Les
droits de l'occupant sans droit ni titre
Nathalie Sempé, juriste,Université de sciences sociales de Toulouse I
Les squatters aussi ont des droits. Le
propriétaire qui veut expulser les occupants irréguliers de son terrain ou de
son logement le découvre à ses dépens. D’ailleurs, il arrive que certains de
ces occupants soient de bonne foi, de faux propriétaires signant parfois un
faux bail pour percevoir de vrais loyers. Et ce n’est pas au propriétaire de se
faire justice lui-même.
Le contrat de bail traduit un accord de volonté entre
le propriétaire et le tiers1. Il confère à son titulaire le bénéfice d’un
véritable droit d’occupation qui l’autorise à jouir de la chose. Le
propriétaire ne bénéficie plus que du droit de percevoir les fruits produits par
le bien (les loyers), et du droit d’en disposer (le vendre)2.
Le droit du preneur à bail est devenu, au terme d’une
évolution législative fluctuante3, un droit très protégé4. Des lois spéciales
lui ont progressivement reconnu d’importantes prérogatives. Le droit à l’occupation d’un immeuble, distinct du droit de propriété
sur l’immeuble, a fait l’objet d’une véritable réglementation, les rapports
entre bailleurs et locataires étant régis de plus en plus étroitement. Alors
qu’auparavant, les inégalités se mesuraient par la propriété5, il semble
qu’elles transparaissent désormais au travers des modalités d’occupation, de
jouissance d’un logement, d’un local ou d’un immeuble.
Une importante innovation a été la reconnaissance du
caractère fondamental du droit au logement. Dans un premier temps, la loi du 8
juillet 1989 a affirmé l’existence de ce droit pour les locaux à usage
d’habitation, ou à usage mixte d’habitation et professionnel6. Ensuite, le
législateur a décidé que la garantie de ce droit constituait un véritable
devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation7. Enfin, le Conseil
constitutionnel a reconnu que " La possibilité pour toute personne de
disposer d’un logement décent était un objectif de valeur constitutionnelle
"8.
Droit au logement
Plusieurs principes en résultent : toute personne doit
avoir le libre choix de son mode d’habitation ; l’équilibre doit être assuré
dans la détermination des droits et des obligations respectifs des preneurs et
des bailleurs. Enfin, il incombe aux collectivités publiques de prévoir
l’attribution de certaines aides en vue de permettre l’accession à un
logement9. Le caractère social du droit au logement est ainsi reconnu.
Cet objectif social est louable. Il répond au souci
d’éviter d’éventuels abus de la part des propriétaires. Il s’agit en effet de
mettre les locataires à l’abri d’une " instabilité d’occupation " due
à la suprématie du droit de propriété.
Mais l’affirmation d’un droit au logement a pu aussi
être à l’origine de certaines dérives. Car cela ne revient-il pas, en effet, à
reconnaître l’existence d’un droit à l’occupation ? Accorder des prérogatives
importantes aux occupants d’un immeuble risque de mener à un autre déséquilibre
tout aussi contestable… Un conflit pourrait émerger entre le droit de propriété
et le droit à l’occupation. Cela risque d’engendrer des situations dans
lesquelles le propriétaire se trouve démuni face à l’occupation de ses locaux.
Le propriétaire peut rencontrer certaines difficultés
dans le cadre d’une occupation régulière de ses locaux. Il peut notamment se
voir opposer une législation rigoureuse en matière de reprise de ses biens. Ces
difficultés ont une origine légale. Elles résultent de la politique législative
préconisée en matière de bail. L’affirmation d’un " droit au logement
" en matière de baux à usage d’habitation va dans ce sens.
Mais de plus en plus fréquemment, le propriétaire doit
faire face à une occupation irrégulière de ses locaux, ou occupation sans droit
ni titre10. Ce phénomène surprend par sa nouveauté et par son ampleur. Il
laisse également perplexe face au vide législatif qui l’entoure11. Il constitue
en effet une situation de fait, à laquelle il est nécessaire de reconnaître des
conséquences juridiques12.
C’est pourquoi il convient de s’interroger sur les éventuels
moyens d’endiguer ce qui tend à devenir un véritable phénomène de société. Cela
nécessite de cerner les situations susceptibles de caractériser une occupation
sans droit ni titre. Mais selon quels critères ? L’occupation sans droit ni
titre est-elle constitutive d’une véritable notion ?
Des situations très diverses peuvent justifier une
telle qualification. Il semble donc difficile, a priori, de trouver une unité
derrière le phénomène d’occupation sans droit ni titre. Pourtant, la
détermination de critères communs présenterait des avantages incontestables.
Elle permettrait de conférer à la matière une cohérence qui semble lui faire
défaut. La multiplicité des situations de fait ne peut exclure l’unité de la
qualification juridique.
Une telle démarche révélerait également l’originalité
du phénomène. Il serait plus facile de comprendre les raisons de l’inefficacité
des principes régissant les rapports entre bailleurs et preneurs, appliqués à
une occupation sans droit ni titre…
Enfin, l’affirmation de la spécificité de l’occupation
sans droit ni titre mettrait en évidence la nécessité d’adapter l’arsenal
juridique à cette nouvelle catégorie d’occupants. Elle justifierait la mise en
place de règles particulières adaptées à la nouveauté de la situation.
La recherche de critères communs, propres à la
qualification d’occupation sans droit ni titre, présente donc de nombreux
avantages. Mais elle constitue une tâche complexe. En effet, il y a, dans le
secteur du logement, un aspect politique indéniable qui rend délicate toute
prise de position trop énergique, en faveur soit des propriétaires, soit des
occupants… Ainsi, pour une partie de la doctrine, " le squat devient, pour
certaines organisations politiciennes, un instrument de justice sociale destiné
à corriger ce qu’elles considèrent être des inégalités, au regard de ce que la
loi du 6 juillet 1989 appelle le droit au logement "13.
Deux intérêts contradictoires se trouvent donc en
conflit. D’une part, il faut assurer la possibilité, pour toute personne, de bénéficier
du droit au logement, ou plus largement, d’un droit à l’occupation, auquel la
loi reconnaît un caractère fondamental.
Mais d’autre part, il est difficile d’obliger les
propriétaires à jouer un rôle social qui ne leur incombe pas. Certes, réglementer
leurs relations avec les occupants de leur immeuble permet d’éviter les abus.
Mais, la propriété privée doit-elle devenir un instrument de justice sociale ?
L’unification de la matière de l’occupation sans droit
ni titre constitue une tâche complexe. Mais cela permettra, dans un premier
temps, de mettre en évidence les critères propres à la qualification
d’occupation sans droit ni titre. Dans un second temps, les incidences
juridiques d’une telle qualification seront observées.
Le critère matériel : l’occupation
d’un local
La seule intention d’occuper un local ne permet pas de
caractériser une occupation sans droit ni titre. L’occupation doit être
effective. Mais deux cas de figure bien précis doivent être distingués :
l’occupant sans droit ni titre peut en premier lieu disposer à l’origine d’un
droit ou d’un titre autorisant la jouissance du bien. La situation dégénère en
occupation sans droit ni titre lorsque l’occupant se maintient dans les lieux,
malgré la résiliation ou l’absence de renouvellement de son contrat.
En deuxième lieu, il n’y a jamais eu de droit ou de
titre à l’origine de l’occupation. Lors de son entrée dans les lieux,
l’occupant ne disposait d’aucune autorisation du propriétaire. Dès l’origine,
l’occupation est illégitime. L’occupant est ordinairement qualifié de
squatter…14
L’occupation devenue illégale
Le bail exerce un rôle économique et social important,
car il permet de dissocier, d’une part, la jouissance octroyée au preneur, et,
d’autre part, la propriété en vertu de laquelle le bailleur perçoit un loyer.
Le statut des baux a connu une diversification sans
précédent au xxe siècle, si bien que les dispositions du Code civil consacrées
au " louage de chose ", demeurées quasiment inchangées depuis 1804,
ne jouent plus aujourd’hui qu’un rôle supplétif15. En effet, de nombreux
statuts particuliers ont émergé en fonction de la destination de l’immeuble16,
avec le souci constant de conférer au preneur une forte protection.
Ainsi, en ce qui concerne les baux à usage
d’habitation, la loi du 1er septembre 1948 a prévu que l’expiration du bail ne
mettait pas fin à l’occupation des lieux. Elle a donc institué un " droit
au maintien dans les lieux ", qui prend le relais du contrat expiré17. Ce
droit constitue un titre légal d’occupation faisant contrepoids au droit de
propriété. Il est donc opposable au propriétaire.
De même, la loi du 6 juillet 1989, dite loi Mermaz,
rompant avec la philosophie libérale de la loi Méhaignerie de 1986, accorde une
forte protection au locataire. Celle-ci se traduit par la reconnaissance d’un
droit au renouvellement à l’expiration du bail initial. Elle est également
confortée par une conception restrictive du congé délivré par le bailleur :
celui-ci doit désormais être " justifié " et " motivé "18.
Il semble donc difficile que la situation légale d’un
preneur puisse dégénérer en occupation illégale. Pourtant, dans certaines
hypothèses limitativement prévues par la loi, l’occupant qui se maintient dans
les locaux sera assimilé à un occupant sans droit ni titre.
C’est le cas si, après résiliation de plein droit ou
résiliation judiciaire du bail, les locaux ne sont pas libérés par le preneur
et restitués aussitôt au bailleur. L’occupation à partir de la date à laquelle
le bail a pris fin n’a plus aucun fondement conventionnel. De plus, elle ne
peut en trouver un dans la loi : elle est illégitime19. L’occupation sans droit
ni titre peut donc se substituer à un bail à usage d’habitation. Le locataire
est en effet tenu de quitter les locaux dans plusieurs cas de figure.
Pour toutes les situations encore soumises à la loi du
1er septembre 1948, l’expiration du bail ne met pas systématiquement fin au
droit à l’occupation des lieux20. Dans cette hypothèse, la loi, par faveur pour
le locataire, a institué un droit au maintien dans les lieux, qui prend le
relais du contrat de bail expiré. L’occupant ne peut donc pas être assimilé à
un occupant sans droit ni titre, dès lors qu’il se maintient dans les lieux en
vertu d’une disposition légale. Ce droit au maintien dans les lieux comporte
néanmoins certaines limites.
Ainsi, dans des cas prévus par la loi, le propriétaire
peut invoquer une cause précise, l’autorisant à exercer son droit de reprise.
C’est le cas s’il doit réaliser des travaux de construction, reconstruction ou
surélévation21. Toutefois, de simples travaux d’amélioration du confort de
l’immeuble justifient également une reprise22.
Le propriétaire peut également exercer son droit de
reprise sur l’immeuble pour y fixer son habitation ou celle de sa famille 23.
Cela peut s’accompagner d’une offre de relogement faite au locataire.
Si le propriétaire exerce son droit de reprise, ou
lors de l’expiration d’un bail de sortie de la loi de 1948, le locataire est
tenu de quitter les locaux. A défaut, il deviendrait un occupant sans droit ni
titre.
Cette qualification peut également être retenue après
la délivrance d’un congé, dans l’hypothèse d’un bail régi par la loi du 6
juillet 1989. Le législateur de 1989 a manifesté la volonté " d’organiser
par la loi l’équilibre des droits et obligations des bailleurs et locataires
" et " d’assurer le droit au logement pour tous "24. Et il a
adopté une conception très restrictive des possibilités de congé délivré par le
bailleur25.
De même, les demandes de résiliation de bail formées
par le propriétaire, soit sur le fondement de l’article 1184 du Code civil,
soit en vertu d’une clause résolutoire de plein droit, sont souvent rejetées
par les juges. Ces derniers ont en effet une conception très large des
obligations du locataire, et préfèrent, à une solution définitive, octroyer des
délais de grâce.
Cependant, si la résiliation d’un bail est prononcée,
ou si un congé est valablement délivré par le bailleur, le locataire est tenu
de quitter les locaux. A défaut, il deviendrait un occupant sans droit ni
titre.
L’occupation illégale dès l’origine
Certains occupants d’un local sont assimilés, dès leur
entrée dans les locaux, à des occupants sans droit ni titre. Il s’agit des
squatters. Cependant, là aussi deux situations sont à distinguer.
Le squatter a pu pénétrer dans les locaux par la
force. Cet agissement est constitutif d’une véritable voie de fait, à savoir
une atteinte grave à la propriété privée se traduisant par une occupation
temporaire ou définitive d’un local privé 26. Ces squatters sont définis comme
étant des personnes sans abri occupant illégalement un logement vacant ou
destiné à la démolition 27. De plus en plus fréquemment, des personnes
s’installent dans des locaux par effraction, profitant de l’absence plus ou
moins prolongée des habitants de l’appartement. Ils y demeurent ensuite
jusqu’au prononcé de leur expulsion.
L’occupation sans droit ni titre peut également
résulter d’une " squattérisation involontaire ". Contrairement à
l’hypothèse précédente, l’occupant ne sait pas qu’il s’est introduit
irrégulièrement dans les locaux, car il ignore l’origine frauduleuse de son
contrat de bail.
Des personnes de bonne foi peuvent en effet être
abusées par des individus qui se font passer pour des bailleurs ou leurs
mandataires, et leur proposent des contrats de location apparemment réguliers.
Ces personnes deviennent alors, au regard de la loi, de véritables occupants
sans droit ni titre28. Ils sont assimilés à des squatters puisqu’ils n’ont
jamais bénéficié d’un titre locatif régulier, malgré leur bonne foi. Cette
position peut paraître sévère, mais elle est justifiée par la volonté de
protéger les propriétaires contre les atteintes à leur droit. Ces derniers
peuvent ainsi bénéficier de modalités d’expulsion plus énergiques. Cependant,
la bonne foi des occupants n’est pas totalement ignorée. Elle leur permet en
effet d’être exonérés de toute responsabilité pénale, dès lors qu’ils sont
susceptibles d’invoquer la théorie de l’erreur sur le droit29. A ce titre, ils
ne peuvent être reconnus coupables d’une infraction pénale telle que le délit
de violation de domicile, ni se voir appliquer la sanction prévue par l’article
226-4 du Code pénal30. En revanche, ils encourent l’expulsion...
La qualification d’occupation sans droit ni titre peut
donc avoir des origines très diverses. Elle répond pourtant à certains critères
communs. Ainsi, elle se manifeste toujours par une occupation matérielle du
local. C’est-à-dire que l’occupant doit y être véritablement installé. Une
simple intention ne serait donc pas constitutive d’une occupation sans droit ni
titre.
En revanche, la seule présence d’objets laissés par
l’occupant dans le local permet de caractériser une occupation31. Car cela
constitue la manifestation matérielle de la jouissance du bien. Ce qui importe,
en définitive, c’est que le propriétaire ne soit plus libre de jouir lui-même
du bien ou d’en conférer la jouissance à un tiers, en raison de la maîtrise
matérielle de l’occupant sur ce bien.
Mais ce critère matériel, s’il est indispensable, ne
suffit pas, à lui seul, à caractériser une occupation sans droit ni titre. Un
deuxième critère légal est requis pour une telle qualification : c’est
l’absence de titre autorisant la jouissance du bien.
Le critère légal : l’absence de droit ou de titre
Plusieurs situations permettent de justifier la
jouissance d’un local par un tiers. Dès lors que celui-ci est titulaire d’un
titre, d’origine légale ou contractuelle, son occupation est régulière. La
présence d’un titre constitue donc un élément essentiel en matière de
jouissance d’un bien immobilier. Il s’agit donc de caractériser une absence de
droit ou de titre. Puis on envisagera le cas particulier du propriétaire
occupant irrégulièrement son local.
Plusieurs situations sont totalement incompatibles
avec l’existence d’un titre, condition requise pour la jouissance régulière
d’un bien immobilier. Cela renvoie en partie aux situations de fait
susceptibles de générer une occupation sans droit ni titre, déjà évoquées.
Ces cas sont les suivants :
– une voie de fait, à l’origine de l’entrée en
jouissance des locaux, est la manifestation la plus évidente d’une absence de
titre ;
– la résiliation ou l’expiration du contrat de bail
initial, valable à l’origine, conduisent également à une absence de titre pour
l’ancien preneur qui reste dans les lieux, et devient de ce fait un occupant
sans droit ni titre ;
– la nullité d’un titre, prononcée en raison de son
origine frauduleuse, aboutit à une absence de titre, malgré la bonne foi de
l’occupant ;
– enfin, il a été jugé que la tolérance par le
propriétaire de la jouissance de son bien n’était pas constitutive d’un titre.
Les bénéficiaires de cette tolérance sont donc assimilés à des occupants sans
droit ni titre 32, le titre étant en effet entendu strictement par les juges.
La présence de ces éléments permet donc de
caractériser une occupation sans droit ni titre. Une difficulté peut toutefois
se présenter pour apprécier l’absence de droit ou de titre, lorsque le
propriétaire occupe lui-même, mais de manière irrégulière, son local...
Le cas particulier du propriétaire
Le propriétaire peut certes disposer de son bien, en
percevoir les fruits et en jouir. Mais il peut aussi renoncer à jouir
personnellement du bien et conférer cette prérogative à un tiers. Il arrive
cependant que malgré cette dissociation, le propriétaire continue à jouir de la
chose. Son droit de jouissance entre alors en conflit avec le droit conféré au
preneur par le contrat de bail. C’est pourquoi son occupation est irrégulière.
Le propriétaire dispose d’un titre, mais son occupation est illégale. Peut-il
être assimilé à un occupant sans droit ni titre ?
La réponse est délicate en raison de la contradiction
entre, d’une part, les fortes prérogatives reconnues au propriétaire, et,
d’autre part, la protection accordée aux preneurs.
Deux conceptions sont possibles. Théoriquement, le
droit de propriété est distinct du droit de jouissance sur le bien. La
propriété ne constitue pas nécessairement un titre d’occupation. Il semblerait
donc possible d’assimiler le propriétaire à un occupant sans droit ni titre.
Puisqu’il a conféré à un tiers la jouissance de son bien par le biais d’un
contrat, il est tenu de respecter son engagement. Il ne peut plus se prévaloir
d’un droit à l’occupation du bien. S’il se maintenait dans les locaux, son
occupation serait donc irrégulière. Les modalités d’exécution propres à une
occupation sans droit ni titre devraient alors pouvoir être appliquées.
Cette conception n’a pourtant pas été retenue par les
juges 33. Certes, ils reconnaissent la distinction entre droit de propriété sur
le bien, et droit à l’occupation du bien. Mais ils se refusent à assimiler le
propriétaire à un occupant sans droit ni titre. Ils qualifient l’occupation du
local par le propriétaire de manquement à son obligation de délivrance,
mentionnée à l’article 1719-1° du Code civil. Et ils appliquent alors à ce
manquement la règle posée par l’article 1142 du Code civil, en vertu de
laquelle toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et
intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur. On ne peut donc pas
expulser le propriétaire du local, mais simplement le condamner à indemniser le
préjudice subi par le preneur.
L’absence de droit ou de titre qui permette de
justifier l’occupation d’un local caractérise donc une situation irrégulière.
Il convient maintenant d’en voir les incidences juridiques.
Un
occupant sans droit ni titre crée de nombreuses
difficultés au propriétaire de l’immeuble. Le
particularisme de telles
situations de fait s’accommode mal, en effet, des règles
applicables aux
situations juridiques constituées par les occupations
régulières d’un local. Il
y a là un vide juridique et le propriétaire des locaux se
trouve démuni.
L’occupant sans droit ni titre " se situe
délibérément en marge de la loi,
protégé curieusement par l’absence d’une
législation spécifique à la matière,
bénéficiant d’une zone de non droit qui
s’avère être un redoutable handicap
pour le bailleur, privé par la force, de la disposition de ses
biens 34.
Spécificité des rapports entre le propriétaire et
l’occupant
Les règles qui s’appliquent aux relations entre
bailleurs et preneurs sont inadaptées à la spécificité d’une occupation sans
droit ni titre. Le propriétaire ne peut, dans ce cas, être tenu aux obligations
propres à un bailleur35. De même, l’occupant sans droit ni titre ne peut voir
sa responsabilité engagée que sur les fondements de la responsabilité de droit
commun. Les règles propres au locataire lui sont inapplicables36.
La jurisprudence reconnaît donc le particularisme de
cette situation, en refusant de lui appliquer les règles du contrat de bail. Ce
particularisme transparaît notamment au niveau de la contrepartie pécuniaire
qui doit être, théoriquement, versée par l’occupant sans droit ni titre au
profit du propriétaire.
Indemnité d’occupation
Le contrat de louage constitue une mise à disposition
d’un local consentie moyennant le prix de la jouissance 37. En matière
d’occupation légale, la contrepartie pécuniaire est qualifiée de loyer ou de
fermage 38. Afin de reconnaître la spécificité de l’occupation sans droit ni
titre, une qualification différente a été retenue. Il s’agit de "
l’indemnité d’occupation ". C’est une somme d’argent versée par l’occupant
en contrepartie de la jouissance d’un local. Sa nature juridique semble donc
proche, a priori, de celle d’un loyer.
La réalité est cependant beaucoup plus complexe.
L’indemnité d’occupation est en effet susceptible d’être réclamée dans
plusieurs cas de figure bien distincts.
Elle peut, d’une part, être exigée dans le cadre d’une
situation légale et être versée en contrepartie d’un droit au maintien dans les
lieux39. Elle peut également être demandée dans l’hypothèse de la jouissance
exclusive d’un bien indivis40.
Mais
elle peut, d’autre part, être due par un occupant
sans droit ni titre. Or, selon l’origine de l’occupation du
local, la nature
juridique de l’indemnité d’occupation variera.
Réclamée au bénéficiaire d’une
situation légale, l’indemnité d’occupation
aura simplement vocation compenser
l’absence de loyer normalement dû au propriétaire,
en contrepartie de la
jouissance des locaux.
En revanche, réclamée à un occupant sans droit ni
titre, l’indemnité d’occupation aura une nature mixte, à la fois compensatoire
et indemnitaire41. Elle constituera la contrepartie pécuniaire à la jouissance
du local. Mais elle permettra également la réparation du préjudice subi par le
propriétaire en raison de l’occupation irrégulière de son local42. Elle sera
alors qualifiée " d’indemnité d’occupation de droit commun ", et
l’évaluation de son montant sera laissée à l’appréciation souveraine des juges
du fond.
En
raison de ce double objectif, le montant de
l’indemnité d’occupation réclamée
à un occupant sans droit ni titre sera bien
souvent supérieur à celui de la valeur locative. Il doit
en effet permettre
d’indemniser le propriétaire pour le préjudice
subi. Mais des dommages et
intérêts supplémentaires43 ne pourront être
réclamés à l’occupant, en raison de
sa faute quasi-délictuelle. A moins que le propriétaire
justifie d’un fondement
distinct de celui ayant motivé l’octroi d’une
indemnité d’occupation.
La réclamation d’une indemnité d’occupation à un
occupant sans droit ni titre va donc dans le sens de la reconnaissance du
particularisme de cette situation de fait. La qualification spécifique "
d’indemnité d’occupation de droit commun " retenue par les juges, et
l’affirmation de sa nature juridique mixte révèlent la volonté d’adopter des
mesures propres à une telle situation. La situation de fait constituée par une
occupation sans droit ni titre ne peut plus être juridiquement ignorée. Tenus
d’une obligation de juger, même dans l’hypothèse du silence de la loi44, les
juges dessinent progressivement les contours d’une nouvelle définition des
rapports entre propriétaires et occupants. Ils essaient ainsi de pallier
l’absence de dispositions spéciales à laquelle se heurtent les propriétaires.
Pourtant, l’existence de l’occupation sans droit ni
titre est reconnue dans un domaine bien précis, celui des procédures civiles
d’exécution...
L’amorce d’une reconnaissance législative
Le versement d’une indemnité d’occupation doit
permettre, en théorie45, de compenser la perte de jouissance du local et de
réparer le préjudice subi par le propriétaire. Mais il semble légitime que le
propriétaire ait la possibilité de mettre un terme à la jouissance irrégulière
de son bien. Pour y parvenir, il devra bien souvent avoir recours à
l’expulsion. C’est-à-dire " à faire sortir, si nécessaire par la force,
les occupants et leurs biens d’un lieu où ils se trouvent sans droit "46
avec des modalités différentes selon que l’occupant sans droit ni titre est
entré régulièrement dans les lieux, ou par voie de fait.
L’expulsion d’un occupant entré régulièrement
L’expulsion d’un occupant sans droit ni titre disposant,
à l’origine d’un titre régulier ou d’un droit de jouissance, ne peut être
effectuée que dans les conditions prévues par la loi du 9 juillet 1991, et le
décret du 31 juillet 199247. Dans un souci constant de protection des
occupants, les modalités d’expulsion sont entourées de nombreuses précautions.
Ainsi, l’occupant sans droit ni titre peut bénéficier de certains sursis à
exécution des décisions ordonnant son expulsion.
L’article 62 alinéa 1 de la loi de 1991, prévoit un
délai de carence de deux mois entre la signification du commandement et
l’expulsion48. Et l’alinéa 2 prévoit un sursis en raison d’une exceptionnelle
dureté, du fait de la période de l’année considérée ou des circonstances
atmosphériques. Ce délai permet de proroger pour une durée n’excédant pas trois
mois le délai précédent. De plus, les articles 613-1 et 613-2 du Code de la
construction et de l’habitation instituent un délai, d’une durée minimale de
trois mois et maximale de trois ans, pour permettre le relogement de l’occupant.
Cependant, si l’occupant ne pouvait pas bénéficier des
sursis précédents, un délai de grâce pourrait lui être accordé. Ces délais,
prévus par l’article 1244-1 du Code civil, sont fonction de la situation du
débiteur et des besoins du créancier ; leur durée ne saurait être supérieure à
deux ans.
Enfin, l’article 613-3 du Code de la construction et
de l’habitation institue un sursis légal à l’expulsion en période hivernale.
Dès lors que le relogement des intéressés ne peut pas être assuré dans des
conditions respectant les besoins de la famille et son unité, l’occupant ne
peut être délogé du 1er novembre au 15 mars de l’année suivante.
De nombreux délais ont donc été prévus afin que
l’expulsion s’effectue dans les meilleures conditions possibles pour l’occupant.
L’objectif était d’éviter, dans la mesure du possible, que la décision
d’expulsion jette les occupants dans une situation dramatique et socialement
inacceptable. La loi tente de trouver un équilibre entre les exigences du
propriétaire et celles de l’occupant. Elle a donc dû reconnaître la spécificité
d’une occupation sans droit ni titre résultant d’une voie de fait.
L’expulsion d’un occupant entré par voie de fait
Le législateur a écarté certaines dispositions
précédentes, jugées inadaptées au cas d’un occupant sans droit ni titre entré
dans les locaux par voie de fait. Ce qui l’a amené à reconnaître l’existence
juridique de ces situations de fait. Le développement des occupations résultant
d’une voie de fait surprend en effet par son ampleur et par la violence de ses
manifestations. Il n’est donc plus possible de nier leur existence, et de
laisser les propriétaires démunis face à une telle situation.
Plusieurs solutions spécifiques peuvent donc être
proposées au propriétaire. L’occupation sans droit ni titre résultant d’une
voie de fait peut d’abord constituer une infraction pénale, le délit de
violation de domicile 49. Si celle-ci est très rapidement constatée, le
propriétaire peut mettre en œuvre la procédure du flagrant délit visée par les
articles 53 et suivants du Code de procédure pénale. L’autorité administrative
peut alors procéder à l’expulsion du squatter sans titre exécutoire, sur
réquisition du propriétaire des locaux investis, dans un délai de quarante-huit
heures 50. Mais le propriétaire a très peu de temps pour envisager un tel
recours.
Par ailleurs, les locaux occupés ne constituent pas
toujours le domicile du propriétaire. C’est pourquoi la jurisprudence exige
divers critères pour la qualification de domicile. La violation de domicile s’entend
de l’introduction dans la demeure d’un tiers (Crim. 15 février 1955, Bull.
crim. n° 106), qu’elle soit permanente ou temporaire (Crim. 28 janvier 1958,
Bull. crim. n° 94).
Il s’agit non seulement du lieu où la personne a son
principal établissement, mais encore de celui, qu’elle y habite ou non, où elle
a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son
occupation et l’affectation donnée aux locaux (Crim. 9 août 1989, Dr. pén.
1990, 45, voir note). Le domicile implique donc nécessairement une notion
concrète d’habitabilité, sans laquelle ce lieu ne serait qu’une adresse
(Versailles, 9 octobre 1992, GP 1993, 1, somm. 52).
Ainsi, si le local est vide de toute occupation, la
qualification de violation de domicile ne peut pas être retenue (Versailles 31
janvier 1995, GP 10-12 mars 1996). Il en va de même d’un atelier dépourvu des
équipements nécessaires à une occupation effective (Crim. 17 octobre 1995,
Bull. crim. n° 310) ou d’une maison en construction (Crim. Rev. sc. crim. 1993, 121, obs. F. Boulan). En revanche, le délit
de violation de domicile peut être invoqué si l’appartement est loué en meublé
(Crim. 27 mai 1957, Bull. crim. n° 434), même s’il est momentanément inoccupé
en raison de travaux devant y être effectués (Crim. 24 mars 1985, Bull. crim.
n° 158).
En définitive, un local inhabité et vide de tout
mobilier ou matériel, que nul n’a manifesté la volonté d’occuper, fût-ce
passagèrement, par un acte quelconque de prise de possession, ne saurait être
assimilé à un domicile51. Pour ces différentes raisons, la procédure du
flagrant délit ne sera que rarement mise en œuvre52.
Le législateur a donc été amené à proposer d’autres
solutions au propriétaire. Il a supprimé certains sursis à exécution prévus par
la loi du 9 juillet 1991 et par les articles 613-1 et suivants du Code de la
construction et de l’habitation. En présence d’un occupant entré dans les
locaux par voie de fait53, le délai de carence instauré par l’article 62 alinéa
1 de la loi du 9 juillet 1991, et le sursis légal à l’expulsion en période
hivernale prévu par l’article 613-3 du CCH, sont susceptibles d’être
supprimés54. Le juge a toutefois la possibilité d’accorder un délai quand
l’expulsion aurait pour l’occupant des conséquences d’une exceptionnelle
dureté55.
En définitive, le législateur commence à reconnaître
des conséquences juridiques spécifiques à l’occupation sans droit ni titre. Les
mesures prises demeurent toutefois très timides. Il serait sans doute opportun
d’admettre la spécificité de l’occupation irrégulière, et de l’assortir de
sanctions efficaces.
En présence d’une occupation sans droit ni titre, il
faudrait donc se préoccuper, outre le souci d’indemnisation du propriétaire, de
lui permettre de procéder à une expulsion rapide. Le principal préjudice
résultant d’une telle situation de fait, tient en effet à la jouissance
irrégulière du local. Il convient donc de prévoir la possibilité d’y mettre fin
le plus rapidement possible, sans entraver les démarches engagées
par le propriétaire par l’instauration de nombreux délais.
La difficulté à légiférer résulte de l’impact
politique de telles mesures. Il est difficile de trouver un équilibre entre les
prérogatives du propriétaire et la reconnaissance d’un droit à l’occupation.
Mais le contexte économique et social a considérablement évolué. Le problème
aujourd’hui n’est plus la pénurie de logements, mais l’insolvabilité des
demandeurs de logements confrontés à une offre locative trop chère56.
En raison de sa dimension sociale, le phénomène de
l’occupation sans droit ni titre fait peur. Il n’est plus possible de
l’ignorer. Une fois de plus, le fait vient provoquer le droit.
Or, entre l’affirmation du caractère " inviolable
et sacré " du droit de propriété, et la reconnaissance d’une valeur
constitutionnelle au droit au logement, la marge est
étroite. n
_____________________________
1. Le problème de la réquisition administrative, comme celui de la
constitution de droits réels sur le domaine public, ne sont pas envisagés ici
(voir Colloque d’Orléans, 30 mai 1996, JCP éd. N., 1996, p. 1231).
2. Ce droit étant parfois réglementé comme dans le cadre des baux à
usage d’habitation.
3. J. Lafond et F. Lafond, Les baux à usage d’habitation à jour du
décret du 28 août 1996, 3e édition Litec, 1997, p. 3 et s. ; P. Galand, "
L’occupant sans droit ni titre ", Revue des loyers et des fermages, 1988,
p. 150.
4. Le droit du preneur à bail est rangé dans la catégorie des droits
personnels. Mais, en raison des fortes prérogatives dont il dispose, certains
auteurs font observer que ce droit personnel est " mélangé de réalité
" (cf. J. Carbonnier, op. cit., p. 84 n° 41, et surtout : J. Derrupe, La
nature juridique du droit du preneur à bail et la distinction des droits réels
et des droits de créance, thèse Toulouse 1951, Librairie Dalloz, p. 125 et s.
n° 104 et s.).
5. A. Givaudan, " La permanence irréductible du droit de
propriété ", dans : Un droit inviolable et sacré, la propriété, ADEF,
1991, p. 115.
6. Loi n° 89-462 du 8 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports
locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, JO,
juillet 1989, p. 8541 et s., art. 1er : " Le droit au logement est un
droit fondamental ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent "
; J.-P. Blatter, " La loi du 6 juillet 1989 et le droit au logement
", AJPI 1989, p. 609 et s.
7. Loi n° 90-449 du 31 mai 1990, visant à la mise en œuvre du droit au
logement, JO juin 1990, p. 8551 et s., art. 1er : " Garantir le droit au
logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation "
; également : M. de Sainte Colombe, " Réquisitions : mode d’emploi ",
Etudes foncières, n° 66, juin 1995, p. 5.
8. Conseil constitutionnel, 19 janvier 1995, décision n° 94-359 DC :
loi relative à la diversité de l’habitat, AJDA juin 1995, note B. Joron.
9. Cf. Revue de droit sanitaire et social 1996, p. 180 (initiatives
prises en vue de favoriser le logement, telles que les réquisitions) ; Juriscl.
Droit administratif, vol. 4, Réquisitions de biens, L. Imbert, Fasc. 350 n° 104
et s.
10. Cette occupation peut être le fait d’une personne publique ou d’un
entrepreneur de travaux publics. Il s’agira alors d’une emprise irrégulière, à
savoir une occupation ou dépossession temporaire ou définitive, partielle ou
totale, d’une propriété immobilière privée (v. en ce sens : " emprise
", Lexique de droit immobilier, Dalloz, 1989 ; Mémento pratique, Francis
Lefebvre, Immobilier, Urbanisme et Construction, 1996-1997, n° 585 et s. et n°
9530 et s.).
11. Il faut exclure de cette qualification les situations dans
lesquelles l’occupation résulte d’un droit de rétention d’origine légale ou
conventionnelle. Ainsi, en droit commun, il existe un droit de rétention au
profit du locataire expulsé par l’acquéreur d’un immeuble en vertu d’une clause
insérée dans un acte authentique (art. 1749 du Code civil). Il ne devient alors
pas un occupant sans droit ni titre. Cf. Encyclopédie Dalloz, Répertoire civil,
VIII, " Rétention " par F. Derrida, n° 13.
12. En dépit de la distinction entre situations de fait et situations
juridiques, le législateur a été amené à reconnaître, dans de très nombreux
domaines, l’existence de situations de fait. Il a ainsi été progressivement
conduit à leur attacher des conséquences juridiques (ainsi en matière de droit
de la famille : la possession d’état, le concubinage ; en matière de droit des
biens : la possession ; en matière de droit de la responsabilité : le fait
d’autrui, le fait des choses, la notion d’implication retenue par la loi
Badinter de 1985…). Il semble que l’occupation sans droit ni titre s’inscrive
dans cette tendance, et que, bien que se situant en marge de la loi, il est de
plus en plus difficile de l’ignorer… Cf. Les situations de fait, Trav.
Association H. Capitant, tome XI, 1957.
13. J.-M. Gelinet, " Squatters et expulsion ", Administrer,
octobre 1990, p. 8.
14. Ainsi, les nomades, soumis à un régime de police par la loi du 3
janvier 1969 et le décret du 31 juillet 1970 (Code pénal, p. 1545 et s.), se
caractérisent par l’absence de domicile fixe. Le phénomène est ethnologique,
plus encore que sociologique, dès lors que les nomades possèdent leur propre
culture, leur propre système normatif (cf. J. Carbonnier, Droit civil, Les
personnes, PUF 1992, coll. Thémis, p. 84 n° 57). Les difficultés apparaissent
lorsque leurs règles entrent en conflit avec les normes du droit positif
national… Notamment, lorsqu’ils décident de stationner, sans autorisation, sur
un terrain appartenant à un propriétaire privé (sur les possibilités de
stationnement des caravanes sur le domaine public, cf. les articles R. 443-1 et
s. du Code de l’urbanisme). La question mérite d’être soulevée dès lors que
certaines similitudes existent avec les squatters. En l’espèce, il ne s’agit
cependant plus de l’occupation irrégulière d’un local, et ce problème ne fera pas
l’objet d’un développement, mais d’un stationnement irrégulier sur un terrain.
A ce titre, le délit de violation de domicile ne pourra pas être invoqué par le
propriétaire. Ce dernier pourra éventuellement solliciter une expulsion sur le
fondement de la loi du 9 juillet 1991, dès lors que le législateur a prévu que
cette loi était applicable dans l’hypothèse de l’occupation d’un "
immeuble ou d’un lieu habité " (art. 61, loi de 1991). La qualification
large d’immeuble permet en effet d’intégrer l’hypothèse de terrains occupés
sans l’autorisation du propriétaire, dans le domaine d’application de la loi
(cf. Dictionnaire permanent de gestion immobilière, " Expulsion ", n°
3). Cette possibililité reste toutefois très théorique. Le propriétaire pourra
se heurter à des difficultés concernant la mise en œuvre de cette loi, en
raison de la dimension politique et sociale constituée par le phénomène des
nomades. Une fois de plus, se pose le problème de l’effectivité des lois face à
un contexte politique particulièrement sensible...
15. Ph. Malaurie et L. Aynes, " Les contrats spéciaux ",
Droit civil, Cujas, n° 600.
16. Le statut propre aux baux à usage commercial, industriel ou
artisanal, est réglementé par le décret du 30 septembre 1953. Les lois du 1er
septembre 1948, du 22 juillet 1982, du 26 décembre 1986, et du 6 juillet 1989,
ont successivement réglementé les baux à usage d’habitation principale, ou à
usage mixte professionnel et d’habitation principale. Et enfin, les baux ruraux
ou agricoles sont régis impérativement par les dispositions du Code rural, dans
ses articles L. 411-1 à L. 417-15.
17. Cf. B. Gross, P. Birh, " Ventes civiles et commerciales, baux
d’habitation et baux commerciaux ", Contrats, Thémis, Droit privé, PUF,
1993, p. 458-459.
18. Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports
locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, op. cit., art. 15.
19. J. Viatte, " Le prix de la jouissance des locaux après la
cessation du bail ", Revue des loyers et des fermages 1982, p. 10 et s.
20. B. Gross, P.
Birh, op. cit., p. 458-459.
21. Cf. art. 11, 12, et 15 de la loi du 1er septembre 1948.
22. Art. 12, loi du 1er septembre 1948.
23. Art. 18, 19 et 20, loi du 1er septembre 1948.
24. J. Lafond et F. Lafond, op. cit., p. 4.
25. En vertu de l’article 15-I de la loi du 6 juillet 1989, le
bailleur peut délivrer un congé :
- soit pour vendre,
- soit pour habiter ou faire habiter l’immeuble,
- soit pour un motif légitime et sérieux, souverainement apprécié par
les tribunaux. Il peut s’agir d’un manquement du locataire à ses obligations
légales ou contractuelles. Ou de tout autre motif valable, telle la volonté du
bailleur de reprendre l’immeuble pour le démolir, le reconstruire, ou effectuer
des travaux de réhabilitation. Le bailleur est tenu de délivrer le congé en
respectant un préavis de six mois. Durant ce délai, le locataire reste
redevable du montant du loyer et des charges mentionnées dans le contrat de
bail. En revanche, en vertu de l’article 15-I alinéa 4 de la loi de 1989, à
l’expiration du délai de préavis, le locataire est " déchu de tout titre
d’occupation des locaux loués ". Il est donc tenu de quitter les lieux.
26. Cf. " Voie de fait ", Lexique de droit immobilier,
Dalloz, 1989.
27. J.-M. Gelinet, op. cit., p. 8 n° 1.
28. Dans ce cas de figure, il semblerait possible d’invoquer la
théorie de l’apparence, dont l’effet est de valider un acte irrégulier. Cette
théorie consacre en effet " le triomphe du fait sur le droit " (cf.
Répertoire de droit civil, I, " Apparence " par F. Derrida et J.
Mestre, n° 2 et 54). Mais elle n’est pas retenue par la jurisprudence en la
matière (TGI Paris, 6 février 1991, RL 1992, p. 34).
29. Art. 122-3 du Code pénal : " N’est pas pénalement responsable
la personne qui justifie avoir cru, par une erreur de droit qu’elle n’était pas
en mesure d’éviter, pouvoir légitimement accomplir l’acte ". Sur
l’application de cette théorie en matière d’occupation d’un local : Versailles,
27 janvier 1995, Bull. inf. C. Cass. 1995, 606).
30. Art. 226-4 du Code pénal : " L’introduction ou le maintien
dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou
contrainte, hors des cas où la loi le permet, est puni d’un an d’emprisonnement
et de 100 000 F d’amende ".
31. 3e ch. civ., 11 juin 1987, Revue des loyers 1987, p. 370-371.
32. TI Versailles, 4 décembre 1986, RL 1987, p. 214 et s. En l’espèce,
la tolérance avait duré dix-sept ans.
33. TI du XVe arrondissement de Paris, 25 février 1987, RL 1987, p.
307 ; P. Galand, op. cit., p. 153.
34. J.-M. Gelinet, op. cit., n° 1.
35. 3e ch. civ., 19 octobre 1988, RL 1988, p. 474. (c/a
civ. 22 mai 1995, RDSS 1996, p. 422 n° 931 : hypothèse de la connaissance par
le propriétaire de la vétusté du local, et des agissements dangerereux des
marginaux, occupants sans droit ni titre).
36. 3e ch. civ., 22 juin 1988, RL 1988, p. 380 : la présomption de
responsabilité du locataire posée par l’article 1733 du Code civil en cas
d’incendie n’est pas applicable à l’occupant sans droit ni titre.
37. 3e ch. civ., 20 juin 1990, Revue de droit rural 1990, p. 457.
38. CA Paris, 1er décembre 1994, AJPI 7 août 1996, p. 579 et s.
39. Le versement
d’une telle indemnité est expressément prévu
par le
législateur, en matière de baux à usage
commercial, industriel, ou artisanal,
dans l’hypothèse de la délivrance d’un
congé avec offre d’indemnité
d’éviction
(art. 20 du décret du 30 septembre 1953), et en cas
d’exercice du droit de
repentir ou du droit d’option.
40. Art. 815-9 du Code civil.
41. Paris, 21 octobre 1976, GP 1977, I, p. 200 ; CA Paris, 18 juillet
1980, RL 1981, p. 466 ; 3e ch. civ., 27 avril 1982, RL 1982, p. 429-430.
42. 3e ch. civ., 8 déc. 1982, Bull. 1982, II, p. 183, n° 244.
43. 3e ch. civ., 27 avril 1982, ibid.
44. Art. 4 du Code civil.
45. En pratique, il est utopique de réclamer le versement d’une
indemnité d’occupation de droit commun à certains occupants sans droit ni
titre, tels les squatters. En effet, ces derniers se trouvent bien souvent dans
une situation de dénuement matériel qui ne leur permet pas de faire face à
l’obligation d’acquitter régulièrement une somme d’argent… La difficulté vient
de ce que cette situation de détresse sociale est incompatible avec la
philosophie du parc locatif privé, pour lequel toute jouissance d’un local se
fait à titre onéreux.
46. Dictionnaire permanent de gestion immobilière, " Expulsion
", 15 novembre 1994, n° 1.
47. Art. 61 à 66 de la loi 91-650 du 9 juillet 1992 portant réforme
des procédures civiles d’exécution, JO 14 juillet 1991, p. 9228 et s. ; F. de
Rocca, " Expulsions - Locaux à usage d’habitation, commerce, usines
", Encyclopédie Delmas pour la vie des affaires, 2e éd. 1994 ; Jurisl.
Proc. civile, " Expulsion ", Fasc. 2400, C.
Larher-Loyer ; Lamy Droit immobilier, 1997, n° 4856 et s. ; L. Roy, "
L’expulsion du locataire ", Le Particulier immobilier, mars 1996, p. 46 ;
J. Beauchard, RTD civ. 1993, numéro spécial. HS, p. 109.
48. L’existence de ce délai fait l’objet de critiques (cf.
Administrer, mai 1995, Réponses ministérielles n° 22838, 16 janvier 1995, p.
63).
49. Art. 226-4 du Nouveau code pénal.
50. Administrer, juin 1992, Réponse ministérielle n° 18568, 21
novembre 1991, p. 45-46.
51. T. correct. Châlon-sur-Saône, 17 février 1950, JCP 1950, II, 5505,
note Levasseur.
52. JCP éd. N. 1983, II, p. 693 et s., n° 8861, Pratique - Questions
professionnelles, Chronique immobilière, p. 694 ; J.-M. Gelinet, op. cit., n° 2 et s.
53. Sont assimilés à des squatters de mauvaise foi, les occupants
introduits dans les locaux par des personnes n’ayant aucun droit sur le local dont
il s’agit… (TGI Paris, 6 février 1991, RL 1992, p. 34).
54. CA Versailles, 13 novembre 1987, RL 1988, p. 166.
Administrer, février 1992, Réponse ministérielle
n° 46578, 5 août 1991, p. 96 ; Administrer, juillet 1995, Réponse ministérielle
n° 25139, 13 mars 1995, p. 63.
55. Administrer, juin 1992, ibid.
56. M. de Sainte Colombe, op. cit., p. 6.