L'annulation de la saisie-attribution pratiquée en période suspecte
(A propos de l'alinéa 2 de l'article L. 632-2 du Code de commerce)
par Ludovic LAUVERGNAT
Titulaire de l'examen professionnel d'Huissier de justice DEA Droit Privé


Fruit de propositions audacieuses, l'article L. 632-2, alinéa 2 du Code de commerce issu de la loi du 26 juillet 2005 relative à la sauvegarde des entreprises en difficulté a intégré parmi les cas de nullité de la période suspecte, la saisie-attribution. Jusqu'à présent non concernée, cette mesure d'exécution pourra directement être remise en cause en cas d'ouverture d'une procédure collective. Il est apparu opportun d'étudier la résonance du nouveau dispositif au regard notamment de l'interprétation jurisprudentielle établie en des situations similaires.

I. 07 1. « Jadis personnage considéré, du moins écouté, le créancier fut par l'article 1er de la Loi du 25 janvier 1985, relégué au dernier rang, primé par la nécessité de sauvegarder l'entreprise et de maintenir l'activité ainsi que l'emploi. Il a été quelque peu rehaussé par la loi du 10 juin 1994. Il ne cesse pas pour autant d'être malmené depuis plusieurs décennies par un courant spirituel tendu vers son éviction, comme le serait dans une partie de croquet, le joueur qui aurait manqué un arceau(1) ». Cette pensée, loin d'être obsolète, garde toujours un parfum d'actualité. En effet, la loi de sauvegarde des entreprises en difficulté du 26 juillet 2005, entrée en vigueur le 1er janvier 2006, a apporté son florilège de surprises au rang desquelles, outre la création de deux nouvelles procédures(2), l'apparition d'un nouveau cas de nullité facultative. L'alinéa 2 de l'article L. 632-2 du Code de commerce énonce dans une formule péremptoire :

« Tout avis à tiers détenteur, toute saisie-attribution, toute opposition peut également être annulé lorsqu'il a été délivré ou pratiqué par un créancier après la date de cessation des paiements et en connaissance de celle-ci ».

2. Considérée comme « le fer de lance(3) » de la réforme des voies d'exécution, la saisie-attribution, mesure d'exécution forcée(4), permet à un créancier muni d'un titre exécutoire, constatant une créance liquide et exigible, de saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent. Son efficacité liée à l'effet attributif immédiat qu'elle permet a fait de cette mesure l'une des plus usitée en pratique. Cette efficacité est d'autant plus renforcée que l'alinéa 2 de l'article 43 de la loi du 9 juillet 1991 prévoit que « la signification ultérieure d'autres saisies ou de toute autre mesure de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ainsi que la survenance d'un jugement portant ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaires, ne remettent pas en cause cette attribution ». La réforme des procédures collectives obscurcit quelque peu le tableau en englobant la saisie-attribution dans les nullités de la période suspecte ; cette nullité fût-elle seulement facultative. Fondé sur la recherche de l'égalité entre les créanciers(5), principe gouvernant le droit des procédures collectives, le nouveau dispositif peut très rapidement mettre en échec une partie des solutions admises en la matière. Le caractère obligatoire de la nullité ayant été évité de peu(6), il n'est pas certain qu'il ne revienne très vite au galop. En effet, l'absence de caractère automatique ressortant de la lettre du texte peut très vite être gommée par l'application qui en sera faite en jurisprudence. L'esprit de la réforme peut l'emporter au détriment des droits du créancier saisissant. Le texte en vigueur depuis peu suscite bon nombre d'interrogations dont les magistrats sont seuls à même de répondre. Même s'il est concevable d'admettre que l'absence de caractère automatique de la nullité constitue une limite à l'application de l'article L. 632-2 du Code de commerce, cette limite ne risque-t-elle pas de s'effacer devant les impérieux objectifs poursuivis par le droit des procédures collectives ? Le garde-fou posé par ledit article suffira-t-il à sauvegarder les droits des créanciers ? La jurisprudence fera-t-elle sienne la lettre du texte oubliant par la même l'esprit qui le gouverne ? Il y a lieu de s'interroger, tant les impacts de la nouvelle disposition rejaillissent sur le droit à l'exécution même. Les intérêts antagonistes gouvernant les deux matières sont difficilement conciliables. Le droit des procédures collectives est immergé par une vision globale, collective de la situation du débiteur au détriment des droits des créanciers. Ces derniers sont sacrifiés sur l'autel des objectifs poursuivis par le droit des procédures collectives, à savoir la sauvegarde de l'entreprise et des emplois. Le droit de l'exécution, quant à lui, est gouverné par une vision individualiste emprunt d'égoïsme à travers laquelle le prix de la course est de mise(7). Le premier qui agit sera le premier servi ! Incontestablement la réforme de 2005, même si elle tend à un équilibre entre les intérêts en présence, ne conduit pas forcément à la conciliation espérée. Seule une interprétation stricto sensu du texte permettra d'atteindre l'objectif souhaité.

Nonobstant son entrée en vigueur récente, certains magistrats ont déjà eu à se prononcer sur ledit article. Plusieurs éléments de réponse peuvent également être recherchés dans les décisions antérieures en vertu de la similitude de rédaction des textes nouveaux avec les dispositions anciennes. C'est ainsi que sous le prisme de la jurisprudence, l'étude des conditions de l'annulation de la saisie-attribution pratiquée en période suspecte (I) précédera celle de ses effets (II).

I. Les conditions d'annulation de la saisie-attribution

3. Au regard du texte, deux conditions cumulatives doivent être remplies pour pouvoir prétendre à l'annulation de la saisie-attribution. La première, d'ordre chronologique, consiste à comparer la date de délivrance de l'acte à celle de cessation des paiements (A). La seconde, d'ordre psychologique, réside dans la connaissance du créancier ayant diligenté la mesure d'exécution de l'état de cessation des paiements de son débiteur (B).

A. La condition d'ordre chronologique

4. Un créancier ayant fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains d'un tiers ne pourra voir sa procédure annulée que si la mesure a été diligentée postérieurement à la date de cessation des paiements du débiteur. Autrement dit, pour pouvoir répondre à ce premier critère, la mesure d'exécution devra être régularisée pendant la période suspecte, période courant rétrospectivement du jugement d'ouverture à la date de cessation des paiements. Ce n'est donc qu'un truisme que d'affirmer que les saisies-attributions dressées postérieurement au jugement d'ouverture et répondant aux exigences de l'article L. 622-17 du Code de commerce(8), doivent être exclues du champ d'application du nouvel alinéa.

D'un simple point de vue procédural, l'action en nullité n'est ouverte qu'à certaines personnes limitativement énumérées par l'article L. 632-4 du Code de commerce. Sont donc titulaires de l'action, l'administrateur, le mandataire judiciaire, le commissaire à l'exécution du plan, le liquidateur, ou encore, et ce qui constitue une nouveauté de la réforme, le ministère public. C'est ainsi que ni les créanciers, ni même le débiteur n'ont qualité pour agir, fût-ce par voie d'exception(9). Le texte ne prévoit par ailleurs aucun délai pour exercer l'action en nullité. La jurisprudence considère néanmoins que l'autorité de la chose jugée attachée à la décision de l'admission des créances du juge-commissaire s'oppose à l'exercice d'une telle action(10). Enfin, il n'est pas concevable d'envisager l'action en nullité sans entrevoir l'action en report. Effectivement, dans bien des cas, l'action en report constituera une condition préalable à l'exercice de l'action en nullité. L'article L. 631-8 du Code de commerce, texte cardinal en la matière, prévoit que « le tribunal fixe la date de cessation des paiements. A défaut de détermination de cette date, la cessation est réputée être intervenue à la date du jugement qui la constate ». La période suspecte, qui peut être reportée une ou plusieurs fois à la demande des personnes visées à l'alinéa 3 de l'article L. 631-8 du Code de ­commerce, ne peut l'être pour une période antérieure n'excédant pas dix-huit mois à compter du jugement déclaratif(11). Il est en effet difficile de déterminer au moment du jugement d'ouverture la date exacte de cessation des paiements. Le législateur a donc permis strictement, à certaines personnes et sous certaines conditions, la possibilité de reporter la date de cessation des paiements. Il convient de préciser que la demande de report connaî t un couperet en ce qu'elle doit être introduite dans le délai d'un an à compter du jugement d'ouverture(12).

5. Les difficultés relatives à la preuve à apporter en ce domaine impliquent par hypothèse une très grande liberté d'appréciation laissée aux magistrats. L'action en report se trouvant fréquemment doublée d'une action en nullité, un auteur a souligné que « la demande de report est donc bien souvent faite sur la constatation de la passation d'actes nuls sur le fondement des dispositions des articles L. 107 et suivants(13) ». L'acte en question constituera un élément déterminant en vue de l'admission du report. On comprend tout de suite l'impact en ce qui concerne la mesure d'exécution. Les tribunaux seront plus enclins à reporter la date selon que la créance, objet de la saisie, revêt une importance particulière pour l'économie de l'entreprise. La Cour suprême a même déjà indiqué que l'absence de paiement des créances à leurs dates d'échéances constituait des indices suffisants qu'à la date du report la débitrice se trouvait en état de cessation des paiements(14). De même, et en dépit d'un compte bancaire créditeur, le simple fait de ne pas avoir réglé les créances à leurs échéances, fussent-elles supérieures au montant du solde créditeur, entraî ne le report de la date de cessation des paiements(15). Enfin, il ne faut pas oublier que l'état de cessation des paiements doit être caractérisé au moment de la date de report(16), précision étant faite qu'une amélioration de la situation déficitaire de l'entreprise n'interdit nullement la date de report à l'époque où la cessation des paiements était avérée(17). Si le simple non-paiement à son échéance de la créance est suffisant à motiver le report, la régularisation d'une mesure d'exécution se suffira a fortiori en elle-même. La mesure d'exécution se retrouverait en quelque sorte condamnée par avance, comme si sa régularisation engendrait déjà sa fin.

6. La détermination de la période suspecte est donc imprégnée d'insécurité juridique. La liberté laissée dans l'appréciation des magistrats de la date de cessation des paiements est source d'imprévision pour le créancier diligent. D'autant qu'une plume avisée a précisé que « les juridictions se montrent infiniment plus souples quant à l'appréciation de la preuve de cet état [de cessation des paiements] lorsqu'il s'agit du report(18) ». En effet, la raison d'être du report de la date de cessation des paiements réside dans la reconstitution du patrimoine du débiteur en vue d'assurer le maintien de l'entreprise et la sauvegarde des emplois. Une trop grande rigueur des magistrats dans une matière colorée d'« à peu près » engendrerait un éboulement de tout l'édifice législatif. C'est ainsi que la jurisprudence se fonde sur une analyse économique de la situation afin de fixer le point de départ de la période suspecte(19). Les créances n'ayant pas toutes le même intérêt pour l'entreprise, un risque de discrimination pourrait émerger entre les différents créanciers selon que la créance, objet de la saisie, est capitale ou non(20) pour le devenir de la procédure collective. L'appréciation casuelle à laquelle les magistrats se livrent conduit inlassablement à une incertitude qui n'a pas lieu d'être dans la vie des affaires. Cette incertitude est également présente dans l'appréciation de la seconde condition, condition d'ordre psychologique.

B. La condition d'ordre psychologique

7. La connaissance de l'état de cessation des paiements du débiteur par le créancier saisissant constitue la seconde condition à remplir en vue de l'annulation de la mesure d'exécution. D'ordre psychologique, les magistrats devront sonder l'état d'esprit du créancier diligent. Cette condition fait office, à première vue, de limite dans l'application de l'article L. 632-2 du Code de commerce(21). Un enseignement paraî t pouvoir être tiré de la jurisprudence antérieure statuant sous l'empire de l'ancien article L. 621-108. Cet article, aujourd'hui devenu l'alinéa 1er de l'article L. 632-2, prévoit que « les paiements pour dettes échues effectués après la date de cessation des paiements et les actes à titre onéreux accomplis après cette même date peuvent être annulés si ceux qui ont traité avec le débiteur ont eu connaissance de la cessation des paiements ». La similitude dans la rédaction des dispositions législatives conduit à retenir les solutions jurisprudentielles déjà connues en la matière, qui plus est avec la suppression par la réforme de la différenciation de l'auteur de l'acte suspect(22).

8. La condition d'ordre psychologique, à savoir la ­connaissance de l'état de cessation des paiements, doit, aux termes de la jurisprudence, s'apprécier au moment où l'acte a été diligenté(23). C'est à l'aune de leur pouvoir souverain d'appréciation que les magistrats concluront si la condition psychologique est ou non satisfaite. Il y a lieu de noter que la charge de la preuve incombe aux organes de la procédure. Cette preuve peut être rapportée par tout moyen et il n'est pas nécessaire de justifier de l'existence d'un préjudice en vue de prononcer la nullité(24). A l'identique, la mauvaise foi du créancier est indifférente, seul importe la connaissance de l'état de cessation des paiements(25).

9. A l'encontre de certains créanciers, au premier rang desquels se trouvent les banques, la jurisprudence montre une grande sévérité s'exprimant par l'allègement de la preuve de la connaissance de l'état de cessation des paiements. Le seul fait de l'existence de relations habituelles entre la banque et son client induit nécessairement la ­connaissance de l'état de cessation des paiements. La Cour régulatrice a jugé qu'une banque, après avoir ­consenti des avances à son client suite à des impayés, et ayant clôturé le compte du débiteur, avait connaissance de l'état de cessation des paiements(26). Ont été également annulées des cessions de créances professionnelles consenties par le banquier en exécution d'une convention-cadre au seul motif que le compte bancaire présentait ­systématiquement un solde débiteur conduisant à la ­connaissance par le banquier de l'état de cessation des paiements de son client(27). La jurisprudence se fonde donc sur l'étroitesse des relations existantes entre le banquier et son client. Or, c'est bien une chose que d'avoir connaissance de l'état de cessation des paiements mais c'est tout autre chose que d'avoir connaissance d'un éventuel état de cessation des paiements. La frontière est bien mince mais ne doit pas s'estomper. La systématisation par la jurisprudence du respect de cette condition a conduit certains à s'interroger sur la possible existence d'une présomption(28). Ce paradigme jurisprudentiel infléchit donc indubitablement la charge de la preuve pesant sur les titulaires de l'action en nullité. La présomption ou « quasi-­présomption », pour reprendre les termes utilisés par le professeur Blanc(29), implique en pratique un déplacement de l'objet de la preuve. Les organes de la procédure n'ont plus à prouver que le créancier avait connaissance de l'état de cessation des paiements mais ce sera à ce dernier de rapporter la preuve de son ignorance. Cette jurisprudence, teintée de subjectivisme, tire sa légitimité d'une appréciation in concreto relative à la personne-même du créancier(30). C'est parce que le créancier est une banque qui entretient des relations particulières avec le débiteur qu'il devait avoir forcément connaissance de la situation du débiteur. Le risque est grand que cette jurisprudence s'applique au présent article. En effet, la saisie-attribution doit être diligentée par un huissier de justice, professionnel de l'exécution, mandataire du créancier. Le fait qu'intervienne un professionnel du droit, officier ministériel qui plus est, pourrait avoir pour corollaire un laxisme dans l'appréciation de la connaissance. Juriste de terrain au centre d'intérêts antagonistes, l'huissier de justice, mieux que quiconque, est à même de connaî tre la situation patrimoniale du débiteur. Le seul recours à une mesure d'exécution, en l'occurrence une saisie-attribution, n'insinue-t-il pas l'existence de difficultés dans l'apurement du passif(31)  ? Cela ne serait-il pas suffisant pour conclure à la connaissance de l'état de cessation des paiements du débiteur ? La jurisprudence a très tôt admis que le recours à des poursuites afin d'obtenir un paiement suffisait à prouver la ­­connaissance(32). A l'identique, le fait pour le débiteur d'indiquer au créancier qu'il éprouve des difficultés financières suffit à prouver la connaissance(33). Les magistrats paraissent donc faire fi de la définition de l'état de cessation des paiements. Appliquer au cas présent, le spectre d'une présomption pourrait resurgir. Surtout, qu'il convient de rappeler que les règles applicables au mandat ont vocation à jouer. Que ce soit le créancier mandant qui ait connaissance de l'état de cessation des paiements ou encore son seul mandataire(34), l'huissier de justice, la condition est remplie pour la jurisprudence. Le fait que le mandataire est gardé secret cette information n'a aucune incidence(35).

10. Néanmoins, et fort heureusement, il ne semble pas que ce soit dans cette voie que semble s'engouffrer les magistrats. Au regard des premières décisions rendues sous l'empire de l'article L. 632-2 du Code de commerce, la jurisprudence entend apprécier strictement les conditions de l'article précité. Faisant sienne la lettre du texte, la Cour d'appel de Dijon(36) a récemment affirmé que le simple fait de pratiquer un avis à tiers détenteur pendant la période suspecte ne faisait pas présumer la connaissance par le créancier de l'état de cessation des paiements. Refoulant par la même la simple idée d'un régime de présomption, les juges du second degré validèrent les avis à tiers détenteurs pratiqués. En effet, et même si la société débitrice n'avait pas réglé les sommes dues au titre de la taxe sur la valeur ajoutée, elle ne se trouvait pas nécessairement en état de cessation des paiements dans la mesure où elle avait toujours respecté ses obligations. Et les magistrats d'ajouter que le défaut d'octroi de délai de paiement importe peu. La connaissance de l'état de cessation des paiements doit donc être corroborée par des indices supplémentaires. Il pourra s'agir du non respect d'un moratoire conventionnel(37) ou encore d'un cumul de dettes. La solution dégagée par les magistrats du second degré en matière d'avis à tiers détenteur doit incontestablement être transposée à la saisie-attribution. Déjà auparavant, sous la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967, une jurisprudence avait refusé de déduire du seul recours à des saisies-arrêts la connaissance de l'état de cessation des paiements(38). En l'espèce, un créancier avait fait diligenter plusieurs saisies-arrêts (ancêtre de la saisie-attribution) en vue de récupérer son dû. La Cour d'appel avait déduit du seul recours à ces mesures d'exécution la connaissance du créancier de l'état de cessation des paiements. La Haute juridiction avait censuré l'arrêt déféré en exigeant des circonstances supplémentaires du simple recours à des saisies pour remplir la condition de connaissance.

11. Apprécier les conditions du nouveau texte au regard de la jurisprudence antérieure permet d'insister sur le risque d'un possible débordement. Sans pour autant entrer dans une paranoïa chronique, il est incontestable que dans l'hypothèse en cause, le sort de la saisie-attribution est laissé à la merci des magistrats. La ligne de conduite amorcée par la jurisprudence(39) mérite sans nul doute d'être félicitée et de se pérenniser en vue d'instituer un certain équilibre entre les droits des parties en présence. Il n'en demeure pas moins que la sanction attachée à l'application du texte implique une série d'effets qui ne doit pas passer sous silence.

II. Les effets de l'annulation de la saisie-attribution

12. A l'égard du créancier qui a fait montre de diligence, l'annulation de la saisie-attribution commandera des effets variant selon la situation dans laquelle il se trouve (A). Au-delà de cet aspect, les effets de la nullité se ressentent sur la procédure en ébranlant certaines certitudes établies en la matière (B).

A. A l'égard du créancier

13. Les impacts de la nullité ne seront pas ressentis de la même manière selon que la procédure de saisie était ou non arrivée à son terme au moment du prononcé de la sanction. L'article 43 de la loi du 9 juillet 1991, en son alinéa 1er, énonce : « L'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie disponible entre les mains du tiers ainsi que tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation ». De la signification de l'acte de saisie par l'huissier de justice résulte l'effet attributif de la mesure. A compter de cet instant, la créance objet de la saisie sort du patrimoine du débiteur pour rentrer dans celui du créancier, ce qui permet d'expliquer que le tiers saisi soit obligé personnellement envers le saisissant. Mais cet effet de la saisie ne confère qu'un droit au créancier saisissant, celui d'être payé. Le paiement n'est pas simultané et le tiers saisi ne pourra se libérer qu'à la signification à lui faite d'un certificat de non contestation ou d'un acquiescement signé par le débiteur formalisant son accord au paiement(40).

14. Si au moment du prononcé de la nullité, la procédure est arrivée à son terme, le créancier ayant reçu les fonds du tiers saisi sera tenu de les restituer. En effet, la rétroactivité attachée à la nullité de la saisie commande la restitution des fonds du fait que la créance n'est censée n'avoir jamais quitté le patrimoine du débiteur. On perçoit aussitôt les effets pervers attachés à la sanction surtout si l'on se souvient que l'annulation peut frapper une saisie-attribution vieille de dix-huit mois du jugement d'ouverture. Les gênes et perturbations comptables occasionnées de la sorte peuvent être lourdes de conséquences pour l'économie d'une entreprise. Une interrogation demeure relative à l'identité du bénéficiaire de la créance de restitution. Les fonds doivent-ils être adressés au tiers saisi ou doivent-ils être versés à la procédure collective ? Il y a lieu de considérer que la restitution doit être faite entre les mains du mandataire judiciaire et non du tiers saisi(41). La chose est parfaitement logique d'un point de vue juridique. En effet, de par la nullité de la saisie, la créance est censée n'être jamais sortie du patrimoine du débiteur. Le tiers n'étant obligé qu'à l'égard du débiteur, en l'absence de saisie, rien n'empêchait le premier de régler directement ce dernier.

15. La situation n'est pas identique pour le créancier qui n'a pas encore obtenu le paiement. Dans ce cas de figure, le créancier n'est tenu à aucune restitution puisqu'il n'a pas encore reçu le paiement de son dû. Néanmoins, l'effet attributif de la saisie a transféré la créance dans son patrimoine dont il devient titulaire. Il ne s'agit plus ici d'un paiement espéré mais bel et bien d'un paiement futur. Pour reprendre les propos d'éminents spécialistes, le créancier se voit ôter non plus « une espérance mais un droit acquis, le plus souvent à la suite d'une décision de justice(42) ». Par hypothèse, ce dernier a fait montre d'une grande vigilance, en obtenant dans un premier temps un titre exécutoire, puis en usant des mesures mises à sa disposition par la loi pour concrétiser son droit. Rétroactivement, il voit ses droits anéantis au nom d'une égalité prétendue entre les créanciers de la procédure collective. Le droit à l'exécution ne fait-il pas partie intégrante du procès équitable tel qu'énoncé à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales(43) ? La nouvelle disposition entend faire vaciller les certitudes encrées en la matière.

16. En toutes hypothèses, le créancier perdant son « privilège » deviendra un créancier antérieur qui n'aura que pour seul secours d'avoir à déclarer sa créance auprès du mandataire conformément à l'article L. 622-24, encore faut-il que le délai ne soit pas expiré(44). Si tel est le cas, il y a ici un risque que la responsabilité de l'huissier de justice soit engagée. C'est pourquoi, il apparaît judicieux, au nom du principe de précaution, de déclarer la créance à la procédure toutes les fois où la mesure d'exécution ne sera pas arrivée à son terme.

Abandonnant l'idée d'une simple vision centralisée sur la personne du créancier, il est apparu judicieux d'étudier les effets de l'annulation au regard de la procédure et plus particulièrement des voies d'exécution.

B. A l'égard de la procédure

17. La procédure de saisie-attribution, de par l'effet attributif qu'elle emporte, permet au créancier de bénéficier d'une mesure d'exécution des plus efficaces. L'article 43 alinéa 2 de la loi du 9 juillet 1991 précise d'ailleurs que cette attribution ne peut être remise en cause « par la survenance d'un jugement portant ouverture d'un redressement ou d'une liquidation judiciaires ». Or, la nouvelle disposition de l'article L. 632-2 du Code de commerce met en échec l'effet attributif de la saisie-­attribution. Il va de soi que l'article 43 en visant la survenance d'un jugement tend à embrasser l'ensemble des conséquences attachées à l'ouverture d'une procédure collective. De prime abord, à la lecture de ces deux articles, une opposition, fût-elle indirecte, paraît se dessiner.

18. En s'appuyant sur une analyse sémantique, une proposition peut être formulée en vue d'arriver à une compatibilité entre les deux textes. L'idée consisterait à détacher le procès-verbal de saisie-attribution de la procédure du même nom. L'article 43 ne vise que l'acte de saisie, autrement dit l'acte signifié au tiers saisi par l'huissier de justice, alors que l'article L. 632-2 alinéa 2 parle de saisie-attribution, qui peut être vue non plus seulement comme l'acte de saisie en lui-même, mais comme l'intégralité de la procédure allant de la saisie au paiement du créancier(45). Par là, l'idée que seule la saisie-attribution terminée par le paiement du créancier pourrait être entachée de nullité. En d'autres termes, l'article L. 632-2 alinéa 2 du Code de commerce ne viserait que le paiement obtenu suite à la mesure d'exécution. Mais retenir cette idée serait, semble-t-il, aller trop loin. En effet, le nouveau texte vise expressément la saisie-attribution sans aucune référence à un quelconque paiement. Si le législateur avait souhaité visé le paiement obtenu suite à la saisie, nul doute qu'il ne s'en serait pas privé. Il y a lieu en ce sens de se référer aux nombreux autres cas de nullité prévus en période suspecte. Au surplus, il convient de rappeler que la mesure d'exécution produit effet au moment de la régularisation de l'acte de saisie. C'est la signification du procès-verbal de saisie qui permet le transfert de la créance du patrimoine du débiteur dans celui du saisissant. Or, au vu de l'article L. 632-4 in fine du Code de commerce, les nullités de la période suspecte ont pour principale finalité la reconstitution du patrimoine du débiteur. Admettre que l'article L. 632-2 du Code de commerce ne concernerait que les seules saisies arrivées à terme reviendrait à dénuer d'intérêt le mécanisme mis en place par le législateur. Enfin, et même si l'hypothèse paraissait séduisante pour les créances à exécution instantanée, elle n'est pas concevable s'agissant des créances à exécution successive. Comment justifier que les paiements obtenus pendant la période suspecte soient annulés et que ceux postérieurs au jugement d'ouverture ne le soient pas ?

19. En recentrant le raisonnement sur l'article 43 de la loi du 9 juillet 1991, une deuxième suggestion pourrait être avancée. L'article 43 aliéna 1er prévoit l'attribution immédiate de la créance saisie, à condition que cette créance soit disponible. La jurisprudence de façon constante rappelle ce principe. C'est ainsi par exemple que l'effet attributif de la saisie ne saurait jouer sur un prix de vente de fonds de commerce frappé des oppositions conformes à l'article L. 141-14 du Code de commerce(46). Dans ce cas, l'acte de saisie n'est pas dénué d'effet, il va permettre au créancier saisissant de prendre rang. Ne serait-il donc pas possible d'admettre que la créance, objet de la saisie, soit devenue rétroactivement indisponible, privant de la sorte la mesure d'exécution de son effet attributif immédiat ? L'indisponibilité pourrait provenir du jugement d'ouverture de la procédure collective. Mais, même si le jugement d'ouverture peut rendre les biens du débiteur indisponibles(47), encore faut-il que ses biens soient toujours dans son patrimoine au moment de la décision, ce qui n'est plus le cas de la créance saisie-attribuée. L'indisponibilité pourrait alors tout simplement provenir de la nullité de la saisie par suite de l'application de L. 632-2 du Code de commerce. Cependant, là encore, cette voie ne peut être empruntée. Il n'est pas concevable de considérer que la nullité pourrait entraî ner l'indisponibilité de la créance. La nullité frappe l'acte d'exécution, sans se préoccuper du caractère de la créance, objet de la saisie, et sans surtout la modifier. Que la créance soit à terme, conditionnelle ou encore indisponible, il n'entre pas dans les « attributs » de la sanction d'en modifier les caractères. En ce que la rétroactivité est d'essence à la nullité, aucune conséquence ne paraî t pouvoir être dégagée de l'acte sanctionné. En effet, l'article L. 632-2 touche la procédure en elle-même, c'est la saisie qui encoure la nullité. En conséquence, admettre cette suggestion aboutirait à un résultat paradoxal celui de faire produire effet à une mesure qui n'est plus car frappée de nullité.

20. En revanche, l'article L. 632-2 alinéa 2 peut être considéré comme une exception à l'article 43 alinéa 2 de la loi de 1991. L'effet attributif de la saisie pourrait être remis en question par le jeu du nouvel article. La mesure d'exécution produirait en quelque sorte effet sous condition résolutoire de la mise en jeu de l'article L. 632-2 du Code de commerce.

21. Par ailleurs, l'application du nouveau dispositif signe par lui-même un recul évident de la saisie-attribution eu égard aux autres mesures d'exécution. Une parenthèse peut ici être ouverte. Certains considèrent que l'expression « toute opposition » contenue dans l'article L. 632-2 alinéa 2 du Code de commerce renvoie à « toute mesure d'exécution ou conservatoire(48) ». Cette opinion ne paraît pas emporter la conviction en ce sens que l'article L. 632-1 du Code de commerce vise déjà les mesures conservatoires pratiquées en période suspecte. Au surplus, pourquoi distinguer la saisie-attribution et l'avis à tiers détenteur des autres mesures d'exécution ? Il semble que l'expression « toute opposition » devrait être entendue comme visant toute mesure, autre que la procédure de saisie-attribution et d'avis à tiers détenteur, ayant pour objet l'attribution ou l'indisponibilité d'une créance de somme d'argent. L'article L. 632-2 alinéa 2 ne viserait donc que des mesures portant sur des créances de somme d'argent, en va-t-il ainsi, par exemple, de l'opposition à tiers détenteur ou encore de l'opposition à prix de vente de fonds de commerce. Cette interprétation, ayant le mérite d'homogénéiser le texte, permet de faire échapper du champ d'application de l'article L. 632-2 l'opposition-jonction de l'article 50 alinéa 2 de la loi du 09 juillet 1991 en ce sens que cette dernière porte exclusivement sur des biens meubles corporels(49). Cette précision étant faite, le retrait de la saisie-attribution paraî t s'illustrer dans l'éviction par le nouvel article de la procédure de saisie-vente. A la différence de la saisie-attribution, dans le cadre de la saisie-vente, ce n'est que par l'effet de la vente des biens saisis que ces derniers sortent du patrimoine du débiteur. Si au moment de l'ouverture de la procédure collective, la vente des biens n'a pas eu lieu, le créancier saisissant sera soumis à l'arrêt des poursuites individuelles de l'article L. 622-21 du Code de commerce. Dans ce cas de figure, le sort du créancier bénéficiant d'une saisie-vente est donc moins enviable que celui ayant diligenté une saisie-attribution. Mais à situation identique, c'est-à-dire au moment où la mesure d'exécution produit ses effets en faisant sortir les biens du patrimoine du débiteur, le créancier ayant régularisé une saisie-attribution est dans une situation plus délicate. En effet, la saisie-vente a été exclue du champ d'application de l'article L. 632-2 du Code de commerce. Cet article prévoyant de véritables exceptions doit être interprété strictement (exceptio est strictissimae interpretationis). Seule la saisie-attribution peut être annulée(50). Une réelle entorse au principe de subsidiarité tel que voulu par le législateur de 1991 semble se profiler. Celui-ci, en posant comme principe la subsidiarité de la saisie-vente, a voulu inciter les créanciers à recourir à des procédures qu'il jugeait moins traumatisante pour le débiteur, en va-t-il ainsi de la saisie-attribution. Du fait de l'efficacité de la mesure d'exécution prônée, l'incitation devait rimer avec son utilisation. Par le jeu de l'article L. 632-2, il est fort à parier que la préséance de la procédure de saisie-attribution, seule procédure d'exécution concernée(51), se retrouvera malmenée. Il en va de même en ce qui concerne la force souhaitée du titre exécutoire, qui révèle ici ses limites. La réforme des voies d'exécution avait pour sacerdoce la revalorisation du titre exécutoire. Cette dernière fut notamment consacrée par la substitution de la saisie-­attribution à la saisie-arrêt de créance de somme d'argent et à sa pénible instance en validité. Force est de constater que l'estocade portée à la saisie-attribution entraî ne mécaniquement un affaiblissement du titre exécutoire(52). Les souhaits émis par le législateur de 1991 pourraient donc devenir lettre morte.

22. Les premiers balbutiements jurisprudentiels doivent être salués. Rejetant l'esprit de la réforme, les magistrats paraissent exclure l'idée que le simple recours à la mesure d'exécution laisserait présumer la connaissance de l'état de cessation des paiements. Cet ostracisme doit perdurer au risque d'assister à un débordement qui doit être évité à tout prix. D'une nullité facultative, un glissement pourrait s'opérer, sous l'égide d'une appréciation jurisprudentielle teintée d'opportunité et de pragmatisme, vers une nullité qui sans aller de la qualifier d'obligatoire, pourrait se révéler « quasi-obligatoire ». En effet, si les tribunaux tendaient à admettre un régime de présomption, nul doute que cette hypothèse se confirmerait. Dans ce ­contexte, l'huissier de justice, professionnel de l'exécution, doit faire montre de prudence plus qu'à n'importe quel instant car le risque de voir engager sa responsabilité est bien réel(53).