L'AUTORITÉ DE LA CHOSE JUGÉE DES JUGEMENTS CIVILS

Plan

Introduction : notion et distinctions

I - Domaine : les décisions concernées
1 - Les jugements qui en sont revêtus
A - Jugements contentieux
B - Jugements définitifs
2 - Les énonciations concernées
A - Le dispositif exprès
B - Le dispositif virtuel ou implicite
C - Le dispositif réservé

II - Portée et étendue
1 - L'autorité de chose jugée à l'égard des parties : effet probatoire et irrecevabilité
A - Conditions : identité de parties, d'objet et de cause
B - Une irrecevabilité d'ordre public
2 - L'autorité de chose jugée et les tiers
3 - L'autorité de chose jugée et le juge
A - Le dessaisissement du juge
B - Traitement des contrariétés de décisions

Conclusion

- L'autorité des décisions de la Cour de cassation

- L'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil

C'est exclusivement sous l'angle d'une présomption légale irréfragable de vérité que les articles 1350 et 1351 du code civil traitent de la question de l'autorité de la chose jugée. En réalité, cet effet positif du jugement se double d'une incidence procédurale d'une importance majeure en pratique et qui en est le corollaire, l'irrecevabilité des demandes ultérieures ayant, entre les mêmes parties, le même objet et la même cause (article 122 du nouveau code de procédure civile). Enfin, la question n'est pas sans lien avec celle de la recevabilité des voies de recours, comme l'appel (article 544 du nouveau code de procédure civile ; Com., 28 février 1996, Bull. 1996, IV, n° 39) ou le pourvoi en cassation (articles 606 et 607 du nouveau code de procédure civile).

Cette notion doit être distinguée de la force de chose jugée attachée au jugement régulièrement notifié, qui n'est pas susceptible d'un recours suspensif d'exécution (article 500 du nouveau code de procédure civile ; 2e Civ., 25 octobre 1995, Bull. 1995, II, n° 254 ; Com., 27 mai 1997, Bull. 1997, IV, n° 158). Le jugement à l'abri des voies de recours est bien souvent improprement qualifié de définitif, terme qui, comme nous le verrons, doit être réservé aux décisions de justice dotées de l'autorité de la chose jugée dès leur prononcé et indépendamment des voies de recours ouvertes. La décision sera plus correctement qualifiée de passée en force de chose jugée lorsqu'elle n'est pas susceptible d'une voie de recours ordinaire, pour devenir ensuite irrévocable, une fois les voies de recours extraordinaires elles-mêmes fermées ou épuisées (2e Civ., 8 juillet 2004, Bull. 2004, II, n° 352).

I - DOMAINE : LES DÉCISIONS CONCERNÉES

La question du domaine de l'autorité de la chose jugée se dédouble : quelles décisions en sont dotées et quelles énonciations du jugement considéré sont concernées comme exprimant ce qui est tranché ?

1 - Les jugements qui en sont revêtus

Est doté de l'autorité de chose jugée le jugement qui tranche une contestation, quelle que soit l'origine de la décision considérée, laquelle peut émaner de telle ou telle juridiction de droit commun ou d'exception, collégiale ou à juge unique, du premier ou du second degré, pour ne pas citer la Cour de cassation. L'autorité de chose jugée n'est ensuite nullement subordonnée à la régularité du jugement. Tant qu'elle n'a pas été annulée, infirmée ou réformée par l'exercice d'une voie de recours, la décision est dotée de cette autorité en dépit de l'erreur qui l'entache (3e Civ., 4 mars 1998, pourvoi n° 96-11.399 ; Soc., 19 mars 1998, Bull. 1998, V, n° 158) ou de l'irrégularité qui l'affecte (Com., 14 novembre 1989, Bull. 1989, IV, n° 289 ; 2e Civ., 18 décembre 2003, pourvoi n° 02-17.069).

Aux termes de l'article 480 du nouveau code de procédure civile, le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche. Il se dégage de cette disposition fondamentale deux éléments de définition de la décision dotée de l'autorité de la chose jugée : le critère de la contestation tranchée et le caractère définitif du jugement.

A - Jugements contentieux

Ce critère de la contestation tranchée est essentiel car, à défaut, la décision est dépourvue de l'autorité de chose jugée (2e Civ., 4 juin 1993, Bull. 1993, II, n° 190 et Soc., 2 mars 1995, pourvoi n° 92-14.237, s'agissant de la décision ordonnant la réouverture des débats).

Fort logiquement, la décision rectificative réparant une omission de statuer n'a pas d'autre autorité que celle du jugement rectifié (2e Civ., 23 juin 2005, pourvoi n° 03-17.258).

Les jugements gracieux n'ont pas autorité de la chose jugée (1re Civ., 3 janvier 1996, pourvoi n° 94-04.069).

Dans le même ordre d'idées, les décisions rendues sur accord des parties en sont pareillement dépourvues, dès lors que cet accord, expressément constaté, tient lieu de motif (2e Civ., 14 avril 1988, Bull. 1988, II, n° 79). En revanche, est revêtue de l'autorité de la chose jugée la décision adoptant une solution qui, tout en étant approuvée par les parties, est motivée par des considérations de droit et de fait autres que l'accord (1re Civ., 2 juillet 1963, Bull. 1963, I, n° 360).

Le jugement d'homologation d'un partage n'a pas autorité de la chose jugée lorsqu'il ne tranche aucune contestation (1re Civ., 14 juin 1988, Bull. 1988, I, n° 188). Il en est de même du jugement de licitation sur saisie immobilière qui ne statue sur aucun incident (2e Civ., 13 février 1985, Bull. 1985, II, n° 35).

B - Jugements définitifs

Le jugement est définitif lorsqu'il tranche tout ou partie du principal qui s'entend de l'objet du litige (article 480, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile par renvoi à l'article 4 ; Soc., 10 février 1994, pourvoi n° 91-19.925) (3e Civ., 27 avril 1982, Bull. 1982, III, n° 106, au sujet d'une exception d'incompétence) ou lorsqu'il statue sur un moyen de procédureou une fin de non-recevoir (2e Civ., 30 mars 2000, Bull. 2000, II, n° 55), ce qui, néanmoins, ne fait pas obstacle, dans cette dernière hypothèse, à une nouvelle action en cas de disparition de la cause d'irrecevabilité. Plus généralement, le juge peut être à nouveau saisi en cas de faits nouveaux (cf. infra, dessaisissement du juge).

Le jugement définitif a autorité de la chose jugée dès son prononcé (2e Civ., 30 mars 2000 précité).

Relèvent, en revanche, de la justice provisoire dépourvue de l'autorité de la chose jugée :

- les décisions de référé, sauf à leur reconnaître une autorité provisoire de la chose jugée, laquelle ne joue que devant la juridiction des référés secondairement saisie, qui ne peut modifier ou rapporter la décision initiale qu'en cas de circonstances nouvelles le justifiant (articles 484 et 488 du nouveau code de procédure civile ; pour une illustration : 2e Civ., 13 juillet 2005, Bull. 2005, II, n° 197) ;

- les ordonnances sur requête, qui peuvent être modifiées et rétractées par le juge, même si la juridiction de fond est saisie (articles 493 et 497 du nouveau code de procédure civile ; 2e Civ., 26 novembre 1990, Bull. 1990, II, n° 247 ; Com., 7 juin 1994, Bull. 1994, IV, n° 206) ;

- les décisions du juge ou du conseiller de la mise en état (2e Civ., 27 mai 1983, Bull. 1983, II, n° 117 ; 20 juillet 1987, Bull. 1987, II, n° 170) et l'arrêt statuant sur l'appel d'une ordonnance du juge de la mise en état (Com., 14 novembre 1995, Bull. 1995, IV, n° 262) ou sur le déféré d'une ordonnance du conseiller de la mise en état, à l'exception notable, introduite par le décret du 28 décembre 2005, des décisions qui statuent sur des exceptions de procédure ou des incidents mettant fin à l'instance (article 775 du nouveau code de procédure civile et, sur la notion d'incident au sens de l'article 771 du nouveau code de procédure civile, cf. l'avis de la Cour de cassation du 13 novembre 2006, Bull. 2006, Avis, n° 10), mais cette dérogation rejoint le principe général énoncé à l'article 480 du nouveau code de procédure civile ;

- les jugements avant dire droit qui ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire (enquête : 3e Civ., 23 mai 1991, pourvoi n° 89-14.078 ; expertise : 1re Civ., 9 juillet 1991, pourvoi n° 89-20.245 ; désignation d'un huissier de justice pour établir un constat : 3e Civ., 15 mai 1979, Bull. 1979, III, n° 107 ou encore d'un notaire pour procéder à des opérations de compte, liquidation et partage d'une succession : 1re Civ., 3 juillet 1996, Bull. 1996, I, n° 285) et il en est de même d'une décision qui, dans son dispositif, se borne à poser une question préjudicielle, après avoir pourtant relevé la non-conformité d'une loi de validation à la Convention européenne des droits de l'homme dans ses motifs, lesquels sont dépourvus de l'autorité de la chose jugée (2e Civ., 6 avril 2004, Bull. 2004, II, n° 152) ;

- les décisions ordonnant le rabat de l'ordonnance de clôture, la réouverture des débats et un sursis à statuer (article 379 du nouveau code de procédure civile ; 2e Civ., 4 juin 1993, Bull. 1993, II, n° 190, pourvoi n° 91-21.282).

En revanche, le jugement, mixte qui, tout à la fois, ordonne une mesure d'instruction ou une mesure provisoire et tranche une partie du principal dans son dispositif est immédiatement susceptible d'appel ou d'un pourvoi en cassation, selon le cas, et a autorité de la chose jugée relativement à la contestation ainsi tranchée. A titre d'illustration, est mixte le jugement qui, dans son dispositif, ordonne un sursis à statuer après avoir tranché une contestation relative à la valeur de biens successoraux (2e Civ., 13 décembre 1995, pourvoi n° 94-11.451) ou retient, dans son principe, une responsabilité tout en ordonnant une mesure d'expertise sur la question de l'évaluation du dommage (2e Civ., 7 novembre 2002, pourvoi n° 01-03.352).

   
2 - Les énonciations concernées

A - Le dispositif exprès

A la lecture de la jurisprudence qui s'est développée au sujet des jugements mixtes ou avant dire droit notamment, on constate que seul le dispositif stricto sensu de la décision concernée est pris en considération pour déterminer si l'autorité de la chose jugée s'y attache. Un jugement n'est mixte que si le dispositif se dédouble, ordonnant non seulement une mesure d'instruction ou une mesure provisoire, mais tranchant également une contestation au principal.

Désormais, motifs décisoires et motifs décisifs sont dépourvus de l'autorité de la chose jugée, laquelle n'a lieu qu'à l'égard de ce qui est tranché dans le dispositif.

La jurisprudence actuelle, par une interprétation plus littérale de l'article 480 du nouveau code de procédure civile, a donc abandonné les solutions qui avaient pu être dégagées antérieurement, à partir des années 1970/80.

Désormais, les motifs, dits décisoires, qui se prononcent sur une question litigieuse sont, dans le silence de la loi, clairement dépourvus de l'autorité de la chose jugée (1re Civ., 7 octobre 1998, Bull. 1998, I, n° 284 ; 2e Civ., 8 juin 2000, pourvoi n° 98-19.038) et il en est de même des motifs décisifs, que l'on définissait classiquement comme constituant le soutien nécessaire du dispositif (2e Civ., 10 juillet 2003, Bull. 2003, II, n° 238 ; 1re Civ., 13 décembre 2005, Bull. 2005, I, n° 490 ; 2e Civ., 6 avril 2006, pourvoi n° 04-17.503). Dans sa jurisprudence la plus récente, la Cour de cassation, au sujet de motifs décisoires, rappelle que seul le dispositif est doté de l'autorité de la chose jugée, mais en prenant le soin de préciser qu'il en est ainsi même lorsque la motivation constitue le soutien nécessaire du dispositif, formule qui marque, par la même occasion, l'abandon de la thèse des motifs décisifs (2e Civ., 10 juillet 2003, pourvoi n° 01-15.195 ; 12 février 2004, Bull. 2004, II, n° 55 ; Com., 31 mars 2004, Bull. 2004, IV, n° 64, pourvoi n° 02-16.437 ; 1re Civ., 22 novembre 2005, Bull. 2005, I, n° 425 ; 2e Civ., 13 juillet 2006, Bull. 2006, II, n° 208).

La même solution prévaut désormais pour l'application de l'article 95 du nouveau code de procédure civile. L'autorité de la chose jugée d'une décision se prononçant sur la compétence ne s'étend pas aux motifs de fond qui en sont le soutien nécessaire (Com., 16 juin 2004, pourvoi n° 02-12.468 ; 3e Civ., 22 mars 2006, Bull. 2006, III, n° 80, pourvoi n° 05-12.178 ; cf. aussi 2e Civ., 6 mai 2004, pourvoi n° 02-16.772), même si une décision récente, mais isolée, a retenu la solution contraire (1re Civ., 12 juillet 2001, Bull. 2001, I, n° 216). En définitive, conformément à l'article 77 du nouveau code de procédure civile, le juge doit donc impérativement, dans le dispositif de sa décision, trancher la question de fond dont est tributaire la compétence, pour ensuite se déclarer compétent ou incompétent, selon le cas. A titre d'illustration, le dispositif d'un arrêt qui déclare compétent le tribunal de commerce en raison du caractère commercial du contrat litigieux peut être ainsi rédigé :

Par ces motifs

La cour statuant...

- dit que le contrat conclu le ... entre... constitue un acte de commerce ;

- déclare compétent le tribunal de commerce ;

Enfin, il convient de rappeler qu'un dispositif ambigu, obscur ou incomplet peut toujours être interprété à la lumière des motifs (1re Civ., 24 février 1987, Bull. 1987, I, n° 65 ; Com., 9 janvier 1990, Bull. 1990, IV, n° 6 ; 2e Civ., 12 octobre 2006, pourvoi n° 05-16.044).

B - Dispositif virtuel ou implicite

Dans le même ordre d'idées, seul ce qui est expressément jugé dans le dispositif a autorité de la chose jugée.

Il avait parfois été admis que cette autorité devait être reconnue aux questions implicitement résolues dans le dispositif (3e Civ., 20 mars 1978, Bull. 1978, III, n° 126 ; Com., 28 juin 1988, Bull. 1988, IV, n° 215 ; 2e Civ., 22 mai 1995, Bull. 1995, II, n° 150). Cette solution, au demeurant peu rigoureuse et difficilement compatible avec le dispositif de rectification des omissions de statuer (pour une illustration : Soc., 5 janvier 1973, Bull. 1973, V, n° 2), présentait l'inconvénient majeur de heurter bien souvent le principe de la contradiction, lorsque l'implicitement jugé n'a pas été débattu entre les parties.

Pour l'ensemble de ces considérations, la thèse du dispositif virtuel ou implicite est désormais condamnée par la jurisprudence dominante (1re Civ., 16 juillet 1997, Bull. 1997, I, n° 242 ; 18 janvier 2000, Bull. 2000, I, n° 11 ; 2e Civ., 10 juillet 2003, Bull. 2003, II, n° 237 ; 19 février 2004, pourvoi n° 03-10.167). Jurisprudence dominante, car l'affirmation mérite en réalité d'être nuancée. Il a ainsi été jugé récemment qu'en ordonnant un examen comparé des sangs, la juridiction avait implicitement retenu, comme étant le préalable nécessaire du dispositif, que l'action en recherche de paternité était recevable en application de l'article 340-4 (ancien) du code civil (2e Civ., 7 mars 2002, Bull. 2002, II, n° 34). De même, il a été admis que si l'autorité de la chose jugée s'attache seulement au dispositif et non au motifs, elle s'étend à ce qui est implicitement jugé comme étant la conséquence nécessaire du dispositif (Soc., 4 mars 2003, pourvoi n° 01-40.535, qui décide qu'en ordonnant, dans le dispositif, la réouverture des débats sur la liquidation des sommes dues en vertu d'une convention collective, le juge a nécessairement déclaré celle-ci applicable). Il a encore été retenu qu'en condamnant l'un des vendeurs d'un immeuble indivis à payer au coïndivisaire, à hauteur de moitié, le prix qu'il avait jusque-là conservé en totalité, après avoir rejeté le moyen de défense opposé au second par le premier, qui soutenait avoir payé l'intégralité du prix d'acquisition de ce bien, le jugement a implicitement statué sur l'origine des deniers ayant financé l'achat, de sorte que, sur les quotes-parts, la demande nouvelle se heurtait à l'autorité de la chose jugée (2e Civ., 15 septembre 2005, pourvoi n° 03-20.213).

Mais abstraction faite de ces décisions isolées qui doivent être regardées comme des décisions d'espèce, une première conclusion s'impose donc, seul le dispositif exprès est doté de l'autorité de la chose jugée.

Cette affirmation a pour corollaire un devoir pour le juge, lequel doit veiller à soigner la rédaction du dispositif de sa décision pour y inclure l'ensemble des questions tranchées. A titre d'illustration, un jugement qui, dans ses motifs, statue sur la responsabilité de l'auteur d'un dommage, pour n'accorder qu'une provision ou n'ordonner qu'une expertise dans son dispositif, est dépourvu de l'autorité de la chose jugée sur le principe de la responsabilité. Le juge doit donc veiller, en pareil cas, à inscrire la déclaration de responsabilité dans le corps même du dispositif. Il doit, par ailleurs, éviter les formules générales dépourvues de portée et, partant, d'autorité de chose jugée (2e Civ., 20 octobre 2005, Bull. 2005, II, n° 258, au sujet de la formule aux termes de laquelle les parties sont déboutées "de leurs autres demandes, fins et prétentions" sans motifs s'y rapportant).

C - Dispositif réservé

Le dispositif qui comporte des réserves, même implicites, n'a pas, sur le point concerné, autorité de la chose jugée (3e Civ., 9 octobre 1974, Bull. 1974, III, n° 354).

Toutefois, l'expression "déboute en l'état", parfois utilisée pour permettre un réexamen de l'affaire en cas d'évolution de la situation ou après constitution d'un nouveau dossier plus étayé, est sans portée. La décision ainsi rendue sur le fond dessaisit le juge et acquiert l'autorité de la chose jugée (2e Civ., 22 avril 1992, Bull. 1992, II, n° 133 ; 31 mars 1993, Bull. 1993, II, n° 137 et 10 décembre 1998, Bull. 1998, II, n° 295 ; 1re Civ., 16 mai 2006, pourvoi n° 02-14.488). La formule est donc à proscrire (cf. fiche méthodologique sur la rédaction des arrêts).


II - PORTÉE ET ETENDUE

L'autorité de la chose jugée agit d'abord à l'égard des parties, dans son double effet positif et négatif - présomption de vérité d'une part et irrecevabilité de la nouvelle demande d'autre part - à la condition, connue mais complexe, d'une triple identité de parties, d'objet et de cause.

A l'égard du juge, le prononcé du jugement auquel est conférée l'autorité de chose jugée entraîne le dessaisissement de la juridiction et justifie l'annulation de la décision ultérieure incompatible.

Enfin, si l'autorité de la chose jugée est relative, le jugement, qui modifie l'ordonnancement juridique, est opposable aux tiers.

1 - L'autorité de la chose jugée à l'égard des parties : effet probatoire et irrecevabilité

Le jugement ayant autorité de la chose jugée constitue d'une part, pour le justiciable qui a vu sa demande accueillie, un titre qui constate ou déclare une situation à son profit, situation qui est ainsi consacrée dans l'ordre juridique et interdit d'autre part que soit soumise au juge une nouvelle demande qui, entre les mêmes parties, aurait le même objet et la même cause.

A - La triple identité des parties, d'objet et de cause

Les trois conditions sont cumulatives, de sorte qu'est privée de base légale la décision qui accueille la fin de non-recevoir sans en caractériser la réunion (Com., 16 janvier 1980, Bull. 1980, IV, n° 26).

1) Identité de parties agissant en la même qualité

La décision n'a autorité de la chose jugée qu'à l'égard des "mêmes parties" et n'interdit le renouvellement de la demande que si la prétention est "formée par elles et contre elles en la même qualité" (article 1351 du code civil). Symétriquement, la disposition d'un jugement intéressant une personne qui n'aurait pas été appelée en la cause est dépourvue d'autorité de chose jugée à son égard (Soc., 16 juillet 1998, Bull. 1998, V, n° 391, au sujet d'un arrêt d'appel qualifiant d'employeur une société tierce à la procédure, société dont le pourvoi en cassation a, dans ces conditions, été jugé irrecevable).

Au sens des articles 1350 et 1351 du code civil, est assimilé à la partie l'ayant cause universel ou à titre universel, à l'égard duquel a autorité de la chose jugée le jugement rendu à l'encontre ou au profit de son auteur (Com., 18 février 2004, Bull. 2004, IV, n° 39).

La solution est la même à l'égard du représenté, en cas de mandat, ou de représentation légale ou judiciaire (2e Civ., 16 juin 1996, Bull. 1996, II, n° 700).

Il a encore été retenu que le jugement, irrévocable, qui liquide la dette à l'égard d'un des débiteurs est "opposable" aux autres coobligés solidaires, en l'occurrence une caution (Com., 22 avril 1997, Bull. 1997, IV, n° 96).

Mais, dans ce cas de figure, cette opposabilité n'est-elle pas en réalité assimilable à une véritable autorité de la chose jugée ? En effet, la caution n'est pas simplement tenue de reconnaître passivement l'existence de la situation engendrée par le jugement comme un fait acquis qui s'imposerait à elle, mais va devoir, plus positivement, s'acquitter de la dette à hauteur d'un montant fixé par une décision rendue en son absence, entre le créancier et le débiteur principal. Selon la même logique, a autorité de la chose jugée (sic), à l'égard de l'avaliste, le jugement de condamnation rendu contre un codébiteur solidaire, dès lors que l'instance primitive n'a pas été engagée en fraude de ses droits (Com., 1er juin 1999, Bull. 1999, IV, n° 115). En revanche, si un codébiteur solidaire néglige de faire appel du jugement l'ayant condamné en première instance, celui-ci conserve, à son égard, autorité de la chose jugée, quand bien même il aurait été réformé sur appel d'un coobligé (1re Civ., 24 novembre 1998, Bull. 1998, I, n° 326). En tout état de cause, il convient de rappeler que ces solutions ont été dégagées au sujet de la solidarité parfaite, qui a pour effet secondaire la représentation des coobligés, les uns par les autres. Il n'est donc pas certain que ces solutions soient transposables en cas d'obligation in solidum, qui ne produit pas cet effet de représentation. Mais il est permis de le penser. En effet, s'il a été jugé que la cassation d'une décision prononçant une condamnation solidaire profitait à l'ensemble des codébiteurs (Com., 16 février 1993, Bull. 1993, IV, n° 59 ; 1er Civ., 19 janvier 1999, Bull. 1999, I, n° 19), la solution identique a été adoptée en cas de condamnation in solidum (2e Civ., 2 décembre 2004, pourvoi n° 03-10.827).


Soulignons enfin qu'il a été retenu que le jugement primitif qui déboute l'assuré de son action en garantie est "opposable" à l'assureur ayant engagé un recours subrogatoire, dès lors qu'il est irrévocable (1re Civ., 4 juin 1996, Bull. 1996, I, n° 232). Ici encore, l'opposabilité tend à s'apparenter à une véritable autorité de la chose jugée, puisque l'appel en garantie du subrogé, formulé dans les mêmes termes que la demande initiale de l'assuré, a été jugé irrecevable aux motifs que le jugement de débouté entre les parties principales était irrévocable à la suite d'un désistement d'appel et que l'assureur subrogé n'avait pas plus de droits que l'assuré.

En revanche, l'autorité de la chose jugée ne fait pas obstacle à l'introduction d'une nouvelle demande, lorsque l'une des parties change de qualité. Ainsi, la personne qui a agi en qualité de représentant légal d'une société ou de tuteur d'un incapable peut ensuite engager une nouvelle action à titre personnel, et inversement (1re Civ., 7 janvier 1976, Bull. 1976, I, n° 7).

2) Identité d'objet et de cause

Cette question est de loin la plus complexe, même si la jurisprudence s'est efforcée, dernièrement, d'en simplifier les données.

C'est que les définitions sont d'un maniement difficile.

Pour que l'autorité de la chose jugée puisse faire obstacle à une demande nouvelle, il est nécessaire, selon l'article 1351 du code civil, que "la chose demandée soit la même" et que la prétention soit fondée sur "la même cause". Or ces termes civilistes ne correspondent pas exactement aux notions "processualistes".

La chose demandée, c'est l'objet de la demande, au sens de l'article 4 du nouveau code de procédure civile, soit ce qui est réclamé à l'adversaire, ou encore l'avantage recherché, abstraction faite des éléments juridiques de la demande, comme la qualification.

Le contenu de la demande est double. Tout d'abord, ce qui est réclamé doit l'être sur la même chose matériellement (2e Civ., 16 avril 1982, Bull. 1982, II, n° 35). Ensuite, le droit subjectif défendu ou réclamé sur cette chose doit, lui-même, être identique. La jurisprudence est abondante sur ce point.

N'ont ainsi pas le même objet :

- en cas de destruction partielle d'un immeuble, demandes tendant d'une part à la diminution du loyer (article 1722 du code civil) et d'autre part au remboursement du coût de travaux (3e Civ., 11 juillet 1990, Bull. 1990, III, n° 172) ;

- refus de renouvellement et résiliation d'un bail (3e Civ., 5 octobre 1994, Bull. 1994, III, n° 163) ;

- demande en bornage et action en revendication (3e Civ., 28 octobre 1992, Bull. 1992, III, n° 282) ;

- action en résolution d'un contrat et demande indemnitaire sur le fondement d'une responsabilité pré-contractuelle (2e Civ., 14 septembre 2006, pourvoi n° 05-14.346).

La disposition du jugement qui constate la réalité de l'engagement ou en ordonne l'exécution ne fait pas obstacle à une action ultérieure en annulation (1re Civ., 1er juillet 1997, Bull. 1997, I, n° 219 ; 18 janvier 2000, Bull. 2000, I, n° 11 ; 2e Civ., 19 décembre 2002, Bull. 2002, II, n° 292).

En revanche, actions en annulation et en inopposabilité ont le même objet (1re Civ., 8 mars 2005, Bull. 2005, I, n° 113).

Les choses se compliquent avec la cause, car trois acceptions peuvent en être données :

1° la cause est la règle de droit qui sert de fondement à la demande ;

2° la cause est l'ensemble des faits juridiquement qualifiés ;

3° la cause est l'ensemble des faits allégués à l'appui de la prétention, indépendamment de la règle de droit invoquée et de la qualification juridique.

La Cour de cassation, par un arrêt d'assemblée plénière du 7 juillet 2006 (Bull. 2006, Ass. plén., n° 8), s'est prononcée sur l'étendue de l'autorité de la chose jugée au regard de cette notion de cause, dont la définition a été précisée, dans un souci, tout à la fois, de simplification, de "responsabilisation" des parties et d'une plus grande sécurité juridique. Revenant sur l'arrêt d'assemblée plénière du 3 juin 1994 (Bull. 1994, Ass. plén., n° 4), qui avait admis la possibilité pour le justiciable de saisir le juge d'une nouvelle demande sur un fondement juridique différent, la Cour de cassation retient désormais qu'il incombe au demandeur de présenter, dès l'instance relative à la première demande, l'ensemble des moyens de nature à fonder celle-ci (dans le même sens : 2e Civ., 12 octobre 2006, pourvoi n° 05-13.448 ; 1re Civ., 16 janvier 2007, pourvoi n° 05-21.571).

A défaut, le seul changement de fondement juridique ne suffit pas à caractériser la nouveauté de la cause et, par suite, à écarter l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la décision ayant statué sur la demande originaire. Fini donc le morcellement artificiel du procès, par négligence ou turpitude.

Cet arrêt écarte clairement la première conception de la cause, mais également la deuxième de manière implicite, tant il est vrai que fondement de la demande et qualification des faits allégués sont intimement liés. De plus, les pouvoirs reconnus au juge à l'article 12 du nouveau code de procédure civile n'ont pas tous la même portée.

En effet, si le juge a l'obligation de restituer aux faits leur exacte qualification, le changement de fondement n'est, en principe, pour lui, qu'une simple faculté (principe qui, il est vrai, a subi dernièrement des aménagements : à titre d'illustration sur le vice caché et le défaut de conformité : 1re Civ., 12 juillet 2001, Bull. 2001, I, n° 225 et 9 juillet 2003, Bull. 2003, I, n° 174). Si le changement de moyen ne fait pas obstacle au jeu de l'autorité de la chose jugée, quand le pouvoir correcteur du juge ne constitue qu'une faculté, il ne peut qu'en être de même lorsque le juge est tenu de rendre aux faits leur exacte qualification et qu'une carence de sa part sur ce point trouve sa sanction normale dans l'exercice des voies de recours, plus que dans l'introduction d'une nouvelle demande.

En définitive, l'autorité de la chose jugée apparaît devoir jouer dès lors que la même chose est demandée au sujet des mêmes faits, et la cause, définie de manière purement factuelle, est donc comme absorbée par l'objet.

Quoi qu'il en soit, les évolutions récentes ne portent pas seulement sur les éléments constitutifs de l'autorité de la chose jugée, mais également sur le régime de sanction.

B - Une irrecevabilité d'ordre public

Traditionnellement, l'irrecevabilité tirée de l'autorité de la chose jugée, d'intérêt privé, ne pouvait pas être relevée d'office par le juge (2e Civ., 10 avril 1995, Bull. 1995, II, n° 121 ; 4 décembre 2004, Bull. 2004, II, n° 365).

La solution est désormais inverse, en application de l'article 125, alinéa 2, du nouveau code de procédure, dans sa rédaction issue du décret du 20 août 2004. Le juge peut donc désormais relever d'office la fin de non-recevoir et même le doit lorsque l'autorité de la chose jugée est attachée à une décision qui a été rendue dans la même instance (2e Civ., 10 mars 2005, pourvoi n° 03-14.116 ; Com., 14 novembre 2006, pourvoi n°05-12.029).


2 - L'autorité de la chose jugée et les tiers

L'autorité de la chose jugée est relative. Un jugement ne peut, dans ces conditions, produire ses effets substantiels à l'égard de tiers, en leur reconnaissant des droits ou en leur imposant des obligations (Soc., 16 juillet 1998, précité), sous réserve, comme on l'a vu, des mécanismes de représentation, à l'occasion desquels la jurisprudence a pu, dans certains cas, faire application de la notion d'opposabilité, notion qui, en réalité, s'apparente, dans les hypothèses considérées, à une véritable autorité de chose jugée créatrice de droits ou d'obligations.

L'opposabilité du jugement, au sens premier et véritable du terme, a pour seule incidence, à l'égard des tiers, de leur "faire sentir ses effets", selon la formule du professeur Cornu (Vocabulaire juridique, PUF), en les forçant à reconnaître, de manière plutôt passive, l'existence de la situation de droit et de fait ainsi déclarée ou constituée et à respecter cette situation comme un élément de l'ordonnancement juridique, sous réserve de la tierce opposition. A titre d'illustration particulièrement évocatrice, la rectification judiciaire d'état civil est opposable à tous, mais ne confère de droits qu'au requérant et à ses ayants cause (1re Civ., 25 mai 1992, Bull. 1992, I, n° 158).

Mais, exceptionnellement, le jugement peut être revêtu d'une autorité absolue de la chose jugée. Il en est ainsi lorsque la juridiction judiciaire est juge de l'excès de pouvoir à l'égard de certaines normes à valeur réglementaire. Ce contentieux, objectif ou matériel et non subjectif, peut, en effet, aboutir à l'annulation erga omnes de la norme générale et impersonnelle considérée. A titre d'illustration, peut être cité l'exemple du contentieux des règlements intérieurs des barreaux, qui a donné lieu à une jurisprudence relativement abondante sur la question de l'excès de pouvoir du conseil de l'ordre dans l'exercice de ses attributions administratives (1re Civ., 26 novembre 2002, Bull. 2002, I, n° 283, et 27 janvier 2004, pourvoi n° 01-12.391 au sujet de règlement intérieur limitant la liberté des enchères ; 16 décembre 2003, pourvoi n° 01-10.210, sur les dispositions d'un règlement intérieur relatives au secret professionnel et à liberté des enchères).


3 - L'autorité de la chose jugée et le juge

A - Le dessaisissement du juge

Le jugement qui tranche, dans son dispositif, tout ou partie du principal ou qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident, pour reprendre les termes de l'article 480 du nouveau code de procédure civile, dessaisit le juge de la contestation ainsi tranchée (article 481 du nouveau code de procédure civile). Dans ces conditions, un juge qui s'est déclaré compétent dans un premier jugement ne peut ensuite se déclarer incompétent pour connaître de la demande (Soc., 29 octobre 1986, Bull. 1986, V, n° 497 ; 2e Civ., 27 janvier 1988, Bull. 1988, II, n° 29). Une cour d'appel est dessaisie par la décision par laquelle elle s'est prononcée sur le mérite de poursuites disciplinaires engagées contre un avocat, après évocation de l'affaire à la suite d'une requête en suspicion légitime formée à l'encontre du conseil de l'ordre statuant comme juridiction disciplinaire du premier degré, et cette décision n'est pas susceptible d'appel (1re Civ., 27 février 2007, pourvoi n° 05-10.616).

Rappelons que les jugements qui déboutent "en l'état" dessaisissent le juge (jurisprudence précitée).

Les voies de rétractation (opposition, tierce opposition et révision) ne constituent pas de réelles dérogations, car il s'agit de voies de recours, ordinaires ou extraordinaires, selon le cas, pas plus que les recours en rectification ou en interprétation, qui ne peuvent aboutir à une remise en cause de l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la décision primitive.

L'autorité de la chose jugée ne joue que si les faits invoqués à l'appui de la nouvelle demande sont identiques. Fort logiquement, une nouvelle saisine du juge est possible en cas de faits nouveaux. Ainsi la décision d'un conseil de prud'hommes ayant débouté un salarié protégé de sa demande en annulation d'une transaction relative à l'indemnisation de son licenciement ne fait pas obstacle à l'introduction de nouvelles demandes, dès lors que l'annulation de l'autorisation administrative de licenciement survenue depuis constituait une circonstance nouvelle, privant le premier jugement de l'autorité de la chose jugée à l'égard de la seconde instance (Soc., 18 février 2003, pourvoi n° 01-40.978), étant rappelé qu'en la matière, s'applique aussi le principe de l'unicité de l'instance. Prive sa décision de base légale, au regard des articles 1351 du code civil et 480 du nouveau code de procédure civile, la cour d'appel qui, pour déclarer irrecevable la demande tendant à l'organisation d'un droit de visite et d'hébergement à l'égard d'enfants, formée après qu'une première demande a été rejetée, retient que l'âge atteint par les enfants lors de la deuxième assignation par rapport à celui qu'ils avaient lors de la saisine du juge aux affaires familiales est insuffisant pour combattre le principe tiré de l'article 480 du nouveau code de procédure civile, sans rechercher si, à la date à laquelle elle statuait, la situation des enfants n'avait pas changé (2e Civ., 6 mai 2004, Bull. 2004, II, n° 208).

Naturellement, il doit s'agir de véritables faits nouveaux. Lorsque l'objet du litige est inchangé, la production de nouveaux moyens de preuve ne fait pas obstacle à l'autorité de la chose jugée et ne suffit pas à autoriser une nouvelle saisine du juge (2e Civ., 20 mars 2003, pourvoi n° 01-03.849).

Par ailleurs, certains textes particuliers peuvent prévoir des conditions d'ordre chronologique, qui peuvent avoir pour effet d'interdire la prise en considération de faits nouveaux et de faire ainsi obstacle à l'introduction d'une nouvelle demande. En matière de baux commerciaux, l'indemnité d'éviction doit être évaluée à la date la plus proche de l'éviction et l'autorité de la chose jugée fait donc nécessairement obstacle à une nouvelle évaluation (3e Civ., 28 septembre 1982, Bull. 1982, III, n° 183).

Il convient enfin d'observer que cette théorie des faits nouveaux reçoit, conformément à l'article 126 du nouveau code de procédure civile, une application particulière lorsque, dans les cas où la situation donnant lieu à une fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, la cause d'irrecevabilité a disparu au moment où le juge statue. La jurisprudence est abondante sur les hypothèses de régularisation en cours de première instance ou d'appel, mais la disparition de la cause d'irrecevabilité peut aussi intervenir après dessaisissement des juges initialement saisis de l'affaire, pour permettre l'engagement d'une nouvelle action. Ainsi, lorsqu'une première demande a été jugée irrecevable faute pour les parties d'avoir mis en oeuvre la procédure de tentative préalable de conciliation prévue au contrat, l'échec de la conciliation tentée postérieurement au jugement d'irrecevabilité peut constituer une circonstance nouvelle, privant cette décision de l'autorité de la chose jugée à l'égard de la nouvelle demande (2e Civ., 21 avril 2005, pourvoi n° 03-10.237). Dans l'hypothèse décrite, le jugement d'irrecevabilité, initialement doté de l'autorité de la chose jugée, a bien eu pour effet de dessaisir le juge, mais la disparition ultérieure de la cause d'irrecevabilité constituait un fait nouveau, qui autorisait l'introduction d'une nouvelle demande sans que l'autorité de la chose jugée y fît obstacle.

B - Traitement des contrariétés de décisions

Deux hypothèses doivent être distinguées.

Premier cas (article 617 du nouveau code de procédure civile) : lorsque la contrariété des décisions apparaît alors qu'une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée a été vainement soulevée devant le juge secondairement saisi, un pourvoi en cassation fondé sur la contrariété de décisions peut être formé contre le second jugement en date. La solution est logique, car le second jugement a clairement méconnu l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la première décision. Dans ce cas, le rejet de la fin de non-recevoir est une condition du pourvoi (Soc., 17 mars 1998, pourvoi n° 95-45.310), mais il n'est pas nécessaire que les deux décisions soient inconciliables dans leur exécution (Com., 19 novembre 1996, Bull. 1996, IV, n° 278).

Second cas, le plus fréquent en pratique (article 618 du nouveau code de procédure civile) : ce cas de figure se rencontre lorsque "deux décisions, même non rendues en dernier ressort, sont inconciliables et qu'aucune d'elles n'est susceptible d'un recours ordinaire..." Dans cette hypothèse, un recours en annulation peut être introduit devant la Cour de cassation, recours qui obéit à des règles largement dérogatoires et qui ne répond pas à la définition que donne du pourvoi l'article 604 du nouveau code de procédure civile, puisqu'il n'est pas nécessaire d'alléguer qu'une des décisions est contraire aux règles de droit. Peuvent être considérées comme contraires des décisions qui ne concernent pas les mêmes parties (3e Civ., 6 janvier 1982, Bull. 1982, III, n° 3), pourvu que les décisions émanent de juridictions judiciaires, l'une d'elles fût-elle répressive (assemblée plénière, 29 novembre 1996, Bull. 1996, Ass. plén., n° 8), dès lors que ces décisions sont inconciliables dans leur exécution (1re Civ., 13 janvier 1998, Bull. 1998, I, n° 9 ; 3e Civ., 18 juin 2002, pourvoi n° 00-15.503 ; Com., 9 juillet 2002, pourvoi n° 99-17.462 ; Soc., 6 février 2003, pourvoi n° 01-21.182 et 14 mai 2003, pourvoi n° 01-42.038 ; 2e Civ., 22 janvier 2004, Bull. 2004, II, n° 14 et 31 mai 2006, pourvoi n° 05-10.148), ce qui implique que l'incompatibilité réside dans les dispositifs et non dans les motifs. Le pourvoi, qui peut être formé après expiration du délai normal de deux mois et concerner une décision déjà frappée d'un pourvoi précédemment rejeté (2e Civ., 25 janvier 1991, pourvoi n° 89-18.023), doit prendre pour cible les deux décisions (1re Civ., 13 octobre 1998, Bull. 1998, I, n° 292). S'il est accueilli, le recours aboutit non à la cassation mais à l'annulation, avec ou sans renvoi, de l'une ou l'autre décision, ou bien des deux (Com., 19 décembre 1995, pourvoi n° 93-19.284).

    
CONCLUSION

L'étude de l'autorité de la chose jugée, à ce stade des développements, est encore incomplète, puisque deux questions n'y sont pas abordées.

La première concerne l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux arrêts de la Cour de cassation, au sens le plus technique du terme et indépendamment de la portée "doctrinale" de sa jurisprudence. Le sujet n'est évoqué que pour mémoire et le lecteur est invité sur ce point à se reporter à la fiche consacrée à l'interprétation et à la portée des arrêts de la Cour de cassation.

Ensuite, toutes les analyses qui précèdent, à une nuance près introduite au sujet du recours en annulation de l'article 618 du nouveau code de procédure civile (assemblée plénière, 29 novembre 1996, précité), intéressent l'autorité de la chose jugée "au civil sur le civil"... ce qui ne fait pas le tour de la question. En effet, la chose jugée au pénal fait autorité sur le civil, dans des conditions et avec une force très particulières. Primauté de la justice répressive tenant à l'objectif de défense sociale qui est le sien et à ses moyens, supérieurs, d'investigation. Pourtant, l'institution a connu ces dernières années une évolution paradoxale, notamment avec l'abandon de la règle postulant l'identité des fautes - civile et pénale - d'imprudence, du moins dans l'hypothèse d'une relaxe (article 4-1 du code de procédure pénale issu de la loi du 10 juillet 2000). Quoiqu'il en soit, la question est un sujet en soi, qui mérite une étude particulière à laquelle sera prochainement consacrée une fiche méthodologique.

Enfin, il convient de rappeler que les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles et que leur autorité s'attache non seulement au dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire (assemblée plénière, 10 octobre 2001, Bull. 2001, Ass. plén., n° 11, arrêt rendu en matière pénale, mais dont la solution est transposable devant la juridiction civile).