’apprécier in concreto en tenant compte des
circonstances de lieu. Autre exemple, la Cour d’appel de Reims a jugé
que lorsqu’il y a un trouble de voisinage, il faut l’apprécier au
regard de la destination normale et habituelle du fonds troublé.80
Enfin, la Cour de cassation a pu juger que : « Les juges du fond
apprécient souverainement en fonction des circonstances de temps et de
lieu la limite de la normalité des troubles de voisinage81 ».A
ce stade du développement, on peut se demander si l’inconvénient de
voisinage devient anormal du seul fait de la propre anormalité de celui
qui l’invoque. C’est dire si la situation personnelle du demandeur peut
jouer un rôle. La jurisprudence est assez peu résolue à prendre en
compte la prédisposition de la victime82.L’appréciation
in concreto ne signifie pas pour autant qu’elle est arbitraire. Il
existe en effet, en la matière, de plus en plus de paramètres
techniques permettant d’évaluer le franchissement du seuil de la
normalité. Les juges utilisent les services d’experts, tant pour les
constatations que pour les préconisations des mesures à prendre. Il
n’est pas rare non plus que les tribunaux se réfèrent à des rapports ou
à des préconisations d’origine administrative, comme par exemple le
rapport de la direction régionale de l’industrie, de la recherche et de77 CA Paris, 19e ch. A, 22 avril 1997 : Juris-Data n° 020965.
78 CA Riom, 10 avril 1997, Juris-Data n° 041629.
79 CA Aix-en-Provence, 4e ch. B, 15 oct. 1996 : Juris-Data n° 046364. 80 CA Reims, 21 dec. 1982, Juris-Data n° 043712.
81 Cass. 3e civ., 3 nov. 1977 : D. 1978 p. 434, note Caballero ; Cass. 2e civ., 27 mai 1999 : Bull. civ. II, n° 100 ;
RDI 2000 p. 17, obs. Bergel.
82 CA Orléans, 18 dec. 1967 : Gaz. Pal. 1968, I, p. 262, note Blaevoet. l’environnement, ou à des normes réglementaires, notamment en matière de nuisance acoustique.L’anormalité
du trouble doit être appréciée en fonction de sa gravité et de sa
durée. S’agissant d’un chantier de construction, elle doit l’être par
référence à l’environnement des lieux, aux inconvénients habituels du
quartier, non par référence aux nuisances habituelles d’un chantier.
Si, pour déterminer un trouble anormal, on prend comme critère les
nuisances habituelles d’un chantier, c’est qu’on raisonne en terme de
faute. En effet, cela équivaut à rechercher si le chantier a été mené
normalement ou non, alors que la notion de troubles de voisinage est en
principe totalement indépendante de la notion de faute.Si
le trouble anormal est caractérisé, le voisin victime peut demander au
juge non seulement la réparation du trouble subi mais aussi la
cessation du trouble pour l’avenir, ou du moins son atténuation.Paragraphe II : La réparation des troubles anormaux de voisinageJugés
comme une atteinte à la propriété, les troubles anormaux de voisinage
doivent cesser. Ne pas les supprimer mais accorder un dédommagement à
la victime pour préjudice subi, signifierait tolérer les atteintes à la
propriété moyennant indemnité. C’est pourquoi, le juge doit toujours
préférer la cessation du trouble en plus de l’allocation d’une
indemnité pour le préjudice déjà subi, plutôt qu’une réparation par
équivalent. Ce n’est qu’exceptionnellement, et lorsque la cessation du
trouble n’est pas possible, qu’il faut prendre des mesures pour
l’atténuer. Quoi qu’il en soit l’ensemble de ces mesures est accompagné
de dommages-intérêts pour réparer le préjudice subi. C’est généralement
le maître de l'ouvrage, propriétaire du terrain à l’origine des
nuisances, qui est assigné par les voisins victimes en réparation de
ces troubles. Une fois le trouble constaté par les juges, il doit
cesser et être réparé. En effet, étant une responsabilité objective, le
seul constat d’un trouble qui excède les inconvénients normaux de
voisinage, ainsi que la preuve du lien causal entre ce dernier et
l’activité incriminée, suffit à engager la responsabilité du maître de
l'ouvrage. Même s’il ne peut pas s’exonérer en rapportant la preuve
d’une faute, le maître de l'ouvrage n’est pas pour autant démuni de
toutes causes d’exonérations. Dès
lors, nous allons exposer les modes de réparation des troubles anormaux
de voisinage, avant d’étudier les causes d’exonérations du maître de
l'ouvrage.A. Les modes de réparationSelon
la Cour de cassation, le propre de la responsabilité civile est de
rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le
dommage.83 Il s’agit de faire disparaître le dommage, ce que seule la
réparation en nature est en mesure d’accomplir.En
effet, la réparation en nature a pour but de replacer la victime dans
la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était
pas produit. Quant à la réparation par équivalent, il s’agit d’une
compensation, qui n’est pas forcément pécuniaire. Mme Roujou de Boubée
a mis en lumière la distinction entre réparation du préjudice et
suppression de l’illicite.84 Lorsque le juge ordonne la réfection d’un
immeuble abîmé, il s’agit d’une réparation, et lorsqu’il prescrit des
mesures destinées à faire cesser une situation non conforme au droit,
nous sommes en présence d’une suppression de l’illicite. Alors que la
réparation à proprement parler opère sur la matière du préjudice, la
suppression de l’illicite agit sur sa cause. Elle a pour but d’empêcher
le dommage de se produire en touchant au fait générateur. Une personne
qui risque de souffrir d’un dommage illicite peut obtenir du juge,
avant même sa réalisation, la suppression du fait constitutif, afin
d’en prévenir la survenance.Les
juges du fond ont eu pendant longtemps la liberté de choix quant au
mode de réparation du préjudice causé par les troubles anormaux de
voisinage. Mais depuis un certain temps, une partie de la doctrine,
comme Mazeaud, Tunc et Chabas,85 estime que ce choix appartient à la
victime auquel le juge ne peut se substituer.S’il
est de principe que la réparation des troubles anormaux de voisinage se
fait en nature, il se peut néanmoins et dans certains cas qu’elle se
fasse par équivalent.83 Cass. 2e civ., 7 déc. 1978 : Bull. civ. II, n° 269.
84 Roujou de Boubée (M.-E.), Essai sur la notion de réparation, LGDJ 1974, p. 161 et suiv.
85
J. Mazeaud, A. Tunc et F. Chaba, Traité théorique et pratique de la
responsabilité délictuelle et contractuelle, Montchrétien, t. I, 6e éd.
1965 ; t. II, 5e éd. 1982 ; t. III, 6e éd.
86
Mevoungou Nsana (R.), Le préjudice causé par un ouvrage immobilier :
réparation en nature ou équivalent ?, RTD civ. 1995 p. 760 et suiv.
87
CA Agen, 2 févr. 1971, Gaz. Pal. 1971, I p. 328 ; RTD civ. 1971 p. 673,
obs. Bredin. 88 Cass. 2e civ., 3 déc. 1964, D. 1965 p. 321, note Esmein.
89 Cass. 1re civ., 3 mai 1965, Bull. civ. I, n° 274.
90
Cass. 2e civ., 16 juill. 1992, JCP éd. G 1993, II, 22017, note Ph. Le
Tourneau. 91 Cass. 2e civ., 20 oct. 1976, Bull. civ. II, n° 280.
92 Cass. 3e civ., 3 oct. 1985, Bull. civ., III, n° 118, surélévation des conduits de fumée.par1. Le principe de la réparation en natureLa réparation des troubles anormaux de voisinage peut prendre des formes diverses.En
dehors de la solution radicale préconisée lorsque la propriété de la
victime est empiétée, la réparation des dommages provoqués par des
nuisances pose un problème de priorité entre la sanction en nature,
lorsqu’elle est demandée par la victime, et certains intérêts que le
juge doit sauvegarder. Ces intérêts rivaux sont représentés par la
situation de l’auteur du dommage et de la société tout entière.Ainsi,
face à une demande en réparation en nature, le juge doit distinguer
entre les mesures dites de construction, qui tendent à réduire le
dommage, et celles qui tendent à sa suppression, les mesures de
démolition. En d’autres termes, le choix du juge peut avoir des
conséquences très graves sur les propriétés qui sont à l’origine des
dommages.Les
mesures de construction sont celles qui obligent le défenseur à
effectuer des travaux sur un ouvrage immobilier pour que les
inconvénients de voisinage qu’il génère retrouvent le seuil
d’anormalité supportable, ou cessent tout simplement de produire des
effets nocifs.86 Le juge les prononce plus aisément. Ainsi, par
exemple, un propriétaire d’un immeuble dont la masse faisait écran à la
propagation des émissions de télévision a été condamné à installer des
dispositifs de réémission capables d’établir des conditions de
réception satisfaisantes pour les immeubles voisins.87De la même façon,
il a été mis à la charge d’un propriétaire l’obligation de sur-élever
les cheminées ou de raccorder les radiateurs du voisin aux
canalisations du chauffage urbain,88 ou encore de modifier un hangar.89Des
réparations en nature peuvent être ordonnées, éventuellement sous
astreinte,90sous forme de travaux destinés à diminuer les troubles,
soit à leur source chez le pollueur,91soit à leur débouché chez la
victime.92 Les juges du fond apprécient les mesures propres à faire cesser
le trouble et à le réparer dans l’exercice de leur pouvoir souverain. «
Une cour d’appel apprécie souverainement la mesure propre à faire
cesser le troubles anormal de voisinage93 ». Dans cette décision qui
concernait un circuit de Karting, les juges ont pu interdire, sous
astreinte, toute épreuve en attendant sa mise en conformité.En
revanche, les mesures de démolition sont celles qui entraînent la
suppression des ouvrages. A leur égard, la jurisprudence les accorde
avec parcimonie, sans toutefois aller jusqu’à la destruction des
bâtiments entiers. Par exemple, la Cour de cassation a, dans un arrêt
du 22 avril 1975, ordonné l’enlèvement des barres d’acier enfoncées
dans la propriété voisine en vue de fixer un mur.94 De la même manière,
elle a condamné un propriétaire à la suppression d’un équipement de
climatisation très bruyant.95En
ce domaine, la jurisprudence n’est pas constante. Par exemple, la Cour
de cassation, dans un arrêt du 11 décembre 1970,96après avoir censuré
les premiers juges qui ont déclaré irrecevable un voisin à poursuivre
la démolition d’un bâtiment, ne lui accorde finalement que des
dommages-intérêts. Même si cette jurisprudence admet le principe d’une
réparation en nature, elle ne franchit pas le pas afin de prescrire la
condamnation qui s’impose. Dans la même lignée, lorsque les
juridictions ordonnent la condamnation à démolition, cette dernière,
jugée comme seule sanction adéquate, touche non la totalité de
l’immeuble, mais la partie qui cause le trouble anormal.97Reste
néanmoins à savoir si une construction faite en violation d’une règle
d’urbanisme dont il résulte un préjudice personnel pour les voisins,
doit être démolie.En
effet, lorsqu’une construction a été édifiée en violation des règles
d’urbanisme et que le propriétaire voisin montre que la violation des
prescriptions lui cause un préjudice, la Cour de cassation fonde le
droit d’obtenir la destruction de l’ouvrage en cause sur l’article 1143
du code civil et non sur la théorie des troubles anormaux de
voisinage.98 La Cour se sert de cet article pour sanctionner la
violation d’une obligation non contractuelle. Aux termes de ce texte :
« le créancier a droit de demander que ce qui aurait été fait par
contravention à l’engagement soit détruit ». Selon M. Chaibou,99
l’invocation de l’article 1143 du code civil pour demander la
suppression de l’illicite est souvent faite lorsque les parties sont
tenues par des obligations contractuelles. Il en est ainsi, par
exemple, en cas de violation des stipulations93 Cass. 2e civ., 9 oct. 1996, Bull. civ. II, n° 231.
94 Cass. 22 avr. 1975, Gaz. Pal. 1975. II. p. 618.
95 CA Dijon, 8 oct. 1968, Gaz. Pal. 1968, II p. 390.
96 Cass. 3e civ., 11 déc. 1970, Bull. civ. III, n° 699.
97 CA Paris, 17 sept. 1986, Gaz. pal. 1987. somm. 17-18 août 1987.
98 Cass. 3e civ., 30 sept. 1998, Dr. env., juin 1999, p. 11, note Guihal, D. 1999 p. 374, note Kenderian.
99
Chaibou (A.), L’application de l’article 1143 du code civil et la
théorie des troubles anormaux de voisinage, JCP N, n°20 du 15 mai 1998. de
cahier des charges, ou d’une servitude de lotissement. Cependant
l’application de ce texte intervient dans les relations de voisinage
lorsque les voisins invoquent la violation d’une règle d’urbanisme pour
obtenir la démolition d’une construction litigieuse.Or,
comme le souligne M. Kenderian, le visa de l’article 1143 du code civil
est artificiel et inutile, même si l’application extensive de cette
disposition contractuelle au délit civil qu’est le trouble anormal de
voisinage, permet d’automatiser « la sentence aveugle de la démolition
» dans un domaine où les juges hésitent à demander la démolition
demandée par la victime d’un trouble. La Cour de cassation a énoncé,
dans un arrêt du 28 mars 2001,100 le principe selon lequel « la
violation des règles de l’article R. 111-21 du code de l’urbanisme peut
être invoquée au soutien d’une action en démolition engagée sur le
fondement de l’article 1382 du code civil ». Selon Mme
Gaillot-Mercier,101 la Cour de cassation se fonde sur l’article 1382 du
code civil et non sur la théorie des troubles anormaux de voisinage
conformément au principe affirmé en 1994, aux termes duquel l’article
L. 480-13 du code de l’urbanisme ne s’applique pas aux actions fondées
sur les troubles de voisinage.102En
résumé si l’exploitation, en plus des nuisances qu’elle occasionne au
voisinage, est installée en contravention aux règles de l’urbanisme,
l’article 1143 du code civil permet de demander la démolition de la
construction illicite. Le fondement de la demande sur la seule théorie
des troubles anormaux de voisinage, n’aurait pas nécessairement abouti
à un tel résultat. En effet, comme nous l’avons exposé, les juges sont
réticents à condamner à la démolition et préfèrent ordonner des travaux
qui tendent à réduire ou à faire cesser les nuisances. En revanche,
lorsque le demandeur invoque l’application de l’article 1143 du code
civil et justifie d’un trouble anormal de voisinage, la démolition de
la construction litigieuse édifiée en contravention d’une règle
d’urbanisme d’utilité publique s’impose. C’est pour cela que selon M.
Chaibou,103 l’action en suppression de l’illicite, sur le fondement de
l’article 1143 du code civil, tend vers l’unification d’un régime
spécial de réparation distinct de la réparation en nature stricto sensu.La
condamnation en nature, comme la destruction de l’ouvrage nuisible ou
sa remise en conformité, paraît être la meilleure des réparations.
Seulement, il y a des situations dans lesquelles ces mesures ne sont
plus possibles, c’est pourquoi seule la réparation par équivalent reste
envisageable.100
Cass. 3e civ., 28 mars 2001, Bull. civ. III, n° 40, Constr.-Urb.,
juill./août 2001, n° 147, note Cornille. 101 Gaillot-Mercier, Rép. civ.
Dalloz, Vo troubles de voisinage, sept. 2002. 102 Cass. 3e civ., 20
juill. 1994, Bull. civ. III, n° 158, JCP 1994, I, p. 3809, obs. Viney.
103 Obs. Chaibou (A.), préc. note 99. 2. Le domaine résiduel de la réparation par équivalentLa
réparation des préjudices causés par des nuisances d’origine
immobilière s’octroie en nature. Dès lors, le juge n’a pas le choix
entre la suppression des sources de dommages et la réparation
pécuniaire. Néanmoins, la demande de la victime, aux fins d’obtenir la
démolition d’un ouvrage ou sa mise en conformité, ne peut être
satisfaite si le juge rencontre une impossibilité de nature matérielle
ou juridique. En effet, la limitation de la condamnation du débiteur à
l’exécution en nature a des origines légales ; ainsi, l’article 1184,
alinéa 2 du code civil nous précise que « … La partie envers laquelle
l’engagement n’a point été résolu, a le choix ou de forcer l’autre à
l’exécution de la convention, lorsqu’elle est possible, ou d’en
demander la résolution avec dommages-intérêts ». L’article 1903 du dit
code prévoit que : « Si le débiteur est dans l’impossibilité d’y
satisfaire, il est tenu d’en payer la valeur eu égard au temps et au
lieu où la chose devait être rendue d’après la convention ».Tout
d’abord, concernant les obstacles matériels à la réparation en nature,
celle-ci n’est ordonnée par le juge que s’il est possible
matériellement d’agir. Très souvent, l’on caractérise l’obstacle
matériel à l’exécution en nature par le fait qu’il ne soit plus
envisageable d’appréhender physiquement la cause du dommage. En
d’autres termes, lorsque la source du dommage a disparu, le juge ne
peut ordonner qu’une réparation en argent. C’est ainsi, par exemple,
que le propriétaire d’un immeuble qui empêche par sa masse la bonne
réception des ondes radio-phoniques et télévisuelles n’est plus
condamné à l’exécution en nature lorsque le centre d’émissions a déjà
procédé aux installations techniques nécessaires. Autre exemple, on a
condamner à verser une indemnité pour avoir privé l’immeuble voisin de
tout ensoleillement au point de le transformer en fond de puits.104 Le
juge accorde plutôt des dommages-intérêts pour le préjudice subi dans
le passé. Les tribunaux accordent donc des dommages-intérêts pour la
réparation du préjudice passé ou actuel et définitif comme la
dépréciation d’un bien105ou encore futur.106Une
situation tout à fait différente est celle où le dommage subsiste au
moment où le juge statue. Il se trouve alors en présence d’une
impossibilité de réparer en nature due à des circonstances autres que
la disparition du dommage. Dans la majorité des cas, sa décision est
influencée par des considérations d’ordre économique, car chaque fois
que ces intérêts sont en balance avec le droit à la tranquillité d’un
foyer, seule la réparation par équivalent est allouée.104
Cass. 3e civ., 18 juill. 1972, JCP 1972, II, p. 17203, rapport Fabre ;
RTD civ. 1974 p. 637, obs. Bredin. 105 Cass. 2e civ., 30 janv. 1985,
Bull. civ. II, n°24.
106 Cour d'appel Toulouse, 17 mars 1970, JCP éd. G 1970, II, 16534, rente tant que subsistera le dommage. Généralement,
à ces considérations économiques annonciatrices de la réparation
pécuniaire, se greffent des considérations techniques. Dès lors, le
juge n’accorde pas une réparation en nature à la victime lorsque la
destruction de l’ouvrage est susceptible de causer un préjudice plus
grand aux voisins et à l’auteur du dommage, qu’il soit propriétaire oupromoteur.107Toutefois
la jurisprudence se montre très stricte dans l’appréciation de cette
impossibilité. Ainsi l’auteur du dommage doit-il invoquer une
impossibilité absolue pour échapper à la condamnation en nature, et non
une « simple difficulté rendant l’exécution plus ardue ou onéreuse […]
».108La même tendance à la sévérité se manifeste dans l’appréciation de
l’impossibilité juridique.Ensuite,
concernant les obstacles juridiques à la réparation en nature, la
condamnation en nature crée, à la charge du constructeur qui provoque
des nuisances, une obligation de faire ou de ne pas faire. Il doit
détruire les ouvrages ou cesser l’activité dommageable. Or, en vertu de
l’article 1142 du code civil : « Toute obligation de faire ou de ne pas
faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la
part le débiteur ». Selon M. Mevoungou Nsana109 ce principe peut
s’étendre en matière délictuelle, et dès lors, on ne peut contraindre
le responsable du trouble anormal de voisinage à faire ou à ne pas
faire quelque chose.Il
en va différemment du second type d’obstacle juridique, à savoir le
principe de la séparation des pouvoirs entre les autorités
administratives et judiciaires. Ce principe influence de façon
déterminante la forme de la réparation que le juge judiciaire doit
accorder à la victime des troubles de voisinage et des désordres, car,
en pratique, la plupart des constructions voient le jour après
l’obtention d’une autorisation administrative. Or, la régularité de
celle-ci ne peut être appréciée que par le juge administratif. En
d’autres termes, on se demande si les tribunaux civils sont en mesure
de faire cesser toute nuisance causée par un ouvrage bénéficiant d’une
autorisation administrative, ou simplement de la réduire pour qu’elle
atteigne le seuil d’anormalité supportable.110 Peuvent-ils condamner le
propriétaire à cesser une activité, à modifier ou à détruire tout
édifice conforme au permis de construire ?Les
arrêts rendus ont proclamé l’incompétence du juge civil à connaître les
actes administratifs. En effet, le tribunal des conflits par un arrêt
du 23 mai 1927 a décidé que :107
Cass. 1re civ., 5 déc. 1973, Bull. civ. I, n° 339, p. 300 ; Cass. 3e
civ., 18 juill. 1972, D. 1974, p. 73, note De La Marnière.
108 CA Paris, 17 juill. 1946, D. 1948 p. 171, note A. Weill.
109
Mevoungou Nsana (R.), « Le préjudice causé par un ouvrage immobilier :
réparation en nature ou par équivalent ? », RTD civ. 1995 p. 760 et
suiv.
110
Meyer-fabre (N.), « constructions neuves: Les troubles “visuels » du
voisinage : la recherche du critère d’anormalité », AJPI 1988 p. 149. «
les tribunaux judiciaires n’ont compétence pour se prononcer sur les
dommages-intérêts à allouer aux tiers que sur les mesures propres à
faire cesser le préjudice […] dans l’avenir à condition que ces mesures
ne contrarient pas les prescriptions édictées par l’administration dans
l’intérêt de la sûreté et de la salubrité publique ». Dès ce moment, le
juge judiciaire ne pouvait interdire une activité autorisée par
l’administration.111 Ne pouvaient être ordonnés, ni la destruction d’un
ouvrage ou la fermeture d’un chantier de construction régulièrement
autorisé,112 ni l’accomplissement par le responsable de travaux
susceptibles par leur ampleur de rendre leur déroulement impossible.Avec
la loi du 31 janvier 1976 qui a introduit l’article L. 480-13 du code
de l’urbanisme, on revient à une séparation stricte des pouvoirs et à
ses effets contrariants sur le plan de la réparation des préjudices,
qui orientent le juge judiciaire vers les condamnations par équivalent.Désormais,
« lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de
construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal
judiciaire à la réparation du préjudice causé par la méconnaissance des
règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si,
préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir ou son
illégalité a été constatée par la juridiction administrative […] 113 ».
Dès lors on peut déduire de cette décision qu’il s’agit d’une question
préjudicielle qui oblige le juge civil à surseoir à statuer tant que le
juge administratif ne se sera pas prononcé sur la régularité du permis.Néanmoins,
la 3e chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 31
janvier 1984114 apporte des restrictions à l’article L. 480-13 du code
de l’urbanisme. En effet, la Cour a décidé qu’il appartient aux juges
du fond, saisis par un propriétaire d’une demande en démolition d’un
ouvrage irrégulièrement implanté au regard de la servitude de
reculement prescrite par le plan d’occupation des sols, « de statuer
sur la partie du litige qui relève de leur compétence si l’infraction
est caractérisée et a causé préjudice à l’intéressé et, dans
l’affirmative, ils ont le devoir […] de renvoyer à la juridiction
administrative […] avant de prononcer la condamnation, l’appréciation
de la légalité du permis de construire » et ce même si le demandeur n’a
pas attaqué devant le juge administratif le permis de construire
délivré au constructeur. En vertu de l’arrêt du 20 juillet 1989,115 il
doit rechercher si la111 Cass. 1re Civ., 8 juill. 1951, Bull. civ. I, n° 302, p. 258.
112 Req. 14 janv. 1944, DA 1944. J. 1945 ; Cass. civ., 5 nov. 1965, D. 1964 p. 178, note Gabolde.
113 Saint Alary, Droit de la construction, p. 217 ; T. confl. 16 juin 1923, Sept Fonds, Grands Arrêts du droit administratif.
114
Cass. 3e civ., 31 janv. 1984, Epoux Vergriète c/SCI Les tennis,
Defrénois, 1984, art. 33418. 115 Cass. 3e civ., 20 juill. 1989, Epoux
Prefontan, Bull. civ. III, n° 175. construction
dommageable est conforme aux règles d’urbanisme et surtout « si
l’annulation du permis est fondée sur des règles distinctes de celles
qui sont l’objet de l’infraction 116».Selon
M. Mevoungou Nsana,117 les constructeurs et les propriétaires profitent
de l’inertie de l’administration. En revanche, un « rééquilibrage des
rapports de force » a été opéré par la jurisprudence civile en faveur
des victimes qui fait désormais du principe de la séparation des
pouvoirs un principe « d’interprétation souple ».Outre
la séparation des autorités, certains, comme Mme Hauksson-Tresch,118ont
pu justifier l’inertie du juge au regard de la suppression de
l’illicite, par l’idée selon laquelle le premier occupant aurait une
sorte de droit acquis à nuire. Ce droit, issu de la préoccupation, est
consacré par l’article L. 122-16 du code de la construction et de
l'habitation. Selon ce texte, il faut considérer que celui qui
s’installe à proximité d’une zone industrielle, commerciale ou
artisanale, ne peut obtenir réparation de son préjudice, car il a en
quelque sorte accepté les inconvénients auxquels il s’expose. Seule une
éventuelle aggravation des nuisances peut être prise en compte.119
Cette règle pose la question de savoir jusqu’à quel point elle reste en
conformité avec le principe du droit à réparation.Quoi
qu’il en soit, les obstacles juridiques à la réparation en nature
sortent largement affaiblis par les interprétations et les applications
qu’en fait le droit positif. En d’autres termes, le juge qui rencontre
ces obstacles dans un litige n’est pas obligé d’allouer uniquement des
dommages-intérêts à la victime. Le recours à la réparation par
équivalent s’est encore accentué considérablement, si bien que la
solution du maintien d’un ouvrage immobilier moyennant indemnité
gagnerait beaucoup de la prise en compte de l’intérêt général. Ainsi
pour faire un parallèle avec les ouvrages publics, même s’ils ne
relèvent pas de notre étude, on peut constater également une
interprétation souple du principe de séparation des pouvoirs. Pendant
longtemps et jusqu’à une période récente, sous couvert de l’intérêt
général, le juge judiciaire a refusé de prescrire à l’administration
non seulement les travaux susceptibles de faire cesser le trouble causé
aux voisins, mais aussi la destruction des ouvrages publics. Il leur
accorde généralement une indemnité. Mais depuis un arrêt du 20 avril
2003,120 suite à une longue évolution, la Cour de cassation casse
l’arrêt de la Cour d’appel qui retient que « le juge judiciaire ne peut
ordonner la destruction de l’ouvrage116
Cass. 3e civ., 28 mai 1986, Bull. civ. III, n° 81, p. 62, obs. J-L.
Bergel, RDI 1987, II, p. 205. Cass. 3e civ., 8 oct. 1986, D. 1986, II
p. 573, note Sargos ; RDI 1987, I, p. 35, obs. J-L. Bergel.
117
Mevoungou Nsana (R.), Le préjudice causé par un ouvrage immobilier :
réparation en nature ou par équivalent ?, RTD civ. 1995 p. 760 et suiv.
118 Hauksson-Tresch (N.) : La détermination par le juge du mode de réparation, Petites affiches, 29 mai 1998, n° 64, p. 4-15.
119 Cass. 2e civ., 3 févr. 1993, RCA 1993, n° 160.
120 Cass. 3e civ., 20 avril 2003, Bull. civ. III, n° 92. 121 Cass. 2e civ., 5 janv. 1983 : Bull. civ. II, n° 3.public,
mais a le pouvoir d’allouer des dommages-intérêts à celui qui subit un
préjudice à la suite d’une voie de fait ». Elle retient que « si les
juridictions de l’ordre judiciaire ne peuvent prescrire aucune mesure
de nature à porter atteinte, sous quelque forme que ce soit, à
l’intégrité et au fonctionnement d’un ouvrage public […] il en va
autrement dans l’hypothèse où la réalisation de l’ouvrage procède d’un
acte qui est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir
dont dispose l’administration et qu’aucune procédure de régularisation
appropriée n’a été engagée ». Autrement dit quant il y a voie de fait.Le
refus d’ordonner la cessation d’une situation illicite ne peut se
justifier juridiquement. La seule explication possible serait que
l’activité autorisée présente une utilité sociale dont l’intérêt est
supérieur à l’intérêt privé.Si
le juge condamne le maître de l'ouvrage à réparer les troubles
occasionnés par la construction, celui-ci peut invoquer des causes
d’exonération.B. Les causes d’exonérations du maître de l’ouvrageEtant
une responsabilité objective, la théorie des troubles anormaux de
voisinage est indifférente à la notion de faute. La jurisprudence
paraît, à l’exclusion de la faute de la victime, n’assortir cette
théorie d’aucune autre cause d’exonération. A cette cause d’exonération
s’ajoute peut-être « une cause d’immunité » résultant de la
préoccupation en cas de nuisances dues à des activités agricoles,
industrielles ou artisanales, prévue par l’article L. 112-16 code de la
construction et de l'habitation.En
effet, selon la Cour de cassation, l’article L. 112-16 du code de la
construction et de l'habitation, substitué à l’article L. 421-9 du code
de l’urbanisme par la loi du 4 juillet 1980, précise que le dommage
n’entraîne pas droit à réparation121seulement lorsque les activités
auxquelles les nuisances sont dues se sont exercées antérieurement à la
demande de permis de construire faite par le réclamant, en conformité
avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et
lorsqu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions.Dès
lors, nous allons préciser quelles sont les causes d’exonérations que
le maître de l'ouvrage peut invoquer, avant d’expliquer en quoi
certaines causes d’exonérations sont inopérantes. 1. Les causes d’exonérations admissibles en matière de troubles anormaux de voisinageTout
d’abord, les juridictions civiles admettent que la responsabilité pour
troubles de voisinage puisse se trouver totalement ou partiellement
écartée si la victime a, par sa faute, contribué au trouble dont elle
se plaint. En effet, la faute de la victime peut être alléguée pour
tenter de combattre l’anormalité du trouble, et exonère ainsi de sa
responsabilité, partiellement ou totalement, l’auteur du trouble, si
cette activité est licite. C’est le cas par exemple d’un promoteur qui
construit un immeuble à côté d’un aérodrome, sans prendre les
précautions nécessaires contre le bruit.122 L’imprévoyance est
assimilée à une faute exonératoire de responsabilité : les riverains
auraient dû prendre la mesure des risques pris en s’installant à côté
d’un aéroport. Quelquefois, les juges du fond prennent en compte le
comportement de la victime pour réduire son indemnisation ; par
exemple, la Cour d’appel de Dijon123 a qualifié de risque délibéré
l’installation d’une habitation à côté d’une zone industrielle, ce qui
a pour effet « une diminution prévisible du confort d’environnement »
occasionnant une moins value immobilière dont il doit être tenu compte.Une
jurisprudence récente de la Cour de cassation semble confirmer que la
faute de la victime peut justifier un partage de responsabilité. En
effet dans cette affaire, il a été tenu compte de la faute du
propriétaire des berges d’une rivière qui n’a pas fait procéder à des
travaux confortatifs et qui a subi ultérieurement un dommage généré par
une constructionriveraine.124De
la même façon, en n’entretenant pas convenablement son immeuble, le
voisin qui se plaint de dommages à la suite des travaux entrepris sur
le fonds proche du sien, commet une faute qui, dans la mesure où elle a
contribué au préjudice subi par son immeuble, doit exonérer totalement
ou partiellement de sa responsabilité le défendeur.En
revanche, la vétusté de l’immeuble voisin, l’absence, l’insuffisance,
ou la légèreté de ses fondations, qui ne s’analysent pas comme une
faute mais comme une simple prédisposition, ne sont jamais prises en
considération pour écarter même en partie la responsabilité du
propriétaire dont l’ouvrage a causé des désordres à cet immeuble.122 Cass. 2e civ., 8 mai 1968, Bull. civ. II, n° 122.
123 C.A. Dijon, 12 avr. 1991, D. 1993, somm. 37, obs. Robert.
124 Cass. 3e civ., 20 mai 1998, Const.-Urb., n°hors série, déc. 2000, p. 44, n° 241.
125 Cass. 3e civ., 27 avr. 2000, Bull. civ. III, n° 92, Constr.-Urb., juill./aout 2000, n° 186, obs. Sizaire.Ensuite,
la question est de savoir si la victime est autorisée à se plaindre des
nuisances d’un voisin installé antérieurement : c’est la théorie de la
pré-occupation. En effet, il est tentant d’invoquer « une sorte de loi
du premier occupant » pour essayer de faire échec à une demande en
réparation pour troubles de voisinage. D’ailleurs, n’y a-t-il pas
acceptation des risques en voulant s’installer auprès d’une activité
qui génère des nuisances ?Quoi
qu’il en soit, la loi en a fait une cause d’exonération. En effet, aux
termes de l’article L. 112-16 : « les dommages causés aux occupants
d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles,
industrielles, artisanales ou commerciales, n’entraînent pas droit à
réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé
aux nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant
l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence
des activités les occasionnant, dès lors que ces activités s’exercent
en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en
vigueur et qu’elles sont poursuivies dans les mêmes conditions ». La
pré-occupation entraîne l’impossibilité de réparer et d’indemniser un
trouble anormal de voisinage lorsque ces conditions d’application sont
réunies. Ainsi, on peut relever trois conditions, à savoir
l’antériorité de l’activité génératrice du trouble, l’exercice de
l’activité en conformité avec la législation et l’absence de
modification dans les conditions d’exploitation. En pratique, la notion
de pré-occupation est l’objet d’une jurisprudence régulière qui enferme
effectivement son admission dans ces conditions.125 D’ailleurs la Cour
de cassation veille à ce que ce texte ne fasse pas l’objet d’une
application extensive. D’une part, elle limite le champ aux seules
activités citées. D’autre part, l’immunité n’est acquise au
pré-occupant que si les activités se sont poursuivies dans les mêmes
conditions. Le trouble peut, par conséquent, être retenu malgré
l’antériorité de l’installation de l’entreprise si, postérieurement à
l’acquisition ou à la demande de permis de construire par le
propriétaire voisin, l’activité a connu ensuite une transformation ou
une augmentation telles que les nuisances d’origine se sont aggravées.A
défaut d’exemples jurisprudentiels pour l’activité de construction, la
question qui reste en suspens est de savoir si le constructeur peut
bénéficier de ces dispositions.En
résumé, seule la faute de la victime, et dans une certaine mesure,
cette disposition relative à la pré-occupation, peuvent être invoquées
par l’auteur du trouble pour s’exonérer en partie ou totalement de sa
responsabilité. Après avoir énoncé quelles étaient les causes
d’exonérations retenues par la jurisprudence, nous allons exposer
celles qui sont exclues. 2. L’irrecevabilité des autres causes d’exonérationsSi
la jurisprudence ne permet pas à l’auteur du trouble de se prévaloir
des causes d’exonérations de droit commun, c’est probablement pour
protéger la victime afin de lui garantir la réparation de son préjudice
la plus complète possible.Tout
d’abord, comme nous l’avons déjà exposé, la présomption de
responsabilité ne tombe pas devant la preuve de l’absence de faute.
C’est une constante en jurisprudence, l’allégation par le défenseur de
l’absence d’une faute de sa part à l’origine du dommage estinopérante.126De
même, la prétention exprimée par un défenseur qu’il a agi légitimement,
dans le cadre strict de son droit et en dehors de toute intention de
nuire ou d’abus, n’est pas susceptible de l’exonérer. Ainsi, par
exemple, l’exercice légitime du droit de propriété et l’absence de
volonté de nuire à ses voisins ont été jugés des motifs insuffisants à
caractériserle trouble.127En
outre, certains ont pu avancer que le trouble serait couvert par
l’existence d’une servitude. Ce moyen est également inopérant. En
effet, une servitude n’excuse pas l’embarras excessif subi par le fonds
voisin. Il a d’ailleurs été jugé qu’il appartenait aux juges du fond de
rechercher si les troubles subis par le propriétaire du fonds servant,
du fait de l’exercice de la servitude acquise par le propriétaire du
fonds dominant, excèdent ou non ce qui peut êtreadmissible.128D’autres
ont pu se prévaloir de l’obtention du permis de construire ou de toute
autre forme d’autorisation administrative d’exploitation de son
établissement pour tenter de faire échec aux prétentions du demandeur.
La jurisprudence n’a jamais admis une telle excuse. Il est constant que
le permis de construire est toujours délivré sous réserve du droit des
tiers et qu’une autorisation administrative est donnée dans un intérêt
public de salubrité ou de sécurité et ne saurait donc nuire aux tiers,
de sorte que la régularité de l’autorisation ne permet pas au
propriétaire ou à l’exploitant de s’exonérer de sa responsabilité pour
troubles devoisinage.129Enfin,
étant en présence d’une responsabilité de plein droit, le fait d’un
tiers n’est pas de nature à exonérer le défendeur, sauf s’il revêt les
caractéristiques de la force majeure.126 Cass. 2e civ., 25 nov. 1971 : Bull. civ. II, n° 323.
127
Cass. 3e civ., 27 nov. 1996 : Juris-Data n° 004617 ; RCA 1997, comm. n°
54. 128 Cass. 3e civ., 26 juin 1996 : Juris-Data n° 002829. 129 Cass.
Req., 7 déc. 1909 : DP 1910, 1, p.95.
130 Cass. 2e civ., 2 déc. 1982 : Bull. civ. II, n° 160.Mais,
ce fait à la fois imprévisible et irrésistible est quasiment
introuvable en jurisprudence, ce qui a pour effet de rompre le lien de
causalité. Ainsi, comme nous l’avons vu, le bailleur n’est pas fondé à
renvoyer le demandeur vers son locataire, non plus que le maître de
l'ouvrage vers les entrepreneurs. La jurisprudence ne s’est pas
départie de cette règle, la Cour de cassation estimant, par exemple,
qu’est justifiée la condamnation du maître de l'ouvrage à réparer les
dommages causés au fonds voisin alors que les travaux ont été effectués
par un tiers130 ou que la faute de l’entrepreneur ne saurait exonérer
le propriétaire de la responsabilité lui incombant en cette qualité. Il
est donc établi que le maître de l'ouvrage doit, en cette seule
qualité, assumer la charge des réparations des désordres affectant les
immeubles voisins du fait des opérations de construction effectuées sur
le fonds. Il lui reste à exercer une action récursoire ou en garantie
contre le ou les constructeurs qu’il estime responsable.Le
maître de l’ouvrage propriétaire du fonds qui est à l’origine des
nuisances aux voisins est généralement assigné sur le fondement de la
théorie des troubles anormaux de voisinage. Mais, il arrive que les
constructeurs soient assignés. S’ils pouvaient être assignés sur
plusieurs fondements, nous allons voir que la jurisprudence a tenté
d’unifier le contentieux. 131 Cass. 3e civ., 30 juin 1998, Bull. civ. III, n° 144 ; RDI 1998 p. 647, obs. Malinvaud.Section II : La responsabilité des constructeurs pour troubles de voisinageDans
les rapports entre le maître de l'ouvrage et le voisin victime, les
recours sont clairs et établis depuis longtemps ; c’est la
responsabilité objective fondée sur une jurisprudence prétorienne qui
s’applique, selon laquelle nul ne doit causer à autrui un trouble
excédant les inconvénients normaux de voisinage.Mais
dans les rapports entre le voisin victime et les constructeurs qui ont
causé le trouble, les principes applicables étaient différents. En
effet, on leur a longtemps refusé la qualité de voisin de la victime,
ce qui rendait impossible de les assigner sur le fondement de la
théorie des troubles anormaux de voisinage. De plus, n’étant pas
contractuellement liées entre elles, les parties avaient donc comme
unique solution d’agir sur le fondement délictuel.Restaient alors comme seuls fondements celui de la faute et celui de la garde.En
effet, aux termes de l’article 1382 du code civil : « tout fait de
l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute
duquel il est arrivé, à le réparer ». L’article 1383 du code civil
prévoit que : « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non
seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence
». Ce fondement nécessite la preuve d’une faute du constructeur, d’un
dommage et d’un lien de causalité.Quant
à l’article 1384, alinéa 1er du code civil, il fait peser sur le
gardien d’une chose une présomption de responsabilité pour les dommages
qu’elle occasionne. Aux termes de cet article : « on est responsable
non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais
encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit
répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ». Si ce fondement
présente l’avantage de ne pas nécessiter la preuve d’une faute, en
revanche, pour que ce texte s’applique, il faut pouvoir prouver que le
gardien a l’usage, le contrôle et la direction de la chose.Il
a fallu attendre un arrêt du 30 juin 1998131 pour que les constructeurs
puissent être assignés sur le fondement de la théorie des troubles
anormaux de voisinage. En effet, et à partir
de cette date, le constructeur est assimilé à un voisin. Dès lors, le
voisin victime peut assigner indifféremment le maître de l'ouvrage ou
les constructeurs sur le fondement de cette théorie sans avoir à se
soucier de la preuve d’une faute ou que les conditions de la garde
soient réunies. C’est dire que la jurisprudence a uniformisé les
recours contre les constructeurs.Dès
lors, après avoir exposé la diversité des régimes en matière de
troubles de voisinage, nous étudierons comment s’est réalisée
l’unification des régimes de responsabilité.Paragraphe I : La diversité des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinageLa
question qui se pose ici est de savoir sur quels fondements juridiques,
les constructeurs peuvent être responsables de troubles de voisinage.La
jurisprudence avait dans un premier temps admis qu’ils ne pouvaient
être responsables que sur le fondement de la faute ou de la garde.Puis
dans un second temps, la jurisprudence a refusé aux victimes de
troubles de voisinage d’agir sur le fondement de la garde contre les
constructeurs. Leur restait alors comme seul fondement juridique celui
de la faute. Dès lors, les victimes de troubles de voisinage se
trouvaient devant un choix, celui d’assigner les constructeurs sur le
fondement de la faute, avec la charge de la preuve de la faute du
constructeur, ou alors d’agir sur le fondement des troubles anormaux de
voisinage contre le maître de l'ouvrage, qui ne nécessite pas la preuve
de la faute.Compte
tenu de l’évolution jurisprudentielle, nous allons tout d’abord étudier
les fondements retenus par la jurisprudence contre les constructeurs,
avant d’étudier ceux qui en sont exclus.A. Les fondements retenus contre les constructeursLa
victime dispose contre les constructeurs auteurs des troubles de
voisinage de plusieurs fondements juridiques. S’il est à même d’établir
la preuve d’une faute du constructeur, il peut l’actionner sur le
fondement de l’article 1382 du code civil. A défaut de la preuve d’une
faute, il lui est possible d’établir soit que le constructeur en cause
était gardien du
chantier à l’origine des troubles, soit de rapporter la preuve que ce
dernier avait la garde matérielle des engins de chantier qui ont généré
des nuisances. Dans cette option, il doit assigner les constructeurs
sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er.Que
ce soit le fondement de la faute ou de la garde, le choix de l’action
du voisin victime dépend essentiellement des éléments de preuve dont il
dispose.1. La responsabilité du constructeur pour fauteLorsque
les travaux de construction occasionnent des nuisances aux voisins, les
constructeurs peuvent en être responsables sur le fondement de la
faute. La victime de troubles de voisinage a la charge de prouver que
le préjudice qu’il invoque est arrivé par la faute du constructeur.132
Ainsi, pour que le constructeur soit condamné à réparer les troubles de
voisinage sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, la
victime doit prouver la faute du constructeur, un dommage et un lien de
causalité.133 En effet, tout préjudice, même mineur, est réparable dès
lors que l’entrepreneur poursuivi est fautif.Dès
lors, les juges du fond doivent condamner les architectes et les
entrepreneurs à garantir le maître de l'ouvrage, lorsque ceux-ci ont
commis une faute dans la direction ou l’exécution des travaux ou ont
manqué à leur devoir de conseil.La
responsabilité du constructeur peut être engagée pour faute en fonction
des nuisances occasionnées par le chantier de construction.Concernant
tout d’abord les nuisances de chantier, la responsabilité de
l’entrepreneur peut être recherchée si ces nuisances sont dues à une
faute dans la conduite du chantier. Tel est le cas s’il méconnaît les
règles en vigueur relatives au niveau sonore des engins de chantier, ou
aux horaires autorisés.134 Bien que tiers au contrat, la jurisprudence
a admis que le voisin peut invoquer, à titre de faute délictuelle, le
manquement de l’entrepreneur aux obligations prescrites dans ce
contrat.135 En pratique, ces nuisances de chantier se produisent en
dehors de toute faute de l’entrepreneur. En effet, elles sont
inhérentes à l’activité de construction et peuvent tout au plus être
contenues.Concernant,
ensuite, les dommages occasionnés à l’immeuble contigu, ils peuvent
être dus indifféremment à des défauts de conception de l’ouvrage à
construire ou à des défauts132
Cass. 3e civ., 6 mars 1991, n° 86-13.867, Bull. civ. III, n°78, Gaz.
pal. 1991, 2, pan., p. 181 ; Cass. 3e civ., 16 mai 2001, n° 99-18.520,
Defrénois 2002, art. 37459, p. 67, obs. Périnet-Marquet, RDI 2001, p.
394. 133 Cour d'appel Grenoble, 12 avr. 1989, Sté ELTF c/ Sté Sovipa.
134 Cass. 3e civ., 23 janv. 1979, JCP 1979. IV. P. 107.
135 Cass. 3e civ., 3 oct. 1970 : Bull. civ. III, n° 515. d’exécution
; ils peuvent être imputables à l’entrepreneur, ou à l’architecte, ou
encore au bureau de contrôle. Ces professionnels peuvent être condamnés
à réparer le dommage sur le fondement de l’article 1382 du code civil,
s’ils ont commis des fautes qui sont à l’origine des désordres subis
par l’immeuble voisin. Ainsi, l’entrepreneur engage sa responsabilité
délictuelle envers les voisins lorsque le dommage résulte d’une
négligence ou d’une imprudence dans l’exécution des travaux ;136 de la
même façon, un architecte commet une faute délictuelle à l’égard des
voisins en ne s’assurant pas de l’état de l’immeuble contigu ou en ne
prenant pas les précautions adéquates.137 Enfin, l’architecte qui
n’avait pas averti son client, profane en matière de construction, des
risques que comportaient les travaux et qui n’avait pas procédé aux
vérifications préalables nécessaires, devait garantir le propriétaire
déclaré responsable des dommages causés à l’immeuble voisin.138La
difficulté de prouver la faute pour le voisin victime peut être un
frein à l’invocation de ce fondement juridique. Il lui reste alors le
fondement de la garde.2. La responsabilité du constructeur sur le fondement de la gardeL’article
1384, alinéa 1er établit une présomption de responsabilité pour le
gardien de la chose, objet du dommage. La responsabilité du gardien
présente un intérêt évident pour le voisin dans la mesure où il n’a
plus alors à prouver la faute de quiconque, et où le dommage subi est
réparé même s’il n’excède pas la mesure ordinaire des obligations de
voisinage.Par
exemple, il a été jugé, s’agissant des nuisances de chantier, que
l’entrepreneur est responsable en tant que gardien, non du chantier,
mais des engins de chantier dont le vacarme assourdissant rendait pour
les voisins tout travail presque impossible.139 Cette décision paraît
isolée, car généralement, les voisins qui se plaignent de telles
nuisances préfèrent rechercher la responsabilité du maître de l'ouvrage
sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage. La
Cour de cassation s’est ralliée à la thèse de la garde matérielle, et
définit le gardien comme celui qui, au moment du dommage, exerçait en
toute indépendance un pouvoir d’usage, de direction et de contrôle.140
Le constructeur est, par conséquent, responsable des troubles et des
dommages causés par l’activité de chantier et la réalisation de la
construction.136 Cass. 3e civ., 25 mars 1998 : Bull. civ. III, n° 72.
137
Cass. 3e civ., 24 janv. 1973, JCP 1973. II, p. 17380, rapport Fabre.
138 Cour d'appel Caen, 27 nov. 1968, AJPI 1969, p. 827, note Caston.
139 Cass. 3e civ., 8 mars 1978, D. 1978 p. 641, note Larroumet.
140 Cass. ch. Réunies, 2 déc. 1941, JCP 1942, II, n° 1766, note Mihura. Concernant
les dommages subis par l’immeuble contigu, M. Malinvaud préconise que
ce type de dommage soit rattaché, soit à la garde du chantier, soit à
la garde du sol.141 La Cour de cassation a tout d’abord admis la
responsabilité de plein droit de l’entrepreneur en qualité de gardien,
pour ensuite subordonner sa responsabilité à la réunion des conditions
tenant à la garde du chantier.En
effet, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 10 décembre 1970142
que : « le gardien d’un immeuble est responsable de plein droit, en
vertu de l’article 1384 du code civil, des dommages causés aux
immeubles voisins, et qu’au cours de l’édification d’un immeuble la
garde du terrain et des constructions appartient à l’entrepreneur,
cette garde n’étant restituée ou transférée au propriétaire du sol et
maître de l'ouvrage qu’après la réception ».Mais,
par la suite, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 20
octobre 1971,143que l’entrepreneur n’était pas gardien de plein droit
et qu’il incombait aux juges de rechercher si l’entrepreneur avait
effectivement l’usage, la direction et le contrôle du chantier. Selon
M. Malinvaud,144 même s’il n’existe pas d’exemples en jurisprudence,
cette solution offre implicitement au voisin la possibilité d’assigner
le maître de l'ouvrage sur le fondement de 1384 alinéa 1 du code civil.Ce
fondement juridique présente l’avantage pour la victime de faire peser
sur le gardien de la chose une présomption de responsabilité. Le
constructeur gardien du chantier ne peut donc s’exonérer en prouvant
qu’il n’a pas commis de faute.Mais
ce fondement juridique présente un inconvénient pour les constructeurs,
celui de réparer tous les dommages même les plus minimes, et non pas
seulement les nuisances qui excèdent les inconvénients normaux du
voisinage. C’est en partie pour cette raison et pour qu’il n’y ait pas
de condamnations quasi-automatiques du constructeur à réparer toutes
les nuisances, que la jurisprudence est aujourd’hui réticente à tolérer
le fondement de la garde.141
Malinvaud (P.) et Jestaz (P.), Droit de la promotion immobilière,
Précis Dalloz, 1995, n°189. 142 Cass. 3e civ., 10 déc. 1970 : Bull.
civ. III, n° 690.
143 Cass. 3e civ., 20 octobre 1971, D. 1972 p. 444, note Lapoyade-Deschamps.
144 Malinvaud (P.), « Les dommages aux voisins dus aux opérations de construction », RDI nov./déc. 2001 p. 479. B. L’exclusion du fondement de l’article 1384 alinéa 1erPeu
à peu, la jurisprudence a rendu plus difficile l’admission du fondement
de la garde contre les constructeurs. Le voisin victime est contraint à
ne plus agir sur ce fondement juridique. Lui reste alors comme seul
fondement, celui de la faute.Après
avoir exposé les explications possibles du rejet par la jurisprudence
du fondement de la garde contre les constructeurs, nous allons
présenter quelles en sont les conséquences.1. Le rejet de ce fondement juridique par la Cour de cassationComme
nous l’avons exposé, le constructeur était gardien de plein droit de
l’immeuble à l’origine des nuisances. La Cour de cassation a par la
suite exigé la preuve que leconstructeur était bien le gardien.145Par
la suite, la Cour suprême a même écarté l’article 1384, alinéa 1, dont
l’application était demandée par le voisin victime en complément de la
théorie des troubles de voisinage, pour assurer l’indemnisation de la
partie du préjudice ne dépassant pas les inconvénientsordinaires du voisinage.146Compte
tenu de cette jurisprudence, la responsabilité des constructeurs est de
moins en moins recherchée par les voisins sur le fondement de la garde.Cette
réserve de la jurisprudence à l’égard de l’application de l’article
1384, alinéa 1, aux troubles de voisinage peut s’expliquer aisément. En
effet, si on admettait que la responsabilité de l’entrepreneur puisse
être recherchée par les voisins victimes sur le fondement de la garde
du chantier, cela conduirait à la prise en charge systématique et
totale par les constructeurs de tous les troubles, même mineurs, causés
au voisinage par les opérations de construction. S’agissant d’une
responsabilité de plein droit, les constructeurs ne pourraient ni
invoquer une quelconque cause d’exonération et notamment par leur
absence de faute, ni faire valoir le caractère normal de ces troubles.En
définitive et selon M. Malinvaud,147 cela aboutirait à faire peser une
sorte de servitude sur les terrains non encore bâtis et à conférer
corrélativement aux propriétaires voisins une situation injustement
privilégiée puisque, à l’occasion de toute opération de construction
ultérieure dans le voisinage, ils pourraient demander indemnité, au
titre soit des145 Cf. supra.
146 Cass. 2e civ., 20 juin 1990, JCP 1990, IV p. 317. 147 Obs. Malinvaud préc. note n° 144. bruits et inconvénients divers inhérents à toute opération de construction, soit de la présence même de l’immeuble nouveau.En
outre ce serait aller sinon à l’encontre, tout du moins largement
au-delà de la jurisprudence qui a conçu la théorie des troubles de
voisinage et qui l’applique précisément dans le domaine de la
construction.Si
le rejet de ce fondement peut s’expliquer aisément, en revanche, il a
de lourdes conséquences pour la responsabilité des constructeurs.2. Les conséquences du rejet de ce fondementEn
rejetant le fondement de la garde contre les constructeurs, il ne
restait plus aux voisins que le fondement de la faute. C’est dire que
les voisins n’avaient plus aucun intérêt à assigner les constructeurs
puisqu’ils pouvaient assigner le maître de l'ouvrage sur le fondement
des troubles anormaux de voisinage qui ne nécessite pas la preuve d’une
faute. Par cette prise de position, la jurisprudence voulait peut-être
faire peser sur le maître de l'ouvrage la réparation de ces troubles.
Ce dernier, condamné à réparer le trouble, ne pouvait se retourner
contre les constructeurs que sur le fondement de la faute. Le maître de
l'ouvrage devait en quelque sorte assurer la contribution définitive
des troubles de voisinage, puisque, comme nous l’avons vu, la preuve de
la faute du constructeur est difficile à apporter.Au
regard de la jurisprudence, il est prudent que le maître de l'ouvrage
prenne des mesures préventives avant le commencement du chantier de
construction. Pour prévenir ou diminuer les effets des dommages
susceptibles d’être causés aux immeubles voisins par les travaux de
construction, il n’est pas inutile de recourir au référé préventif
comme le permet les articles 145 et 809, alinéa 1er, du nouveau code de
procédure civile. Le juge des référés peut également prescrire, parmi
les mesures qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent,
l’allocation d’une provision au demandeur, afin de lui permettre
d’exécuter des travaux nécessaires. Il peut être reproché au maître de
l'ouvrage de ne pas avoir pris l’initiative d’un référé préventif dont
l’objet est de soumettre contradictoirement à un expert judiciaire les
difficultés entre voisins pouvant résulter d’une opération de
construction. En effet, la mission de l’expert lui permet très souvent
de poursuivre son intervention jusqu’à que soient exécutés les travaux
de démolitions, fondations et gros œuvre qui sont les plus susceptibles
de créer des désordres dans les immeubles contigus, donc de préconiser
des solutions techniques susceptibles de prévenir les risques. Dans
le cas où l’obligation n’est pas sérieusement contestable, l’article
809, alinéa 2 du nouveau code de procédure civile prévoit que le
président du tribunal de grande instance peut accorder une provision au
créancier ou ordonner l’exécution d’une obligation, même s’il s’agit
d’une obligation de faire.Le
référé préventif est donc un moyen d’assurer la rencontre entre les
acteurs du chantier et les voisins afin de les informer sur l’ampleur
du chantier, sa durée, et sur les éventuelles nuisances. Il est
nécessaire de respecter autant que possible la décision de l’expert
judiciaire désigné pour mettre en œuvre le référé préventif. Par
exemple, la quatorzième chambre B de la Cour d'appel de Paris en date
du 15 février 2002 a confirmé la décision des premiers juges aux termes
de laquelle un arrêt de chantier avait été ordonné tant que
l’entreprise n’aurait pas mis en œuvre de nouvelles et suffisantes
protections des riverains.148Mais
le rejet du fondement de la garde contre les constructeurs ne s’est pas
fait sans contrepartie. La jurisprudence dénigre l’application du
fondement de la garde contre les constructeurs au profit de la théorie
des troubles anormaux de voisinage. Désormais, le constructeur est au
même titre que le maître de l'ouvrage un voisin. Selon M. Malinvaud,149
les constructeurs sont au même titre que le maître de l’ouvrage des
voisins pour l’application de la théorie des troubles anormaux de
voisinage, contre partie accordée aux constructeurs de la mise à
l’écart de l’article 1384 alinéa 1er du code civil.En
unifiant le régime de responsabilité des différents intervenants à
l’acte de construire à celui de maître de l'ouvrage, la jurisprudence
facilite l’indemnisation du voisin victime et lui offre le choix
d’assigner sans doute la personne la plus solvable.Paragraphe II : L’unification des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinageComme
nous l’avons précisé, les rapports triangulaires sont fréquents dans le
domaine de la construction. L’originalité des troubles de voisinage
était la diversité des fondements offerts par la jurisprudence à la
victime pour réparer les nuisances, selon qu’elle assignait le
constructeur ou le maître de l'ouvrage. Aujourd’hui l’originalité de
cette théorie réside dans le148 Peyron (N.), Les nuisances sonores émanant d’un chantier : principes et conséquences, Const.-Urb., 6 mai 2004 p.6.
149 Obs. Malinvaud préc. note n° 144.
150
Malinvaud (P.) Jestaz (P.), Droit de la promotion immobilière, Précis
Dalloz, 1999. 151 Cass. 3e civ., 13 nov. 1986 : Bull. civ. III, n° 172.fait
que les rapports entre la victime et le maître de l'ouvrage, et les
rapports entre la victime et les constructeurs sont unifiés. Désormais
l’un comme l’autre peuvent être assignés directement sur le fondement
de la théorie des troubles anormaux de voisinage. Mais cette
unification des régimes de responsabilité n’a pu se faire qu’en
étendant la qualité de voisin aux constructeurs. Après avoir explicité
l’extension de la notion de voisin aux constructeurs nous allons
présenter les conséquences de cette unification des régimes de
responsabilité.A. L’extension de l’application de la théorie aux constructeursL’objection
selon laquelle la victime et les constructeurs auteurs des nuisances ne
sont pas en rapport de voisinage n’est pas déterminante et elle a été
écartée. C’est en effet en travaillant sur le fonds voisin que le
constructeur a causé le trouble. Comme le soutiennent MM. Malinvaud et
Jestaz, il est devenu en quelque sorte un « voisin occasionnel
».150Cette jurisprudence a pour effet non seulement de mettre fin à la
jurisprudence qui considère que seul le maître de l'ouvrage peut être
responsable sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de
voisinage, mais surtout d’étendre la notion de voisin aux constructeurs.1.
La responsabilité du maître de l’ouvrage fondée sur le fondement des
troubles anormaux de voisinage : « une solution acquise depuis
longtemps »Rattachée
à l’origine à l’idée de faute, puis à celle d’immissio, la théorie des
troubles de voisinage est aujourd’hui une source de responsabilité
autonome, qui est subordonnée à la seule constatation d’un trouble
anormal. Depuis l’arrêt du 13 novembre 1986,151 les décisions ne sont
plus désormais rendues sous le visa de l’article 1382, mais sous celui
d’un nouveau principe général du droit selon lequel : « nul ne doit
causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».Cette
théorie a été conçue pour régler les rapports entre propriétaire
voisins. Dès lors, la jurisprudence l’a tout naturellement étendue aux
dommages causés par l’activité de chantier. 152 Cass. 1re civ., 1er juin 1977, Bull. civ. III, n° 237.
153 Cass. 3e civ., 4 février 1971, JCP 1971. II. p. 16781, note Lindon.En
effet, la responsabilité du maître de l'ouvrage est retenue uniquement
si le trouble dépasse la limite des inconvénients ordinaires de
voisinage. L’anormalité du trouble s’apprécie, en principe, en fonction
de sa gravité et de sa durée.Ainsi,
s’agissant d’un chantier de construction, elle doit l’être par
référence à l’environnement des lieux, aux inconvénients habituels du
quartier et non pas par référence aux nuisances habituelles d’un
chantier. En effet, rechercher si le chantier a été mené normalement ou
non, c’est raisonner en termes de faute, alors que la notion de trouble
de voisinage est en principe indépendante de celle de faute. En
pratique, l’appréciation du caractère anormal du trouble relève du
pouvoir souverain des juges du fond.152En
revanche, en ce qui concerne les désordres subis par un immeuble
contigu, la jurisprudence élargit voire déforme la notion de trouble de
voisinage. En ce domaine et depuis un arrêt du 4 février 1971, la Cour
de cassation a toujours retenu la responsabilité du maître de l'ouvrage
sur le fondement des troubles de voisinage.153 Mais la jurisprudence
applique cette théorie à des dommages qui ne répondent pas aux
caractéristiques classiques du trouble de voisinage, lequel suppose un
dommage continu, et non pas accidentel comme un affaissement, et un
dommage supportable jusqu’à un certain seuil, ce qui n’est pas le cas
de désordres causés à l’immeuble voisin.Enfin,
concernant le trouble causé par l’ouvrage lui-même, c’est encore sur le
fondement de la théorie des troubles de voisinage que la jurisprudence
en ordonne la réparation.Quelle
que soit la forme du dommage, la jurisprudence a toujours, et jusqu’à
une date récente, condamné le maître de l’ouvrage à réparer des
troubles de voisinage causés par la construction. Cette solution est
d’autant plus logique que la notion de voisin est attachée au droit de
propriété. Or, le maître de l'ouvrage est le propriétaire du terrain ou
celui pour le compte de qui les travaux sont exécutés.Mais rompant avec cette jurisprudence, la Cour de cassation a fini par assimiler le constructeur à un voisin. 2. L’extension de la notion de voisin aux constructeursLa
question se pose à nouveau de savoir qui, du maître de l'ouvrage ou du
constructeur, est le débiteur de la responsabilité pour troubles
anormaux de voisinage.Pendant
longtemps, la jurisprudence considérait que dans une opération de
construction, le voisin responsable ne pouvait être que le propriétaire
du terrain, maître de l'ouvrage, qui a commandé les travaux
immobiliers, et non pas les constructeurs. Si la victime voulait
poursuivre les constructeurs, elle ne pouvait le faire que sur le
fondement de la faute, ou encore de la garde du chantier. Cette
solution s’explique aisément, dans le sens où cette théorie n’à
vocation à s’appliquer qu’entre voisins, et les constructeurs ne sont
pas des voisins.Mais
rompant avec sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation a
retenu, dans un arrêt du 30 juin 1998154, sur le fondement de la
théorie des troubles de voisinage, la responsabilité d’un sous-traitant
qui avait injecté du béton au-delà des limites du terrain, au point de
pénétrer dans les locaux du voisin. C’est dire alors que les voisins
peuvent diriger leur action soit contre le maître de l'ouvrage soit
contre l’entrepreneur et le sous-traitant.On
aurait pu penser qu’il s’agissait d’un arrêt isolé, mais il se trouve
confirmé par un arrêt de la 3e chambre civile en date du 11 mai
2000,155 qui retient que le propriétaire et l’entrepreneur auteur des
travaux à l’origine des dommages sont responsables de plein droit des
troubles excédents les inconvénients normaux du voisinage constatés
dans le fonds voisin.Cette
solution est dans la logique de l’évolution de la responsabilité pour
troubles anormaux de voisinage. Initialement conçue comme une charge de
la propriété ou une limite au droit de propriété, son domaine n’a cessé
de s’étendre. Elle ne se limite pas à des rapports entre fonds, mais
s’étend à des relations strictement personnelles entre auteur et
victime du dommage. Cela explique que l’entrepreneur puisse répondre
des troubles excessifs qu’il cause dans le voisinage du chantier.Il
faut aujourd’hui constater que l’autonomie affirmée et développée de la
théorie des troubles de voisinage permet d’élargir le champ d’action de
cette théorie et de rechercher la responsabilité pour troubles de
voisinage en dehors de la sphère traditionnelle du voisinage direct. A
cet égard, le professeur Cornu considère que la théorie des
inconvénients anormaux de voisinage est entièrement construite sur la
considération d’un fait objectif, le trouble anormal, et qu’elle obéit
en conséquence à « une logique réaliste rayonnante qui justifie que154 Cass. 3e civ., 30 juin 1998, Bull. civ. III, n° 144 ; RDI 1998 p. 647, obs. Malinvaud.
155 Cass. 3e civ., 11 mai 2000, D. 2000, IR p. 165 ; Cass. 3e civ., 21 juill. 1999, Bull. civ. III, n° 182. la
responsabilité de l’entrepreneur auteur du trouble, soit retenue sur ce
fondement, quand le trouble a été causé à un moment où il était en
situation de voisinage ».L’extension
de la notion de voisin aux constructeurs poursuit peut-être un seul
but, celui de rendre plus facile l’indemnisation des voisins victimes.
En effet, cette unification des régimes de responsabilité fondée sur la
théorie des troubles anormaux de voisinage permet au voisin d’assigner
indifféremment le maître de l'ouvrage ou le constructeur. Avant cette
unification, le voisin ne pouvait assigner le constructeur que sur le
fondement de la faute ou de la garde de la chose. Concernant le
fondement de la faute, l’article 1382 du code civil impose au voisin
victime de rapporter la preuve de la faute, du dommage et du lien de
causalité. La preuve de la faute étant difficile à rapporter, il était
donc plus avantageux pour lui d’assigner le maître de l'ouvrage sur le
fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, qui est une
responsabilité sans faute et qui nécessite la seule preuve du caractère
anormal du trouble. Concernant la responsabilité sur le fondement de
l’article 1384, alinéa 1er du code civil, le voisin devait rapporter la
preuve que le constructeur avait l’usage, le contrôle et la direction
du chantier. Si dans ce cas aussi, la preuve de la réunion de ces trois
éléments entre les mains du constructeur était difficile, ce fondement
avait pour avantage de réparer n’importe quel dommage aussi minime
soit-il, même s’il n’excède pas les inconvénients normaux de voisinage.
Mais la jurisprudence a fini par écarter ce fondement juridique, au
motif peut-être qu’il était préjudiciable aux constructeurs car il
entraînait une réparation systématique de toutes les nuisances causées
par la construction.Dès
lors, il ne restait plus que le fondement de la faute contre les
constructeurs. Pour se faire indemniser, la victime avait donc le choix
entre assigner le constructeur sur le fondement des articles 1382 et
1383 du code civil qui nécessite la lourde charge de la preuve d’une
faute du lien de causalité avec les dommages, et assigner le maître de
l'ouvrage sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de
voisinage qui ne nécessite pas la preuve d’une faute. Le voisin victime
n’avait donc plus d’intérêt à assigner les constructeurs et n’avait
plus que la solution d’assigner le maître de l'ouvrage.C’est
peut-être pour cette raison essentielle, outre celle qui permet une
meilleure indemnisation, que la jurisprudence permet à la victime de
nuisances d’assigner directement le constructeur sur le fondement de la
théorie des troubles anormaux de voisinage.Mais
cette unification des régimes de responsabilité n’est pas sans
conséquence sur la réparation des troubles anormaux de voisinage. 156 Cf. supra.B. Les conséquences de cette unificationEn
assimilant le constructeur au voisin, la jurisprudence a permis à une
victime de nuisances dues à la construction d’assigner le constructeur
sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.
Cette assimilation n’est pas sans conséquence. Si elle a le mérite de
faciliter l’indemnisation du voisin victime, elle présente un
inconvénient, celui d’avoir modifié le régime de responsabilité des
constructeurs. Malgré cette option offerte au voisin entre assigner le
maître de l'ouvrage ou assigner le constructeur, il semble que le lien
de causalité peut être un frein à cette liberté de choix.1. Les conséquences quant aux constructeursAinsi,
suivant cette jurisprudence, les constructeurs sont désormais au même
titre que le maître de l'ouvrage, des voisins pour l’application du
principe selon lequel nul ne doit causer à autrui de trouble excédant
les inconvénients normaux du voisinage. Mais si cette évolution
jurisprudentielle des recours tend à faciliter le succès de l’action
des voisins victimes, elle présente néanmoins de nombreux inconvénients.En
effet, si l’article 1384, alinéa 1er, apparaît comme inadapté à la
réparation de certains dommages causés aux voisins, notamment des
nuisances causées par l’activité de chantier, la théorie des troubles
de voisinage n’est guère mieux adaptée à la spécialité de certains de
ces troubles, et en particulier des dommages ponctuels causés à
l’immeuble contigu.La notion de voisin est également modifiée ; elle a des conséquences fâcheuses à double égard :D’une part, il faut que les constructeurs s’assurent contre ce nouveau risque, ce quin’est pas le cas aujourd’hui. De plus, l’assurance suppose un aléa qui n’existe pas en l’espèce.D’autre part, l’accession des constructeurs à la qualité de voisin entraîne des difficultéspour l’organisation des recours entre les responsables co-obligés. Le constructeur condamné àréparer les nuisances sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage doitse retourner contre le maître de l'ouvrage. Comme pour l’action récursoire du maître del'ouvrage contre les constructeurs, son succès est subordonné à la preuve d’une faute.156 Mais quelle
faute peut-il invoquer contre le maître de l'ouvrage ? Celle qui
consiste à dire qu’il a commis une faute parce qu’il a pris la décision
de construire ?Plus
vraisemblablement, comme en matière de responsabilité des
constructeurs, ne peut-on pas reprocher au maître de l'ouvrage de
s’être immiscé dans les travaux, d’avoir accepté certains risques ou
encore d’avoir fait de la maîtrise d’œuvre ?En
effet, pour la première cause d’exonération, la Cour de cassation exige
pour qu’un constructeur puisse s’exonérer de sa responsabilité, que
deux conditions soient réunies ; à savoir que le maître de l'ouvrage se
soit immiscé dans les travaux et qu’il soit notoirement compétent.
Concernant la deuxième cause d’exonération, l’acceptation délibérée des
risques consiste à dire que le maître de l'ouvrage qui est correctement
informé du risque qu’il prend ne peut pas reprocher son choix aux
constructeurs. Enfin, quant à la troisième cause d’exonération, le
constructeur peut s’exonérer de sa responsabilité si le maître de
l'ouvrage se réserve des tâches qui relèvent de la maîtrise d’œuvre.Jusqu’à
cette nouvelle jurisprudence, la réparation des troubles anormaux de
voisinage avait un fondement réel. C’était au maître de l'ouvrage
propriétaire de l’immeuble qu’il incombait de réparer ces troubles.
Aujourd’hui, et compte tenu de cette jurisprudence, on en revient à se
demander quel est le fondement de la réparation des troubles anormaux
de voisinage ? Est-ce un fondement réel ou personnel ? Ou plus
exactement, est-ce que les tribunaux veulent faire peser la charge de
la réparation des troubles anormaux de voisinage sur les constructeurs,
auteurs du trouble ? Et par conséquent donner une nature personnelle à
la réparation de ces troubles ?Ces
questions en appellent une autre ; le fondement de la réparation des
troubles anormaux de voisinage peut-il dépendre de la volonté du voisin
victime ? On aboutit peut être à une déformation de la notion de
troubles de voisinage.Reste
enfin une autre solution, celle qui consiste à dire que le fondement de
la réparation des troubles anormaux de voisinage dépend étroitement du
lien de causalité.2. Les conséquences quant à la détermination de l’auteur du troubleEn
assimilant le constructeur à un voisin, tant le maître de l'ouvrage que
le constructeur peuvent être assignés sur le fondement des troubles
anormaux de voisinage. Dès lors, étant tous les deux obligés à la dette
de réparation des troubles de voisinage, la détermination du
responsable dépend du seul choix de la victime. Cependant ce choix est
tout 157 Cour d'appel Versailles, 30 nov. 1989, D. 1990, IR p. 18.de
même limité par la preuve du lien de causalité. En effet, si la théorie
des troubles anormaux de voisinage ne nécessite pas la preuve d’une
faute, la preuve du lien de causalité est quant à elle indispensable.
Par conséquent, si trouble il y a, c’est son auteur qui en doit
réparation. C’est en fonction des dommages causés aux voisins qu’on
peut déterminer qui est l’auteur des troubles.Tout
d’abord, lorsque la source d’un trouble de voisinage réside dans les
nuisances du chantier, l’auteur de ces troubles est généralement le
constructeur et non le propriétaire maître de l'ouvrage. Ceci vient du
fait que les troubles causés par l’activité de chantier sont le fait
des constructeurs et non du maître de l'ouvrage.Ensuite,
comme pour les nuisances de chantier, les dommages causés à l’immeuble
voisin peuvent être que le fait du constructeur. En effet, seul le
constructeur peut voir sa responsabilité engagée, car il y a un de lien
de causalité entre l’exécution des travaux et le trouble créé au voisin.Enfin,
lorsque le dommage résulte de la seule présence de l’immeuble nouveau,
la responsabilité du constructeur ne peut être retenue, car ici le
dommage est inhérent au fait de construire et il n’existe alors plus de
lien de causalité entre l’exécution des travaux et le trouble invoqué.
La responsabilité doit peser sur celui qui, a pris la décision de
construire et tire dans le même temps profit de l’ouvrage. Ainsi, par
exemple, une cour d’appel a retenu la responsabilité du maître de
l'ouvrage, « n’étant pas contesté qu’il aurait pu choisir pour sa
construction une implantation différente susceptible de procurer à son
voisin une gêne moins importante ».157 Ce lien de causalité semble
revêtir une importance particulière quant à la détermination de la
personne responsable. D’ailleurs, celui-ci est démontré dans les
rapports d’expertise.Si
donc la responsabilité objective pour troubles de voisinage est
applicable aussi bien au maître de l'ouvrage qu’à l’entrepreneur, c’est
uniquement pour offrir au voisin victime une indemnisation rapide et
intégrale du trouble qu’il a subi. Cette responsabilité de plein droit,
qui contourne les règles traditionnelles de la preuve de la faute et
donc des responsables, facilite l’action du voisin victime. Mais, ce
dernier peut s’adresser aussi bien au maître de l'ouvrage qu’aux
constructeurs pour réparer les troubles occasionnés sur le fondement
des troubles anormaux de voisinage, il n’en demeure pas moins qu’ils ne
sont pas tous deux les responsables définitifs. C’est au stade des
recours entre coresponsables qu’il convient de rechercher
le véritable auteur des troubles et de lui imputer la charge définitive
de la dette de réparation. La charge de la réparation est, en effet,
répartie en fonction de la part de responsabilité de chaque intervenant
à l’opération de construction ; il faut alors démontrer dans quelle
mesure ils ont contribué à la réalisation du préjudice. C’est le
problème des recours entre coresponsables ; celui qui a été condamné à
indemniser la victime va t’il pouvoir se retourner contre l’autre
intervenant à l’acte de construire ? Et si oui, sur quels fondements ?
La jurisprudence est fluctuante quant au fondement de l’action
récursoire, à la différence de l’action du voisin contre les
responsables des troubles anormaux de voisinage. En effet, comme l’a
affirmé Monsieur le Conseiller Villien,158 dans le domaine de la
construction, les rapports triangulaires sont fréquents, et la
jurisprudence a uniformisé deux côtés du triangle ; à savoir le côté
victime-maître de l'ouvrage et victime-constructeurs. Reste alors la
question des recours entre les coresponsables maître de l'ouvrage et
constructeur, qui est en l’occurrence le troisième côté du triangle.C’est
pour répondre à toutes ces interrogations qu’il convient d’étudier dans
une deuxième partie la contribution à la dette. Celle-ci permet de
déterminer qui est le responsable définitif, le maître de l'ouvrage ou
les constructeurs, le maître de l'ouvrage et un des constructeurs,
voire même plusieurs d’entre eux.158
Villien (P.), Vers une unification des régimes de responsabilité en
matière de troubles de voisinage dans la construction immobilière ; RDI
juill./sept. 2000 p. 275-278. DEUXIEME PARTIE :LA CONTRIBUTION A LA DETTELa
contribution à la dette est le règlement final intervenant, une fois le
créancier satisfait, entre l’auteur du paiement et le véritable
débiteur ou entre l’auteur du paiement et ses coobligés.159Si
le voisin a assigné tant le constructeur que le maître de l'ouvrage et
obtenu leur condamnation « in solidum », il restera à régler les
recours entre eux, ce qui pourra être demandé devant le juge qui a
statué sur la demande principale. S’il n’a assigné que l’un des deux,
il incombera à celui-là d’exercer un recours contre l’autre.En
pratique, on peut rencontrer deux hypothèses. Le plus souvent, il
s’agit du recours du maître de l'ouvrage, condamné en sa qualité de
voisin, contre les constructeurs. Plus rarement ce sont les
constructeurs, condamnés sur un des fondements quelconques, qui se
retourneront contre le maître de l'ouvrage.On
ne retient que l’hypothèse la plus fréquente du maître de l'ouvrage
condamné à l’égard du voisin sur le fondement de la théorie des
troubles anormaux de voisinage. Il peut exercer ses recours contre les
constructeurs sur deux fondements, soit en se fondant sur le contrat le
liant aux constructeurs, soit en invoquant la subrogation dans les
droits du voisin qu’il a indemnisé contre les constructeurs.Il
s’est posé la question en doctrine de savoir si on pouvait étendre ce
dernier côté du triangle, à savoir celui des rapports maître de
l'ouvrage et constructeurs, à la responsabilité objective pour troubles
du voisinage.A
cette question, Monsieur le Conseiller Villien160 y répond par la
négative au motif que dans les rapports entre ces parties, la notion de
voisinage n’a pas sa place. Le maître de l'ouvrage auteur du trouble
n’est pas le voisin de ses propres constructeurs.Dès lors, comment va s’organiser la contribution à la dette entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs ?En
effet, si le principe d’interdiction des troubles anormaux de voisinage
préside à la réparation dans le côté du triangle unissant le maître de
l'ouvrage auteur au voisin victime et159 Lexique des termes juridiques 10e éd. Dalloz.
160
Villien (P.), Vers l’unification des régimes de responsabilité en
matière de troubles de voisinage en matière immobilière, RDI
juill./sept. 2000 p. 275. dans
le côté liant la victime au constructeur, en revanche le fondement est
différent dans les rapports entre le maître de l'ouvrage et ses propres
constructeurs. C’est la responsabilité contractuelle de droit commun
qui a été retenue par l’arrêt du 24 mars 1999.161Le
recours entre coresponsable dans le droit commun de la responsabilité
civile est habituellement fondé sur la subrogation.162 En effet, le
maître de l'ouvrage, qui a indemnisé le voisin victime, est subrogé
dans les droits et actions de celle-ci. Mais la jurisprudence reconnaît
aussi que le solvens dispose d’une action personnelle, subsistant
lorsque la subrogation ne peut pas jouer.«
L’action du maître de l'ouvrage, dont le bien est à l’origine de
troubles du voisinage, contre l’entrepreneur les ayants causés,
lorsqu’il n’est pas établi que le maître ait été subrogé après paiement
dans les droits du voisin victime, est fondée sur la responsabilité
contractuelle de droit commun ».163 Tant que le maître de l'ouvrage,
même condamné, n’a pas indemnisé le voisin, il ne peut agir contre son
constructeur qu’au plan contractuel.A
ce stade des développements, on peut se demander quel est le recours
qui permet une contribution « équitable » à la dette. Du moins, le
recours contractuel aussi bien que la subrogation permettent une
répartition à la dette à proportion des parts de responsabilité ?Pour
répondre à ces interrogations, nous allons envisager, tout d’abord, les
recours fondés sur le contrat, avant d’étudier la technique de la
subrogation.161 Cass. 3e civ., 24 mars 1999 n° 96-19.775, RDI 99 p. 412.
162
Viney (V.G.) et Jourdain (P.), les conditions de la responsabilité,
LGDJ, 2e éd. 1998, n° 423. 163 Cass. 3e civ., 20 nov. 2002 : Bull. civ.
III, n° 231.
164 Cass. 3e civ., 24 mars 1999 n° 96-19.775, RDI 99 p. 412.
165 Cass. 3e civ., 23 jan. 1991, n° 89-15.097, Bull. civ. III, n° 27, RDI 1991, p. 721.Section I : Les recours fondés sur le contratLorsque
le voisin victime assigne directement le maître de l'ouvrage, ce
dernier va généralement appeler en garantie ses constructeurs.A partir de là, il va s’agir de régler la contribution à la dette. Celle-ci va pouvoir s’effectuer de deux façons.Il
se peut, tout d’abord, que le contrat de construction contienne des
dispositions précises en ce qui concerne les contraintes qui pèsent sur
l’entreprise à l’égard de l’environnement du chantier. A côté des
mesures légales de conformité du matériel utilisé, le marché de travaux
peut prévoir, dans le détail, la méthodologie d’exécution qui est mise
en œuvre par l’entreprise. Mais les parties peuvent surtout inclure
dans le contrat une clause de garantie du constructeur contre toute
réclamation du voisin.Ensuite,
et à défaut de clause de garantie, le maître de l'ouvrage a, depuis le
24 mars 1999,164 un recours de nature contractuelle contre les
constructeurs.Compte
tenu de la variété des situations, nous allons présenter, tout d’abord,
les recours en présence d’une clause contractuelle, pour voir ensuite
comment s’organisent les recours en l’absence d’une telle clause.Paragraphe I : Les recours fondés sur une clause de garantieLa
clause de garantie est une clause qui prévoit à l’avance qui doit
contribuer à la dette de réparation des troubles anormaux de voisinage.S’est
très vite posé en jurisprudence la question de la validité des clauses
par laquelle un maître de l'ouvrage se fait garantir par une entreprise
des conséquences pécuniaires de sa responsabilité envers les tiers, du
fait ou à l’occasion des travaux. La Cour de cassation a, dans un arrêt
en date du 23 janvier 1991, reconnu la validité de ces clauses, en
estimant qu’elles ne constituaient pas des clauses d’exonération de
responsabilité prohibée.165 166 Cass. 3e civ., 17 juill. 1974 : Bull. Civ. III, n° 316. 167 Cass. 3e civ., 10 janv. 1978 : Bull. civ. III, n° 27.Si
la validité de ces clauses n’est pas contestée en jurisprudence,
néanmoins elles peuvent être à l’origine de nombreux conflits avec les
assureurs. En effet, si les parties contractualisent la charge
définitive de la dette, les assureurs peuvent avoir prévu dans les
contrats d’assurance des clauses qui interdisent cette pratique, ce qui
peut avoir comme conséquences d’exclure ou de limiter leur garantie.C’est
pourquoi, après avoir exposé en quoi consiste cette clause de garantie,
nous allons étudier quelles sont les incidences de cette clause sur
l’assurance.A. Le règlement de la charge définitive des troubles de voisinage entre le maître de l’ouvrage et le constructeurIl
se peut que le contrat prévoie expressément qui, du maître de l'ouvrage
ou du constructeur, supporte la charge des troubles causés aux voisins.
Dès lors, si le juge est saisi d’un litige, il est tenu d’appliquer les
dispositions contractuelles. Par exemple, si le contrat se réfère à la
norme AFNOR P 03.001 de décembre 2000, l’article 5.2.2 de celle-ci met
à la charge de l’entrepreneur les dommages aux tiers dus à sa faute : «
chaque entrepreneur est responsable de tous les accidents ou dommages
qu’une faute dans l’exécution de ses travaux ou le fait de ses agents
ou ouvriers peuvent causer à toutes personnes. Il s’engage à
éventuellement garantir le maître de l'ouvrage et le maître d’œuvre de
tout recours qui pourrait être exercé contre eux du fait de
l’inobservation par lui de l’une quelconque de ses obligations ».Il
est de pratique courante que le maître de l'ouvrage essaie de faire
prendre en charge par les constructeurs les faits dommageables de
toutes natures qui pourraient se produire du fait ou à l’occasion des
travaux, et ce même en l’absence de faute. La validité de la clause qui
reporte sur l’entrepreneur le risque de dommage aux tiers, en dehors de
toute faute, peut paraître très contestable. Mais la jurisprudence ne
les prohibe pas, d’ailleurs, elle a très tôt validé ces clauses. Déjà,
un arrêt du 17 juillet 1974166 de la troisième chambre avait admis a
contrario la validité de telles clauses, ainsi qu’un arrêt de la même
chambre en date du 10 janvier 1978,167 concernant une espèce où le
maître de l'ouvrage avait été condamné pour troubles de voisinage du
fait de l’utilisation d’engins bruyants et polluants et où le marché
précisait que l’entreprise devait supporter la charge des dommages
causés aux tiers de son fait. La jurisprudence avait également validé
des clauses voisines. Par exemple, elle a validé la
clause figurant dans la norme AFNOR P 03.001 de 1948 qui faisait
reposer sur l’entrepreneur la responsabilité liée à la garde du
chantier168. Mais seul le maître de l'ouvrage peut se prévaloir de
cette clause, non le maître d’œuvre qui demeure responsable de ses
propres fautes169. Il en va de même de la clause figurant dans le
cahier des prescriptions spéciales de la SNCF qui édicte une garantie
générale de la SCNF par les entreprises « contre les actions ou
réclamations qui pourraient être dirigées contre elle » pour « les
désordres, dégradations ou préjudices quelconques qui, du fait ou à
l’occasion des travaux pourraient survenir aux biens meubles ou
immeubles appartenant à un tiers170 ». D’après la jurisprudence, une
telle clause n’est contraire ni à la loi ni à l’ordre public171.Lorsque
la convention prévoit, comme le fait actuellement la norme AFNOR, que
l’entrepreneur est tenu de ces dommages en cas de faute, il en résulte
implicitement qu’il doit en être déchargé au cas où ces dommages se
sont produits sans faute de sa part. De telles clauses sont bien
évidemment inopposables aux tiers. Mais, si ces tiers ont obtenu la
condamnation de l’employeur sur un fondement autre que la faute, alors
il faut admettre que celui-ci peut, en application de cette clause,
exercer un recours contre le maître de l'ouvrage.Si
le report conventionnel sur l’entrepreneur de la responsabilité pour
trouble de voisinage paraît valable, il semble toutefois devoir être
limité aux cas des nuisances du chantier et des dommages à l’immeuble
contigu. En effet, dans les deux cas, c’est généralement les
constructeurs qui sont à l’origine des dommages, mais on comprend mal
qu’il puisse être étendu au cas du dommage causé par la présence même
de l’immeuble construit, qui est la conséquence de la décision de
construire prise par le seul maître de l'ouvrage.Si
cette clause a le mérite de régler la contribution définitive entre le
maître de l'ouvrage et les constructeurs en évitant le contentieux ,
elle soulève des difficultés quant à l’appel en garantie de l’assureur.168
Cass. 3e civ., 14 mai 1971, Bull. civ. III, n°305. 169 Cass. 3e civ.,
24 janv. 1973, Bull. civ. III, n°71. 170 Cass. 3e civ., 23 janv. 1991,
Bull. civ. III, n°27. 171 Cass. 2e civ., 29 mars 1962, Bull. civ. II,
n°360.
172 C. assur., art. L 242-1.B. Le problème de l’intervention de l’assureur appelé en garantieLe
législateur de 1978 a voulu séparer radicalement le problème de la
réparation des dommages, laquelle doit être rapide, de celui de la
recherche des responsabilités, qui peut prendre plus de temps. A cet
effet, il a institué un système d’assurance obligatoire dit à « double
détente » dans le cadre duquel l’objectif de rapidité doit être atteint
par une assurance de choses, dont l’objet est de garantir « en dehors
de toute recherche des responsabilités, le paiement des travaux de
réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables,
les constructeurs au sens de l’article 1792-1 du code civil, les
fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement
de l’article 1792 du code civil ».172 L’assurance de choses fonctionne
comme une assurance de préfinancement, impliquant qu’après que celui-ci
a été effectué, l’assureur de choses, alors légalement subrogé dans les
droits et actions du propriétaire ou de l’acquéreur de l’ouvrage,
puisse recouvrer les sommes ainsi avancées sur les constructeurs
responsables de plein droit et leurs assureurs de responsabilité.La
loi impose d’assurer les travaux effectués sur un ouvrage déterminé
mais elle n’impose pas d’assurer les dommages causés aux tiers par les
travaux de construction. Dès lors, la question qui se pose est de
savoir si les troubles anormaux de voisinage peuvent être garantis par
une assurance.Et
si la réponse à cette question est positive, une autre question se
pose, celle de savoir quel assureur va garantir ces troubles de
voisinage. Est-ce l’assureur de dommages-ouvrage ou l’assureur de
responsabilité ?Pour
répondre à ces questions, il convient de s’interroger, tout d’abord,
sur le fait de savoir si des clauses du contrat d’assurance peuvent
limiter voire exclure les dommages causés aux voisins, pour étudier
ensuite, quelles sont les assurances qui peuvent les garantir.1. Opposabilité des clauses d’exclusion de garantieLe
constructeur qui a indemnisé la victime va appeler en garantie son
assureur. Cette garantie repose nécessairement sur un contrat
d’assurance de responsabilité de droit commun. En effet, aux termes de
l’article A. 243-1, annexe I du code des assurances, l’assurance de 173 Cass. 1re civ., 20 nov. 2002 : RDI mars/avr. 2003 p. 148. obs. Grynbaum.responsabilité
décennale ne couvre que la responsabilité du constructeur née de
l’application des articles 1792 et suivants du code civil. L’assurance
obligatoire de responsabilité n’a donc pas vocation à couvrir les
dommages nés d’un trouble de voisinage.Toutefois
il arrive que le contrat de construction prévoie la répartition de la
charge définitive des troubles de voisinage. Et il est de plus en plus
fréquent dans les contrats d’assurance de responsabilité, que les
assureurs prévoient des clauses excluant la garantie des obligations
conventionnelles souscrites par l’assuré et qui seraient plus lourdes
que les dispositions légales. Cela signifie que ces clauses peuvent
exclure la garantie de l’assuré, qui aménage contractuellement sa
responsabilité ainsi que les conséquences de celle-ci. En effet,
l’assurance de responsabilité a pour objet de couvrir les dommages dont
on impute la responsabilité civile ou contractuelle, ou quelquefois les
deux, à un assuré. Or, lorsque dans un contrat de construction,
l’assuré insère une clause qui l’oblige à prendre toutes les mesures
pour éviter des dommages aux voisins, tout dommage aux voisins
s’analyse en une inexécution contractuelle.Par
exemple, dans l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de
cassation en date du 20 novembre 2002,173 le cahier des clauses
administratives particulières régissant le chantier prévoyait que
l’entrepreneur s’engageait à prendre toutes dispositions propres à ne
pas endommager tous les ouvrages avoisinants. Or, l’assurance de
responsabilité comportait une clause d’exclusion des « conséquences
d’obligations conventionnelles acceptées par l’assuré ». Le maître de
l'ouvrage ayant été condamné sur le fondement des troubles de
voisinage, l’entrepreneur avait dû le garantir. L’assureur refuse sa
garantie du fait de cette clause d’exclusion.La
Cour d’appel a estimé qu’il ne pouvait prétendre à la garantie de son
assureur de responsabilité car la police excluait la garantie des
obligations conventionnelles souscrites par l’assuré qui seraient plus
lourdes que les « dispositions légales ». Ce qui inclut bien entendu
les obligations créées par la jurisprudence. Elle avait admis
l’argumentation de l’assureur qui se prévalait de l’exclusion, car la
clause de marché instaurait une responsabilité objective et donc plus
lourde que les dispositions légales nécessitant la preuve d’une faute.
Dès lors, il se posait la question devant la Cour de cassation, de
savoir si l’exclusion de la garantie des obligations contractuelles
permettait de faire échec à la demande de couverture des troubles
anormaux de voisinage.
174 Obs. Grynbaum, préc. note 84.
175 Cass. 1re civ., 18 sept. 2002 : RDI jan./févr. 2003, note Leguay (G.).
La
Cour de cassation rappelle que cette exclusion n’est applicable qu’au
cas où l’obligation conventionnelle acceptée par l’assuré entraînerait
des conséquences auxquelles il n’aurait pas été soumis par les
dispositions légales. La Cour casse l’arrêt de la Cour d’appel, et,
c’est au visa de l’article 1134 du code civil qu’elle invite la cour de
renvoi à examiner si l’entrepreneur « n’avait pas commis de fautes qui
auraient pu avoir pour elle, comme conséquences, une condamnation
identique sur le fondement des dispositions légales retenant la
responsabilité contractuelle de droit commun…».174 En effet, la clause
d’exclusion de garantie n’a plus à s’appliquer si la responsabilité du
constructeur est susceptible d’être retenue en dehors de toute
inexécution d’une obligation contractuelle expressément stipulée.La
Cour de cassation précise, enfin, que si le maître de l'ouvrage agit
contre l’entrepreneur en qualité de subrogé dans les droits du voisin,
sur le fondement des troubles de voisinage, l’assureur de
responsabilité du constructeur ne peut pas invoquer contre son assuré
la clause d’exclusion de garantie de toute responsabilité
contractuelle. En effet, les troubles anormaux de voisinage engendrent
une responsabilité objective et autonome, totalement étrangère à la
notion de faute.Compte
tenu de l’extension de la notion de voisin aux constructeurs en 1998,
et des solutions adoptées dans le cadre des actions récursoires
engagées par un maître de l'ouvrage à l’encontre des constructeurs, il
faut inciter les assureurs à garantir les responsabilités sans faute du
maître de l'ouvrage et des constructeurs.175 Jusqu’à aujourd’hui, les
contrats d’assurance de responsabilité n’accordent leur garantie qu’ à
la condition de prouver la faute de l’assuré. Reste à savoir quel
assureur doit la garantie des troubles anormaux de voisinage ? Est-ce
uniquement l’assureur de responsabilité de droit commun, ou est-ce
également l’assureur dommages ouvrage ?2. La garantie des troubles de voisinage par l’assuranceLa question va être ici abordée est de savoir quelle assurance va garantir les dommages causés aux tiers. 176 Cass. 3e civ., 3 févr. 2004, RDI mars/avr. 2004 p. 195, note Malinvaud.En
effet, cette question fait l’objet de controverses : est-ce l’assureur
dommagesouvrage ou l’assureur de responsabilité de droit commun qui
doit la garantie de ces dommages.En
vertu de l’article 1792 du code civil : « tout constructeur d’un
ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur
de l'ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui
compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de
ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le
rendent impropre à sa destination ». De plus, en vertu de l’article L.
242-1 du code des assurances, toute personne qui fait réaliser des
travaux de bâtiment doit souscrire une assurance garantissant le
paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la
nature de ceux dont sont responsables les constructeurs. Aux termes de
ces deux articles, l’assurance dommage-ouvrage garantit donc les
dommages qui atteignent l’ouvrage « assuré » et non les dommages qui
affectent les ouvrages du voisin. Les dommages aux tiers ne sont pas
des dommages à l’ouvrage. Dès lors, c’est l’assureur de responsabilité
qui doit la garantie de ces dommages. Ce raisonnement peut paraître
satisfaisant si on en reste à la réparation du dommage principal. Mais
qu’en est-il lorsque les dommages aux tiers sont consécutifs à un
dommage à l’ouvrage assuré ? Cette question soulève un autre problème :
si les dommages aux tiers ne peuvent être réparés à titre principal par
l’assureur dommages-ouvrage, peuventils l’être à titre consécutif à un
dommage qui affecte l’ouvrage assuré ?La
Cour de cassation dans un arrêt en date du 3 février 2004176 ouvre peut
être la voie à une solution nouvelle. En l’espèce, la construction d’un
mur de soutènement a eu pour conséquence d’entraîner des désordres à
l’immeuble voisin. Les voisins victimes ont assigné le constructeur du
mur ainsi que le voisin. Condamné à indemniser le voisin victime, le
maître de l'ouvrage a exercé un recours en garantie contre le
constructeur et son assureur sur le fondement de l’article 1792 du code
civil. La Cour d’appel a condamné le constructeur à garantir le maître
de l'ouvrage sur le fondement de l’article 1792 aux motifs que
l’ouvrage n’avait pas été édifié conformément aux règles de l’art et
que les dommages allégués par les voisins n’étaient qu’une conséquence
du dommage à l’ouvrage assuré.La
Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel au motif que « la
garantie légale de l’article 1792 du code civil n’est pas applicable au
locateur d’ouvrage assigné en garantie par un maître de l'ouvrage
condamné à réparer les dommages causés à un tiers ». Le maître de
l'ouvrage qui a été condamné à réparer les troubles subis par le voisin
ne peut fonder son
177 Obs. Malinvaud, Ibid.recours
sur le fondement des articles 1792 et suivant du code civil, car il n’y
a pas eu de dommage à l’ouvrage. Toutefois, la Cour de cassation, même
si elle casse l’arrêt de la Cour d’appel, souligne que cette dernière «
était saisie à titre principal d’une demande en réparation des dommages
causés à la propriété d’un voisin », ce qui selon M. Malinvaud177
laisse penser que la solution aurait pu être différente si la Cour
avait été saisie à titre principal d’une action en réparation des
dommages causés à l’ouvrage, auquel cas le dommage du voisin serait
apparu comme un dommage annexe, voire consécutif. Mais tel n’est pas le
cas en l’espèce où la non-conformité alléguée du mur de soutènement aux
règles de l’art n’avait entraîné aucun dommage à ce mur.Il
est à noter enfin, que le maître de l'ouvrage est également bien avisé,
bien que cela ne soit pas obligatoire, de souscrire une police «
responsabilité civile Maître de l'ouvrage » qui a justement pour objet
de garantir les désordres occasionnés par le chantier chez les voisins,
ce qui peut lui éviter bien des désagréments.Pour
autant, le maître de l'ouvrage n’est pas dépourvu de tout recours
contre les constructeurs. Mais il aurait pu fonder son recours soit sur
le contrat qui le lie aux constructeurs, soit sur le fondement de la
faute ou encore sur la théorie des troubles anormaux de voisinage.Paragraphe II : Les recours contractuels en l’absence d’une clause de garantieTraditionnellement,
le voisin qui est victime de troubles de voisinage résultant de travaux
immobiliers dispose d’un choix entre, d’une part, une action exercée
contre le propriétaire du fonds où se sont réalisés les travaux et,
d’autre part, une action exercée contre le constructeur à l’origine des
travaux litigieux. La Cour de cassation avait réaffirmé le principe
d’une telle option dans un arrêt du 30 juin 1998 en condamnant un
sous-traitant sur le fondement du principe général selon lequel nul ne
doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Cette solution
présente le mérite de faciliter l’indemnisation de la victime qui peut
profiter ainsi du principe de responsabilité pour troubles de voisinage
directement contre celui qui est à l’origine des nuisances par son
activité pour laquelle d’ailleurs il est assuré. Mais
l’exercice de cette option peut poser certaines difficultés au maître
de l'ouvrage si celui-ci est choisi comme défendeur par la victime puis
est condamné à réparer le trouble de voisinage. Même en dehors de toute
clause du contrat, le maître de l'ouvrage condamné pour trouble de
voisinage peut rechercher la responsabilité de l’entrepreneur.
L’avantage de la clause du contrat est de prévoir par avance qui va
assumer la contribution définitive des troubles causés aux voisins et
dans quelles proportions. De plus, le fondement du recours du maître de
l'ouvrage, condamné pour troubles de voisinage, est incertain. Tant en
doctrine qu’en jurisprudence, de nombreux fondements ont été avancés et
critiqués. La solution qui est retenue permet de déterminer sur qui les
juges vont faire peser la réparation définitive de ces troubles : sur
l’auteur de ces troubles ou sur le propriétaire du terrain. En effet,
la responsabilité pour troubles de voisinage oscille depuis sa création
entre un fondement réel et un fondement personnel.178 Dès lors, se pose
la question de la nature de l’obligation de réparation . A-t-elle un
fondement réel ou personnel ?Pour répondre à ces interrogations, il convient de préciser le fondement de l’action récursoire, avant d’en étudier son régime.A. Le fondement de l’action récursoire du maître de l’ouvrageL’existence
de ces actions récursoires s’explique par le fait que les constructeurs
et le maître de l'ouvrage sont responsables ensemble et pour le tout du
dommage causé. S’ils en sont responsables séparément et pour partie, il
leur suffit de procéder à la réparation chacun dans la mesure qui lui
incombe, et il n’y a pas de recours à exercer entre eux. Coauteurs du
dommage, ils sont obligés in solidum de le réparer en entier, et se
retournent les uns contre les autres pour obtenir une contribution à la
dette.L’action
du maître de l'ouvrage solvens contre le constructeur est une action en
contribution, par nature distincte de l’action en responsabilité de la
victime. En effet, selon M. Pin,179 l’action en responsabilité de la
victime relève de la poursuite, c’est à dire qu’elle vise à indemniser,
alors que la contribution est un recours entre coauteurs qui dépend du
rôle causal de chacun. Il ne s’agit pas pour le maître de l'ouvrage
d’obtenir réparation mais de demander au juge la répartition de la
charge de cette réparation. On peut alors se demander178
Libchaber (R.), Le droit de propriété, un modèle pour la réparation des
troubles de voisinage, Mélanges Mouly, Litec 1998, p. 421 et suiv.
179 Pin (X.), JCP Entreprise et Affaires, n° 21 du 23 mai 2002, p. 857-861. quelle
est la nature du recours du maître de l'ouvrage contre le constructeur,
condamné à indemniser un tiers pour des nuisances occasionnées par un
chantier.La
Cour de cassation avait dans un premier temps estimé que : « L’action
récursoire du maître de l'ouvrage condamné au profit des propriétaires
voisins trouve sa source dans les dommages causés à des tiers au
contrat le liant au constructeur et est soumise aux règles dela responsabilité quasi-délictuelle ».180Puis,
par un arrêt du 24 mars 1999, la 3e chambre écarte le fondement
délictuel de l’action du maître de l’ouvrage pour retenir un fondement
de nature contractuelle.181 Selon M. Jourdain,182 en condamnant la
possibilité d’une action quasi-délictuelle, cet arrêt écarte le recours
subrogatoire au profit du seul fondement contractuel, et met donc un
terme à une jurisprudence qui offrait au maître de l'ouvrage une option
entre une action subrogatoire pouvant être délictuelle et une action
personnelle de type contractuel.183Mais
cette solution a été à la fois confirmée et remise en cause le même
jour par trois arrêts, de la 3e chambre civile de la Cour de cassation
en date du 21 juillet 1999.184 En effet, la Cour a, dans deux espèces,
confirmé sa jurisprudence.185 Dans la troisième espèce, elle l’a remise
en cause,186 puisqu’elle a admis « qu’un maître de l'ouvrage devait,
dans son recours en garantie contre les constructeurs, être subrogé
dans les droits et actions des victimes de troubles anormaux de
voisinage, ce qui le dispensait d’avoir à prouver une faute des
entrepreneurs ». Cette décision a fait l’objet de nombreuses critiques
de la part de la doctrine, comme M. Courtieu,187 qui estime que cette
solution conduit à faire supporter la charge définitive des troubles à
l’entrepreneur, alors que le chantier procède d’une décision concertée.
La majorité de la doctrine, dont M. Jourdain,188avait estimé que
l’arrêt du 24 mars 2001 était un revirement de jurisprudence. Or, la
troisième espèce de l’arrêt du 21 juillet 1999 remet en cause
l’interprétation de cet arrêt.Dès
lors, on pouvait se poser la question de savoir si le maître de
l'ouvrage condamné sur le fondement des troubles anormaux de voisinage
avait conservé une option contre les180 Cass. 3e civ., 31 oct. 1989 : Bull. civ. III, n° 199.
181
Cass. 3e civ., 24 mars 1999 : Bull. civ. III, n° 74 ; RDI 1999 p. 412 ;
RTD civ. 1999 p. 640. 182 Cass. 3e civ., 21 juill. 1999: RTD civ.
Janv./mars 2000, p. 120 et suiv., note Jourdain. 183 Cass. 3e civ., 1er
déc. 1971 : Bull. civ. III,, n° 593.
184
Cass. 3e civ., 21 juill. 1999: Bull. civ. III, n° 182 ; RTD civ.
Janv./mars 2000, p. 120 et suiv., note Jourdain. 185 Dastac et autres
c/. Franjau et autres, non publié au Bulletin ; et Sprinks assurances
et autre c/. Association immobilière des amis de l’adoration et autres,
non publié au Bulletin, RTD civ. janv./mars 2000, p. 120 et suiv. 186
Société Sprinks assurances et autre c/. Syndicat des copropriétaires du
2-4 rue Thuillieret 42, rue d’Ulm, 75005 Paris, et autres, Bull. civ.
III, n° 182 ; RTD civ. janv./mars 2000, p. 120 et suiv.
187
Courtieu (G.), « travaux de bâtiments et dommages au voisinage :
d’arrêts de principe… en rapports annuels » : RCA 2000, chron. P. 6.
188 Jourdain (P.), obs. sous Cass. 3e civ., 31 oct. 2001, RTD civ. avr./juin 2002 p. 315. constructeurs
entre le recours personnel fondé sur le contrat et le recours
subrogatoire lui permettant d’invoquer les règles délictuelles ?L’explication
est venue du rapport de la Cour de cassation pour l’année 1999. En
effet, selon le Conseiller Villien,189 la subrogation était discutable
lorsqu’il s’agissait d’un appel en garantie avant condamnation. Dans ce
cas, le maître de l'ouvrage est donc tenu de fonder son action
récursoire sur le contrat le liant à l’entrepreneur faute de pouvoir
admettre une subrogation in futurum, avant tout paiement. En revanche,
s’il a indemnisé la victime, il peut être subrogé dans ses droits et
actions. En définitive, la possibilité d’exercer le recours
subrogatoire va dépendre de l’indemnisation préalable de la victime,
mais il reste tout à fait envisageable.Enfin,
dans la même lignée de l’arrêt du 24 mars 1999, la Cour de cassation
dans un arrêt du 28 novembre 2001 affirme, au visa de l’article 1147 du
code civil, que : « la responsabilité de l’entrepreneur, appelé en
garantie, vis-à-vis du maître de l'ouvrage condamné à réparer les
dommages causés à un tiers sur le fondement des troubles anormaux de
voisinage est de nature contractuelle, et le maître de l'ouvrage ne
peut invoquer une présomption de responsabilité à l’encontre de
l’entrepreneur gardien du chantier190 ».Selon
M. Pin,191 cette solution permet peut-être de « réaffirmer la règle du
non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, qui semble
méconnue par la jurisprudence offrant ainsi une option en faveur du
recours subrogatoire délictuel ». En effet, dans cet arrêt, c’est au
visa de l’article 1147 du code civil que la Cour de cassation rejette
le recours du maître de l'ouvrage contre le constructeur fondé sur la
responsabilité du fait des choses de l’article 1384, alinéa 1er. Or, en
vertu du principe de non-cumul des responsabilités délictuelles et
contractuelles, si le maître de l'ouvrage est contractuellement lié au
constructeur, il ne peut agir que sur le fondement contractuel. En
rejetant la possibilité au maître de l'ouvrage, condamné pour trouble
anormal de voisinage, de faire un recours contre le constructeur sur le
fondement de l’article 1384, alinéa 1er c’est-à-dire sur le fondement
délictuel, M. Pin estime qu’il s’agit d’une condamnation implicite au
recours à la théorie des troubles anormaux de voisinage. Mais selon M.
Leturmy,192 cette règle n’est pas méconnue189
Rapport de la Cour de cassation pour l’année 1999, « Vers une
unification des régimes de responsabilité en matière de troubles de
voisinage dans la construction immobilière », p. 263 et suiv. 190 Cass.
3 e civ., 28 nov. 2001: Bull. civ. III, n°135 ; D. 2002. p. 3299, note
Rabreau ; JCP E 2002. p. 809, note Pin ; Defrénois 2002. p. 1034, obs.
Périnet-Marquet ; RCA 2002, n°60 note Groutel ; RDI imm. 2002. p. 90,
obs. Malinvaud ; RTD civ. 2002. p. 315, obs. Jourdain.
191 Pin (X.), JCP Entreprise et Affaires, n° 21 du 23 mai 2002, p. 857-861.
192 Leturmy (L.), « La responsabilité délictuelle du contractant », RTD civ. 1998, p. 845-846. car,
en exerçant l’action subrogatoire, le maître de l'ouvrage prend la
place du tiers indemnisé ; il n’agit donc pas comme une partie au
contrat initial.Mais
la vraie question est alors de savoir si la Cour de cassation entend
rejeter tout fondement délictuel en vertu du principe du non-cumul, ou
alors si elle entend seulement écarter le recours du maître de
l'ouvrage, condamné pour trouble anormal de voisinage, sur le fondement
de la garde.Dans
l’arrêt du 28 novembre 2001 et à la différence de celui du 31 octobre
2001,193 le maître de l'ouvrage n’avait pas encore indemnisé la victime
au jour où le juge avait dû se prononcer sur la garantie de
l’entrepreneur ; faute de paiement, il n’y avait donc pas subrogation
possible dans le droit de la victime de se prévaloir des règles
délictuelles. Cette décision n’est donc pas en contradiction avec les
décisions précédentes.De
l’ensemble de ces arrêts, M. Jourdain tire comme conséquence qu’il
n’existe plus d’option entre les actions personnelle et subrogatoire.
En effet, faute de subrogation après paiement, la responsabilité de
l’entrepreneur est de nature contractuelle, c’est-à-dire que le maître
de l'ouvrage n’a pas le choix des recours : soit il a indemnisé la
victime et il peut être subrogé, soit il ne l’a pas indemnisé et le
seul recours qui lui reste est un recours contractuel. Cela peut être
perçu comme une innovation au regard de la jurisprudence antérieure qui
admettait une option entre l’exercice d’une action délictuelle
subrogatoire, même en cas d’appel en garantie avant condamnation.194
Dès lors, il semble que la Cour de cassation veuille empêcher le
recours sur le fondement de la garde et non pas tout recours de nature
délictuelle. Cette solution se comprend aisément, car offrir la
possibilité au maître de l'ouvrage de faire un recours sur ce fondement
aurait fait peser la charge des troubles de voisinage sur les
constructeurs.Reste
en suspens, la question de savoir quelle est la mesure de la
contribution entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs.Ce
trouble a été semé par M. Pin,195qui voit dans les termes employés par
la Cour de cassation non pas une action en contribution mais une action
en réparation. En effet, il estime que lorsque la Cour de Cassation
dans l’arrêt du 28 novembre 2001 emploie les termes suivants : « la
responsabilité de l’entrepreneur […] vis-à-vis du maître de l'ouvrage
condamné […] est de nature contractuelle », elle semble assimiler le
recours du maître de l'ouvrage à un recours en réparation, alors que la
logique du recours relève de la contribution. Il ajoute193 Cass. 3e civ., 31 oct. 2001, Société Ventmeca c/ Reumond, RTD civ. Avr./juin 2002, p. 316 et suiv.
194 Cass. 3e civ., 21 févr. 1984, Bull. civ. III, n° 42 ; RTD civ. 1984 p. 740, obs. Rémy ; 29 janv. 1992, Bull. civ. IV, n° 30.
195 Pin (X.), chron. Préc. note (83). qu’«
on ne peut raisonnablement avancer que celui qui a été condamné pour
avoir causé un dommage est, à son tour, victime de son paiement ». En
réalité, le maître de l'ouvrage n’est pas victime mais débiteur d’une
obligation légale, parce qu’il a pris l’initiative d’un chantier qui
s’est révélé nuisible.Dès
lors, le maître de l'ouvrage est-il coauteur du dommage ou victime. A
cette question sommaire s’ajoute la véritable question de la nature
juridique de cette action, à savoir si le maître de l'ouvrage condamné
sur le fondement des troubles anormaux de voisinage envers le voisin,
dispose contre le constructeur d’une action en responsabilité ou d’une
action récursoire.Si
le maître de l'ouvrage pouvait se prévaloir d’une responsabilité de
plein droit, il se verrait offrir un recours intégral ce qui serait
contraire à la mesure de la contribution.En
effet, le maître de l'ouvrage et le constructeur, ayant procédé à la
construction d’un commun accord, sont tenus in solidum à l’égard des
tiers. Ainsi, les victimes peuvent agir indifféremment contre le maître
de l'ouvrage ou contre l’entrepreneur sur le fondement de la théorie
des troubles anormaux de voisinage. Dès lors, chacun doit avoir une
action récursoire contre l’autre car il est injuste de laisser
systématiquement la totalité de la dette à la charge de l’un d’entre
eux. Au contraire, chaque auteur est tenu de sa part et garant de celle
des autres. C’est en ce sens que la Cour de cassation, dans l’arrêt du
28 novembre 2001, a écarté la responsabilité de plein droit édictée par
l’article 1384, alinéa 1er du code civil à l’encontre de l’entrepreneur
gardien du chantier. En effet, une solution contraire aurait conduit
l’entrepreneur à supporter la réparation intégrale des troubles causés,
y compris ceux qui ne dépassent pas les inconvénients normaux du
voisinage. Le recours est fonction de la qualité du maître de l'ouvrage
et de celle du constructeur. Le partage s’opère suivant le rôle causal
de chacun, laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond. Si le
solvens a été condamné en qualité de coauteur, il ne peut recourir que
pour partie car il doit supporter sa part. S’il a été condamné sur le
fondement d’une responsabilité sans faute ou de plein droit, qui aurait
pu également être imputée au défendeur, M. Pin préconise une
répartition par parts viriles. En revanche, s’il a été condamné non
comme coresponsable mais comme garant, son recours peut s’exercer sur
le tout.Le
présent arrêt, en rejetant l’article 1384, alinéa 1er , du code civil,
refuse la logique de garantie et place le maître de l'ouvrage sur le
même plan que le constructeur. En effet, la décision de construire sur
tel sol à tel endroit appartient au maître de l'ouvrage. Dès lors, sa
décision est en partie à l’origine des nuisances causées à ses voisins.
Par conséquent, M. Pin 196 Cass. 3e civ., 16 mai 2001, RDI 2001, p. 394, obs. Malinvaud. 197Obs. Villien préc. note n° préconise
qu’à défaut de faute du constructeur, le maître de l'ouvrage doit être
privé d’un recours systématique sur le tout. Mais, il met en garde
contre les injustices de cette solution qui consisterait à faire
supporter au maître de l'ouvrage l’entière réparation, en mettant à sa
charge la preuve d’une faute contractuelle quasi-impossible à apporter.Pour
répondre valablement à cette question, il convient de préciser comment
mettre en œuvre la responsabilité contractuelle du constructeur.B. Régime de l’action récursoire du maître de l’ouvrageContrairement
à la responsabilité spécifique des constructeurs, il n’existe pas de
régime unifié en matière de responsabilité contractuelle de droit
commun. Il n’existe pas non plus de présomption de responsabilité, car
ce régime de responsabilité ne peut être prévu que par la loi. Si le
législateur a souhaité instaurer un régime de garantie au maître de
l'ouvrage pour les dommages qui affectent son ouvrage, il ne l’a pas
prévu lorsque les dommages affectent les voisins. En effet, le maître
de l'ouvrage condamné pour troubles anormaux de voisinage ne peut
rechercher la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur ou de tout
intervenant, que si ce trouble est dû à l’inobservation des
prescriptions imposées par la convention.Il reste notamment à déterminer le contenu de l’obligation des constructeurs. Est-ce une obligation de moyens ou de résultat ?Cette
question soulève quelques problèmes ; même si la Cour de cassation a
admis que la responsabilité des constructeurs envers les voisins n’est
pas une responsabilité fondée sur une obligation de résultat, la preuve
de la faute est nécessaire.196 En effet, l’entrepreneur a contracté une
obligation de résultat, celle d’édifier sans désordres un immeuble.
Pour autant est-ce que cette obligation de résultat peut s’étendre à la
sauvegarde de l’immeuble voisin ?En
dehors d’une clause contractuelle, cette solution semble peu probable.
D’ailleurs, selon le Monsieur le Conseiller Villien,197 si on admettait
que l’obligation de résultat puisse s’étendre à la sauvegarde de
l’immeuble voisin, il y a des situations dans lesquelles elle ne peut
s’appliquer. En effet, cette obligation ne pourrait s’étendre aux
troubles causés par l’existence même de l’immeuble. Dans cette
situation, il est nécessaire de maintenir l’exigence
d’une faute contractuelle. Peut-on reprocher, en effet, à un architecte
ou à un entrepreneur d’avoir construit un immeuble à l’endroit où le
maître de l'ouvrage lui a demandé de le faire, sauf à mettre en jeu
leur responsabilité contractuelle pour défaillance dans le devoir de
conseil ?Quoi qu’il en soit, à l’heure actuelle, la jurisprudence exige la preuve de l’existence d’une faute contractuelle.Si
le maître de l'ouvrage choisit la voie contractuelle, ne disposant pas
de fondement subrogatoire, il doit apporter la preuve que le trouble de
voisinage est dû à une faute commise par l’entrepreneur dans
l’exécution des ses travaux. Il doit donc rapporter la preuve de
l’inexécution par l’entrepreneur de ses obligations nées du contrat,
ainsi que la preuve que cette inexécution est la cause du trouble.
Ainsi par exemple, la 3e chambre civile de la Cour de cassation dans un
arrêt du 24 avril 2003198 a réaffirmé qu’à défaut de dispositions
contractuelles, le recours du maître de l'ouvrage condamné sur le
fondement des troubles anormaux de voisinage, contre le constructeur,
nécessite la preuve d’une faute. En effet, jusqu’à ce jour, la
jurisprudence n’admet pas de responsabilité objective des
constructeurs, ce qui signifie qu’elle consacre ici une obligation de
moyens de ne pas causer de dommages aux tiers. Quant à la faute du
constructeur, elle peut être caractérisée, par exemple, si
l’entrepreneur travaille en dehors des heures qui ont été prévues par
le contrat199, ou sans respecter les normes de bruits imposées, ou s’il
a manqué aux règles de l’art, etc. Le maître de l'ouvrage qui a dû en
indemniser les voisins peut exercer un recours pour manquement aux
obligations du contrat. Un arrêt isolé de la Cour d’appel de Paris a
même admis que « sauf réserves formulées par l’entrepreneur, il pesait
sur lui une obligation de résultat de ne pas causer de dommages aux voisins200 ».Enfin,
le maître de l'ouvrage peut aussi fonder son recours sur le manquement
de l’entrepreneur ou du maître d’œuvre à son obligation de conseil ;
cette obligation pèse également sur le contrôleur technique, même dans
le cas où sa mission ne porte pas sur des ouvrages avoisinants. Ainsi,
par exemple, la cour de cassation a décidé le 5 avril 1995 que le
contrôleur technique « chargé de la prévention des risques, devait
prendre en considération la nature du terrain et se préoccuper des
modifications à apporter au sol en vue de la198 Cass. 3e civ., 24 avr. 2003 : RDI juill./aôut 2003, p 358. Obs. Malinvaud.
199
Cass. 3e civ., 22 nov. 2000, RDI 2001 p. 87; l’arrêt retient également
la responsabilité de l’architecte pour n’avoir pas veillé au respect
par l’entrepreneur des prescriptions de son marché relativement aux
précautions à prendre pour éviter les nuisances.
200 CA Paris, 19e ch. B. 13 janv. 2000. RDI 2000 p. 184, obs. P. Malinvaud. construction
(…) et appeler l’attention du maître de l'ouvrage ou des architectes
sur la nécessité de faire procéder à une étude géotechnique201 ».Il
incombe en effet à ses professionnels d’avertir le maître de l'ouvrage
des risques de l’opération pour la tranquillité des voisins, pour la
solidité des immeubles contigus, et même pour les inconvénients qui
résultent pour les voisins de la présence du nouvel immeuble. Mais, si
le maître de l'ouvrage passe outre les avertissements qui lui ont été
donnés, il est censé en avoir accepté les risques202.Or,
dans l’arrêt du 24 avril 2003203, le maître de l'ouvrage ne parvient
pas à rapporter la preuve que des fissurations apparues sur le fonds
voisin étaient dues à une faute commise par l’entrepreneur dans
l’exécution de ses obligations, et logiquement, la Cour de cassation a
alors déclaré irrecevable l’appel en garantie.Mais
l’inconvénient n’est pas seulement de rapporter cette preuve, il réside
également dans le fait que la réparation n’est pas forcément intégrale,
puisqu’elle est limitée au dommage prévisible et qu’une clause
limitative de responsabilité peut être opposée au maître de l'ouvrage.En
effet, en matière de responsabilité contractuelle, l’article 1150 du
code civil limite le dommage réparable à ce qui était prévu et
prévisible lors du contrat afin « de ne pas trahir leurs prévisions et
de ne pas déséquilibrer l’acte rétrospectivement ».204Concernant
les clauses limitatives de responsabilité, cette interrogation est
d’autant plus intéressante que ces clauses, normalement valables
uniquement entre personnes de mêmes compétences, peuvent être opposées
par un profane par le biais de l’action directe.La
question de la validité des clauses limitatives de responsabilité ne se
pose pas en ce qui concerne la responsabilité spécifique des
constructeurs, puisque l’article 1792-5 du code civil les répute non
écrites.En
revanche, cette interrogation reprend tout son intérêt en matière de
responsabilité contractuelle de droit commun. Il convient de distinguer
entre deux types de clauses allégeant la responsabilité du
constructeur, celles qui délimitent l’obligation du débiteur, qui
agissent sur la source de la responsabilité, c’est-à-dire sur
l’obligation violée, et celles qui limitent ou excluent la réparation
des dommages qui agissent sur les effets de l’obligation violée. Par
principe, les unes et les autres sont valables par application de la
théorie de l’autonomie de la volonté, à la condition préalable de
l’égalité des contractants, c’est-à-dire des rapports entre201 Cass. 3e civ., 5 avril 1995, RDI 1995 p. 553.
202 Cass. 3e civ., 19 janv. 1994, Bull. civ. III, n°6 ; RDI 1994, p. 253, obs. P. Malinvaud. 203 Obs. Malinvaud préc. n° 189.
204 Radé (C.), « Droit à réparation », juris-classeur civil, Fasc. 170, art. 1146 à 1155. deux
professionnels ou entre deux profanes. En effet, une clause qui allège
la responsabilité peut être déclarée abusive, en application de
l’article L. 132-1 du code de la consommation.Toutefois,
la clause délimitant l’obligation contractuelle doit laisser un sens et
une utilité au contrat. Elle n’est donc efficace que si elle n’écarte
pas l’obligation essentielle du contrat, qui autrement manquerait de
cause.Mais
l’admission de la voie contractuelle présente également quelques
difficultés. En effet, lorsque la nature des dommages exclut
l’application de la responsabilité de plein droit des articles 1792 et
suivants du code civil, et que le contrat ne garantit pas expressément
les dommages causés aux tiers, le maître de l'ouvrage doit prouver la
mauvaise exécution du contrat.205 De plus, il ne faut pas oublier que
le recours du maître de l'ouvrage se trouve partiellement ou totalement
anéanti en cas d’immixtion de sa part206 ou lorsqu’il a imposé deséconomies.207Cette
exigence prive pratiquement le maître de l'ouvrage de tout recours car
l’exécution du contrat au préjudice des tiers ne s’analyse pas a priori
en une inexécution contractuelle. L’action de type contractuelle n’est
efficace que si les parties ont prévu une répartition des conséquences
dommageables de leur entreprise commune. Pour M. Pin,208 en dehors de
ces cas, la seule solution consisterait à faire comme s’il y avait un
contrat sur la répartition des conséquences préjudiciables du chantier,
c’est-à-dire se placer sur le terrain du quasi-contrat.Certains
ont pu avancer qu’il s’agissait d’une gestion d’affaire, mais M. Pin
réfute cette théorie, car la gestion d’affaire suppose de gérer
l’affaire d’autrui, ce qui n’est pas le cas du solvens condamné à
réparation. Pour d’autres, comme M. Canin,209 l’action « récursoire
personnelle » trouve son fondement dans la théorie de l’enrichissement
sans cause. En effet, lorsqu’un coresponsable paye une dette qu’il ne
devait pas supporter définitivement en tout ou en partie, il se produit
un enrichissement et un appauvrissement corrélatif, ce qui justifie le
retour à l’équilibre. Mais il ajoute que pour admettre cette théorie,
il faut écarter deux objections.La
première consiste à dire, que celui qui acquitte sa propre dette ne
s’appauvrit pas sans cause, puisqu’il agit en exécution d’une
obligation légale. A cette première objection, M.205 Cass. 3e civ., 23 janv. 1991 : Bull. civ. III, n° 27.
206
Cass. 3e civ., 8 mars 1968 : Bull. civ. III, n° 99. 207 Cass. 3e civ.,
8 juill. 1971 : Bull. civ. III, n° 348. 208 Pin (X.), chron. Préc. note
(83).
209 Canin (V.P.), « Les actions récursoires entre coresponsables », Litec, 1996, n°110. Dejean
de la Bâtie210 répond qu’il existe certes une obligation légale de
réparation à l’égard de la victime, mais qu’il n’existe aucune
obligation légale de contribuer définitivement à cette dette.Concernant
la deuxième objection, le caractère subsidiaire de l’action de in rem
verso a été avancé. Cette objection n’est pas non plus dirimante, non
seulement parce que la subsidiarité est remise en cause par la
jurisprudence,211 mais aussi parce qu’il n’est pas nécessaire que le
recours entre coresponsables emprunte la technique de l’action de in
rem verso. Par exemple, la chambre des requêtes de la Cour de cassation
dans un arrêt du 15 juin 1892 a jugé que : « cette action dérivant du
principe d’équité qui défend de s’enrichir au détriment d’autrui et
n’ayant été réglementée par aucun texte de nos lois, son exercice n’est
soumis à aucune condition déterminée ; qu’il suffit, pour la rendre
recevable, que le demandeur allègue et offre d’établir l’existence d’un
avantage qu’il aurait, par un sacrifice ou un fait personnel, procuré à
celui contre lequel il agit ».Enfin,
il relève que la logique de la contribution commande que le
quasi-contrat complète le contrat. En effet, le contrat porte sur
l’exécution des travaux et le quasi-contrat vise à répartir la charge
des dommages, en l’absence de prévision des parties. De là, le recours
en contribution pourrait même apparaître comme l’une des suites
possibles du contrat, au sens de l’article 1135 du code civil : « les
conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore
à toutes les suites de l’équité, l’usage et la loi donnent à
l’obligation d’après sa nature ».En
limitant le recours du maître de l'ouvrage condamné sur le fondement
des troubles de voisinage envers le voisin, contre le constructeur sur
le fondement contractuel, la Cour de cassation semble vouloir faire
peser la contribution définitive de la responsabilité sur ce dernier.
En effet, la preuve de la faute du constructeur étant difficile à
rapporter, sauf cas marginaux, les situations dans lesquelles le maître
de l'ouvrage peut faire un recours contre les constructeurs sont
exceptionnelles. La Cour de cassation penchait déjà en faveur d’un
fondement réel pour justifier l’action en réparation des troubles de
voisinage, tout au moins au stade de l’action principale de la victime.
En enfermant le recours du maître de l'ouvrage contre le constructeur
sur le fondement contractuel, et de ce fait en le rendant quasi
illusoire, la Cour penche à nouveau sur un fondement réel pour
justifier cette action récursoire.210
Dejean de la Bâtie (N.), note sous Cass. 1re civ., 7 juin 1977 : JCP G
1978, II, p. 19003. 211 Terré (F.), Simler (P.) et Lequette (Y.), Droit
civil, les obligations, Dalloz, 7e éd., n° 940.
Lorsque
le maître de l'ouvrage est condamné sur le fondement des troubles
anormaux de voisinage, il dispose de deux actions différentes. Comme
nous l'avons vu, il peut se prévaloir de sa qualité de co-contractant
de l'entrepreneur, ce qui lui permet d'exercer une action personnelle
et contractuelle. Comme nous allons le voir, il peut aussi se prévaloir
de sa qualité de Øveııs, ce qui lui permet d'agir dans les droits des
victimes indemnisées grâce au mécanisme de la subrogation légale. Section II : Les recours subrogatoiresPlutôt
que d’exercer son action récursoire sur le fondement du contrat de
louage d’ouvrage, le maître de l'ouvrage peut avoir intérêt à se
prévaloir de la subrogation. L’obligation in solidum s’accompagne
normalement du jeu de la subrogation ; lorsque l’un des responsables a
désintéressé la victime, il est censé avoir payé pour d’autres et peut
se retourner contre les coauteurs du dommage. Le maître de l'ouvrage
doit donc consentir à exécuter la décision rendue au bénéfice de son
voisin, puis après paiement, exercer un recours subrogatoire contre le
constructeur. L’intérêt de ce processus est d’éviter d’avoir à prouver
la faute, puisque la subrogation dans les droits du voisin porte sur
une responsabilité de plein droit. De plus, à la différence de la voie
contractuelle, la réparation n’est pas limitée aux dommages prévisibles
mais s’étend à la totalité de ce dommage. Et une clause limitative de
responsabilité ne peut pas être opposée au maître de l'ouvrage.En
revanche, le maître de l'ouvrage peut également continuer à procéder
par voie d’appel en garantie, sur le fondement d’une responsabilité
contractuelle, mais il lui appartient de prouver la faute.En
effet, un maître de l'ouvrage dont la responsabilité est recherchée par
son voisin pour troubles de voisinage peut exercer son appel en
garantie ou son recours contre les constructeurs sur deux fondements
différents : ou bien il se fonde sur le contrat qui le lie aux
constructeurs, ou bien, mais seulement après avoir indemnisé le voisin,
il invoque la subrogation dans les droits de ce voisin. Dans le premier
cas, la responsabilité est contractuelle, dans le second délictuelle.
En effet, par exemple la Cour de cassation décide que : « encourt la
cassation l’arrêt qui, pour débouter le maître de l'ouvrage de son
action récursoire, relève que celui-ci, agissant contre l’entrepreneur
sur le fondement qui n’est pas l’art. 1792 du c. civ., doit démontrer
l’existence d’une faute et que la preuve de cette faute n’est pas
rapportée, alors qu’il constate que le maître de l'ouvrage est subrogé
dans les droits et actions de ses voisins, victimes de troubles
anormaux de voisinage212 ».En
visant l’article 1147 du code civil, les auteurs, comme M. Pin, ont pu
penser que la troisième chambre civile avait décidé d’abandonner la
voie de la subrogation. Mais, dans le212
Cass. 3e civ., 21 juill. 1999 : Bull. civ. III, n° 182 ; D. 1999. IR.
P. 228 ; RCA 1999. Chron. 23, par Groutel ; RDI 1999 p. 656 obs.
Malinvaud ; RTD. civ. 2000 p. 120, obs. Jourdain. rapport
de la Cour de cassation pour l’année 1999, le Conseiller Villien nous
précise que le maître de l'ouvrage n’a plus d’option entre le recours
contractuel et la subrogation. Il ne peut être subrogé que s’il a
indemnisé la victime. A défaut d’indemnisation, le seul recours
possible est la voie contractuelle.Puisque
le maître de l’ouvrage peut être subrogé dans les droits et actions de
la victime, nous allons tout abord étudier les conditions de la
subrogation avant d’en préciser son fondement.Paragraphe I : Les conditions de la subrogationLe
maître de l'ouvrage qui a indemnisé le voisin victime de trouble de
voisinage se trouve subrogé par application de l’article 1251, alinéa 3
du code civil, dans les droits dont ce voisin disposait à l’encontre
des constructeurs. Selon cet article, la subrogation a lieu de plein
droit « au profit de celui qui, étant tenu avec d’autres ou pour
d’autres au paiement de la dette, avait intérêt à l’acquitter ». Il en
est ainsi notamment dans le cas d’obligation in solidum.213
Lorsque deux coauteurs ont par leurs fautes contribué à la production du même
dommage, celui qui a désintéressé intégralement la victime a, par l’effet de la subrogation
légale, un recours contre l’autre coauteur.214 Pour que cette disposition puisse trouver
application, le maître de l'ouvrage doit avoir été juridiquement obligé à la dette, il doit avoir
indemnisé la victime et il doit avoir payé la victime en qualité de co-débiteur ou de garant. Il
est à préciser que le subrogé n’a pas plus de droits que son subrogeant au lieu et place duquel
il agit. Ainsi, par exemple, dans l’arrêt du 24 septembre 2003,215 la Cour de cassation a pu
juger que « le maître de l'ouvrage qui a effectué des paiements au profit des voisins était
subrogé, dans les droits de ce dernier, à hauteur de ces paiements contre les constructeurs et
leurs assureurs sur le fondement du principe prohibant les troubles anormaux de voisinage ».
Selon M. Pin, l’article 1236 du code civil pourrait apporter une limitation à
subrogation. En effet, selon son alinéa premier, « une obligation peut être acquittée par toute
personne qui y est intéressée, telle qu’un coobligé ou une caution » ; le second alinéa précise
que « l’obligation peut même être acquittée par un tiers qui n’y est point intéressé, pourvu
213 Cass. 1re civ., 23 oct. 1984 : Bull. civ. I, n° 276.
214 Cass. 2e civ., 1er oct. 1975 : Bull. civ. II, n° 235.
215 Cass. 3e civ., 24 sept. 2003 : RCA déc. 2003 p. 16, obs. Grroutel.
216 Obs. Grroutel préc. note 211. 217 Obs. Villien préc. note n° 185.
que
ce tiers agisse au nom et en l’acquit du débiteur, ou que, s’il agit en
son nom propre, il ne soit pas subrogé aux droits du créancier ». C’est
en confrontant les articles 1251, alinéa 3 et 1236 du code civil, qu’il
s’aperçoit que la subrogation n’est possible qu’en faveur d’une
personne ayant payé « au nom et en l’acquit du débiteur » ou d’une
personne ayant eu un intérêt à la dette. Si le maître de l'ouvrage est
condamné « au nom et en l’acquit » du véritable responsable, il s’agit
d’un responsable du fait d’autrui, qui joue un rôle de garant. Il
préconise de rejeter cette solution car les hypothèses de
responsabilité du fait d’autrui sont strictement limitées. Si le maître
de l'ouvrage est condamné « en son nom propre », comme un
coresponsable, il n’est pas subrogé dans les droits du créancier
victime. D’ailleurs, il préconise d’étendre cette analyse à toutes les
hypothèses de coresponsabilité car la subrogation est une faveur qui ne
doit s’appliquer qu’au profit des assureurs ou des véritables garants (
caution, coobligés contractuels), afin de préserver leur intérêt à la
dette. Pour ceux qui ne sont pas intéressés à la dette, le fondement de
l’action récursoire doit être contractuel.Quoi
qu’il en soit, les tribunaux permettent au maître de l'ouvrage qui a
indemnisé la victime d’être subrogé dans ses droits contre les
constructeurs, et cela même très récemment dans un arrêt du 24
septembre 2003.216 Si l’ensemble des conditions nécessaires à la mise
en œuvre de la subrogation ne soulève pas de problèmes majeurs, en
revanche la condition du paiement est sans cesse discutée. La question
qui s’est posée en doctrine était de savoir, si l’on pouvait admettre
la subrogation in futurum ?Monsieur
le Conseiller Villien217 a mis fin à la division doctrinale, en
précisant dans le rapport de la Cour de cassation pour l’année 1999,
que le maître de l'ouvrage qui a indemnisé la victime, peut être
subrogé dans ses droits contre le constructeur.Il
faut souligner qu’actuellement, la jurisprudence refuse d’appliquer la
subrogation in futurum. En d’autres termes, pour profiter des effets de
la subrogation, celui qui l’invoque doit au préalable rapporter la
preuve du paiement qu’il a effectué entre les mains de celui dans les
droits duquel il veut être subrogé : une promesse de paiement ne suffit
pas. En définitive, la possibilité d’exercer le recours subrogatoire va
dépendre de l’indemnisation préalable de la victime, mais il reste tout
à fait envisageable.Pour
que le maître de l'ouvrage puisse être subrogé dans les droits et
actions de la victime, il faut que la procédure se déroule en deux
temps. Il doit indemniser la victime et ensuite faire un recours contre
les constructeurs. Mais le plus souvent il n’en est pas ainsi : la
victime appelle son voisin qui appelle en garantie ses constructeurs.
Dans ce cas, on se heurte à
la prohibition de la subrogation in futurum retenue par la
jurisprudence, sous réserve, peutêtre de certains cas liés au contrat
d’assurance : pas de subrogation tant que le paiement n’a pas eu lieu.218En
effet, en vertu de l’article L. 121-12 du code des assurances,
l’assureur de dommages dispose d’une subrogation légale dans les droits
de son assuré à l’encontre de tout tiers responsable envers ce même
assuré. Mais le texte est formel, qui subordonne cette subrogation au
fait que l’assureur ait préalablement indemnisé son assuré. De ce fait
on en a longtemps déduit que, si cette condition n’était pas remplie,
l’action subrogatoire était irrecevable.Mais,
dans un arrêt du 9 octobre 2001,219 l’assureur qui n’avait pas encore
indemnisé la victime, demandait à être subrogé dans ses droits contre
les responsables en s’appuyant sur l’article 126 du nouveau code de
procédure civile. Aux termes de cet article, une irrecevabilité peut
être écartée, si la cause de la fin de non-recevoir a disparu au moment
où le juge statue. Donc, l’assureur est considéré comme ayant
valablement exercé son action subrogatoire, même s’il n’a pas encore
réglé son assuré lorsqu’il l’intente, dès lors que le paiement est
intervenu avant que le juge statue. C’est en ce sens que la Cour de
cassation casse l’arrêt de la cour d'appel qui déclare irrecevable la
demande de l’assureur. M. Durry220 approuve cette solution lorsqu’il
énonce qu’en matière d’assurance construction, les déclarations de
sinistre sont souvent faîtes à la fin de la période décennale, ce qui
obligerait l’assureur de dommages à payer la victime sur-le-champ pour
échapper à la prescription, alors qu’il est en droit d’étudier le
dossier avant de se prononcer sur sa garantie. Il ajoute que cette
solution s’applique également à l’assureur de responsabilité, qui
bénéficie de la subrogation légale, chaque fois qu’il y a lieu
d’envisager un recours contre un co-responsable. Enfin, la
régularisation est possible, pourvu qu’elle intervienne avant que le
juge statue, que ce soit devant le tribunal ou la cour d'appel. En
revanche, naturellement, au stade de la cassation, ce serait trop tard.Certains
auteurs, comme M. Jourdain, ont tenté d’assimiler cette solution au
recours du maître de l'ouvrage contre le constructeur. En effet, en
l’état actuel de la jurisprudence, en l’absence d’indemnisation des
victimes, le maître de l'ouvrage ne peut exercer un recours de nature
subrogatoire, la subrogation étant subordonnée à un paiement
préalable.221 Dès lors, le maître de l'ouvrage devait se contenter d’un
recours personnel de nature contractuelle, ce qui218 Cass. 1re civ., 24 mars 1992, Bull. civ. n° 91, p. 60.
219 Cass. 1re civ., 9 oct. 2001, RDI janv./févr. 2002 p. 31-32, obs. Durry. 220 Obs. Durry, Ibid.
221 Obs. Jourdain (P.), RTD civ. 2001, p. 315.
222 Cass. 1re civ., 18 mars 2003, RTD civ. juill./sept. 2003 p. 514 et suiv., obs. Jourdain.
223 Cf. supra.implique
en principe, sauf engagement spécial de l’entrepreneur, la preuve de la
faute de celui-ci. Or, dans l’arrêt de la première chambre civile de la
Cour de cassation en date du 18 mars 2003,222 un tel engagement
existait puisque l’entrepreneur s’obligeait à garantir le maître contre
le recours des tiers. Et comme nous l’avons déjà énoncé,223 en présence
de la clause d’exclusion d’assurance, l’entrepreneur ne pouvait
l’opposer à son assureur.C’est
pour cette raison essentielle que M. Jourdain préconise d’admettre une
subrogation légale anticipée lorsqu’un co-responsable de dommages est
assigné par la victime. En effet, cette solution aurait pour mérite de
régler dans un même procès la question des recours en contribution en
les fondant sur la subrogation légale, sans distinguer selon qu’un
paiement est ou non intervenu. Du point de vue de l’assurance, la
possibilité d’une condamnation immédiate fondée sur la subrogation
tiendrait en échec les clauses d’exclusion de garantie pour des
engagements contractuels excédant la responsabilité de droit commun.S’il
est incontestable que la subrogation suppose normalement un paiement,
la question du fondement de la subrogation est controversé.Paragraphe II : La question controversée du fondement de la subrogationLe
maître de l’ouvrage qui a indemnisé le voisin victime est subrogé dans
ses droits et actions contre les constructeurs. Le fondement de la
subrogation du maître de l’ouvrage est donc fonction des actions dont
dispose le voisin contre les constructeurs.Ce
voisin victime peut rechercher la responsabilité des constructeurs sur
le fondement de l’article 1382 du code civil, qui exige de rapporter la
preuve d’une faute, ou sur le fondement de l’article 1384 du même code,
en sa qualité de gardien de la chose, ou encore depuis peu sur le
fondement des troubles anormaux de voisinage.Dès lors, est-ce que le maître de l’ouvrage peut être subrogé contre les constructeurs sur ces différents fondements ? Pour
le savoir, nous allons présenter dans un premier temps, la subrogation
sur le fondement de la faute et de la garde, avant d’étudier la
question délicate de la subrogation sur le fondement des troubles de
voisinage.A. Subrogation fondée sur la faute ou la garde de la chosePlutôt
que d’exercer son action récursoire sur le fondement du contrat, le
maître de l'ouvrage a tout intérêt à se prévaloir de la subrogation.Pouvoir
invoquer la faute délictuelle des constructeurs ne présente pour le
maître de l'ouvrage aucun avantage par rapport à l’action dont il
dispose déjà au plan contractuel.En
revanche, il a tout intérêt à exercer un recours subrogatoire sur le
fondement de la garde, car il bénéficie alors de la présomption de
responsabilité qui pèse sur le gardien et qui ne tombe que devant la
preuve de la cause étrangère, mais la jurisprudence est très réticente à l’admettre.224La
question qui se pose alors est de savoir si le maître de l'ouvrage peut
bénéficier d’un tel recours. Pour que le maître de l'ouvrage puisse en
bénéficier, encore faut-il que le voisin ait effectivement disposé de
cette action contre les constructeurs. Or, si la jurisprudence l’a
admis dans un premier temps, elle se montre très réticente à l’admettre
aujourd’hui. En effet, toutes les demandes fondées sur la garde sont en
général rejetées au motif qu’il n’est pas démontré que l’entrepreneur
avait l’usage, la direction et le contrôle du chantier. C’est pour
cette raison essentielle, que ce fondement est difficilement admis par
la jurisprudence lorsqu’il s’agit d’un recours subrogatoire.Ainsi,
ce recours n’était pas admis par la deuxième chambre civile de la Cour
de cassation225, en revanche, il l’était par la troisième chambre.226
Puis, la troisième chambre n’a admis sur ce fondement qu’un recours
partiel.227 Par la suite, elle a écarté le recours au motif que
l’entrepreneur et le maître de l'ouvrage étaient contractuellement
liés,228 mais c’était dans224
Cass. 3e civ., 28 nov. 2001, RDI 2002, p. 90, obs. Malinvaud ; D. 2002,
juris. p. 3299, note Rabreau ; RTYD civ. 2002, Chron. p. 315, obs.
Jourdain.
225
Cass. 2e civ., 17 nov. 1970, JCP. 1971. II. p. 16748 ; 31 janv. 1973.
Bull. civ. II, n°38. 226 Cass. 3e civ., 9 nov. 1982, Bull. civ. III,
n°82.
227 Cass. 3e civ., 6 mars 1991, JCP 1991. IV. p. 173.
228
Cass. 3e civ., 24 mars 1999, D. 1999. IR. p.111 ; RTD civ. 1999, p.
640, obs. P. Jourdain; RDI 1999 p. 412, obs. P. Malinvaud. une
hypothèse où le maître de l'ouvrage n’avait pas encore indemnisé le
tiers voisin si bien qu’il ne pouvait invoquer le bénéfice de la
subrogation.La
Cour de cassation semble vouloir écarter toute application de l’article
1384, alinéa 1, en matière de troubles de voisinage, même si à ce jour
elle ne l’a pas encore affirmé clairement. Ainsi, par exemple, dans
l’arrêt du 24 mars 1999229, la Cour de cassation a toutefois écarté le
recours du maître de l'ouvrage sur le fondement de la garde dans les
termes suivants : « mais attendu, d’une part, que l’entrepreneur et le
maître de l'ouvrage étant contractuellement liés, la Cour d'appel a
retenu, à bon droit, que c’était en vain que ce dernier invoquait à
l’appui de son action en garantie, une présomption de responsabilité à
l’encontre de l’entrepreneur, au motif que celui-ci avait la garde du
chantier. »Par
ailleurs, depuis que la Cour de cassation a ouvert un recours aux
voisins contre le constructeur sur le fondement de la théorie des
troubles anormaux de voisinage, une nouvelle question se pose à savoir
si le maître de l'ouvrage condamné à l’égard du voisin sur le fondement
de cette théorie peut exercer un recours subrogatoire contre
l’entrepreneur sur ce même fondement.B. Subrogation fondée sur les troubles de voisinageLa
Cour de cassation, dans un arrêt du 21 juillet 1999, admet
implicitement le principe du recours subrogatoire du maître de
l'ouvrage contre le constructeur sur le fondement de la théorie des
troubles anormaux de voisinage puisqu’elle casse l’arrêt d’appel qui
avait écarté ce recours au motif que le maître de l'ouvrage ne
démontrait pas l’existence d’une faute de l’entrepreneur au visa du
principe selon lequel : « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage230 ».Selon
la doctrine unanime, dont M. Malinvaud ou M. Jourdain ou encore M.
PerinetMarquet, le maître de l'ouvrage ne peut être subrogé sur le
fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage contre le
constructeur. En effet, cette théorie n’est pas destinée à répartir la
dette entre eux, mais permet un recours pour le tout contre le
constructeur. L’admission de la subrogation sur ce fondement ferait du
maître de l'ouvrage non pas un coauteur mais un garant. Comme nous
l’avons précisé, lorsque le coauteur fait une action en contribution à
la dette, c’est pour demander au juge qu’il répartisse la dette entre229 Cass. 3e civ., 24 mars 1999 : Bull. civ. III, n° 74 ; RDI 1999 p. 412 ; RTD civ. 1999 p. 640.
230
Cass. 3e civ., 21 juill. 1999, Bull. civ. III, n°182; RDT civ. 2000, p.
120, obs. P. Jourdain; RDI 1999 p. 656, obs. P. Malinvaud. 231
Cass. 1re civ., 18 sept. 2002, RDI jan./Févr. 2003 p. 96-97, note
Malinvaud. 232Cass. 3e civ., 24 sept. 2003, RDI nov./déc. 2003
p.582-583, note Malinvaud.
eux
à proportion de leur responsabilité. Or, la responsabilité pour
troubles anormaux de voisinage est une responsabilité objective, qui
est par nature étrangère de la notion de faute. Par contre, si le
maître de l'ouvrage est garant du constructeur, il peut se retourner
contre ce dernier à ce moment là pour le tout.De
plus, admettre ce fondement, c’est faire peser la contribution à la
dette sur les constructeurs et non plus sur le maître de l'ouvrage.
C’est dire que le fondement de l’obligation de réparer le dommage
anormal de voisinage pourrait osciller vers un fondement personnel et
non plus vers un fondement réel.Par
la suite, la première chambre civile de la Cour de cassation, toujours
au visa du même principe, a confirmé de manière non équivoque cette
jurisprudence implicite. En effet, c’est dans un arrêt en date du 18
septembre 2002 que la Cour casse l’arrêt de la Cour d’appel qui avait
estimé « que l’action contre l’entrepreneur pour troubles de voisinage
est réservée aux tiers lésés dans les droits duquel le maître de
l'ouvrage ne peut prétendre êtresubrogé ».231Enfin,
c’est dans un arrêt du 24 septembre 2003, que la troisième chambre
civile de la Cour de cassation admet cette fois sans équivoque et de
manière explicite la possibilité pour le maître de l'ouvrage d’être
subrogé sur le fondement des troubles de voisinage contre les
constructeurs.232 En effet, la Cour constate la subrogation du maître
de l'ouvrage dans les droits du voisin désintéressé et décide qu’il
était bien fondé « à recourir contre les constructeurs et leurs
assureurs sur le fondement du principe prohibant les troubles anormaux
de voisinage, qui ne requiert pas la preuve d’une faute ».Face
à cette jurisprudence commune aux deux chambres, on peut en déduire que
les constructeurs doivent relever le maître de l'ouvrage des
condamnations que ce dernier pourrait encourir à l’égard des voisins
pour troubles anormaux de voisinage.S’il
ne fait plus aucun doute que le maître de l'ouvrage peut être subrogé
dans les droits et actions du voisin contre le constructeur sur le
fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage, la question
reste entière de savoir si le recours doit être total ou partiel. Ces
trois arrêts cités n’abordent pas cette question.S’agissant
d’une responsabilité objective, sans lien avec la notion de faute, on
ne pourrait procéder à un partage en fonction de la gravité des fautes
respectives.Mais
alors sur quelle base opérer ce partage ? Faut-il faire un partage par
moitié au motif qu’il s’agit d’une présomption de responsabilité ? Ou
bien faut-il distinguer suivant que 233 Obs. Malinvaud, Ibid.le
trouble est dû à l’exécution des travaux auquel cas il resterait à la
charge de l’entrepreneur seul, ou de la décision même de construire,
auquel cas il resterait à la charge du maître de l'ouvrage ?En
effet, selon M. Malinvaud,233 tout doit dépendre des circonstances de
fait ou de droit. C’est selon la nature des dommages causés par la
construction, que l’on peut apporter une réponse à cette question.
Ainsi, concernant les troubles liés à la seule présence de l’immeuble
nouvellement construit, on imagine assez mal que le constructeur puisse
être condamné à l’égard du voisin pour troubles anormaux de voisinage.
Si la preuve de la faute n’est pas nécessaire en matière de troubles
anormaux de voisinage, en revanche, la preuve du lien de causalité
ainsi que du dommage est indispensable. Dès lors, si la position de
l’immeuble nouvellement construit crée un trouble qui excède les
inconvénients normaux de voisinage, les voisins victimes ne peuvent
imputer cette responsabilité qu’à la personne qui a pris la décision de
construire, c’est à dire, au maître de l'ouvrage, et non pas à celle
qui a exécuté un ouvrage conformément à un contrat de louage d’ouvrage.
Cette solution ne peut s’appliquer que si les constructeurs n’ont pas
manqué à leur obligation de conseil.En
revanche, concernant les inconvénients causés par l’activité de
chantier et pour les désordres causés à l’immeuble contigu, ils doivent
peser sur les constructeurs. En effet, dans les deux cas ces nuisances
sont le fait des constructeurs et non du maître de l'ouvrage.Ensuite,
la subrogation sur le fondement des troubles anormaux de voisinage pose
un autre problème. En effet, si tant le maître de l'ouvrage que
l’entrepreneur peuvent être condamnés sur le fondement de la théorie
des troubles anormaux de voisinage, on pourrait imaginer que l’un comme
l’autre peuvent être subrogé dans les droits et actions de la victime
des nuisances. C’est dire que le constructeur qui a été condamné pour
troubles de voisinage envers le voisin-victime peut valablement exercer
un recours subrogatoire contre le maître de l'ouvrage, à la condition
de l’avoir indemnisé au préalable, sur le fondement de cette même
théorie.Enfin,
et à défaut de partage, cela signifierait que le maître de l'ouvrage ou
le constructeur qui est subrogé dans les droits et actions du voisin
peut se retourner contre l’autre pour le tout. Par voie de conséquence,
la contribution définitive à la dette est fonction de la décision des
plaideurs d’assigner le constructeur ou le maître de l'ouvrage. Cette
solution ne paraît pas satisfaisante, d’autant plus que la
jurisprudence a tendance à vouloir faire peser la réparation des
troubles de voisinage sur le maître de l'ouvrage propriétaire de
l’immeuble. En effet, comme nous l’avons montré, ce n’est
qu’exceptionnellement que le constructeur va assumer cette charge à
titre définitif, sauf convention contraire. C’est pour ces raisons que
M. Malinvaud234 exclu la possibilité d’un recours total.Dès
lors il serait peut être opportun soit de mettre un terme à la
technique de la subrogation en ce domaine comme dans le domaine des
recours entre constructeurs, soit de la limiter à l’un ou à l’autre des
protagonistes. M. Malinvaud préconise d’écarter la subrogation, comme
c’est le cas dans les rapports des constructeurs entre eux, et de
statuer sur le fondement de la faute.235 Il ajoute enfin, qu’en
l’absence de toute faute des constructeurs, la charge de la réparation
doit rester sur la tête du maître de l'ouvrage : « Ubi emolumentum ibi
onus ».236De
cette solution va dépendre l’intention des tribunaux de faire peser la
charge définitive des troubles de voisinage sur le maître de l'ouvrage
propriétaire de l’immeuble ou sur les constructeurs. C’est dire doit-on
accorder la prééminence au titulaire du droit de propriété ou à
l’auteur des troubles pour la réparation des troubles anormaux de
voisinage. Au vue des développements précédents, il semblait que
l’intention des juges était de faire peser la réparation des troubles
anormaux de voisinage sur le propriétaire et non sur l’auteur des
nuisances. Cette remarque est d’autant plus pertinente qu’elle est
confirmée par un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de
cassation en date du 11 mai 2000,237 qui fait peser la responsabilité
des troubles anormaux de voisinage non pas sur le maître de l'ouvrage
qui est à l’origine des travaux mais sur le nouveau propriétaire de
l’immeuble. Si cette jurisprudence est confirmée dans le futur, elle
montre bien l’attachement des juges à la nature réelle de l’obligation
de réparation des troubles anormaux de voisinage.Seulement,
en permettant la subrogation du maître de l'ouvrage sur le fondement
des troubles de voisinage contre les constructeurs, la jurisprudence
fait peser la charge de ces troubles sur les constructeurs et non plus
sur le propriétaire. Est-ce que cette variation signifie que
l’obligation de réparation des troubles anormaux de voisinage peut
avoir dans certains cas une nature réelle et dans d’autres une nature
personnelle ?234 Obs. Malinvaud, Ibid.
235 Cass. 3e civ., 21 juill. 1999: RDI 1999, p. 656, obs. Malinvaud.
236 Roland (H.) et Boyer (L.), Adages du droit Français, 4e éd., n° 452.
237 Cass. 3e civ., 11 mai 2000 : RDI juill./sept. 2000 p. 314 et suiv. note Bruschi.
Si
dans le passé, la nature de l'obligation de réparation de ces troubles
a oscillé entre ces deux fondements, doit-elle dépendre aujourd'hui de
la décision des plaideurs d'assigner le maître de l'ouvrage ou les
constructeurs 238 Cass. 3e civ., 30 juin 1998, Bull. civ. III, n° 144 ; RDI 1998 p. 647, obs. Malinvaud.CONCLUSIONAu
fil des années, la jurisprudence a abandonné les visas des articles 544
et 1382 du code civil au profit du principe selon lequel « nul ne doit
causer à autrui un trouble de voisinage ». Cette pratique, qui permet à
la Cour de cassation d’énoncer un principe sans aucune mention à un
article, fait suite au développement des principes généraux. La théorie
des troubles anormaux de voisinage est donc autonome des autres régimes
de responsabilité.Mais,
compte tenu de l’application particulière de cette théorie au domaine
de la construction, on se demande si elle ne déclare pas son autonomie
envers la théorie des troubles anormaux de voisinage du droit commun ?En
effet, cette théorie a été à l’origine conçue pour régler les rapports
entre propriétaires riverains. Avec l’extension de la notion de voisin
aux constructeurs, la théorie peut s’appliquer dans les rapports
voisins victime et constructeurs responsables du trouble. On arrive
donc à une déformation de la théorie des troubles de voisinage. La
déformation est telle que l’obligation de réparation des troubles
anormaux de voisinage est passée d’un fondement réel à un fondement
personnel.Cette
affirmation est ensuite corroborée par le fait qu’en permettant au
maître de l'ouvrage qui a indemnisé la victime d’être subrogé dans ses
droits et actions contre les constructeurs sur le fondement des
troubles anormaux de voisinage, la jurisprudence veut faire peser la
charge définitive de ces troubles sur les constructeurs. C’est dire que
l’obligation de réparer les troubles anormaux de voisinage a bien un
fondement personnel. En effet, cette théorie met en place un régime de
responsabilité objective qui est indifférent à la notion de faute, et
par voie de conséquence inadapté pour permettre une répartition à la
dette, ce qui fait que le maître de l'ouvrage peut être subrogé pour le
tout contre les constructeurs. C’est parce que la jurisprudence a
étendu la notion de voisin aux constructeurs, que le maître de
l'ouvrage peut être subrogé sur le fondement de la théorie des troubles
anormaux de voisinage. En effet, pour que le maître de l'ouvrage puisse
être subrogé sur le fondement de cette théorie contre les
constructeurs, il fallait que le voisin victime détienne une action sur
ce fondement contre les constructeurs, ce qu’il n’avait pas jusqu’à un
arrêt du 30 juin 1998.238 Pour
M. Malinvaud, l’extension de la théorie aux constructeurs est la
conséquence du rejet du fondement de l’article 1384, alinéa 1er contre
ces derniers. Le fondement de la garde contre les constructeurs
présente peut être plus d’inconvénients que celui des troubles anormaux
de voisinage. En effet, à la différence des troubles anormaux de
voisinage, ce régime de responsabilité permet la réparation de toutes
nuisances y compris celles qui n’excèdent pas les inconvénients normaux
du voisinage. C’est dire que le fondement de la garde faisait peser sur
les constructeurs une responsabilité quasi-automatique.D’un
autre côté, à défaut d’être subrogé dans les droits du voisin victime,
le maître de l'ouvrage n’a plus que le choix d’agir sur le fondement
contractuel. En effet, depuis un arrêt du 24 mars 1999, la 3e chambre
écarte le fondement délictuel de l’action du maître de l’ouvrage pour
retenir un fondement de nature contractuelle.239 Le maître de l'ouvrage
doit rapporter la preuve d’une faute contractuelle du constructeur pour
pouvoir se retourner contre lui. Cette solution, même si elle paraît
sévère, puisque la preuve de cette faute est difficile à rapporter, est
conforme à l’intention des juges de faire peser la réparation des
troubles anormaux de voisinage sur le maître de l'ouvrage propriétaire
de l’ouvrage. La nature réelle de l’obligation de réparation des
troubles anormaux de voisinage a été confortée par un arrêt du 11 mai
2000,240 qui fait peser la responsabilité des troubles anormaux de
voisinage non pas sur le maître de l'ouvrage qui est à l’origine des
travaux mais sur le nouveau propriétaire de l’immeuble. En effet, cette
jurisprudence fait des troubles anormaux de voisinage une obligation
propter rem, c’est à dire que la réparation de ces troubles incombe non
au maître de l'ouvrage qui a pris la décision de construire, mais au
propriétaire successif du bien.Quoi
qu’il en soit, il semble aujourd’hui que l’obligation de réparer les
troubles anormaux de voisinage oscille plutôt en faveur d’un fondement
personnel.Enfin,
il faut prendre quelques précautions, puisque la jurisprudence permet
aux constructeurs responsables des nuisances d’être assignés sur le
fondement des troubles anormaux de voisinage. En effet, comme nous
l’avons démontré, on peut tout à fait imaginer que le constructeur qui
a indemnisé le voisin victime puisse être subrogé dans ses droits et
actions contre le maître de l'ouvrage sur le fondement de la théorie
des troubles anormaux de voisinage. Et, comme pour le maître de
l'ouvrage, le constructeur pourrait être subrogé pour le tout. Dès lors
ce n’est plus les constructeurs qui vont assumer la charge de la
réparation des troubles anormaux de voisinage mais le maître de
l'ouvrage. C’est dire qu’on revient à un fondement réel. Cette solution
est une simple hypothèse, car la jurisprudence n’a pas encore239
Cass. 3e civ., 24 mars 1999 : Bull. civ. III, n° 74 ; RDI 1999 p. 412 ;
RTD civ. 1999 p. 640. 240 Cass. 3e civ., 11 mai 2000 : RDI juill./sept.
2000 p. 314 et suiv. note Bruschi. eu
à statuer sur la subrogation du constructeur dans les droits et actions
du voisin victime contre le maître de l’ouvrage sur le fondement de la
théorie des troubles anormaux de voisinage. Mais, puisque les juges
autorisent le maître de l’ouvrage à être subrogé contre les
constructeurs, comment pourraient-ils interdire les constructeurs
d’exercer la voie de la subrogation ?Si
cette solution est admise en jurisprudence, l’obligation de réparer les
troubles anormaux de voisinage peut avoir tantôt une nature réelle,
tantôt une nature personnelle, selon que c’est le maître de l'ouvrage
ou le constructeur qui est assigné par les voisins.Pour
conclure, nous pouvons avancer qu’avec ces différences, la théorie des
troubles anormaux de voisinage appliquée à la construction prend peu à
peu son autonomie envers celle du droit commun. BIBLIOGRAPHIE I. OUVRAGES GENERAUX-TRAITES-MANUELSATIAS (C.)« Droit civil, les biens », 7e éd. Litec groupe Lexisnexis.BERGEL (J-L.) (sous la direction de) : « Lamy droit immobilier 2004 ».BERGEL (J-L.)« Les grands arrêts du droit immobilier » ; Dalloz 2002.BERGEL (J-L.) BRUSCHI (M.) CIMAMONTI (S.)Traité de droit civil sous la direction de Jacques Ghestin ; Les biens, LGDJ 2000.DUFLOT (A.)« Le droit contentieux de la construction » ; jurisprudence judiciaire et administrative, les éditions juris-service 1996.JURIS-CLASSEUR CIVILVis Troubles de voisinage. Fasc. 265-10 et 265-20 sous les art. 1382 à 1386. Fasc. 201-50 et 224.Vo Réparation, Fasc. 170 sous les art. 1146 à 1155.JURIS-CLASSEUR RESPONSABILITE ET ASSURANCES Vis Droit à réparation, Fasc. 170 sous les art. 1146 et 1155.JURIS-CLASSEUR CONSTRUCTIONVis Troubles de voisinage, Fasc. 201-50 ; 204 et 223. Fasc. 22 sous les articles 1831-1 à 1831-5.MALINVAUD (P.)« Droit des obligations », 7e éd. Litec.MALINVAUD (P.) JESTAZ (P.)« Droit de la promotion immobilière », Précis Dalloz, 1999. LIET-VEAUX (G.) THUILLIER (A.)« Droit de la construction », Litec 1994, onzième édition.STARCK (B.) ROLAND (H.) BOYER (L.)« Obligations, responsabilité délictuelle », 5e éd. Litec.TERRE (F.) SIMLER (P.)« Droit civil, les biens », Précis Dalloz.LE TOURNEAU (P.) CADIET (L.)« Droit de la responsabilité et des contrats » ; Dalloz action 2002/2003.II. OUVRAGES SPECIAUX-THESESLE COURT (B.)« Les relations entre voisins » ; 8e éd. Delmas 2002.MALINVAUD (P.)« Droit de la construction » ; Dalloz action 2000/2001, éd. Le moniteur.MESTRE (J.)« La subrogation personnelle », préface Kayser, Tome 160, L.G.D.J., 1979.ZAVARO (M.)« L’assurance et les garanties financières de la construction », Litec, 1997.III. ARTICLES, CHRONIQUES ET NOTES DE JURISPRUDENCEBERGEL (J-L.)-
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« Fondement du recours du maître de l’ouvrage contre les constructeurs
: après le revirement la perplexité » ; RTD civ. jan./mars 2000 p.
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« L’extension de la théorie des troubles de voisinage :dommages à
l’immeuble contigu causés par un entrepreneur à l’occasion de travaux
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« Les troubles anormaux de voisinage et les antennes relais de
téléphone mobile : une utilisation inédite du principe de précaution en
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cassation en date du 18 mars 2003 ; RDI mai/juin 2003 p. 284-285.-
Observations sous l’arrêt de la 3e chambre civile de la Cour de
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Observations sous l’arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de
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« Des conditions de la subrogation personnelle et de l’éventuelle
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débiteur » ; RTD civ. juill./sept. 2001 p. 592-595.MEVOUNGOU NSANA (R.)- « Le préjudice causé par un ouvrage immobilier : réparation en nature ou par équivalent ? » ; RTD Civ. 1995 p. 721-781.MODERNE (F.)- « La responsabilité du maître de l’ouvrage : rapport de synthèse » ; RDI nov./déc. 2002 p. 500-506.NEMO (P.)-
Observations sous l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 9
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cassation en date du 24 avril 2003 et de la 1re chambre civile de la
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Les nuisances sonores émanant d’un chantier : principes et conséquences
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Régime applicable à l’action récursoire du maître de l’ouvrage contre
l’entrepreneur, à la suite des troubles de voisinage occasionnés par un
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mai 2002 p.857-861.PORCHERON (S.)Observations sous l’arrêt de la 23e chambre de la Cour d’appel de Paris en date du 23 oct. 2002 ; AJDI jan. 2003 p. 60.RIVERA (P.)« Vers un transfert des risques inhérents à l’acte de construire » ; Gaz. pal.14-16 mai 2000, doctrine p. 2.SAINT-ALARY-HOUIN (C.)-
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L’alourdissement du devoir d’information et de conseil du professionnel
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6 févr. 2002 ; RDI nov./déc. 2002 p. 524-525.VILLIEN (P.)«
Vers une unification des régimes de responsabilité en matière de
troubles de voisinage dans la construction immobilière » ; RDI
juill./sept. 2000 p. 275-278. IV. RAPPORTS-DEBATS PARLEMENTAIRESVILLIEN (P.)Rapport de la Cour de cassation de l’année 1999 ; la documentation française. INDEX ALPHABETIQUE AAbus de droit, 39Action
directe contractuelle, 68 Action récursoire, 67 Action récursoire
faute, 75 Action récursoire fondement, 68 Action récursoire régime, 73
Anormalité du trouble durée, 27 Anormalité du trouble gravité, 27
Appréciation in concreto, 26 Assurance, 62Assurance de dommages, 65 Assurance de responsabilité, 65 Assurance opposabilité des clausesexclusives de responsabilité, 63 Ateur, 20Autorisations administratives, 39CClause de garantie, 59conditions de l'action récursoire, 74 Contrat, 59Contrat règlement de la charge définitive de la dette, 60DDémolition, 30 Dommage, 23 Dommage anormal, 25 Dommage permanent, 24 Dommages-intérêts, 32EExonération du maître de l'ouvrage, 36FFait d'un tiers, 40Faute de la victime, 37 Faute du constructeur, 43GGarde, 45NNuisances durables, 24 Nuisances répétitives, 24RRéparation, 28Réparation en nature, 29Réparation en nature mesures qui tendent àréduire le dommage, 29 Réparation par équivalent, 32SServitude, 39Solidarité in solidum, 13 Subrogation, 79 Subrogation conditions, 79 Subrogation faute, 83 Subrogation garde de la chose, 84TTroubles, 23VVictime, 18Voisinage, 17Voisinage (troubles anormaux du)constructeur, 51 TABLE DES MATIERESINTRODUCTION 3PREMIERE PARTIE : 13L’OBLIGATION À LA DETTE 13Section I : 16La responsabilité du maître de l’ouvrage pour troubles de voisinage 16Paragraphe I : 17Les conditions de mise en jeu de cette responsabilité 17A. La notion de voisinage 171. Le voisin victime 182. Le voisin auteur 20B. La notion de trouble 231. La nécessité d’un dommage 232. Les caractéristiques du dommage 24Paragraphe II : 27La réparation des troubles anormaux de voisinage 27A. Les modes de réparation 281. Le principe de la réparation en nature 292. Le domaine résiduel de la réparation par équivalent 32B.
Les causes d’exonérations du maître de l’ouvrage 36
1. Les causes d’exonérations admissibles en matière de troubles
anormaux devoisinage 372. L’irrecevabilité des autres causes d’exonération 39Section II : 41La responsabilité des constructeurs pour troubles de voisinage 41Paragraphe I : 42La diversité des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage 42A. Les fondements retenus contre les constructeurs 421. La responsabilité du constructeur pour faute 432. La responsabilité du constructeur sur le fondement de la garde 44B. L’exclusion du fondement de l’article 1384 alinéa 1er 461. Le rejet de ce fondement juridique par la Cour de cassation 462. Les conséquences du rejet de ce fondement 47Paragraphe II : 48L’unification des régimes de responsabilité en matière de troubles de voisinage 48A.
L’extension de l’application de la théorie aux
constructeurs 49 1. La responsabilité du maître de
l’ouvrage fondée sur le fondement des troublesanormaux de voisinage : « une solution acquise depuis longtemps » 492. L’extension de la notion de voisin aux constructeurs 51B. Les conséquences de cette unification 531. Les conséquences quant aux constructeurs 532. Les conséquences quant à la détermination de l’auteur du trouble 54 DEUXIEME PARTIE : 57LA CONTRIBUTION A LA DETTE 57Section I : 59Les recours fondés sur le contrat 59Paragraphe I : 59Les
recours fondés sur une clause de garantie 59 A. Le
règlement de la charge définitive des troubles de voisinage entre le
maître del’ouvrage et le constructeur 60B. Le problème de l’intervention de l’assureur appelé en garantie 621. Opposabilité des clauses d’exclusion de garantie 622. La garantie des troubles de voisinage par l’assurance 64Paragraphe II : 66Les recours contractuels en l’absence d’une clause de garantie 66A. Le fondement de l’action récursoire du maître de l’ouvrage 67B. Régime de l’action récursoire du maître de l’ouvrage 72Section II : 78Les recours subrogatoires 78Paragraphe I : 79Les conditions de la subrogation 79Paragraphe II : 82La question controversée du fondement de la subrogation 82A. Subrogation fondée sur la faute ou la garde de la chose 83B. Subrogation fondée sur les troubles de voisinage 84CONCLUSION 89BIBLIOGRAPHIE 92INDEX ALPHABETIQUE 100TABLE DES MATIERES 101