1. La réforme de la saisie immobilière est entrée en application le 1er janvier 2007 et elle n'a pas fini de faire couler de l'encre et de susciter des interrogations(1). L'une de ces interrogations concerne les pouvoirs du juge de l'exécution lors de l'audience d'orientation.
2. Le juge de l'exécution conserve-t-il la plénitude de ses pouvoirs en toutes circonstances et en toutes matières, notamment dans la situation particulière où, comme en l'espèce, le débiteur fait l'objet d'une procédure collective ?
Telle aurait pu être la question à poser au juge de l'exécution si celui-ci ne s'était saisi d'office de la difficulté. Telle pourrait être aussi la question que doit se poser le créancier poursuivant lorsqu'il est confronté à la difficulté.
3. Les faits de l'espèce sont classiques. Une société fait l'objet d'une liquidation judiciaire – ouverte après le 1er janvier 2006. Le liquidateur entreprend la réalisation de l'actif, notamment l'actif immobilier. Le débiteur étant dessaisi du fait du prononcé du jugement de liquidation judiciaire, un mandataire ad hoc a été désigné pour représenter le débiteur dans le cadre de la procédure(2). Le liquidateur poursuit ensuite la vente aux enchères publiques des droits et biens immobiliers appartenant au débiteur. Les textes applicables en la matière sont d'ordre public.
4. En droit commun de la nouvelle procédure de saisie immobilière, les règles sont également d'ordre public. Et c'est là que le bât blesse.
5. La procédure débute par un commandement de payer valant saisie immobilière délivré au débiteur(3). Ce commandement de payer valant saisie doit être publié à la Conservation des hypothèques dans les deux mois de sa délivrance. Dans les deux mois qui suivent la publication au bureau des hypothèques dudit commandement, le créancier poursuivant assigne le débiteur saisi à comparaître devant le juge de l'exécution à une audience d'orientation. L'assignation doit être délivrée dans un délai compris entre un et trois mois avant la date de l'audience.
6. L'acte doit comporter un certain nombre de mentions, sous peine de nullité(4), qui sont, outre celles communes à toute assignation : 1° l'indication des lieu, jour et heure de l'audience d'orientation du juge de l'exécution ; 2° l'indication que l'audience d'orientation a pour objet d'examiner la validité de la saisie, de statuer sur les contestations et demandes incidentes liées à celle-ci et de déterminer les modalités selon lesquelles la procédure sera poursuivie ; 3° l'information que, si le débiteur n'est pas présent ou représenté par un avocat à l'audience, la procédure sera poursuivie en vente forcée, sur les seules indications fournies par le créancier ; 4° la sommation de prendre connaissance des conditions de la vente figurant dans le cahier des conditions de vente qui peut être consulté au greffe du juge de l'exécution où il sera déposé trois jours ouvrables au plus tard après l'assignation ; 5° l'indication de la mise à prix telle que fixée dans le cahier des conditions de vente et de la possibilité d'en contester le montant pour insuffisance manifeste ; 6° l'avertissement que le débiteur peut demander au juge de l'exécution à être autorisé à vendre le bien saisi à l'amiable s'il justifie qu'une vente non judiciaire peut être conclue dans des conditions satisfaisantes ; 7° l'indication, en caractères très apparents, qu'à peine d'irrecevabilité, toute contestation ou demande incidente doit être déposée au greffe du juge de l'exécution par conclusions d'avocat au plus tard lors de l'audience ; 8° le rappel des dispositions de l'article 50 du décret – suspension de la procédure de saisie immobilière en raison de la situation de surendettement du débiteur et dispense d'avocat pour solliciter l'autorisation de vente amiable de l'immeuble – ; 9° l'indication que le débiteur, qui en fait préalablement la demande, peut bénéficier de l'aide juridictionnelle pour la procédure de saisie, s'il remplit les conditions de ressources prévues par la loi du 10 juillet 1991 et le décret du 19 décembre 1991, relatifs à l'aide juridique.
7. Les pouvoirs du juge de l'exécution à l'audience d'orientation sont définis et énumérés, aussi bien par l'ordonnance que par le décret d'application, ou encore la circulaire. Le juge de l'exécution vérifie que la saisie pratiquée est nécessaire, conformément aux dispositions de l'article 22 de la loi du 9 juillet 1991, qui dispose que les mesures propres à assurer l'exécution ne peuvent excéder ce qui se révèle nécessaire au paiement de l'obligation. Il peut décider, à la demande du débiteur, de la vente amiable du bien. Enfin, il statue sur les contestations et les demandes incidentes qui doivent être soulevées au plus tard à l'occasion de cette audience(5).
8. Les mentions exigées par les articles 39 et suivants du décret du 27 juillet 2006 peuvent se révéler en totale inadéquation à la situation et avec d'autres dispositions d'ordre public, comme dans l'espèce commentée.
9. En matière de liquidation judiciaire, le liquidateur se fait autoriser par une ordonnance du juge-commissaire. Le juge-commissaire qui ordonne ou autorise la vente des immeubles par voie de saisie immobilière détermine la mise à prix de chacun des biens à vendre et les conditions essentielles de la vente, les modalités de la publicité compte tenu de la valeur, de la nature et de la situation des biens… Le juge-commissaire peut préciser qu'à défaut d'enchères atteignant la mise à prix la vente pourra se faire sur une mise à prix inférieure qu'il fixe(6).
10. L'ordonnance se substitue au commandement de payer valant saisie immobilière et doit être publiée à la conservation des hypothèques(7). La vente a lieu suivant les formes prescrites en matière de saisie immobilière(8). Le liquidateur poursuivant établit le cahier des conditions de vente et fait délivrer au débiteur l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation.
11. L'assignation à comparaître à l'audience d'orientation qui est délivrée à la requête du liquidateur doit-elle comporter toutes les mentions prescrites par l'article 39 du décret ou doit-elle être un subtil mélange des dispositions d'ordre public de l'ordonnance du 21 avril 2006, du décret du 27 juillet 2006, de la loi du 26 juillet 2005 et du décret du 28 septembre 2005 ?
12. Si l'on fait une stricte application des textes relatifs à la saisie immobilière, le liquidateur poursuivant doit délivrer dans les mêmes délais des actes portant les mêmes indications et mentions qu'en matière de procédure de saisie immobilière de droit commun. L'assignation devrait notamment comporter la mention de l'éventuelle orientation en vente amiable, alors même que le juge-commissaire a déjà ordonné la vente forcée – et, de fait, a déjà choisi entre la vente amiable et la vente sur adjudication.
13. C'est la voie qu'a choisi le liquidateur poursuivant dans l'espèce commentée. Lors de l'audience d'orientation, le juge de l'exécution a invité le liquidateur poursuivant à « régulariser » sa procédure par des conclusions rectificatives, si tant est que l'on puisse utiliser ce terme. Il ne s'agit nullement de régulariser la procédure mais de tenter de concilier deux textes d'ordre public, contradictoires entre eux. La motivation du juge de l'exécution d'Aix-en-Provence est suffisante à elle-même et se passe de plus ample commentaire.
14. Les praticiens doivent une nouvelle fois faire œuvre d'imagination pour contourner les difficultés procédurales auxquelles ils sont confrontés et ils doivent créer leur propre jurisprudence, en accord avec le juge de l'exécution de leur tribunal. Certains ont déjà imaginé d'établir un acte hybride, reprenant les dispositions d'ordre public de l'article 39 du décret du 27 juillet 2006 et les dispositions d'ordre public de la loi de sauvegarde et de son décret d'application, le système du « oui, mais non ».
15. D'autres, comme dans l'espèce commentée, préfèrent rédiger une assignation de droit commun, puis déposer des conclusions rectificatives à l'audience d'orientation, afin de donner au juge de l'exécution les seuls pouvoirs qui lui restent alors : la fixation de la date d'adjudication, les modalités de visite de l'immeuble et, le cas échéant, comme en l'espèce, le constat que le juge-commissaire a pu autoriser le liquidateur à faire procéder à une publicité exceptionnelle.
16. A chacun sa méthode. L'essentiel reste de superposer des textes d'ordre public, en totale inadéquation entre eux et de poursuivre la procédure à son terme. Ordre public sur ordre public vaudrait-il ?
JEX Aix-en-Provence, 17 septembre 2007
L'ESSENTIEL
Si
les mentions figurant dans l'assignation à comparaître à l'audience
d'orientation sont conformes aux dispositions des articles 39 et
suivants du décret du 27 juillet 2006, il n'en demeure pas moins vrai
qu'il existe une inadéquation desdites dispositions avec la présente
procédure diligentée dans le cadre de la liquidation judiciaire du
débiteur en vertu d'une ordonnance du juge commissaire, de sorte que
les parties restent soumises aux dispositions de la Loi de sauvegarde
des entreprises du 26 juillet 2005 et que le juge de l'exécution doit
seulement fixer la date de l'adjudication ainsi que les modalités de
visite de l'immeuble, observation étant faite que le juge commissaire a
autorisé le liquidateur à faire procéder à une publicité exceptionnelle.
Audience d'orientation - Juge de l'exécution - Pouvoirs - Procédure collective du débiteur
J.
42 Attendu qu'il sera donné acte à Me Verrecchia de ce qu'aux termes
des conclusions déposées à l'audience d'orientation il a rectifié les
termes de l'exploit introductif d'instance signifié au débiteur.
Attendu
en effet que si les mentions figurant dans cette assignation sont
conformes aux dispositions des articles 39 et suivants du décret du 27
juillet 2006, il n'en demeure pas moins vrai qu'il existe une
inadéquation desdites dispositions avec la présente procédure
diligentée dans le cadre de la liquidation judiciaire de la SCI Chessa
Frères en vertu d'une ordonnance du Juge-commissaire de sorte que les
parties restent soumises aux dispositions de la loi de sauvegarde des
entreprises du 26 juillet 2005 et que le juge de l'exécution doit
seulement fixer la date de l'adjudication ainsi que les modalités de
visite de l'immeuble, observation étant faite que le Juge Commissaire a
autorisé Me Verrecchia à faire procéder à une publicité exceptionnelle.
Attendu que la demande relative à la taxation des frais sera rejetée en l'absence de production d'un état de frais.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et en premier ressort
Donne acte à Me Verrecchia des rectifications apportées à sa demande initiale.
Constate que la SCI Chessa Frères a été placée en liquidation judiciaire le 30 juin 2006.
Constate que la saisie est pratiquée en vertu d'une Ordonnance rendue par le Juge-commissaire le 12 mars 2007.
Constate que les parties restent soumises aux dispositions de la loi du 26 juillet 2005 sur la Sauvegarde des entreprises.
En conséquence,
Dit y avoir exclusivement lieu de fixer la date d'adjudication ainsi que les modalités de visite de l'immeuble.
Fixe l'adjudication au lundi 19 novembre 2007 à 9 heures.
Dit
que l'immeuble pourra être visité le jeudi précédent cette adjudication
de 9 heures à 18 heures en présence d'un huissier (…) qui sera autorisé
à faire pénétrer les acquéreurs potentiels dans les lieux en cas
d'opposition.
Rejette la demande de taxation des frais préalables en l'absence de production d'un état de frais.
(…)
Me Verrecchia, ès qualités c./ SCI Chessa Frères
OBSERVATIONS
Laurence LLAHI
Avocat au Barreau d'Aix-en-Provence
1. La procédure de saisie immobilière a été profondément remaniée et a fait l'objet d'une réforme d'envergure(1).
L'une des innovations a trait aux sanctions qui s'attachent au non respect des délais et formalités.
Si
la nullité a subsisté dans la nouvelle procédure, la déchéance de
l'article 715 du Code de procédure civile (ancien) a été remplacée par
la caducité.
Peu de décisions ont été rendues à ce jour sur ce point de procédure et la décision retiendra l'attention des praticiens.
2.
Les faits de l'espèce sont simples. Deux époux ont souscrit un prêt
immobilier, qu'ils n'ont pu honorer. Le créancier a engagé la procédure
de saisie immobilière. Lors de l'audience d'orientation, les époux
n'ont pas comparu et le juge de l'exécution a ordonné la vente forcée,
fixant la date d'adjudication. Les époux saisis ont alors réagi et ont
fait parvenir au créancier poursuivant un règlement substantiel,
régularisant leur situation. Lors de l'audience d'adjudication, le juge
de l'exécution, à la demande du créancier poursuivant, a ordonné le
renvoi de la vente, pour permettre aux saisis de régler les frais de
procédure dont ils demeuraient débiteurs. Lors de l'audience de renvoi,
le créancier poursuivant n'a pas requis l'adjudication. Les créanciers
inscrits n'ont pas sollicité la subrogation dans les poursuites. Le
juge de l'exécution, faisant une stricte application des dispositions
de l'article 60 du décret du 27 juillet 2006, a constaté la caducité du
commandement de payer valant saisie.
3. Le décret du 27 juillet
2006 contient deux articles relatifs à la caducité : les articles 12 et
60, dont le champ d'application et le régime sont totalement différents.
4.
L'article 12 constitue, avec les articles 5 à 11 du même décret, le
droit commun de la procédure de saisie immobilière et de la procédure
de distribution(2). La caducité de l'article 12 sanctionne le non
respect des délais pour accomplir certaines diligences procédurales :
publication du commandement au bureau de la Conservation des
hypothèques dans les deux mois de sa signification(3), assignation du
débiteur à comparaître devant le juge de l'exécution à une audience
d'orientation dans les deux mois qui suivent la publication au bureau
des hypothèques du commandement de payer valant saisie et délivrance de
l'assignation au débiteur dans un délai compris entre un et trois mois
avant la date de l'audience d'orientation(4), dénonciation aux
créanciers inscrits du commandement de payer valant saisie au plus tard
le cinquième jour ouvrable suivant la délivrance de l'assignation au
débiteur valant assignation à comparaître à l'audience du juge de
l'exécution(5), dépôt au greffe du juge de l'exécution du cahier des
conditions de vente dans les cinq jours ouvrables suivant l'assignation
délivrée au débiteur saisi(6), dépôt au greffe de l'état des créances
quinze jours au moins avant la date fixée pour l'audience
d'adjudication ou de constatation de la vente amiable(7), publicité
annonçant la vente forcée dans un délai compris entre un et deux mois
avant l'audience d'adjudication(8).
5. Toute partie intéressée
peut demander au juge de l'exécution de déclarer la caducité et
d'ordonner, en tant que de besoin, qu'il en soit fait mention en marge
de la copie du commandement publié au bureau des hypothèques(9).
6.
Mais le créancier peut échapper à la caducité, s'il justifie d'un motif
légitime(10). En outre, la déclaration de la caducité peut être
rapportée si le créancier poursuivant fait connaître au greffe du juge
de l'exécution, dans un délai de quinze jours à compter du prononcé de
celle-ci, le motif légitime qu'il n'aurait pas été en mesure d'invoquer
en temps utile(11).
7. L'article 60 quant à lui se situe dans
les dispositions spécifiques à la vente forcée. La caducité de
l'article 60 sanctionne une abstention.
8. A l'audience
d'adjudication, le créancier poursuivant ou, à défaut, tout créancier
inscrit alors subrogé dans les poursuites, sollicite la vente. A cette
fin, le créancier doit justifier de l'état ordonné des créances. Mais
si aucun créancier ne sollicite la vente, le juge constate la caducité
du commandement de payer valant saisie. Dans ce cas, le créancier
poursuivant défaillant conserve à sa charge l'ensemble des frais de
saisie engagés sauf décision contraire du juge spécialement motivée(12).
9.
Ce fut le cas en l'espèce. Le créancier poursuivant, ayant été
désintéressé à l'exception des frais de procédure, a abandonné les
poursuites. Compte tenu du principe de proportionnalité désormais
applicable à la procédure de saisie immobilière, le créancier
poursuivant ne pouvait requérir l'adjudication pour recouvrer les
dépens, mis à la charge des débiteurs par le juge de l'exécution dans
un précédent jugement. Le créancier poursuivant n'avait pas fait
paraître les publicités légales ni déposé l'état ordonné des créances.
Aucun des créanciers inscrits n'avait sollicité la subrogation ni
effectué les formalités préalables obligatoires – publicités légales,
dépôt de l'état ordonné des créances.
10. Le juge de l'exécution
n'avait d'autre choix que de constater l'extinction de la procédure et
de déclarer caduc le commandement valant saisie, mettant ainsi fin à
ses effets(13).
11. L'article 60 du décret inverse le principe
de droit commun en prévoyant que le créancier poursuivant doit réitérer
son intention de poursuivre la procédure, en sollicitant la vente
forcée lors de l'audience d'adjudication(14). Cet article a pour objet
de sanctionner l'abandon des poursuites par le créancier saisissant ou
sa carence explicite ou tacite, le créancier ne pouvant se prévaloir
des dispositions de l'article 12 alinéa 3 du décret pour tenter
d'échapper à la sanction(15).
12. La sanction est ici
automatique et tombe comme un couperet, comme la déchéance dans
l'ancienne procédure de saisie immobilière. L'article 60 laisse
seulement la possibilité au juge de l'exécution, par décision
spécialement motivée, de mettre les frais de l'instance à la charge
d'une autre partie que le créancier poursuivant et ce, contrairement au
droit commun(16).
13. Un juge de l'exécution a déjà fait de la
résistance et estimé n'y avoir lieu à constater la caducité du
commandement, dans une espèce où le créancier poursuivant, à l'audience
d'adjudication, avait sollicité le report de la vente en raison de
l'appel interjeté par les débiteurs saisis et d'une vente amiable en
cours. Le juge a estimé que le créancier poursuivant ne pouvait être
considéré comme défaillant, la demande de report devant s'analyser non
comme un désintérêt à l'encontre de la procédure mais comme la gestion
de celle-ci dans l'intérêt bien compris du débiteur dès que lors que la
cour d'appel doit, en application de l'article 910 du (nouveau) Code de
procédure civile, statuer à bref délai et alors que la poursuite d'une
vente susceptible d'être réformée est de nature à préjudicier aux
intérêts du débiteur saisi et de l'acquéreur éventuel(17).
14.
La jurisprudence n'est pas encore bien établie. En attendant la
position de la Cour de cassation, le créancier poursuivant aura tout
intérêt à exiger le règlement intégral de sa créance en principal,
frais et accessoires avant d'accepter de renoncer à requérir
l'adjudication. Les créanciers inscrits, quant à eux, auront intérêt à
surveiller de près les offres de paiement du débiteur et à réagir au
plus vite, au besoin en sollicitant la subrogation dans les poursuites
et en effectuant les formalités indispensables pour pouvoir requérir la
vente au jour dit, sous peine de perdre le bénéfice de la procédure
engagée par le poursuivant initial. Le paiement des créanciers est
toujours le prix de la course, même et surtout en matière immobilière.
Saisie immobilière, Cour d'appel, 16 janvier 2007
OBSERVATIONS
par Constant SCORDOPOULOS
Avocat au Barreau d'Aix-en-Provence
1.
Les créanciers poursuivants et leurs conseils vont se réjouir de la
décision commentée. Contre toute attente, et surtout en totale
contradiction avec la position de la Cour de cassation, la Cour d'appel
de Nîmes statue sur la validité d'une clause d'inaliénabilité publiée
antérieurement à la publication du commandement aux fins de saisie
immobilière.
2. En l'espèce, un créancier tente de poursuivre la
vente sur saisie immobilière de droits et biens immobiliers affectés en
garantie de sa créance. Ces droits et biens immobiliers appartiennent
au débiteur pour les avoir acquis aux termes d'un acte notarié portant
donation à son profit. La donation est affectée d'une clause
d'inaliénabilité, comme presque systématiquement en la matière.
3.
Avant l'audience éventuelle, le débiteur dépose un dire au cahier des
charges et soulève divers arguments, dont l'un emportera la conviction
du juge des criées. Deux des trois parcelles saisies sont grevées d'une
clause d'inaliénabilité. La validité de la saisie s'apprécie au jour de
la publication du commandement. La clause d'inaliénabilité était déjà
publiée lors de la publication du commandement de saisie. Dès lors, le
créancier ne pouvait poursuivre plus avant sa procédure de saisie.
4.
Séduit par l'argumentation, le juge des criées du Tribunal de grande
instance de Carpentras prononce la nullité du commandement de saisie
immobilière et ordonne sa radiation.
5. Le poursuivant ne s'est
pas incliné et a interjeté appel conformément aux règles des articles
731 et suivants de l'ancien Code de procédure civile. La Cour d'appel
de Nî mes souscrit au raisonnement du créancier poursuivant et réforme
le jugement querello.
6. Ce jugement méritait réformation
partielle. Le juge des criées a ordonné la radiation du commandement de
saisie sur le fondement de l'existence d'une clause d'inaliénabilité,
alors que seulement deux parcelles sur les trois parcelles saisies
étaient grevées d'une telle clause. Mais le débiteur n'avait pas fait
la distinction et l'artifice a porté ses fruits en première instance.
De son côté, le poursuivant, sûr de son fait, n'avait pas jugé utile de
conclure sur cette subtilité.
7. En appel, la Cour opère un
virage à 180 degrés et réforme le jugement entrepris. La Cour d'appel
de Nî mes se laisse séduire par le raisonnement du poursuivant,
statuant sur la validité de la clause d'inaliénabilité.
8. La
notion d'incident de saisie immobilière a subi une forte évolution.
Pendant longtemps, la Cour de cassation a seulement exclu des incidents
de saisie immobilière les contestations qui portaient sur le fond du
droit, par référence à l'énumération restrictive opérée par l'article
731 de l'ancien Code de procédure civile. Puis la Cour de cassation, à
partir des années 1980, a redéfini la notion d'incident de saisie
immobilière comme étant « toute contestation née de la procédure de
saisie ou qui s'y réfère directement et qui est de nature à exercer une
influence immédiate et directe sur cette procédure(1) ».
9. En
1991, la Cour de cassation restreint le champ d'application de la
notion de saisie immobilière en décidant que constitue un incident de
saisie immobilière « toute contestation née de la procédure ou qui s'y
réfère directement(2) ».
10. Le caractère inaliénable ou
insaisissable du bien objet de la saisie constitue une contestation
portant sur la procédure ; il s'agit alors d'une cause de nullité pour
irrégularité de fond.
11. La validité d'une clause
d'inaliénabilité obéissant toutefois, avant la décision commentée, à
des règles particulières. La clause d'inaliénabilité est valable
lorsqu'elle répond aux exigences de l'article 900-1 du Code civil,
c'est-à-dire lorsqu'elle est limitée dans le temps et justifiée par un
intérêt sérieux et légitime. S'en déduit l'insaisissabilité du bien, le
donataire pouvant cependant être judiciairement autorisé à disposer du
bien, si l'intérêt qui avait justifié la clause a disparu ou s'il
advient qu'un intérêt plus important l'exige.
12. Les
juridictions du fond étaient partagées à propos de l'exercice, par un
créancier du donataire, agissant par voie oblique, d'une demande de
mainlevée d'une telle clause(3). La première Chambre civile de la Cour
de cassation avait décidé que l'action prévue par l'article 900-1 du
Code civil est exclusivement attachée à la personne et ne peut de ce
fait être exercée par un créancier du donataire(4). Puis la Cour de
cassation a opéré un revirement en l'an 2000(5), admettant l'action
oblique du créancier du donataire, se ravisant en 2001 et déclarant
irrecevable toute action oblique, aux motifs que « aux termes de
l'article 900-1 du Code civil, le donataire peut être autorisé à
disposer d'un bien donné avec clause d'inaliénabilité, si l'intérêt qui
avait justifié la clause a disparu ou s'il advient qu'un intérêt plus
important l'exige ; qu'étant subordonnée à des considérations
personnelles d'ordre moral et familial inhérentes à la donation, cette
action est exclusivement attachée à la personne du donataire, de sorte
qu'elle ne peut être exercée par le représentant de ses créanciers(6) ».
13.
Pour être opposable aux tiers, la clause d'inaliénabilité doit
cependant avoir été régulièrement publiée à la conservation des
hypothèques compétente(7). Et la Cour de cassation estime, pour sa
part, que la clause d'inaliénabilité tient la saisie immobilière en
échec tant qu'elle est en vigueur(8). Il appartient au créancier qui
poursuit la saisie immobilière d'un immeuble ayant fait l'objet d'une
donation assortie d'une clause d'inaliénabilité de contester
préalablement la validité de cette clause. Le commandement délivré
malgré la clause d'inaliénabilité est nul et la mainlevée doit être
ordonnée.
14. La validité de la saisie immobilière s'apprécie au
moment de la publication du commandement de saisie. Lors de la
publication du commandement de saisie immobilière, la clause
d'inaliénabilité litigieuse était déjà publiée. La mainlevée de la
saise s'imposait et c'est ce qu'a retenu le juge des criées.
15.
La Cour d'appel de Nî mes réforme la décision entreprise après s'être
livrée à une analyse portant sur la validité de la clause
d'inaliénabilité et ce, en totale contradiction avec la position
actuelle de la Cour de cassation. Le juge n'a pas à statuer sur la
validité de la clause d'inaliénabilité. Dès lors que la clause est
publiée au moment de la publication du commandement de saisie
immobilière, la validité même de la saisie immobilière est affectée.
16.
En jugeant comme elle l'a fait, la Cour d'appel de Nî mes fait le jeu
du créancier poursuivant. Celui-ci gagne du temps ; il n'a plus dès
lors à engager préalablement à sa saisie une action spécifique pour
faire constater l'inopposabilité à son encontre de la clause
d'inaliénabilité ou en demander la mainlevée. Le juge des criées aurait
compétence pour statuer sur la validité de la clause d'inaliénabilité,
à l'occasion d'un incident élevé par le débiteur saisi. L'arrêt est
rendu au mépris de la jurisprudence de la Cour de cassation et des
intérêts du débiteur.
17. Les créanciers peuvent se réjouir et
les débiteurs s'inquiéter. Espérons que la Cour de cassation, si elle
est saisie, saura sanctionner la témérité des juges nî mois.