I
nstruments de crédit et de paiement et recouvrement

par Stéphane PIEDELIÈVRE
Professeur à l'Université de Paris XII


I. Cession de créances et recouvrement

A. Com., 18 septembre 2007, pourvoi n° 06-13.736

Le cessionnaire d'une créance professionnelle qui a notifié la cession bénéficie d'un recours en garantie contre le cédant, garant solidaire, sans avoir à justifier préalablement d'une poursuite judiciaire contre le débiteur cédé ou même de sa mise en demeure, il est cependant tenu de justifier d'une demande amiable adressée à ce débiteur ou de la survenance d'un événement rendant impossible le paiement.

1. La cession de créances professionnelles est avant tout une opération de crédit. Il est donc logique que l'article L. 313-24 alinéa 2 du Code monétaire et financier dispose que « sauf convention contraire, le signataire de l'acte de cession ou de nantissement est garant solidaire du paiement des créances cédées ou données en nantissement ». Cette disposition marque bien le rôle de débiteur subsidiaire du cédant. Cette solution est rappelée de manière particulièrement nette par un arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 2007(1).

En l'espèce, M. X. avait cédé à une banque une créance professionnelle qu'il détenait sur M. Y., dans les conditions prévues aux articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier. La banque a notifié la cession de créance à M. Y., par lettre recommandée du 20 août 1996 et comme sa créance demeurait impayée, elle a assigné en paiement M. X. en sa qualité de cédant. Les juges du second degré l'ont déboutée de sa demande aux motifs que le cessionnaire n'est toutefois fondé à poursuivre le cédant que s'il justifie d'une démarche amiable accomplie auprès du débiteur cédé à fin de paiement ou de la survenance d'un événement rendant impossible le paiement. Le pourvoi formé contre cette décision est rejeté. A cette occasion, la Cour de cassation réaffirme sous forme de principe « que si le cessionnaire d'une créance professionnelle qui a notifié la cession en application de l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier bénéficie d'un recours en garantie contre le cédant, garant solidaire, sans avoir à justifier préalablement d'une poursuite judiciaire contre le débiteur cédé ou même de sa mise en demeure, il est cependant tenu de justifier d'une demande amiable adressée à ce débiteur ou de la survenance d'un événement rendant impossible le paiement ».

Si cette solution n'est pas novatrice, elle rappelle quelques règles importantes en ce domaine où l'on se trouve dans une situation particulière, puisque le cédant est à la fois un codébiteur solidaire et un garant devant être actionné à défaut de paiement du débiteur cédé(2). Le principe est donc que l'action du cessionnaire contre le cédant est subordonnée à la démonstration de la défaillance avérée ou présumée telle du débiteur cédé. L'exception est celle de l'existence d'un évènement rendant le paiement impossible vise essentiellement l'hypothèse de l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du débiteur cédé. Pour essayer de contrecarrer cette règle, la banque arguait du fait que le cédant ait autorisé la banque, par convention cadre, à débiter son compte, si le débiteur cédé laissait impayée sa créance à l'échéance. Le rejet de cette prétention paraî t indiquer que la Cour de cassation que conventionnellement le cessionnaire ne peut écarter la nécessité de réclamer en premier le paiement au débiteur cédé et par conséquent de bénéficier d'une totale liberté dans le choix de ses poursuites.

Par conséquent, il appartient au cessionnaire, en application de l'article, 1315 du Code civil, de démontrer qu'il s'est d'abord adressé au débiteur cédé. Le droit de la cession de créances professionnelles se montre ici peu exigeant, surtout si on compare cette solution avec celle existant par exemple pour le bénéfice de discussion en matière de cautionnement. Il n'est même pas nécessaire qu'une mise en demeure soit effectuée.

La présente décision du 18 septembre 2007 paraît limiter la solution qu'elle donne à la seule hypothèse où le cessionnaire se charge du recouvrement de la créance cédée. Pour autant, on ne doit pas en déduire que la solution diffère lorsque le recouvrement est effectué par le cédant en tant que mandataire du cessionnaire. La garantie du cédant subsiste(3). La cession n'est pas opposable au débiteur cédé, puisqu'il n'a pas été informé du transfert. Mais elle a produit ses effets entre les parties. Il est par conséquent impossible d'imposer au cessionnaire de demander le paiement au débiteur cédé, puisque celui ne connaî t que le cédant(4). A partir du moment où les sommes devant être recouvrées n'ont pas été transmises au cessionnaire, il est possible d'en déduire l'existence d'une négligence du mandataire, d'un détournement de sa part ou plus sûrement un défaut de paiement de la part du débiteur cédé. La garantie peut alors être mise en œuvre.

B. Com., 2 octobre 2007, pourvoi n° 06-14.343

La réception des fonds en qualité de mandataire du cédant n'impose pas à une société d'affacturage de restituer les fonds entre les mains du débiteur qui les avaient réglées entre ses mains et non entre celles d'un banquier cessionnaire.

2. Les hypothèses de conflits de droits entre deux personnes qui prétendent obtenir le paiement d'une même créance, même si elles ne sont pas très fréquentes, suscitent un contentieux réguliers. Parmi les difficultés qu'il est parfois nécessaire de résoudre, figurent des éventuelles restitutions lorsque le créancier ayant reçu un paiement indu de la créance, ce qu'illustre parfaitement un arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2007(5).

En l'espèce, une société R. avait cédé à titre de garantie, en application des règles de la cession de créances professionnelles à une banque une créance professionnelle sur la société G. Cette cession a été régulièrement notifiée à la société G. Ultérieurement, la société R. a informé ses clients que le paiement de toutes les factures devrait être effectué entre les mains d'une société d'affacturage à laquelle elle avait transféré, par voie de subrogation, la propriété de ses créances. Le banquier cessionnaire a réclamé à la société G. Cette dernière assignée en paiement par la société d'affacturage lui a demandée le remboursement d'une somme correspondant au montant de la créance cédée en garantie.

Les juges du second degré ont fait droit à sa demande aux motifs que « que la cession, irrévocablement jugée régulière, de la créance “Dailly”, notifiée à la société G. par la banque cessionnaire, est également opposable à la société d'affacturage de sorte que l'action en répétition de l'indu engagée par la société G. à l'encontre du “factor” à qui ont été réglés les fonds correspondants est recevable et que, malgré sa bonne foi, ce dernier, qui a reçu indûment ces fonds en sa qualité de subrogé ». L'arrêt est cassé aux motifs que les juges du second degré n'ont pas répondu aux conclusions par lesquelles l'affactureur faisait valoir qu'il n'était pas tenu de restituer les fonds litigieux au débiteur cédé dès lors qu'il les avait reçus en qualité de mandataire et que cette réception faisait obstacle à une quelconque action en répétition de l'indu, seul le mandant bénéficiaire du règlement étant tenu à remboursement.

Les juges d'appel avaient appliqué le principe suivant lequel qui mal paie, paie deux fois, en recourant aux règles devenues classiques en cas de conflits de droits. La règle de l'antériorité s'applique au conflit entre un cessionnaire de créances professionnelles et une société d'affacturage ayant reçu la créance par subrogation. Si le paiement avec subrogation est antérieur, le factor l'emporte(6). Si le paiement avec subrogation est postérieur, le cessionnaire Dailly prime(7). Or en l'espèce, la cession de créances professionnelles était devenue opposable au débiteur avant que l'opération d'affacturage intervienne. En apparence, leur solution était totalement justifiée. Mais ils avaient négligé un élément important avancé par la société d'affacturage qui prétendait avoir agi uniquement comme chargé du recouvrement de la créance. Ils sont censurés pour ne pas avoir répondu à cette question

Les conventions d'affacturage prévoient, en effet, le plus souvent la possibilité pour le factor de procéder à une certaine sélection. Pour les factures approuvées ou celles qui sont situées dans le montant fixé par lui, le factor à l'obligation de les régler. Le principe est le règlement à l'échéance. Une fois le transfert opéré, il se substituera donc à son client et il deviendra propriétaire de la créance transmise. Pour les créances non approuvées, il est très fréquent que le factor se charge de leur recouvrement en qualité de mandataire. Il n'acquiert alors pas la propriété de la créance. A partir du moment où il n'a pas reçu les fonds à titre de propriétaire, mais à titre de mandataire, il ne peut être tenu à une obligation de restitution qui pèse alors sur le mandant, c'est-à-dire la société R(8).

C. Com., 16 octobre 2007, pourvoi n° 06-14.675

A partir du moment où un bordereau de cession de créances professionnelles n'est pas régulier en la forme, l'engagement de payer souscrit par le débiteur cédé ne vaut pas comme acceptation au sens du Code monétaire et financier.

3. Le bordereau Dailly nécessite pour sa validité la réunion de plusieurs mentions obligatoires. Même s'il est moins important que celui existant pour les lettres de change, le formalisme est encore très présent, ce qui se justifie par son rôle d'instrument de crédit ou de garantie. Selon le dernier alinéa de l'article L 313‑23 du Code monétaire et financier, le titre dans lequel une des mentions obligatoires fait défaut ne vaut pas comme acte de cession ou de nantissement des créances professionnelles(9). Le respect du formalisme légal rejaillit également sur les engagements ultérieurs qui peuvent être souscrits, et notamment pour l'acceptation du débiteur cédé, comme le démontre un arrêt de la Cour de cassation du 16 octobre 2007(10).

Dans cette espèce, une société avait cédé à un établissement de crédit selon les modalités prévues aux articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier, une créance professionnelle détenue sur une SCI, par un bordereau ne mentionnant pas que l'acte était soumis aux dispositions des articles L. 313-23 à L. 313-34 du Code monétaire et financier. Ultérieurement, la SCI a déclaré accepter la cession de créance. Ayant été assignée par l'établissement de crédit, la SCI s'est prévalue de l'irrégularité affectant le bordereau de cession pour refuser le paiement de la créance. Les juges du fond ont condamnée la SCI à payer le montant de la créance aux motifs qu'en se reconnaissant expressément débitrice du montant correspondant à la facture de la société, la SCI a implicitement renoncé à élever toute contestation relative à l'existence et au montant de la créance.

La Cour d'appel est censurée aux motifs « qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le bordereau de cession était irrégulier, ce dont il résultait que l'engagement de payer du débiteur cédé ne valait pas acceptation de la cession de créance au sens de l'article L. 313-29 du Code monétaire et financier et que la SCI était dès lors fondée à opposer au cessionnaire les exceptions tirées de ses rapports personnels avec le cédant », elle aurait violée cette disposition et l'article 1690 du Code civil. La solution est incontestable, car l'acceptation apparaî t comme une conséquence spécifique du particularisme de la cession de créances professionnelles. Dès lors qu'il n'y a pas cession de créances professionnelles, il ne peut y avoir acceptation.

Les juges du second degré avaient fondé leur solution sur l'idée de bonne foi au sens de l'article 1134 du Code civil. A partir du moment où il s'était engagé à payé sa dette, le débiteur devait exécuter son engagement. Mais on retrouve une nouvelle illustration du principe suivant lequel en matière d'instruments de crédit les règles de forme sont prépondérantes. Aucune possibilité de régularisation ne pouvait exister en l'espèce.

La question se pose alors de savoir si la cession de créances professionnelles peut faire l'objet d'une conversion par réduction. L'opération peut éventuellement valoir cession de droit commun. Mais son efficacité est nécessairement limitée aux rapports entre les parties, puisque les formalités prévues par l'article 1690 du Code civil, nécessaires pour rendre l'opération opposable aux tiers, n'ont pas été respectées. La même question se pose alors pour l'acceptation. Le visa par la Cour de cassation de l'article 1690 paraî t exclure cette possibilité. Il convient de remarquer que par un arrêt du 7 janvier 1997, la Cour de cassation avait censuré des juges du fond qui, pour accueillir la demande en paiement d'une banque, avait retenu que les lettres adressées par celle-ci à une société, l'invitant à souscrire des actes d'acceptation de cessions de créance, avaient eu pour effet, non seulement de l'avertir en tant que débiteur cédé de la transmission de créance intervenue, mais encore de lui faire défense de payer en d'autres mains que celles du banquier cessionnaire, peu important que l'interdiction de payer n'ait pas été faite dans les formes prévues par le décret du 9 septembre 1981, alors applicable(11). En tout état de cause, l'acceptation irrégulière ne pourra jamais suppléer les formalités d'information du débiteur cédé, prévues par l'article 1690(12). En effet, ces deux institutions n'ont pas les mêmes finalités. A partir du moment où dans le droit commun de la cession de créance, le débiteur cédé n'a pas donné son acceptation à la cession par acte authentique ou s'il n'a pas reçu une notification de la cession, il ne peut être actionné en paiement par le cessionnaire.

D. Com., 19 septembre 2007, pourvoi n° 04-18.372

Le cédant d'origine ne peut retrouver la propriété de la créance cédée sans formalité particulière uniquement lorsque la garantie est éteinte.

4. La loi du 2 janvier 1981, dite loi Dailly, complétée par un décret du 9 septembre 1981, a prévu la possibilité d'une cession ou d'un nantissement. L'article L 313-24 du Code monétaire et financier dispose que « même lorsqu'elle est effectuée à titre de garantie et sans stipulation d'un prix, la cession de créance transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée ». La cession permet au banquier d'effectuer une opération voisine de l'escompte. Le nantissement offre une garantie au banquier ayant consenti un crédit à son client. Le transfert de propriété s'opérera lors de l'apposition de la date sur le bordereau par le cessionnaire. Ce transfert de propriété au cessionnaire est provisoire en cas de garantie, et il implique, de la part de celui-ci, une obligation de restitution de la créance cédée une fois que la garantie avait épuisé ses effets(13). Par un arrêt du 19 septembre 2007, la Cour de cassation rappelle cette solution en précisant un élément du régime de cette restitution(14).

Les circonstances de fait de l'espèce étaient relativement complexes. Il suffit d'en retenir qu'une créance avait été cédée par bordereau Dailly. Le débiteur cédé avait été actionné par le cédant et non par le cessionnaire. Le débiteur avait refusé de payer le cédant aux motifs que ce dernier n'avait aucune qualité pour agir, puisque la créance avait quitté son patrimoine. Pour rejeter cette fin de non-recevoir, les juges du second degré avaient considéré que le législateur n'a pas prohibé une rétrocession destinée à remettre le créancier cédant en possession de ses droits et que, dès lors que la cession est mise à néant par accord entre le cédant et le cessionnaire et que le cédé en est informé, le cédant est réintégré dans l'intégralité de ses droits et fondé à agir. En l'espèce, la cession de créances professionnelles avait fait l'objet d'une notification.

La Cour de cassation censure cette décision aux motifs « qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la cession avait été effectuée à titre d'escompte ou à titre de garantie, alors que c'est seulement dans ce dernier cas que le cédant d'origine peut retrouver la propriété de la créance cédée sans formalité particulière dans la mesure où la garantie prend fin lorsque son bénéficiaire n'a plus de créance à faire valoir ou lorsqu'il y renonce, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ».

Les juges du fond sont censurés pour n'avoir pas recherché si l'on se trouvait en présence d'une cession opération de crédit ou d'une cession opération de garantie. Or dans la première hypothèse, la transmission des créances professionnelles est normalement définitif(15), ce qui exclu par définition toute obligation de restitution.

Cette décision du 19 septembre 2007 démontre une nouvelle fois le rôle de plus en plus fréquent des transferts provisoires de propriété qui permettent l'émergence de ce que l'on dénomme de plus en plus fréquemment les propriétés finalisés. On retrouve ici la logique des sûretés réelles. A partir du moment où la créance garantie est éteinte, la sûreté disparaî t et une éventuelle obligation de restitution apparaî t alors automatiquement. Pour cette raison, il est tout à fait logique que le présent arrêt indique que ce transfert s'effectue sans aucune formalité.

II. Carte de crédit et recouvrement

Com., 2 octobre 2007, pourvoi n° 05-19.899

En cas de perte ou de vol d'une carte bancaire, il appartient à l'émetteur de la carte qui se prévaut d'une faute lourde de son titulaire d'en rapporter la preuve.

5. La loi du 15 novembre 2001 s'est également préoccupée des conséquences pour le porteur d'une utilisation frauduleuse d'une carte bancaire, car celui-ci n'est pas toujours en mesure de faire rapidement opposition. Or, le contrat qu'il a conclu avec l'émetteur prévoit qu'il sera tenu pour les utilisations que les tiers ont pu en faire antérieurement à l'opposition. L'assurance lui permet de limiter ce risque. Le nouvel article L. 132-3 du Code monétaire et financier fixe à 150 euros le montant maximum que l'utilisateur peut supporter en cas d'utilisation avant l'opposition. Toutefois ce plafond n'est pas applicable, si le porteur a agi avec une négligence constituant une faute lourde ou si, après la perte ou le vol de la carte, il n'a pas effectué une mise en opposition dans les meilleurs délais. La notion de faute lourde a suscité certaines difficultés, notamment dans l'hypothèse où le voleur a utilisé le compte confidentiel du porteur. Par un arrêt du 2 octobre 2007, la Cour de cassation précise cette question probatoire(16).

En l'espèce, Mme X. était titulaire d'un compte à La Poste et d'une carte de crédit. Le 10 avril 2004, elle a fait opposition à l'utilisation de sa carte déclarée perdue le 9 avril 2004. Une certaine somme a néanmoins été dépensée avant la mise en opposition. La banque ayant constaté que toutes les opérations effectuées avaient été réalisées avec contrôle du code confidentiel en a déduit la négligence de sa cliente et elle lui a alors imputé la totalité des prélèvements opérés avant opposition. Mme X. a assigné la banque en restitution des sommes ainsi portées au débit de son compte. Les juges de première instance ont fait droit à sa demande. La banque s'est pourvue en cassation en faisant valoir que Mme X. s'était engagée contractuellement à assurer la conservation de sa carte ainsi que la conservation et la confidentialité de son code. Suite à la perte de sa carte et à son utilisation avec composition du code confidentiel, il appartenait à Mme X. d'établir qu'elle n'avait pas commis de faute lourde.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en posant sous forme de principe « qu'en cas de perte ou vol d'une carte bancaire, il appartient à l'émetteur de la carte qui se prévaut d'une faute lourde de son titulaire, au sens de l'article L. 132-3 du Code monétaire et financier, d'en rapporter la preuve ; que la circonstance que la carte ait été utilisée par un tiers avec composition du code confidentiel est, à elle seule, insusceptible de constituer la preuve d'une telle faute ». Par conséquent, « en retenant que la banque était défaillante dans l'établissement de la faute lourde alléguée à l'encontre de Mme X., le tribunal, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la seconde branche, légalement justifié sa décision ».

Si cette solution se justifie aussi bien au regard des règles sur la charge de la preuve que par rapport à la définition de la faute lourde(17), elle laisse malgré tout subsister certaines zones d'ombre. Au plan de la charge de la preuve, il est incontestable qu'il appartient au banquier émetteur de démontrer la négligence du titulaire de la carte. En l'espèce, la banque avait essayé d'atténuer la rigueur du système mis en place par l'article L. 132-3 du Code monétaire et financier en considérant que l'utilisation du code secret par le voleur était constitutif d'une faute lourde du titulaire de la carte qui avait alors manqué à son obligation contractuelle de tenir secret le numéro de son code. En tout état de cause, la simple démonstration d'une négligence par le banquier émetteur est insuffisante, puisque elle doit démontrer l'existence d'une faute lourde. Cette dernière se définit comme une faute d'une anormale gravité(18). Comme l'avait indiqué Josserand, c'est « une énormité qui dénonce l'incapacité »(19). Cette faute n'implique pas la mauvaise foi. Sa notion est souvent délicate à dégager. La Cour de cassation l'a souvent définie comme « la négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du [débiteur] à l'accomplissement de la mission contractuelle qu'il avait acceptée »(20).

Le simple fait qu'un tiers utilise un code secret n'est pas constitutif d'une faute lourde. Seules les circonstances de cette utilisation permettront éventuellement de retenir ce qualificatif. L'incertitude subsiste sur ce point pour savoir si la jurisprudence se montrera en ce domaine stricte ou non. Il est certain qu'elle sera retenue dès lors que le titulaire communique de manière volontaire ou non ce code au voleur. On peut penser qu'il en ira de même du fait d'inscrire directement ce numéro sur la carte et dans celui de laisser sa carte dans un lieu facilement accessible à tous(21). En tout état de cause, une telle preuve risque d'être délicate à rapporter si le titulaire nie avoir été négligent.

III. Virement et recouvrement

Com., 18 septembre 2007, pourvoi n° 06-14.161

Le bénéficiaire d'un virement acquiert un droit de créance sur son banquier, chargé du recouvrement, uniquement lorsque ce dernier a reçu effectivement les fonds.

6. A quel moment, le bénéficiaire d'un virement acquiert-il la propriété des fonds au moment où le virement est envoyé par le banquier du débiteur ou au moment où le banquier du créancier reçoit les fonds ? La question peut être capitale en cas d'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. En effet, l'article L. 330-1 II du Code monétaire et financier prévoit que « nonobstant toute disposition législative contraire, les paiements et les livraisons d'instruments financiers effectués dans le cadre de systèmes de règlements interbancaires ou dans le cadre de systèmes de règlement et de livraison d'instruments financiers, jusqu'à l'expiration du jour où est rendu un jugement d'ouverture de redressement ou de liquidation judiciaires à l'encontre d'un établissement participant, directement ou indirectement, à un tel système, ne peuvent être annulés, même au motif qu'est intervenu ce jugement ». Par un arrêt du 18 septembre 2007, la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la date à laquelle le bénéficiaire d'un virement est devenu créancier du banquier réceptionnaire(22).

En l'espèce, une association avait été mise en redressement judiciaire, le 2 juillet 2004, puis en liquidation judiciaire, le 5 août 2004. Un important virement était au centre des difficultés, puisque le banquier de l'association voulait le compenser avec le solde débiteur du compte courant de l'association et que le liquidateur voulait le récupérer. L'ordre de virement était parvenu à la station du système interbancaire de télécompensation le 1er juillet 2004 à 16 heures 12. Mais il n'avait été exécuté que le lendemain, à compter de son règlement effectif dans le système transfert Banque de France soit le 2 juillet 2004. Les juges du second degré ont considéré que la procédure collective avait été ouverte le 2 juillet à 0 heures et que par conséquent la compensation invoquée par le banquier était postérieure à l'ouverture de la dite procédure, ce qui est impossible. Elle pouvait seulement intervenir jusqu'au 1er juillet à 24 heures.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en indiquant que « si le bénéficiaire d'un virement acquiert le droit définitif sur les fonds dès que, selon l'article L. 330-1-III du Code monétaire et financier, l'ordre est devenu irrévocable, à une date et selon les modalités conformes aux règles de fonctionnement du système interbancaire de télécompensation (SIT), son droit de créance sur son propre banquier, chargé d'un mandat général d'encaissement, n'existe qu'à compter de la réception effective de ces fonds par ce dernier, qui les détient alors, pour le compte de son client, en sa qualité de dépositaire ».

La solution est parfaitement logique. Tant que les sommes n'ont pas été reçues par le banquier réceptionnaire, le bénéficiaire du virement ne peut pas être considéré comme créancier, même si l'ordre émis par le débiteur est devenu irrévocable, lorsque son banquier s'est dessaisi des fonds. Tel était le cas en l'espèce, puisque l'ordre était devenu irrévocable avant l'ouverture de la procédure collective. En revanche, il n'est pas nécessaire que le compte du bénéficiaire soit effectivement crédité, puisque dans ce cas on se trouve en présence d'une simple régularisation comptable(23).