Diligences requises de l'huissier de justice : les recherches et leur matérialisation nécessaires pour signifier un acte régulièrement


par Eva FISCHER
Maî tre de conférences à la Faculté de droit, d'économie et de gestion de Valenciennes

Le droit de la signification présente un caractère casuistique qui rend opportun l'exposé de la matière sous la forme de tableaux panoramiques à l'usage des huissiers de justice. Néanmoins la jurisprudence récente permet également de dégager des règles nouvelles à caractère général, notamment concernant la portée du défaut d'indication, par l'huissier de justice, de l'identité des personnes qui lui ont fait des déclarations déterminantes, dans le cadre de la signification à domicile. L'étude révèle une exigence forte quant aux diligences de l'huissier pour joindre effectivement le destinataire de la signification et, à défaut d'atteindre ce résultat, justifier d'une réelle impossibilité. En revanche, la forme des mentions de la signification relatives aux démarches accomplies se trouve assouplie.

I. 09 1. Le droit de la signification découle d'une mise en balance de droits fondamentaux processuels antagonistes : d'une part le droit à un recours juridictionnel effectif, se traduisant en l'occurrence par le droit d'un plaideur de ne pas voir son action échouer ou retardée en raison de la difficulté de joindre son adversaire ; d'autre part, le respect des droits de la défense de ce dernier, dont le principe du contradictoire et le droit à l'exercice effectif d'une voie de recours. La considération des intérêts de cet adversaire explique la hiérarchie bien connue des différents modes de signification en France métropolitaine(1) :

1° en principe, « la signification doit être faite à personne »(2), où qu'elle se trouve(3) ;

2° en deuxième lieu, elle peut être faite au domicile du destinataire de l'acte(4) ;

3° à défaut de domicile connu, elle peut être faite à la résidence de l'intéressé(5) ;

4° si le destinataire de l'acte n'a ni domicile(6), ni résidence, ni lieu de travail connu, la signification peut être faite par procès-verbal de recherches infructueuses(7).

Le critère de détermination de cet ordre hiérarchique sont les efforts infructueux de l'huissier de justice pour trouver, d'abord, l'intéressé en personne, ensuite, son domicile, sa résidence et son lieu de travail.

A ce sujet, les exigences de la jurisprudence quant aux diligences de l'huissier de justice pour joindre effectivement le destinataire d'un acte à signifier et/ou pour attester de l'impossibilité de le joindre(8), sont variables.

2. Dans une affaire jugée par la Cour de cassation le 7 décembre 2006(9), un jugement avait été signifié par procès-verbal de recherches infructueuses le 4 juin 2003. Le destinataire de l'acte ayant interjeté appel du jugement seulement le 22 septembre 2004, la Cour d'appel de Paris avait rejeté son appel comme irrecevable car tardif par un arrêt du 21 avril 2005. Le plaideur débouté forma un pourvoi en cassation prétendant que son appel n'avait pas été tardif, le délai d'appel n'ayant, selon lui, jamais couru en raison de l'irrégularité et de la nullité de la signification.

 Il avait argué devant la cour d'appel de ce que l'huissier de justice instrumentaire aurait dû rechercher son nouveau domicile auprès des organismes de sécurité sociale, de l'éducation nationale et dans les annuaires téléphoniques.

La cour d'appel avait néanmoins considéré que l'huissier de justice instrumentaire avait accompli des diligences suffisantes pour joindre le destinataire de l'acte : il s'était rendu à la dernière adresse connue et, n'ayant pas trouvé l'intéressé à cette adresse, avait interrogé le voisinage ainsi que « le locataire du pavillon »(10), ce dernier lui ayant déclaré que M. X… était « parti sans laisser d'adresse ».

 Les juges d'appel avaient écarté les moyens du plaideur au motif qu'il n'établissait pas que son inscription à la sécurité sociale, la scolarité de ses enfants ou son hypothétique inscription dans un annuaire téléphonique auraient permis à l'huissier instrumentaire d'identifier son nouveau domicile.

Se posait donc la question de l'étendue des recherches requises de l'huissier de justice : combien de recherches l'huissier de justice doit-il effectuer avant de pouvoir considérer valablement que le destinataire « n'a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connu » et signifier, par conséquent, par procès-verbal de recherches infructueuses ?

La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a répondu plus modestement à la question de savoir si, en l'occurrence, les faits de l'huissier de justice de se rendre à l'adresse connue et de prendre des renseignements dans le voisinage, constituaient des recherches suffisantes pour être considérées comme infructueuses. La réponse est négative : la Haute Cour a jugé incomplètes les investigations accomplies par l'huissier de justice aux fins de délivrer l'acte à la personne de son destinataire.

La teneur et la portée de l'arrêt commenté sont incertaines. D'une part, l'arrêt du 7 décembre 2006 ne signifie pas forcément que l'huissier de justice devait rechercher, comme le soutenait le demandeur au pourvoi, le nouveau domicile du destinataire de l'acte auprès des organismes de sécurité sociale, de l'éducation nationale et dans les annuaires téléphoniques, ou même seulement faire une de ces trois démarches.

 Seule sa teneur minimale est certaine : les faits de se rendre à l'adresse connue et de consulter le voisinage étaient insuffisants.

On peut penser qu'une ou deux autres démarches utiles supplémentaires, prises ou non parmi celles évoquées par le plaideur, auraient permis de considérer les recherches de l'huissier de justice comme globalement suffisantes.

La question des diligences requises de l'huissier de justice est plutôt une question de fait : leur nombre et leur nature dépendent des circonstances.

Dès lors, il est remarquable que la deuxième Chambre civile, spécialisée en matière de procédure civile, n'abandonne pas la question à l'appréciation souveraine des juges du fond, contrairement à ce qu'elle a pu énoncer dans certains arrêts(11).

Le caractère factuel de la question traitée conduit par ailleurs à se demander si la décision du 7 décembre 2006 n'est pas un arrêt d'espèce : peut-on généraliser la solution apportée et affirmer que désormais, les faits de l'huissier de justice de se rendre à l'adresse connue et de prendre des renseignements dans le voisinage, seront toujours insuffisants pour opérer une signification par procès-verbal de recherches infructueuses ?

Cela ne dépend-il pas, là aussi, des circonstances(12) ? La Haute Cour aurait-elle tranché dans le même sens en l'absence des conclusions circonstanciées du destinataire de l'acte ? On peut noter une certaine tendance des hauts juges à suivre les suggestions pertinentes du destinataire de l'acte objet de la signification(13).

Suivant ces réflexions, il n'est pas toujours possible de dégager des normes rigides et générales en matière de diligences requises des huissiers de justice pour joindre le destinataire de la signification.

Si certaines règles se prêtent à un exposé classique, d'autres seront appréhendées, ci-après, dans des tableaux permettant de distinguer et de rapprocher les circonstances et les solutions d'un certain nombre d'affaires jugées.

3. A titre préliminaire, il convient de rappeler que l'huissier de justice ne doit pas seulement accomplir des investigations, mais qu'il doit également en rendre concrètement compte dans l'acte de signification(14). L'absence de cette mention ne peut être palliée postérieurement, serait-ce par la confirmation faite par le destinataire de l'acte lui-même, des éléments répondant au but des recherches requises ; cela a été jugé à propos de l'établissement de l'impossibilité de procéder à une signification à personne(15) ;

 il est cependant probable que la solution puisse être étendue aux vérifications de la réalité du domicile du destinataire de l'acte, dans le cadre d'une signification à domicile(16), ainsi qu'aux recherches qui s'imposent avant de considérer que la demeure de l'intéressé est inconnue, pour procéder à une signification par procès-verbal de recherches infructueuses.

Articles 654 et 655 du nouveau Code de procédure civile : signification à personne, généralités

4. La signification à personne est la forme de signification la plus satisfaisante pour des parties de bonne foi(17). Lors de la dernière réforme du droit de la signification, le législateur a consacré la jurisprudence concrétisant le principe de primauté de la signification à personne : « l'huissier de justice doit relater dans l'acte les diligences qu'il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification(18) ».

L'huissier de justice n'a pas besoin de convaincre le destinataire de l'acte qu'il rencontre en personne, d'accepter la remise de celui-ci : en droit, suivant une jurisprudence ancienne, le destinataire ne peut refuser la signification(19).

S'il en allait autrement, le fonctionnement de la justice serait gravement compromis. En fait, si l'intéressé refuse de recevoir matériellement l'instrumentum, l'huissier de justice peut déposer celui-ci sur un meuble ou le mettre dans la boîte aux lettres, à condition que le destinataire en ait connaissance.

Lorsque la signification à personne est faite au domicile ou à la résidence de l'intéressé, l'huissier de justice instrumentaire n'est pas obligé de contrôler et de relever l'identité de celui qui prétend être le destinataire de l'acte(20). La solution est inverse lorsque la signification à personne est faite en dehors de ces lieux(21).

Dans les hypothèses particulières où le destinataire de l'acte est hospitalisé ou incarcéré, il est recommandé de tenter une signification à personne, du moins lorsque l'adresse du séjour est connue.

La Cour d'appel de Montpellier a jugé en 1995 une signification à domicile irrégulière dans une affaire où l'adresse d'hospitalisation du destinataire de l'acte était connue, faute pour l'huissier de justice d'avoir tenté de joindre physiquement l'intéressé à l'hôpital(22). La Chambre sociale de la Cour de cassation avait, pourtant, jugé le contraire par un arrêt de 1973 qui ne permet cependant pas de déterminer si l'huissier de justice instrumentaire ou la partie l'ayant requis étaient au courant de l'hospitalisation voire de l'adresse de celle-ci(23).

La Cour d'appel de Besançon a exigé que l'huissier de justice fasse toute diligence pour signifier l'acte à la personne même de l'intéressé incarcéré en maison d'arrêt(24).

5. Les indications suivantes sont consacrées plus particulièrement aux significations à des personnes morales.

La hiérarchie indiquée en début d'étude vaut aussi pour les personnes morales : il faut toujours tenter avant tout une signification à personne. S'agissant des personnes morales, la signification est faite à personne lorsque l'acte est délivré au représentant légal - qui peut être, le cas échéant, un administrateur judiciaire, et plus particulièrement le liquidateur judiciaire(25) -, à un fondé de pouvoir ou à toute personne habilitée à recevoir l'acte(26). Dans ce contexte, l'huissier de justice doit demander à la personne qui reçoit copie de l'acte, sa qualité(27), mais il n'est pas obligé de vérifier celle-ci(28).

Selon l'article 690 du nouveau Code de procédure civile, « la notification destinée à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial, est faite au lieu de son établissement »(29).

L'établissement peut être le siège social de la personne morale, mais également une succursale.

 Ce qui compte, en général, est la réalité de l'établissement. Ainsi, l'huissier de justice étant censé se rendre sur place, l'adresse du siège social publiée au registre du commerce doit être confirmée au moins par les apparences d'un établissement réel(30).

La détermination des établissements autres que le siège social, où peut être pratiquée la signification, est assez aléatoire. Mise à part l'hypothèse particulière où le destinataire de l'acte a lui-même indiqué une adresse autre que son siège social dans ses actes de procédure(31), les conditions suivantes doivent être réunies : la succursale doit constituer un centre d'affaires relativement important ; le litige doit avoir son origine dans le ressort de la succursale où est faite la signification(32). Ainsi, l'agence générale d'assurances a vocation à être un établissement de la compagnie d'assurances(33). S'agissant en particulier de l'établissement d'une société civile professionnelle, il se trouve au siège social de la société, et non au lieu où l'associé exerce effectivement sa profession(34).

L'application du principe de la signification à personne n'exige pas, en principe, que l'huissier de justice instrumentaire fasse l'effort de joindre les personnes habiles à recevoir la notification, à une autre adresse que celle de l'établissement de la personne morale, voire à leur domicile personnel(35).

Il n'en est autrement que lorsque la personne morale n'a plus d'activité et de lieu d'établissement(36), ou encore compte tenu de l'attitude frauduleuse de la personne ayant requis la signification(37). C'est ainsi que la jurisprudence interprète les termes ambigus de l'article 690 du nouveau Code de procédure civile.

Article 655 du nouveau Code de procédure civile : signification à domicile, généralités

6. Si l'huissier de justice ne trouve pas les personnes énumérées à l'article 654 du nouveau Code de procédure civile à l'établissement de la personne morale, il peut signifier à domicile, en remettant copie de l'acte à toute autre personne se trouvant à l'établissement(38), et qui accepte de la recevoir(39). Ce n'est que si personne ne peut ou ne veut recevoir copie de l'acte, que l'huissier de justice peut procéder selon les dispositions de l'article 656 du code précité(40).

« Si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence », à toute personne présente qui accepte de recevoir copie de l'acte(41). Le domicile d'une personne physique est le lieu de son principal établissement, ce qui implique une habitation durable(42). La notion de résidence, quant à elle, suppose une habitation relativement stable ; tel n'est pas le cas d'une adresse « poste restante »(43).

De façon générale, lorsque le dossier de la procédure contient plusieurs adresses, et que l'huissier de justice instrumentaire ne trouve au domicile indiqué dans l'acte à signifier ni le destinataire de l'acte ni une autre personne à qui il pourrait délivrer l'acte ou sa copie, il doit tenter une signification aux autres adresses mentionnées au dossier(44). Cela découle de la hiérarchie existant entre les modalités prévues respectivement aux articles 655 et 656 du nouveau Code de procédure civile, pourtant toutes qualifiées de signification à domicile.

En principe, il convient de relever les nom, prénom et qualité de la personne ayant reçu copie de l'acte. Néanmoins, lorsque les mentions portées par l'huissier de justice dans l'acte de signification permettent de déterminer autrement l'identité de cette personne, la signification à domicile est régulière(45). En tout état de cause, dans le cadre de la signification à domicile, l'huissier de justice n'a jamais à vérifier les déclarations se rapportant à la personne qui reçoit copie de l'acte(46). La signature de cette personne, si elle peut être utile, n'est pas nécessaire.

En général, la signification à domicile est présumée régulière même si la personne ayant reçu copie de l'acte conteste, a posteriori, avoir accepté la remise, car la réception implique l'acceptation(47).

Par ailleurs, il semble falloir nuancer la règle probatoire dans le cas d'une signification à une personne morale. En effet, la personne physique présente qui reçoit copie de l'acte doit accepter la remise pour le compte de la personne morale destinatrice de l'acte, ce qui n'a pas été présumé ; l'huissier de justice doit mentionner cette précision dans l'acte de signification(48).

La remise d'une copie de l'acte à un enfant présent au domicile est régulière dans la mesure où l'enfant a un discernement suffisant pour accepter la transmission au destinataire de l'acte. S'agissant d'un enfant de douze ans, fils du destinataire, la signification a été jugée régulière(49). S'agissant d'un enfant de cinq ans, la signification a été jugée irrégulière, faute pour l'huissier de justice instrumentaire d'avoir vérifié si l'enfant disposait d'un discernement suffisant(50).

Lorsque la personne présente au domicile est le mandant de l'huissier instrumentaire, étant donné l'opposition des intérêts en présence, on ne peut compter sur elle pour transmettre copie de l'acte au destinataire. Il ne faut pas appliquer la réglementation à la lettre sans prendre en considération la ratio legis. Le risque de fraude étant patent, une telle signification à domicile est irrégulière car elle viole les droits de la défense(51). Lorsque l'huissier de justice ne trouve que son mandant à la demeure du destinataire de l'acte - hypothèse qui n'est pas rare dans le contentieux familial - il convient d'appliquer l'article 656 du nouveau Code de procédure civile, en espérant que le mandant s'abstienne de soustraire à la connaissance du destinataire l'avis de passage et la lettre simple informant ce dernier des modalités de communication de l'acte signifié(52).

La signification à domicile élu, comme toute signification à domicile, n'est régulière que si l'huissier de justice a auparavant vainement tenté une signification à personne(53). Selon l'article 689 du nouveau Code de procédure civile, « la notification est aussi valablement faite au domicile élu lorsque la loi l'admet ou l'impose » ; il faut entendre que la notification à domicile élu n'est valable que lorsque la loi l'admet ou l'impose. D'une part, les textes envisagent rarement la notification à domicile élu ; d'autre part, la jurisprudence a exclu la signification à domicile élu dans de nombreuses hypothèses, quelles que soient les diligences de l'huissier de justice : lorsque l'acte à signifier est une assignation devant le tribunal d'instance(54) ou la décision d'un conseil de prud'hommes(55) ou d'un tribunal des affaires de sécurité sociale(56), et encore dans le cadre d'une procédure de saisie immobilière, lorsque le destinataire de l'acte est le débiteur saisi(57). Dans un arrêt récent de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, les hauts juges ont tout simplement ignoré l'élection de domicile(58). En tout état de cause, même lorsque la signification à domicile élu est admise, il est impératif pour l'huissier de justice d'accomplir parallèlement les formalités telles que l'envoi de la lettre simple(59), au domicile réel(60), lorsque ce dernier est connu. Compte tenu de ces incertitudes et contraintes, il convient de conseiller aux huissiers de justice d'opter pour la signification à domicile élu seulement lorsque le domicile réel est inconnu. En effet, sauf disposition légale spéciale, une signification à personne ou à domicile réel ne saurait être irrégulière en raison de l'existence d'un domicile élu(61).

7. L'observation du tableau « Signification à domicile » figurant en annexe, attire l'attention sur la jurisprudence relative à la portée du défaut de mention de l'identité des personnes attestant la réalité du domicile ou de la résidence du destinataire absent de l'acte. Le caractère incohérent de l'évolution jurisprudentielle pourrait n'être qu'apparent.

La solution indiquée par l'arrêt du 22 octobre 1997 de la deuxième Chambre civile paraissait raisonnable et claire : lorsque le domicile est confirmé par une seule personne telle qu'un voisin dont l'huissier de justice ne relève pas l'identité - déclarée -, ce dernier doit procéder à des investigations complémentaires pour établir la réalité du domicile du destinataire de l'acte(62). En effet, dans une telle hypothèse, la probabilité de l'exactitude de l'information est faible et doit être renforcée par d'autres éléments.

Dès lors, on est surpris, au premier abord, de constater que le 10 juin 2004, la même juridiction ait jugé valable une signification à domicile faite au vu des seuls faits suivants : l'adresse figurait sur le jugement signifié et avait été confirmée par un voisin unique dont l'identité n'était pas précisée. La Haute juridiction explicitant même que « l'huissier de justice n'était pas tenu de mentionner l'identité des personnes auprès desquelles il s'assurait du domicile »(63). Le seul élément rationnel qui peut expliquer la divergence entre cet arrêt et le précédent est le caractère contradictoire ou non de l'instance dont l'issue était signifiée aux intéressés. En effet, dans l'affaire de 1997, l'arrêt précise que le destinataire de l'acte n'avait pas comparu en première instance. L'adresse de signification résultant du dossier pouvait donc être considérée avec circonspection. La décision de 2004, en revanche, a été rendue concernant la signification d'un jugement contradictoire, comme le révèle la consultation de l'arrêt objet du pourvoi en cassation(64). Ici, la déclaration du voisin anonyme était donc corroborée par une adresse figurant dans le dossier de procédure et non contestée, au cours de l'instance, par l'intéressé comparaissant(65).

Dans une affaire jugée le 28 février 2006, le jugement critiqué par le pourvoi avait été rendu sur opposition du destinataire de l'acte. Le destinataire de l'acte n'avait donc pas eu l'occasion de contester, avant la signification, l'adresse figurant dans le jugement signifié. En l'espèce, contrairement aux deux affaires précédentes, plusieurs voisins avaient confirmé la réalité du domicile, toujours sans que leur identité soit mentionnée par l'huissier de justice. La deuxième Chambre civile a jugé, de façon plus sévère et plus affirmée qu'en 1997, que « la seule mention […] de la confirmation du domicile […] par différents voisins est insuffisante à caractériser les vérifications imposées à l'huissier de justice par l'article 656 du nouveau Code de procédure civile »(66).

Enfin, seulement une semaine plus tard, elle a rendu un nouvel arrêt en la matière. En l'espèce, la réalité du domicile des destinataires de l'acte à signifier était, au moment de la signification, attestée par deux éléments : un voisin unique, dont l'huissier n'avait pas mentionné l'identité, s'était prononcé en ce sens ; le nom des destinataires figurait sur la boî te aux lettres. Par ailleurs, la Cour de cassation a accepté, en l'occurrence, de tenir compte d'autres éléments, dont certains sont postérieurs à la signification, pour conclure à la régularité de celle-ci : l'adresse de signification continuait de servir de siège social à la société dont les destinataires de l'acte étaient les associés ; ces derniers avaient encore indiqué l'adresse de signification comme étant leur domicile dans un acte de procédure postérieur ; deux ans après la signification, ils continuaient d'être propriétaires d'une maison d'habitation à l'adresse de signification où ils venaient régulièrement. L'arrêt est juridiquement critiquable en ce qu'il mélange des éléments contemporains et des éléments postérieurs à la signification, pour conclure que « ces constatations et énonciations » constituaient des vérifications suffisantes, et que dès lors « l'huissier de justice n'était pas tenu de mentionner l'identité des personnes auprès desquelles il s'assurait du domicile »(67).

La jurisprudence est peu explicite. Il semble falloir retenir de ses péripéties que si la déclaration d'une personne telle qu'un voisin est l'unique élément permettant d'attester la réalité du domicile suite à une procédure par défaut, il est impératif pour l'huissier de relever et de mentionner l'identité de cette personne. En revanche, dès qu'un autre élément vient s'ajouter à cette déclaration, ne serait-ce que l'indication de l'adresse de signification comme domicile du destinataire de l'acte dans le dossier d'une procédure contradictoire, la mention de l'identité de la personne qui renseigne l'huissier n'est pas indispensable.

En comparant les deux tableaux annexés ci-après, il apparaî t que la jurisprudence est plus exigeante s'agissant de la signification par procès-verbal de recherches infructueuses(68). Cela est au demeurant logique, les chances d'informer effectivement le destinataire de l'acte étant raisonnables dans l'hypothèse de la signification à domicile, mais infimes, quasi fictives, dans celle prévue à l'article 659 du nouveau Code de procédure civile.

La connaissance par la personne qui a requis l'huissier de justice, de la demeure ou du lieu de travail du destinataire de l'acte, exclut la régularité de la signification par procès-verbal de recherches infructueuses, quelles que soient les recherches accomplies par l'huissier instrumentaire(69).

8. La jurisprudence retracée ci-après est casuistique, ce qui empêche une parfaite prévisibilité. Dès lors, l'huissier de justice a intérêt à se réserver une marge de sécurité en accomplissant systématiquement un certain nombre d'investigations pertinentes qui peuvent varier en fonction des circonstances particulières de l'espèce mais qui découlent, somme toute, du bon sens compte tenu de l'objectif de joindre effectivement le destinataire de l'acte.

Ainsi, en revenant sur certains points mis en exergue dans cette étude, on ne peut que conseiller à l'huissier de justice de relever systématiquement, lorsque cela est possible, l'identité des personnes qui se prononcent sur le domicile du destinataire de l'acte. S'agissant de la recherche du domicile de ce dernier, l'huissier de justice a intérêt à insister, auprès de son mandant, sur la transmission de l'adresse que ce dernier connaî trait éventuellement. En présence d'un rapport juridique multiple entre créancier, débiteur principal et caution, ou entre créancier, débiteur saisi et tiers saisi, il devrait consulter les différents protagonistes. Sans jamais négliger les diligences courantes telles que la recherche dans l'annuaire électronique et la consultation de différents services administratifs.

Il est certain que cette tâche est lourde. Elle serait allégée s'il était instaurée à la charge des personnes physiques une obligation de déclaration de résidence et de déclaration de départ auprès des services municipaux, comme c'est le cas dans certains systèmes juridiques étrangers au titre desquels on peut citer l'Allemagne(70). Une telle législation rend facile et accessible le suivi des sujets de droit, au prix du sacrifice d'une certaine conception des libertés. Or, la France n'est pas prête de devenir un Etat policier.

En guise de consolation des praticiens mécontents de leur lourde charge de travail touchant au fond des significations, on peut constater un certain assouplissement quant à la forme de celles-ci. S'agissant du compte-rendu des recherches requises, la jurisprudence admet à présent l'utilisation, par l'huissier de justice, de formulaires où les diligences accomplies sont notées à l'aide de mentions stéréotypées, pré-imprimées et cochées(71), pourvu que ces mentions fassent état des diligences concrètes auxquelles la présente étude était consacrée(72).

Articles 655 et 656 du nouveau Code de procédure civile : signification à domicile, Panorama de jurisprudence : compte tenu des particularités de l'affaire,

Diligences accomplies    Mention de la confirmation par un voisin unique sans précision de son identité    Mention de la confirmation par différents voisins sans précision de leur identité    Mention de la confirmation par l'hôtelier logeur    Mention de la confirmation par le fils du destinataire de l'acte    Constatation du nom sur la boî te aux lettres    Constatation du nom sur la porte palière    Constatation de ce que l'intéressé est (aussi) le propriétaire de l'immeuble     Constatation de la fréquentation régulière de l'adresse par l'intéressé    Un seul passage de l'huissier    Signification à une résidence secondaire inoccupée sans boî te aux lettres    Référence à l'extrait K bis du RCS pour déterminer l'adresse du siège social    Référence au RCS pour avoir confirmation d'un établissement secondaire    Solution de l'affaire
Particularités de l'affaire
Signification à un professionnel ayant précisé ses heures d'ouverture sur sa porte                                            X (cabinet fermé)                   Paris, 28/02/1991, Juris-Data n° 020349 : irrégulier
Signification à un particulier              X                             X (destinataire absent)                   Civ. 2e, 16/07/1993, Bull. n° 262 : régulier
Signification à un particulier                   X (refus de prendre la copie)                        X (destinataire absent)                   Civ. 2e, 26/02/1997, n° 95-15.377 : régulier, aucune disposition légale n'impose à l'huissier de se présenter plusieurs fois au domicile
Signification à l'adresse indiquée dans les actes de procédure, alors que le mandant de l'huissier connaissait l'adresse, différente, du domicile réel                        X                                       Civ. 2e, 30/06/1993, Bull. n° 238 : irrégulier bien que le destinataire ne se soit pas inscrit en faux contre la mention de son nom sur la boî te aux lettres.
Domicile indiqué dans les actes de procédure                                                 X              Civ. 2e, 07/11/1994, n° 93-10.203 : irrégulier
Adresse de signification indiquée dans les actes de procédure, mais différente de celle du siège social                                                           X    Civ. 2e, 13/11/1996, n° 94-17.158 : régulier
Adresse de signification indiquée dans les actes de procédure, le destinataire ayant informé son adversaire de façon informelle de sa nouvelle adresse                        X (ancienne adresse)                                       Toulouse, 13/10/2003, Juris-Data n° 2003-226348 : régulier (aucune diligence accomplie par le destinataire)
Formalisation antérieure et postérieure de l'adresse de signification, par le destinataire de l'acte, dans ses actes de procédure         X              X         X    X                        Civ. 2e, 08/03/2006, n° 04-19140 : régulier
Signification à particulier    X (personne présente au domicile ayant refusé la copie de l'acte)                                                           Civ. 2e, 22/10/1997, n° 95-20.542 : irrégulier faute d'investigations complémentaires pour établir la réalité du domicile
Signification à particulier    X                                                           Civ. 2e, 10/06/2004, n° 02-16.839 : régulier
Signification à particulier          X                                                      Civ. 2e, 28/02/2006, n° 04-12133 : irrégulier car insuffisant pour caractériser les vérifications imposées à l'huissier de justice
Signification à particulier     X                                                           Civ. 2e, 08/03/2006, Bull. n° 71 : régulier
Signification à personne morale                                                       X         Civ. 2e, 19/05/1998, n° 96-19.668, a contrario : régulier tant que l'adversaire n'établit pas la fictivité de l'établissement à l'adresse publiée du siège social
Signification à personne morale                                                       X         Civ. 2e, 16/03/2000, n° 95-13.210 : irrégulier lorsqu'à l'adresse se trouve uniquement un terrain vague sans local ni boî te aux lettres

Article 659 du nouveau Code de procédure civile : signification par procès-verbal de recherches infructueuses, Panorama de jurisprudence : compte tenu des particularités de l'affaire,En tout état de cause, l'huissier de justice doit tenter de joindre le destinataire de l'acte à la dernière adresse connue1.
Diligences accomplies    Référence à un voisin unique    Référence aux voisins    Référence au gardien    Référence aux commerçants voisins    Consultation infructueuse des services municipaux    Consultation infructueuse de la poste    Consultation infructueuse des services de police    Consultation infructueuse de services administratifs divers    Consultation infructueuse de l'annuaire (électronique)    Absence de boî te aux lettres au nom de l'intéressé    Absence de porte palière et de sonnette au nom de l'intéressé    Lettre revenue avec mention « NPAI »    Constatation de radiation du RCS    Solution de l'affaire
Particularités de l'affaire
Remise d'un acte à l'ancienne adresse alors que le même huissier avait remis 8 mois plus tôt un acte à son adresse actuelle         X (déclarent que parti sans laisser d'adresse)              X (déclarent que parti sans laisser d'adresse)                             X              Civ. 2e, 10/02/1993, n° 91-18.994 : régulier (la remise d'un acte 8 mois plus tôt n'établit pas que l'huissier avait connaissance de la résidence exacte du destinataire)
Le métier d'architecte du destinataire de l'acte figurant au dossier         X              X         X                                  Civ. 3e, 12/05/1993, n° 91-21.113 : irrégulier faute de consultation de l'Ordre des architectes, Poste, impôts, sécurité sociale et EDF qui connaissaient la nouvelle adresse
L'huissier ayant appris des voisins que la fille de l'intéressé, bien qu'absente, habite à l'adresse visitée         X         X                   X                             Civ. 2e, 09/03/1994, n° 92-18.865 : irrégulier faute de consultation de la fille
Litige relatif à une pension alimentaire : signification à un membre du couple         X         X                   X                             Civ. 2e, 15/11/1995, n° 94-10.139 : irrégulier faute de consultation des enfants majeurs
Signification à personne morale                                                                X    Paris, 25/09/1996, Juris-Data n° 022585 : irrégulier faute d'avoir recherché au RCS l'éventuel transfert du siège social
Signification à particulier    X                                       X    X    X              Civ. 2e, 28/09/2000, n° 98-22543 : régulier, l'huissier ignorait qu'à la même adresse, il existait un locataire qu'il aurait pu interroger
Signification à particulier         X (nouvelle locataire)              X         X                                  Bordeaux, 28/05/2002, Juris-Data n° 2002-176661 : irrégulier faute de consultation de l'annuaire
Destinataire de l'acte caution d'une entreprise en liquidation judiciaire         X (nouveaux locataires)              X         X                                  Civ. 2e, 20/10/1993, n° 92-11.540 : irrégulier faute de consultation du syndic de liquidation qui l'avait assigné à sa véritable adresse
Le dossier indique l'existence d'une caution, voire ses coordonnées                        X                   X    X    X              Civ. 2e, 20/03/2003, n° 01-11.542 : régulier malgré le défaut de démarches auprès de la caution
Créancier (CROUS) a les coordonnées du père (caution), et de l'Université où est inscrit le débiteur              X                             X                        Paris, 09/04/2004, AJDA 2004.574 : irrégulier faute de consultation du père et de l'Université
La LRAR envoyée dans le cadre des formalités de la signification est revenue avec la mention de la nouvelle adresse    X                   X    X    X                                  Civ. 2e, 18/11/2004, n° 03-13.158 : régulier, l'huissier n'a pas obligation d'envoyer une LRAR avant de signifier, ni de procéder à une nouvelle signi-fication au vu des éléments nouveaux
Signification à particulier    X                                                                Civ. 2e, 07/12/2006, n° 06-11211 : irrégulier, le destinataire de l'acte étant notamment inscrit à la sécurité sociale et abonné au téléphone
La connaissance par la personne qui a requis l'huissier de justice, de la demeure ou du lieu de travail du destinataire de l'acte, exclut la régularité de la signification par procès-verbal de recherches infructueuses, quelles que soient les recherches accomplies par l'huissier instrumentaire2.     1.  ...et cela même si le succès de la démarche est très improbable : Com., 27 mai 2003 (pourvoi n° 01-15.642), affaire dans laquelle la gérante d'une société dont la liquidation judiciaire avait été prononcée, fut personnellement mise en cause ; il convenait, pour l'assigner, de la rechercher au siège social de la société (dont on ignore si la personnalité morale subsistait ou non).2. Civ. 2e, 20 oct. 2005, Bull. n° 266 ; concernant spécialement le lieu de travail : Toulouse, 30 mai 2005, D. 1996.131 ; Civ. 1re, 18 déc. 2001, Bull. n° 323 ; Civ. 2e, 21 déc. 2000, Bull. n° 178 ; 28 sept. 2000, pourvoi n° 99-10.843 ; Paris, 24 sept. 1999, Gaz. Pal. 2000, somm. 327.