DEBAT D'IDEE SUR LE PV DE TENTATIVE D'EXPULSION


Messieurs,

En suite de mon courrier du 22 février, j’ai assisté à une nouvelle réunion de la COMEX ce mardi 18 courant, à l’occasion de laquelle M. MAUPOINT, son Président, a évoqué les points soulevés par moi dans ledit courrier.

Malgré sa courtoisie et sa parfaite urbanité, j’ai eu le sentiment que ma démonstration n’avait pas totalement emporté sa conviction – d’autant plus que la représentante de l’ADIL argumentait en sens opposé – ce pourquoi je souhaite revenir sur certains points, de fait comme de droit, attendu qu’à mes yeux, l’exposé des diligences et des difficultés d’exécution (ancien PV de tentative d’expulsion) peut parfaitement être dressé en période hivernale.

Rappelons les textes qui régissent la matière pour n’y plus revenir :

1/ les articles 21 et 21-1 de la loi 91-650 du 9 juillet 1991, le premier précisant les conditions dans lesquelles un Huissier peut pénétrer dans un local fermé ou dont on lui refuse l’accès - sauf en matière d’expulsion - le second indiquant nonobstant que l’Huissier peut néanmoins recourir à ce premier texte pour constater la libération volontaire des lieux par la personne expulsée.

2/ l’article 50 du décret 92-755 du 31 juillet 1992, qui prévoit que si l’Huissier est dans l’obligation de requérir le concours, il adresse au Préfet une réquisition contenant outre une copie du dispositif du titre, un exposé des diligences auxquelles l’Huissier a procédé et des difficultés d’exécution.

3/ l’article L613-3 du CCH qui prévoit qu’il doit être sursis à toute mesure d’expulsion non exécutée entre le 1er novembre et le 15 mars de l’année suivante, (hors relogement des intéressés, cas des squatters, ou immeubles en état de péril).

A/ QUE DOIT-ON ENTENDRE PAR « TENTATIVE » ? ET CETTE « TENTATIVE » MET-ELLE EN PERIL LA SANTE ET LA SECURITE DES OCCUPANTS PENDANT LA PERIODE HIVERNALE ?.

· a/ L’ancienne procédure - antérieure à la loi du 9 juillet 1991 et au décret du 31 juillet 1992 - prévoyait que l’Huissier ne pouvait requérir le Concours de la Force Publique, qu’après avoir lui-même tenté de ramener à exécution le jugement d’expulsion, par une « tentative sérieuse », c'est-à-dire – à l’exclusion de la force ouverte - d’avoir essayé d’obliger les occupants à quitter les lieux. La simple force d’inertie des occupants étant toutefois suffisante pour prétendre à requérir le concours.

La Force Publique représentant la « Violence Légitime » selon l’expression classique, elle ne devait être requise qu’en dernier recours, tous les autres moyens épuisés à la diligence de l’Huissier.

Actuellement encore, et nonobstant ce qui suit, le Ministre de l’Intérieur tente de justifier le refus de concours par le fait que l’Huissier n'aurait pas « accompli de diligences suffisamment insistantes » pour qu'il puisse être regardé comme ayant été dans l'obligation de requérir la force publique (arrêt n°291410 du CE du 27 avril 2007)….

· b/ Dans le cadre d’un changement total de paradigme, avec la nouvelle procédure issue de la loi de 1991, l’huissier ne peut plus qu’implorer les occupants de partir, en essayant de les convaincre par des « diligences suffisamment insistantes », c'est-à-dire, en l’état du droit positif, par des arguments dénués de toute force, puisqu’aussi bien le pouvoir exécutif s’est réservé de décider ou non de l’expulsion, et en fait, de l’exécution d’une décision de justice.

Et ce dans des conditions, exorbitantes de celles du classique Arrêt Couitéas, pourtant actuellement devenues la norme.

Quelques bons esprits ont relevé que, les jugements étant rendus au nom solennel de la République Française, et la formule exécutoire énonçant clairement que :

La République Française mande et ordonne à tous Huissiers de Justice, sur ce requis, de mettre le présent jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis

il y avait là violation patente de la séparation des pouvoirs, le pouvoir exécutif s’arrogeant toute latitude pour forcer ou non l’exécution des jugements, dûment rendus par le pouvoir judiciaire…

· c/ Quoi qu’il en soit des controverses constitutionnalistes, il est manifeste que la « tentative d’expulsion » pour reprendre l’ancienne expression, plus parlante, ne peut jamais représenter une mesure violente, qu’elle ait lieu en période estivale comme en période hivernale.

Dès lors, il n’existe aucun argument de fait - ou de droit, au reste - pour proscrire ladite tentative en période hivernale, rappelant à cet égard que la prohibition des mesures d’expulsion en période hivernale n’a pour but louablement humanitaire que de ne pas chasser des gens dans la rue, lorsque les conditions météorologiques sont rudes.

La « trève des expulsions », pour reprendre l’expression usuelle ne peut concerner que les expulsions au sens strict, et le Conseil d’Etat, dans l’arrêt cité supra, la définit, au demeurant, comme « ces dispositions (qui) exigent des autorités de police qu'elles sursoient, au cours de cette période, à prêter le concours de la force publique en vue de l'expulsion d'un occupant sans titre ordonnée par l'autorité judiciaire ».

Si les mots ont un sens, et le vocabulaire juridique est suffisamment technique et précis pour justifier cette hypothèse, l’expulsion n’est donc que la violence légitime exercée par la Force Publique, requise par l’Huissier, à l’encontre d’un occupant sans droit ni titre, pendant la période légale.

Il relève donc du simple sens commun que la période hivernale ne peut représenter un délai supplémentaire, qui se surajouterait aux délais existants, au moins en ce qui concerne l’allongement des délais procéduraux.

En effet, si l’on se trouvait dans l’incapacité - au seul bon plaisir de l’Administration – de faire jouer les délais de procédure pendant la période hivernale, le bailleur dont la procédure se trouverait au stade d’un Commandement de Quitter les Lieux délivré le 1er septembre d’une année N, -compte tenu du délai de deux mois laissé à l’occupant pour quitter volontairement les lieux, ce qui n’arrive dans la pratique quasiment jamais -, ne pourrait faire pratiquer la tentative qu’au 15 mars de l’année N+1, au lieu du 2 novembre de l’année N, puisque ledit 2 novembre se trouve dans la période hivernale…

· Il n’y a donc aucun raison de proroger les délais de procédure de la durée de la période hivernale, sauf modification législative ou réglementaire à intervenir, auquel cas la Cour Européenne des Droits de l’Homme aurait certainement lieu à condamner derechef l’Etat français….

B/ POUR EN VENIR A L’ASPECT STRICTEMENT JUDICIAIRE DES CHOSES,

a/ je rappellerai maintenant les jurisprudences que j’avais antérieurement évoquées, qui valident la mal-nommée « tentative d’expulsion » pratiquée en période hivernale :

· 1/Arrêt de la Cour Administrative d’Appel de Paris 4° Chambre du 10 octobre 2000 :

« considérant qu’après une vaine tentative d’expulsion effectuée le 19 février 1997, l’Huissier instrumentaire a requis le 24 février le concours de la Force Publique qui ne fut pas accordé ; qu’en se fondant sur ce refus de prêter main-forte, le TA a considéré que la responsabilité de l’Etat était engagée…. »

· 2/Arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 25 mars 2003 :

« considérant qu’il appartient à celui qui se prétend libéré d’en justifier ; que M. EL Y… soutient avoir remis les clés spontanément fin janvier 2002 ; que cette affirmation est contredite par une tentative d’expulsion de Me Venezia en date du 25 janvier 2002 qui a constaté que les lieux étaient toujours occupés… »

Dans mon précédent courrier, une erreur de plume a attribué ce deuxième arrêt à la Cour Administrative d’Appel, quand il s’agissait en fait de la Cour d’Appel Judiciaire (je visais en réalité un arrêt de la Cour d’Appel Administrative de Paris 4° chambre également, du 9 mai 2001 n°96PA02822, qui évoquait des tentatives d’expulsion des 3/12/1990 et 21/1/1991)

· Cette erreur– felix culpa – permet néanmoins de constater que les Cours d’Appel de l’ordre judiciaire, pas davantage que celles de l’ordre administratif, ne condamnent les tentatives d’expulsion en période hivernale.

b/ J’effectuerai maintenant, dans le cadre d’un raisonnement par analogie, un rapprochement avec la question de la réquisition du concours de Force Publique en période hivernale :

Une circulaire fort ancienne la proscrivant, l’Administration s’y retranchait, soutenue par la représentante de l’Adil, qui m’indiquait verbalement en février dernier encore - après que j’aie communiqué à Madame le Préfet l’arrêt du Conseil d’Etat du 27 avril 2007 - que les autres arrêts que j’avais précédemment cités (9/2/2005 et 27/7/2005), n’étaient pas aussi univoques que je le prétendais, et qu’il ne s’agissait que de « considérants »….

J’ai répondu, par ailleurs, sur la valeur de la notion de « considérant » (voir ci-joint).

Nonobstant, pour qui veut prendre la peine de relire les deux arrêts dont s’agit, il est d’une évidence à crever des yeux non prévenus que, dès lors que les condamnations reposent sur des réquisitions déposées respectivement en janvier et en février, les réquisitions de FP en période hivernale sont bien licites, le lien de causalité, entre la date des réquisitions et le point de départ du délai après lequel la responsabilité de l’Etat est engagée, étant déterminé sans équivoque possible, voir infra :

1/ Conseil d’État

statuant

au contentieux

N° 259823

Inédit au Recueil Lebon

Lecture du 9 février 2005

Considérant que la seule circonstance que la SNC MOULIN DE LA POINTE a déposé plainte dès juillet 1994 pour violation de domicile à la suite de l’occupation par des occupants sans droit ni titre des bâtiments dont elle était propriétaire au 10, rue Moulin de la Pointe à Paris (13ème arrondissement), ne permet pas, en l’absence d’autres éléments, de tenir comme établi que l’administration ait, en l’espèce, commis une faute de nature à engager sa responsabilité en n’intervenant pas dès cette date ; que la requérante n’a sollicité que le 26 janvier 1996 le concours de la force publique pour l’exécution de l’ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris du 2 mars 1995 ordonnant l’expulsion de ces occupants sans droit ni titre ; qu’il en résulte que la responsabilité de l’Etat est engagée à partir du 26 mars 1996, soit deux mois après que la société a présenté une première demande de concours de la force publique, et jusqu’au 23 octobre 1997, date à laquelle les lieux ont été libérés avec le concours de la force publique ;

2/ Conseil d’État

statuant

au contentieux

N° 264179

Inédit au Recueil Lebon

Lecture du 27 juillet 2005

Sur la responsabilité de l’Etat et la période indemnisable :

Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution : L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. et Mme YX ont sollicité le 11 février 1998 le concours de la force publique pour l’exécution de l’ordonnance du juge des référés du tribunal d’instance de Pantin en date du 18 juin 1997 ; que le préfet de la Seine-Saint-Denis n’a pas donné suite à cette demande ; que par suite, la responsabilité de l’Etat est engagée à partir du 11 avril 1998, soit deux mois après que M. et Mme YX ont présenté une première demande de concours de la force publique, et jusqu’au 24 octobre 2003, date à laquelle le dernier mémoire de M. et Mme YX a été enregistré au greffe du tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

· Malgré cette évidence criante, il aura fallu - pour vaincre le mauvais vouloir administratif, et les positions retranchées de l’ANIL/ADIL qui se pose volontiers en Juge de la légalité des procédures - l’arrêt de la section du Contentieux du Conseil d’Etat, 5° et 4° section réunies, en date du 27 avril 2007 qui énonce avec la plus grande fermeté que les dispositions de l’article L613-3 du CCH, « ne font pas obstacle à ce que l’administration soit valablement saisie pendant cette même période (hivernale) d’une demande de concours de la force publique ».

C/ CONCERNANT MAINTENANT UN POINT TRES SECONDAIRE, et n’ayant qu’un rapport assez ténu avec la question en cours : la représentante de l’ADIL, lors de la dernière Comex du 18 mars – et évoquant un dossier traité par elle - indiquait que, bien que le demandeur se soit désisté de son action pardevant le Tribunal d’Instance de Mâcon, le défendeur, conseillé par elle, avait l’intention de présenter une demande reconventionnelle au titre de « l’indécence », et que l’instance ne pouvait prendre fin qu’avec l’accord du défendeur. Elle entendait donc que l’affaire soit appelée à la prochaine audience.

Sur quoi, tout en n’ayant aucune part à l’affaire - et souhaitant simplement éviter à ma voisine de table une erreur fâcheuse - je lui ai indiqué qu’elle s’abusait quant à la règle procédurale, et qu’entre autres, une jurisprudence récente de la Cour de Cassation établissait de façon particulièrement solennelle dans le cadre d’un arrêt de principe (de cassation sans renvoi) que « le désistement du demandeur produit immédiatement son effet extinctif, même en présence d’une demande reconventionnelle, et même si le défendeur refuse le désistement ».

· Ma contradictrice – qui me lit en copie - manifestant clairement une incrédulité assez blessante, je lui ai précisé que je lui communiquerais les références de l’arrêt, qui sont les suivantes : Cour de Cassation, 2° chambre civile, 12 octobre 2006, n° de pourvoi 05-19096.

A Dieu ne plaise l’idée, pour moi, de révoquer en doute les qualifications de cette contemptrice de « considérants », puisqu’aussi bien, et selon la présentation de l’ADIL sur son site Internet, les collaborateurs de cette association se trouvent être, statutairement, « de haut niveau ».

« Vexatio aperit intellectum », disait l’antique sagesse….

Pour terminer, et rappeler sans se lasser les fondamentaux trop souvent méprisés, il importera de ne pas mettre sous le boisseau les décisions solennelles énoncées infra :

a/ Décision de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) du 15 novembre 2002 (1° section affaire Cau/Italie) "le droit à un tribunal garanti à l'article 6 (de la Convention Européenne des Droits de l'Homme) protège également la mise en œuvre des décisions judiciaires définitives et obligatoires lesquelles, dans un Etat qui respecte la prééminence du droit, ne peuvent rester inopérantes au détriment d'une partie. Par conséquent, l'exécution d'une décision judiciaire ne peut être retardée d'une manière excessive."

b/ la même CEDH (Arrêt n°62740/00 du 31 mars 2005 Matheus c/France) a derechef condamné l’Etat Français pour n’avoir pas accordé le concours de la Force Publique à un justiciable qui avait obtenu une décision de justice ordonnant l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre.

c/ enfin, et surtout, le Conseil d'Etat, dans une décision du 21 novembre 2002 (requête n°251726) a disposé que "le droit de propriété a pour corollaire la liberté de disposer d'un bien ; que le refus de concours de la force publique pour assurer l'exécution d'une décision juridictionnelle ordonnant l'expulsion porte atteinte à cette liberté fondamentale."