Retour sur le délai de forclusion en matière de crédit à la consommation

Eric BAZIN

Magistrat

L'article L. 311-37 devenu L. 311-52 du Code de la consommation contient plusieurs règles qui continuent d'alimenter les prétoires et la discussion doctrinale.

Si le domaine et la nature du délai de forclusion semblent moins contentieux, la détermination du point de départ de ce délai légal reste très problématique.

Après la réforme du 1er juillet 2010 et plusieurs arrêts récents rendus par la Cour de cassation en la matière, il paraî t utile de faire le point sur le délai de forclusion applicable aux crédits à la consommation.

I. 11 (1)1. Il existe des questions qui suscitent l'agacement. C'est le cas du délai de forclusion applicable au contentieux du crédit de la consommation. Précisément, le prêteur doit mettre en oeuvre les actions en paiement à l'encontre de l'emprunteur devant le tribunal d'instance dans les deux ans qui suivent l'événement qui lui a donné naissance sous peine de forclusion(2).

Il faut s'attarder sur les différences entre la forclusion et la prescription(3). En effet, la prescription peut être suspendue ou interrompue. En revanche, la forclusion ne peut être suspendue. Elle n'est interrompue que par une citation en justice, réalisée au fond(4) et par le réaménagement ou le rééchelonnement des échéances impayées(5). S'agissant d'un délai préfix et non d'un délai de prescription, l'emprunteur ne peut y renoncer. Surtout, le juge doit relever normalement d'office la forclusion alors que la prescription ne peut être soulevée que la partie intéressée(6).

Si la question de la forclusion des actions en paiement dans le crédit à la consommation suscite autant l'agacement, c'est parce que nous avons le sentiment qu'elle ne sera jamais réglée, malgré les efforts du législateur et de la jurisprudence, face à une pratique bancaire qui ne cesse de vouloir maî triser déloyalement le délai de forclusion. Il suffit de suivre les discussions doctrinales sur la clause du double montant dans le cadre du crédit renouvelable pour s'en convaincre(7).

2. Rappelons qu'à l'origine, l'article 27 de la loi n° 78-22 du 10 janvier 1978 dite loi Scrivener du nom du secrétaire d'État disposait que « le tribunal d'instance connaî t des litiges nés de l'application de la présente loi. Les actions engagées devant lui doivent être formées dans les deux de l'événement qui leur a donné naissance ».

Pour mettre fin à la querelle sur la nature du délai légal(8), l'article 12 de la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 rajouta au texte d'origine « à peine de forclusion »(9). Puis la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 ajouta « y compris lorsqu'elles sont nées de contrats conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 89-421 du 23 juin 1989 »(10). Le délai de forclusion fût par [p. 198] la suite intégré en 1993 dans le Code de la consommation sous l'article L. 311-37(11).

Jusqu'à l'adoption de l'article 16, II de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 dite loi Murcef, l'article L. 311-37 du Code de la consommation s'imposait aux actions engagées par le prêteur comme par l'emprunteur. En résumé, le délai de forclusion était opposable à l'emprunteur dès lors qu'il contestait le crédit par voie d'action ou par voie d'exception(12).

Cette solution constituait une véritable injustice. En effet, le point de départ du délai de forclusion applicable à l'action engagée par l'emprunteur en contestation de la régularité du contrat de crédit se situait à la formation dudit contrat alors que le point de départ du délai de forclusion applicable à l'action en paiement engagée par le prêteur se situait en cours d'exécution du contrat de crédit, à savoir à la première échéance impayée non régularisée(13).

Afin de faire cesser cette incohérence (rappelons que la réglementation est destinée à protéger le contractant le plus faible, donc le consommateur), la loi Murcef du 11 décembre 2001 réserve le domaine du délai de forclusion aux seules actions en paiement du prêteur contre l'emprunteur défaillant.

Restait à cerner le point de départ du délai de forclusion variable selon la nature des opérations de crédit.

La loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010(14) tente de clarifier la question de ce point de départ dans un nouvel article L. 311-52 qui remplace ainsi l'ancien article L. 311-37 du Code de la consommation.

Cet article prévoit aujourd'hui que :

« Le tribunal d'instance connaî t des litiges nés de l'application du présent chapitre. Les actions en paiement engagées devant lui à l'occasion de la défaillance de l'emprunteur doivent être formées dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance sous peine de forclusion.

Cet événement est caractérisé par :

- le non-paiement des sommes dues à la suite de la résiliation du contrat ou de son terme ;

- ou le premier incident de paiement non régularisé ;

- ou le dépassement non régularisé du montant total du crédit consenti dans le cadre d'un contrat de crédit renouvelable ;

- ou le dépassement au sens du 11° de l'article L. 311-1, non régularisé à l'issue du délai prévu à l'article L. 311-47.

Lorsque les modalités de règlement des échéances impayées ont fait l'objet d'un réaménagement ou d'un rééchelonnement, le point de départ du délai de forclusion est le premier incident non régularisé intervenu après le premier aménagement ou rééchelonnement conclu entre les intéressés ou après adoption du plan conventionnel de redressement prévu à l'article L. 331-6 ou après décision de la commission imposant les mesures prévues à l'article L. 331-7 ou la décision du juge du tribunal d'instance (L. n° 2010-1609 du 22 décembre 2010) homologuant les mesures prévues à l'article L. 331-7-1 ».

3. Le délai de forclusion ne cesse pas seulement d'alimenter la chronique législative. Il alimente aussi les chroniques doctrinale et judiciaire. Après la réforme du 1er juillet 2010, il est donc intéressant de faire le point sur les solutions actuellement adoptées en matière de délai de forclusion applicable au contentieux du crédit de la consommation.

Si le législateur et la jurisprudence sont venus circonscrire le domaine et la nature du délai de forclusion (I), son point de départ reste encore très polémique, malgré les efforts récents de clarification (II).

I. Une délimitation renforcée du domaine et de la nature du délai de forclusion

4. Si la loi du 11 décembre 2001 a rétabli le domaine naturel du délai de forclusion aux seules actions en paiement du prêteur contre l'emprunteur défaillant, la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation contribue d'une certaine manière à préciser les contours du champ d'application du délai biennal. Il faut ajouter que la Cour de cassation s'applique à affiner le domaine du délai légal.

5. Enfin, si la nature du délai de forclusion paraî t désormais bien acquise, la jurisprudence contribue à préciser les conséquences de la qualification du délai légal en délai préfix, notamment quant à l'office du juge.

A. Un domaine d'application du délai de forclusion de plus en plus précis

6. Certaines actions sont effectivement soumises au délai de forclusion. D'autres y échappent.

1) Actions soumises au délai de forclusion

7. L'article L. 311-37 du Code de la consommation dans sa rédaction antérieure à la loi du 11 décembre 2001 prévoyait que toute action née de l'application de la réglementation sur le crédit à la consommation devait être introduite devant le tribunal d'instance dans les deux ans de l'événement qui lui a donné naissance sous peine de forclusion.

[p. 199] Dans un avis du 9 octobre 1992(15), la Cour de cassation avait décidé que le délai de forclusion devait s'appliquer non seulement aux actions en paiement du préteur contre l'emprunteur défaillant mais également à l'emprunteur qui soulevait, par voie d'action ou d'exception, la déchéance du droit aux intérêts du prêteur en cas d'irrégularité entachant l'offre préalable de crédit.

8. Il résulte de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 que le domaine d'application du délai de forclusion est désormais cantonné aux seules actions en paiement du prêteur contre l'emprunteur défaillant. Cette réforme n'est toutefois applicable qu'aux contrats de crédit à la consommation conclus à compter du 12 décembre 2001 et non aux contrats en cours. Cela signifie que les solutions antérieurement dégagées par la Cour de cassation demeurent applicables aux contrats conclus avant cette date(16).

9. Si la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010 s'efforce de clarifier explicitement le point de départ du délai de forclusion, elle élargit considérablement le domaine d'application du délai biennal.

En effet, le champ d'application des règles consuméristes applicables au crédit à la consommation est considérablement remanié par la loi nouvelle. À cet égard, la liste des opérations soumises à la nouvelle réglementation qui figure à l'article L. 311-3 du Code de la consommation se trouve ainsi élargie à des opérations précédemment exclues.

Par exemple, le seuil fixé antérieurement à 21 500 euros est aujourd'hui porté à 71 500 euros, ce qui permet au juge d'instance de devenir compétent pour des sommes allant bien au delà de son seuil habituel de compétence, voire au delà en cas de regroupement de crédits. De même, le prêteur qui consent à un consommateur une autorisation de découvert remboursable dans un délai supérieur à un mois ou égal à trois mois peut voir désormais sa créance forclose (C. consom., art. L. 311-42).

10. Toutes ces opérations de crédit qui étaient exclues du domaine d'application de la protection consumériste sont ainsi, avec la réforme, soumises au délai de forclusion institué à l'article L. 311-52 du Code de la consommation.

2) Actions exclues du délai de forclusion

11. Rappelons qu'en application de la modification apportée par la loi du 11 décembre 2001 au domaine du délai biennal, seules les actions en paiement du prêteur contre l'emprunteur défaillant sont soumises à la forclusion biennale.

Cela emporte comme conséquence que toutes les contestations de l'emprunteur qui relevaient antérieurement de la forclusion échappent aujourd'hui au délai biennal prévu à l'article L. 311-52 du Code de la consommation(17).

12. L'action de l'emprunteur tendant à voir constater la nullité du contrat de crédit à la consommation pour vice du consentement est ainsi soumise à la prescription quinquennale édictée à l'article 1304 du Code civil(18). Au surplus, l'action de l'emprunteur aux fins d'obtenir la déchéance du prêteur du droit aux intérêts sur le fondement de l'article L. 311-48 du Code de la consommation pour n'avoir pas accordé un prêt conforme aux prescriptions légales(19) doit être soumise à la prescription décennale, conformément à l'article L. 110-4, I du Code de commerce(20).

13. Quant à la caution, celle-ci pourra agir en nullité de son engagement en cas de non-respect du formalisme(21) en échappant au délai de forclusion prévu à l'article L. 311-52 du Code de la consommation.

14. De même, les actions entre coobligés ne sont plus soumises au délai de forclusion alors que précédemment, la Cour de cassation avait soumis de telles actions au délai biennal consumériste(22). En revanche, le recours formé par le prêteur contre la caution de l'emprunteur reste soumis à la forclusion biennale édictée à l'article L. 311-52 du Code de la consommation(23).

15. Antérieurement à la réforme du 11 décembre 2001, la jurisprudence est venue faire échapper au délai de forclusion du Code de la consommation toute une série d'actions telles que :

- les actions en résolution ou en annulation du contrat de crédit consécutive à celle du contrat principal(24) ;

[p. 200] - l'exception de non-livraison(25) ;

- l'action en répétition de l'indu(26) ;

- l'action en contestation de signature(27) ;

- l'action en revendication du crédit-bailleur(28) ;

- les actions fondées sur la fraude(29).

Récemment encore, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 30 mai 2012(30), décidé que le délai biennal de forclusion, en matière de crédit à la consommation, n'est pas applicable aux actions en responsabilité engagées par l'emprunteur pour non-respect du devoir de mise en garde. C'est permettre par voie de conséquence également à l'emprunteur d'obtenir la déchéance du prêteur aux intérêts pour manquement à ses devoirs précontractuels d'explication et de vérification de la solvabilité après la réforme du 1er juillet 2010(31) sans devoir supporter le délai biennal de forclusion. S'il est possible de s'interroger sur l'irrecevabilité de l'action en paiement du prêteur en cas d'octroi d'un crédit à la consommation à un emprunteur initialement insolvable(32), il semble bien qu'une telle solution se heurte à la liste limitative des événements constituant le point de départ du délai de forclusion figurant à l'article L. 311-52 du Code de la consommation(33).

16. La nature du délai de forclusion, ainsi que ses conséquences, paraissent également acquises.

B. Une nature du délai de forclusion très protectrice du consommateur

17. Les réformes du 11 décembre 2001 et du 1er juillet 2010 n'ont pas modifié le caractère préfix du délai biennal, en matière de crédit à la consommation. En revanche, il est important d'examiner les conséquences dégagées par la jurisprudence de la nature du délai biennal.

1) Maintien d'un délai de forclusion

18. Il ne fait plus aucun doute que le délai biennal prévu à l'article L. 311-52 du Code de la consommation constitue un délai préfix, donc de forclusion et non de prescription(34). La polémique qui avait eu lieu dès l'origine du texte a été solutionnée par la loi du 23 juin 1989 qui est venue ajouter à l'ancienne disposition légale l'expression « à peine de forclusion »(35).

Les conséquences de cette qualification du délai biennal qui a toujours été maintenue par les législations successives, ne cessent de faire l'objet de la part de la jurisprudence de précisions particulièrement importantes.

2) Conséquences d'un délai préfix affinées par la jurisprudence

19. Il convient de rappeler que seule une action en justice régulière(36) est de nature à interrompre le délai de forclusion.

Ainsi sont notamment interruptifs du délai biennal :

- l'assignation devant le juge du fond compétent(37) ou incompétent(38) ;

- l'assignation en référé-provision(39) ;

- la signification d'une ordonnance d'injonction de payer(40) ;

- la demande reconventionnelle en paiement par voie de conclusions(41).

20. Mais assurément, cette qualification du délai biennal en délai de forclusion emporte deux autres conséquences importantes :

- le juge doit relever d'office son expiration ;

- les parties ne peuvent, même de façon expresse, y renoncer.

Au premier chef, le juge du fond est tenu de relever d'office la fin de non-recevoir tirée de la forclusion édictée aujourd'hui à l'article L. 311-52 du Code de la consommation, à la condition que celle-ci résulte des faits litigieux, dont l'allégation, comme la preuve, incombe aux parties(42).

En effet, en application des articles 125 du Code de procédure civile et L. 311-52 du Code de la consommation, le juge est tenu de relever les fins de non-recevoir d'ordre public, telle la forclusion biennale. C'est une différence essentielle avec l'article L. 141-1 du Code de la consommation qui permet au juge de soulever d'office les manquements à des dispositions du Code de la consommation.

[p. 201] Il doit évidemment préalablement constater la forclusion(43) et provoquer les explications des parties(44).

Cela signifie que, comme nous l'écrivions dans cette revue dans notre chronique parue en 2005(45), « le juge n'est pas limité dans l'instruction de l'affaire car il doit s'assurer que le délai biennal de forclusion n'a pas été dépassé, quand bien même le consommateur n'invoquerait aucune forclusion ou ne comparaî trait pas à l'audience ou reconnaî trait sa dette ».

En revanche, il appartient à l'emprunteur qui invoque la fin de non-recevoir tirée de la forclusion biennale de l'action en paiement du prêteur, d'en justifier(46). Autrement dit, c'est en application de l'article 1315 du Code civil, à l'emprunteur de rapporter la preuve qu'il s'est écoulé plus de deux ans à compter de la première échéance impayée non régularisée. Il en résulte qu'il vaut mieux être taisant ou absent pour bénéficier pleinement de la protection consumériste...

Au second chef, l'article L. 311-52 du Code de la consommation étant une disposition d'ordre public, l'emprunteur ne peut, même de façon expresse, renoncer à son application(47).

Pour autant, dans un arrêt du 15 décembre 2011, la Cour de cassation vient de décider que la seule souscription d'un avenant à un contrat d'ouverture de crédit utilisable par fractions, augmentant le montant du maximum de découvert autorisé et la fraction disponible choisie, ne peut emporter renonciation à se prévaloir de la forclusion édictée par les dispositions d'ordre public de l'article L. 311-37 du Code de la consommation (devenu l'article L. 311-52), auxquelles il ne peut être renoncé que de façon non équivoque pourvu que le délai soit accompli(48). Cela signifie que la Haute juridiction « admet que le débiteur peut renoncer de manière non équivoque à la mise en oeuvre du délai de forcclusion, une fois la durée de deux années expirée »(49). C'est encore comme l'écrit le professeur Guy Raymond, traiter le délai de forclusion comme un délai de prescription(50). C'est surtout affaiblir la protection du consommateur. Certes comme le souligne Nicolas Mathey, la renonciation doit être donnée par l'emprunteur alors qu'il sait que la forclusion est normalement acquise(51). Il n'en demeure pas moins que si la forclusion est acquise, le créancier n'a pas à poursuivre le recouvrement de sa créance, au risque de tomber sous le coup des pratiques commerciales déloyales(52).

21. Malgré les efforts apportés la loi du 1er juillet 2010, le point de départ du délai de forclusion reste toujours polémique.

II. Un point de départ du délai de forclusion toujours autant polémique

22. Si la réforme du 11 décembre 2001 a permis de protéger l'emprunteur d'un crédit à la consommation contre les actions en paiement tardives du prêteur, il n'empêche que la détermination du point de départ du délai biennal, à savoir de l'événement qui a donné naissance à l'action, reste toujours d'actualité.

Deux raisons essentielles expliquent cette situation :

- une clarification du point de départ du délai de forclusion menée par la loi du 1er juillet 2010 qui est périlleuse ;

- une jurisprudence militante qui malmène les tentatives de maî trise du point de départ du délai de forclusion par les prêteurs.

A. En raison d'une clarification législative périlleuse

23. Le principe a été dégagé par une jurisprudence constante(53). À partir de ce principe, le législateur de 2010 a voulu caractériser le point de départ du délai de forclusion selon la nature de l'opération de crédit.

1) Un principe maintenu

24. Le principe suivant a été dégagé par la jurisprudence : le point de départ du délai de forclusion, en matière de crédit à la consommation, à l'expiration duquel ne peut plus s'exercer l'action en paiement du prêteur, se situe nécessairement à l'exigibilité de l'obligation qui lui a donné naissance(54).

En conséquence, si l'emprunteur n'obtempère pas à la demande en paiement formulée par le prêteur, cela marquera le premier incident de paiement non régularisé et constituera le point de départ du délai de forclusion.

25. Il se trouve que le point de départ de ce délai biennal varie en fonction de la nature de l'opération de crédit, à l'instar des solutions dégagées antérieurement par la jurisprudence. Cela explique que le législateur de 2010 a voulu préciser le point de départ du délai légal de forclusion dans quatre cas à l'article L. 311-52 du Code de la consommation. Mais à vouloir rentrer dans le détail au lieu de rester dans un standard adaptable par la jurisprudence, le risque encouru par le législateur est d'oublier certaines situations ou par imprécisions ou dénaturations de donner une solution qui réduit la protection initialement accordée par la jurisprudence au [p. 202] consommateur. C'est une nouvelle fois oublier que la loi doit être générale et non détaillée à outrance.

2) Les situations envisagées à l'article L. 311-52 du Code de la consommation

26. L'article L. 311-52 du Code de la consommation, précise, depuis la réforme du 1er juillet 2010, les différents événements qui sont censés caractériser le point de départ du délai de forclusion.

Ainsi, ce texte prévoit que l'événement faisant courir le délai biennal est caractérisé par :

- le non-paiement des sommes dues à la suite de la résiliation du contrat ou de son terme ;

- ou le premier incident de paiement non régularisé ;

- ou le dépassement non régularisé du montant total du crédit consenti dans le cadre d'un contrat de crédit renouvelable ;

- ou le dépassement, au sens du 11° de l'article L. 311-1, non régularisé à l'issue du délai prévu à l'article L. 311-47.

Le texte prévoit, enfin, comme l'ancien article L. 311-37, le report du point de départ du délai de forclusion, quand les modalités de règlement des échéances impayées ont fait l'objet d'un réaménagement ou d'un rééchelonnement(55).

27. En dehors de ce report, la nouvelle loi tente de caractériser ce point si crucial du délai de forclusion dans quatre cas.

En premier lieu, l'article L. 311-52 alinéa 2 du Code de la consommation précise que le point de départ du délai de forclusion est caractérisé par le non-paiement des sommes dues à la suite de la résiliation du contrat ou de son terme.

C'est la première hypothèse envisagée par le nouveau texte, hypothèse qui laisse perplexe.

En effet, la résiliation du contrat - qui vise la déchéance du terme pratiquée par le prêteur - est utilisée lorsque l'emprunteur ne règle plus ses échéances.

À suivre donc la lettre du texte, cela signifierait que la déchéance du terme du crédit constituerait le point de départ du délai de forclusion. Ce n'est certainement pas cette solution qui est envisagée par le législateur.

Il semble donc que dans cette première hypothèse, le législateur de 2010 ait voulu fixer le point de départ du délai de forclusion dans le cadre des autorisations de découvert d'une durée supérieure à un mois et inférieure à trois mois à la date de résiliation de cette opération de crédit par le prêteur. En effet, l'article L. 311-42 du Code de la consommation prévoit que le délai de forclusion s'applique aux opérations de crédit consenties sous la forme d'une autorisation de découvert remboursable dans un délai supérieur à un mois ou égal à trois mois.

Mais il est également possible de déduire de la solution retenue la confirmation de la jurisprudence selon laquelle une fois la déchéance du terme intervenue, c'est l'intégralité des sommes dues qui doit être régularisée avant l'expiration du délai de forclusion, délai qui ne court qu'à compter de la première échéance impayée non régularisée au moment de cette déchéance du terme(56). En effet, la liste contenue à l'article L. 311-52 du Code de consommation rappelle que le principe applicable est le premier incident non régularisé. La conjonction « ou » entre les hypothèses envisagées permet d'en conclure que le législateur n'a voulu que confirmer une telle jurisprudence. Mais quelle maladresse encore dans la rédaction de cet article ! En effet, admettre que le prêteur puisse maî triser le délai de forclusion en fixant son point de départ à la déchéance du terme ou autoriser ce prêteur à diminuer sa demande en paiement en fonction du paiement des échéances postérieurement à la déchéance du terme reviendraient à ruiner la protection du consommateur.

Enfin, la résiliation pour un autre motif que celui de la défaillance de l'emprunteur est problématique. En effet, ces clauses de résiliation apparaissent le plus souvent abusives et sont sanctionnées en application de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, à savoir qu'elles sont réputées non écrites.

Quant à l'arrivée du terme, l'article L. 311-52 du Code de la consommation ne fait que conforter la jurisprudence selon laquelle l'absence du règlement des échéances au terme convenu constitue le point de départ du délai de forclusion(57). Cela vise exclusivement l'autorisation d'un découvert comportant une durée de remboursement.

En second lieu, la seconde hypothèse prévue à l'article L. 311-52 alinéa 3 du Code de la consommation consacre une jurisprudence classique(58) qui estime que le délai de forclusion débute dès la date de la première échéance impayée non régularisée. Il s'agit d'une solution qui nous apparaî t comme une solution pivot dans la liste des situations envisagées à l'article L. 311-52 du Code de la consommation. Il y a lieu de rappeler que l'imputation des paiements s'opère sur l'échéance impayée la plus ancienne.

En troisième lieu, l'article L. 311-52 alinéa 4 du Code de la consommation prévoit que le point de départ du délai de forclusion « est le dépassement non régularisé du montant total du crédit consenti dans le cadre d'un contrat de crédit renouvelable ».

Ou bien le montant total du crédit s'entend comme le découvert maximum autorisé et le point de départ du délai de forclusion ne se situe pas au dépassement de la fraction disponible mais à la date du dépassement du découvert maximum autorisé, soit en pratique 75 000 euros.

Ou bien le montant total du crédit s'entend comme la fraction disponible initialement accordée à l'emprunteur et c'est alors le jour où ce montant est dépassé qu'il y a lieu de fixer le point de départ du délai de forclusion.

[p. 203] C'est le débat actuellement en cours...

En quatrième lieu, l'article L. 311-52 alinéa 5 du Code de la consommation conforte, d'une certaine manière, la jurisprudence selon laquelle le point de départ du délai de forclusion, en cas de découvert bancaire, se situe au jour du dépassement du montant autorisé du découvert à l'issue d'une durée de trois mois(59). Rappelons que lorsque le crédit à la consommation est remboursé par prélèvements bancaires, ces prélèvements ne peuvent être effectués, en l'absence de provision, qu'en vertu d'une convention de découvert expresse ou tacite. Ce texte confirme que le prélèvement de mensualités d'un crédit sur un compte bancaire dont le solde est débiteur ne vaut pas paiement au delà d'une durée de trois mois, terme constituant alors le point de départ du délai de forclusion. En effet, le texte prévoit, d'une manière littérale, que le dépassement d'un découvert compris entre un mois et trois mois est le jour où le découvert a atteint la durée maximale de trois mois sans avoir été régularisé.

28. Finalement, la seule solution problématique est celle figurant à l'article L. 311-52 alinéa 4 du Code de la consommation. Or, cette solution légale se heurte manifestement à une jurisprudence antérieure militante en la matière.

B. En raison d'une jurisprudence militante

29. Il convient d'examiner la situation jurisprudentielle avant de la confronter à la solution adoptée à l'article L. 311-52 alinéa 4 du Code de la consommation.

1) État de la jurisprudence sur le crédit renouvelable

30. Sous l'empire de l'article L. 311-37 du Code de la consommation, dans un arrêt du 6 juin 2003(60), l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a décidé de clore un débat incessant sur le point de départ du délai de forclusion applicable aux actions en paiement du prêteur en matière de crédit renouvelable. Elle fixe ainsi ce point de départ, dans le cas d'une ouverture de crédit reconstituable et assortie d'une obligation de remboursement à échéances convenues, à compter de la première échéance impayée non régularisée.

Il faut insister sur l'importance du rapport de la Cour de cassation pour l'année 2003 qui explique que « la notion de compte disparaî t et celle de crédit est consacrée. L'échéance impayée non régularisée, critère mécanique et objectif, l'emporte sur la clôture du compte, acte discrétionnaire »(61).

31. Dans un second temps, la Cour de cassation est venue affiner sa position de principe en décidant dans un arrêt du 7 décembre 2004(62) que le dépassement du découvert maximum autorisé convenu devait être tenu pour une échéance impayée manifestant la défaillance de l'emprunteur et constituant le point de départ du délai de forclusion édicté à l'article L. 311-37 du Code de la consommation.

La Haute juridiction n'a cessé, par la suite en 2006 et en 2007(63), de fixer le point de départ du délai de forclusion au dépassement non plus du découvert maximum autorisé mais de la fraction disponible initialement accordée à l'emprunteur.

Dans des arrêts du 15 décembre 2011(64), la Cour de cassation précise, une nouvelle fois, la solution applicable en matière de crédit renouvelable lorsqu'il s'agit de fixer le point de départ du délai de forclusion.

Dans la première espèce (n° 1222), la Cour de cassation sanctionne les juges d'appel dans la mesure où « la seule souscription d'un tel avenant ne pouvait emporter renonciation à se prévaloir de la forclusion édictée par les dispositions d'ordre public de l'article L. 311-37 du Code de la consommation, auxquelles il ne peut être renoncé que de façon non équivoque pourvu que le délai soit accompli ». Cet arrêt consacre implicitement la solution selon laquelle le dépassement du découvert consenti manifeste la défaillance de l'emprunteur et constitue le point de départ du délai de forclusion. En effet, les juges d'appel avaient estimé que l'avenant régularisait le dépassement initial du montant maximum du découvert autorisé.

Dans la seconde espèce (n° 1224), la Cour de cassation fixe le point de départ du délai de forclusion au jour où le montant du découvert initial a été dépassé sans jamais être régularisé.

Cette solution est particulièrement intéressante car elle fait obstacle au jeu de la clause du double montant qui permet au prêteur d'accorder à l'emprunteur une fraction disponible du découvert, puis le cas échéant dans une seconde étape, le montant maximum du découvert autorisé. Or, très souvent, le montant maximum autorisé du découvert est celui de 75 000 euros, soit le simple rappel du montant légal. Il apparaî t évident que le prêteur cherche déloyalement à s'assurer de la maî trise du délai de forclusion. Il est inutile de chercher à défendre cette clause du double montant. Le prêteur ne cherche pas à mettre à la disposition du consommateur progressivement un crédit en débloquant au départ une fraction disponible pour ensuite offrir l'intégralité du crédit en l'absence d'incident de paiement. En effet, il s'agit pour le prêteur, ni plus, ni moins de se dispenser à l'avance de délivrer à l'emprunteur une offre de crédit lorsque le montant initialement accordé est dépassé et de se soustraire au délai de forclusion en fixant son point de départ à un stade [p. 204] qui lui permet d'engager son action en paiement en toute tranquillité.

32. Dans un arrêt du 22 mars 2012(65), la Cour de cassation confirme, une nouvelle fois, son hostilité à l'égard de la clause dite de double montant. Il faut rappeler que cette clause a été jugée abusive par la jurisprudence et qu'un tel montage se heurte à la protection du consommateur de crédit. La Cour de cassation entend privilégier la protection des consommateurs face à des techniques contractuelles qui n'ont d'autre objectif que de contourner le mécanisme de protection légale. Dans cet arrêt du 22 mars 2012, la Haute juridiction fait ainsi savoir très clairement que le dépassement du montant de la fraction disponible du crédit renouvelable initialement accordé par avenant constitue le point de départ du délai de forclusion, faute de restauration ultérieure du crédit ou d'augmentation de son montant par la souscription d'une offre régulière. La messe est dite en la matière du côté de la jurisprudence de la Cour de cassation. Pour la Haute juridiction, le point de départ du délai de forclusion, en matière de crédit renouvelable, doit être fixé au jour du dépassement de la première somme délivrée au consommateur et non au jour du dépassement du montant maximum (en théorie d'ailleurs) accordé à l'emprunteur.

2) État de la question après la réforme du 1er juillet 2010

33. Il y a lieu de rappeler que l'article L. 311-52 alinéa 4 du Code de la consommation fixe le point de départ du délai de forclusion, en matière de crédit renouvelable, au jour du dépassement non régularisé du montant total du crédit consenti. Trois lectures sont alors possibles de ce texte.

Premièrement; il est possible de considérer que le législateur de 2010 n'a pas réellement traité la question de la clause du double montant(66). Or, il existe une résistance doctrinale et des juridictions du fond qui non seulement valident cette clause mais également font partir le point de départ du délai de forclusion dans le cadre d'un contrat de crédit renouvelable au jour où le montant du crédit finalement accordé dépasse 75 000 euros ou le plafond fixé au contrat si ce montant est inférieur au plafond légal.

Deuxièmement, il est possible de considérer qu'en n'ayant pas traité spécifiquement de la question de la clause du double montant, le fait que l'article L. 311-52 alinéa 4 du Code de la consommation fixe le point de départ du délai de forclusion le jour du dépassement non régularisé du montant total du crédit consenti, cela signifie que le montant total recouvre la notion de montant total du crédit(67). Cette clause sera alors valide sous l'empire de la nouvelle loi et constituerait la mort de la protection du consommateur en laissant au prêteur le soin de fixer lui-même le point de départ du délai biennal de forclusion.

Troisièmement, il est nécessaire de rappeler que le fameux montant total est défini à l'article L. 311-1, 8° du Code de la consommation, à savoir comme le plafond ou le total des sommes rendues disponibles en vertu d'un contrat ou d'une opération de crédit. C'est bien finalement le dépassement de la fraction disponible non régularisée qui constitue le point de départ du délai de forclusion(68).

Il faudra attendre que la jurisprudence de la Cour de cassation se prononce sur cette question épineuse... peut-être même par un avis.

34. En conclusion, quand le crédit va-t-il être responsable ? Les acteurs - emprunteurs et prêteurs - ne jouent finalement pas le jeu d'une coopération loyale. Et il est encore loin le temps où les prêteurs prennent réellement et sérieusement en compte le risque de surendettement de l'emprunteur(69). En définitive, le délai de forclusion ne constitue qu'un des moyens de sanctionner la carence du prêteur... Le crédit responsable n'est donc encore qu'un slogan.