De l'office du juge en droit de la consommation
Eric BAZIN
Magistrat
La
loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence
au service des consommateurs a créé un nouvel article L. 141-4 du Code
de la consommation selon lequel « le juge peut soulever d'office toutes
les dispositions du présent code dans les litiges nés de son
application ». Il résulte ainsi de cette innovation un accroissement
considérable de l'office du juge, même s'il reste cantonné au droit de
la consommation, dont il convient de mesurer l'ampleur.
I. 03 1.
Le rôle du juge, que l'on appelle l'office du juge, est d'abord lié au
fonctionnement du service public de la justice, ce qui explique qu'en
vertu de l'article 3 du Code de procédure civile, il doit veiller au
bon déroulement de l'instance. Mais l'office du juge ne se limite
évidemment pas à ce « rôle de surveillant général de la procédure », le
juge doit trancher, en application de l'article 12 du même code, le
litige que lui ont soumis les parties au procès(1).
Tout l'enjeu
du débat se résume à la question suivante : la faculté pour le juge de
relever d'office des moyens de pur droit trouve-t-elle sa limite dans
l'immutabilité du contenu des prétentions des parties ?
Rappelons que
selon le principe dispositif, les parties fixent elles-mêmes le champ
de la contestation. Or, la Cour de cassation n'a cessé de maintenir
dans les limites du principe dispositif l'intervention d'office des
juridictions du fond en matière de crédit à la consommation.
Cette
jurisprudence de la Cour de cassation(2) a fait l'objet d'une vive
discussion en doctrine, d'une véritable fronde de la part d'un grand
nombre de juges d'instance et de l'appel à la rescousse du droit
communautaire.
2. Pour l'application des textes du Code de la
consommation, la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement
de la concurrence au service des consommateurs, en créant un nouvel
article L. 141-4 du Code de la consommation(3), clôt le débat national
en proclamant que « le juge peut soulever d'office toutes les
dispositions du présent code dans les litiges nés de son application ».
Innovation
considérable dont l'ampleur ne peut pas assurément être encore
mesurable et mesurée. Mais il s'agit incontestablement d'un séisme dans
l'office du juge, même s'il reste cantonné au droit de la consommation
– mais le contentieux du droit de la consommation est un contentieux de
masse qui implique le bon fonctionnement du marché non seulement
national mais également européen.
3. Si une telle solution sera
contestée par certains, elle n'en demeure pas moins parfaitement
opportune (I), même si elle reste incertaine dans sa portée (II).
I. Une solution opportune
La
loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 apporte une nouvelle contribution au
pouvoir du juge de relever d'office les irrégularités d'un contrat de
consommation.
En reconnaissant explicitement au juge le pouvoir de
relever d'office toutes les dispositions du Code de la consommation,
elle rompt traditionnellement avec la neutralité du juge en droit de la
consommation, solution édictée avec fermeté par la Cour de cassation,
ce qui était manifestement contestable. Le législateur fait désormais
du juge un véritable gardien de la loyauté des contrats de consommation.
A. La neutralité du juge, règle contestable en droit de la consommation
4.
Il faut rappeler ce que nous écrivions dans cette revue lors du
commentaire de l'arrêt du 16 mars 2004(4) rendu par la première Chambre
civile de la Cour de cassation : les juges d'instance sont restés
désespérés de la solution adoptée par la Cour de cassation dans un
arrêt du 15 février 2000(5) qui les privait déjà de la possibilité de
relever d'office le non respect des règles de formalisme en matière de
crédit à la consommation lorsque le consommateur ne comparaissait pas.
Ils seront encore plus désespérés de la présente solution qui reste
sourde à l'espoir qu'avait engendré la Cour de justice des communautés
européennes dans sa décision du 21 novembre 2002(6).
5.
Finalement, on sait que depuis l'arrêt du 15 février 2000, la Cour de
cassation n'a eu de cesse de refuser au juge du fond de relever
d'office, en réalité, toutes les dispositions du Code de la
consommation(7). La formule était toujours la même, aussi implacable
qu'intransigeante : « La méconnaissance des exigences des textes
invoqués même d'ordre public ne peut être opposée qu'à la demande de la
personne que ces dispositions ont pour objet de protéger ».
6. Le raisonnement adopté par la première Chambre civile de la Cour de cassation a été le suivant :
1°)
La nullité pour inobservation des règles protégeant une partie contre
une autre revêt forcément un caractère relatif et par voie de
conséquence, l'exercice d'une telle nullité doit être réservé à la
personne dont ces règles tendent à protéger ses intérêts. La Haute
juridiction opère une distinction entre les dispositions d'ordre public
de protection et celles d'ordre public de direction. Seules les règles
d'ordre public de direction permettent au juge de relever d'office leur
méconnaissance par une partie – la sanction est normalement la nullité
absolue. En revanche, les règles d'ordre public de protection doivent
impérativement être invoquées par la partie que la loi avait voulu
protéger – la sanction est normalement la nullité relative.
2°)
Le silence du consommateur, auquel il faut assimiler son défaut de
comparution, présume qu'il renonce à se prévaloir de la violation des
règles destinées à le protéger.
7. Sans s'attarder sur le débat
doctrinal sur l'office du juge(8), une telle position de la Cour de
cassation reste très contestable sur le terrain tant du droit
substantiel que de la procédure.
8. Sur le plan du droit
substantiel, il est utile de rappeler que la Cour de cassation a
toujours affirmé solennellement que le juge n'est pas tenu de relever
d'office la nullité d'un acte, même lorsque cette nullité est d'ordre
public. Or, une telle solution méconnaî t la théorie actuelle des
nullités. En effet, cette théorie autorise normalement le juge à
soulever une nullité relative lorsqu'il s'agit de venir en aide aux
contractants les plus faibles. Ainsi, la Haute juridiction n'a pas
hésité, en matière de vices du consentement, à inviter le juge du fond
à relever d'office la nullité d'une transaction conclue sous la
contrainte(9). On ne saurait donc expliquer pourquoi il en irait
autrement en droit de la consommation. Le juge doit pouvoir relever
également d'office la nullité d'un contrat de consommation dès lors
qu'il y va de l'intérêt de la partie protégée par la règle non
respectée.
9. Sur le plan procédural, les articles 12 et 16 du
Code de procédure civile militent en faveur de la faculté laissée au
juge du fond de relever d'office la méconnaissance des règles
consuméristes. De même, l'article 472 du même code prévoit, dans son
alinéa 1er, que la défaillance du défendeur ne fait pas obstacle à ce
qu'il soit statué sur le fond. Toutefois, l'alinéa 2 de ce texte
ordonne au juge qu'il ne soit fait droit à la demande qu'à la condition
où il l'estime régulière, recevable et bien fondée. En d'autres termes,
la non-comparution du défendeur ne permet pas au juge de faire
l'économie d'examiner si les moyens allégués par le demandeur sont
justifiés.
10. Cette position de la Cour de cassation s'est
d'abord heurtée à la résistance des juges du fond(10). D'ailleurs,
c'est à l'occasion d'une question préjudicielle posée par un juge
d'instance français à la Cour de justice des communautés
européennes(11) que la réponse communautaire est venue contredire la
jurisprudence de la Cour de cassation. En effet, dans le droit fil de
l'arrêt Oceano du 27 juin 2000(12), rendu pour l'interprétation de la
directive sur les clauses abusives(13), la CJCE décide dans un arrêt du
4 octobre 2007(14) que la directive n° 87/102, telle que modifiée par
la directive n° 98/7, doit être interprétée en ce sens qu'elle permet
au juge national d'appliquer d'office les dispositions transposant en
droit interne son article 11, paragraphe 2. Il faut rappeler que le
juge français avait interrogé les juges européens sur la question de
savoir si le juge national a le pouvoir de relever d'office la
méconnaissance des dispositions relatives au crédit. La CJCE répond par
l'affirmative.
Elle s'est ensuite heurtée à une grande partie de
la doctrine et encore récemment lors des propositions formulées pour
les quatre-vingts ans de la Semaine Juridique par les professeurs G.
Raymond et G. Paisant qui se sont prononcés en faveur de la saisine
d'office du juge en droit de la consommation(15).
La Haute
juridiction est par ailleurs venue ouvrir une brèche dans le débat sur
l'interprétation de l'article 12 du Code de procédure civile dans un
arrêt d'Assemblée plénière en date du 21 décembre 2007(16). En effet,
en posant que mis à part les cas où la loi lui en fait obligation, le
juge n'est pas tenu de relever d'office un moyen de droit non
expressément invoqué par les parties, n'y a t-il pas la place à la
faculté pour le juge de relever un tel moyen dans ces conditions(17) ?
11.
Pour l'application des dispositions du Code de la consommation, le
débat a pris fin avec la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 qui consacre
désormais le pouvoir pour le juge de relever d'office toutes les
dispositions du Code de la consommation dans un nouvel article, à
savoir l'article L. 141-4 du Code de la consommation. Il sera
effectivement discuté de savoir si le juge civil pourra relever
d'office la méconnaissance de dispositions purement civiles. Mais il
est évident que la loi du 3 janvier 2008 vient de prendre le contre
pied de la jurisprudence de la Cour de cassation qui faisait l'objet
d'une véritable fronde de la part des juges du fond, de vives critiques
d'une grande partie de la doctrine et d'un désaveu de la part de la
CJCE. Si le juge était donc prisonnier de son impérieuse neutralité
dans le déroulement du procès consumériste, il est aujourd'hui libéré
du carcan de l'interdiction de relever d'office la méconnaissance des
dispositions du Code de la consommation.
Force est de reconnaî
tre que l'objectif du législateur est ailleurs ; il entend transformer
le juge en gardien de la loyauté des contrats de consommation.
B. Le juge, gardien de la loyauté des contrats de consommation
12.
Au regard du droit communautaire, la législation française sur le
crédit à la consommation n'est que la transposition en droit national
de la directive du Conseil n° 87/102/CEE du 22 décembre 1986 sur le
crédit à la consommation, modifiée par les directives du 22 février
1990 et du 16 février 1998.
Or, dans l'arrêt Oceano Grupo du 27
juin 2000, la CJCE a pris le soin de motiver sa décision sur la
nécessité du juge national de suppléer la carence du consommateur,
parce qu'il ignore qu'il peut soulever le caractère abusif d'une clause
contractuelle, dans des termes suivants : « L'objectif poursuivi par
l'article 6 de la directive, qui impose aux Etats membres de prévoir
que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs, ne pourrait
être atteint si ces derniers devaient se trouver dans l'obligation de
soulever eux-mêmes le caractère abusif de telles clauses. […] S'il est
vrai que, dans nombre d'Etats membres, les règles de procédure
permettent dans de tels litiges aux particuliers de se défendre
eux-mêmes, il existeun risque non négligeable que, notamment par
ignorance, le consommateur n'invoque pas le caractère abusif de la
clause qui lui est opposée. Il s'ensuit qu'une protection effective du
consommateur ne peut être atteinte que si le juge national se voit
reconnaî tre la faculté d'apprécier d'office une telle clause. […] Un
tel examen peut avoir un effet dissuasif concourant à faire cesser
l'utilisation de clauses abusives dans les contrats conclus avec les
consommateurs par un professionnel ».
C'est dire que le juge
national doit jouer un rôle actif dans l'examen des contrats de
consommation en déclarant toute clause abusive réputée non écrite non
seulement pour assurer une protection effective du consommateur mais
également pour moraliser les contrats de consommation.
Dans leur
commentaire de cet arrêt, les auteurs M. Carballo-Fidalgo et G. Paisant
écrivaient que : « partant de l'infériorité dans laquelle se trouve le
consommateur à l'égard du professionnel, la Cour fait d'abord valoir
que l'objectif poursuivi par la directive ne serait pas atteint si les
consommateurs devaient se trouver dans l'obligation de soulever
eux-mêmes le caractère abusif des clauses ; leur éventuelle ignorance
du droit doit pouvoir être compensée par l'intervention d'office du
juge ». L'argument frappe par sa généralité. Si le fait pour un
consommateur d'être en position d'infériorité à l'égard de son
cocontractant professionnel autorise le juge à statuer d'office en sa
faveur pour pallier son absence du prétoire ou son ignorance du texte
qui lui est favorable, la solution retenue en l'espèce par la CJCE doit
également valoir pour l'application de toutes les autres directives qui
protègent les consommateurs dans leurs rapports contractuels avec les
professionnels ; au nom de l'effectivité du texte communautaire, cette
interprétation pourrait donc prospérer(18).
13. C'est chose
faite avec l'arrêt du 4 octobre 2007 rendu par la CJCE sur le crédit à
la consommation(19). Pour autant, la CJCE apporte une meilleure
contribution à l'intervention d'office du juge national comme gardien
de la loyauté dans les contrats de consommation.
En effet, si en
matière de clauses abusives, la CJCE fait du juge national, un acteur
de l'application du droit communautaire dans la lutte contre les
clauses abusives en se fondant sur la nécessité de suppléer la carence
naturelle du consommateur pour se défendre et l'aspect dissuasif pour
le professionnel en sachant que le juge peut intervenir d'office pour
supprimer toute clause abusive, elle affine sa position dans l'arrêt du
4 octobre 2007 en soulignant que la directive sur le crédit à la
consommation poursuit un double objectif : assurer un marché commun du
crédit à la consommation et assurer la protection des consommateurs. Il
faut en déduire également que la distinction opérée par la Cour de
cassation entre ordre public de direction et ordre public de protection
est nettement affaiblie, sinon remise en cause. En effet, le premier
objectif relève de la régulation du marché, ce qui le range
inévitablement dans la catégorie des mesures d'ordre public de
direction(20).
14. Mais c'est surtout contribuer à assurer au
juge national le rôle de gardien de la loyauté des contrats de
consommation en vue de construire un marché vertueux(21). En bref,
l'objectif poursuivi par le juge national est double.
15. En
premier lieu, il doit participer à la prévention des risques du marché,
à savoir lutter contre les pratiques des professionnels qui
contreviennent au libre arbitre des consommateurs.
A la
possibilité de punir, le droit de la consommation préfère le plus
souvent celle de prévenir. Cela se traduit notamment par un
rééquilibrage des contrats d'adhésion qui élimine la possibilité pour
des professionnels de faire du contrat de consommation un instrument
pour renforcer déloyalement leur position sur le marché et par le souci
constant du législateur d'assurer l'égalité entre les parties en
permettant aux consommateurs de conclure en parfaite connaissance de
cause dans un marché transparent. Il est évident que la saisine
d'office du juge en droit de la consommation va permettre de suppléer
la carence des consommateurs qui ne sont pas concrètement à même de
faire valoir leurs droits, soit par ignorance, soit pour des raisons
économiques parce qu'ils n'ont toujours pas les moyens de se faire
assister par un avocat. Certes l'intervention du juge ne permettra
jamais de suppléer les vices de l'intelligence des consommateurs face à
l'imagination des professionnels et la puissance économique des
professionnels qui font conclure aux consommateurs de véritables
contrats d'adhésion.
16. En second lieu, il doit contribuer à se transformer en agent régulateur du marché.
En
effet, le droit de la consommation devient un instrument indispensable
à l'exercice de la libre concurrence. Cela explique que le droit de la
consommation soit également un droit de régulation et pas seulement un
droit de prévention. En d'autres termes, l'honnêteté contractuelle est
assurément le socle du droit du marché. Pour s'engager valablement
aujourd'hui, le contractant ne doit pas tricher avec la confiance de
l'autre. Le bon fonctionnement du marché commande la confiance des
partenaires économiques. Le contrat de consommation ne saurait ainsi
être un lien d'inéquité, ce qui transforme le droit de la consommation
en instrument de moralisation du marché.
17. Du juge militant,
critique souvent entendue parce que le droit de la consommation serait
un droit de défiance à l'égard des professionnels et un droit
infantilisant, le juge devient plus que jamais aujourd'hui un agent
régulateur. A l'heure où le monde de la justice pouvait penser que le
juge était suspecté de bien des maux, le législateur vient, au
contraire, lui faire confiance en lui accordant solennellement le droit
de relever d'office la méconnaissance de toutes les dispositions du
Code de la consommation et non seulement de celles applicables en
matière de clauses abusives ou de crédit à la consommation, et ce dans
un nouvel article du Code de la consommation, l'article L. 141-4(22).
Il
est notable de constater que cet article L. 141-4 du Code de la
consommation est issu d'un amendement sénatorial et se trouve présenté
comme une règle d'équité, commandé par le droit communautaire et rendu
nécessaire en raison de la position restrictive de la Cour de cassation.
Lorsque
l'on sait que cette réforme figure dans une loi pour le développement
de la concurrence au service des consommateurs… tout est dit. Le juge
français est bien perçu par le législateur comme un agent régulateur du
marché… ou du moins ce qu'il doit devenir. En tout état de cause, cette
mesure constitue une manifestation de la confiance du législateur dans
la consécration communautaire et nationale d'un rôle beaucoup plus
actif du juge en la matière.
18. Toutefois, pour justifiée qu'elle soit, la règle adoptée n'en demeure pas moins incertaine dans sa portée.
II. Une solution incertaine dans sa portée
Si
le juge va devenir un acteur de l'application du droit de la
consommation, il n'empêche que cela pose la question de la conception
plus ou moins interventionniste que se fera le juge de son rôle. Au
surplus, cela pose également la question de la sanction par le juge de
la méconnaissance des dispositions du Code de la consommation.
A. Sur le rôle du juge
19.
Il convient de rappeler la rédaction de l'article L. 141-1 du Code de
la consommation : « Le juge peut soulever d'office toutes les
dispositions du présent code dans les litiges nés de son application ».
La
portée de cette disposition sera sans doute discutée en doctrine et en
jurisprudence mais il est possible de tirer les premiers enseignements
suivants :
20. D'abord, s'il est exact que les juges du fond ont
eu bien du mal à faire la distinction en matière de droit à la
consommation entre règles d'ordre public de direction et celles d'ordre
public de protection, un problème fondamental subsiste : cela ne reste
qu'une faculté pour le juge. Nous voyons bien se dessiner un risque
potentiel entre le juge qui prendra soin d'observer une attitude
impartiale et neutre dans le procès de consommation et de ne statuer
que sur ce qui lui est strictement demandé – c'est le débat qui vient
d'être tranché par la Cour de cassation dans son arrêt d'Assemblée
plénière du 21 décembre 2007(23) – et le juge qui veillera à «
l'égalité des armes » dans le procès consumériste et à trancher les
litiges en évitant de méconnaî tre le droit d'une partie surtout
lorsque l'une des parties se trouve par exemple sans l'assistance d'un
professionnel. Ce risque est que les litiges de consommation fassent
l'objet d'un traitement différencié et donc inégal selon les juges,
entre les juges « pro-consommateurs » et les juges « pro-professionnels
».
En définitive, il revient au juge non pas d'être militant –
dans telle ou telle catégorie – mais gardien de l'effectivité du droit
de la consommation dans les rapports entre les consommateurs et les
professionnels. Ce n'est qu'à cette seule condition que personne ne
pourra lui objecter sa partialité. Finalement, la fonction du juge sera
une fonction de plus en plus arbitrale car le juge aura à arbitrer
entre les intérêts en présence et s'interroger sur l'opportunité de
relever d'office ou non la méconnaissance d'une disposition du Code de
la consommation. En bref, il devra apprécier si la méconnaissance est
suffisamment grave ou sérieuse – par exemple lorsque le consommateur
n'est pas assisté par un avocat car s'il l'est, il n'appartient pas,
selon nous, au juge d'apprécier la qualité de l'assistance d'une partie
par un professionnel du droit – pour relever d'office ou non
l'irrégularité commise par le professionnel. Cette faculté reste donc
discrétionnaire.
21. Ensuite, cette faculté accordée au juge
pour relever d'office la méconnaissance des dispositions du Code de la
consommation ne saurait constituer une faculté arbitraire. Il est
incontestable qu'en application de l'article 16 du Code de procédure
civile, un tel pouvoir ne peut se trouver à s'exercer que dans le
strict respect du principe de la contradiction. En se saisissant ainsi
d'office, le juge devra impérativement susciter sur le point qu'il
soulève le débat contradictoire entre les parties, sans d'ailleurs à
distinguer selon qu'elles sont ou non assistées d'un avocat. Sa
décision sur le fond ne peut être prise qu'à la suite de ce débat. Ce
n'est qu'une application traditionnelle de la jurisprudence de la Cour
de cassation s'illustrant plus particulièrement lorsque le juge
d'instance relève d'office la forclusion de l'action du prêteur en
matière de crédit à la consommation.
22. Enfin, le droit de
relever d'office la méconnaissance de toutes les dispositions du Code
de la consommation vise non seulement tout juge et non exclusivement le
juge d'instance, juge consumériste par excellence dans le traitement
des litiges de consommation, mais également toutes les dispositions du
Code de la consommation, ce qui dépasse le seul domaine des clauses
abusives et du crédit à la consommation.
Cela ressort de la lettre de
l'article L. 141-4 du Code de la consommation qui ne distingue pas
entre les juges mais emploie volontairement le terme de juge, ce qui
renvoie la compétence pour relever d'office la violation des
dispositions consuméristes à tous les juges qui ont à appliquer le
droit de la consommation.
De même, ce texte englobe toutes les
dispositions du Code de la consommation, comme champ d'intervention
d'office du juge.
Ainsi, le juge pourra notamment se saisir d'office de
la question des pratiques commerciales agressives qui font l'objet
d'une répression spécifique par la loi du 3 janvier 2008(24). De belles
discussions à venir auront certainement lieu sur l'intervention
d'office du juge pour savoir si l'action engagée doit avoir pour
fondement le défaut de conformité ou les vices cachés – cela pose la
question plus générale de l'articulation entre les dispositions
consuméristes et celles du droit commun qui sont normalement
complémentaires. C'est dire que le débat est loin d'avoir été tranché
par la Cour de cassation dans son arrêt du 21 décembre 2007.
23. Il convient de s'interroger maintenant sur la sanction applicable par le juge.
B. Sur la sanction applicable
24.
Le législateur français va plus loin que la solution préconisée par la
CJCE dans l'arrêt du 4 octobre 2007. En effet, la CJCE a refusé de
prendre en compte la possibilité pour le juge national de prononcer,
sur le fondement de la directive, une déchéance du droit aux intérêts.
25.
Or, nous pensons que si le juge relève d'office la méconnaissance d'une
disposition du Code de la consommation, on voit mal comment il ne sera
pas tenu automatiquement de sanctionner le comportement du
professionnel, par la nullité – y compris par la nullité virtuelle en
l'absence de sanction particulière prévue dans le Code de la
consommation – ou en matière de crédit par la déchéance du droit aux
intérêts ou la forclusion de l'action du prêteur.
Cela revient à
remettre en cause le principe dispositif selon lequel le juge ne peut
être tenu de renoncer à la passivité qui lui incombe en prononçant par
exemple la nullité d'un contrat de consommation alors qu'une telle
nullité n'est pas demandée par le consommateur.
26. Mais il nous
paraît évident que si le législateur français autorise le juge
national à relever d'office la méconnaissance de toutes les
dispositions du Code de la consommation, c'est forcément pour
sanctionner l'irrégularité commise par le professionnel. Si le juge
garde l'opportunité de soulever d'office telle ou telle irrégularité,
une fois qu'il a choisi de relever toute méconnaissance des
dispositions du Code de la consommation, il n'a d'autre possibilité,
semble-t-il, que de sanctionner le professionnel(25) en appliquant la
sanction prévue par le Code de la consommation et à défaut en
prononçant la nullité du contrat de consommation. En effet, la Cour de
cassation a maintes fois rappelé l'automaticité de la sanction en cas
de méconnaissance par un professionnel de dispositions d'ordre
public(26).
Rappelons encore que les exceptions sont
perpétuelles et les défenses au fond peuvent être invoquées à tout
instant. C'est dire l'importance du rôle du juge dans les litiges
opposant les consommateurs et les professionnels.
27. En
conclusion, l'avenir nous dira si le législateur a fait preuve de
sagesse en consacrant une revendication ancienne et forte provenant
surtout des juges d'instance qui souhaitaient intervenir plus
activement dans les procès consuméristes.
Nous nous bornerons à laisser aux lecteurs se poser les deux questions suivantes :
D'une
part, le droit de la consommation est-il subversif et si la réponse est
positive, c'est certainement parce que le lecteur pensera que la
solution dégagée par le législateur dans la loi du 3 janvier 2008 qui
confie au juge la défense des consommateurs risque de conduire à des
déséquilibres encore plus graves que s'il reste un acteur passif du
procès consumériste. Mais une autre réponse peut intéresser les
lecteurs de la revue faite avec beaucoup de nuances par le professeur
Henri Temple dans le liber amirocum consacré à Jean Calais-Auloy(27).
D'autre
part, l'intervention systématique du juge dans les litiges de
consommation ne va-t-il pas favoriser la folie processive en la matière
? Nous orienterons encore le lecteur à s'intéresser à l'article de
Madame Christine Hugon sur le consommateur de justice dans le même
ouvrage que précédemment.
Finalement, tout dépendra de l'éthique
du juge et de la conception qu'il se fera de sa fonction : militant en
ce sens que le consommateur est forcément le faible à défendre ou que
le professionnel doit être protégé contre une surprotection des
consommateurs, arbitre entre les intérêts du consommateur et ceux du
professionnel, gardien de valeurs qui ont pour racine les idées de
justice – Saint Thomas – et d'utilité – Bentham. En tout état de cause,
il sera difficile de revenir sur la décision du législateur français
car l'enjeu dépasse de loin les seuls intérêts de chacune des parties
en présence. L'enjeu est aujourd'hui communautaire…