Bail commercial

Civ. 3e, 14 novembre 2007

L'ESSENTIEL

Lorsque la résiliation amiable d'un bail commercial est subordonnée à la signature d'un nouveau bail avec le successeur du locataire, le bailleur peut, sauf abus de droit, modifier les conditions de la nouvelle convention.

Doit donc être cassé l'arrêt qui considère, pour caractériser le manquement du bailleur à son engagement envers le locataire, que le nouveau bail devait nécessairement être conclu aux clauses et conditions du bail initial, en l'absence de volonté expresse contraire.

Résiliation amiable - Résiliation amiable subordonnée à la conclusion d'un nouveau contrat avec le successeur du locataire - Modification par le bailleur des clauses et conditions initiales autres que le prix - Refus du successeur de conclure le contrat - Violation par le bailleur de ses obligations envers le locataire initial (non) - Droit du bailleur, sauf abus, de modifier les conditions de la nouvelle convention (oui) - Cassation

J. 12 Vu l'article 1147 du Code civil ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er mars 2006), que, par acte, du 21 août 2003, les consorts de Caffarelli ont donné à bail à la société Film par Film des locaux à usage commercial pour une durée de douze ans à compter du 1er juillet 2002 ; que la locataire ayant manifesté son intention de quitter les lieux à compter du 1er mai 2004, la société Cabinet Garraud Maillet, mandataire des bailleurs, lui a rappelé, par courrier du 6 avril 2004, que la résiliation anticipée du bail ne pouvait être envisagée que dans l'hypothèse ou pourraient être simultanément signés l'acte de résiliation et un nouveau bail avec un candidat présenté par la locataire ; que le 28 avril 2004, cette dernière a confirmé son départ et a convoqué les bailleurs pour un état des lieux et la remise des clefs ; qu'estimant que les conditions de la résiliation amiable n'étaient pas réunies, les bailleurs et leur mandataire ont refusé d'assister à cet état des lieux et ont assigné la société Film par Film afin de voir dire que celle-ci restait tenue des obligations mises à sa charge par le bail ;

Attendu que, pour rejeter la demande des bailleurs, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'à l'exception du nouveau prix de location fixé par le mandataire des bailleurs, le nouveau bail devait nécessairement, en l'absence de volonté expresse contraire, être conclu aux clauses et conditions signé le 21 août 2003 avec la société Film par Film et que l'absence de signature de ce bail, dont dépendait l'accord pour la résiliation anticipée du contrat liant les consorts de Caffarelli à la société Film par Film, procède d'un manquement du bailleur à ses engagements envers cette dernière ;

Qu'en statuant ainsi, alors que lorsque la résiliation amiable d'un bail commercial est subordonnée à la signature d'un nouveau bail avec le successeur du locataire, le bailleur peut, sauf abus de droit, modifier les conditions de la nouvelle convention, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser la faute commise par les bailleurs, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er mars 2006, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Consorts de Caffarelli et autre c./ SA Film par Film
Pourvoi n° 06-15.544

OBSERVATIONS

Rose-Noëlle SCHÜTZ
Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers


1. L'arrêt du 14 novembre 2007, rendu par la troisième Chambre civile de la Cour de cassation, apporte d'utiles précisions sur le régime de la résiliation amiable du bail commercial(1).

Aucune des dispositions du statut du bail commercial n'interdit la résolution conventionnelle de la location(2), ni ne la réglemente. Implicitement, l'article L. 143-2 alinéa 2 du Code de commerce confirme sa validité en disposant que la résiliation amiable du bail n'est définitive qu'un mois après avoir été notifiée aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce exploité dans les lieux loués (3).

 Conformément au droit commun du contrat, bailleur et locataire peuvent donc révoquer leur convention « de leur consentement mutuel »(4). Les parties ne sont alors pas tenues de respecter les formes prévues pour donner congé.

Cette résiliation amiable, qui résulte dans la plupart des cas d'un accord exprès des parties (5), est souvent subordonnée par le bailleur à des conditions (6).

 Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, le locataire, moins d'un an après la prise d'effet du bail, avait manifesté son intention de quitter les lieux. Le mandataire du bailleur lui rappela(7) alors, par courrier, que la résiliation anticipée du bail n'était envisageable que dans l'hypothèse où seraient simultanément signés l'acte de résiliation et un nouveau bail avec un candidat présenté par le locataire.

Aucun bail n'ayant été finalement conclu avec le successeur du locataire, le bailleur refusa de déférer à la convocation du locataire pour procéder à l'état des lieux et à la remise des clefs car il estimait que les conditions de la résiliation amiable n'étaient pas réunies.

Le bailleur assigna alors le locataire pour voir dire que celui-ci restait tenu des obligations mises à sa charge par le bail.

L'enjeu financier du litige était important puisqu'il s'agissait d'un bail conclu pour douze ans, sans que l'on sache si le locataire bénéficiait ou non du droit de résiliation triennale.

A défaut de résiliation amiable, ce dernier serait donc en principe tenu de payer les onze années restantes de loyers, ou tout au moins deux années de loyers s'il bénéficiait du droit de résiliation triennale - et à condition qu'il l'ait régulièrement mise en œuvre.

2. La cour d'appel, comme les juges du premier degré, déboute le bailleur de sa demande au motif que le nouveau bail devait nécessairement, en l'absence de volonté expresse contraire, être conclu aux clauses et conditions du bail initial, sauf en ce qui concerne le nouveau prix de location.

 Pour les juges du fond, il aurait donc fallu que l'acte - ou la clause - de résiliation conventionnelle précisent clairement les conditions, autres que le montant du loyer, qui pouvaient être modifiées par le bailleur lors de la conclusion du nouveau contrat.

 Ils en déduisent que le bailleur a manqué à ses engagements vis-à-vis du locataire initial en proposant à son successeur des conditions différentes.

La Cour de cassation censure la décision de la cour d'appel, au visa de l'article 1147 du Code civil en affirmant que « lorsque la résiliation amiable d'un bail commercial est subordonnée à la signature d'un nouveau bail avec le successeur du locataire, le bailleur peut, sauf abus de droit, modifier les conditions de la nouvelle convention ».

3. Le raisonnement des juges du fond était sans doute fondé sur le principe posé par la Cour de cassation en matière de renouvellement du bail commercial qui « … s'opère aux clauses et conditions du bail venu à expiration, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation du prix »(8).

Ils en déduisent fort logiquement que le bailleur avait manqué à son engagement puisqu'il a subordonné la résiliation amiable à la conclusion avec le successeur du locataire d'un bail à de nouvelles conditions alors que les parties ne l'avaient pas prévu.

La sanction que la cour d'appel retient constitue une réparation en nature. Plutôt que de considérer que la résiliation amiable n'était pas acquise et que le bailleur devait réparer le préjudice subi par son locataire par des dommages-intérêts - conformément à l'article 1147 du Code civil -, elle préfère débouter le bailleur de sa demande en estimant que le locataire n'est plus tenu des obligations découlant du bail.

Cet arrêt a donc pour lui une apparente orthodoxie. Mais l'analogie avec le renouvellement est en réalité trompeuse.

En fait, la situation est fort différente car il ne s'agit pas ici de renouvellement du bail originaire avec le locataire initial ou avec le cessionnaire mais d'un nouveau bail à conclure avec un tiers.

Surtout, par définition, la résiliation amiable échappe au statut des baux commerciaux puisque les parties décident de renoncer à la protection mise en place par le législateur en mettant fin à la location, de manière anticipée, ou tout au moins sans respecter les formes prévues pour le congé.

Même si elle est subordonnée à la conclusion d'un nouveau bail, elle ne peut être soumise au régime du renouvellement.

La Cour de cassation censure la décision des juges du fond au visa de l'article 1147 du Code civil qui fonde la condamnation du débiteur au paiement de dommages-intérêts lorsque l'inexécution du contrat lui est imputable.

En effet, il n'y avait pas eu de manquement du bailleur à son engagement de résilier le contrat car celui-ci avait la faculté de modifier les conditions de la nouvelle convention proposée au successeur du locataire. Dès lors, la cour d'appel n'avait pas caractérisé la faute commise par le bailleur dans l'exécution de ses obligations. Le principe posé par la Cour de cassation dans son attendu de principe se décline en deux propositions.

4. Première proposition : la résiliation amiable d'un bail commercial subordonnée à la signature d'un bail avec le successeur du locataire permet au bailleur, si la convention de mutuus dissensus ne limite pas sa liberté, de modifier l'ensemble des conditions de la nouvelle convention et pas seulement le montant du loyer.

Reste à définir ce qu'il faut entendre par « conditions de la nouvelle convention ».

 Cela concerne sans aucun doute la durée du bail et la faculté de résiliation triennale du locataire, la répartition des charges relatives à l'immeuble loué - entretien, grosses réparations, mise aux normes, travaux prescrits par l'administration… - et les obligations financières du locataire - dépôt de garantie, pas de porte, cautionnement, indexation du loyer, modalités de calcul du loyer renouvelé, clause recette…

En revanche, on peut se demander si la détermination des locaux loués et leur destination constituent encore des conditions de la nouvelle convention ou si, au contraire, la consistance de l'immeuble n'entrant pas dans cette catégorie, toute modification devrait être prévue expressément par les parties.

Que l'on retienne une ­définition plus ou moins étroite des conditions pouvant être modifiées, le contrôle de l'abus permet d'éviter que le bailleur, sous couvert de modifications permises, paralyse la résiliation amiable à laquelle il avait pourtant consenti.

5. La deuxième proposition est en effet que le bailleur peut, sauf abus, modifier les conditions du nouveau bail.

Depuis une vingtaine d'années, l'abus de droit a largement pénétré le droit des contrats et plus spécialement celui de la résiliation.

Cependant, les tribunaux ont jusqu'ici surtout eu à juger de l'abus du droit de résilier un contrat à durée indéterminée, particulièrement en matière de ­contrats de distribution.

 Un seul arrêt de la Cour de cassation, rendu par la même formation le 22 février 1968, s'est prononcé sur l'abus du droit de refuser de résilier(9).

Dans cette affaire, le bailleur d'un local d'habitation avait refusé de résilier le bail à durée déterminée avant son terme alors que le locataire avait été muté. Le locataire avait été contraint de payer onze mois de loyers car le bailleur avait laissé l'appartement vacant jusqu'à l'arrivée du terme. Il avait alors agi contre le bailleur sur le fondement de l'abus de droit. La Cour de cassation censure la décision de la cour d'appel qui avait débouté le locataire sans rechercher si le refus du bailleur de mettre fin au bail avait été dicté par le désir de nuire à son cocontractant. Cette ancienne décision traitait donc, comme l'arrêt ­commenté, de l'abus dans le refus de résilier. Cependant, dans l'affaire commentée, ce qui serait susceptible d'abus, ce n'est pas le refus de résilier lui-même puisque les parties s'étaient déjà accordées sur une résiliation amiable, mais la mise en œuvre de celle-ci. La Cour de cassation ne dit rien de ce qui constitue l'abus dans cette hypothèse. Le critère de l'intention de nuire est trop étroit. Il pouvait peut-être se justifier dans l'espèce jugée en 1968 car la preuve de l'abus aurait permis de limiter directement la force obligatoire du contrat. En outre, l'intention de nuire, critère classique de l'abus de droit, n'est plus exigée pour démontrer l'abus dans le contrat. La jurisprudence a en effet établi un lien entre l'exécution de bonne foi(10) et l'abus d'un droit contractuel, notamment l'abus de résilier unilatéralement les contrats à durée indéterminée(11). Il suffit donc d'une déloyauté, d'une indélicatesse du créancier dans l'exercice de ses droits. Dans le cas d'une résiliation amiable d'un bail commercial subordonnée à la conclusion d'un nouveau contrat avec le successeur du locataire, le droit du bailleur de proposer des modifications doit donc s'exercer de bonne foi, sans détournement de sa finalité. Le bailleur qui propose de nouvelles conditions inacceptables dans le but de paralyser la résiliation amiable à laquelle il avait pourtant consenti, abusera de son droit. Il engagera sa responsabilité délictuelle car son comportement ne constitue pas une inexécution contractuelle mais la violation d'une norme extérieure au contrat. Le bailleur devra alors réparer le préjudice causé par sa faute. On peut alors hésiter entre une réparation par équivalent, c'est-à-dire le versement de dommages-intérêts, et la réparation en nature qui consisterait à considérer acquise la résiliation amiable.

6. Le principe posé par la Cour de cassation est juridiquement fondé car aucun texte ne limite le droit du bailleur de subordonner la résiliation amiable à la conclusion d'un nouveau contrat dont il fixera les conditions essentielles.

 Seul l'abus dans l'exercice de ce droit peut être sanctionné.

Il ne sera cependant pas facile pour le locataire de prouver l'abus.

Cette solution est regrettable car elle peut maintenir le locataire dans les liens du bail alors que pourtant celui-ci croyait pouvoir bénéficier d'une résiliation amiable. La stabilité conférée par le statut du bail commercial n'est en effet pas toujours une panacée pour le locataire. Celui-ci ne peut au mieux résilier le bail que tous les trois ans. Cela lui interdit de réagir rapidement à un changement de conjoncture économique remettant en cause son activité, ou à des résultats financiers médiocres. A l'inverse, le bailleur peut vouloir maintenir son locataire en place pour s'assurer de revenus locatifs. Même s'il a accepté la résiliation amiable, il peut être tenté de conserver son locataire en proposant au successeur éventuel des conditions inacceptables.

Cette solution incite à recommander aux praticiens de préciser les conditions de conclusion d'un nouveau bail auxquelles peut-être subordonnée la résiliation amiable, lorsqu'ils sont sollicités par les parties, soit pour intégrer une clause prévoyant les conditions de la résiliation conventionnelle dans le contrat de bail lui-même, soit pour élaborer une convention de résiliation amiable.

L'arrêt de la Cour de cassation impose de prévoir expressément, qu'à l'exception du loyer, les autres conditions ne pourront être modifiées dans le nouveau bail proposé au successeur du locataire, ou de préciser expressément quelles sont les conditions qui peuvent être modifiées et dans quelles limites.