Bail commercial

Civ. 3e, 23 janvier 2008

L'ESSENTIEL

La clause du bail commercial, qui impose au locataire de demander le renouvellement au moins six mois avant l'échéance du contrat ne peut être sanctionnée que par la nullité édictée par l'article L. 145-15 du Code de commerce.

Doit donc être cassé l'arrêt qui déclare cette clause non écrite pour décider que cette sanction s'impose aux parties sans qu'il soit besoin d'agir en nullité et que s'y substitue la disposition légale violée, en l'espèce l'article L. 145-10 du Code de commerce.

Clause imposant au locataire de demander le renouvellement au moins six mois avant le terme du contrat - Clause non écrite (non) - Clause nulle par application de l'article L. 145-15 C. com. (oui)

J. 22 Vu l'article L. 145-15 du Code de commerce ;

Attendu que sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit au renouvellement institué par le chapitre V, titre IV du livre premier du Code de commerce ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 juin 2006), que, par acte du 1er mars 1991, Mme de Lonlay a consenti à La Poste un bail sur divers locaux d ont elle était propriétaire pour une durée de douze années à compter rétroactivement du 1er janvier 1991 ; que l'article 3-3 de ce bail stipulait que « à l'issue du présent bail, le bailleur s'engage à le renouveler pour la même période de douze ans, si la poste en fait la demande par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au moins six mois avant l'échéance » ; que, par acte du 12 juillet 2002, La Poste, devenue un établissement public industriel et commercial, a formé une demande de renouvellement du bail auprès de la société Bistrot Elysées BV et compagnie (société Bistrot Elysées), venue aux droits de Mme de Lonlay, sur le fondement de l'article L. 145-10 du Code du commerce ; qu'en réponse à cette demande, la bailleresse lui a fait notifier le 24 septembre 2002 un refus de renouvellement du bail en lui déniant tout droit à indemnité d'éviction aux motifs que le bail était un bail de droit commun soumis aux dispositions du Code civil et que la demande de renouvellement lui avait été adressée hors délai le 12 juillet 2002 alors qu'en application de l'article 3-3 du bail, elle aurait dû lui être notifiée au plus tard le 30 juin 2002 ; que La Poste a assigné la société Bistrot Elysées pour faire constater que le bail relevait du statut des baux commerciaux par application de l'article L. 145-2 3° du Code de commerce et obtenir une indemnité d'éviction ;

Attendu que pour accueillir les demandes de La Poste, l'arrêt retient qu'en enfermant dans un délai fixe le droit pour le preneur de solliciter le renouvellement et en exonérant le bailleur du versement d'une indemnité d'éviction en cas de non-respect de ce délai, la clause stipulée à l'article 3-3 du bail est contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 145-10 du Code de commerce, que la société Bistrot Elysées soutient que cette clause ne peut être éventuellement remise en cause que par la voie d'une action en nullité et que cette action est prescrite pour n'avoir pas été introduite dans le délai de deux ans de l'article L. 145-60 du Code de commerce, mais qu'une clause illicite insérée dans un bail commercial n'a pas à être attaquée par voie d'action en nullité dès lors que son illicéité s'impose aux parties au cours de l'exécution du bail et que s'y substitue une disposition légale, à savoir l'article L. 145-10 du Code de commerce ; que la technique juridique applicable en pareil cas consiste à déclarer ladite clause non écrite ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait prononcer une autre sanction que celle de la nullité édictée par l'article L. 145-15 du Code de commerce, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 juin 2006, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée ;
SNC Bistro Elysées BV et compagnie c./ La Poste
Pourvoi n° 06-19.129



OBSERVATIONS

Rose-Noëlle SCHÜTZ
Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers


1. Le statut du bail commercial suscite régulièrement des questions touchant à la théorie générale du contrat. L'arrêt du 23 janvier 2008, qui évoque la distinction entre « la clause réputée non écrite » et la clause nulle, en constitue une illustration supplémentaire.

En l'espèce, La Poste avait pris à bail des locaux pour une durée de douze ans avec prise d'effet le 1er janvier 1991. Par acte extrajudiciaire du 12 juillet 2002, le locataire demanda le renouvellement du bail.

Le bailleur le refusa au motif qu'une clause du bail, soumis aux dispositions du Code civil, ne l'obligeait à renouveler que si le locataire en faisait « la demande par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au moins six mois avant l'échéance », donc au plus tard le 30 juin 2002.

La Cour d'appel, après avoir constaté la soumission de ce contrat au statut du bail commercial(1), juge la clause contraire à l'article L. 145-15 du Code de commerce qui déclare « nul et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement… ».

Pour écarter l'argument du bailleur qui invoquait la prescription biennale de l'action en nullité prévue par l'article L. 145-60 du Code de commerce, la cour d'appel relève que l'illicéité de la clause s'impose aux parties et que les dispositions légales prévues à l'article L. 145-10 du Code de commerce s'y substituent.

Elle conclut en affirmant que « la technique juridique applicable consiste à déclarer la clause non écrite », ce qui condamne l'argument du bailleur fondé sur la prescription de l'action en nullité.

La troisième Chambre civile de la Cour de cassation condamne le raisonnement des juges du fond.

Elle casse la décision au motif que la cour d'appel « ne pouvait prononcer une autre sanction que celle de la nullité édictée par l'article L. 145-15 du Code de commerce ».

2. La cour d'appel avait repris à son compte une distinction admise aujourd'hui par une partie de la doctrine et appliquée par la Cour de cassation essentiellement en droit de la copropriété.

En ce domaine la Cour écarte la prescription décennale de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1965 pour les actions fondées sur le caractère « non écrit » d'une série de clauses visées par l'article 43 de la même loi. Elle juge en effet que « les clauses réputées non écrites sont non avenues par le seul effet de la loi »(2), pour en déduire « qu'une clause réputée non écrite étant censée n'avoir jamais existé, le syndicat de propriétaires, comme tout copropriétaire intéressé, peut, à tout moment, faire constater l'absence de conformité des clauses du règlement de copropriété aux dispositions légales »(3). Elle admet donc implicitement que l'action est imprescriptible(4).

Cette solution particulière est systématisée par une partie de la doctrine qui refuse de réduire la clause réputée non écrite à une nullité partielle mais en fait « un mode autonome de sauvetage du contrat » débouchant sur « un régime autonome »(5). Contrairement à la nullité partielle, elle aboutirait à maintenir systématiquement l'acte, amputé de la stipulation irrégulière, sans intervention du juge. Le contrat, amputé de ses clauses contraires à des dispositions impératives, serait valable dès l'origine. Il s'agirait d'une fiction consistant à méconnaî tre la réalité de la clause, pour admettre son inexistence(6). L'une des conséquences de ce régime autonome serait, pour les tenants de cette conception, l'imprescriptibilité de la demande en justice en constatation du caractère non écrit de la stipulation interdite.

En l'espèce, la cour d'appel, en qualifiant la clause de non écrite, aboutit donc à l'application directe des dispositions de l'article L. 145-10 du Code de commerce, sans passer par une action préalable en nullité de la clause illicite.

Le locataire a parfaitement respecté ce texte en adressant sa demande par acte extrajudiciaire – et pas par lettre recommandée comme le prévoyait le bail – dans les six mois qui précèdent l'expiration du bail – une demande prématurée étant nulle(7).

3. La Cour de cassation casse la décision en affirmant que les juges du fond ne pouvaient prononcer « une autre sanction » que celle de la nullité édictée par l'article L. 145-15 du Code de commerce.

Elle ne remet donc pas en cause, bien au contraire, la spécificité de la sanction découlant de l'existence d'une clause réputée non écrite et pas seulement nulle.

L'attendu laisse bien entendre qu'il y a deux sanctions de nature différente, dont l'une ne peut pas être substituée à l'autre en présence d'un texte clair.

Ici, la Cour se fonde précisément sur la lettre de l'article L. 145-15 qui prévoit « que sont nuls et de nul effet » les clauses, stipulations et arrangements faisant échec au droit de renouvellement.

La difficulté posée par l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté n'était donc pas de savoir si les tribunaux peuvent découvrir des clauses réputées non écrites « virtuelles » comme il existe des nullités virtuelles. La Cour de cassation n'a d'ailleurs pas hésité par le passé, à affirmer, sans le support d'un texte, le caractère non écrit de certaines stipulations(8).

L'interrogation suscitée par l'espèce était autre. Il s'agissait de savoir si la Cour de cassation accueillerait l'initiative des juges du fond qui avaient écarté une nullité textuelle pour substituer à une clause déclarée nulle par le législateur, une clause non écrite(9).

A priori, il était difficilement concevable que la Cour ne censure pas la cour d'appel pour violation de l'article L. 145-15 du Code de commerce car le juge a pour mission d'appliquer la loi.

Certains, se contenteront sans doute de souligner qu'il est dommage que le législateur n'ait pas qualifié de non écrites, les clauses visées par l'article L. 145-15(10).

D'autres reprocheront sûrement à la Cour de cassation sa frilosité car la consécration par le législateur du procédé du non écrit résulte peut-être d'autres expressions, notamment celle indiquant que la clause est « nulle et de nul effet »(11).

Il ne s'agirait alors, ni plus, ni moins, que d'une interprétation du texte. Le législateur, en ne se contentant pas de déclarer simplement la clause nulle, mais en ajoutant qu'elle est de nul effet, a peut-être implicitement voulu que la partie protégée n'ait pas à recourir au juge pour faire prononcer la nullité.

4. Si l'on suit néanmoins la Cour, le locataire doit donc commencer par faire prononcer la nullité de la clause contraire à son droit de renouvellement, avant de pouvoir invoquer les dispositions de l'article L. 145-10 du Code de commerce.

Son action risque cependant d'être paralysée par la prescription de l'action en nullité(12).

Il est donc primordial de déterminer le régime de la prescription à laquelle est soumise l'action en nullité des clauses faisant échec au droit de renouvellement.

En l'espèce, la tentation du locataire pourrait être de fonder son action en nullité sur l'article L. 145-10 qui lui permet de contester la décision du bailleur de refuser le renouvellement ou le versement d'une indemnité d'éviction dans un délai de forclusion de deux ans dont le point de départ est fixé à la date de signification du refus de renouvellement – dans notre affaire, le 24 septembre 2004.

Mais ce serait contourner la qualification de la clause illicite qui n'est pas non écrite mais simplement nulle.

Tant qu'un tribunal n'a pas prononcé sa nullité, la clause s'applique : ce qui empêche tout recours à l'article L. 145-10 que la clause a pour effet d'écarter.

Seul l'article L. 145-60 qui dispose que « toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans » a donc vocation à s'appliquer.

La Cour de cassation l'a plusieurs fois affirmé à propos de clauses contraires aux dispositions d'ordre public de l'article L. 145-37 relatives à la révision du loyer(13).

Dans le silence du texte, le point de départ est le jour où l'action peut être exercée, soit en principe, le jour de conclusion du contrat pour les clauses contraires aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux(14). L'action en nullité est donc prescrite, sauf suspension ou interruption, deux ans après la conclusion du bail. Lorsque le refus de renouvellement lui est signifié, il y a donc de fortes chances que le locataire ne puisse plus agir.

Le locataire ne peut pas trouver son salut dans l'exception de nullité lorsque la clause fait échec au droit de renouvellement car, par définition, il est forcément en position de demandeur à l'action lorsque le bail prévoit que le bailleur n'a pas à verser d'indemnité d'éviction en cas de refus de renouvellement.

C'est lui qui doit agir pour contester la prétention du bailleur qui va se contenter de lui dénier le droit à indemnité.

Même si le fait pour le locataire d'invoquer la nullité de la clause est « une réponse » au refus du bailleur de renouveler le bail et de verser une indemnité d'éviction, juridiquement il s'agit d'une action et pas d'un moyen de défense(15).

5. La solution de l'arrêt commenté est, sans doute, juridiquement orthodoxe.

Cependant, l'application d'un délai de prescription biennale dont le point de départ est fixé au jour de la conclusion du contrat, même lorsqu'il s'agit de clauses ayant pour effet de faire échec au droit de renouvellement du locataire, risque bien d'aboutir à une protection illusoire.

C'est au moment de la demande de renouvellement du bail, c'est-à-dire au moins neuf ans après sa conclusion, que le locataire commerçant prendra véritablement conscience de l'amputation de son droit fondamental au renouvellement du contrat, mais il sera trop tard.

La clause contraire sera définitivement consolidée par l'écoulement du temps.

Seule la qualification de clause non écrite pourrait sauver son droit.

La Cour de cassation ne devrait-elle pas dépasser la lettre du texte pour assimiler la formule, clauses et arrangements « nuls et de nul effet » comme un équivalent de « non écrits » ?

Ne serait-ce pas faire triompher l'esprit du texte puisque c'est le seul moyen d'assurer une protection efficace du droit de renouvellement, pièce maitresse du bail commercial ?