Vigilance sur le caractère exécutoire du titre (À propos des arrêts du 7 juin 2012)

Olivier SALATI Maître de conférences à l'Université d'Aix Marseille

Le 7 juin 2012, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a rendu cinq arrêts d'une importance particulière, affirmant que les actes notariés qui ne répondent pas aux prescriptions de l'article 21 du décret du 26 novembre 1971, relatif aux actes établis par les notaires, perdent leur caractère authentique par application de l'article 1318 du Code civil, et donc leur qualité de titre exécutoire fondant les poursuites exercées à l'encontre des débiteurs.

I. 10 1. Il faudrait un jour s'essayer à une théorie des climats dans la matière des procédures civiles d'exécution, et peut-être s'apercevrait-on, alors, que le « grand été » est la saison préférée de ceux qui la construisent : juge et pouvoirs publics notamment. La loi régissant les procédures civiles d'exécution date du 9 juillet 1991, son décret d'application du 31 juillet 1992, le Code des procédures civiles d'exécution est entré en vigueur le 1er juin 2012, et en jurisprudence qui a oublié, par exemple, les arrêts rendus par la Cour de cassation le 5 juillet 2000 relatifs à la saisie-attribution, ou celui du 18 juin 2009 qui a reconnu au juge de l'exécution le pouvoir de se prononcer sur la nullité d'un engagement résultant d'un acte notarié exécutoire, invoquée pour absence prétendue de l'une des conditions requises par la loi pour la validité de sa formation, même si la difficulté, donc, a trait à la substance de cet acte ? Juin 2009, qui n'est d'ailleurs pas très éloigné de juin 2012 sous l'angle du devoir de vérification du caractère exécutoire du titre que les cinq arrêts du 7 juin 2012 relancent avec force à propos, là encore, des actes établis par les notaires.

2. Dans chacune des affaires (n'en formant qu'une, « l'affaire Apollonia ») la situation était à peu près la même, dans la mesure où, par l'intermédiaire d'une société, des particuliers avaient été conduits à souscrire des prêts ayant pour objet de financer des acquisitions immobilières prétendument avantageuses sur le plan fiscal et locatif. Chaque emprunt devait être passé par acte authentique, mais les parties, étant absentes le jour de la signature de l'acte, avaient donné procuration aux clercs de chacune des études pour les représenter. Les actes de prêt furent ensuite établis, et s'ils faisaient état des procurations authentiques données par les emprunteurs au notaire assistant, celles-ci, néanmoins, ne furent pas annexées aux actes, ou alors aux seuls actes notariés de vente devant être signés en même temps que les actes de prêt(1). Or, aux termes de l'article 21 du décret n° 71-941 du 26 novembre 1971 relatif aux actes établis par les notaires, « l'acte notarié porte mention des documents qui lui sont annexés (al. 1). Les procurations sont annexées à l'acte à moins qu'elles ne soient déposées aux minutes du notaire rédacteur de l'acte. Dans ce cas, il est fait mention dans l'acte du dépôt de la procuration au rang des minutes (al. 2) »(2). L'opération venant à prendre un tour douteux et une instance pénale ayant été déclenchée, les banques, confrontées à des défauts de remboursement, poursuivirent les emprunteurs et engagèrent, munies des copies exécutoires des actes authentiques de prêt(3), des mesures contre eux, aussi bien conservatoires (hypothèque judiciaire provisoire)(4) qu'exécutoires (saisie immobilière)(5). Les débiteurs répliquèrent en se plaçant sur le terrain de l'irrégularité formelle des actes de prêt, qui ne pouvaient constituer des titres exécutoires permettant les poursuites dans la mesure où ils étaient dépourvus de force authentique, faute de contenir, en annexe, les procurations données par les parties, ou de mentionner l'indication que celles-ci avaient été déposées au rang des minutes du notaire. Cette irrégularité pouvait-elle permettre de déclarer nul le commandement de payer valant saisie, ou fonder la demande de mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire ? Dans les cinq affaires, les juges d'appel l'ont pensé : l'instrumentum, irrégulier, ne pouvait servir de base aux poursuites(6).

3. Ces décisions ont toutes été frappées de pourvoi par les banques, et puisque les poursuites avaient été engagées au vu des copies exécutoires(7) communiquées par les notaires dans [p. 195] chaque opération, une des questions qui s'est posée était de savoir si celles-ci devaient être conçues comme une sorte de fac-similé des actes originaux de prêt, et contenir nécessairement la copie certifiée conforme de tous les documents joints à la minute de l'acte notarié, et notamment les procurations, pour valoir titre exécutoire(8).

4. Dans les affaires n° 11-15.440 et 11-15.112 tout particulièrement, les pourvois insistaient sur deux points : d'une part, aucune disposition légale n'imposait que les pièces annexées de l'acte authentique soient également annexées à la copie exécutoire, et en considérant que les procurations données par les emprunteurs et la banque au clerc qui les avait représentés auraient dû être annexées à la copie exécutoire, la cour d'appel avait violé, notamment, l'article 1er de la loi du 15 juin 1976 ; d'autre part, si irrégularité de forme il y avait, elle n'était pas sanctionnée par la nullité, et, dès lors, considérer que « l'irrégularité constatée était de nature à faire perdre à l'acte de prêt son caractère exécutoire ou du moins à porter atteinte à sa force exécutoire »(9), revenait à violer les articles 2 et 3 de la loi du 9 juillet 1991, aujourd'hui articles L. 111-2 et L. 111-3 du Code des procédures civiles d'exécution.

5. Dans l'affaire n° 11-16.107, le pourvoi soutenait aussi que l'irrégularité de forme affectant la mention, dans l'acte authentique de prêt, du dépôt de la procuration aux minutes du notaire, lorsqu'elle ne fait pas grief à l'emprunteur qui, en l'espèce, ne contestait pas avoir donné procuration à l'officier public, ne pouvait priver l'acte authentique de prêt de son caractère exécutoire, et qu'en déduisant de cette absence de mention qu'en bout de course la mainlevée des hypothèques provisoires était justifiée les juges d'appel avaient non seulement violé l'article 21 du décret du 26 novembre 1971, mais également l'article 1318 du Code civil selon lequel « l'acte qui n'est point authentique (...) par un défaut de forme, vaut comme écriture privée, s'il a été signé des parties ».

6. Dans les affaires n° 11-17.759 et n° 11-19.022, enfin, la banque prétendait que n'a pas à être annexée à la minute d'un des actes, pour la conclusion duquel elle a été donnée, la procuration qui a déjà été déposée au rang des minutes du notaire rédacteur par son annexion à la minute d'un acte précédent. La cour, qui avait jugé que l'annexion de la procuration à la minute de l'acte de vente ne pouvait suppléer l'absence d'annexion de cette procuration à l'acte de prêt, avait donc violé l'article 21 du décret du 26 novembre 1971.

7. La deuxième Chambre civile rejette néanmoins tous les pourvois par des attendus qui, s'exprimant tous sur le caractère exécutoire du titre, méritent d'être reproduits. Dans les affaires nos11-15.440 et 11.15.112, tout d'abord, elle décide à l'identique que « les poursuites étaient engagées sur le fondement d'un acte de prêt notarié et au vu de l'original de la copie exécutoire établie par le notaire rédacteur de l'acte et que celle-ci, qui doit être la reproduction littérale de l'acte déposé au rang des minutes du notaire, ne portait pas mention de l'annexion des procurations de M. et Mme X à celui-ci ; et attendu qu'il résulte de l'article 1318 du Code civil que l'acte notarié qui ne satisfait pas aux prescriptions de l'article (...) 21 du décret du 26 novembre 1971, relatif aux actes établis par les notaires, perd son caractère authentique ; qu'ayant relevé que les procurations n'étaient pas annexées à l'acte de prêt et que celui-ci ne faisait pas mention de leur dépôt au rang des minutes du notaire, la cour d'appel, qui n'a pas dit que les procurations devaient être annexées à la copie exécutoire, en a déduit à bon droit que la banque ne justifiait pas d'un titre exécutoire fondant les poursuites exercées à l'encontre de M. et Mme X ».

8. La Cour de cassation pose le même principe dans les trois autres arrêts, mais avec parfois des termes différents qui ne manquent pas d'intérêt. Dans l'affaire n° 11-16.107, elle relève en effet que les actes notariés « qui ne mentionnaient pas le dépôt des procurations au rang des minutes du notaire en contravention aux prescriptions de l'article 21 du décret du 26 novembre 1971 (...) étaient entachés d'une irrégularité formelle et ne valaient que comme écriture privée par application de l'article 1318 du Code civil », ce qui justifiait, dans ces conditions, la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire « pratiquée sans titre exécutoire » ; la décision regroupant les pourvois n° 11-15.439 et 11-18.085 insiste sur le fait qu'un tel acte notarié « perd son caractère authentique », et l'arrêt regroupant également les pourvois n° 11-17.759 et 11-19.022 approuve pour sa part les juges d'appel, qui avaient constaté que la procuration donnée à un clerc de l'étude, à la fois pour acquérir le bien immobilier et pour emprunter, n'avait pas été annexée à l'acte notarié de prêt servant de fondement aux poursuites, et n'avait pas été déposée au rang des minutes du notaire rédacteur de l'acte, « sans que puisse être assimilé à un tel dépôt, celui de l'acte notarié de vente auquel était annexé ladite procuration », d'en avoir déduit que « cet acte ne constituait pas un acte authentique au sens de l'article 3 de la loi du 9 juillet 1991 », devenu depuis article L. 111-3 du Code des procédures civiles d'exécution.

9. Copie exécutoire ne comportant pas mention de l'annexion des procurations(10), acte de prêt notarié sans procurations annexées ou ne mentionnant pas leur dépôt au rang des minutes, annexion de la procuration à la minute de l'acte de vente à la place de l'annexion de l'acte de prêt, toutes contraventions à l'article 21 du décret de 1971 qui, on le voit, affectent la force exécutoire de l'original de l'acte de prêt et de sa copie, et font perdre le droit de recourir à l'exécution forcée. [p. 196] Il ne s'agit pas ici de dresser le catalogue complet de toutes les irrégularités qui peuvent affecter un acte notarié en tant qu'instrumentum, ni de se demander si les exigences imposées pour la rédaction des minutes valent pour les copies et sont donc sanctionnées de la même manière dans les deux cas, mais simplement de se demander à partir de quel moment la force exécutoire de l'acte notarié, qui signifie « que, sur l'étendue du territoire de la République, le créancier qui produit, comme titre de créance, un acte notarié contenant une obligation de payer une dette certaine et liquide, peut en poursuivre l'exécution sans être obligé de recourir aux tribunaux pour obtenir un jugement de condamnation contre son débiteur »(11), est atteinte.

10. Dans les cinq arrêts rendus par la deuxième Chambre civile, il apparaî t que la force exécutoire de l'acte est liée à sa régularité formelle, et que de l'inobservation de ses règles d'établissement et de rédaction découle la perte du caractère authentique qui, seul, comme le rappelle le communiqué de la Cour, permet d'engager des poursuites sans disposer d'une décision de justice. Cette « réaction en chaî ne » - le déclassement de l'acte authentique entrainant la disparition du caractère exécutoire - semble assez nette dans l'arrêt n° 11-16.107, posant que les actes notariés « qui ne mentionnaient pas le dépôt des procurations au rang des minutes du notaire en contravention aux prescriptions de l'article 21 du décret du 26 novembre 1971 (?), étaient entachés d'une irrégularité formelle et ne valaient que comme écriture privée par application de l'article 1318 du Code civil », et où, en conséquence, les juges d'appel avaient justement « ordonné la mainlevée de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire pratiquée sans titre exécutoire ». En d'autres termes, l'original irrégulier, disqualifié en acte sous seing privé(12), entraî ne la force exécutoire dans sa chute. Voilà qui semble a priori revenir sur un arrêt rendu par la première Chambre civile le 22 mars 2012, dans lequel la Cour a considéré que « l'obligation, pour le notaire, de faire figurer les procurations en annexe de l'acte authentique ou de les déposer au rang de ses minutes n'est pas sanctionnée par la nullité de l'acte en tant que titre exécutoire »(13).

11. Faut-il néanmoins désapprouver la perte du caractère authentique décidée aujourd'hui par la Cour de cassation ? Nous ne le pensons pas, pour la raison principale que c'est la solution que le législateur lui-même prévoit dans le Code civil. L'article 1318 le dit expressément : du fait d' « un défaut de forme » l'acte « n'est point authentique ». Or, l'annexion des procurations à l'acte est bien une exigence de forme, substantielle par-dessus le marché, car, comme on l'a souligné, l'authenticité a pour préalable indispensable l'identification des parties qui consentent à l'acte, et c'est le devoir du notaire, professionnel du droit, de recevoir cet acte en s'assurant des procurations lorsque les parties ne sont pas présentes, présentation des procurations dont les annexes sont l'instrument(14), et la garantie. L'authenticité ne tient pas seulement à la présence de l'officier public, elle tient aussi à la régularité formelle de l'acte qu'il « confectionne », qui conditionne l'efficacité de celui-ci en tant qu'ensemble. On ajoutera ce que tout le monde sait déjà : c'est qu'en cas de représentation d'une partie par un mandataire, le notaire est tenu d'une obligation de vérification renforcée sous peine d'engager sa responsabilité(15). Dès lors, on hésite tout de même à admettre que le défaut d'annexion des procurations ainsi que de mention de leur dépôt au rang des minutes soient sans incidence sur la qualité de titre exécutoire de l'acte notarié qui pourrait, malgré ces irrégularités, permettre de poursuivre l'exécution forcée sur les biens du débiteur. Le titre exécutoire « au sens »(16) de l'article L. 111-3 4° du Code des procédures civiles d'exécution, en effet, est un instrumentum qui légitime une mesure de contrainte, et qui pour cette raison doit contenir tous les éléments permettant d'identifier précisément le débiteur. Il y a là un préalable à sa force exécutoire, nécessaire lorsque, comme dans ces affaires, les actes notariés ont été passés par représentation du côté des deux parties. En d'autres termes, l'exécution (ou la conservation(17)) suppose la perfection de l'acte authentique qui en constitue le fondement, et ne saurait s'accommoder d'imprécisions(18). Ce n'est qu'à cette condition que l'autorité qui lui est attachée naturellement, et reconnue par l'article L. 111-3 4° du Code des procédures civiles d'exécution, pourra produire tous ses effets.

12. Les notaires, tout comme les huissiers de justice, sont des officiers publics « établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d'authenticité attaché aux actes de l'autorité publique et pour (?) en délivrer des grosses et expéditions » (Ord. n° 45-2590 du 2 nov. 1945, art. 1er). C'est vers eux - et les autres professionnels du droit - que les particuliers se tournent lorsqu'ils veulent s'assurer de la sécurité juridique de leurs opérations(19), pour qu'ils « empêchent les différends de naî tre entre les hommes de bonne foi »(20). Mais les avantages de l'authenticité, notamment la force exécutoire, ne sont pas inconditionnés, ils dépendent des exigences de forme auxquelles les actes doivent répondre, et dont le respect, on le voit, est sanctionné par la Cour de cassation à travers la disqualification en acte sous seing privé. Encore une fois, cela ne nous semble pas excessif : lorsque le titre exécutoire résulte de l'acte authentique établi par le notaire, qu'il est créé en même temps que la créance qu'il représente(21), il est nécessaire que ce titre authentique puisse parer à tout reproche. Ce n'est pas de la sévérité facile, mais tout le prestige - et l'avenir - de l'acte notarié…