LES MOYENS DE DÉFENSE DU DÉBITEUR : L'exception tirée du calcul des intérêts de retard
Cette contestation ne doit pas être négligée car les sommes réclamées de ce chef, en sus du principal, et non calculées dans le titre, font généralement l'objet d'une demande de paiement à l'occasion de la procédure de saisie. Leur montant s'avère parfois élevé, voire supérieur au principal et les erreurs sont fréquentes, ne serait-ce qu'en raison de la complexité des modes de calcul, ce qui explique le caractère parfois fantaisiste de certaines demandes de ce chef contenues dans des procès-verbaux de saisie-attribution ou de saisie-vente. Au surplus, les décisions de justice ne sont pas toujours explicites quant à la détermination du taux, de l'assiette et du point de départ applicables. Il n'est en effet pas rare de voir de nombreux jugements se borner à condamner au paiement des intérêts de droit sans autre précision. Ce qui induit des contentieux devant le juge de l'exécution qui doit alors vérifier la pertinence du chiffrage revendiqué.
Distinction des intérêts moratoires et compensatoires. - Rappelons qu'il convient de distinguer les intérêts moratoires des intérêts compensatoires.
- Les intérêts compensatoires sont destinés à réparer le caractère anormal du retard mis par le débiteur à s'acquitter de sa dette (C. civ., art. 1153, al. 4). Ils prennent la forme de dommages et intérêts eux-mêmes ouvrant droit à intérêts moratoires.
- Les intérêts moratoires réparent un préjudice dû au retard du débiteur dans le paiement d'une somme d'argent (C. civ., art. 1153, al. 1).
On exclura de cette étude les intérêts conventionnels dont le fondement repose sur les articles 1134, 1147 et 1149 du Code civil et qui sanctionnent à titre de dommages et intérêts, l'inexécution de l'obligation ou le retard dans l'exécution. Dans cette hypothèse, la mise en demeure n'est pas une condition du droit aux intérêts (Cass. 1ER civ., 24 juin 1997, Bull. civ. 1, no 210).
Intérêts moratoires et jugement déclaratif. - Lorsque le jugement est déclaratif, c'est-à-dire qu'il se borne à constater une créance stipulée dans un contrat, le point de départ des intérêts est fixé par le juge à compter de la date de la demande en justice ou, le cas échéant, de celle de la mise en demeure, même si le montant de la créance déterminée par le juge est différent de celui initialement réclamé.
En matière civile, la mise en demeure résulte d'une sommation ou d'une lettre missive s'il en ressort une interpellation suffisante (commandement, assignation, lettre recommandée avec accusé de réception - LRAR). En matière commerciale, la mise en demeure résulte de toute manifestation de volonté du créancier réclamant le paiement (lettre dont il est avéré qu'elle a été reçue par le débiteur ou lettre recommandée).
Il existe cependant des exceptions tenant au fait que la loi fait courir les intérêt moratoires de certaines créances à partir d'un événement différent. C'est ainsi que le point de départ des intérêts moratoires court :
- en matière de chèques impayés, à compter de la présentation au paiement (D.-I 30 oct. 1935, art. 45);
- en matière de lettres de change et billets à ordre, à compter de l'échéance (C. coin. art. 152 et 185, devenus, C. com., art. L. 511-45 et L. 512-3);
- en matière de loyers, fermages, arrérages de rentes perpétuelles ou viagères, compter de l'assignation (C. civ., art. 1154 et 1155);
- en matière de répétition de l'indu, à compter du jour du paiement reçu indûment (C. civ., art. 1378);
- en matière de cautionnement, à compter du jour où la caution a payé le créancier à la place du débiteur principal (C. civ., art. 1153 et 2028);
- en matière de somme versée d'avance sur le prix d'une vente mobilière ou d'une prestation de service, à compter de l'expiration du délai de trois mois suivant le versement (C. consom., art. L. 131-1);
- en matière de loyers commerciaux, au fur et à mesure des échéances du bail (Cass. 3e civ., 23 mars 1988, Bull. civ. 111, no 62) et en matière de dépôt de garantie ou loyers payés d'avance, immédiatement pour les sommes excédant le prix de deux mois de loyer (D. no 53-96, 30 sept. 1953, art. 24);
- en matière de dépôts de garantie des baux d'habitation, à compter d'un délai de deux mois suivant la restitution des clefs (L. no 89-462, 6 juill, 1989, art. 22);
- en matière de remboursement de sommes versées suivant quittance subrogatoire en matière de contrat d'assurance, à compter de la date de la quittance (Cass. 1er civ., 26 févr. 1991, Gaz. Pal. 10-11 juill. 1991, p. 12).
Intérêts moratoires et jugement constitutif. - Lorsque le jugement est constitutif, c'est-à-dire qu'il donne lui-même naissance à la créance (réparation d'un quasi délit ou d'un délit), le point de départ des intérêts est fixé par le juge à compter de la décision qui donne naissance à la créance, à moins qu'il n'en décide autrement et sans qu'il soit tenu de motiver sa décision sur ce point (C. civ., art. 1153-1; - Cass. l'C civ., 16 mars 1999, Gaz. Pal. 4-6 juill 1999, p. 15; - Cass. coin., 15 mars 2000, Gaz, Pal. 27-29 avr. 2000, p. 1). Il s'agit là d'une faculté. Si le juge omet de le préciser et même si le créancier ne le demande pas, les intérêts sont néanmoins dus par le débiteur à compter de jugement, sauf disposition contraire de la loi. En effet, en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal, même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement (Cass. 21 civ., 6 mai 1999, Bull. inf C. cass ler août 1999, no 956, à propos d'une indemnité allouée au titre de l'article 700 NCPC.
630 Intérêts moratoires et restitution des sommes détenues en vertu d'une décision de justice exécutoire. - En vertu de l'article 1153, alinéa 3 du Code civil, la partie qui doit restituer une somme par elle détenue en vertu d'une décision de justice exécutoire, n'en doit les intérêts au taux légal qu'à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution (Cass. ass plén 3 mars 1995, Gaz. Pal. 1995, 17-18 mai, p. 16; - Cass. coin., 24 fév 1998, D. Affaires 1998, p. 534). La Cour de cassation précise que, en cas de cassation, c'est l'arrêt de renvoi qui constitue la décision ouvrant droit à restitution (Cass. coin., 20 janv. 1998, D. 1998, p. 261, obs. Cotin). Il en résulte que la partie qui détient une somme en exécution d'un arrêt de cour d'appel ayant infirmé une décision des premiers juges, n'est tenue au paiement des intérêts au taux légal qu'à compter de la notification de l'arrêt de la Cour de cassation ayant censuré l'arrêt de la cour d'appel (Cass. 2e Civ. 25 juin 1997, Gaz. Pal. 1997, pan. 7). Cette notification vaut mise en demeure (Cass. 2e CiV.~ 9 déc. 1999, Procédures mars 2000, no 57, p. 7).
Calcul des intérêts moratoires. - Les intérêts moratoires sont calculés, sauf clause contractuelle spécifique, au taux légal majoré de cinq points à l'expiration du délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fut-ce par provision (L. no 75-619, 11 juill. 1975, art. 3; - sur le caractère exécutoire du jugement, v. supra no 34). Cette majoration ne s'applique qu'aux intérêts dus en vertu d'une condamnation, sous réserve que celle-ci n'ait pas été assortie de la constitution d'une garantie qui n'a pas été réalisée (Cass. 2e civ., 19 mai 1999, d 1999, IR p. 164). Elle ne concerne donc pas la liquidation judiciaire ou le renouvellement de loyer fixé par le juge.
Rappelons que la majoration de 5 points prévue par la loi du 11 juillet 1975 est applicable en cas de contentieux administratif (CE, 21 mai 1997, Procédures 1997, no 279, p. 18).
Recouvrement des intérêts moratoires des créances fixées par jugement déclaratif. - Un important arrêt du 10 mars 1998 (Cass. 1re civ., 10 mars 1998, Gaz. Pal. 19-20 août 1998, pan. 16) précise que, pour pouvoir être recouvrés par voie d'exécution, les intérêts moratoires des sommes dues au titre d'une obligation de payer (C. civ., art. 1153) doivent faire l'objet d'une disposition spéciale du titre en vertu duquel est exercée la poursuite. Il en résulte que le jugement ou l'acte notarié (pour l'essentiel) qui condamne au paiement d'une somme résultant d'une obligation de payer, soit à titre d'intérêts de retard, soit à titre de dommages et intérêts distincts, doit expressément mentionner le point de départ des intérêts. On peut supposer que la haute juridiction a voulu, en énonçant ce principe draconien, mettre un frein aux contentieux résultant de l'absence de mentions précises de ce chef. Il appartient alors aux parties et aux rédacteurs des actes de faire preuve de la plus grande vigilance dans la détermination de ce point de départ. Néanmoins, par un arrêt du 17 juin 1999, la Cour de cassation, statuant dans le cadre d'un contentieux d'opposition à commandement de payer à fin de saisie vente ayant inclus les intérêts légaux d'une indemnité de licenciement à compter du jour de la demande, malgré l'omission du jugement, admet que le juge de l'exécution constate, par une simple précision, qu'en vertu de l'article 1153 du Code civil, les intérêts sont effectivement dus de plein droit à compter de la demande en justice, conformément aux pouvoirs qu'il tient de l'article L. 311-12-1 du Code de l'organisation judiciaire (Cass. 2e civ., 17 juin 1999, RTD com. 1999, p. 707; JCP éd. G 1999, IV, 2499; Bull. civ. II, no 121).
Intérêts moratoires et victimes d'accidents de la circulation. - Une exception notable concerne les indemnités versées aux victimes d'accidents de la circulation : le taux légal est majoré de moitié pendant deux mois, puis est doublé, lorsque l'offre obligatoire d'indemnité, devenue définitive, n'a pas été versée dans le mois qui suit. Le taux légal est majoré de 50 % à l'expiration d'un délai de deux mois et doublé à l'expiration d'un délai de quatre mois, à compter du jour de la condamnation lorsqu'elle est contradictoire, et dans tous les autres cas, à compter de sa notification (L. no 85-677, 5 juill. 1985, art. 21; - C. assur. art. L. 216-6 et L. 216-17).
Quant à l'omission de l'offre obligatoire d'indemnité dans les huit mois de l'accident, elle est sanctionnée par la production d'intérêts au double de l'intérêt légal du chef de l'indemnité ultérieurement offerte ou judiciairement fixée, à l'issue de ce délai de huit mois et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement définitif (C. assur., art. L. 211-13). L'assureur ne peut cependant se voir opposer ces majorations de plein droit sans avoir été appelé en la cause.
Intérêts moratoires et appel. - Lorsque la cour d'appel confirme purement et simplement la décision allouant une indemnité en réparation d'un dommage (créance constitutive), celle-ci porte intérêts de plein droit à compter du jugement de première instance. Dans les autres cas, les intérêts de cette indemnité courent à compter de la décision d'appel. Toutefois, la cour d'appel peut toujours déroger à ce principe sans avoir à motiver particulièrement sa décision de ce chef (Cass. ASS plén., 3 juill. 1992, ).
Intérêts moratoires et ouverture d'une procédure collective. - Aux termes de l'article 55, alinéa le, de la loi du 25 janvier 1985 (devenu C. com., art. L. 621-48), l'ouverture du redressement judiciaire arrête définitivement le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous les intérêts de retard et majoration des créances antérieures au jugement d'ouverture. Le jugement de liquidation qui s'ensuit ne modifie pas la mise en oeuvre du principe sus énoncé. Toutefois, ces dispositions n'interdisent pas au créancier du débiteur redevenu in bonis d'exiger le paiement des intérêts de retard (TGI Bobigny, Jex 7 oct. 1997, Gaz. Pal. 11 févr. 1998, p. 4; à propos d'un complément d'indemnité de licenciement réclamé par un salarié licencié à son ex-employeur).
La seule exception concerne les intérêts (y compris les intérêts de retard) résultant de contrats de prêts conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé pour les mêmes périodes, peu importe qu'ils aient été dénoncés ou résiliés avant l'ouverture de la procédure collective.
Ces dispositions s'appliquaient également à la caution faisant l'objet d'une procédure de redressement judiciaire. En revanche, depuis la loi no 94-475 du 10 juin 1994, les cautions et les coobligés ne peuvent plus se prévaloir de l'arrêt du cours des intérêts tel qu'énoncé par l'article 55, alinéa le, de la loi du 25 janvier 1985 (devenu C. com. art. L 621-48, al. 1).
Modalités de calcul de la durée des intérêts moratoires. - Les intérêts moratoires sont calculés en comptant l'année pour 365 ou 366 jours, selon le cas (C. civ., art. 586). Ils sont dus jusqu'au paiement de la dette.
Anatocisme. - Rappelons qu'aux termes d'une convention spéciale entre les parties ou sur simple demande formée devant le juge, les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts dès lors qu'ils sont dus pour une année entière au moins. L'anatocisme consiste à intégrer annuellement le montant des intérêts de retard dans le principal restant dû, le cumul de ces sommes produisant lui-même des intérêts.
Il importe peu que la demande soit formulée avant que l'année entière soit échue. Toutefois, le point de départ du calcul des intérêts capitalisés ne peut être antérieur à la demande (C. civ., art. 1154). Au demeurant, la capitalisation des intérêts s'accomplit sans qu'il soit nécessaire de faire une nouvelle demande à l'expiration de chaque période annuelle (Cass. 2e civ., 29 avr. 1997, D 1998, somm. p. 114).
Il s'agit là de dispositions d'ordre public qui s'appliquent aussi bien aux intérêts moratoires d'origine judiciaire que conventionnelle mais qui peuvent être écartées par le juge lorsqu'il constate la faute du créancier ou son retard dans la liquidation de la dette. Cela signifie a contrario que le juge ne peut jamais allouer d'office le bénéfice de l'anatocisme à la créance d'une partie. Lorsque la demande de capitalisation a été formée en première instance, la cour d'appel, si elle confirme la créance, est tenue de faire partir le point de départ des intérêts à compter du jour de la demande formée devant le premier juge en raison de l'effet dévolutif de l'appel (Cass. soc., 6 AVR 1994, Bull. civ. V no 135).
Intérêts du droit. - Lorsqu'une condamnation emporte l'allocation d'intérêts de plein droit, il n'est pas nécessaire de solliciter de ce chef le prononcé d'un nouveau titre exécutoire. La mention légale, que l'intérêt visé par la condamnation est produit «de plein droit », dispense de cette formalité, s'agissant d'un droit que la loi attribue à son bénéficiaire sans manifestation expresse de volonté. Tel est le cas de l'article L. 211-13 du Code des assurances qui dispose que, lorsque l'offre d'indemnité n'a pas été ite dans les délais impartis à l'article L. 211-9 du même Code son montant ou celui fixé par le juge produit intérêt de plein droit au double du taux de l'intérêt légal à compter de l'expiration du délai et jusqu'au jour de l'offre ou du jugement devenu définitif. La décision reconnaissant le droit à indemnisation et condamnant l'assureur à indemniser la victime constitue un titre suffisant lui permettant de réclamer paiement de l'intérêt susvisé dans le cadre d'une procédure d'exécution, même si le juge du fond n'a pas expressément condamné l'assureur au paiement de cet intérêt. Il importe peu à cet égard que cette pénalité puisse être réduite par le juge en fonction de circonstances non imputables à l'assureur à qui il appartient de saisir lui-même le juge du fond d'une telle demande (TGI Paris, JEX 30 nov. 1998, Cie Axa c/Fey Gaz. Pal. 7 mars 2000, p. 27).
Intérêts et prescription. - L'article 2277 du Code civil qui détermine que les actions en paiement des intérêts des sommes prêtées se prescrivent par cinq ans n'est pas applicable dans l'hypothèse de la mise à exécution d'un titre exécutoire tendant au recouvrement d'une créance comprenant à titre accessoire des intérêts (Cass. 2e civ.,19 oct 2000, JCP éd G 2000, IV, 2794; ).