L'exigence d'impartialité du juge dans le procès civil

L'exigence d'impartialité du juge dans le procès civil et les procédures de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime

Plan de la fiche

Première partie - L'impartialité du juge en matière civile

I - L'impartialité fonctionnelle du juge civil : l'exigence d'une neutralité objective
A - Les interventions successives du juge avec prise de position préalable sur le fond
1°) Le risque d'influence d'une intervention antérieure sur la décision à rendre
2°) L'absence de risque d'influence d'une intervention antérieure sur la décision à rendre
B - Les interventions successives du juge sans prise de position préalable sur le fond
1°) Première intervention du juge ne préjugeant pas du fond du litige
2°) Première intervention du juge en une qualité différente de la seconde

II - L'impartialité personnelle du juge civil : l'exigence d'une neutralité subjective
A - La connaissance personnelle de l'une des parties, cause de partialité du juge
B - Les engagements personnels du juge respectant son impartialité

Seconde partie - Les procédures de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime

I - La récusation
A - Le domaine de la récusation
1°) Les titulaires du droit de récuser
2°) Les personnes récusables
3°) Les causes de récusation
3.1°) Les causes de récusation en droit commun
a) L'intérêt personnel du juge ou de son conjoint à la contestation
b) Le juge ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l'une des parties
c) Le juge ou son conjoint est parent ou allié de l'une des parties ou de son conjoint jusqu'au quatrième degré inclusivement
d) L'existence d'un procès entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint
e) Le juge a précédemment connu de l'affaire comme juge ou comme arbitre, ou a conseillé l'une des parties
f) Le juge ou son conjoint est chargé d'administrer les biens de l'une des partiesg) L'existence d'un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint
h) L'existence d'une amitié ou inimitié notoire entre le juge et l'une des parties
3.2°) Les causes de récusation des conseillers prud'hommes
a) L'intérêt personnel à la contestation du conseiller prud'homme
b) La parenté ou l'alliance du conseiller prud'homme avec l'une des parties
c) L'existence d'un procès antérieur, dans l'année précédant la récusation, entre le conseiller prud'homme et l'une des parties, son conjoint, ses parents, ses alliés en ligne directe
d) L'avis écrit antérieur donné dans l'affaire par le conseiller prud'homme
e) Le conseiller prud'homme est employeur, cadre, ouvrier ou employé de l'une des parties en cause
B - La procédure de récusation
1°) La demande de récusation
a) Caractères de la demande
b) Personnes habilitées à former cette demande
c) Modalités de la demande
d) Moment de la demande
2°) La juridiction compétente
3°) Le déroulement de la procédure de récusation
4°) Les voies de recours

II - Le renvoi pour cause de suspicion légitime

A - Le domaine du renvoi pour cause de suspicion légitime
B - La procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime
1°) La recevabilité de la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime
2°) Le déroulement de la procédure devant le président de la juridiction

Première partie - L'impartialité du juge en matière civile

La Convention européenne des droits de l'homme, notamment son article 6 § 1, exerce une influence importante sur la procédure civile française. A ce titre, dans le cadre du droit à un "procès équitable", le justiciable a le droit de voir trancher une contestation "sur ses droits et obligations de caractère civil" par un "tribunal" "impartial".

1°) La notion de contestation sur des "droits et obligations à caractère civil"

A titre préalable, il convient de délimiter, même de façon non exhaustive, les contours de la notion de contestation sur des "droits et obligations de caractère civil" mentionnée dans l'article 6 § 1 de la Convention européenne.

Ainsi, le contentieux de la famille a pour objet de trancher une contestation sur des "droits et obligations de caractère civil". Il s'agit principalement de :

- l'attribution du droit de garde, de visite et d'hébergement (Commission des droits de l'homme (Comm. EDH), 5 mars 1983, req. n° 8893/80, DR 31/66) ;
- la procédure d'adoption (Comm. EDH, 13 mars 1984, req. n° 9580/81, Royaume-Uni, DR 36/100) ;
- les actions en désaveu de paternité et relatives à la filiation (Comm. EDH, 6 octobre 1982, req. n° 9707/82, Royaume-Uni, DR 31/223) ;
- les actions à fin de subsides (Comm. EDH, 15 juillet 1981, req. n° 8351/79, Irlande, DR 25/203) ;
- l'attribution de droit de visite (Comm. EDH, 14 mars 1985, req. n° 0148/82, X... c/ Suisse, DR 42/98 ; CEDH., 8 juillet 1987, aff. X... c/ Royaume-Uni, série A, n° 121) ;
- les successions (Comm. EDH, 16 juillet 1987, req. n° 11290/85, X... c/ Italie, DR 53/62).

Egalement, le contentieux des droits réels appartient à la catégorie des "droits et obligations de caractère civil". Il s'agit notamment :

- de la protection de l'environnement (Comm. EDH, 4 octobre 1984, req. n° 96982/82, RFA, DR 39/90) ;
- la délivrance des permis de construire (CEDH, 25 octobre 1989, aff. X... c/ Suède, série A, n° 163) ;
- le remembrement foncier (CEDH, 23 avril 1987, aff. X... c/ Autriche, série A, n° 117) ;
- le droit de préemption (CEDH, 22 septembre 1994, aff. X... c/ France, série A, n° 296-A) ;
- du droit des procédures collectives (Comm. EDH, 10 décembre 1984, req. n° 10259/83, ANCA c/ Belgique, DR 40/258 ; Comm. EDH, 5 octobre 1988, req. n° 11961/86, France, DR 57/100 : en matière d'action en comblement de passif) ;
- le versement d'une pension de réversion (CEDH, 24 août 1993, aff. X... c/ Italie, série A, n° 265-B) ;
- les conflits locatifs (Comm. EDH, 9 juillet 1986, req. n° 11179/84, X... c/ Suède, DR 48/207) ;
- le droit du licenciement (Comm. EDH, 13 mai 1987, req. n° 11051/84, X... c/ France, DR 52/222) ;
- le droit des tutelles (CEDH, 24 octobre 1979, aff. X... c/ Pays-Bas, série A, n° 99 ; CEDH, 17 juin 2003, aff. X... c/ France, req. n° 49531/99) ;
- les actions en concurrence déloyale (Comm. EDH, 12 mars 1981, req. n° 8734/79, X... c/ RFA, DR 26/145 ; Comm. EDH, 25 mars 1985, série A n° 90) ;
- les actions devant la commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CEDH, 1er juillet 1997, aff. X... c/ Suède, Rec. CEDH 1997, III) ;

De même, l'accès à une profession réglementée ou non est considéré comme un droit à caractère civil (CEDH, 23 juin 1994, aff. X... c/ Belgique, série A, n° 292-A). Aussi, "un contentieux disciplinaire dont l'enjeu [...] est le droit de continuer à pratiquer une profession donne lieu à une contestation sur des droits de caractère civil" (CEDH, 27 juin 1997, affaire X... c/ Grèce, Rec. CEDH 1997, IV, Req. n° 19773/92).

En revanche, certains contentieux ont été délibérément exclus par la jurisprudence européenne de la notion de contestations portant sur un droit à caractère civil.

A titre non exhaustif, il en est ainsi :

- du droit de la nationalité (Comm. EDH, 15 décembre 1988, req. n° 13325/87, Suisse, DR 59/256) ;
- du contentieux relatifs à la police des étrangers (Comm. EDH, 2 mai 1979, req. n° 8244/78, X... et a. c/ Royaume-Uni, DR 17/149 ; CEDH, 5 octobre 2000, affaire X... c/ France, req. n° 39652/98, Rec. CEDH 2000, X) ;
- le contentieux électoral (Comm. EDH, 13 avril 1989, req. n° 12897/87, X... c/ France, DR 67/87 ; Comm. EDH, 13 avril 1998, req. n° 24827/94, X... c/ Irlande, DR 93/15 : en matière d'égibilité).

Egalement, la plupart des droits procéduraux sont exclus de la catégorie des "droits et obligations de caractère civil". Il s'agit :

- du droit d'interjeter appel (Comm. EDH, 9 mai 1989, req. n° 11826/85, X... c/ Suède, DR 61/138) ;
- du recours en révision (Comm. EDH, 8 octobre 1976, req. n° 6916/75, Suisse, DR 6/107) ;
- de la procédure de récusation d'un juge (1re Civ., 5 novembre 1991, Bull. 1991, I, n° 294, pourvois n° 90-11.547 et 90-11.507).

2°) La notion de "tribunal civil"

Il convient de préciser d'emblée le sens que la Convention européenne entend assigner à la notion de "tribunal". Est qualifié de "tribunal", au sens de l'article 6 § 1, tout organe dont la fonction juridictionnelle consiste à "trancher, sur la base de normes de droit et à l'issue d'une procédure organisée, toute question de sa compétence" (CEDH, 22 octobre 1984, affaire X... c/ Autriche, A84, Req. n° 8790/79 ; CEDH, 27 août 1991, affaire X... c/ Malte, série A, n° 210, Req. n° 13057/87).

A ce titre, il est communément admis que la notion de "tribunal civil" s'applique, en réalité, à toute juridiction civile, voire à toute autorité, tout organisme administratif ou ordre professionnel exerçant un pouvoir de nature juridictionnelle, notamment en matière disciplinaire (CEDH, 23 juin 1981, aff. X..., Y... et Z... c/ Belgique, série A, n° 43 ; CEDH, 27 juin 1997, affaire X... c/ Grèce, req. n° 19773/92, cit.).

Ainsi, constituent un "tribunal civil" :

- les juridictions disciplinaires des experts judiciaires (1re Civ., 7 avril 1999, Bull. 1999, I, n° 122, pourvoi n° 96-13.332) ;
- les juridictions disciplinaires des avocats (1re Civ., 5 octobre 1999, Bull. 1999, I, n° 257, pourvoi n° 97-18.277).

En revanche, ne constituent pas un "tribunal civil"

- la commission de recours amiable en matière de sécurité sociale (Soc., 15 juin 1995, Bull. 1995, V, n° 200, pourvoi n° 92-17.709 ; Soc., 12 juillet 2001, Bull. 2001, V, n° 269, pourvoi n° 00-10.219) ;
- la commission de surendettement des particuliers instituée par l'article L. 331-1 du code de la consommation (2e Civ., 18 décembre 2003, Bull. 2003, II, n° 397, pourvoi n° 02-04.149).

2°) La notion d'"impartialité"

Selon la jurisprudence de la Cour européenne, la notion d'impartialité du juge civil présente deux acceptions complémentaires : l'une, objective ou fonctionnelle et l'autre, subjective ou personnelle (CEDH, affaire X... c/ Belgique du 1er octobre 1982, req. n° 8692/79, série A53 : "[...] L'impartialité doit s'apprécier selon une démarche subjective et selon une démarche objective").

D'une part, l'impartialité objective a pour finalité d'éviter que le juge, ayant statué à juge unique ou comme membre d'une juridiction collégiale, ne soit habité, en raison de sa connaissance préalable de l'affaire, d'un quelconque préjugé. Il s'agit d'"une démarche objective amenant à s'assurer qu'il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime" (CEDH, affaire X... c/ Danemark du 24 mai 1989, req. n° 10486/83 et X... c/Belgique du 26 octobre 1984, série A, n° 86, pp. 13-14, par. 24, req. n° 9186/80).

D'autre part, l'impartialité subjective du juge a pour objet d'éviter que le juge ne puisse être influencé par des considérations personnelles sur la contestation à trancher : "l'impartialité doit s'apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion" (CEDH, affaire X... c/ France du 23 avril 1996, req. n° 16839/90).

A ce titre, il convient de souligner que l'impartialité (objective ou subjective) du juge fait l'objet d'une présomption réfragable. Aussi, il appartient à celui qui entend se prévaloir de la partialité d'un juge de rapporter, par tout moyen, la preuve de celle-ci, laquelle pourra notamment consister dans l'apparence de partialité que présente la juridiction, ce principe étant consacré par la Cour européenne par le biais de la "théorie des apparences" (application de l'adage anglais : "Justice must not only be done, it must also be seen to be done") (CEDH, affaire X... c/ Belgique du 1er octobre 1982, cit.). Ainsi, ne présente pas l'impartialité requise un conseiller prud'homme qui exerce une mission d'assistance ou de représentation d'une partie devant le conseil de prud'hommes dont il est membre (Soc., 2 février 2005, Bull. 2005, V, n° 44, pourvoi n° 03-40.271).

Il convient, dans un premier temps, d'examiner les règles relatives à l'impartialité fonctionnelle du juge civil (I), avant de s'intéresser dans un second temps à celles, plus traditionnelles, qui régissent son impartialité personnelle (II).

I - L'impartialité objective du juge civil : l'exigence d'une neutralité objective

La notion d'impartialité objective a d'abord été mise en évidence par la Cour de Strasbourg en matière de justice pénale dans un arrêt du 1er octobre1982 (CEDH, affaire X... c/ Belgique du 1er octobre 1982, req. n° 8692/79, série A53, spéc. paragraphe n° 30). Il est à noter que la portée de cette solution étant très large, elle concerne également la justice civile. Par la suite, la Cour de Strasbourg a eu l'occasion de réaffirmer à plusieurs reprises sa conception de l'impartialité objective du juge civil, énonçant qu'il ne s'agit pas uniquement pour le juge de constater qu'il a préalablement connu de l'affaire (à juge unique ou comme membre d'une formation collégiale), mais plutôt de déterminer la nature de sa prise de décision antérieure, c'est-à-dire de savoir s'il a préalablement rendu ou contribué à rendre une décision de justice impliquant qu'il ait déjà, en amont, porté une appréciation juridique sur la solution au fond que devrait selon lui recevoir le litige eu égard aux faits de la cause (CEDH, affaire X... c/ France du 6 juin 2000, req. n° 34130/96, spéc. paragraphes n° 40, 42 à 45 et 50).

L'impartialité objective ne peut véritablement se comprendre en droit interne qu'à la lumière de cette jurisprudence européenne, dans la mesure où les chambres civiles de la Cour de cassation ont réalisé un travail d'adaptation de ce concept européen aux particularités de notre droit judiciaire privé.

Sur le terrain de la procédure, le moyen tiré du défaut d'impartialité objective d'un juge devant conduire à sa récusation ne peut être soulevé à tout moment de la procédure : il doit l'être avant la clôture des débats. Ainsi, est irrecevable le moyen par lequel une partie invoque, à l'appui d'un pourvoi, la violation par une cour d'appel de l'article 6 § 1 de la Convention européenne, en ce qu'elle s'est prononcée dans une composition comprenant le magistrat qui a rendu la décision déférée dont il s'agissait d'apprécier la légalité, dès lors que cette partie, connaissant la composition de la formation appelée à statuer, avait la possibilité de le récuser en application de l'article 341 5° du nouveau code de procédure civile et s'en est abstenue avant la clôture des débats (2e Civ., 6 mai 1999, Bull. 1999, II, n° 78, pourvoi n° 96-10.407 ; 2e Civ., 14 avril 2005, non publié, pourvoi n° 03-14.077 ; 1re Civ., 12 décembre 2006, Bull. 2006, I, n° 543, pourvoi n° 05-11.945) (1).

Cependant, il ne peut être reproché à une partie de pas avoir soulevé immédiatement la récusation d'un magistrat fondée sur son absence d'impartialité objective, dès lors qu'en raison de l'ancienneté du litige et du changement de conseil, elle ne pouvait avoir une connaissance suffisante de cette cause de récusation (2e Civ., 12 juillet 2001, Bull. 2001, II, n° 142, pourvoi n° 99-21.822).

Enfin, le fait pour une cour d'appel d'imposer aux parties une date de plaidoirie subordonnée à l'absence de requête en récusation ou en suspicion légitime et à la renonciation expresse à invoquer les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne manque à l'exigence d'impartialité objective prévue par ce texte (2e Civ., 22 mars 2006, Bull. 2006, II, n° 82, pourvoi n° 06-01.585).

A ce titre, il convient de distinguer la situation du juge qui intervient successivement selon que sa première décision influe ou non sur la seconde.

A - Les interventions successives du juge : le risque d'influence de la première décision sur la seconde

Un juge ne peut statuer dans deux instances entre les mêmes parties relatives à la même affaire quand sa première intervention lui a fait prendre position ou émettre une appréciation qui apparaît objectivement comme susceptible d'avoir une influence sur la seconde décision.

1°) Le risque d'influence d'une intervention antérieure sur la décision à rendre

L'assemblée plénière de la Cour de cassation a fixé les contours de la notion d'impartialité objective du juge civil en prenant en compte le risque d'influence de la décision antérieure qu'il a rendue sur celle qu'il doit rendre :

- ainsi, un juge qui a statué en référé sur une demande tendant à l'attribution d'une provision en raison du caractère non sérieusement contestable d'une obligation ne peut ensuite statuer sur le fond du litige afférent à cette obligation (assemblée plénière, 6 novembre 1998, première espèce, Bull. 1998, Ass. plén., n° 5, pourvoi n° 94-17.709) ;

- un même magistrat ne peut siéger en appel après avoir siégé en première instance pour connaître du même litige (2e Civ., 7 novembre 1988, Bull. 1988, II, n° 210, pourvoi n° 87-17.490 ; 2e Civ., 21 juin 1989, Bull. 1989, II, n° 131, pourvoi n° 88-13.759 ; 2e Civ., 27 mars 1991, Bull. 1991, II, n° 105, pourvoi n° 89-13.239 ; 2e Civ., 9 octobre 1996, Bull. 1996, II, n° 222, pourvoi n° 94-20.002 ; 2e Civ., 10 octobre 1996, Bull. 1996, II, n° 233, pourvoi n° 95-12.222 ; 1re Civ., 11 mars 1997, Bull. 1997, I, n° 87, pourvoi n° 92-16.866 ; 2e Civ., 20 novembre 2003, Bull. 2003, II, n° 346, pourvoi n° 01-13.974) ;

- le magistrat ayant statué en qualité de juge des tutelles en première instance, et qui est donc à l'origine de la décision contestée, ne peut connaître du recours tutélaire exercé contre cette décision devant le tribunal de grande instance (2e Civ., 5 mai 1993, Bull. 1993, II, n° 159, pourvoi n° 91-19.099) ;

- un magistrat qui a participé au jugement d'une affaire en première instance ne peut connaître du recours en révision de l'arrêt rendu sur appel de ce jugement (2e Civ., 3 novembre 1993, Bull. 1993, II, n° 307, pourvoi n° 92-11.724) ;

- un juge de l'exécution qui a rendu un jugement initial d'irrecevabilité l'ayant conduit à caractériser la mauvaise foi du débiteur ne peut connaître par la suite d'une décision de la commission de surendettement fondée sur son jugement initial, car un magistrat ne peut connaître, quelles que puissent en être les modalités procédurales, d'un recours afférent à une décision qu'il a précédemment rendue (1re Civ., 26 janvier 1999, Bull. 1999, I, n° 29, pourvoi n° 96-04.230) ;

- un magistrat ayant siégé dans une formation pénale ayant abouti à la condamnation d'un prévenu après avoir porté une appréciation sur son comportement fautif ne saurait, sous peine de partialité, porter une même appréciation à l'occasion d'un procès civil (1re Civ., 29 septembre 2004, Bull. 2004, I, n° 217, pourvoi n° 02-16.436) ;

- également, un magistrat ayant siégé dans une formation pénale ayant eu à porter une appréciation sur le comportement fautif d'une victime ne saurait, sous peine de partialité, porter une même appréciation à l'occasion d'un procès civil (1re Civ., 30 mai 2000, Bull. 2000, I, n° 162, pourvoi n° 98-13.981) ;

- la participation du rapporteur au délibéré du Conseil de la concurrence, serait-ce sans voix délibérative, dès lors que celui-ci à procédé à des investigations utiles pour l'instruction des faits dont le Conseil est saisi, est contraire à l'article 6 § 1 de la Convention européenne ; il en est de même pour la présence à ce délibéré du rapporteur général, l'instruction du rapporteur étant accomplie sous son contrôle (Com., 5 octobre 1999, Bull. 1999, IV, n° 159, pourvois n° 97-15.617, 97-15.626, 97-15.632, 97-15.673, 97-15.760, 97-15.777, 97-15.805, 97-15.826, 97-15.836, 97-15.852, 97-15.871, 97-15.932, 97-16.004 et 97-16.330) ; Com., 9 octobre 2001, Bull. 2001, IV, n° 160, pourvois n° 98-22.015, 98-22.016, 98-22.017 et 98-21.987).

2°) L'absence de risque d'influence d'une intervention antérieure sur la décision à rendre

Il existe des hypothèses où le juge civil est amené à connaître à plusieurs reprises d'une affaire à la suite d'instances judiciaires distinctes, mais complémentaires. C'est notamment le cas lorsqu'il statue par une seconde décision ne faisant que tirer les conséquences juridiques d'une première décision qui a déjà tranché le litige au fond.

Ainsi, il ne peut être reproché à la formation de jugement d'une cour d'appel, chargée de statuer sur un litige relatif à la liquidation d'une communauté entre époux, de comprendre un magistrat ayant connu, en première instance, du divorce des mêmes époux, ces deux litiges ayant un objet différent (2e Civ., 12 janvier 1994, Bull. 1994, II, n° 20, pourvoi n° 92-16.357).

De même, un juge peut statuer sur la demande de liquidation d'une astreinte qu'il a prononcée sans méconnaître l'exigence d'impartialité objective prévue par l'article 6 § 1 de la Convention européenne (2e Civ., 8 avril 1998, Bull. 1998, II, n° 122, pourvoi n° 96-13.845).

Enfin, les interventions successives d'un même juge civil sont toujours possibles sans encourir l'écueil de partialité objective au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne, lorsque la seconde intervention :

- vient corriger une erreur matérielle contenue dans le première décision qui a déjà tranché le litige au fond du droit (1re Civ., 28 mai 2002, Bull. 2002, I, n° 148, pourvoi n° 00-10.516) ;

- résulte de l'exercice d'une voie de rétractation comme l'examen d'un recours en révision (2e Civ., 18 février 1999, non publié, pourvoi n° 97-11.767 ; Com., 5 décembre 2000, non publié, pourvoi n° 99-10.655 ; 2e Civ., 1er avril 2004, non publié, pourvoi n° 01-15.024 ; 2e Civ., 7 juillet 2005, non publié, pourvoi n° 03-18.335)  ;

- résulte de l'exercice d'une tierce opposition (2e Civ., 20 octobre 2005, non publié, pourvois n° 04-17.468 et 04-17.469).

B - Les interventions successives du juge : l'absence d'influence d'une intervention antérieure sur la décision à rendre

1°) Première intervention du juge ne préjugeant pas du fond du litige

Il s'agit de la situation où le juge civil est conduit à connaître successivement de la même affaire au moins à deux reprises, alors que, lors de sa première intervention, il n'a pas été amené à préjuger du fond du litige (2e Civ., 4 décembre 2003, Bull. 2003, II, n° 361, pourvoi n° 01-16.420). Ainsi :

- le juge peut, préalablement à sa prise de décision sur le fond du litige, autoriser la constitution ou la mainlevée d'une saisie conservatoire, puisque la circonstance qu'un magistrat statue sur le fond d'une affaire dans laquelle il a pris préalablement une mesure conservatoire n'implique pas une atteinte à l'exigence d'impartialité appréciée objectivement (assemblée plénière, 6 novembre 1998, deuxième espèce, Bull. 1998, Ass. plén., n° 4, pourvoi n° 95-11.006) ;

- le fait que deux magistrats ayant statué figuraient déjà dans la formation de référé ayant réformé une ordonnance par laquelle une provision avait été allouée au requérant ne porte pas atteinte à l'exigence d'impartialité objective, dès lors que l'arrêt de référé n'avait écarté ces demandes que par refus de se prononcer sur elles, après avoir retenu que les appréciations de fait et de droit qu'elles impliquaient relevaient exclusivement des pouvoirs des juges du fond, de sorte que cette précédente décision n'avait pas décidé de la contestation sur les droits et obligations en litige (1re Civ., 15 novembre 2005, Bull. 2005, I, n° 413, pourvoi n° 02-21.366) ;

- la circonstance qu'un magistrat statue en appel sur le fond d'une affaire dans laquelle il s'était borné, en première instance, à ordonner une simple mesure d'instruction en formation collégiale (en l'espèce une expertise ayant ordonné un examen comparé des sangs) n'implique pas une atteinte à l'exigence d'impartialité appréciée objectivement (1re Civ., 28 mai 2002, non publié, pourvoi n° 99-21.413) ;

- le juge-commissaire présentant un rapport au tribunal de commerce sans prendre position sur le fond du dossier, objet de son rapport, demeure un juge fonctionnellement impartial et sa présence, conformément à l'article 24 du décret du 27 décembre 1985, dans la juridiction qui prononce la liquidation judiciaire n'est pas contraire aux dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne (Com., 3 novembre 1992, Bull. 1992, IV, n° 345, pourvoi n° 90-16.751 ; Com., 23 janvier 1996, Bull. 1996, IV, n° 23, pourvoi n° 94-13.391 ; CEDH, affaire X... c/ France du 6 juin 2000, req. n° 34130/96, spéc. paragraphes n° 43, 45 à 49 ; Com., 16 octobre 2001, Bull. 2001, IV, n° 167, pourvoi n° 98-12.568).

Cette solution est a fortiori transposable au magistrat chargé du rapport devant une formation collégiale de la cour d'appel.

2°) Première intervention du juge en une qualité différente de la seconde

Il existe des hypothèses où le juge civil est amené à connaître à plusieurs reprises de la situation de l'une des parties (ou des parties) sous différentes qualités. C'est le cas lorsqu' il connaît d'une part, en qualité de juge des tutelles, de la situation patrimoniale, notamment de l'état d'endettement d'une curatélaire placée sous le régime d'une curatelle renforcée (article 512 du code civil), et d'autre part, en qualité de juge d'instance, d'une procédure en paiement des obligations civiles dirigée contre cette personne prise en qualité de débitrice. Dans ce cas, l'impartialité du juge d'instance n'est pas en cause, dès lors que ses précédentes interventions ou décisions ne l'ont pas conduit à prendre position ou à émettre une appréciation pouvant constituer un préjugé sur le nouveau litige qui lui est soumis (Avis, 7 juillet 2003, Bull. 2003, Avis, n° 1, demande d'avis n° 1).

II - L'impartialité subjective du juge civil : l'exigence d'une neutralité subjective

L'impartialité personnelle ou subjective du juge est une notion ancienne, apparue bien avant l'impartialité objective. Elle reste difficile à appréhender car elle repose sur des critères tirés de la personne même du juge, qui relèvent de ses relations familiales, sociales, patrimoniales, de ses convictions idéologiques, politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques, etc.

Le juge civil se doit de garantir aux parties qu'il se détermine en "science et conscience" dans le respect du droit positif, sans être limité a priori dans sa capacité de jugement de l'affaire par ses opinions personnelles ou ses relations personnelles avec l'une des parties. Pour la Cour de Strasbourg, il convient de présumer de façon réfragable l'impartialité personnelle du juge (civil) lorsqu'il tranche la cause qui lui est soumise par les parties (CEDH, affaire X... c/ France du 6 juin 2000, req. n° 34130/96, spéc. paragraphes n° 40-41).

Le juge civil doit s'abstenir de siéger dans une instance à laquelle sont parties des personnes avec lesquelles il a noué des relations personnelles (il est parent ou allié de l'une des parties, voire il a développé une amitié ou une inimitié notoire avec l'une d'elles) ou avec qui il entretient des intérêts patrimoniaux (il est héritier ou administrateur des biens de l'une des parties, etc.).

La preuve de la partialité personnelle du juge peut se déduire de la motivation qu'il a retenue dans la décision juridictionnelle qu'il a rendue. Il en est ainsi lorsqu'il tient, dans la motivation de la décision, des termes injurieux à l'égard du justiciable et manifestement incompatibles avec l'exigence d'impartialité (propos excessifs, racistes ou révisionnistes, etc. : 2e Civ., 14 septembre 2006, Bull. 2006, II, n° 222, pourvoi n° 04-20.524).

L'étude du droit positif en matière d'impartialité subjective conduit à affirmer qu'aujourd'hui, la connaissance personnelle de l'une des parties par le juge porte atteinte à son impartialité, alors qu'ils n'en est pas ainsi, en principe, de ses engagements personnels.


A - La connaissance personnelle de l'une des parties, cause de partialité du juge

En principe, le juge civil qui a une connaissance personnelle de l'une des parties, soit en raison de son passé professionnel soit de liens familiaux ou personnels (relation d'amitié ou d'inimitié, de concubinage avec l'une des parties ou son entourage), ne peut se prévaloir d'une impartialité subjective et encourt de ce fait une récusation. Ainsi, viole l'article 6 § 1 de la Convention européenne la cour d'appel qui rejette la demande de récusation d'un conseiller prud'homme sans examiner si les circonstances, tirées de ce que le salarié demandeur devant la juridiction prud'homale vivait maritalement avec la nièce du conseiller prud'homme qui avait refusé de s'abstenir de siéger à l'audience, constituaient une violation du principe d'impartialité édicté par ce texte (Soc., 18 novembre 1998, Bull. 1998, V, n° 506, pourvoi n° 94-43.840). Dans ce cas, conformément à l'article 339 du nouveau code de procédure civile, il est demandé au juge civil de se faire remplacer par un autre juge de sa juridiction.

L'existence d'un procès entre l'expert judiciaire et l'une des parties contrevient à l'exigence d'impartialité, sans qu'il y ait lieu de distinguer suivant que le procès a été engagé avant ou après le début des opérations d'expertise, ou selon qu'il puise sa raison d'être dans des faits étrangers ou non au déroulement des opérations d'expertise (2e Civ., 13 octobre 2005, Bull. 2005, II, n° 249, pourvoi n° 04-10.834) (2). Toutefois, ce principe est écarté lorsque la partie a artificiellement créé un litige avec l'expert afin d'obtenir sa récusation ultérieure.

A l'inverse, les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention européenne ne s'opposent pas à ce qu'un technicien soit désigné à la fois dans une enquête pénale, en application de l'article 77-1 du code de procédure pénale, et dans une instance civile concernant les mêmes faits, en qualité d'expert (2e Civ., 8 février 2006, Bull. 2006, II, n° 249, pourvois n° 04-12.864 et 04-14.455).

   
B - Les engagements personnels du juge respectant son impartialité

En principe, les engagements personnels du juge sont présumés respecter l'exigence d'impartialité dès lors que toute personne "a droit au respect de sa vie privée" (articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 9 du code civil). De même, l'affiliation d'un juge à une obédience maçonnique ne constitue pas en elle-même une cause de partialité justifiant une récusation (CSM, 19 avril 2000, éd. JO, p. 15). Enfin, l'affiliation d'un juge à la mutuelle demanderesse à l'instance civile n'est pas suffisante à elle seule pour établir sa partialité personnelle (2e Civ., 30 avril 2003, Bull. 2003, II, n° 126, pourvoi n° 03-01.342) (3).

De même, la circonstance qu'un conseiller prud'homme soit conjoint et secrétaire d'un avocat ayant habituellement défendu les intérêts des adversaires d'une partie dans d'autres litiges ne suffit pas à faire naître un doute légitime sur son impartialité ou sur la formation de jugement dans laquelle il siège (Soc., 22 mars 2005, non publié, pourvoi n° 03-17.162).

En outre, une cour d'appel décide exactement que la seule circonstance qu'un plaideur et son juge aient été élèves de la même école n'est pas de nature à créer, même en apparence, un doute légitime sur son impartialité et qu'en l'absence de toute imputation précise, la seule circonstance que les magistrats concernés seraient issus du même secteur d'activité que les parties n'est pas non plus de nature à créer, même en apparence, un doute sur leur impartialité (2e Civ., 13 juillet 2005, Bull. 2005, II, n° 206, pourvoi n° 04-19.962).

Enfin, dans une question proche mais cependant distincte, la chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé que le respect de l'exigence d'impartialité, imposé tant par les règles de droit interne que par l'article 6 § 1 de la Convention européenne, est assuré, devant le conseil de prud'hommes, par la composition paritaire de cette juridiction, qui comprend un nombre égal de salariés et d'employeurs élus, par la prohibition d'ordre public de tout mandat impératif, par le recours à un juge départiteur extérieur aux membres élus et par la possibilité, selon les cas, d'interjeter appel ou de former un pourvoi en cassation. Dès lors, la circonstance qu'un ou plusieurs membres d'un conseil de prud'hommes appartiennent à la même organisation syndicale que l'une des parties au procès n'est pas de nature à affecter l'équilibre d'intérêts inhérents au fonctionnement de la juridiction prud'homale ou à mettre en cause l' impartialité de ses membres (Soc., 19 décembre 2003, Bull. 2003, V, n° 321, pourvoi n° 02-41.429 ; 2e Civ., 20 octobre 2005, Bull. 2005, II, n° 271, pourvoi n° 03-19.979).

Seconde partie - La procédure de récusation et de renvoi pour cause de suspicion légitime

Le titre X du livre premier du nouveau code de procédure civile regroupe différents incidents qui sont susceptibles d'affecter le fonctionnement ordinaire des juridictions. Il en est ainsi de la récusation (articles 341 à 355 du nouveau code de procédure civile) et du renvoi pour cause de suspicion légitime (articles 356 à 363 du nouveau code de procédure civile), qui sont tous les deux soumis aux mêmes règles de procédure (article 356 du nouveau code de procédure civile).

I - La récusation

La récusation est un incident soulevé par l'une des parties dans le but de faire écarter un juge qu'elle suspecte de partialité.

A - Le domaine de la récusation

1°) Les titulaires du droit de récuser

Le droit de récuser appartient exclusivement à la partie au procès civil (article 342 du nouveau code de procédure civile). Il ne peut s'exercer qu'au cas par cas. Dès lors, il ne peut exister de récusation générale, mise en oeuvre à titre préventif, d'un magistrat à l'égard d'un avocat déterminé, visant à l'exclure de la formation de jugement chaque fois que cet avocat est amené à plaider une affaire devant la juridiction à laquelle appartient ce magistrat (2e Civ., 8 septembre 2005, Bull. 2005, II, n° 215, pourvoi n° 03-18.862). Pour sa part, le ministère public, agissant comme partie principale (article 422 du nouveau code de procédure civile), peut, en cette qualité, exercer le droit de récusation.

2°) Les personnes récusables

En principe, la récusation est dirigée par l'une des parties à l'instance contre le juge (articles 341du nouveau code de procédure civile, L. 111-6 du code de l'organisation judiciaire). Le terme de "juge" est ici à prendre dans le sens de membre permanent ou occasionnel d'une formation juridictionnelle de l'ordre judiciaire (civile ou pénale, de droit commun ou d'exception). Par extension, le droit de récuser peut s'étendre à l'avocat ou l'avoué appelé occasionnellement à compléter un tribunal ou une cour d'appel (Cass. req., 17 décembre 1901, DP, 1903, 1, p. 347).

En réalité, au-delà du statut de juge, la Cour de cassation prend en considération la fonction juridictionnelle en matière de récusation. Ainsi, elle applique les règles de la récusation aux membres des conseils de l'ordre ou autres organismes professionnels qui sont investis d'une mission juridictionnelle disciplinaire ou qui sont, pour le moins, appeler à statuer dans le cadre de cette mission (ex. : omission d'un avocat du tableau de l'ordre : Cass. civ., 24 janvier 1881, S., 1881, 1, p. 417 : application de la récusation à un membre de la chambre de discipline des notaires).

De même, les membres d'une juridiction arbitrale (arbitres) peuvent faire l'objet d'une récusation (articles 1463, 1464 du nouveau code de procédure civile). Ainsi, il a été jugé qu'après avoir seulement relevé leur participation à des colloques ou travaux dans le domaine de l'arbitrage, à l'exclusion de toute collaboration, la cour d'appel a souverainement relevé que la partie ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un lien de subordination du président du tribunal arbitral à l'égard de son coarbitre, dont il pourrait se déduire une absence d'indépendance d'esprit et d'impartialité suffisante pour accomplir sa mission de juger (1re Civ., 29 janvier 2002, non publié, pourvois n° 00-12.173 et 00-17.587).

En application du dernier alinéa de l'article 341 du nouveau code de procédure civile, le ministère public, agissant en qualité de partie jointe à l'instance civile, peut également faire l'objet d'une récusation par l'une des parties. A l'inverse, lorsqu'il est partie principale à l'instance, le ministère public n'est pas récusable, pour la simple raison qu'une partie n'a pas le droit de récuser son adversaire.

En application de l'article 234 du nouveau code de procédure civile, les "techniciens peuvent être récusés pour les mêmes causes que les juges". Cependant, si les causes de récusation sont communes aux techniciens et aux juges, la procédure spécifique des articles 342 et suivants du nouveau code de procédure civile n'est pas applicable aux techniciens, dont la récusation relève de la seule procédure prévue à l'article 234 du nouveau code de procédure civile (2e Civ., 5 mai 1993, Bull. 1993, II, n° 165, pourvoi n° 91-19.476). La Cour de cassation retient ici une conception large de la notion de technicien, puisqu'une enquêtrice sociale est assimilée à un technicien, dont la partie peut demander la récusation selon les règles définies à l'article 234 du nouveau code de procédure civile (2e Civ., 23 février 1994, Bull. 1994, II, n° 71, pourvoi n° 92-17.150). De même, un notaire, technicien commis pour procéder aux opérations de compte, liquidation et partage d'une succession, peut être récusé pour les causes prévues par l'article 341 du nouveau code de procédure civile, mais selon les règles de procédure prévues à l'article 234 du nouveau code de procédure civile (2e Civ., 3 juillet 1996, Bull. 1996, II, n° 285, pourvoi n° 94-14.957) (4).

3°) Les causes de récusation

En droit commun, les causes de récusation sont au nombre de huit (article 341 du nouveau code de procédure civile) :

"La récusation d'un juge n'est admise que pour les causes déterminées par la loi.

Comme il est dit à l'article L. 731-1 du code de l'organisation judiciaire "sauf dispositions particulières à certaines juridictions la récusation d'un juge peut être demandée :

1º Si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation ;

2º Si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l'une des parties ;

3º Si lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l'une des parties ou de son conjoint jusqu'au quatrième degré inclusivement ;

4º S'il y a eu ou s'il y a procès entre lui ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint ;

5º S'il a précédemment connu de l'affaire comme juge ou comme arbitre ou s'il a conseillé l'une des parties ;

6º Si le juge ou son conjoint est chargé d'administrer les biens de l'une des parties ;

7º S'il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint ;

8º S'il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et l'une des parties.

Le ministère public, partie jointe, peut être récusé dans les mêmes cas".

Sous l'influence de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour de cassation a jugé que la liste prévue par l'article 341 du nouveau code de procédure civile a un caractère non exhaustif. Ainsi, l'article 341 du nouveau code de procédure civile, qui prévoit limitativement huit cas de récusation, n'épuise pas l'exigence d'impartialité requise de toute juridiction en vertu de l'article 6 § 1 de la Convention (européenne) de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (1re Civ., 28 avril 1998, Bull. 1998, I, n° 155, pourvoi n° 96-11.637 ; 2e Civ., 27 mai 2004, Bull. 2004, II, n° 245, pourvoi n° 02-15.726).

Enfin, en matière de récusation d'un conseiller prud'homme, l'article L. 518-1 du code du travail prévoit cinq cas. Il est noter que ce texte n'exclut pas l'application des dispositions précédentes.

3.1°) Les causes de récusation en droit commun

a) L'intérêt personnel du juge ou de son conjoint à la contestation

L'article 341 1° du nouveau code de procédure civile ne fait que reprendre l'idée que le juge ne saurait à la fois être juge et partie dans un même litige. A ce titre, la Cour de cassation semble plutôt retenir l'intérêt personnel direct du juge. C'est ainsi que ne constitue pas une cause de récusation, au sens de l'article 341 1° du nouveau code de procédure civile, la seule circonstance que les magistrats saisis d'une affaire mettant en cause une mutuelle soient adhérents de cet organisme (2e Civ., 30 avril 2003, Bull. 2003, II, n° 126, pourvoi n° 03-01.342).

b) Le juge ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l'une des parties

L'article 341 2° du nouveau code de procédure civile apparaît comme une application particulière du cas précédent dès lorsque le juge ou son conjoint est dans un rapport d'obligation, d'héritier ou de donataire à l'égard de l'une des parties au litige.

Traditionnellement, la Cour de cassation se réserve le droit d'apprécier si le montant de la créance ou de la dette est suffisant pour faire perdre au juge son impartialité (Cass. civ., 10 août 1868, S. 1869, 1, p. 64 ; 2e Civ., 29 octobre 1964, D. 1965, somm. p. 44). En outre, il a été jugé que le fait que les magistrats d'une juridiction soient adhérents à une mutuelle, partie à la contestation qu'ils ont à trancher, ce qui implique qu'ils soient nécessairement créanciers ou débiteurs de celle-ci, ne constitue pas une cause de récusation de ceux-ci au sens de l'article 341 2° du nouveau code de procédure civile (v. supra, paragraphe a) : 2e Civ., 30 avril 2003, cit.).

c) Le juge ou son conjoint est parent ou allié de l'une des parties ou de son conjoint jusqu'au quatrième degré inclusivement

L'article 341 3° du nouveau code de procédure civile cherche à éviter que le juge ne favorise sa famille légitime, naturelle ou adoptive ou celle de son conjoint.

d) L'existence d'un procès entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint

L'article 341 4° du nouveau code de procédure civile veut éviter que l'existence, antérieure ou actuelle, d'un procès entre ces personnes ne puisse légitimement laisser penser que le juge ne serait plus impartial, car il pourrait être animé par un éventuel sentiment d'inimitié à l'égard de son ancien adversaire ou de son conjoint. Ce texte est applicable quelle que soit l'ancienneté du litige entre le juge ou son conjoint et la partie ou son conjoint, la qualité procédurale des parties étant indifférente (demandeur, défendeur, intervenant, plaignant, partie civile).

La notion de procès n'est pas précisé par le code. Cependant, la Cour de cassation considère qu'il peut s'agir indifféremment d'un procès civil ou pénal (2e Civ., 6 décembre 1978, D. 1979, IR, p. 480). A ce titre, une simple plainte déposé à l'encontre d'un juge déterminé n'est pas suffisante pour constituer un procès au sens de l'article 341 4° du nouveau code de procédure civile (2e Civ., 6 décembre 1978, cit.). En outre, le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile n'est pas en lui-même une cause de récusation au sens de l'article 341 4° du nouveau code de procédure civile (2e Civ., 11 septembre 2003, Bull. 2003, II, n° 258, pourvoi n° 03-01.360). Dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'empêcher que la partie ne choisisse son juge.

Enfin, la contestation à laquelle a donné lieu la taxe d'experts dans l'instance au cours de laquelle ils ont été commis ne constitue pas le "procès" dont l'article 341 4° du nouveau code de procédure civile fait état comme cause de récusation (2e Civ., 15 décembre 1986, Bull. 1986, II, n° 189, pourvoi n° 85-17.122).

e) Le juge a précédemment connu de l'affaire comme juge ou comme arbitre, ou a conseillé l'une des parties

L'article 341 5° du nouveau code de procédure civile concerne l'impartialité objective du juge prévue par l'article 6 § 1 de la Convention européenne, dans la mesure où on cherche à éviter que le juge ait, en raison de ses précédentes fonctions judiciaires ou de conseil, déjà pris position sur le fond du litige qu'il doit à nouveau trancher.

A ce stade, la jurisprudence opère une distinction fondée sur la nature de la première intervention du juge qui a de nouveau à connaître d'un litige. Lorsque cette première intervention a touché au fond du litige, alors il ne peut plus connaître de ce litige, sous peine d'encourir une récusation. Ainsi, la cour d'appel qui confirme un jugement en étant présidée par le magistrat qui a présidé le tribunal de grande instance méconnaît l'exigence d'impartialité objective prévue par l'article 6 § 1 de la Convention européenne (2e Civ., 20 novembre 2003, Bull. 2003, II, n° 246, pourvoi n° 01-13.974 ; v. aussi : 2e Civ., 7 novembre 1988, Bull. 1988, II, n° 210, pourvoi n° 87-17.490 ; 2e Civ., 21 juin 1989, Bull. 1989, II, n° 131, pourvoi n° 88-13.759 ; 2e Civ., 3 novembre 1993, Bull. 1993, II, n° 306, pourvoi n° 91-21.661 ; 2e Civ., 9 octobre 1996, Bull. 1996, II, n° 222, pourvoi n° 94-20.002).

Le fait pour un magistrat de siéger sur renvoi après cassation d'une décision à laquelle il a participé constitue bien une cause de récusation (3e Civ., 11 juin 1987, Bull. 1987, III, n° 122, pourvoi n° 85-14.785 ; 2e Civ., 14 octobre 1987, Bull. 1987, II, n° 194, pourvoi n° 86-11.617). De même, un magistrat qui a fait partie de la composition d'une cour d'appel ayant rendu un arrêt ultérieurement cassé ne peut siéger dans la formation appelée à connaître du recours en révision formé à l'encontre de l'arrêt rendu après cassation (2e Civ., 12 juillet, 2001, Bull. 2001, II, n° 142, pourvoi n° 99-21.822).

Cependant, lorsque le juge a rendu une décision, il peut connaître d'une voie de recours en rétractation contre celle-ci sans encourir de récusation, ce recours supposant l'existence d'un élément nouveau. Aussi, c'est sans méconnaître l'obligation d'impartialité édictée par l'article 6 § 1 de la Convention européenne qu'une cour d'appel, devant laquelle pouvait s'instaurer un débat contradictoire, a été composée par des magistrats ayant délibéré de la décision qui faisait l'objet du recours en rétractation (2e Civ., 5 février 1997, Bull. 1997, II, n° 33 et 34, pourvoi n° 95-10.622 ; Soc., 13 juillet 2004, Bull. 2004, V, n° 213, pourvoi n° 01-45.206).

L'exigence d'impartialité au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne étant sans application à la requête en rectification d'erreur matérielle d'une précédente décision, cette procédure ne donne pas lieu à récusation du juge en application de l'article 341 5° du nouveau code de procédure civile (2e Civ., 28 mai 2002, Bull. 2002, II, n° 148, pourvoi n° 00-10.516). Un juge peut statuer sur la demande de liquidation d'une astreinte qu'il a prononcée sans méconnaître les exigences d'impartialité prévues par la Convention européenne et donc sans encourir de récusation (2e Civ., 8 avril 1998, Bull. 1998, II, n° 122, pourvoi n° 96-13.845).

Concernant le juge des référés, celui-ci peut, en principe, participer à toute nouvelle prise de décision sur le fond de l'affaire. Il en est ainsi lorsqu'il n'a eu qu'à statuer pour autoriser sur une mesure conservatoire préalablement à l'examen du fond du litige (assemblée plénière, 6 novembre 1998, Bull. 1998, Ass. plén., n° 4, cit.). Il en va de même lorsque le juge des référés a décidé que la demande dont il était saisi excédait les pouvoirs de la juridiction des référés (Soc., 30 avril 2002, non publié, pourvoi n° 00-44.304). A l'inverse, le juge des référés encourt une éventuelle récusation pour défaut d'impartialité objective dès lors qu'il s'est prononcé sur le caractère sérieusement contestable de l'obligation (assemblée plénière, 6 novembre 1998, Bull. 1998, Ass. plén., n° 5, cit.).

Concernant la mise en état d'un litige civil, le juge de la mise en état qui a connu du litige au cours de sa phase d'instruction peut, en principe, participer à la décision sur le fond, dans la mesure où ses ordonnances n'ont pas, sauf exception, au principal l'autorité de la chose jugée (article 775 in limine du nouveau code de procédure civile, modifié par le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005). A titre d'exception, lorsque le conseiller de la mise en état appartient à la formation statuant sur le déféré de ses ordonnances, il peut faire l'objet d'une récusation en application de l'article 341 5° du nouveau code de procédure civile (2e Civ., 6 mai 1999, Bull. 1999, II, n° 78, pourvoi n° 96-10.407). Egalement, lorsque le juge de mise en état prend des décisions revêtues de l'autorité de la chose jugée, comme celles statuant sur les "exceptions de procédure et sur les incidents mettant fin à l'instance", il ne peut connaître ultérieurement de ce contentieux sans s'exposer à une récusation (article 775 in fine du nouveau code de procédure civile, modifié par le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005).

Dans les contentieux de procédures collectives, il est admis que le juge-commissaire qui est chargé d'établir un rapport préparant la décision peut connaître du fond du litige sans encourir une éventuelle récusation pour défaut d'impartialité objective (Com., 3 novembre 1992, cit.; Com., 23 janvier 1996, cit. ; Com., 16 octobre 2001, cit. ; v. aussi CEDH, affaire X... c/ France du 6 juin 2000, req. n° 34130/96, cit.).

A l'inverse, en matière de contentieux disciplinaire, un bâtonnier personnellement visé par les agissements (diffusion d'une lettre outrageante envers lui) pour lesquels un avocat est poursuivi disciplinairement ne peut participer au délibéré du conseil de l'ordre statuant sur ces poursuites, sous peine d'encourir une éventuelle récusation pour défaut d'impartialité objective (1re Civ., 5 octobre 1999, Bull. 1999, I, n° 257, pourvoi n° 97-15.277 ; 1re Civ., 23 mai 2000, Bull. 2000, I, n° 151, pourvoi n° 97-19.169).

En revanche, le même juge peut rendre des décisions successives sur le fond si chacune a un objet différent de l'autre. Tel est le cas lorsque le juge qui a participé au jugement prononçant une condamnation disciplinaire figure dans la formation de la cour d'appel appelée à statuer sur une demande de constatation de l'amnistie (1re Civ., 4 juin 1991, Bull. 1991, I, n° 178, pourvoi n° 90-12.788). De même, Il ne peut être reproché à la formation de jugement d'une cour d'appel, chargée de statuer sur un litige relatif à la liquidation d'une communauté entre époux, de comprendre un magistrat ayant connu, en première instance, du divorce des mêmes époux, ces deux litiges ayant un objet différent (2e Civ., 12 janvier 1994, Bull. 1994, II, n° 20, pourvoi n° 92-16.357).

Enfin, le juge qui a eu à examiner les aspects pénaux d'un litige peut ensuite connaître de ses aspects civils sans encourir une éventuelle récusation (2e Civ., 16 mars 1988, Bull. 1988, II, n° 65, pourvoi n° 85-18.519 ; 1re Civ., 29 mars 1989, Bull. 1989, I, n° 143, pourvoi n° 87-13.520). Ainsi, le fait qu'un arrêt ayant statué sur l'instance civile ait été rendu par des magistrats au nombre desquels figurait le juge d'instruction ayant connu de l'affaire sur le plan pénal n'est pas constitutif d'une irrégularité et n'est pas contraire à l'exigence d'impartialité requise par l'article 6 de la Convention européenne, ce magistrat demeurant libre de se former, en toute objectivité, une opinion sur l'affaire soumise à son examen (2e Civ., 14 décembre 1992, Bull. 1992, II, n° 315, pourvoi n° 91-17.324).

f) Le juge ou son conjoint est chargé d'administrer les biens de l'une des parties

L'article 341 6° du nouveau code de procédure civile dispose que le fait que le juge ou son conjoint soit chargé d'administrer les biens de l'une des parties constitue une cause de récusation du juge.

g) L'existence d'un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l'une des parties ou son conjoint

L'article 341 7° du nouveau code de procédure civile s'applique au juge, mais également aux techniciens (experts, consultants, constatants) désignés par une décision judiciaire. Ainsi, ayant relevé qu'il n'était pas établi que l'une des sociétés, partie à l'instance, ait eu une quelconque initiative dans la désignation d'un expert comme membre d'un collège de trois experts dans un autre litige, la cour d'appel a souverainement considéré que le versement d'une provision à cet expert, sous le contrôle et par l'intermédiaire du centre d'expertise de la chambre de commerce internationale de Paris, n'était pas caractéristique d'un lien de subordination au sens de l'article 341 7° du nouveau code de procédure civile (Com., 19 mars 1991, Bull. 1991, IV, n° 111, pourvoi n° 89-21.452).

De même, le lien de subordination ou de dépendance économique d'un expert envers une société proche de l'une des parties n'est pas établi lorsque cet expert a certes accompli des prestations pour le compte de cette société dans le cadre d'une activité libérale, mais aussi pour de nombreuses autres sociétés de ce secteur d'activité, les premières prestations ne représentant qu'un faible pourcentage de son chiffre d'affaires (2e Civ., 5 décembre 2002, Bull. 2002, II, n° 275, pourvoi n° 01-00.224).

h) L'existence d'une amitié ou inimitié notoire entre le juge et l'une des parties

Selon l'article 341 8° du nouveau code de procédure civile, il doit y avoir une amitié ou une inimitié notoire du juge à l'égard de l'une des parties, dont l'existence est souverainement appréciée par les juges du fond.

Ainsi, est légalement justifié l'arrêt qui relève que l'expert désigné dans un litige opposant une partie à une société avait été employé par celle-ci en qualité de directeur technique et retient, dans l'exercice de son pouvoir souverain, que cette longue collaboration, qui n'a pris fin que par une mise à la retraite, accompagnée de la publication d'un article de l'expert dans le journal de la société, est de nature à établir, entre celui-ci et la société, partie à l'expertise en cause, l'existence d'une amitié notoire (2e Civ., 5 mai 1993, Bull. 1993, II, n° 165, pourvoi n° 91-19.476).

De même, il a été jugé que la seule appartenance d'un magistrat au Syndicat de la magistrature ne suffit pas, à elle seule, à caractériser l'inimitié notoire de ce magistrat à l'égard du Front National (2e Civ., 24 juin 2004, Bull. 2004, II, n° 325, pourvoi n° 02-14.509).

Egalement, la seule circonstance qu'un plaideur et son juge aient été élèves de la même école (Polytechnique) n'est pas de nature à créer, même en apparence, un doute légitime sur son impartialité, et, en l'absence de toute imputation précise, la seule circonstance que les magistrats concernés seraient issus du même secteur d'activité que les parties n'est pas non plus de nature à créer, même en apparence, un doute sur leur impartialité susceptible d'entraîner leur récusation, en application de l'article 341 8° du nouveau code de procédure civile (2e Civ., 13 juillet 2005, cit.).

Il est à noter que la notion d'amitié notoire n'est pas reprise dans certains codes de procédure édictés par certaines collectivités d'Outre-mer. Ainsi, l'article 158, alinéa 8, du code de procédure civile de la Polynésie française indique que le juge peut être récusé "si depuis le commencement du procès il a bu ou mangé avec l'une ou l'autre des parties dans leur maison" et doit donc être cassé l'arrêt qui ajoute à ce texte en exigeant une condition qu'il ne comporte pas, en l'espèce que soient établis des liens d'amitié notoire avec les magistrats (2e Civ., 18 janvier 1995, Bull. 1995, II, n° 25, pourvoi n° 92-21.671).

3.2°) Les causes de récusation des conseillers prud'hommes

En matière prud'homale, l'article L. 518-1 du code du travail dispose :

"Les conseillers prud'hommes peuvent être récusés :

1. Quand ils ont un intérêt personnel à la contestation, le seul fait d'être affilié à une organisation syndicale ne constituant pas cet intérêt personnel ;

2. Quand ils sont parents ou alliés d'une des parties jusqu'au degré de cousin germain inclusivement ;

3. Si, dans l'année qui a précédé la récusation, il y a eu action judiciaire, criminelle ou civile entre eux et une des parties ou son conjoint ou ses parents ou alliés en ligne directe ;

4. S'ils ont donné un avis écrit dans l'affaire ;

5. S'ils sont employeurs, cadres, ouvriers ou employés de l'une des parties en cause".

Au départ, la chambre sociale de la Cour de cassation tenait cette liste comme limitative (Soc., 20 février 1974, Bull. 1974, V, n° 128, pourvoi n° 73-40.106). Mais ce débat est devenu aujourd'hui sans objet depuis que la chambre sociale, comme les autres formations de la Cour de cassation, admet des causes de récusation en dehors de la liste légale (Soc., 18 novembre 1998, Bull. 1998, V, n° 506, pourvoi n° 94-43.840 : demande de récusation d'un conseiller prud'homme liée aux circonstances tirées de ce que le salarié demandeur devant la juridiction prud'homale vivait maritalement avec la nièce du conseiller prud'homme qui avait refusé de s'abstenir de siéger à l'audience).

a) L'intérêt personnel à la contestation du conseiller prud'homme

Le premier cas de récusation vise le conseiller prud'homme qui a un intérêt personnel à la contestation qu'il doit trancher (article L. 518-1 1° du code du travail). Selon l'article 518-1 du code du travail, le "seul fait d'être affilié à une organisation syndicale ne constitu[e] pas cet intérêt personnel". La circonstance qu'un ou plusieurs membres d'un conseil de prud'hommes appartiennent à la même organisation syndicale que l'une des parties au procès n'est pas de nature à affecter l'équilibre d'intérêts inhérent au fonctionnement de la juridiction prud'homale ou à mettre en cause l'impartialité de ses membres (Soc., 19 décembre 2003, Bull. 2003, V, n° 321, pourvoi n° 02-41.429).

b) La parenté ou l'alliance du conseiller prud'homme avec l'une des parties

Le deuxième cas de récusation concerne le conseiller prud'homme qui a un lien de parenté ou d'alliance avec l'une des parties au litige jusqu'au degré de cousin germain inclusivement (article L. 518-1 2° du code du travail). Cependant, la circonstance qu'un conseiller prud'homme soit conjoint et secrétaire d'un avocat ayant habituellement défendu les intérêts des adversaires d'une partie dans d'autre litiges ne suffit pas à faire naître un doute légitime sur son impartialité ou sur la formation de jugement dans laquelle il siège (Soc., 22 mars 2005, cit.). A l'inverse, viole l'article 6 § 1 de la Convention européenne la cour d'appel qui rejette la demande de récusation d'un conseiller prud'homme sans examiner si les circonstances, tirées de ce que le salarié demandeur devant la juridiction prud'homale vivait maritalement avec la nièce du conseiller prud'homme qui avait refusé de s'abstenir de siéger à l'audience, constituaient une violation du principe édicté par ce texte (Soc., 18 novembre 1998, cit.).

c) L'existence d'un procès antérieur, dans l'année précédant la récusation, entre le conseiller prud'homme et l'une des parties, son conjoint, ses parents, ses alliés en ligne directe

Le troisième cas de récusation concerne le conseiller prud'homme qui, dans l'année qui a précédé la récusation, a eu à connaître d'une action judiciaire, criminelle ou civile avec l'une des parties ou son conjoint ou ses parents ou alliés en ligne directe (article L. 518-1 3° du code du travail).

d) L'avis écrit antérieur donné dans l'affaire par le conseiller prud'homme

Le quatrième cas de récusation concerne le conseiller prud'homme qui a déjà donné, quelle que soit sa qualité antérieure (juge, arbitre ou conseil d'une partie), un avis écrit dans l'affaire qu'il est amené à juger (article L. 518-1 4° du code du travail). Mais ne rentre pas dans le champs d'application de ce texte la participation antérieure de trois conseillers prud'hommes aux formations de jugement ayant statué sur des litiges analogues à celui qu'il devait juger (Soc., 18 février 2003, non publié, pourvoi n° 01-11.170). A l'inverse, les membres des conseils de prud'hommes peuvent être récusés s'ils ont donné un avis écrit dans l'affaire ; par suite, viole l'article L. 518-1-4 du code du travail l'arrêt qui, pour rejeter la demande de récusation de conseillers prud'hommes ayant procédé à l'audition d'un témoin, énonce que l'appréciation exprimée publiquement dans le procès-verbal d'enquête ne présentait aucun caractère commun avec l'avis écrit visé par le texte précité, alors que les magistrats concernés avaient émis, dans un écrit, un avis concernant la véracité d'un témoignage qui constituait un élément de l'affaire qui leur était soumise (2e Civ., 16 mars 1988, Bull. 1988, II, n° 70, pourvoi n° 87-01.005).

e) Le conseiller prud'homme est employeur, cadre, ouvrier ou employé de l'une des parties en cause

Le cinquième cas de récusation concerne le conseiller prud'homme qui est employeur, cadre, ouvriers ou employé de l'une des parties en cause (article L. 518-1 5° du code du travail). A la différence de l'article 341 du nouveau code de procédure civile, l'article 518-1 ne prend pas en compte le contrat de travail du conjoint du juge, ni celui du conjoint du plaideur.

   
B - La procédure de récusation

1°) La demande de récusation

a) Caractères de la demande

A l'inverse de la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime, qui vise tous les membres de la juridiction devant statuer sur une contestation (articles 356 et suivants du nouveau code de procédure civile), la demande de récusation présente un caractère individuel, qui signifie qu'elle cherche à écarter tel ou tel juge de la juridiction et non l'intégralité des membres la composant (2e Civ., 24 mars 1993, Bull. 1993, II, n° 126, pourvoi n° 92-16.410).

En matière de formation collégiale, les demandes de récusation et de suspicion légitime présentées conjointement étant indivisibles, seule leur est applicable la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime (2e Civ., 9 juillet 1998, Bull. 1998, II, n° 242, pourvoi n° 98-01.036).

Il est généralement admis que la récusation présente un caractère facultatif pour la partie qui dispose du droit de la demander. Concrètement, ce caractère signifie que la juridiction saisie, même si elle a connaissance d'une cause de récusation en la personne d'un de ses juges, n'a pas à la relever d'office.

b) Personnes habilitées à former cette demande

La demande de récusation peut émaner de la partie elle-même, sauf pour les demandes de récusation portées devant la Cour de cassation (article 343, alinéa premier, du nouveau code de procédure civile, modifié par le décret n° 2004-836 du 20 août 2004). Egalement, la partie peut donner à un mandataire, ad litem ou non mais obligatoirement muni d'un mandat spécial à cet effet, le pouvoir de récuser en son nom un juge composant une juridiction (article 343, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile). Ainsi, le curatélaire, soumis à une interdiction d'ester seul en justice en application de l'article 511 du code civil, ne peut, sans l'assistance de son curateur, demander la récusation d'un juge, sous peine de nullité de sa requête (2e Civ., 17 juin 1981, Bull. 1981, II, n° 137). De même, en application de l'article 1844-7 7° du code civil, une société prend fin par l'effet du jugement prononçant sa liquidation judiciaire. Aussi, dans l'exercice des droits propres qu'elle tient de la loi, cette personne morale, dont le gérant est privé de ses pouvoirs à compter de la liquidation judiciaire, ne peut agir en récusation que par l'intermédiaire d'un mandataire ad hoc : une requête en récusation n'est donc pas recevable en l'absence d'un tel mandataire dans l'instance (2e Civ., 4 juillet 2002, Bull. 2002, II, n° 157, pourvoi n° 02-01.276).

c) Modalités de la demande

La demande de récusation est formée soit par un acte remis au secrétariat de la juridiction à laquelle appartient le juge, soit par une déclaration orale qui est consignée par le secrétaire de la juridiction dans un procès-verbal (article 344, alinéa premier, du nouveau code de procédure civile). Dans les deux cas, le greffe doit délivrer au requérant un récépissé de la demande (article 344, alinéa 3, du nouveau code de procédure civile). La demande de récusation (ou de renvoi pour cause de suspicion légitime) étant formée, contre récépissé, par un acte remis au secrétariat de la juridiction à laquelle appartient le juge ou par une déclaration qui est consignée par le secrétaire dans un procès-verbal, elle n'est pas recevable lorsqu'elle a été formée par lettre recommandée adressée au greffier en chef de la juridiction ou au premier président de la cour d'appel (2e Civ., 8 avril 2004, Bull. 2004, II, n° 192, pourvoi n° 04-01.404 ; 2e Civ., 1er février 2006, Bull. 2006, II, n° 38, pourvoi n° 06-01.579).

d) Moment de la demande

En application de l'article 342, alinéa premier, du nouveau code de procédure civile, la partie qui veut récuser un juge doit, à peine d'irrecevabilité, le faire dès qu'elle a connaissance de la cause de récusation (2e Civ., 24 novembre 2005, Bull. 2005, II, n° 303). Cette connaissance de la cause de récusation fait l'objet d'une présomption simple de la part de la partie qui a été en mesure d'avoir connaissance de la composition de la formation appelée à juger son affaire avant la clôture des débats. En conséquence, la partie qui était informée du nom du magistrat appelé à statuer, sans audience, sur ses observations écrites n'est pas recevable à invoquer, devant la Cour de cassation, le défaut d'impartialité de ce juge au motif qu'il avait déjà statué à plusieurs reprises sur sa demande de surendettement, dès lors qu'elle n'a pas fait usage de la possibilité d'en demander la récusation, par application de l'article 341 5° du nouveau code de procédure civile, dès qu'elle a eu connaissance de la cause de récusation (2e Civ., 20 octobre 2005, Bull. 2005, II, n° 272, pourvoi n° 04-04.114).

Egalement, n'est donc pas recevable la requête déposée par une partie qui avait déjà formé, au cours de la même instance, une précédente demande de récusation visant les mêmes magistrats et qui avait été rejetée, dès lors qu'elle n'allègue aucune cause qui serait parvenue à sa connaissance postérieurement au dépôt de sa première requête (2e Civ., 2 décembre 2004, Bull. 2004, II, n° 516, pourvoi n° 04-01.469). Est irrecevable la requête présentée à cet effet par une partie près de deux mois après qu'elle a été en mesure d'avoir connaissance des causes de récusation qu'elle soulève (2e Civ., 19 février 2004, Bull. 2004, II, n° 74, pourvoi n° 04-01.396).

En outre, la demande de récusation doit impérativement être formée avant la clôture des débats (article 342, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile). A ce titre, lorsque les débats ont eu lieu devant une juridiction dont la composition de la formation appelée à statuer était nécessairement connue à l'avance des parties (assistées d'un avocat ou représentées par un avoué), la demande de récusation est irrecevable lorsqu'elle n'a pas été formée avant la clôture des débats (2e Civ., 6 mai 1999, Bull. 1999, II, n° 78, pourvoi n° 96-10.407 ; assemblée plénière, 24 novembre 2000, Bull. 2000, Ass. plén., n° 10, pourvoi n° 99-12.412 ; 2e Civ., 15 février 2001, Bull. 2001, II, n° 28, pourvoi n° 98-17.643 ; 2e Civ., 8 avril 2004, Bull. 2004, II, n° 175, pourvoi n° 01-04.196). Egalement, il ne peut être reproché à un conseil de prud'homme d'avoir statué alors que l'un des conseillers prud'hommes ayant siégé exerçait aussi les fonctions incompatibles de juge consulaire, lorsqu'aucune procédure de contestation de l'élection de ce conseiller prud'homme n'a été diligentée conformément aux dispositions des articles R. 513-108 et R. 513-109 du code du travail et qu'aucune demande de récusation n'a été formée avant la clôture des débats (Soc., 20 mars 1990, Bull. 1990, V, n° 127, pourvoi n° 86-44.139). Enfin, aux termes de l'article 342 du nouveau code de procédure civile, la demande de récusation ne peut, en aucun cas, être formée après la clôture des débats. Est donc irrecevable une demande formée neuf jours après la clôture des débats (2e Civ., 30 novembre 1978, Bull. 1978, II, n° 262, pourvoi n° 78-15.854).

2°) La juridiction compétente

En application de l'article 349 du nouveau code de procédure civile, pour statuer sur la demande de récusation présentée par l'une des parties, la compétence appartient en principe à la cour d'appel lorsque le magistrat concerné appartient à une juridiction du premier degré de l'ordre judiciaire ou à la cour d'appel (2e Civ., 8 juillet 1999, Bull. 1999, II, n° 133, pourvoi n° 99-01.074 : la requête tendant au renvoi pour cause de récusation exclusivement dirigée contre l'un des conseillers d'une cour d'appel ressortit à la compétence de cette juridiction et est, dès lors, irrecevable devant la Cour de cassation ; 2e Civ., 28 juin 2001, Bull. 2001, II, n° 126, pourvoi n° 97-20.729 : la demande de récusation d'un conseiller de cour d'appel est jugée par la cour d'appel et non par son premier président). Dans ce dernier cas, le cour doit statuer sur la demande de récusation sans que le magistrat, objet de la demande de récusation, ne puisse participer à la formation de jugement ayant à connaître de sa cause (Cass. civ., 20 juin 1924, DP 1926, 1, p. 100).

Cependant, lorsque la demande en récusation est dirigée contre un assesseur d'une juridiction échevinale, le président de cette juridiction est seul compétent. La juridiction échevinale associe des juges de profession et des juges qui ne sont pas des professionnels de la justice. Sont ainsi considérés comme des juridictions échevinales le tribunal paritaire des baux ruraux et le tribunal des affaires de la sécurité sociale. En revanche, un conseil de l'ordre ne constituant pas une juridiction échevinale, son bâtonnier est incompétent pour se prononcer sur la demande de récusation d'un membre de ce conseil (1re Civ., 17 juillet 1979, Bull. 1979, I, n° 213, pourvoi n° 78-13.296). De même, le conseil de prud'hommes dans sa formation ordinaire, étant composé d'un nombre égal de salariés et d'employeurs, ne constitue pas une juridiction échevinale (2e Civ., 26 novembre 1990, Bull. 1990, II, n° 250, pourvoi n° 90-11.749). Enfin, en cas de partage, l'affaire est renvoyée devant le même bureau de conciliation, le même bureau de jugement ou la même formation de référé, présidé par un juge d'instance. Encourt par suite la cassation une cour d'appel qui, pour se déclarer incompétente sur la demande de récusation d'un conseiller prud'homme, retient qu'en siégeant au complet en formation de départage présidée par un magistrat professionnel, le conseil de prud'homme était devenu une juridiction échevinale, alors que la formation de départage n'est qu'une formation de la juridiction prud'homale (2e Civ., 26 novembre 1990, cit.).

3°) Le déroulement de la procédure de récusation

Après le dépôt de la demande de récusation, le greffier de la juridiction communique au juge copie de la demande de récusation dont ce dernier est l'objet (article 345 du nouveau code de procédure civile). Dès qu'il a communication de cette demande, le juge doit s'abstenir jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la récusation (article 346, alinéa premier, du nouveau code de procédure civile). C'est à partir de la date à laquelle la demande de récusation a été communiquée au juge récusé qu'il est tenu de s'abstenir, conformément aux dispositions de l'article 346 du nouveau code de procédure civile (1re Civ., 10 mai 1989, Bull. 1989, I, n° 192, pourvoi n° 87-05.069). En cas d'urgence, un autre juge peut être désigné, même d'office, pour procéder aux opérations qui s'avèrent nécessaires (article 346, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile).

Dans un délai de huit jours à compter de cette communication, le juge dont la récusation est demandée dispose d'une option qu'il doit exprimer par des observations écrites, soit pour acquiescer à la récusation, soit pour s'y opposer (article 347 du nouveau code de procédure civile). En principe, le fait que le juge récusé fasse connaître par écrit ses observations sur les motifs de la demande ne fait pas de lui une partie dans l'instance en récusation, ce qui ne lui confère pas qualité pour exercer un pourvoi en cassation (2e Civ., 23 novembre 1983, Bull. 1983, II, n° 184, pourvois n° 82-11.655 et 82-40.822).

L'acquiescement du juge à la récusation dans le délai de huit jours doit être exprès. Dans ce cas, le juge est aussitôt remplacé (article 348 du nouveau code de procédure civile). Le président de la juridiction est la seule autorité compétente pour procéder au remplacement du juge acquiesçant à sa récusation. Ainsi, il résulte de la combinaison des articles 348 du nouveau code de procédure civile et R. 321-34 du code de l'organisation judiciaire que lorsqu'un juge d'instance a acquiescé à sa récusation, son remplaçant doit être désigné par le président du tribunal de grande instance. Est par suite nul le jugement rendu par un juge désigné par le premier président de la cour d'appel, en remplacement du juge d'instance qui avait acquiescé à sa récusation (2e Civ., 3 octobre 1984, Bull. 1984, II, n° 143, pourvois n° 83-12.794). De même, lorsqu'un juge d'instance a acquiescé à sa récusation, son remplaçant est désigné par le président du tribunal de grande instance et non par le juge récusé lui-même (Soc., 13 juillet 2004, Bull. 2004, V, n° 222, pourvois n° 02-60.061, 02-60.574 et 02-60.051).

En cas d'opposition expresse du juge à sa récusation ou s'il ne répond pas, la demande de récusation sera jugée sans délai par la juridiction compétente (cour d'appel ou président de la juridiction échevinale : article 349 du nouveau code de procédure civile). A cet effet, le greffe lui communique la demande en récusation assortie de la réponse du juge ou de la mention de son silence (article 350 du nouveau code de procédure civile).

L'affaire est alors examinée sans qu'il soit nécessaire d'appeler les parties ni le juge récusé (article 351, alinéa premier, du nouveau code de procédure civile). La partie qui sollicite la récusation doit être informée de la date de l'audience (2e Civ., 10 juin 1998, Bull. 1998, II, n° 179, pourvoi n° 96-15.760 ; 2e Civ., 28 juin 2001, Bull. 2001, II, n° 126, pourvoi n° 97-20.729). La Cour de cassation a même admis qu'en matière de récusation d'un juge, les observations du magistrat, objet de la requête, doivent être communiquées au requérant, qui doit être informé de la date à laquelle l'affaire sera examinée (2e Civ., 26 juin 1996, Bull. 1996, II, n° 186, pourvoi n° 95-22.065).

Cependant, la récusation d'un ou plusieurs juges étant une procédure incidente dans le cours d'une instance au fond, elle ne constitue pas, par elle-même, une contestation sur les droits et obligations de caractère civil au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne. Il s'ensuit qu'en suivant la procédure prévue par l'article 359 du nouveau code de procédure civile et en jugeant qu'il n'était pas nécessaire, en application de ce texte, d'appeler le demandeur, une cour d'appel n'a pu violer la Convention précitée (1re Civ., 5 novembre 1991, Bull. 1991, I, n° 294, pourvois n° 90-11.547, 90-11.507 ; 2e Civ., 14 octobre 2004, Bull. 2004, II, n° 457, pourvoi n° 02-18.708 ; 2e Civ., 15 décembre 2005, Bull. 2005, II, n° 328, pourvoi n° 04-17.166).

Selon les articles 351 et 359 du nouveau code de procédure civile, il est statué sans qu'il soit nécessaire d'appeler les parties. Il en résulte qu'en l'absence de débat et de toute disposition en ce sens, le ministère public n'a pas à communiquer ses conclusions ou à les mettre à la disposition des parties (2e Civ., 15 décembre 2005, Bull. 2005, II, n° 328, pourvoi n° 04-17.166). Il résulte de l'article 351 du nouveau code de procédure civile que la demande de récusation est examinée sans qu'il soit nécessaire d'appeler les parties, de sorte que le principe de publicité des débats n'est pas applicable (2e Civ., 14 octobre 2004, Bull. 2004, II, n° 457, pourvoi n° 02-18.708).

La procédure de récusation aboutit à une décision qui l'admet ou la rejette.

Si la récusation est admise, il est procédé au remplacement du juge (article 352 du nouveau code de procédure civile). Dans ce dernier cas, les actes accomplis par le juge avant qu'il ait eu connaissance de la demande de récusation ne peuvent être remis en cause (article 354 du nouveau code de procédure civile).

Si la récusation est rejetée, son auteur peut être condamné à payer une amende civile d'un montant maximum de 3 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui pourraient lui être réclamés par le juge, objet de la demande de récusation (article 353 du nouveau code de procédure civile, modifié par le décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005).

Que la demande soit admise ou rejetée, une copie de la décision est remise ou adressée par le greffe au juge et aux parties (article 351, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile).

A peine d'irrecevabilité, la demande en récusation contre plusieurs juges doit être faite dans un même acte, à moins que la cause de récusation ne se révèle postérieurement (article 355, alinéa premier, du nouveau code de procédure civile). Dans ce cas, la procédure de récusation doit être écartée lorsque la récusation vise plusieurs juges composant la juridiction, au profit de la procédure de renvoi (article 355, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile).

Enfin, les demandes de récusation et de suspicion légitime présentées conjointement étant indivisibles, seule leur est applicable la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime (2e Civ., 9 juillet 1998, cit.).

4°) Les voies de recours

Lorsqu'elle provient du président d'une juridiction échevinale, la décision relative à une récusation n'est pas susceptible de faire l'objet d'un appel (article 349 du nouveau code de procédure civile).

Seul le pourvoi en cassation est ouvert à l'encontre de la décision de la cour d'appel ou du président de la juridiction échevinale. Ce pourvoi doit être exercé selon la procédure de droit commun, c'est-à-dire avec représentation d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (2e Civ., 4 novembre 1988, Bull. 1988, II, n° 204, pourvoi n° 88-10.133). Ainsi, le pourvoi ne bénéficie pas de la procédure sans représentation obligatoire, même lorsqu'elle est applicable au litige principal, dont l'incident de récusation est l'accessoire (2e Civ., 17 novembre 1982, Bull. 1982, II, n° 145, pourvoi n° 82-12.530 ; 2e Civ., 15 janvier 1992, Bull. 1992, II, n° 20, pourvoi n° 91-01.006).

II - Le renvoi pour cause de suspicion légitime

Le renvoi pour cause de suspicion légitime est un mécanisme du nouveau code de procédure civile (articles 356 à 363) qui permet à une partie de dessaisir une juridiction amenée à statuer dans un litige, dont elle suspecte l'ensemble de ses membres de partialité à son égard.

  
A - Le domaine du renvoi pour cause de suspicion légitime

Le renvoi pour cause de suspicion légitime constitue un principe général de procédure (CE, 3 mai 1957, Rec. CE, p. 279), qui s'applique devant toute les juridictions (1re Civ., 7 novembre 2000, Bull. 2000, I, n° 278, pourvoi n° 97-21.883).

Toutefois, il faut noter que lorsqu'une cour d'appel est saisie d'une requête en suspicion légitime contre une juridiction ordinale statuant en matière disciplinaire, il lui appartient de rechercher si cette requête est fondée et, si tel est le cas et en l'absence de disposition légale permettant le renvoi devant une autre juridiction ordinale, d'évoquer et de statuer au fond (1re Civ., 7 novembre 2001, cit.).

Cependant, la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime n'est pas applicable devant la Cour de cassation (2e Civ., 14 décembre 1977, Bull. 1977, II, n° 239 ; 2e Civ., 20 mai 1992, Bull. 1992, II, n° 149, pourvoi n° 92-01.001). Ainsi, il résulte des articles 356, 358, 359, 364 et 1027 du nouveau code de procédure civile que la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime n'étant pas applicable à la Cour de cassation ; il s'ensuit qu'une telle requête dirigée contre l'une des chambres de cette Cour ne peut qu'être déclarée irrecevable par celle-ci (2e Civ., 21 février 2002, Bull. 2002, II, n° 26, pourvois n° 00-01.2219 et 02-01.241).

La suspicion légitime suppose, en principe, l'existence d'une cause de récusation à l'encontre de tous les membres de la juridiction concernée. A cette fin, la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime est assujettie aux mêmes conditions de recevabilité et de forme que la demande de récusation (article 356 du nouveau code de procédure civile). A ce titre, la cause de récusation peut n'exister qu'à l'encontre du président de la juridiction, mais rejaillir sur la partialité de l'ensemble des magistrats composant la juridiction. Tel est la cas lorsque le requérant invoque des motifs tirés de ce qu'un premier président de cour d'appel est personnellement concerné, en sa qualité de propriétaire d'un bien immobilier, par la solution du litige de liquidation et partage de communauté opposant sa soeur au requérant, en raison de l'autorité hiérarchique de ce magistrat sur les juges de la cour d'appel (2e Civ., 24 janvier 2002, Bull. 2002, II, n° 7, pourvoi n° 00-01.224).

Concernant la détermination de la notion de la "suspicion légitime", la crainte de partialité, justifiée par les diligences et les décisions du conseiller de la mise en état appelé à faire partie de la composition collégiale qui statuera au fond du litige, ne caractérise pas les motifs de nature à faire peser, sur les magistrats composant cette chambre, un soupçon légitime de partialité (2e Civ., 2 décembre 1998, Bull. 1998, II, n° 294, pourvoi n° 98-01.054).

La seule circonstance qu'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme ait précédemment constaté la violation de l'article 6 de la Convention européenne en raison de la durée excessive d'une procédure opposant les mêmes parties devant diverses juridictions, parmi lesquelles celle saisie, ne constitue pas un motif légitime de suspecter l'impartialité d'une juridiction saisie d'un litige (2e Civ., 27 mai 2004, Bull. 2004, II, n° 259, pourvoi n° 02-13.483). Le fait qu'une décision rendue par une juridiction ait été cassée ne fait pas peser sur celle-ci un soupçon légitime de partialité pour connaître des points du litige restant à juger (2e Civ., 27 janvier 2005, Bull. 2005, II, n° 21, pourvoi n° 04-01.481).

Le demandeur en renvoi pour cause de suspicion légitime doit apporter des éléments de preuve suffisants pour étayer son soupçon de suspicion contre les magistrats de la juridiction et non se limiter à de vagues allégations. La suspicion légitime ne peut être retenue si celui qui l'invoque se contente d'évoquer, sans en rapporter la preuve, l'animosité dont il serait l'objet de la part de tous les magistrats siégeant à la cour d'appel (2e Civ., 19 mars 1980, Gaz. Pal. 1980, 2, p. 548). De même, elle ne saurait être retenue lorsqu'un ancien juge de la mise en état du tribunal de grande instance a été nommé à la cour d'appel devant laquelle se trouve l'affaire (2e Civ., 20 octobre 1982, Gaz. Pal. 1983, pan. 100). Enfin, la suspicion légitime ne peut non plus être retenue lorsque la juridiction a rejeté, par plusieurs décisions antérieures, les prétentions du demandeur en renvoi contre le même adversaire et l'a condamné à des dommages-intérêts pour procédure abusive (2e Civ., 12 avril 1976, Bull. 1976, II, n° 118).

En matière de juridiction à juge unique, comme c'est le cas du juge des référés, il n'y a pas lieu à renvoi pour cause de suspicion légitime, mais seulement à récusation de ce magistrat. En pareil cas, l'acceptation d'un renvoi pour cause de suspicion légitime suppose alors qu'il existe une cause de récusation contre tous les juges susceptibles d'exercer la même fonction (2e Civ., 13 janvier 1982, Gaz. Pal. 1982, 2, p. 553).


B - La procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime

1°) La recevabilité de la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime

La demande de renvoi pour cause de suspicion légitime obéit aux mêmes conditions de recevabilité et de forme que la demande de récusation (article 356 du nouveau code de procédure civile ; 2e Civ., 24 janvier 2002, cit.). Est dès lors irrecevable, comme tardive, la requête en renvoi pour cause de suspicion légitime dont les causes se rapportent à des arrêts rendus et signifiés dix-huit mois auparavant, le requérant ayant été en mesure de les faire valoir dès l'enrôlement de son appel, interjeté huit mois avant la présentation de la requête (2e Civ., 27 mai 2004, Bull. 2004, II, n° 260, pourvoi n° 04-01.425).

La demande de renvoi pour cause de suspicion légitime doit être remise au secrétariat de la juridiction saisie de l'affaire dont le renvoi est sollicité ou faite par déclaration consignée dans un procès-verbal par le secrétaire de cette juridiction . Est irrecevable la requête adressée au président de la chambre criminelle de la Cour de cassation par une personne qui a sollicité le dessaisissement d'une cour d'appel pour cause de suspicion légitime (2e Civ., 24 octobre 1991, Bull. 1991, II, n° 286, pourvoi n° 91-16.231).

Aussi, est irrecevable la requête tendant, pour cause de suspicion légitime, au renvoi de l'appel d'une affaire devant une autre cours dès lors qu'il n'est indiqué ni la nature du litige, ni le tribunal qui a statué, ni la date de la décision frappée d'appel (2e Civ., 23 janvier 1974, Bull. 1974, II, n° 39, pourvoi n° 73-11.695).

En outre, est irrecevable, comme sans objet, une requête tendant au renvoi pour cause de suspicion légitime, dirigée contre une cour d'appel pour des affaires dont cette juridiction n'est pas saisie (2e Civ., 17 octobre 1990, Bull. 1990, II, n° 206, pourvoi n° 90-13.413 ; 2e Civ., 3 avril 2003, Bull. 2003, II, n° 103, pourvoi n° 03-01.332).

2°) Le déroulement de la procédure devant le président de la juridiction

La demande de dessaisissement est immédiatement communiquée par le secrétaire au président de la juridiction (article 357 du nouveau code de procédure civile).

Lorsque le président de la juridiction, objet de la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime, estime cette demande fondée, il y fait droit. Dans ce cas, il dispose d'une option : soit il distribue l'affaire à une autre formation de la même juridiction, soit il décide de la renvoyer à une autre juridiction de même nature (article 358, alinéa premier, du nouveau code de procédure civile). En cas de décision de renvoi, il ne décide que du principe du renvoi, dont les modalités sont, en application de l'article 358, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile, déterminées par le "président de la juridiction immédiatement supérieure qui désigne la juridiction de renvoi" (2e Civ., 24 février 2005, Bull. 2005, II, n° 44, pourvoi n° 03-10.657). Cette dernière décision, qui n'est susceptible d'aucun recours, est adressée aux parties et au juge de renvoi.

A l'inverse, lorsque le président de la juridiction, objet de la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime, estime cette demande non fondée, il est tenu de transmettre le dossier, avec les motifs de son refus, au président de la juridiction immédiatement supérieure (article 359, alinéa premier, du nouveau code de procédure civile). Ainsi, lorsque le président de la juridiction saisie s'oppose à une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime, la décision par laquelle il transmet l'affaire, avec les motifs de son refus, au président de la juridiction supérieure n'est pas une mesure d'administration judiciaire, de sorte que les parties doivent en avoir connaissance en temps utile (Soc., 19 décembre 2003, Bull. 2003, V, n° 321, pourvoi n° 02-41.429). La juridiction immédiatement supérieure est seule compétente pour connaître du renvoi pour cause de suspicion légitime et non son président, qui se limite à recevoir le dossier (2e Civ., 12 avril 1976, Bull. 1976, II, n° 118). Elle doit statuer sur le renvoi demandé dans le mois de la transmission de l'affaire.

La procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime, comme celle de récusation, ne porte pas sur une contestation d'un droit ou d'une obligation de caractère civil et n'entre donc pas dans le champ d'application de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Aussi, la demande de récusation est examinée sans qu'il soit nécessaire d'appeler les parties, de sorte que le principe de publicité des débats n'est pas applicable (2e Civ., 14 octobre 2004, Bull. 2004, II, n° 457, pourvoi n° 02-18.708 ; 2e Civ., 15 décembre 2005, Bull. 2005, II, n° 328, pourvoi n° 04-17.166 ; Soc., 21 mars 2006, Bull. 2006, V, n° 115, pourvoi n° 04-44.621).

Egalement, une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime ne constituant pas une action en justice, une cour d'appel ne peut condamner les requérants à une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime à payer une amende civile pour procédure abusive ou dilatoire, sur le fondement de l'article 32-1 du nouveau code de procédure civile (2e Civ., 2 décembre 2004, Bull. 2004, II, n° 510, pourvoi n° 03-12.506).

La juridiction immédiatement supérieure peut aussi bien rejeter la demande de renvoi qu'y faire droit. Dans ce dernier cas, l'affaire est renvoyée soit à une autre formation de la juridiction primitivement saisie, soit à une autre juridiction de même nature (article 360 du nouveau code de procédure civile) et cette décision, qui n'est susceptible d'aucun recours, s'impose aux parties et au juge de renvoi (v. sur une demande en récusation contre plusieurs juges assimilée à une demande en renvoi de la juridiction pour cause de suspicion légitime : 2e Civ., 4 janvier 1989, Bull. 1989, II, n° 5, pourvoi n° 87-01.006).

La demande de renvoi pour cause de suspicion légitime n'emporte pas automatiquement suspension de l'instance. Cependant, celle-ci n'est pas exclue, mais reste subordonnée à une décision de sursis à statuer émanant du président de la juridiction saisie de la demande de renvoi (article 361 du nouveau code de procédure civile). En cas de décision de renvoi, il est procédé comme à l'article 97 du nouveau code de procédure civile (modalités de transmission du dossier par la juridiction de renvoi à la juridiction désignée). Aussi, la même instance se poursuit devant la juridiction désignée. Enfin, lorsque la demande de renvoi est rejetée, son auteur peut être condamné au paiement d'une amende civile et éventuellement à des dommages-intérêts (article 363 du nouveau code de procédure civile).

1. Voir infra : sur l'application de l'article 341 5° du nouveau code de procédure civile

2. Voir infra : sur l'application de l'article 341 4° du nouveau code de procédure civile ; v. aussi fiche méthodologique sur l'expertise

3. Voir infra : sur l'application de l'article 341 1° et 341 2° du nouveau code de procédure civile

4. Voir fiche de méthodologie sur l'expertise