Bail commercial et immatriculation au RCS du nu-propriétaire d’un fonds de commerce
La
Cour de cassation rappelle que lorsque la propriété d’un fonds de
commerce est démembrée entre un usufruitier (commerçant) et un
nu-propriétaire (non commerçant),
ils doivent tous les deux être
immatriculés au registre du commerce et des sociétés (RCS) pour
permettre l’application du statut des baux commerciaux. Le
nu-propriétaire doit ainsi demander son inscription personnelle au RCS
en spécifiant sa qualité de non-exploitant du fonds. A défaut, il
commet une faute qui permet au propriétaire des murs de délivrer un
congé avec refus de renouvellement sans indemnité d’éviction.
Cour de cassation, Chambre commerciale, arrêt du 5 mars 2008, pourvoi n° 05-20.200
Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du
mercredi 5 mars 2008
N° de pourvoi :
05-20200
Publié au bulletin
Rejet
M. Weber , président
Me Blanc, SCP Tiffreau, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 4 octobre 2005) que,
par acte du 13 janvier 1993, les époux X... ont donné à bail à leur
fils, Jean-Paul Y..., pour une durée de neuf ans à compter du 1er
janvier 1993, divers locaux à usage commercial ; que Jean-Paul Y... est
décédé le 20 janvier 1993, laissant pour lui succéder son fils
Sébastien Y..., devenu nu-propriétaire du fonds de commerce de camping
exploité dans les lieux loués, et son épouse dont il était séparé de
biens, Mme Eliette Y..., devenue usufruitière de ce fonds par suite
d'une donation qu'il lui avait consentie de son vivant ; que, par acte
du 23 février 2001, les époux X... ont signifié à Mme Eliette Y... un
congé avec offre de renouvellement à effet du 1er janvier 2002, puis,
par un nouvel acte du 12 juin 2002, notifié à Mme Eliette Y... et à M.
Sébastien Y... (les consorts Y...), ils ont rétracté leur offre de
renouvellement au motif que Sébastien Y... n'étant pas immatriculé au
registre du commerce et des sociétés, les consorts Y... ne pouvaient
prétendre au bénéfice du statut des baux commerciaux ; que les consorts
Y... ont assigné les époux X... pour voir constater la nullité de
l'acte du 12 juin 2002 et, subsidiairement, obtenir paiement d'une
indemnité d'éviction ; que, reconventionnellement, les époux X... ont
demandé que les consorts Y... soient déclarés occupants sans droit ni
titre à compter du 1er janvier 2002, que soit ordonné leur expulsion et
que soit fixé le montant de l'indemnité d'occupation ;
Attendu que les consorts Y... font grief à l'arrêt d'accueillir
les demandes reconventionnelles des époux X... alors, selon le moyen :
1°/ que la seule inscription au registre du commerce et des
sociétés de l'usufruitier, qui est un propriétaire commerçant d'un
fonds de commerce permet à celui-ci de bénéficier du droit au
renouvellement d'un bail commercial ; que la propriété démembrée de
l'usufruitier et du nu-propriétaire n'est pas assimilable à une
co-titularité du bail qui imposerait que chacun soit immatriculé ;
qu'en disant le congé sans offre de renouvellement ni indemnité
d'éviction valide au seul motif pris du défaut d'immatriculation de M.
Sébastien Y..., nu-propriétaire non exploitant, au registre du commerce
et des sociétés à la date du congé, l'immatriculation de Mme Escot
Y..., usufruitière exploitante du fonds de commerce étant acquise, la
cour d'appel a violé les articles L. 145-1 et L. 145-8 du code de
commerce, 1er du 1er Protocole additionnel à la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que lorsque la propriété du fonds de commerce est démembrée
entre, d'une part, l'usufruit du conjoint survivant, immatriculé au
registre du commerce et des sociétés en qualité de commerçant
exploitant du fonds de commerce et, d'autre part, la nue-propriété du
descendant direct, non commerçant exploitant, ni immatriculé en cette
qualité audit registre, aucune disposition légale ou règlementaire ne
les prive du droit au renouvellement du bail commercial ; que le défaut
d'immatriculation du nu-propriétaire non commerçant non exploitant ne
constitue le cas échéant un motif grave et légitime, privatif de
l'indemnité d'éviction, que s'il se poursuit plus d'un mois après la
mise en demeure délivrée par le bailleur ; que dès lors, en validant le
congé sans offre de renouvellement ni indemnité d'éviction, au seul
motif pris du défaut d'immatriculation de M. Sébastien Y...,
nu-propriétaire non exploitant au registre du commerce et des sociétés
à la date du congé, la cour d'appel a violé les articles L. 145-1 et L.
145-8, ensemble les articles L. 145-14 et L. 145-17 du code de
commerce, 1er du 1er Protocole additionnel à la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que, le seul fait qu'un bail ait été à l'origine un bail
commercial par nature n'exclut pas que les parties aient par la suite
accepté de le soumettre volontairement au statut des baux commerciaux ;
qu'en se contentant de retenir que "que la jurisprudence invoquée par
les appelants relative à la soumission volontaire, par la convention
des parties, au statut des baux commerciaux, qui permet au preneur de
bénéficier du droit au renouvellement malgré son absence
d'immatriculation, est inopérante au cas d'espèce où le bail est depuis
l'origine un bail commercial par nature", sans rechercher s'il n'y
avait pas eu, dès lors que le bénéfice du statut n'était plus de droit,
renonciation à se prévaloir de ce défaut, ainsi que cela résultait du
silence gardé par les époux X... à la suite du décès de Jean-Paul Y...
et du démembrement conséquent de la propriété du bail commercial entre
l'épouse de celui-ci et son fils, M. Sébastien Y..., en pleine
connaissance de ce que seule Mme Z... veuve Y..., usufruitière,
exploitait le fonds de commerce, la cour d'appel a manqué de base
légale au regard des articles L. 145-1 et L. 145-8 du code de commerce
ensemble l'article 1134 du code civil ;
4°/ que, par conclusions régulièrement signifiées le 19 août 2005,
Mme Eliette Z... veuve Y... et son fils, Sébastien Y..., ont fait
valoir l'irrégularité formelle du congé délivré le 12 juin 2002 compte
tenu notamment, d'une part, de la confusion résultant de sa
notification à deux destinataires tout en prétendant qu'un seul était
concerné, et d'autre part, de la confusion portant sur la qualification
même de l'acte qui, en raison de la nullité de la précédente offre de
renouvellement, devait donner lieu à la délivrance d'un acte de
résiliation avec respect d'un préavis ; qu'en se contentant de déclarer
régulier en la forme le congé sans offre de renouvellement notifié le
12 juin 2002, sans aucune motivation, la cour d'appel a violé les
articles 455 et 458 du nouveau code de procédure civile ;
5°/ que, par conclusions régulièrement signifiées le 19 août 2005,
Mme Eliette Z... veuve Y... et son fils, Sébastien Y..., ont fait
valoir que les époux A...
Y..., bailleurs, étaient également vendeurs du fonds de commerce à M.
Jean-Paul Y... auquel ont succédé en nue-propriété son fils Sébastien
Y... et son épouse, Mme Z... veuve Y... ; que la garantie d'éviction
des articles 1626 et suivants du code civil est donc due par les
vendeurs du fonds à leur acheteur ; que les vendeurs ne peuvent par
suite vider ce fonds d'un élément essentiel ne ne procurant pas aux
acheteurs un bail commercial, même volontairement ; qu'en ne répondant
pas à ce motif dirimant, la cour d'appel a violé les articles 455 et
458 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a exactement retenu,
par motifs propres et adoptés, que les époux X... avaient valablement
retiré leur congé avec offre de renouvellement lorsqu'ils ont découvert
que M. Sébastien Y... n'était pas immatriculé au registre du commerce,
et que la seule délivrance d'un congé avec offre de renouvellement
n'emportait pas volonté de la part des bailleurs de renoncer à se
prévaloir de l'absence du droit à la propriété commerciale des
preneurs, le bail étant commercial depuis l'origine ;
Attendu, d'autre part, qu'ayant exactement retenu, que le bénéfice
du statut des baux commerciaux ne pouvait être invoqué que par celui
qui est à la fois titulaire du bail et propriétaire du fonds de
commerce, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des
recherches ni de répondre à des conclusions que ses constatations
rendaient inopérantes, en a exactement déduit que lorsque la propriété
d'un fonds de commerce est démembrée entre un usufruitier qui a la
qualité de commerçant et un nu-propriétaire qui n'a pas cette qualité,
le nu-propriétaire devait être immatriculé au registre du commerce et
des sociétés pour permettre l'application du statut des baux
commerciaux et que dès lors que M. Sébastien Y..., bien que majeur
depuis le 29 janvier 1999, n'était pas inscrit au registre du commerce
et des sociétés en qualité de nu-propriétaire non exploitant au moment
de la notification du congé, les consorts Y... ne pouvaient prétendre
au renouvellement du bail ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts Eliette et Sébastien Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre
civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq
mars deux mille huit.