OBSERVATIONS


Laurence LLAHI Avocat au Barreau d'Aix-en-Provence

1. La réforme de la saisie immobilière est entrée en application le 1er janvier 2007 et elle n'a pas fini de faire couler de l'encre et de susciter des interrogations(1). L'une de ces interrogations concerne les pouvoirs du juge de l'exécution lors de l'audience d'orientation.

2. Le juge de l'exécution conserve-t-il la plénitude de ses pouvoirs en toutes circonstances et en toutes matières, notamment dans la situation particulière où, comme en l'espèce, le débiteur fait l'objet d'une procédure collective ? 

Telle aurait pu être la question à poser au juge de l'exécution si celui-ci ne s'était saisi d'office de la difficulté. Telle pourrait être aussi la question que doit se poser le créancier poursuivant lorsqu'il est confronté à la difficulté.

3. Les faits de l'espèce sont classiques. Une société fait l'objet d'une liquidation judiciaire – ouverte après le 1er janvier 2006. Le liquidateur entreprend la réalisation de l'actif, notamment l'actif immobilier. Le débiteur étant dessaisi du fait du prononcé du jugement de liquidation judiciaire, un mandataire ad hoc a été désigné pour représenter le débiteur dans le cadre de la procédure(2). Le liquidateur poursuit ensuite la vente aux enchères publiques des droits et biens immobiliers appartenant au débiteur. Les textes applicables en la matière sont d'ordre public.

4. En droit commun de la nouvelle procédure de saisie immobilière, les règles sont également d'ordre public. Et c'est là que le bât blesse.

5. La procédure débute par un commandement de payer valant saisie immobilière délivré au débiteur(3). Ce commandement de payer valant saisie doit être publié à la Conservation des hypothèques dans les deux mois de sa délivrance. Dans les deux mois qui suivent la publication au bureau des hypothèques dudit commandement, le créancier poursuivant assigne le débiteur saisi à comparaître devant le juge de l'exécution à une audience d'orientation. L'assignation doit être délivrée dans un délai compris entre un et trois mois avant la date de l'audience.

6. L'acte doit comporter un certain nombre de mentions, sous peine de nullité(4), qui sont, outre celles communes à toute assignation : 1° l'indication des lieu, jour et heure de l'audience d'orientation du juge de l'exécution ; 2° l'indication que l'audience d'orientation a pour objet d'examiner la validité de la saisie, de statuer sur les contestations et demandes incidentes liées à celle-ci et de déterminer les modalités selon lesquelles la procédure sera poursuivie ; 3° l'information que, si le débiteur n'est pas présent ou représenté par un avocat à l'audience, la procédure sera poursuivie en vente forcée, sur les seules indications fournies par le créancier ; 4° la sommation de prendre connaissance des conditions de la vente figurant dans le cahier des conditions de vente qui peut être consulté au greffe du juge de l'exécution où il sera déposé trois jours ouvrables au plus tard après l'assignation ; 5° l'indication de la mise à prix telle que fixée dans le cahier des conditions de vente et de la possibilité d'en contester le montant pour insuffisance manifeste ; 6° l'avertissement que le débiteur peut demander au juge de l'exécution à être autorisé à vendre le bien saisi à l'amiable s'il justifie qu'une vente non judiciaire peut être conclue dans des conditions satisfaisantes ; 7° l'indication, en caractères très apparents, qu'à peine d'irrecevabilité, toute contestation ou demande incidente doit être déposée au greffe du juge de l'exécution par conclusions d'avocat au plus tard lors de l'audience ; 8° le rappel des dispositions de l'article 50 du décret – suspension de la procédure de saisie immobilière en raison de la situation de surendettement du débiteur et dispense d'avocat pour solliciter l'autorisation de vente amiable de l'immeuble – ; 9° l'indication que le débiteur, qui en fait préalablement la demande, peut bénéficier de l'aide juridictionnelle pour la procédure de saisie, s'il remplit les conditions de ressources prévues par la loi du 10 juillet 1991 et le décret du 19 décembre 1991, relatifs à l'aide juridique.

7. Les pouvoirs du juge de l'exécution à l'audience d'orientation sont définis et énumérés, aussi bien par l'ordonnance que par le décret d'application, ou encore la circulaire. Le juge de l'exécution vérifie que la saisie pratiquée est nécessaire, conformément aux dispositions de l'article 22 de la loi du 9 juillet 1991, qui dispose que les mesures propres à assurer l'exécution ne peuvent excéder ce qui se révèle nécessaire au paiement de l'obligation. Il peut décider, à la demande du débiteur, de la vente amiable du bien. Enfin, il statue sur les contestations et les demandes incidentes qui doivent être soulevées au plus tard à l'occasion de cette audience(5).

8. Les mentions exigées par les articles 39 et suivants du décret du 27 juillet 2006 peuvent se révéler en totale inadéquation à la situation et avec d'autres dispositions d'ordre public, comme dans l'espèce commentée.

9. En matière de liquidation judiciaire, le liquidateur se fait autoriser par une ordonnance du juge-commissaire. Le juge-commissaire qui ordonne ou autorise la vente des immeubles par voie de saisie immobilière détermine la mise à prix de chacun des biens à vendre et les conditions essentielles de la vente, les modalités de la publicité compte tenu de la valeur, de la nature et de la situation des biens… Le juge-commissaire peut préciser qu'à défaut d'enchères atteignant la mise à prix la vente pourra se faire sur une mise à prix inférieure qu'il fixe(6).

10. L'ordonnance se substitue au commandement de payer valant saisie immobilière et doit être publiée à la conservation des hypothèques(7). La vente a lieu suivant les formes prescrites en matière de saisie immobilière(8). Le liquidateur poursuivant établit le cahier des conditions de vente et fait délivrer au débiteur l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation.

11. L'assignation à comparaître à l'audience d'orientation qui est délivrée à la requête du liquidateur doit-elle comporter toutes les mentions prescrites par l'article 39 du décret ou doit-elle être un subtil mélange des dispositions d'ordre public de l'ordonnance du 21 avril 2006, du décret du 27 juillet 2006, de la loi du 26 juillet 2005 et du décret du 28 septembre 2005 ?

12. Si l'on fait une stricte application des textes relatifs à la saisie immobilière, le liquidateur poursuivant doit délivrer dans les mêmes délais des actes portant les mêmes indications et mentions qu'en matière de procédure de saisie immobilière de droit commun. L'assignation devrait notamment comporter la mention de l'éventuelle orientation en vente amiable, alors même que le juge-commissaire a déjà ordonné la vente forcée – et, de fait, a déjà choisi entre la vente amiable et la vente sur adjudication.

13. C'est la voie qu'a choisi le liquidateur poursuivant dans l'espèce commentée. Lors de l'audience d'orientation, le juge de l'exécution a invité le liquidateur poursuivant à « régulariser » sa procédure par des conclusions rectificatives, si tant est que l'on puisse utiliser ce terme. Il ne s'agit nullement de régulariser la procédure mais de tenter de concilier deux textes d'ordre public, contradictoires entre eux. La motivation du juge de l'exécution d'Aix-en-Provence est suffisante à elle-même et se passe de plus ample commentaire.

14. Les praticiens doivent une nouvelle fois faire œuvre d'imagination pour contourner les difficultés procédurales auxquelles ils sont confrontés et ils doivent créer leur propre jurisprudence, en accord avec le juge de l'exécution de leur tribunal. Certains ont déjà imaginé d'établir un acte hybride, reprenant les dispositions d'ordre public de l'article 39 du décret du 27 juillet 2006 et les dispositions d'ordre public de la loi de sauvegarde et de son décret d'application, le système du « oui, mais non ».

15. D'autres, comme dans l'espèce commentée, préfèrent rédiger une assignation de droit commun, puis déposer des conclusions rectificatives à l'audience d'orientation, afin de donner au juge de l'exécution les seuls pouvoirs qui lui restent alors : la fixation de la date d'adjudication, les modalités de visite de l'immeuble et, le cas échéant, comme en l'espèce, le constat que le juge-commissaire a pu autoriser le liquidateur à faire procéder à une publicité exceptionnelle.

16. A chacun sa méthode. L'essentiel reste de superposer des textes d'ordre public, en totale inadéquation entre eux et de poursuivre la procédure à son terme. Ordre public sur ordre public vaudrait-il ?


Saisie immobilière

JEX Aix-en-Provence, 17 septembre 2007
L'ESSENTIEL

Si les mentions figurant dans l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation sont conformes aux dispositions des articles 39 et suivants du décret du 27 juillet 2006, il n'en demeure pas moins vrai qu'il existe une inadéquation desdites dispositions avec la présente procédure diligentée dans le cadre de la liquidation judiciaire du débiteur en vertu d'une ordonnance du juge commissaire, de sorte que les parties restent soumises aux dispositions de la Loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 et que le juge de l'exécution doit seulement fixer la date de l'adjudication ainsi que les modalités de visite de l'immeuble, observation étant faite que le juge commissaire a autorisé le liquidateur à faire procéder à une publicité exceptionnelle.

Audience d'orientation - Juge de l'exécution - Pouvoirs - Procédure collective du débiteur

J. 42 Attendu qu'il sera donné acte à Me Verrecchia de ce qu'aux termes des conclusions déposées à l'audience d'orientation il a rectifié les termes de l'exploit introductif d'instance signifié au débiteur.

Attendu en effet que si les mentions figurant dans cette assignation sont conformes aux dispositions des articles 39 et suivants du décret du 27 juillet 2006, il n'en demeure pas moins vrai qu'il existe une inadéquation desdites dispositions avec la présente procédure diligentée dans le cadre de la liquidation judiciaire de la SCI Chessa Frères en vertu d'une ordonnance du Juge-commissaire de sorte que les parties restent soumises aux dispositions de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 et que le juge de l'exécution doit seulement fixer la date de l'adjudication ainsi que les modalités de visite de l'immeuble, observation étant faite que le Juge Commissaire a autorisé Me Verrecchia à faire procéder à une publicité exceptionnelle.

Attendu que la demande relative à la taxation des frais sera rejetée en l'absence de production d'un état de frais.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et en premier ressort

Donne acte à Me Verrecchia des rectifications apportées à sa demande initiale.

Constate que la SCI Chessa Frères a été placée en liquidation judiciaire le 30 juin 2006.

Constate que la saisie est pratiquée en vertu d'une Ordonnance rendue par le Juge-commissaire le 12 mars 2007.

Constate que les parties restent soumises aux dispositions de la loi du 26 juillet 2005 sur la Sauvegarde des entreprises.

En conséquence,

Dit y avoir exclusivement lieu de fixer la date d'adjudication ainsi que les modalités de visite de l'immeuble.

Fixe l'adjudication au lundi 19 novembre 2007 à 9 heures.

Dit que l'immeuble pourra être visité le jeudi précédent cette adjudication de 9 heures à 18 heures en présence d'un huissier (…) qui sera autorisé à faire pénétrer les acquéreurs potentiels dans les lieux en cas d'opposition.

Rejette la demande de taxation des frais préalables en l'absence de production d'un état de frais.

(…)
Me Verrecchia, ès qualités c./ SCI Chessa Frères



OBSERVATIONS
Laurence LLAHI
Avocat au Barreau d'Aix-en-Provence

1. La procédure de saisie immobilière a été profondément remaniée et a fait l'objet d'une réforme d'envergure(1).

L'une des innovations a trait aux sanctions qui s'attachent au non respect des délais et formalités.

Si la nullité a subsisté dans la nouvelle procédure, la déchéance de l'article 715 du Code de procédure civile (ancien) a été remplacée par la caducité.

Peu de décisions ont été rendues à ce jour sur ce point de procédure et la décision retiendra l'attention des praticiens.

2. Les faits de l'espèce sont simples. Deux époux ont souscrit un prêt immobilier, qu'ils n'ont pu honorer. Le créancier a engagé la procédure de saisie immobilière. Lors de l'audience d'orientation, les époux n'ont pas comparu et le juge de l'exécution a ordonné la vente forcée, fixant la date d'adjudication. Les époux saisis ont alors réagi et ont fait parvenir au créancier poursuivant un règlement substantiel, régularisant leur situation. Lors de l'audience d'adjudication, le juge de l'exécution, à la demande du créancier poursuivant, a ordonné le renvoi de la vente, pour permettre aux saisis de régler les frais de procédure dont ils demeuraient débiteurs. Lors de l'audience de renvoi, le créancier poursuivant n'a pas requis l'adjudication. Les créanciers inscrits n'ont pas sollicité la subrogation dans les poursuites. Le juge de l'exécution, faisant une stricte application des dispositions de l'article 60 du décret du 27 juillet 2006, a constaté la caducité du commandement de payer valant saisie.

3. Le décret du 27 juillet 2006 contient deux articles relatifs à la caducité : les articles 12 et 60, dont le champ d'application et le régime sont totalement différents.

4. L'article 12 constitue, avec les articles 5 à 11 du même décret, le droit commun de la procédure de saisie immobilière et de la procédure de distribution(2). La caducité de l'article 12 sanctionne le non respect des délais pour accomplir certaines diligences procédurales : publication du commandement au bureau de la Conservation des hypothèques dans les deux mois de sa signification(3), assignation du débiteur à comparaître devant le juge de l'exécution à une audience d'orientation dans les deux mois qui suivent la publication au bureau des hypothèques du commandement de payer valant saisie et délivrance de l'assignation au débiteur dans un délai compris entre un et trois mois avant la date de l'audience d'orientation(4), dénonciation aux créanciers inscrits du commandement de payer valant saisie au plus tard le cinquième jour ouvrable suivant la délivrance de l'assignation au débiteur valant assignation à comparaître à l'audience du juge de l'exécution(5), dépôt au greffe du juge de l'exécution du cahier des conditions de vente dans les cinq jours ouvrables suivant l'assignation délivrée au débiteur saisi(6), dépôt au greffe de l'état des créances quinze jours au moins avant la date fixée pour l'audience d'adjudication ou de constatation de la vente amiable(7), publicité annonçant la vente forcée dans un délai compris entre un et deux mois avant l'audience d'adjudication(8).

5. Toute partie intéressée peut demander au juge de l'exécution de déclarer la caducité et d'ordonner, en tant que de besoin, qu'il en soit fait mention en marge de la copie du commandement publié au bureau des hypothèques(9).

6. Mais le créancier peut échapper à la caducité, s'il justifie d'un motif légitime(10). En outre, la déclaration de la caducité peut être rapportée si le créancier poursuivant fait connaître au greffe du juge de l'exécution, dans un délai de quinze jours à compter du prononcé de celle-ci, le motif légitime qu'il n'aurait pas été en mesure d'invoquer en temps utile(11).

7. L'article 60 quant à lui se situe dans les dispositions spécifiques à la vente forcée. La caducité de l'article 60 sanctionne une abstention.

8. A l'audience d'adjudication, le créancier poursuivant ou, à défaut, tout créancier inscrit alors subrogé dans les poursuites, sollicite la vente. A cette fin, le créancier doit justifier de l'état ordonné des créances. Mais si aucun créancier ne sollicite la vente, le juge constate la caducité du commandement de payer valant saisie. Dans ce cas, le créancier poursuivant défaillant conserve à sa charge l'ensemble des frais de saisie engagés sauf décision contraire du juge spécialement motivée(12).

9. Ce fut le cas en l'espèce. Le créancier poursuivant, ayant été désintéressé à l'exception des frais de procédure, a abandonné les poursuites. Compte tenu du principe de proportionnalité désormais applicable à la procédure de saisie immobilière, le créancier poursuivant ne pouvait requérir l'adjudication pour recouvrer les dépens, mis à la charge des débiteurs par le juge de l'exécution dans un précédent jugement. Le créancier poursuivant n'avait pas fait paraître les publicités légales ni déposé l'état ordonné des créances. Aucun des créanciers inscrits n'avait sollicité la subrogation ni effectué les formalités préalables obligatoires – publicités légales, dépôt de l'état ordonné des créances.

10. Le juge de l'exécution n'avait d'autre choix que de constater l'extinction de la procédure et de déclarer caduc le commandement valant saisie, mettant ainsi fin à ses effets(13).

11. L'article 60 du décret inverse le principe de droit commun en prévoyant que le créancier poursuivant doit réitérer son intention de poursuivre la procédure, en sollicitant la vente forcée lors de l'audience d'adjudication(14). Cet article a pour objet de sanctionner l'abandon des poursuites par le créancier saisissant ou sa carence explicite ou tacite, le créancier ne pouvant se prévaloir des dispositions de l'article 12 alinéa 3 du décret pour tenter d'échapper à la sanction(15).

12. La sanction est ici automatique et tombe comme un couperet, comme la déchéance dans l'ancienne procédure de saisie immobilière. L'article 60 laisse seulement la possibilité au juge de l'exécution, par décision spécialement motivée, de mettre les frais de l'instance à la charge d'une autre partie que le créancier poursuivant et ce, contrairement au droit commun(16).

13. Un juge de l'exécution a déjà fait de la résistance et estimé n'y avoir lieu à constater la caducité du commandement, dans une espèce où le créancier poursuivant, à l'audience d'adjudication, avait sollicité le report de la vente en raison de l'appel interjeté par les débiteurs saisis et d'une vente amiable en cours. Le juge a estimé que le créancier poursuivant ne pouvait être considéré comme défaillant, la demande de report devant s'analyser non comme un désintérêt à l'encontre de la procédure mais comme la gestion de celle-ci dans l'intérêt bien compris du débiteur dès que lors que la cour d'appel doit, en application de l'article 910 du (nouveau) Code de procédure civile, statuer à bref délai et alors que la poursuite d'une vente susceptible d'être réformée est de nature à préjudicier aux intérêts du débiteur saisi et de l'acquéreur éventuel(17).

14. La jurisprudence n'est pas encore bien établie. En attendant la position de la Cour de cassation, le créancier poursuivant aura tout intérêt à exiger le règlement intégral de sa créance en principal, frais et accessoires avant d'accepter de renoncer à requérir l'adjudication. Les créanciers inscrits, quant à eux, auront intérêt à surveiller de près les offres de paiement du débiteur et à réagir au plus vite, au besoin en sollicitant la subrogation dans les poursuites et en effectuant les formalités indispensables pour pouvoir requérir la vente au jour dit, sous peine de perdre le bénéfice de la procédure engagée par le poursuivant initial. Le paiement des créanciers est toujours le prix de la course, même et surtout en matière immobilière.



 Saisie immobilière, Cour d'appel, 16 janvier 2007

OBSERVATIONS
par Constant SCORDOPOULOS
Avocat au Barreau d'Aix-en-Provence

1. Les créanciers poursuivants et leurs conseils vont se réjouir de la décision commentée. Contre toute attente, et surtout en totale contradiction avec la position de la Cour de cassation, la Cour d'appel de Nîmes statue sur la validité d'une clause d'inaliénabilité publiée antérieurement à la publication du commandement aux fins de saisie immobilière.

2. En l'espèce, un créancier tente de poursuivre la vente sur saisie immobilière de droits et biens immobiliers affectés en garantie de sa créance. Ces droits et biens immobiliers appartiennent au débiteur pour les avoir acquis aux termes d'un acte notarié portant donation à son profit. La donation est affectée d'une clause d'inaliénabilité, comme presque systématiquement en la matière.

3. Avant l'audience éventuelle, le débiteur dépose un dire au cahier des charges et soulève divers arguments, dont l'un emportera la conviction du juge des criées. Deux des trois parcelles saisies sont grevées d'une clause d'inaliénabilité. La validité de la saisie s'apprécie au jour de la publication du commandement. La clause d'inaliénabilité était déjà publiée lors de la publication du commandement de saisie. Dès lors, le créancier ne pouvait poursuivre plus avant sa procédure de saisie.

4. Séduit par l'argumentation, le juge des criées du Tribunal de grande instance de Carpentras prononce la nullité du commandement de saisie immobilière et ordonne sa radiation.

5. Le poursuivant ne s'est pas incliné et a interjeté appel conformément aux règles des articles 731 et suivants de l'ancien Code de procédure civile. La Cour d'appel de Nî mes souscrit au raisonnement du créancier poursuivant et réforme le jugement querello.

6. Ce jugement méritait réformation partielle. Le juge des criées a ordonné la radiation du commandement de saisie sur le fondement de l'existence d'une clause d'inaliénabilité, alors que seulement deux parcelles sur les trois parcelles saisies étaient grevées d'une telle clause. Mais le débiteur n'avait pas fait la distinction et l'artifice a porté ses fruits en première instance. De son côté, le poursuivant, sûr de son fait, n'avait pas jugé utile de conclure sur cette subtilité.

7. En appel, la Cour opère un virage à 180 degrés et réforme le jugement entrepris. La Cour d'appel de Nî mes se laisse séduire par le raisonnement du poursuivant, statuant sur la validité de la clause d'inaliénabilité.

8. La notion d'incident de saisie immobilière a subi une forte évolution. Pendant longtemps, la Cour de cassation a seulement exclu des incidents de saisie immobilière les contestations qui portaient sur le fond du droit, par référence à l'énumération restrictive opérée par l'article 731 de l'ancien Code de procédure civile. Puis la Cour de cassation, à partir des années 1980, a redéfini la notion d'incident de saisie immobilière comme étant « toute contestation née de la procédure de saisie ou qui s'y réfère directement et qui est de nature à exercer une influence immédiate et directe sur cette procédure(1) ».

9. En 1991, la Cour de cassation restreint le champ d'application de la notion de saisie immobilière en décidant que constitue un incident de saisie immobilière « toute contestation née de la procédure ou qui s'y réfère directement(2) ».

10. Le caractère inaliénable ou insaisissable du bien objet de la saisie constitue une contestation portant sur la procédure ; il s'agit alors d'une cause de nullité pour irrégularité de fond.

11. La validité d'une clause d'inaliénabilité obéissant toutefois, avant la décision commentée, à des règles particulières. La clause d'inaliénabilité est valable lorsqu'elle répond aux exigences de l'article 900-1 du Code civil, c'est-à-dire lorsqu'elle est limitée dans le temps et justifiée par un intérêt sérieux et légitime. S'en déduit l'insaisissabilité du bien, le donataire pouvant cependant être judiciairement autorisé à disposer du bien, si l'intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s'il advient qu'un intérêt plus important l'exige.

12. Les juridictions du fond étaient partagées à propos de l'exercice, par un créancier du donataire, agissant par voie oblique, d'une demande de mainlevée d'une telle clause(3). La première Chambre civile de la Cour de cassation avait décidé que l'action prévue par l'article 900-1 du Code civil est exclusivement attachée à la personne et ne peut de ce fait être exercée par un créancier du donataire(4). Puis la Cour de cassation a opéré un revirement en l'an 2000(5), admettant l'action oblique du créancier du donataire, se ravisant en 2001 et déclarant irrecevable toute action oblique, aux motifs que « aux termes de l'article 900-1 du Code civil, le donataire peut être autorisé à disposer d'un bien donné avec clause d'inaliénabilité, si l'intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s'il advient qu'un intérêt plus important l'exige ; qu'étant subordonnée à des considérations personnelles d'ordre moral et familial inhérentes à la donation, cette action est exclusivement attachée à la personne du donataire, de sorte qu'elle ne peut être exercée par le représentant de ses créanciers(6) ».

13. Pour être opposable aux tiers, la clause d'inaliénabilité doit cependant avoir été régulièrement publiée à la conservation des hypothèques compétente(7). Et la Cour de cassation estime, pour sa part, que la clause d'inaliénabilité tient la saisie immobilière en échec tant qu'elle est en vigueur(8). Il appartient au créancier qui poursuit la saisie immobilière d'un immeuble ayant fait l'objet d'une donation assortie d'une clause d'inaliénabilité de contester préalablement la validité de cette clause. Le commandement délivré malgré la clause d'inaliénabilité est nul et la mainlevée doit être ordonnée.

14. La validité de la saisie immobilière s'apprécie au moment de la publication du commandement de saisie. Lors de la publication du commandement de saisie immobilière, la clause d'inaliénabilité litigieuse était déjà publiée. La mainlevée de la saise s'imposait et c'est ce qu'a retenu le juge des criées.

15. La Cour d'appel de Nî mes réforme la décision entreprise après s'être livrée à une analyse portant sur la validité de la clause d'inaliénabilité et ce, en totale contradiction avec la position actuelle de la Cour de cassation. Le juge n'a pas à statuer sur la validité de la clause d'i­naliénabilité. Dès lors que la clause est publiée au moment de la publication du commandement de saisie immobilière, la validité même de la saisie immobilière est affectée.

16. En jugeant comme elle l'a fait, la Cour d'appel de Nî mes fait le jeu du créancier poursuivant. Celui-ci gagne du temps ; il n'a plus dès lors à engager préalablement à sa saisie une action spécifique pour faire constater l'inopposabilité à son encontre de la clause d'inaliénabilité ou en demander la mainlevée. Le juge des criées aurait compétence pour statuer sur la validité de la clause d'inaliénabilité, à l'occasion d'un incident élevé par le débiteur saisi. L'arrêt est rendu au mépris de la jurisprudence de la Cour de cassation et des intérêts du débiteur.

17. Les créanciers peuvent se réjouir et les débiteurs s'inquiéter. Espérons que la Cour de cassation, si elle est saisie, saura sanctionner la témérité des juges nî mois.



Saisie immobilière
CA Nî mes, 16 janvier 2007
L'ESSENTIEL

La clause d'inaliénabilité figurant dans l'acte notarié est destinée à garantir la pleine efficacité du droit de retour limite la durée de l'inaliénabilité à la vie de la donatrice décédée ; à la date de publication du commandement, l'inaliénabilité avait pris fin.

En outre, la donatrice a laissé pour lui succéder sa fille unique ; celle-ci, propriétaire des biens donnés et seule héritière de la donatrice a, par acte authentique ultérieur, consenti expressément à affecter ces biens hypothécairement à la garantie du remboursement des sommes duesau poursuivant ; la donataire venant aux droits de la donatrice a, par cet acte, consenti sans équivoque à la remise en garantie des immeubles dont s'agit ; elle ne peut donc à présent se prévaloir de l'inaliénabilité à laquelle elle a renoncé en étant investie des droits de la donatrice décédée.

Incident de saisie immobilière - Notion - Biens saisissables - Clause d'inaliénabilité - Validité - Date d'appréciation

J. 67 Attendu qu'en premier lieu, il échet de constater que l'acte du 23 octobre 1979 contenant la clause d'inaliénabilité ne concerne parmi les biens saisis que les parcelles cadastrées B n° 425 et B n° 389 objet de la donation consentie à Mme Arnaud par sa mère ; que la parcelle B n° 378 a été receuillie dans la succession de celle-ci et n'était pas comprise dans la donation ; que le Tribunal a donc à tort prononcé la nullité du commandement de saisie quant à ce bien, constitué d'une parcelle distincte et non affectée par la clause litigieuse ;

Attendu que cette clause de l'acte du 23 octobre 1979 est rédigée en ces termes : « la donatrice interdit à la donataire l'aliénation ou la remise en garantie des biens donnés, sauf avec son consentement » ; que cette disposition destinée à garantir la pleine efficacité du droit de retour prévu à l'acte limite donc la durée de l'inaliénabilité à la vie de la donatrice Mme Angéline Bauthias veuve Piquemal, décédée le 20 avril 1990 ; qu'à la date de publication du commandement, l'inaliénabilité avait pris fin ;

Attendu en outre que la donatrice a laissé pour lui succéder sa fille unique, Mme Mireille Piquemal épouse Yves Arnaud ; que celle-ci, propriétaire des biens donnés et seule héritière de la donatrice a, par l'acte authentique du 24 janvier 1992, ­consenti expressément à affecter ces biens hypothécairement à la garantie du remboursement des sommes dues à la société Marseillaise de crédit ; que la donataire venant aux droits de la donatrice a, par cet acte, consenti sans équivoque, à la remise en garantie des immeubles dont s'agit ; qu'elle ne peut donc à présent se prévaloir de l'inaliénabilité à laquelle elle a renoncé en étant investie des droits de la donatrice décédée ;

Attendu que si l'acte notarié vise exclusivement le droit de retour pour constater qu'il est sans effet par suite du décès de la donatrice, c'est précisément en raison de la décision d'affectation du bien à titre de sûreté réelle dans le même acte par l'ayant droit de la donatrice ;

Attendu que le 11 octobre 1994, Mme Arnaud avait déjà ­consenti un bail à ferme à long terme sur les parcelles objet de la donation suivant acte authentique précisant en page 13 que « cette donation a eu lieu sous diverses charges et conditions devenues sans objet par suite du décès de la donatrice survenu le 20 avril 1990 » ;

Attendu que le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a prononcé la nullité et la radiation du commandement de saisie et la nullité de la procédure subséquente ;

(…)

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant publiquement, contradictoirement en matière de saisie immobilière et en dernier ressort,

Vu les articles 731 et suivants de l'ancien Code de procédure civile ;

Réforme le jugement déféré ;

Rejette les demandes de nullité et de radiation du commandement signifié le 18 mars 2005 et de la procédure subséquente ;
SA Société Marseillaise de Crédit c./Mme Arnaud