
Diligences
requises de l'huissier de justice : les recherches et leur
matérialisation nécessaires pour signifier un acte régulièrement
par Eva FISCHER
Maî tre de conférences à la Faculté de droit, d'économie et de gestion de Valenciennes
Le
droit de la signification présente un caractère casuistique qui rend
opportun l'exposé de la matière sous la forme de tableaux panoramiques
à l'usage des huissiers de justice. Néanmoins la jurisprudence récente
permet également de dégager des règles nouvelles à caractère général,
notamment concernant la portée du défaut d'indication, par l'huissier
de justice, de l'identité des personnes qui lui ont fait des
déclarations déterminantes, dans le cadre de la signification à
domicile. L'étude révèle une exigence forte quant aux diligences de
l'huissier pour joindre effectivement le destinataire de la
signification et, à défaut d'atteindre ce résultat, justifier d'une
réelle impossibilité. En revanche, la forme des mentions de la
signification relatives aux démarches accomplies se trouve assouplie.
I.
09 1. Le droit de la signification découle d'une mise en balance de
droits fondamentaux processuels antagonistes : d'une part le droit à un
recours juridictionnel effectif, se traduisant en l'occurrence par le
droit d'un plaideur de ne pas voir son action échouer ou retardée en
raison de la difficulté de joindre son adversaire ; d'autre part, le
respect des droits de la défense de ce dernier, dont le principe du
contradictoire et le droit à l'exercice effectif d'une voie de recours.
La considération des intérêts de cet adversaire explique la hiérarchie
bien connue des différents modes de signification en France
métropolitaine(1) :
1° en principe, « la signification doit être faite à personne »(2), où qu'elle se trouve(3) ;
2° en deuxième lieu, elle peut être faite au domicile du destinataire de l'acte(4) ;
3° à défaut de domicile connu, elle peut être faite à la résidence de l'intéressé(5) ;
4°
si le destinataire de l'acte n'a ni domicile(6), ni résidence, ni lieu
de travail connu, la signification peut être faite par procès-verbal de
recherches infructueuses(7).
Le critère de détermination de cet
ordre hiérarchique sont les efforts infructueux de l'huissier de
justice pour trouver, d'abord, l'intéressé en personne, ensuite, son
domicile, sa résidence et son lieu de travail.
A ce sujet, les
exigences de la jurisprudence quant aux diligences de l'huissier de
justice pour joindre effectivement le destinataire d'un acte à
signifier et/ou pour attester de l'impossibilité de le joindre(8), sont
variables.
2. Dans une affaire jugée par la Cour de cassation le
7 décembre 2006(9), un jugement avait été signifié par procès-verbal de
recherches infructueuses le 4 juin 2003. Le destinataire de l'acte
ayant interjeté appel du jugement seulement le 22 septembre 2004, la
Cour d'appel de Paris avait rejeté son appel comme irrecevable car
tardif par un arrêt du 21 avril 2005. Le plaideur débouté forma un
pourvoi en cassation prétendant que son appel n'avait pas été tardif,
le délai d'appel n'ayant, selon lui, jamais couru en raison de
l'irrégularité et de la nullité de la signification.
Il avait argué
devant la cour d'appel de ce que l'huissier de justice instrumentaire
aurait dû rechercher son nouveau domicile auprès des organismes de
sécurité sociale, de l'éducation nationale et dans les annuaires
téléphoniques.
La cour d'appel avait néanmoins considéré que l'huissier
de justice instrumentaire avait accompli des diligences suffisantes
pour joindre le destinataire de l'acte : il s'était rendu à la dernière
adresse connue et, n'ayant pas trouvé l'intéressé à cette adresse,
avait interrogé le voisinage ainsi que « le locataire du pavillon
»(10), ce dernier lui ayant déclaré que M. X… était « parti sans
laisser d'adresse ».
Les juges d'appel avaient écarté les moyens du
plaideur au motif qu'il n'établissait pas que son inscription à la
sécurité sociale, la scolarité de ses enfants ou son hypothétique
inscription dans un annuaire téléphonique auraient permis à l'huissier
instrumentaire d'identifier son nouveau domicile.
Se posait donc la
question de l'étendue des recherches requises de l'huissier de justice
: combien de recherches l'huissier de justice doit-il effectuer avant
de pouvoir considérer valablement que le destinataire « n'a ni
domicile, ni résidence, ni lieu de travail connu » et signifier, par
conséquent, par procès-verbal de recherches infructueuses ?
La deuxième
Chambre civile de la Cour de cassation a répondu plus modestement à la
question de savoir si, en l'occurrence, les faits de l'huissier de
justice de se rendre à l'adresse connue et de prendre des
renseignements dans le voisinage, constituaient des recherches
suffisantes pour être considérées comme infructueuses. La réponse est
négative : la Haute Cour a jugé incomplètes les investigations
accomplies par l'huissier de justice aux fins de délivrer l'acte à la
personne de son destinataire.
La teneur et la portée de l'arrêt
commenté sont incertaines. D'une part, l'arrêt du 7 décembre 2006 ne
signifie pas forcément que l'huissier de justice devait rechercher,
comme le soutenait le demandeur au pourvoi, le nouveau domicile du
destinataire de l'acte auprès des organismes de sécurité sociale, de
l'éducation nationale et dans les annuaires téléphoniques, ou même
seulement faire une de ces trois démarches.
Seule sa teneur minimale
est certaine : les faits de se rendre à l'adresse connue et de
consulter le voisinage étaient insuffisants.
On peut penser qu'une ou
deux autres démarches utiles supplémentaires, prises ou non parmi
celles évoquées par le plaideur, auraient permis de considérer les
recherches de l'huissier de justice comme globalement suffisantes.
La
question des diligences requises de l'huissier de justice est plutôt
une question de fait : leur nombre et leur nature dépendent des
circonstances.
Dès lors, il est remarquable que la deuxième Chambre
civile, spécialisée en matière de procédure civile, n'abandonne pas la
question à l'appréciation souveraine des juges du fond, contrairement à
ce qu'elle a pu énoncer dans certains arrêts(11).
Le caractère factuel
de la question traitée conduit par ailleurs à se demander si la
décision du 7 décembre 2006 n'est pas un arrêt d'espèce : peut-on
généraliser la solution apportée et affirmer que désormais, les faits
de l'huissier de justice de se rendre à l'adresse connue et de prendre
des renseignements dans le voisinage, seront toujours insuffisants pour
opérer une signification par procès-verbal de recherches infructueuses
?
Cela ne dépend-il pas, là aussi, des circonstances(12) ? La Haute
Cour aurait-elle tranché dans le même sens en l'absence des conclusions
circonstanciées du destinataire de l'acte ? On peut noter une certaine
tendance des hauts juges à suivre les suggestions pertinentes du
destinataire de l'acte objet de la signification(13).
Suivant
ces réflexions, il n'est pas toujours possible de dégager des normes
rigides et générales en matière de diligences requises des huissiers de
justice pour joindre le destinataire de la signification.
Si certaines
règles se prêtent à un exposé classique, d'autres seront appréhendées,
ci-après, dans des tableaux permettant de distinguer et de rapprocher
les circonstances et les solutions d'un certain nombre d'affaires
jugées.
3. A titre préliminaire, il convient de rappeler que
l'huissier de justice ne doit pas seulement accomplir des
investigations, mais qu'il doit également en rendre concrètement compte
dans l'acte de signification(14). L'absence de cette mention ne peut
être palliée postérieurement, serait-ce par la confirmation faite par
le destinataire de l'acte lui-même, des éléments répondant au but des
recherches requises ; cela a été jugé à propos de l'établissement de
l'impossibilité de procéder à une signification à personne(15) ;
il est
cependant probable que la solution puisse être étendue aux
vérifications de la réalité du domicile du destinataire de l'acte, dans
le cadre d'une signification à domicile(16), ainsi qu'aux recherches
qui s'imposent avant de considérer que la demeure de l'intéressé est
inconnue, pour procéder à une signification par procès-verbal de
recherches infructueuses.
Articles 654 et 655 du nouveau Code de procédure civile : signification à personne, généralités
4.
La signification à personne est la forme de signification la plus
satisfaisante pour des parties de bonne foi(17). Lors de la dernière
réforme du droit de la signification, le législateur a consacré la
jurisprudence concrétisant le principe de primauté de la signification
à personne : « l'huissier de justice doit relater dans l'acte les
diligences qu'il a accomplies pour effectuer la signification à la
personne de son destinataire et les circonstances caractérisant
l'impossibilité d'une telle signification(18) ».
L'huissier de
justice n'a pas besoin de convaincre le destinataire de l'acte qu'il
rencontre en personne, d'accepter la remise de celui-ci : en droit,
suivant une jurisprudence ancienne, le destinataire ne peut refuser la
signification(19).
S'il en allait autrement, le fonctionnement de la
justice serait gravement compromis. En fait, si l'intéressé refuse de
recevoir matériellement l'instrumentum, l'huissier de justice peut
déposer celui-ci sur un meuble ou le mettre dans la boîte aux lettres,
à condition que le destinataire en ait connaissance.
Lorsque la
signification à personne est faite au domicile ou à la résidence de
l'intéressé, l'huissier de justice instrumentaire n'est pas obligé de
contrôler et de relever l'identité de celui qui prétend être le
destinataire de l'acte(20). La solution est inverse lorsque la
signification à personne est faite en dehors de ces lieux(21).
Dans
les hypothèses particulières où le destinataire de l'acte est
hospitalisé ou incarcéré, il est recommandé de tenter une signification
à personne, du moins lorsque l'adresse du séjour est connue.
La
Cour d'appel de Montpellier a jugé en 1995 une signification à domicile
irrégulière dans une affaire où l'adresse d'hospitalisation du
destinataire de l'acte était connue, faute pour l'huissier de justice
d'avoir tenté de joindre physiquement l'intéressé à l'hôpital(22). La
Chambre sociale de la Cour de cassation avait, pourtant, jugé le
contraire par un arrêt de 1973 qui ne permet cependant pas de
déterminer si l'huissier de justice instrumentaire ou la partie l'ayant
requis étaient au courant de l'hospitalisation voire de l'adresse de
celle-ci(23).
La Cour d'appel de Besançon a exigé que l'huissier
de justice fasse toute diligence pour signifier l'acte à la personne
même de l'intéressé incarcéré en maison d'arrêt(24).
5. Les indications suivantes sont consacrées plus particulièrement aux significations à des personnes morales.
La
hiérarchie indiquée en début d'étude vaut aussi pour les personnes
morales : il faut toujours tenter avant tout une signification à
personne. S'agissant des personnes morales, la signification est faite
à personne lorsque l'acte est délivré au représentant légal - qui peut
être, le cas échéant, un administrateur judiciaire, et plus
particulièrement le liquidateur judiciaire(25) -, à un fondé de pouvoir
ou à toute personne habilitée à recevoir l'acte(26). Dans ce contexte,
l'huissier de justice doit demander à la personne qui reçoit copie de
l'acte, sa qualité(27), mais il n'est pas obligé de vérifier
celle-ci(28).
Selon l'article 690 du nouveau Code de procédure
civile, « la notification destinée à une personne morale de droit privé
ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial, est
faite au lieu de son établissement »(29).
L'établissement peut
être le siège social de la personne morale, mais également une
succursale.
Ce qui compte, en général, est la réalité de
l'établissement. Ainsi, l'huissier de justice étant censé se rendre sur
place, l'adresse du siège social publiée au registre du commerce doit
être confirmée au moins par les apparences d'un établissement réel(30).
La détermination des établissements autres que le siège social, où peut
être pratiquée la signification, est assez aléatoire. Mise à part
l'hypothèse particulière où le destinataire de l'acte a lui-même
indiqué une adresse autre que son siège social dans ses actes de
procédure(31), les conditions suivantes doivent être réunies : la
succursale doit constituer un centre d'affaires relativement important
; le litige doit avoir son origine dans le ressort de la succursale où
est faite la signification(32). Ainsi, l'agence générale d'assurances a
vocation à être un établissement de la compagnie d'assurances(33).
S'agissant en particulier de l'établissement d'une société civile
professionnelle, il se trouve au siège social de la société, et non au
lieu où l'associé exerce effectivement sa profession(34).
L'application
du principe de la signification à personne n'exige pas, en principe,
que l'huissier de justice instrumentaire fasse l'effort de joindre les
personnes habiles à recevoir la notification, à une autre adresse que
celle de l'établissement de la personne morale, voire à leur domicile
personnel(35).
Il n'en est autrement que lorsque la personne morale n'a
plus d'activité et de lieu d'établissement(36), ou encore compte tenu
de l'attitude frauduleuse de la personne ayant requis la
signification(37). C'est ainsi que la jurisprudence interprète les
termes ambigus de l'article 690 du nouveau Code de procédure civile.
Article 655 du nouveau Code de procédure civile : signification à domicile, généralités
6.
Si l'huissier de justice ne trouve pas les personnes énumérées à
l'article 654 du nouveau Code de procédure civile à l'établissement de
la personne morale, il peut signifier à domicile, en remettant copie de
l'acte à toute autre personne se trouvant à l'établissement(38), et qui
accepte de la recevoir(39). Ce n'est que si personne ne peut ou ne veut
recevoir copie de l'acte, que l'huissier de justice peut procéder selon
les dispositions de l'article 656 du code précité(40).
« Si la
signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré
soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence », à
toute personne présente qui accepte de recevoir copie de l'acte(41). Le
domicile d'une personne physique est le lieu de son principal
établissement, ce qui implique une habitation durable(42). La notion de
résidence, quant à elle, suppose une habitation relativement stable ;
tel n'est pas le cas d'une adresse « poste restante »(43).
De
façon générale, lorsque le dossier de la procédure contient plusieurs
adresses, et que l'huissier de justice instrumentaire ne trouve au
domicile indiqué dans l'acte à signifier ni le destinataire de l'acte
ni une autre personne à qui il pourrait délivrer l'acte ou sa copie, il
doit tenter une signification aux autres adresses mentionnées au
dossier(44). Cela découle de la hiérarchie existant entre les modalités
prévues respectivement aux articles 655 et 656 du nouveau Code de
procédure civile, pourtant toutes qualifiées de signification à
domicile.
En principe, il convient de relever les nom, prénom et
qualité de la personne ayant reçu copie de l'acte. Néanmoins, lorsque
les mentions portées par l'huissier de justice dans l'acte de
signification permettent de déterminer autrement l'identité de cette
personne, la signification à domicile est régulière(45). En tout état
de cause, dans le cadre de la signification à domicile, l'huissier de
justice n'a jamais à vérifier les déclarations se rapportant à la
personne qui reçoit copie de l'acte(46). La signature de cette
personne, si elle peut être utile, n'est pas nécessaire.
En
général, la signification à domicile est présumée régulière même si la
personne ayant reçu copie de l'acte conteste, a posteriori, avoir
accepté la remise, car la réception implique l'acceptation(47).
Par
ailleurs, il semble falloir nuancer la règle probatoire dans le cas
d'une signification à une personne morale. En effet, la personne
physique présente qui reçoit copie de l'acte doit accepter la remise
pour le compte de la personne morale destinatrice de l'acte, ce qui n'a
pas été présumé ; l'huissier de justice doit mentionner cette précision
dans l'acte de signification(48).
La remise d'une copie de
l'acte à un enfant présent au domicile est régulière dans la mesure où
l'enfant a un discernement suffisant pour accepter la transmission au
destinataire de l'acte. S'agissant d'un enfant de douze ans, fils du
destinataire, la signification a été jugée régulière(49). S'agissant
d'un enfant de cinq ans, la signification a été jugée irrégulière,
faute pour l'huissier de justice instrumentaire d'avoir vérifié si
l'enfant disposait d'un discernement suffisant(50).
Lorsque la
personne présente au domicile est le mandant de l'huissier
instrumentaire, étant donné l'opposition des intérêts en présence, on
ne peut compter sur elle pour transmettre copie de l'acte au
destinataire. Il ne faut pas appliquer la réglementation à la lettre
sans prendre en considération la ratio legis. Le risque de fraude étant
patent, une telle signification à domicile est irrégulière car elle
viole les droits de la défense(51). Lorsque l'huissier de justice ne
trouve que son mandant à la demeure du destinataire de l'acte -
hypothèse qui n'est pas rare dans le contentieux familial - il convient
d'appliquer l'article 656 du nouveau Code de procédure civile, en
espérant que le mandant s'abstienne de soustraire à la connaissance du
destinataire l'avis de passage et la lettre simple informant ce dernier
des modalités de communication de l'acte signifié(52).
La
signification à domicile élu, comme toute signification à domicile,
n'est régulière que si l'huissier de justice a auparavant vainement
tenté une signification à personne(53). Selon l'article 689 du nouveau
Code de procédure civile, « la notification est aussi valablement faite
au domicile élu lorsque la loi l'admet ou l'impose » ; il faut entendre
que la notification à domicile élu n'est valable que lorsque la loi
l'admet ou l'impose. D'une part, les textes envisagent rarement la
notification à domicile élu ; d'autre part, la jurisprudence a exclu la
signification à domicile élu dans de nombreuses hypothèses, quelles que
soient les diligences de l'huissier de justice : lorsque l'acte à
signifier est une assignation devant le tribunal d'instance(54) ou la
décision d'un conseil de prud'hommes(55) ou d'un tribunal des affaires
de sécurité sociale(56), et encore dans le cadre d'une procédure de
saisie immobilière, lorsque le destinataire de l'acte est le débiteur
saisi(57). Dans un arrêt récent de la deuxième Chambre civile de la
Cour de cassation, les hauts juges ont tout simplement ignoré
l'élection de domicile(58). En tout état de cause, même lorsque la
signification à domicile élu est admise, il est impératif pour
l'huissier de justice d'accomplir parallèlement les formalités telles
que l'envoi de la lettre simple(59), au domicile réel(60), lorsque ce
dernier est connu. Compte tenu de ces incertitudes et contraintes, il
convient de conseiller aux huissiers de justice d'opter pour la
signification à domicile élu seulement lorsque le domicile réel est
inconnu. En effet, sauf disposition légale spéciale, une signification
à personne ou à domicile réel ne saurait être irrégulière en raison de
l'existence d'un domicile élu(61).
7. L'observation du tableau «
Signification à domicile » figurant en annexe, attire l'attention sur
la jurisprudence relative à la portée du défaut de mention de
l'identité des personnes attestant la réalité du domicile ou de la
résidence du destinataire absent de l'acte. Le caractère incohérent de
l'évolution jurisprudentielle pourrait n'être qu'apparent.
La
solution indiquée par l'arrêt du 22 octobre 1997 de la deuxième Chambre
civile paraissait raisonnable et claire : lorsque le domicile est
confirmé par une seule personne telle qu'un voisin dont l'huissier de
justice ne relève pas l'identité - déclarée -, ce dernier doit procéder
à des investigations complémentaires pour établir la réalité du
domicile du destinataire de l'acte(62). En effet, dans une telle
hypothèse, la probabilité de l'exactitude de l'information est faible
et doit être renforcée par d'autres éléments.
Dès lors, on est
surpris, au premier abord, de constater que le 10 juin 2004, la même
juridiction ait jugé valable une signification à domicile faite au vu
des seuls faits suivants : l'adresse figurait sur le jugement signifié
et avait été confirmée par un voisin unique dont l'identité n'était pas
précisée. La Haute juridiction explicitant même que « l'huissier de
justice n'était pas tenu de mentionner l'identité des personnes auprès
desquelles il s'assurait du domicile »(63). Le seul élément rationnel
qui peut expliquer la divergence entre cet arrêt et le précédent est le
caractère contradictoire ou non de l'instance dont l'issue était
signifiée aux intéressés. En effet, dans l'affaire de 1997, l'arrêt
précise que le destinataire de l'acte n'avait pas comparu en première
instance. L'adresse de signification résultant du dossier pouvait donc
être considérée avec circonspection. La décision de 2004, en revanche,
a été rendue concernant la signification d'un jugement contradictoire,
comme le révèle la consultation de l'arrêt objet du pourvoi en
cassation(64). Ici, la déclaration du voisin anonyme était donc
corroborée par une adresse figurant dans le dossier de procédure et non
contestée, au cours de l'instance, par l'intéressé comparaissant(65).
Dans
une affaire jugée le 28 février 2006, le jugement critiqué par le
pourvoi avait été rendu sur opposition du destinataire de l'acte. Le
destinataire de l'acte n'avait donc pas eu l'occasion de contester,
avant la signification, l'adresse figurant dans le jugement signifié.
En l'espèce, contrairement aux deux affaires précédentes, plusieurs
voisins avaient confirmé la réalité du domicile, toujours sans que leur
identité soit mentionnée par l'huissier de justice. La deuxième Chambre
civile a jugé, de façon plus sévère et plus affirmée qu'en 1997, que «
la seule mention […] de la confirmation du domicile […] par différents
voisins est insuffisante à caractériser les vérifications imposées à
l'huissier de justice par l'article 656 du nouveau Code de procédure
civile »(66).
Enfin, seulement une semaine plus tard, elle a
rendu un nouvel arrêt en la matière. En l'espèce, la réalité du
domicile des destinataires de l'acte à signifier était, au moment de la
signification, attestée par deux éléments : un voisin unique, dont
l'huissier n'avait pas mentionné l'identité, s'était prononcé en ce
sens ; le nom des destinataires figurait sur la boî te aux lettres. Par
ailleurs, la Cour de cassation a accepté, en l'occurrence, de tenir
compte d'autres éléments, dont certains sont postérieurs à la
signification, pour conclure à la régularité de celle-ci : l'adresse de
signification continuait de servir de siège social à la société dont
les destinataires de l'acte étaient les associés ; ces derniers avaient
encore indiqué l'adresse de signification comme étant leur domicile
dans un acte de procédure postérieur ; deux ans après la signification,
ils continuaient d'être propriétaires d'une maison d'habitation à
l'adresse de signification où ils venaient régulièrement. L'arrêt est
juridiquement critiquable en ce qu'il mélange des éléments
contemporains et des éléments postérieurs à la signification, pour
conclure que « ces constatations et énonciations » constituaient des
vérifications suffisantes, et que dès lors « l'huissier de justice
n'était pas tenu de mentionner l'identité des personnes auprès
desquelles il s'assurait du domicile »(67).
La jurisprudence est
peu explicite. Il semble falloir retenir de ses péripéties que si la
déclaration d'une personne telle qu'un voisin est l'unique élément
permettant d'attester la réalité du domicile suite à une procédure par
défaut, il est impératif pour l'huissier de relever et de mentionner
l'identité de cette personne. En revanche, dès qu'un autre élément
vient s'ajouter à cette déclaration, ne serait-ce que l'indication de
l'adresse de signification comme domicile du destinataire de l'acte
dans le dossier d'une procédure contradictoire, la mention de
l'identité de la personne qui renseigne l'huissier n'est pas
indispensable.
En comparant les deux tableaux annexés ci-après,
il apparaî t que la jurisprudence est plus exigeante s'agissant de la
signification par procès-verbal de recherches infructueuses(68). Cela
est au demeurant logique, les chances d'informer effectivement le
destinataire de l'acte étant raisonnables dans l'hypothèse de la
signification à domicile, mais infimes, quasi fictives, dans celle
prévue à l'article 659 du nouveau Code de procédure civile.
La
connaissance par la personne qui a requis l'huissier de justice, de la
demeure ou du lieu de travail du destinataire de l'acte, exclut la
régularité de la signification par procès-verbal de recherches
infructueuses, quelles que soient les recherches accomplies par
l'huissier instrumentaire(69).
8. La jurisprudence retracée
ci-après est casuistique, ce qui empêche une parfaite prévisibilité.
Dès lors, l'huissier de justice a intérêt à se réserver une marge de
sécurité en accomplissant systématiquement un certain nombre
d'investigations pertinentes qui peuvent varier en fonction des
circonstances particulières de l'espèce mais qui découlent, somme
toute, du bon sens compte tenu de l'objectif de joindre effectivement
le destinataire de l'acte.
Ainsi, en revenant sur certains
points mis en exergue dans cette étude, on ne peut que conseiller à
l'huissier de justice de relever systématiquement, lorsque cela est
possible, l'identité des personnes qui se prononcent sur le domicile du
destinataire de l'acte. S'agissant de la recherche du domicile de ce
dernier, l'huissier de justice a intérêt à insister, auprès de son
mandant, sur la transmission de l'adresse que ce dernier connaî trait
éventuellement. En présence d'un rapport juridique multiple entre
créancier, débiteur principal et caution, ou entre créancier, débiteur
saisi et tiers saisi, il devrait consulter les différents
protagonistes. Sans jamais négliger les diligences courantes telles que
la recherche dans l'annuaire électronique et la consultation de
différents services administratifs.
Il est certain que cette
tâche est lourde. Elle serait allégée s'il était instaurée à la charge
des personnes physiques une obligation de déclaration de résidence et
de déclaration de départ auprès des services municipaux, comme c'est le
cas dans certains systèmes juridiques étrangers au titre desquels on
peut citer l'Allemagne(70). Une telle législation rend facile et
accessible le suivi des sujets de droit, au prix du sacrifice d'une
certaine conception des libertés. Or, la France n'est pas prête de
devenir un Etat policier.
En guise de consolation des praticiens
mécontents de leur lourde charge de travail touchant au fond des
significations, on peut constater un certain assouplissement quant à la
forme de celles-ci. S'agissant du compte-rendu des recherches requises,
la jurisprudence admet à présent l'utilisation, par l'huissier de
justice, de formulaires où les diligences accomplies sont notées à
l'aide de mentions stéréotypées, pré-imprimées et cochées(71), pourvu
que ces mentions fassent état des diligences concrètes auxquelles la
présente étude était consacrée(72).
Articles 655 et 656 du
nouveau Code de procédure civile : signification à domicile, Panorama
de jurisprudence : compte tenu des particularités de l'affaire,
Diligences
accomplies Mention de la confirmation par un voisin
unique sans précision de son identité Mention de la
confirmation par différents voisins sans précision de leur
identité Mention de la confirmation par l'hôtelier
logeur Mention de la confirmation par le fils du
destinataire de l'acte Constatation du nom sur la boî
te aux lettres Constatation du nom sur la porte
palière Constatation de ce que l'intéressé est
(aussi) le propriétaire de l'immeuble Constatation
de la fréquentation régulière de l'adresse par l'intéressé
Un seul passage de l'huissier Signification à
une résidence secondaire inoccupée sans boî te aux lettres
Référence à l'extrait K bis du RCS pour déterminer l'adresse du
siège social Référence au RCS pour avoir confirmation
d'un établissement secondaire Solution de l'affaire
Particularités de l'affaire
Signification
à un professionnel ayant précisé ses heures d'ouverture sur sa
porte
X (cabinet
fermé)
Paris, 28/02/1991, Juris-Data n° 020349 : irrégulier
Signification
à un particulier
X
X
(destinataire absent)
Civ. 2e, 16/07/1993, Bull. n°
262 : régulier
Signification à un particulier
X (refus de
prendre la copie)
X (destinataire
absent)
Civ. 2e, 26/02/1997, n° 95-15.377 : régulier, aucune
disposition légale n'impose à l'huissier de se présenter plusieurs fois
au domicile
Signification à l'adresse indiquée dans les actes de
procédure, alors que le mandant de l'huissier connaissait l'adresse,
différente, du domicile réel
X
Civ. 2e, 30/06/1993, Bull. n°
238 : irrégulier bien que le destinataire ne se soit pas inscrit en
faux contre la mention de son nom sur la boî te aux lettres.
Domicile
indiqué dans les actes de procédure
X
Civ. 2e, 07/11/1994, n°
93-10.203 : irrégulier
Adresse de signification indiquée dans les
actes de procédure, mais différente de celle du siège
social
X Civ. 2e, 13/11/1996, n° 94-17.158 : régulier
Adresse
de signification indiquée dans les actes de procédure, le destinataire
ayant informé son adversaire de façon informelle de sa nouvelle
adresse
X (ancienne adresse)
Toulouse, 13/10/2003, Juris-Data n° 2003-226348 :
régulier (aucune diligence accomplie par le destinataire)
Formalisation
antérieure et postérieure de l'adresse de signification, par le
destinataire de l'acte, dans ses actes de procédure
X
X
X X
Civ. 2e,
08/03/2006, n° 04-19140 : régulier
Signification à
particulier X (personne présente au domicile ayant
refusé la copie de l'acte)
Civ. 2e, 22/10/1997, n° 95-20.542 : irrégulier faute
d'investigations complémentaires pour établir la réalité du domicile
Signification
à particulier X
Civ. 2e, 10/06/2004, n° 02-16.839 : régulier
Signification
à particulier X
Civ. 2e, 28/02/2006, n° 04-12133 : irrégulier car
insuffisant pour caractériser les vérifications imposées à l'huissier
de justice
Signification à particulier
X
Civ. 2e,
08/03/2006, Bull. n° 71 : régulier
Signification à personne morale
X
Civ. 2e, 19/05/1998, n° 96-19.668, a contrario :
régulier tant que l'adversaire n'établit pas la fictivité de
l'établissement à l'adresse publiée du siège social
Signification à
personne morale
X
Civ. 2e, 16/03/2000, n° 95-13.210 : irrégulier
lorsqu'à l'adresse se trouve uniquement un terrain vague sans local ni
boî te aux lettres
Article 659 du nouveau Code de procédure
civile : signification par procès-verbal de recherches infructueuses,
Panorama de jurisprudence : compte tenu des particularités de
l'affaire,En tout état de cause, l'huissier de justice doit tenter de
joindre le destinataire de l'acte à la dernière adresse connue1.
Diligences
accomplies Référence à un voisin unique
Référence aux voisins Référence au
gardien Référence aux commerçants voisins
Consultation infructueuse des services municipaux
Consultation infructueuse de la poste
Consultation infructueuse des services de police
Consultation infructueuse de services administratifs
divers Consultation infructueuse de l'annuaire
(électronique) Absence de boî te aux lettres au nom
de l'intéressé Absence de porte palière et de
sonnette au nom de l'intéressé Lettre revenue avec
mention « NPAI » Constatation de radiation du
RCS Solution de l'affaire
Particularités de l'affaire
Remise
d'un acte à l'ancienne adresse alors que le même huissier avait remis 8
mois plus tôt un acte à son adresse actuelle
X (déclarent que parti sans laisser
d'adresse) X
(déclarent que parti sans laisser d'adresse)
X
Civ. 2e, 10/02/1993, n°
91-18.994 : régulier (la remise d'un acte 8 mois plus tôt n'établit pas
que l'huissier avait connaissance de la résidence exacte du
destinataire)
Le métier d'architecte du destinataire de l'acte
figurant au dossier X
X
X
Civ. 3e, 12/05/1993, n°
91-21.113 : irrégulier faute de consultation de l'Ordre des
architectes, Poste, impôts, sécurité sociale et EDF qui connaissaient
la nouvelle adresse
L'huissier ayant appris des voisins que la fille
de l'intéressé, bien qu'absente, habite à l'adresse visitée
X
X
X
Civ. 2e, 09/03/1994, n° 92-18.865 : irrégulier faute
de consultation de la fille
Litige relatif à une pension alimentaire
: signification à un membre du couple
X X
X
Civ. 2e,
15/11/1995, n° 94-10.139 : irrégulier faute de consultation des enfants
majeurs
Signification à personne morale
X Paris, 25/09/1996, Juris-Data n° 022585 :
irrégulier faute d'avoir recherché au RCS l'éventuel transfert du siège
social
Signification à particulier X
X X
X Civ.
2e, 28/09/2000, n° 98-22543 : régulier, l'huissier ignorait qu'à la
même adresse, il existait un locataire qu'il aurait pu interroger
Signification
à particulier X (nouvelle
locataire)
X X
Bordeaux,
28/05/2002, Juris-Data n° 2002-176661 : irrégulier faute de
consultation de l'annuaire
Destinataire de l'acte caution d'une
entreprise en liquidation judiciaire
X (nouveaux locataires)
X
X
Civ. 2e, 20/10/1993, n° 92-11.540 : irrégulier faute
de consultation du syndic de liquidation qui l'avait assigné à sa
véritable adresse
Le dossier indique l'existence d'une caution,
voire ses coordonnées
X
X X
X Civ.
2e, 20/03/2003, n° 01-11.542 : régulier malgré le défaut de démarches
auprès de la caution
Créancier (CROUS) a les coordonnées du père
(caution), et de l'Université où est inscrit le débiteur
X
X
Paris, 09/04/2004, AJDA 2004.574 : irrégulier faute
de consultation du père et de l'Université
La LRAR envoyée dans le
cadre des formalités de la signification est revenue avec la mention de
la nouvelle adresse X
X
X X
Civ. 2e, 18/11/2004, n°
03-13.158 : régulier, l'huissier n'a pas obligation d'envoyer une LRAR
avant de signifier, ni de procéder à une nouvelle signi-fication au vu
des éléments nouveaux
Signification à particulier
X
Civ. 2e, 07/12/2006, n° 06-11211 : irrégulier, le
destinataire de l'acte étant notamment inscrit à la sécurité sociale et
abonné au téléphone
La connaissance par la personne qui a requis
l'huissier de justice, de la demeure ou du lieu de travail du
destinataire de l'acte, exclut la régularité de la signification par
procès-verbal de recherches infructueuses, quelles que soient les
recherches accomplies par l'huissier instrumentaire2.
1. ...et cela même si le succès de la démarche est très
improbable : Com., 27 mai 2003 (pourvoi n° 01-15.642), affaire dans
laquelle la gérante d'une société dont la liquidation judiciaire avait
été prononcée, fut personnellement mise en cause ; il convenait, pour
l'assigner, de la rechercher au siège social de la société (dont on
ignore si la personnalité morale subsistait ou non).2. Civ. 2e, 20 oct.
2005, Bull. n° 266 ; concernant spécialement le lieu de travail :
Toulouse, 30 mai 2005, D. 1996.131 ; Civ. 1re, 18 déc. 2001, Bull. n°
323 ; Civ. 2e, 21 déc. 2000, Bull. n° 178 ; 28 sept. 2000, pourvoi n°
99-10.843 ; Paris, 24 sept. 1999, Gaz. Pal. 2000, somm. 327.