Le concubinage et l'impayé : pour une solidarité des dettes ménagères

Ludovic LAUVERGNAT Huissier de justice DEA Droit Privé

Que ce soit dans le cadre du mariage ou dans celui du pacte civil de solidarité, les dettes ménagères se sont vues attacher un régime particulier, celui de la solidarité. Sous cet angle, l'indifférence du droit à l'égard du concubinage détonne quelque peu. La solidarité des dettes ménagères, de principe en matière de droit du couple, devrait pouvoir s'étendre au concubinage…

I. 08 1. Petit florilège de certaines formules trop fréquemment opposées à l'huissier de justice tentant de régulariser une mesure d'exécution : « c'est inutile de saisir le téléviseur et la voiture, ils ne sont pas à moi, ils sont à mon compagnon », ou encore, « ce n'est pas chez moi ici, je suis hébergé par mon concubin, voyez le bail ». Et, faute de titre à l'encontre des deux protagonistes, l'exécutant se voit repartir aussi rapidement qu'il était venu, avec ce sentiment amer que la loi est parfois mal faite.

Si la diversité des formes d'union constitue sa richesse et son charme, elle est aussi à l'origine de différences de traitements et de discriminations. Il est vrai que les choix laissés au couple sont alléchants : une conjugalité libertaire résidant dans le concubinage, avec à l'opposé, une conjugalité liberticide constituée par le mariage et, oscillant entre les deux, le compromis, s'engager mais pas trop, que le couple trouve dans le pacte civil de solidarité. Certes, les couples lorsqu'ils se forment n'ont pas pour prévision première d'échapper aux turbulences futures qui gâtent chacun au quotidien. Après tout, quand tout va bien, il n'y a pas à se soucier des lendemains. Mais, la réalité reprend très vite ses droits, et avec elle, les problèmes et tracas inhérents à la vie à deux. Le choix du couple implique alors nécessairement un ensemble d'obligations et de devoirs, ne serait-ce que s'agissant de la cohabitation par exemple, élément se trouvant indifféremment quelque soit la forme de conjugalité choisie. Et c'est ici que l'appréhension du concubinage par le droit peut paraî tre maladroite, car inexistante. Tout au plus, l'article 515-8 du Code civil donne-t-il péniblement une définition du concubinage comme étant « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».

2. Le concubinage du Code civil n'est pourtant qu'une forme parmi d'autres de ce type d'union. A ce sujet, il est coutume de dire que le concubinage est protéïforme car laissé à la libre volonté du couple, qui pourra l'enrichir à sa guise(1). Une constante existe, néanmoins : l'absence de statut. Aucune règle générale ne fixe de cadre dans lequel le concubinage a vocation à s'épanouir. Dès lors, et quelque soit la voie empruntée, l'union libre demeure égoïstement le choix des concubins en s'imposant à chacun. La matière de l'impayé n'y fait pas exception, et ce, quelque soit le type de dettes (dette de loyers, dette alimentaire, dette de chauffage…). Ainsi, à la différence des dispositions irriguant les autres formes d'union, lesquelles prévoient une solidarité pour les dépenses ménagères, la neutralité du concubinage à l'égard de l'impayé laisse les tiers parfois désabusés : seul celui qui consent supportera l'obligation à la dette, sans qu'elle puisse s'étendre à l'autre en dépit du profit qu'il a pu en tirer. De la sorte, le droit de poursuite du créancier se trouve limité, un peu comme si le couple qui lui faisait face n'existait pas. Il convient de ne pas se méprendre sur la portée de la solidarité. Le mécanisme ne consiste pas à permettre impunément l'exécution sur les biens d'autrui, mais à déclarer autrui débiteur solidaire à raison de certaines dépenses, jugées indispensables et nécessaires à la vie du couple, à savoir les dettes ménagères. Dans le paysage juridique du couple, le concubinage fait ainsi figure d'exception (I), même si l'identité de situation avec les autres formes d'union conduit légitimement à vouloir lui appliquer des règles similaires (II).

I. A situation d'exception, règle d'exception

3. Le silence de la loi à propos du concubinage fait de cette union une situation exceptionnelle en contemplation de ce qui est pour le mariage et le pacte civil de solidarité (A). La jurisprudence confirme le propos, même si les magistrats tentent d'y apporter des correctifs dans des circonstances bien particulières (B).

A. Au regard de la loi

4. Quelque soit le régime matrimonial (communauté universelle, de biens meubles et acquêts, réduite aux acquêts ou séparation de biens) pour lequel opte le couple, les règles du régime primaire lui seront applicables. Ainsi de l'article 220 alinéa 1er du Code civil qui énonce : « Chacun [p.206] des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l'un oblige l'autre solidairement ». L'article 220 aura vocation à s'appliquer à toute dette répondant à l'objet du texte (habitation, alimentation, scolarité…), qu'ils s'agissent de dettes contractuelles ou non(2). Le domaine de la règle ratisse large comme l'illustre, par exemple, l'abondante jurisprudence relative aux cotisations sociales. La Haute juridiction a encore récemment pu confirmer que les cotisations obligatoires d'assurance vieillesse dues par un époux obligeaient l'autre solidairement, car devant être considérées comme une dette ménagère(3). La solidarité passive prévue au texte est pourtant loin d'être absolue, tempérée par quelques exceptions visées à l'alinéa 2. L'époux ne sera pas tenu solidairement pour le cas où la dépense serait manifestement excessive(4), eu égard au train de vie du ménage, à l'utilité de l'opération, ou à la bonne foi du tiers contractant. Il en ira différemment pour ce qui est des achats à tempéraments ou des emprunts pour peu qu'ils portent sur un montant modeste et qu'ils soient nécessaires aux besoins de la vie courante(5). Dans tous les cas, l'opération conclue du chef des deux époux entraî nera le retour de la solidarité légale.

5. Bizarrement, dès l'origine, les couples pacsés ont vu peser sur eux une solidarité plus rude que celle des couples mariés(6). L'article 515-4 alinéa 2 du Code civil disposait initialement que les partenaires étaient « tenus solidairement à l'égard des tiers des dettes contractées par l'un deux pour les besoins de la vie courante et pour les dépenses relatives au logement ». Aucune exception n'était apportée à l'obligation faite aux partenaires de répondre solidairement aux dépenses visées, que ce soit s'agissant des dépenses manifestement excessives ou des achats à tempérament et autres emprunts. La loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités est venue apporter quelques correctifs au texte en prévoyant le cas des dépenses manifestement excessives. Puis, la loi du 1er juillet 2010 paracheva la rédaction de l'article 515-4 alinéa 2e du Code civil. Le pacte civil de solidarité se trouve alors aligné sur le mariage(7) : « Les partenaires sont tenus solidairement à l'égard des tiers des dettes contractées par l'un d'eux pour les besoins de la vie courante. Toutefois, cette solidarité n'a pas lieu pour les dépenses manifestement excessives. Elle n'a pas lieu non plus, s'ils n'ont été conclus du consentement des deux partenaires, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante ». La méthode utilisée par le pouvoir législatif intéressera en ce qu'elle fait de l'article 220 du Code civil un texte de référence ayant la possibilité de rayonner au-delà des seules limites du mariage : le nouvel article 515-4 du Code civil a été voulu comme une disposition miroir de l'article 220 du même code.

6. Le Code civil reste muet pour ce qui est de l'impayé du concubin. L'absence de statut, de règles générales fait à cet égard du concubinage une union singulière. Deux séries de remarques peuvent être formulées. En premier lieu, le défaut de formalisation des volontés du couple paraî t justifier l'ignorance du droit à l'égard de ce type d'union. Le concubinage, c'est un peu du « chacun pour soi »(8), une sorte d'anarchie contrastant avec ce qui est applicable dans les deux autres formes d'union. L'idée du « vivre ensemble » échappe au raisonnement, le couple étant transparent. En second lieu, la situation des concubins face à l'impayé révèle un double paradoxe. Alors qu'elle peut être considérée comme exceptionnelle au regard des règles gouvernant les autres formes de couple, la situation semble exemplaire lorsqu'elle est mise en parallèle avec le droit commun des obligations qui enseigne que la solidarité ne se présume pas(9). Et si la loi du 1er juillet 2010 a finalement mis un point d'orgue à aligner le pacte civil de solidarité sur le mariage, il n'empêche que la démarche pour y parvenir est prima facie révélatrice d'une méthode pour le moins illogique. En effet, la solidarité applicable ab initio aux partenaires, qui souvent font de leur contrat de couple un galop d'essai marqué du sceau du provisoire, était plus rigoureuse que celle concernant le couple marié, dont l'intensité de l'engagement semble connue et reconnue de tous. Le caractère plus ou moins libertaire n'influe donc pas dans le raisonnement, de sorte que la méthode utilisée paraî t briller par son incohérence : la relation entre le couple et l'impayé avance à tâtons sans aucune vue d'ensemble.

B. Au regard de la jurisprudence

7. Si l'exclusion de la solidarité du domaine du concubinage est maintenant bien admise en jurisprudence, c'est non sans une certaine souffrance. En effet, que ce soit la doctrine ou les juges du fond, chacun s'accordait pour reconnaî tre une obligation solidaire aux concubins pour ce qui est des dettes du ménage. Indifféremment alors, le créancier pouvait poursuivre l'un ou l'autre afin de recouvrer la totalité de son dû. Ainsi, dans un arrêt de la Cour d'appel [p.207] de Bordeaux du 15 mars 1983(10), les juges du second degré ont pu concéder que : « si les articles 214 et 220 du Code civil s'appliquent aux seules personnes mariées et non aux concubins, il n'en demeure pas moins qu'il existe entre les concubins une société de fait ou une communauté d'intérêts fondée sur la mise en commun des ressources de l'un et de l'autre, et la volonté mutuelle de participer aux dépenses courantes et raisonnables, et que chacun d'eux s'engage personnellement vis-à-vis des tiers pour de telles dépenses, tant parce que les concubins créent vis-à-vis des tiers l'illusion d'un faux ménage, que parce que le concubinage suppose l'intention des parties de régler les fournitures communes tout au moins dans la mesure où celles-ci n'ont pas un caractère manifestement excessif ». En l'espèce, le concubin non contractant fut tenu de payer la commande de fuel effectuée par la concubine, car, aux yeux des juges, la dépense avait été effectuée dans l'intérêt commun des concubins. Il en va, en outre, de la protection des droits des tiers qui n'ont pas, concrètement, à pâtir de la conjugalité choisie(11). Comme il a pu être justement écrit : « déclarer des concubins tenus comme le seraient des époux des engagements contractés par l'un d'eux envers un tiers qui a pu les prendre pour des gens mariés, c'est seulement protéger des tiers de bonne foi contre des surprises comme le droit le fait en maintes occasions »(12). La théorie de l'apparence permet alors de déjouer l'absence de disposition légale et de canaliser les effets de manœuvres peu glorieuses.

8. C'est par un arrêt du 11 janvier 1984 que la Haute juridiction s'est prononcée pour la première fois pour trancher la question, même si un doute avait pu naî tre dans l'esprit de certains commentateurs sur la portée exacte de la décision s'agissant d'une espèce tranchant une difficulté relative à la contribution à la dette et non à l'obligation aux charges ménagères(13). Mais, par la suite, la Cour de cassation n'a cessé logiquement d'exclure l'article 220 du Code civil au cas du concubinage. Ainsi, par exemple, en application des articles 214 et 220 dudit code, la première Chambre civile a pu rejeter la solidarité entre concubins s'agissant de dépenses liées à la cohabitation (loyers, achats de meubles meublants)(14). Elle a renouvelé la solution au seul visa de l'article 220 cette fois, pour ce qui est des factures d'électricité, le contrat d'abonnement ayant été conclu au seul nom de la concubine(15) ou encore, au visa des articles 220 et 1202 du Code civil, s'agissant du remboursement d'un prêt contracté par un seul, bien que le couple ait bénéficié de l'argent pour les besoins du ménage(16). La solidarité demeure étrangère à l'union libre, faute de disposition en ce sens. Le couple vivant en concubinage apparaî t, dès lors, comme un bastion imprenable pour le créancier poursuivant.

II. A situation similaire, règle similaire

9. L'identité de situation des concubins par rapport aux autres formes d'union incite à retenir une identité de régime (A). Il n'est, d'ailleurs, pas rare que le droit appréhende les concubins comme des époux ou partenaires, signe révélateur que l'assimilation de régime n'est peut être pas totalement incongrue (B).

A. Assimilation dans les faits

10. Y a-t-il vraiment lieu de s'étonner du contentieux relatif à l'application de l'article 220 du Code civil en matière de concubinage ? D'un point de vue strictement juridique, la question n'a, à vrai dire, pas lieu d'être. L'article 220 du Code civil ne s'applique et ne continuera à s'appliquer qu'à une seule forme d'union, le mariage. On pense peut-être qu'une règle du régime primaire devrait pouvoir irradier l'ensemble des formes de conjugalité, comme une sorte de droit commun du couple. Nul ne penserait, d'ailleurs, à invoquer l'article 515-4 du Code civil dans un tel contexte. Pourtant, d'un point de vue factuel, l'interrogation est loin d'apparaî tre saugrenue. Un arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 2011(17) intéressera ici tout particulièrement, non pas au regard du classicisme de la solution retenue, mais compte tenu du raisonnement des juges de première instance visant à privilégier l'esprit sur la lettre de l'article 220 du Code civil. En l'espèce, une ouverture de crédit d'un montant relativement modeste avait été consentie à la concubine, décédée quelques années plus tard. Le prêteur obtint une ordonnance d'injonction de payer le solde dû à l'encontre du concubin, qui avait également souscrit en qualité de « conjoint de l'emprunteur ». Malgré l'opposition du concubin, lequel contestait, en outre, sa signature, les magistrats maintinrent la condamnation : « Attendu que pour condamner M. Y., au paiement, en deniers ou quittances, de la somme de 1226,69 euros avec intérêts au taux conventionnel de 18,22 % à compter de la mise en demeure du 11 avril 2006 sur la somme de 1089,96 euros, le jugement attaqué énonce que M. Y… ne conteste nullement avoir été le concubin de Mme X., signataire du contrat de prêt, qu'il est constant qu'il a bénéficié des fonds mis à la disposition [p.208] du couple et que l'emprunt litigieux concerne une ouverture de crédit renouvelable destinée à conférer une trésorerie correspondant aux besoins de la vie courante au sens de l'article 220 du code civil, de sorte qu'il engage solidairement Mme X. et M. Y. ». Le jugement fut évidemment cassé compte tenu du champ d'application imparti à l'article 220 du Code civil, inopérant en matière de concubinage. Le raisonnement des magistrats mérite cependant d'être souligné, comme marquant une sorte d'incompréhension à l'encontre de la différence de traitement soumise.

11. L'union de fait constituée par le concubinage suppose une communauté de vie présentant certains caractères dont ceux de stabilité et de continuité. Le concubinage est un ménage de fait impliquant avec lui une série d'effets juridiques liés à la vie à deux. Seul le droit paraî t encore l'ignorer. L'existence du ménage semble s'opposer à l'indépendance persistante prêtée volontiers aux concubins, le couple poursuivant effectivement des préoccupations, objectifs et projets communs : les concubins ne sont pas des étrangers l'un par rapport à l'autre, même s'il semble plus facile de croire le contraire. Si l'engagement du couple paraî t plus ténu que dans les deux autres types de conjugalité, cela n'empêche que la communauté de vie existe, voire perdure bien au-delà des souhaits originaires, et parfois même plus longtemps que certaines unions célébrées solennellement. Les concubins semblent aisément se passer d'une quelconque formalisation de leur union, non qu'ils souhaitent rester dans la différence, mais parce qu'ils n'y voient simplement aucun intérêt. A cette identité de communauté de vie devrait logiquement répondre une identité de régime(18). Les entités fondatrices du ménage, qui naî t et vit des intérêts communs(19), devraient pouvoir être recherchées s'agissant du règlement des dettes servant à alimenter la vie à deux. Comme il avait déjà pu être souligné en son temps, « l'essentiel est de comprendre que le régime des dépenses de ménage est la suite naturelle de l'existence d'un ménage notoire à l'égard des tiers »(20). A cet égard, le décalage existant entre le concubinage et les autres formes de couple n'apparaî t guère justifiable. Plus prosaïquement, qui pourrait soutenir que l'unique téléviseur du ménage acquis par la concubine ne sert pas indifféremment à chacun ou bien que le véhicule de l'un ne passe pas volontiers entre les mains de l'autre ? Quid également des dépenses liées à l'habitation, notamment le loyer(21) ou encore les factures de chauffage ou d'électricité ? Sous cet angle, l'arrêt de la Cour d'appel de Bourges du 8 décembre 1997(22), bien que censuré par la Haute juridiction(23), est instructif en retenant : « si l'union libre confère des droits de plus en plus nombreux qui rapprochent cette situation du statut du mariage, il convient alors de faire application aux concubins des mêmes obligations que celles des époux quant aux dépenses d'entretien au nombre desquelles figurent les factures de fourniture d'électricité, de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter à la seule identité du titulaire du contrat d'abonnement et que le concubin qui vit habituellement sous le même toit engage sa compagne ». En bref, les faits révèlent que, pour ce qui est des besoins de la vie courante, le concubinage, ce n'est pas l'un ou l'autre, mais bien l'un et l'autre.

B. Assimilation par le droit

12. Le rapprochement entre le concubinage et le mariage ou le pacte civil de solidarité s'observe à plusieurs niveaux, soit que les concubins soient traités de façon comparable aux époux ou partenaires, soit qu'ils jouissent de droits identiques. Dans le domaine social, l'article L. 262-9 du Code de l'action sociale et des familles instituant le revenu de solidarité active considère « comme isolée une personne veuve, divorcée, séparée ou célibataire, qui ne vit pas en couple de manière notoire et permanente ». Ici, la règle se recentre sur le couple sans discrimination eu égard aux différentes formes de vie commune. Il en va de même de l'article L. 523-2 du Code de la sécurité sociale pour ce qui est de l'allocation de soutien familial. Le texte dispose, en effet, que « peut bénéficier de l'allocation le père, la mère ou la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l'enfant orphelin ou de l'enfant assimilé à un orphelin au sens de l'article L. 523-1 », tout en précisant que l'allocation cesse d'être due lorsque le bénéficiaire « se marie, conclut un pacte civil de solidarité ou vit en concubinage ». Dans cet ordre d'idée, l'article L. 321-5 du Code rural et de la pêche maritime prévoit la possibilité pour les personnes qui sont liées par un pacte civil de solidarité ou qui vivent en concubinage avec le chef d'exploitation ou d'entreprise agricole d'opter pour le statut du conjoint collaborateur. D'ailleurs, à ce sujet, l'article 19 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie dispose que « dans un délai d'un an suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur les modalités de l'extension du statut de conjoint collaborateur aux personnes qui vivent en concubinage avec un chef d'entreprise »(24). Les différences de traitement entre les différentes formes d'union paraissent s'estomper petit à petit, au fil des législations.

[p.209] 13. En matière de baux d'habitation principale, la loi du 6 juillet 1989 accorde les mêmes droits aux concubins notoires qu'aux conjoints ou partenaires. L'article 14 prévoit une continuation ou un transfert du contrat au profit du concubin notoire en cas d'abandon ou de décès du locataire. En outre, l'article 15 de ladite loi indique que le bailleur peut reprendre le bien loué à son profit, au profit de son conjoint, du partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré à la date du congé, de son concubin notoire depuis au moins un an à la date du congé, de ses ascendants, de ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire. Le domaine de la procédure civile illustre également l'alignement du concubinage sur les autres formes d'union. Ainsi, le concubin, au même titre que l'époux ou le partenaire, a la possibilité d'assister ou de représenter les parties devant la juridiction de proximité ou le tribunal d'instance(25). De manière plus intense, la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures a consacré le juge aux affaires familiales comme le juge de la conjugalité(26). L'article L. 213-3 du Code de l'organisation judiciaire dispose effectivement que le juge aux affaires familiales connaî t aussi bien des demandes relatives au fonctionnement des régimes matrimoniaux que de celles relatives aux indivisions entre personnes liées par un pacte civil de solidarité ou entre concubins. Il a en charge la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux, des personnes liées par un pacte civil de solidarité et des concubins. Depuis la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010, il a vocation à connaî tre des actions liées « à la protection à l'encontre du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin violent ou d'un ancien conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou concubin violent »(27). Le droit commun du couple paraî t alors émerger des règles procédurales. Enfin, le célèbre arrêt Dangereux du 27 février 1970(28), après avoir admis que l'article 1382 n'exige pas « en cas de décès, l'existence d'un lien de droit entre le défunt et le demandeur en indemnisation », a reconnu la possibilité pour une concubine d'obtenir réparation du préjudice résultant pour elle de la mort de son concubin. Comme quoi, le concubinage, c'est également l'un avec l'autre.

14. Pour ce qui est de l'impayé, il arrive que le droit consacre une obligation solidaire à la charge des concubins. Le droit fiscal, avec l'impôt de solidarité sur la fortune, en donne un exemple(29). Au même titre que les époux et les partenaires, les concubins notoires, c'est-à-dire ceux dont la relation présente un caractère connu de stabilité et de durée, font l'objet d'une imposition commune(30) et sont donc, à ce titre, redevables solidairement.

Il se peut, aussi, qu'en raison de la finalité des règles et de l'utilité pour le ménage, les concubins se retrouvent solidairement tenus au paiement. Il a pu en être jugé ainsi en ce qui concerne l'allocation personnalisée au logement laquelle versée à tort à l'un pouvait être réclamée à l'autre. Très clairement, le Conseil d'Etat a pu affirmer : « eu égard à la finalité de la réglementation en cause, lorsque l'aide personnalisée au logement a été versée à tort pour un logement occupé à titre de résidence principale par deux personnes vivant en concubinage, les concubins sont tenus solidairement au remboursement de l'indu en raison du profit qu'ils en ont l'un et l'autre retiré, alors que l'aide n'avait été nommément attribuée qu'à un seul des deux en raison de sa qualité de propriétaire ou de locataire. Cette solution valable aussi bien avant qu'après l'intervention de la loi du 15 novembre 1999 qui a introduit dans le Code civil un article 515-8 définissant légalement le concubinage, s'applique également aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité régi par les articles 515-1 à 515-7 du Code civil »(31). Et voilà reconnu par l'ordre administratif, la solidarité entre concubins fondée sur le profit commun. La vie commune, fût-elle informelle, peut très bien faire naî tre des obligations à l'encontre de chaque membre du couple, sans que l'on y trouve à redire.

15. L'extension de la solidarité des dettes ménagères à toute forme d'union mérite sans nul doute une réflexion. Le pouvoir législatif pourrait se saisir de la question pour que les concubins soient tenus solidairement ou, comme il a déjà été dit, soient tenus à une « obligation au tout »(32) concernant les besoins du ménage. Certains resteront emprisonnés dans leur vérité, faisant alors, bien involontairement il est vrai, du concubinage une sorte de dogme auquel il ne faut en aucun cas toucher. Cette attitude intellectuelle fondée sur un renoncement a pour effet de consacrer le concubinage comme une union sacrée, bien qu'historiquement vu d'un mauvais œil. La réalité semble pourtant révéler une autre vérité, celle consistant à voir dans l'union libre un couple avec des besoins et des projets(33). La volonté des concubins de vivre « hors-la-loi » doit-elle continuer à s'imposer à tous, qui plus est, lorsqu'elle s'exerce au vu et au su de chacun ?

L'exécutant se prend alors naïvement à songer que, peut-être un jour, le droit du créancier ne sera plus bafoué par les choix conjugaux de son débiteur.