BAILLEURS ET LOCATAIRES AGES
(L. 1989, art. 15‑III)
Par Béatrice VIAL‑PEDROLETTI
‑ Déjà protégé dans son droit au logement par la
loi du 6 juillet 1989, le locataire bénéficie d'une « surprotection » lorsqu'il
est âgé de plus de 70 ans et de ressources modestes. Cette catégorie de la
population particulièrement vulnérable en raison de sa faiblesse physique et
économique fait l'objet d'une attention particulière du législateur, exprimée
dans l'article 15‑III. En application de ce
texte, le bailleur ne peut refuser le renouvellement du bail aux personnes
âgées, sauf à leur proposer un nouveau logement correspondant à leurs besoins
et à leurs possibilités ou sauf s'il est lui‑même âgé ou de ressources
modestes.
Cette disposition légale a généré un important
contentieux qui a permis aux tribunaux d'apporter des précisions sur les
conditions d'application du texte.
‑ Certaines zones d'ombre demeurent pourtant,
comme celle du domaine de la protection légale. Joue‑t‑elle dans
tous les cas de figure, c'est‑à‑dire quelque soit le motif de congé du bailleur ou faut‑il
l'exclure lorsque le refus de renouvellement est fondé sur un motif
légitime et sérieux, particulièrement lorsque le preneur n'exécute pas ses
obligations ? Dénoncée par la doctrine, cette difficulté n'a été tranchée par
aucune décision. A s'en tenir aux termes de l'article 15‑III qui n'opère
aucune distinction, il semble que le locataire âgé doit être protégé même dans
ce dernier cas, malgré l'absurdité de la solution. Le bailleur conserve
toujours la possibilité de mettre fin au bail en demandant la résiliation du
bail, assez aléatoire il est vrai en raison des pouvoirs accrus des juges.
‑ La jurisprudence a en revanche apporté de
nombreux éclaircissements sur les conditions d’âge et de ressources ainsi que
sur la proposition de relogement du bailleur. Mais tout n'est pas réglé et
certains points restent controversés, comme celui de l'appréciation de l'âge du
bailleur dans une indivision.
‑ CONDITION
DE RESSOURCES DU LOCATAIRE ÂGÉ
‑ L’article
15‑III indique que les ressources annuelles du locataire âgé doivent être
inférieures à une fois et demie le montant annuel du salaire minimum de
croissance. C'est à cette condition, cumulée avec la condition d'âge, que le
locataire sera protégé. Cette exigence insuffisamment précisée par le
législateur a été à l'origine d'un certain nombre de difficultés pratiques.
‑ La première difficulté a concerné la nature des ressources prises en compte,
non définie par l'article 15. La jurisprudence a considéré qu'il ne devait
s'agir en principe que des seules ressources régulières dont dispose le preneur
(Cass. 3e civ., 28 mai 1997). Ne doivent donc pas être
comptabilisés les aides familiales épisodiques et ponctuelles (CA Paris, 22 mai
1991: Rev. loyers 1991, p. 324) ou les sommes
spontanément et libéralement versées par des tiers, même de façon régulières
(CA Versailles, 4 oct. 1995: D.S. 1996, somm., p.
370) dans la mesure où cette aide peut cesser à tout moment. Les gains
exceptionnels, tels que ceux provenant de la vente de fonds communs de
placement (Cass. 3, civ., 28 mai 1997, précité) ne
sont pas non plus inclus dans les ressources du locataire. En revanche, la Cour
de cassation a estimé que les revenus de capitaux mobiliers devaient être pris
en compte (Cass. 3ème civ. 29 nov. 1995 ),
bien que leur perception puisse être très variable, voire inexistante d'une
année sur l'autre.
‑ La Cour de cassation a
également confirmé que les ressources à prendre en compte étaient « celles
déclarées à l'administration fiscale avant tout abattement ou déduction, aucune
disposition légale ou réglementaire ne prescrivant que ces ressources doivent
être entendues comme « revenu net imposable » (Cass. 3ème civ.,
18 févr. 1998). Ce sont donc les ressources annuelles brutes qui serviront de
référence, la loi n'envisageant pas, contrairement à d'autres textes (cf. le
décret du 12 juin 1987 pris en application de l'article 29 de la loi du 23
décembre 1986), la prise en compte du revenu net imposable.
‑ Il a fallu également déterminer l'année de référence pour le calcul de ces
ressources. ‑ L'article 15‑HI disposant que les ressources sont appréciées à la date de notification du congé, il
paraissait logique de considérer les ressources perçues au cours des douze mois
précédant cette date. C'est d'ailleurs cette solution qui a été adoptée par la
cour d'appel de Paris (CA Paris, 21 févr. 1995). Mais il est à noter qu'une
réponse ministérielle (Rép. min. n° 49036.‑ JOAN Q 20 janv
1992, p. 306) a pour sa part estimé qu'il fallait se référer à la dernière
année civile écoulée, transposant la règle prescrite par l'article 1" du
décret du 12 juin 1987 précité. Un arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre
1997 (arrêt Barrié n° 1733, cité par J. Lafond, Congédiement du locataire : JCP N 1998, p. 651) n'a
pas non plus condamné cette deuxième méthode de calcul dans une affaire où le
bailleur avait notifié congé à son locataire le 12 octobre 1990 et obtenu sa
validation au motif que ses ressources pour l'année 1989 (déclarées en 1990)
étaient supérieures au seuil légal. Sur pourvoi du preneur qui reprochait à la
décision de ne pas avoir apprécié les ressources du 12 octobre 1989 au 12
octobre 1990, la Cour a rejeté le pourvoi, observant que les juges avaient
statué au vu des éléments produits par le locataire. Au vu de cette réponse, le
problème reste non tranché et les deux techniques de calcul sont a priori concevable. Mais le preneur devrait pouvoir exiger un calcul
de l'année « de quantième à quantième », plus conforme au texte et à l'esprit
de la loi de 1989, chaque fois qu'il y trouve intérêt (en ce sens, J. Lafond, art. prée. p. 652).
‑ Enfin, le calcul
des ressources en cas de pluralité de locataires est sans doute la question
la plus délicate que la jurisprudence ait eu à résoudre car dans le silence des
textes, trois modes de calcul étaient a priori concevables. Le premier consiste
à apprécier séparément les ressources de chacun, ce qui a
pour conséquence de faire jouer la protection dès lors que l'un des locataires
se trouve en deçà du seuil légal, même si le cumul dépasse le plafond. Le
deuxième prend en compte la moyenne des ressources cumulées des colocataires.
Le troisième mode de calcul consiste à additionner les revenus annuels des co preneurs. Cette dernière possibilité, qui est très défavorable
au locataire puisque le plafond au delà duquel cesse la protection sera plus
rapidement atteint qu'avec les deux autres systèmes,
a été retenue par le législateur pour l'application de
l'article 22 bis de la loi du 1" septembre 1948 et de l'article 29 de la
loi du 23 décembre 1986. Mais faute de précision équivalente dans la loi de
1989, la Cour de cassation n'a pas transposé ce système de calcul pour
l'application de l'article 15. Elle a précisé que les ressources de chaque
colocataire devaient être appréciées séparément (Cass. 3, civ, 15 juin 1994). Cette
appréciation individuelle des ressources est justifiée par la lettre de
l'article 15, le terme « tout locataire » signifiant chaque locataire parmi
l'ensemble de ceux‑ci.
‑ Le texte ne visant que le locataire et non
l'occupant, la jurisprudence a également refusé
d'additionner les ressources des personnes vivants en permanence avec le
preneur avec les siennes, comme le prévoit par ailleurs les textes précités de
la loi de 1948 et de 1986. Ainsi la cour d'appel de Paris a t‑elle décidé
que les revenus de la fille du locataire, qui ne dispose d'aucun titre locatif
sur les lieux loués, ne peuvent être pris en compte dans le calcul du montant
des ressources du preneur sans ajouter à la loi (CA Paris 6' ch. B, 27 mars /997).
‑ Lorsque la Cour de
cassation a pris position par son arrêt de 1994 pour le principe du calcul
séparé des ressources en cas de pluralité de locataires, la doctrine s'est
interrogée sur la portée de cette solution, rendue à propos d'une co titularité conventionnelle.
Valait‑elle pour tous les cas de co titularité et particulièrement dans l'hypothèse d'une co titularité légale entre époux ? Dans les
décisions rendues postérieurement, les juges du fond n'ont pas voulu étendre
cette méthode de calcul aux époux, lui préférant la méthode de la moyenne qui
rend il est vrai mieux compte de la communauté d'existence entre époux. Chacun
jouissant de la moitié des ressources du ménage, il semble plus logique
d'apprécier ces ressources dans leur globalité avant de diviser le montant
obtenu par deux.
Mais conduite à prendre récemment parti sur la méthode
de calcul des ressources des locataires mariés, la Cour de cassation a condamné
ce raisonnement (Cass. 3ème civ., 18 fëvr. 1998 ), relevant que l'article
15 faisait référence aux ressources du locataire « sans égard à la destination
de celles‑ci et sans prévoir d'abattement en raison de la situation
familiale du preneur ». Le plus notable est qu'elle n'a pas appliqué aux époux
le principe de l'appréciation séparée des ressources issu de sa jurisprudence
de 1994, préférant prendre en considération la totalité des ressources, c'est‑à‑dire
la troisième méthode de calcul évoquée. Ce choix s'explique peut être par les
circonstances de l'espèce, le mari seul disposant de ressources. Dans ce cas de
figure en effet, l'appréciation individuelle des revenus paralyserait trop
facilement le droit de reprise du bailleur, l'épouse étant nécessairement en
deçà du seuil légal. Il reste que cet arrêt est critiquable car il ne tient pas
compte du titre locatif personnel dont bénéficie l'épouse en vertu de l'article
1751 du Code civil.
‑ CONDITION
D'ÂGE DU BAILLEUR
‑ La protection du locataire cesse lorsque le
bailleur est lui même âgé de plus de soixante ans ou de ressources modestes,
les conditions n'étant plus ici cumulatives mais simplement alternatives.
Conformément à ce que prévoit littéralement l'article 15‑111, alinéa 2,
les tribunaux sont venus confirmer que ces deux conditions sont appréciées en
la seule personne du bailleur. Plusieurs fois affirmée sous l'empire de la loi
du 22 juin 1982 (Cass. 3e Civj~, 16
déc. 1987), la solution a été rappelée au visa de la loi de 1989 (CA Paris 6' ch. A, 3 avr. 1996). Ainsi, peu importe que la reprise soit effectuée au profit d'un
bénéficiaire dont l'âge est inférieur à 60 ans ou dont les ressources sont
supérieures au minimum légal. Ces deux circonstances sont indifférentes au
regard du texte.
‑ Décès du
bailleur. – L’âge du bailleur s'apprécie à la date d'échéance du contrat,
comme le prévoit l'article 15‑III alinéa 3. En application du texte, la
jurisprudence en a déduit que la condition d'âge fixée par la loi fait défaut
lorsque le bailleur qui a délivré congé sans offre de relogement décède entre
la date de notification du congé et celle d'échéance du bail .
‑ L'application de la condition d'âge dans une indivision‑. Les tribunaux sont
hésitants lorsqu'il s'agit d'apprécier l'âge du bailleur dans une indivision.
La question est de savoir si, en cas de pluralité de bailleurs, il suffit pour
la validité du congé donné sans offre de relogement qu'un seul des co indivisaires soit âgé de plus de soixante ans ou s'il
faut exiger de l'ensemble des propriétaires qu'il respecte cette condition
d'âge. Elle a plusieurs fois été posée aux tribunaux et peut d'ailleurs être
formulée en des termes identiques à propos de la condition de ressources. A ce
propos, la Cour de cassation a d'ailleurs pris position en cassant un arrêt qui
avait annulé un congé en retenant qu'il avait été donné non par une personne
physique âgée de plus de 60 ans mais par des propriétaires indivis. Elle
considère que les juges auraient dû rechercher, comme il leur était demandé, si
l'une au moins des co bailleresses ne disposait pas
de ressources annuelles inférieures au seuil légal (Cass. 3ème civ., 1er mars 1995).
Bien que cette solution soit transposable à la question
de l'âge, une controverse existe sur ce point. Un arrêt de la Cour d'appel de
Paris (P ch. A, 4 déc. 1996 préc.) a bien décidé que la condition
d'âge n'avait à être respectée que par un seul des propriétaires mais cette
tendance n'est pas dominante. D'autres décisions ont au contraire considéré
que, dans une indivision, tous les propriétaires devaient être âgés de plus de
soixante ans (CA Orléans, 16 oct. 1996.
Cette application rigoureuse de la condition d'âge dans
une indivision est critiquable car il n'y a aucune raison de traiter plus mal
le bailleur en indivision que le bailleur unique. Au contraire, ce serait
respecter l'article 13 de la loi de 1989 que de permettre à « tout membre de
l'indivision » d'invoquer les dispositions de l'article 15. Un argument de
cohérence s'y ajoute. relatif à la solution prise à
propos des locataires. La condition de ressources (Cass. 3, civ., 15 juin 1994, préc.) et d'âge étant appréciée séparément en cas de
pluralité de locataires, la même règle doit valoir pour les bailleurs. D'autant
qu'en prévoyant une contre exception en faveur du bailleur de plus de soixante
ans, le législateur a clairement manifesté sa volonté de privilégier dans ce
cas de figure les intérêts du propriétaire sur ceux du locataire : le bailleur
de soixante ans l'emporte sur le locataire de soixante dix ans et la
particularité de l'indivision n'y change rien. Autant de raisons qui laissent à
prévoir une cassation à court terme des décisions en sens contraire.
‑ L'OFFRE DE RELOGEMENT
‑ Le deuxième moyen pour le bailleur de mettre un
terme au bail malgré l'âge et les conditions de ressources de son locataire est
de lui proposer un local de remplacement correspondant à ses besoins et à ses
possibilités et dans les limites géographiques prévues à l'article 13 bis de la
loi du 1" septembre 1948. De cette manière la loi prend en compte les
intérêts du propriétaire sans méconnaître le droit au logement du preneur.
L'article 15‑IH de la loi n'en dit pas davantage et ne fournit aucune
indication sur les conditions dans lesquelles cette offre est formulée et
particulièrement sur le moment de sa formulation. D'où la question de savoir si
l'offre de relogement doit être notifiée au locataire simultanément au congé ou
si elle peut lui être antérieure ou postérieure ?
‑ Moment de
formulation de l'offre. En affirmant par un arrêt du 19 janvier 1994 (CA Paris, 6' ch. C) que l'offre doit être
connexe au congé, la cour d'appel de Paris s'était prononcée pour la première
solution et la Cour de cassation a confirmé la décision, observant que la
proposition de relogement faite antérieurement au congé et présentée comme la
contrepartie d'un départ anticipé du locataire ne répond pas aux exigences
légales dès lors qu'en outre elle n'a pas été réitérée avec le congé (Cass. 3, civ. 26 juin 1996.
‑ Exiger que l'offre soit concomitante au congé
n'est sans doute pas contraire au texte mais ne tient pas compte des
difficultés pratiques auxquelles peut être confronté le propriétaire. Il se
peut en effet que le bailleur ignore au moment de la notification du congé que
son locataire est protégé légalement, ne connaissant pas son âge ou ne sachant
pas que ses ressources sont inférieures au seuil fixé par la loi. Ne pourrait‑il
pas dans ce cas formuler une offre de relogement plus tard, lorsqu'il est
infondé de la situation par la réaction du locataire qui se prévaut de la
protection légale ? Alors même que le bailleur a eu connaissance de ces
éléments d'information, il n'est pas toujours en mesure de proposer six mois
avant l'échéance du contrat un logement correspondant aux besoins du preneur.
Lui permettre de proposer un relogement postérieurement au congé ne serait contraire
ni à la lettre du texte qui n'a rien prévu, ni à son esprit puisque le droit au
logement du locataire serait de toute façon assuré.
‑ Cette interprétation plus souple de l'article 15
a été proposée par une partie de la doctrine et la Cour de cassation ne semble
pas l'avoir condamnée définitivement même si elle a affirmé récemment qu'une
offre trop tardive de relogement n'était pas valable (Cass. 3e civ., 1 ‑ juill. 1998 : Juris‑Data n. 003022 ; Loyers et copr.
1998, comm. n' 236). En l'espèce, en effet, le bailleur avait notifié un
congé pour vendre en respectant le préavis légal de six mois, mais les offres
de relogement n'avaient été faites qu'en cause d'appel, soit un an après la
date d'effet du congé et d'expiration du bail. La cour d'appel les avait
néanmoins prises en compte et s'était opposée à la demande de nullité du congé
formulée par le preneur, le déclarant simplement inopposable tant que le
bailleur n'avait pas régularisé la situation et satisfait à son obligation
légale. Un arrêt est cassé, la cour observant que « le contrat parvenu à son
terme avant la proposition d'un nouveau logement avait été reconduit ».
Appliquant la même solution qu'à propos du congé tardif (Cass. 3ème civ., 12 avr. 1995 : Loyers et copr. 1995), la Cour de cassation considère à juste
titre que le bailleur doit notifier l'offre avant le terme du contrat s'il veut
éviter le couperet de la tacite reconduction. Justifiée par l'article 10 alinéa
2, cette sanction risque néanmoins de pénaliser injustement le bailleur lorsque
le locataire de mauvaise foi attend délibérément le terme du bail pour lui
opposer sa situation. En tout cas, il faut observer que les juges n'ont pas
profité de l'occasion qui leur était donnée pour affirmer nettement la
nécessité d'une offre simultanée au congé, amorçant peut être une évolution que
des décisions futures devront confirmer.