
Délais de prescription modifiés : incidences sur les comptes
La
réforme du régime de la prescription issue de la loi 2008-561 du 17
juin 2008 a une incidence importante sur la vie des entreprises. Elle
peut également avoir des répercussions sur différents postes comptables
tels que les créances et les dettes ainsi que les provisions.
Présentation du régime
Outre
une harmonisation plus importante des délais de prescription et la
possibilité, dans certains cas, de recourir à des aménagements
contractuels, cette loi, dont les modalités d'application vous sont
présentées, se caractérise, en règle générale, par une réduction de
nombreux délais de prescription.
Les nouveaux délais de prescription
Le
délai de la prescription extinctive de droit commun en matière civile,
c'est-à-dire celui qui s'applique à défaut de dispositions
particulières, est réduit de trente ans à cinq ans (c. civ. art. 2224
nouveau). Par ailleurs, le délai de prescription de droit commun en
matière commerciale pour les obligations nées à l'occasion de leurs
opérations de commerce ou entre commerçants et non-commerçants est
désormais de cinq ans si ces obligations ne sont pas soumises à des
prescriptions spéciales plus courtes (c. com. art. L 110-4
modifié).Parmi les délais intéressant plus particulièrement les
entreprises, nous signalons les suivants.

Application du dispositif dans le temps
Principe - Les dispositions de la loi sont entrées en vigueur depuis le 19 juin 2008.
Celles
qui allongent la durée d'une prescription s'appliquent lorsque le délai
de prescription n'est pas encore expiré à la date du 19 juin 2008 et
pour le calcul de ce délai, il est tenu compte de celui qui est déjà
écoulé.
Par ailleurs, la réduction de la durée de la
prescription s'applique aux prescriptions à compter de cette même date,
sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi
antérieure.
Exemple :
Une entreprise a fait appel à un
huissier pour constater la destruction de machines en janvier 2007. Ce
dernier n'a toujours pas envoyé sa facture. Du fait de la loi, la
prescription antérieure de deux ans est portée à cinq ans en ce qui
concerne les frais de notaires et huissiers de justice (loi du 24
décembre 1897, art. 2 modifié). L'huissier pourra réclamer son dû
jusqu'en 2012 (et non jusqu'en 2009).
En pointant ses comptes en
2008, une entreprise s'aperçoit qu'elle a réglé deux fois un
fournisseur pour une livraison de 2005. Auparavant, elle pouvait
exercer une action en justice pour réclamer son dû jusqu'en 2015.
Désormais, elle dispose d'un délai de cinq ans pour agir à
compter du 19 juin 2008, soit jusqu'en 2013.
Si en revanche, ce
double règlement a été effectué en 2000, l'entreprise avait auparavant
jusqu'en 2010 pour exercer une action en justice. En application des
nouveaux textes, c'est également jusqu'en 2010 (et non jusqu'en 2013)
qu'elle pourra exercer une action pour réclamer sa créance.
Incidence
sur les actions en cours - Lorsqu'une instance a été introduite avant
la date d'entrée en vigueur de la loi, ce sont les anciens délais de
prescription qui s'appliquent.
Modalités de calcul du délai
Point
de départ de la prescription - Il existe désormais une disposition
générale qui prévoit que la prescription court du jour où le titulaire
du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant
d'exercer son droit (c. civ. art. 2224). Cette formulation laisse donc
une marge d'appréciation importante aux juges.
Toutefois, dans
certaines situations, il est prévu un point de départ différent ; dans
ce cas, il est expressément indiqué dans le texte de loi (notamment en
ce qui concerne l'action en responsabilité pour un dommage corporel).
Suspension
ou interruption de la prescription - Les règles relatives à la
suspension ou à l'interruption de la prescription sont désormais
codifiées ainsi que les causes de l'effet suspensif ou interruptif (c.
civ. art. 2230 à 2246 ). À ce titre, signalons que la suspension arrête
temporairement le cours de la prescription sans effacer le délai déjà
couru, alors que l'interruption efface le délai de prescription acquis
et fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien.
Remarque :
La
loi introduit un délai butoir au-delà duquel toute action devient
impossible (sauf exceptions). Ainsi, le report du point de départ, la
suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour
effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt
ans à compter du jour de la naissance du droit (c. civ. art. 2232).
Aménagement contractuel du délai
Les
possibilités - Des aménagements conventionnels entre les parties sont
possibles en ce qui concerne les délais de prescription, sans toutefois
pouvoir dépasser dix ans ni être réduits à moins d'un an. Les parties
peuvent également prévoir des cas particuliers de suspension ou
d'interruption de la prescription.
Les exceptions - Les
aménagements du délai de prescription par les parties ne sont pas
autorisés dans les cas suivants (c. civ. art. 2254) :
- les
actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente,
pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts de
sommes prêtées ;
- les actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts.
Par
ailleurs, ces aménagements sont également interdits dans les contrats
conclus entre un professionnel et un particulier (c. consom. art. L.
137-1) et dans les contrats d'assurance.
Enfin, la prescription relative à une action en réparation d'une discrimination ne peut être aménagée (c. trav. art. L. 1134-5).
Incidences principales sur les comptes
Principe
Tant
que les délais d'action en justice ne sont pas prescrits, il n'est pas
possible, en principe, de faire disparaître du bilan une dette ou une
créance (en ce sens, rép. Sergheraert, n° 24896, JO 28 avril 1980, AN
quest. p. 1743). Ce n'est qu'au terme du délai de prescription que
l'entreprise est autorisée à enregistrer en charges sa créance (sauf à
prouver qu'elle est définitivement irrécouvrable avant cette date) ou
en produits sa dette.
Application sur les principaux postes comptables
Postes d'actifs
->
Créances clients. La portée de la réforme aura un impact important sur
les actions en recouvrement des créances, notamment relatives aux
consommateurs.
En raison du délai de prescription plus court,
les entreprises devront prendre un soin particulier au suivi de leur
poste clients, notamment pour les impayés existants (ce qui suppose un
pointage régulier des comptes clients).
Exemple :
Un
professionnel a effectué un remplacement de chaudière chez un
particulier en juillet 2008. En cas de non-paiement de sa facture, ce
professionnel disposera seulement de deux ans pour récupérer sa
créance. Il doit donc être diligent et assigner en justice le mauvais
payeur et ce, au plus tard, en juin 2010 afin de ne pas courir le
risque de perdre sa créance.
-> Autres créances : avoirs à
recevoir. En cas de litige sur une marchandise reçue et dans la mesure
où le fournisseur reconnaît son erreur, l'information doit vite
remonter au service comptable, car l'entreprise n'a plus qu'un délai de
5 ans pour obtenir le règlement de cet avoir.Postes de passifs
->
Dettes fournisseurs . Les dettes dues à compter du 19 juillet 2008 et
non réclamées pourront, dès 2013, être soldées par un compte de
produit. Par ailleurs, pour les dettes non réclamées antérieures à
cette date, le raccourcissement du délai de prescription commerciale
aura pour conséquence en général de pouvoir constater en profit plus
rapidement les sommes non réclamées.
-> Dettes vis-à-vis des
salariés . La réduction de la durée de prescription de droit commun
peut avoir des répercutions sur certaines demandes, celles notamment
relatives à des actions pour le paiement de sommes qui n'ont pas la
nature de salaires. En effet, de telles actions se prescrivent
dorénavant comme pour les salaires, c'est-à-dire sur cinq ans.
Exemple :
Au
passif du bilan d'une entreprise figure, depuis 2002, une dette
vis-à-vis d'un ex-salarié au titre d'une indemnité pour rupture de
contrat sans que cette personne se soit manifestée. Théoriquement cette
dette devait demeurer au passif du bilan jusqu'en 2032. Du fait de la
nouvelle prescription, l'entreprise sera autorisée en 2013 (cinq
ans à partir du 19 juin 2008) à passer cette dette en profit si
l'ex-salarié n'a entrepris aucune démarche.
-> Participation
des salariés. La prescription trentenaire applicable aux sommes dues au
titre de la participation est désormais remplacée par une prescription
quinquennale.
Rappelons préalablement que les sommes non
réclamées au titre de la participation ne peuvent constituer un profit
pour l'entreprise, peu importe le délai de prescription (CNCC, bull.
107, septembre 1997, p. 460). En effet, ces sommes sont, à partir d'un
certain délai, soit versées à la caisse des dépôts et consignations,
soit conservées par le fonds gestionnaire et ne peuvent pas en principe
revenir à l'entreprise (c. trav. art. D. 3324-37 et art. D 3324-38).
En
revanche, la modification du délai de prescription peut avoir une
incidence en cas de nonrespect de cette obligation et de ses modalités
d'application. Ainsi, une société soumise à cette obligation qui
n'aurait pas conclu d'accord de participation, ou encore qui n'aurait
pas versé en totalité les sommes dues en raison d'erreurs (calcul
erroné, intérêts de retard non pris en compte, mauvaise
répartition...), va voir ses risques diminuer en raison de la réduction
du délai de prescription. En effet, les éventuelles demandes de
régularisation des personnes intéressées courent désormais sur un délai
de cinq ans et non plus de trente ans.
-> Provisions. Lorsque
les entreprises ont identifié un risque à la clôture de l'exercice et
que les conditions de comptabilisation d'un passif sont réunies (PCG
art. 312-1), elles doivent constituer des provisions. Les litiges en
cours, susceptibles de conduire à des actions en responsabilité ou en
nullité (d'un contrat par exemple) à l'encontre d'une société, peuvent
conduire cette dernière à constituer des provisions. Il en est de même
pour des risques prud'homaux (par exemple, pour un licenciement abusif).
La
réduction du délai de prescription de droit commun en matière civile à
cinq ans peut constituer un avantage pour les entreprises. En effet,
tant que les intéressés n'ont pas engagé d'actions (en justice, en
médiation ou en conciliation) permettant d'interrompre ou de suspendre
la prescription, les entreprises ont un risque qui court sur cinq ans
et non plus sur trente ans. Ainsi, si aucune action est engagée au bout
de cinq ans, l'entreprise sera autorisée à reprendre en résultat sa
provision car elle n'aura plus d'objet, le délai de prescription étant
atteint (PCG art. 312-10).
-> Cas particulier : les actions
en réparation d'un dommage à l'environnement . Les entreprises doivent
prendre conscience du risque environnemental encouru en raison de leur
activité. En effet, la prescription longue de trente ans, qui court à
compter du fait générateur du dommage, doit conduire les entreprises à
identifier les risques potentiels que leur activité fait courir sur
l'environnement.
Par ailleurs, le principe « pollueur-payeur »
posé par la loi relative à la responsabilité environnementale (loi
2008-757 du 1er août 2008) va accroître le risque pour les entreprises
de voir engager leur responsabilité au titre des dommages causés sur
l'environnement. En effet, il a été retenu une définition large pour la
notion de dommage qui correspond aux détériorations directes ou
indirectes mesurables de l'environnement (sur la santé humaine, la
faune et la flore sauvage, les sols et les eaux...).
Enfin,
signalons que seront tenus de réparer le préjudice causé à
l'environnement, même en l'absence de faute ou de négligence, les
exploitants de certaines activités professionnelles dont la liste sera
fixée par décret (loi 2008-757 précitée, art. 1).
Dans ce
contexte, les entreprises seront amenées, à l'avenir, à constituer de
plus en plus de provisions au titre de dommages causés sur
l'environnement, d'autant plus que les risques encourus portent sur une
période de trente ans à compter du fait générateur du dommage.