
Instruments de crédit et de paiement et recouvrement
par Stéphane PIEDELIÈVRE
Professeur à l'Université de Paris XII
I. Cession de créances et recouvrement
A. Com., 18 septembre 2007, pourvoi n° 06-13.736
Le
cessionnaire d'une créance professionnelle qui a notifié la cession
bénéficie d'un recours en garantie contre le cédant, garant solidaire,
sans avoir à justifier préalablement d'une poursuite judiciaire contre
le débiteur cédé ou même de sa mise en demeure, il est cependant tenu
de justifier d'une demande amiable adressée à ce débiteur ou de la
survenance d'un événement rendant impossible le paiement.
1. La
cession de créances professionnelles est avant tout une opération de
crédit. Il est donc logique que l'article L. 313-24 alinéa 2 du Code
monétaire et financier dispose que « sauf convention contraire, le
signataire de l'acte de cession ou de nantissement est garant solidaire
du paiement des créances cédées ou données en nantissement ». Cette
disposition marque bien le rôle de débiteur subsidiaire du cédant.
Cette solution est rappelée de manière particulièrement nette par un
arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 2007(1).
En
l'espèce, M. X. avait cédé à une banque une créance professionnelle
qu'il détenait sur M. Y., dans les conditions prévues aux articles L.
313-23 et suivants du Code monétaire et financier. La banque a notifié
la cession de créance à M. Y., par lettre recommandée du 20 août 1996
et comme sa créance demeurait impayée, elle a assigné en paiement M. X.
en sa qualité de cédant. Les juges du second degré l'ont déboutée de sa
demande aux motifs que le cessionnaire n'est toutefois fondé à
poursuivre le cédant que s'il justifie d'une démarche amiable accomplie
auprès du débiteur cédé à fin de paiement ou de la survenance d'un
événement rendant impossible le paiement. Le pourvoi formé contre cette
décision est rejeté. A cette occasion, la Cour de cassation réaffirme
sous forme de principe « que si le cessionnaire d'une créance
professionnelle qui a notifié la cession en application de l'article L.
313-28 du Code monétaire et financier bénéficie d'un recours en
garantie contre le cédant, garant solidaire, sans avoir à justifier
préalablement d'une poursuite judiciaire contre le débiteur cédé ou
même de sa mise en demeure, il est cependant tenu de justifier d'une
demande amiable adressée à ce débiteur ou de la survenance d'un
événement rendant impossible le paiement ».
Si cette solution
n'est pas novatrice, elle rappelle quelques règles importantes en ce
domaine où l'on se trouve dans une situation particulière, puisque le
cédant est à la fois un codébiteur solidaire et un garant devant être
actionné à défaut de paiement du débiteur cédé(2). Le principe est donc
que l'action du cessionnaire contre le cédant est subordonnée à la
démonstration de la défaillance avérée ou présumée telle du débiteur
cédé. L'exception est celle de l'existence d'un évènement rendant le
paiement impossible vise essentiellement l'hypothèse de l'ouverture
d'une procédure collective à l'encontre du débiteur cédé. Pour essayer
de contrecarrer cette règle, la banque arguait du fait que le cédant
ait autorisé la banque, par convention cadre, à débiter son compte, si
le débiteur cédé laissait impayée sa créance à l'échéance. Le rejet de
cette prétention paraî t indiquer que la Cour de cassation que
conventionnellement le cessionnaire ne peut écarter la nécessité de
réclamer en premier le paiement au débiteur cédé et par conséquent de
bénéficier d'une totale liberté dans le choix de ses poursuites.
Par
conséquent, il appartient au cessionnaire, en application de l'article,
1315 du Code civil, de démontrer qu'il s'est d'abord adressé au
débiteur cédé. Le droit de la cession de créances professionnelles se
montre ici peu exigeant, surtout si on compare cette solution avec
celle existant par exemple pour le bénéfice de discussion en matière de
cautionnement. Il n'est même pas nécessaire qu'une mise en demeure soit
effectuée.
La présente décision du 18 septembre 2007 paraît
limiter la solution qu'elle donne à la seule hypothèse où le
cessionnaire se charge du recouvrement de la créance cédée. Pour
autant, on ne doit pas en déduire que la solution diffère lorsque le
recouvrement est effectué par le cédant en tant que mandataire du
cessionnaire. La garantie du cédant subsiste(3). La cession n'est pas
opposable au débiteur cédé, puisqu'il n'a pas été informé du transfert.
Mais elle a produit ses effets entre les parties. Il est par conséquent
impossible d'imposer au cessionnaire de demander le paiement au
débiteur cédé, puisque celui ne connaî t que le cédant(4). A partir du
moment où les sommes devant être recouvrées n'ont pas été transmises au
cessionnaire, il est possible d'en déduire l'existence d'une négligence
du mandataire, d'un détournement de sa part ou plus sûrement un défaut
de paiement de la part du débiteur cédé. La garantie peut alors être
mise en œuvre.
B. Com., 2 octobre 2007, pourvoi n° 06-14.343
La
réception des fonds en qualité de mandataire du cédant n'impose pas à
une société d'affacturage de restituer les fonds entre les mains du
débiteur qui les avaient réglées entre ses mains et non entre celles
d'un banquier cessionnaire.
2. Les hypothèses de conflits de
droits entre deux personnes qui prétendent obtenir le paiement d'une
même créance, même si elles ne sont pas très fréquentes, suscitent un
contentieux réguliers. Parmi les difficultés qu'il est parfois
nécessaire de résoudre, figurent des éventuelles restitutions lorsque
le créancier ayant reçu un paiement indu de la créance, ce qu'illustre
parfaitement un arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2007(5).
En
l'espèce, une société R. avait cédé à titre de garantie, en application
des règles de la cession de créances professionnelles à une banque une
créance professionnelle sur la société G. Cette cession a été
régulièrement notifiée à la société G. Ultérieurement, la société R. a
informé ses clients que le paiement de toutes les factures devrait être
effectué entre les mains d'une société d'affacturage à laquelle elle
avait transféré, par voie de subrogation, la propriété de ses créances.
Le banquier cessionnaire a réclamé à la société G. Cette dernière
assignée en paiement par la société d'affacturage lui a demandée le
remboursement d'une somme correspondant au montant de la créance cédée
en garantie.
Les juges du second degré ont fait droit à sa
demande aux motifs que « que la cession, irrévocablement jugée
régulière, de la créance “Dailly”, notifiée à la société G. par la
banque cessionnaire, est également opposable à la société d'affacturage
de sorte que l'action en répétition de l'indu engagée par la société G.
à l'encontre du “factor” à qui ont été réglés les fonds correspondants
est recevable et que, malgré sa bonne foi, ce dernier, qui a reçu
indûment ces fonds en sa qualité de subrogé ». L'arrêt est cassé aux
motifs que les juges du second degré n'ont pas répondu aux conclusions
par lesquelles l'affactureur faisait valoir qu'il n'était pas tenu de
restituer les fonds litigieux au débiteur cédé dès lors qu'il les avait
reçus en qualité de mandataire et que cette réception faisait obstacle
à une quelconque action en répétition de l'indu, seul le mandant
bénéficiaire du règlement étant tenu à remboursement.
Les juges
d'appel avaient appliqué le principe suivant lequel qui mal paie, paie
deux fois, en recourant aux règles devenues classiques en cas de
conflits de droits. La règle de l'antériorité s'applique au conflit
entre un cessionnaire de créances professionnelles et une société
d'affacturage ayant reçu la créance par subrogation. Si le paiement
avec subrogation est antérieur, le factor l'emporte(6). Si le paiement
avec subrogation est postérieur, le cessionnaire Dailly prime(7). Or en
l'espèce, la cession de créances professionnelles était devenue
opposable au débiteur avant que l'opération d'affacturage intervienne.
En apparence, leur solution était totalement justifiée. Mais ils
avaient négligé un élément important avancé par la société
d'affacturage qui prétendait avoir agi uniquement comme chargé du
recouvrement de la créance. Ils sont censurés pour ne pas avoir répondu
à cette question
Les conventions d'affacturage prévoient, en
effet, le plus souvent la possibilité pour le factor de procéder à une
certaine sélection. Pour les factures approuvées ou celles qui sont
situées dans le montant fixé par lui, le factor à l'obligation de les
régler. Le principe est le règlement à l'échéance. Une fois le
transfert opéré, il se substituera donc à son client et il deviendra
propriétaire de la créance transmise. Pour les créances non approuvées,
il est très fréquent que le factor se charge de leur recouvrement en
qualité de mandataire. Il n'acquiert alors pas la propriété de la
créance. A partir du moment où il n'a pas reçu les fonds à titre de
propriétaire, mais à titre de mandataire, il ne peut être tenu à une
obligation de restitution qui pèse alors sur le mandant, c'est-à-dire
la société R(8).
C. Com., 16 octobre 2007, pourvoi n° 06-14.675
A
partir du moment où un bordereau de cession de créances
professionnelles n'est pas régulier en la forme, l'engagement de payer
souscrit par le débiteur cédé ne vaut pas comme acceptation au sens du
Code monétaire et financier.
3. Le bordereau Dailly nécessite
pour sa validité la réunion de plusieurs mentions obligatoires. Même
s'il est moins important que celui existant pour les lettres de change,
le formalisme est encore très présent, ce qui se justifie par son rôle
d'instrument de crédit ou de garantie. Selon le dernier alinéa de
l'article L 313‑23 du Code monétaire et financier, le titre dans lequel
une des mentions obligatoires fait défaut ne vaut pas comme acte de
cession ou de nantissement des créances professionnelles(9). Le respect
du formalisme légal rejaillit également sur les engagements ultérieurs
qui peuvent être souscrits, et notamment pour l'acceptation du débiteur
cédé, comme le démontre un arrêt de la Cour de cassation du 16 octobre
2007(10).
Dans cette espèce, une société avait cédé à un
établissement de crédit selon les modalités prévues aux articles L.
313-23 et suivants du Code monétaire et financier, une créance
professionnelle détenue sur une SCI, par un bordereau ne mentionnant
pas que l'acte était soumis aux dispositions des articles L. 313-23 à
L. 313-34 du Code monétaire et financier. Ultérieurement, la SCI a
déclaré accepter la cession de créance. Ayant été assignée par
l'établissement de crédit, la SCI s'est prévalue de l'irrégularité
affectant le bordereau de cession pour refuser le paiement de la
créance. Les juges du fond ont condamnée la SCI à payer le montant de
la créance aux motifs qu'en se reconnaissant expressément débitrice du
montant correspondant à la facture de la société, la SCI a
implicitement renoncé à élever toute contestation relative à
l'existence et au montant de la créance.
La Cour d'appel est
censurée aux motifs « qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait
constaté que le bordereau de cession était irrégulier, ce dont il
résultait que l'engagement de payer du débiteur cédé ne valait pas
acceptation de la cession de créance au sens de l'article L. 313-29 du
Code monétaire et financier et que la SCI était dès lors fondée à
opposer au cessionnaire les exceptions tirées de ses rapports
personnels avec le cédant », elle aurait violée cette disposition et
l'article 1690 du Code civil. La solution est incontestable, car
l'acceptation apparaî t comme une conséquence spécifique du
particularisme de la cession de créances professionnelles. Dès lors
qu'il n'y a pas cession de créances professionnelles, il ne peut y
avoir acceptation.
Les juges du second degré avaient fondé leur
solution sur l'idée de bonne foi au sens de l'article 1134 du Code
civil. A partir du moment où il s'était engagé à payé sa dette, le
débiteur devait exécuter son engagement. Mais on retrouve une nouvelle
illustration du principe suivant lequel en matière d'instruments de
crédit les règles de forme sont prépondérantes. Aucune possibilité de
régularisation ne pouvait exister en l'espèce.
La question se
pose alors de savoir si la cession de créances professionnelles peut
faire l'objet d'une conversion par réduction. L'opération peut
éventuellement valoir cession de droit commun. Mais son efficacité est
nécessairement limitée aux rapports entre les parties, puisque les
formalités prévues par l'article 1690 du Code civil, nécessaires pour
rendre l'opération opposable aux tiers, n'ont pas été respectées. La
même question se pose alors pour l'acceptation. Le visa par la Cour de
cassation de l'article 1690 paraî t exclure cette possibilité. Il
convient de remarquer que par un arrêt du 7 janvier 1997, la Cour de
cassation avait censuré des juges du fond qui, pour accueillir la
demande en paiement d'une banque, avait retenu que les lettres
adressées par celle-ci à une société, l'invitant à souscrire des actes
d'acceptation de cessions de créance, avaient eu pour effet, non
seulement de l'avertir en tant que débiteur cédé de la transmission de
créance intervenue, mais encore de lui faire défense de payer en
d'autres mains que celles du banquier cessionnaire, peu important que
l'interdiction de payer n'ait pas été faite dans les formes prévues par
le décret du 9 septembre 1981, alors applicable(11). En tout état de
cause, l'acceptation irrégulière ne pourra jamais suppléer les
formalités d'information du débiteur cédé, prévues par l'article
1690(12). En effet, ces deux institutions n'ont pas les mêmes
finalités. A partir du moment où dans le droit commun de la cession de
créance, le débiteur cédé n'a pas donné son acceptation à la cession
par acte authentique ou s'il n'a pas reçu une notification de la
cession, il ne peut être actionné en paiement par le cessionnaire.
D. Com., 19 septembre 2007, pourvoi n° 04-18.372
Le
cédant d'origine ne peut retrouver la propriété de la créance cédée
sans formalité particulière uniquement lorsque la garantie est éteinte.
4.
La loi du 2 janvier 1981, dite loi Dailly, complétée par un décret du 9
septembre 1981, a prévu la possibilité d'une cession ou d'un
nantissement. L'article L 313-24 du Code monétaire et financier dispose
que « même lorsqu'elle est effectuée à titre de garantie et sans
stipulation d'un prix, la cession de créance transfère au cessionnaire
la propriété de la créance cédée ». La cession permet au banquier
d'effectuer une opération voisine de l'escompte. Le nantissement offre
une garantie au banquier ayant consenti un crédit à son client. Le
transfert de propriété s'opérera lors de l'apposition de la date sur le
bordereau par le cessionnaire. Ce transfert de propriété au
cessionnaire est provisoire en cas de garantie, et il implique, de la
part de celui-ci, une obligation de restitution de la créance cédée une
fois que la garantie avait épuisé ses effets(13). Par un arrêt du 19
septembre 2007, la Cour de cassation rappelle cette solution en
précisant un élément du régime de cette restitution(14).
Les
circonstances de fait de l'espèce étaient relativement complexes. Il
suffit d'en retenir qu'une créance avait été cédée par bordereau
Dailly. Le débiteur cédé avait été actionné par le cédant et non par le
cessionnaire. Le débiteur avait refusé de payer le cédant aux motifs
que ce dernier n'avait aucune qualité pour agir, puisque la créance
avait quitté son patrimoine. Pour rejeter cette fin de non-recevoir,
les juges du second degré avaient considéré que le législateur n'a pas
prohibé une rétrocession destinée à remettre le créancier cédant en
possession de ses droits et que, dès lors que la cession est mise à
néant par accord entre le cédant et le cessionnaire et que le cédé en
est informé, le cédant est réintégré dans l'intégralité de ses droits
et fondé à agir. En l'espèce, la cession de créances professionnelles
avait fait l'objet d'une notification.
La Cour de cassation
censure cette décision aux motifs « qu'en se déterminant ainsi, sans
rechercher si la cession avait été effectuée à titre d'escompte ou à
titre de garantie, alors que c'est seulement dans ce dernier cas que le
cédant d'origine peut retrouver la propriété de la créance cédée sans
formalité particulière dans la mesure où la garantie prend fin lorsque
son bénéficiaire n'a plus de créance à faire valoir ou lorsqu'il y
renonce, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ».
Les
juges du fond sont censurés pour n'avoir pas recherché si l'on se
trouvait en présence d'une cession opération de crédit ou d'une cession
opération de garantie. Or dans la première hypothèse, la transmission
des créances professionnelles est normalement définitif(15), ce qui
exclu par définition toute obligation de restitution.
Cette
décision du 19 septembre 2007 démontre une nouvelle fois le rôle de
plus en plus fréquent des transferts provisoires de propriété qui
permettent l'émergence de ce que l'on dénomme de plus en plus
fréquemment les propriétés finalisés. On retrouve ici la logique des
sûretés réelles. A partir du moment où la créance garantie est éteinte,
la sûreté disparaî t et une éventuelle obligation de restitution
apparaî t alors automatiquement. Pour cette raison, il est tout à fait
logique que le présent arrêt indique que ce transfert s'effectue sans
aucune formalité.
II. Carte de crédit et recouvrement
Com., 2 octobre 2007, pourvoi n° 05-19.899
En
cas de perte ou de vol d'une carte bancaire, il appartient à l'émetteur
de la carte qui se prévaut d'une faute lourde de son titulaire d'en
rapporter la preuve.
5. La loi du 15 novembre 2001 s'est
également préoccupée des conséquences pour le porteur d'une utilisation
frauduleuse d'une carte bancaire, car celui-ci n'est pas toujours en
mesure de faire rapidement opposition. Or, le contrat qu'il a conclu
avec l'émetteur prévoit qu'il sera tenu pour les utilisations que les
tiers ont pu en faire antérieurement à l'opposition. L'assurance lui
permet de limiter ce risque. Le nouvel article L. 132-3 du Code
monétaire et financier fixe à 150 euros le montant maximum que
l'utilisateur peut supporter en cas d'utilisation avant l'opposition.
Toutefois ce plafond n'est pas applicable, si le porteur a agi avec une
négligence constituant une faute lourde ou si, après la perte ou le vol
de la carte, il n'a pas effectué une mise en opposition dans les
meilleurs délais. La notion de faute lourde a suscité certaines
difficultés, notamment dans l'hypothèse où le voleur a utilisé le
compte confidentiel du porteur. Par un arrêt du 2 octobre 2007, la Cour
de cassation précise cette question probatoire(16).
En l'espèce,
Mme X. était titulaire d'un compte à La Poste et d'une carte de crédit.
Le 10 avril 2004, elle a fait opposition à l'utilisation de sa carte
déclarée perdue le 9 avril 2004. Une certaine somme a néanmoins été
dépensée avant la mise en opposition. La banque ayant constaté que
toutes les opérations effectuées avaient été réalisées avec contrôle du
code confidentiel en a déduit la négligence de sa cliente et elle lui a
alors imputé la totalité des prélèvements opérés avant opposition. Mme
X. a assigné la banque en restitution des sommes ainsi portées au débit
de son compte. Les juges de première instance ont fait droit à sa
demande. La banque s'est pourvue en cassation en faisant valoir que Mme
X. s'était engagée contractuellement à assurer la conservation de sa
carte ainsi que la conservation et la confidentialité de son code.
Suite à la perte de sa carte et à son utilisation avec composition du
code confidentiel, il appartenait à Mme X. d'établir qu'elle n'avait
pas commis de faute lourde.
La Cour de cassation a rejeté le
pourvoi en posant sous forme de principe « qu'en cas de perte ou vol
d'une carte bancaire, il appartient à l'émetteur de la carte qui se
prévaut d'une faute lourde de son titulaire, au sens de l'article L.
132-3 du Code monétaire et financier, d'en rapporter la preuve ; que la
circonstance que la carte ait été utilisée par un tiers avec
composition du code confidentiel est, à elle seule, insusceptible de
constituer la preuve d'une telle faute ». Par conséquent, « en retenant
que la banque était défaillante dans l'établissement de la faute lourde
alléguée à l'encontre de Mme X., le tribunal, qui n'a pas inversé la
charge de la preuve, a, abstraction faite du motif surabondant critiqué
par la seconde branche, légalement justifié sa décision ».
Si
cette solution se justifie aussi bien au regard des règles sur la
charge de la preuve que par rapport à la définition de la faute
lourde(17), elle laisse malgré tout subsister certaines zones d'ombre.
Au plan de la charge de la preuve, il est incontestable qu'il
appartient au banquier émetteur de démontrer la négligence du titulaire
de la carte. En l'espèce, la banque avait essayé d'atténuer la rigueur
du système mis en place par l'article L. 132-3 du Code monétaire et
financier en considérant que l'utilisation du code secret par le voleur
était constitutif d'une faute lourde du titulaire de la carte qui avait
alors manqué à son obligation contractuelle de tenir secret le numéro
de son code. En tout état de cause, la simple démonstration d'une
négligence par le banquier émetteur est insuffisante, puisque elle doit
démontrer l'existence d'une faute lourde. Cette dernière se définit
comme une faute d'une anormale gravité(18). Comme l'avait indiqué
Josserand, c'est « une énormité qui dénonce l'incapacité »(19). Cette
faute n'implique pas la mauvaise foi. Sa notion est souvent délicate à
dégager. La Cour de cassation l'a souvent définie comme « la négligence
d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du
[débiteur] à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il avait
acceptée »(20).
Le simple fait qu'un tiers utilise un code
secret n'est pas constitutif d'une faute lourde. Seules les
circonstances de cette utilisation permettront éventuellement de
retenir ce qualificatif. L'incertitude subsiste sur ce point pour
savoir si la jurisprudence se montrera en ce domaine stricte ou non. Il
est certain qu'elle sera retenue dès lors que le titulaire communique
de manière volontaire ou non ce code au voleur. On peut penser qu'il en
ira de même du fait d'inscrire directement ce numéro sur la carte et
dans celui de laisser sa carte dans un lieu facilement accessible à
tous(21). En tout état de cause, une telle preuve risque d'être
délicate à rapporter si le titulaire nie avoir été négligent.
III. Virement et recouvrement
Com., 18 septembre 2007, pourvoi n° 06-14.161
Le
bénéficiaire d'un virement acquiert un droit de créance sur son
banquier, chargé du recouvrement, uniquement lorsque ce dernier a reçu
effectivement les fonds.
6. A quel moment, le bénéficiaire d'un
virement acquiert-il la propriété des fonds au moment où le virement
est envoyé par le banquier du débiteur ou au moment où le banquier du
créancier reçoit les fonds ? La question peut être capitale en cas
d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de
liquidation judiciaire. En effet, l'article L. 330-1 II du Code
monétaire et financier prévoit que « nonobstant toute disposition
législative contraire, les paiements et les livraisons d'instruments
financiers effectués dans le cadre de systèmes de règlements
interbancaires ou dans le cadre de systèmes de règlement et de
livraison d'instruments financiers, jusqu'à l'expiration du jour où est
rendu un jugement d'ouverture de redressement ou de liquidation
judiciaires à l'encontre d'un établissement participant, directement ou
indirectement, à un tel système, ne peuvent être annulés, même au motif
qu'est intervenu ce jugement ». Par un arrêt du 18 septembre 2007, la
Cour de cassation a eu à se prononcer sur la date à laquelle le
bénéficiaire d'un virement est devenu créancier du banquier
réceptionnaire(22).
En l'espèce, une association avait été mise
en redressement judiciaire, le 2 juillet 2004, puis en liquidation
judiciaire, le 5 août 2004. Un important virement était au centre des
difficultés, puisque le banquier de l'association voulait le compenser
avec le solde débiteur du compte courant de l'association et que le
liquidateur voulait le récupérer. L'ordre de virement était parvenu à
la station du système interbancaire de télécompensation le 1er juillet
2004 à 16 heures 12. Mais il n'avait été exécuté que le lendemain, à
compter de son règlement effectif dans le système transfert Banque de
France soit le 2 juillet 2004. Les juges du second degré ont considéré
que la procédure collective avait été ouverte le 2 juillet à 0 heures
et que par conséquent la compensation invoquée par le banquier était
postérieure à l'ouverture de la dite procédure, ce qui est impossible.
Elle pouvait seulement intervenir jusqu'au 1er juillet à 24 heures.
La
Cour de cassation rejette le pourvoi en indiquant que « si le
bénéficiaire d'un virement acquiert le droit définitif sur les fonds
dès que, selon l'article L. 330-1-III du Code monétaire et financier,
l'ordre est devenu irrévocable, à une date et selon les modalités
conformes aux règles de fonctionnement du système interbancaire de
télécompensation (SIT), son droit de créance sur son propre banquier,
chargé d'un mandat général d'encaissement, n'existe qu'à compter de la
réception effective de ces fonds par ce dernier, qui les détient alors,
pour le compte de son client, en sa qualité de dépositaire ».
La
solution est parfaitement logique. Tant que les sommes n'ont pas été
reçues par le banquier réceptionnaire, le bénéficiaire du virement ne
peut pas être considéré comme créancier, même si l'ordre émis par le
débiteur est devenu irrévocable, lorsque son banquier s'est dessaisi
des fonds. Tel était le cas en l'espèce, puisque l'ordre était devenu
irrévocable avant l'ouverture de la procédure collective. En revanche,
il n'est pas nécessaire que le compte du bénéficiaire soit
effectivement crédité, puisque dans ce cas on se trouve en présence
d'une simple régularisation comptable(23).