
Délégation imparfaite de paiement de l’indemnité d’évictionLa
clause d’un contrat de cession d’immeuble par laquelle l’acquéreur
s’engageait à prendre à sa charge le paiement d’une indemnité
d’éviction due à un locataire par le cédant de l’immeuble a été
analysée par les juges comme une délégation imparfaite de paiement. En
conséquence, la Cour de cassation a considéré que le locataire pouvait
réclamer le paiement de cette indemnité à l’acquéreur de l’immeuble,
sans être tenu préalablement de s’adresser au vendeur.
Dans
cette affaire, il convient de noter que le locataire n’était pas parti
à l’acte de cession de l’immeuble et qu’en application de la règle de
l’effet relatif des contrats, aucune clause du contrat de cession ne
pouvait créer des droits et des obligations à son égard. Cependant, les
juges ont considéré que cette règle ne lui était pas opposable et que
la délégation imparfaite de paiement lui donnait le droit de réclamer
directement le paiement de l’indemnité d’éviction à l’acquéreur de
l’immeuble. Il faut également noter que si la délégation avait été
parfaite, la situation de l’acquéreur de l’immeuble n’aurait pas
changée : conformément à l’article 1275 du Code civil, le locataire ne
serait intervenu dans l’acte de cession que pour libérer le vendeur de
la charge de verser l’indemnité d’éviction.
Cour de cassation, Chambre civile 3e, arrêt du 5 mars 2008, pourvoi n°06-19.237
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n°s J 06-19.237 et F 06-20.223 ;
Sur le premier moyen du pourvoi n° F 06-20.223 :
Attendu,
selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 septembre 2004), que, par acte du 29
juin 1998, le Crédit foncier de France (le CFF), propriétaire de locaux
à usage commercial pris à bail par la société Bank Sepah (la banque
Sepah), lui a donné congé avec offre de renouvellement à compter du 1er
janvier 1999, moyennant un certain loyer ; que, par acte du 25 novembre
1998, le CFF a notifié à sa locataire la rétractation de son offre de
renouvellement et lui a offert le paiement d'une indemnité d'éviction;
que, par acte authentique du 4 février 1999, la société The Ritz Hotel
Limited (The Ritz Hotel) a acquis du CFF la propriété de l'immeuble
loué; que la banque Sepah a assigné la société The Ritz Hôtel pour voir
constater à titre principal, le renouvellement de son bail et obtenir,
à titre subsidiaire, le paiement d'une indemnité d'éviction ; que le
CFF a été appelé en intervention forcée ;
Attendu que la société
The Ritz Hotel fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande
d'indemnité d'éviction formée à son encontre par la banque Sepah et de
fixer à une certaine somme le montant de cette indemnité, alors, selon
le moyen :
1°/ que tenu en toutes circonstances de faire
observer et d'observer lui-même le principe de la contradiction, le
juge ne peut fonder sa décision sur un moyen relevé d'office sans avoir
au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en
relevant d'office, et sans inviter préalablement les parties à
présenter leurs observations, le moyen, mélangé de fait et de droit,
pris de ce que la clause du contrat de vente par laquelle la société
The Ritz Hotel Limited avait déclaré faire son affaire personnelle et
décharger le Crédit foncier de France de l'indemnité d'éviction que
celui-ci pouvait devoir à la société Banque Sepah, était constitutive
d'une délégation imparfaite de payement par laquelle le Crédit foncier
de France (délégant) avait transmis à la société The Ritz Hôtel
(délégué) la charge du payement de l'indemnité d'éviction due à la
société Banque Sepah, et qu'une telle stipulation autorisait le
preneur, délégataire, à réclamer le payement de l'indemnité à la
société The Ritz Hotel, acquéreur de l'immeuble, sans être tenu de
s'adresser au CFF vendeur et sans que puisse lui être opposée la règle
de l'effet relatif des conventions, la cour d'appel a méconnu ces
principes et violé l'article 16 du nouveau code de procédure civile ;
2°/
que sous une rubrique intitulée "propriété jouissance", l'acte de vente
notarié du 4 février 1999, après avoir précisé qu'un "congé avec offre
de renouvellement suivi d'une dénonciation de cette offre ont été
signifiés à la Banque Sepah à la demande du Crédit foncier de France"
et qu'à la "suite une procédure a été intentée par le locataire",
stipulait que "l'acquéreur déclare faire son affaire personnelle
déchargeant le vendeur de toutes les conséquences financières" et
"s'oblige à prendre à sa charge le paiement de l'indemnité d'éviction
ainsi que les frais et honoraires de cette procédure" ; qu'en estimant
que cette clause issue d'un acte conclu entre les seules sociétés CFF
et Ritz Hôtel devait s'analyser en une "délégation imparfaite de
payement par laquelle le CFF (délégant)" avait "transmis à la société
The Ritz Hotel (délégué) la charge du payement de l'indemnité
d'éviction due à la société Banque Sepah", là où, au-delà d'une simple
cession de dette interne entre le Crédit foncier de France et la
société Ritz Hotel Ltd, aucun engagement personnel de la société Ritz
Hotel de payer directement à la société Bank Sepah l'indemnité
d'éviction que le Crédit foncier de France pourrait lui devoir ne
résultait des termes clairs et précis de cette clause, la cour d'appel
l'a dénaturée et de ce chef violé l'article 1134 du code civil ;
3°/
que la délégation imparfaite est l'opération triangulaire par laquelle
un débiteur donne au créancier un autre débiteur, qui s'oblige envers
ce dernier ; que ne saurait être ainsi qualifiée la clause par laquelle
une partie déclare faire son affaire personnelle de la dette d'une
autre et l'en décharger dès lors qu'elle ne comporte aucun engagement
nouveau et personnel directement souscrit par le délégué au profit du
délégataire et qu'ainsi la volonté certaine de ce dernier de souscrire
un tel engagement personnel, nouveau et direct à l'égard du délégataire
n'est pas caractérisée ; qu'en déduisant de la clause du contrat de
vente par laquelle la société The Ritz Hotel Limited avait déclaré
faire son affaire personnelle de l'indemnité d'éviction due par le
Crédit foncier de France à la société Bank Sepah, l'existence d'une
délégation autorisant cette dernière, en sa qualité de prétendue
délégataire, à réclamer le payement de cette indemnité à la société The
Ritz Hotel, prétendu délégué, sans être tenue de s'adresser au Crédit
foncier de France, prétendu délégant, sans constater que le "délégué"
avait souscrit au profit du "délégataire" l'engagement personnel et
direct de lui payer ce que lui devait ou pourrait lui devoir le
"délégant", la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1275 du code
civil, ensemble l'article 8 du décret du 30 septembre 1953 ;
Mais
attendu qu'ayant constaté que l'acte de vente conclu le 4 février 1999
entre le CFF et la société The Ritz Hotel comprenait une stipulation
ainsi rédigée : "Etant précisé qu'un congé avec offre de renouvellement
suivi d'une dénonciation de cette offre ont été signifiés à la société
Banque Sepah à la demande du Crédit foncier de France. Qu'à la suite,
une procédure a été intentée par le locataire M. X... au nom de The
Ritz Hôtel Limited déclare avoir parfaite connaissance de ces location
et procédure dont les éléments lui ont été remis dès avant ce jour par
le vendeur et déclare, ès qualités, en faire son affaire personnelle
déchargeant le vendeur de toutes les conséquences financières notamment
l'acquéreur s'oblige à prendre à sa charge le payement de l'indemnité
d'éviction ainsi que les frais et honoraires de cette procédure", la
cour d'appel, sans violer le principe de la contradiction et sans
dénaturation, a pu en déduire qu'une telle clause s'analysait en une
délégation imparfaite de payement par laquelle le CFF avait transmis à
la société The Ritz Hotel la charge du payement de l'indemnité
d'éviction due à la société Banque Sepah et qu'une telle stipulation
autorisait le preneur, à réclamer le paiement de l'indemnité qui y
était visée à la société The Ritz Hotel, acquéreur de l'immeuble, sans
être tenue de s'adresser au CFF, vendeur, et sans que puisse lui être
opposée la règle de l'effet relatif des conventions;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et
attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le moyen unique du pourvoi
n° J 06-19.237 et sur le second moyen du pourvoi n° F 06-20.223, qui ne
seraient pas de nature à permettre l'admission de ces pourvois ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société The Ritz Hôtel Limited aux dépens des pourvois ;
Vu
l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société The Ritz
Hotel Limited à payer à la société Banque Sepah la somme de 2 000 euros
; rejette les demandes de la société The Ritz Hotel Limited ;
Ainsi
fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et
prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux
mille huit.