Pour une approche procédurale de la nullité des actes d'exécution forcée

Sébastien POISSON Avocat au Barreau de Paris Chargé d'enseignement à l'Université Paris XI Sud

La déjudiciarisation des voies d'exécution n'a pas remis en cause la nécessité d'annuler les actes de saisie conformément aux dispositions qui gouvernent les nullités de procédure. Si la règle semble de prime abord difficile à concilier avec la conception dualiste prônée aujourd'hui par la Cour de cassation, l'analyse révèle que ni le caractère limitatif des irrégularités de fond, ni le régime restrictif des vices de forme ne s'opposent à ce que le système prévu par le Code de procédure civile soit transposé aux mesures d'exécution. En effet, les nullités de procédure n'ont pas vocation à sanctionner le formalisme institutionnel spécifique à l'exécution forcée, dont la violation donne lieu à une mainlevée répondant à la qualification procédurale de fin de non-recevoir

I. 04 1. nbsp;L'acte de saisie fait figure de pierre de touche au sein de la procédure civile d'exécution dans laquelle il s'insère. Manifestation de volonté du créancier en vue de parvenir au paiement forcé de sa créance(1), son effet principal consiste à placer sous main de justice un élément du patrimoine du débiteur (Art. L. 141-2, CPCE)(2). La coercition trace ainsi le trait distinctif des actes d'exécution, qui sont traditionnellement rangés dans la catégorie des actes judiciaires(3). Cette typologie n'a pas été fondamentalement remise en cause avec la déjudiciarisation(4) opérée par la réforme du 9 juillet 1991, dont les dispositions - aujourd'hui abrogées - ont été codifiées à droit constant dans le Code des procédures civiles d'exécution. Pourtant, dès lors que le titre exécutoire ne prend pas toujours la forme d'une décision de justice et que le juge de l'exécution (JEX) tranche a posteriori les incidents selon leur contingence, l'accomplissement d'un acte de saisie déconnecté de toute instance n'a rien d'un cas d'école. Mieux, cette situation est censée traduire un véritable changement de paradigme, que la flexion judiciaire propre à la saisie des rémunérations ou à la saisie immobilière décline de manière inhabituelle(5). De ce point de vue, les actes d'exécution forcée devraient être qualifiés d'actes extrajudiciaires lorsqu'ils ne sont ni la conséquence, ni l'occasion d'un procès(6). Toutefois, bien qu'elle marque une réalité concrète, cette pétition de principe véhicule avant tout un symbole, qui ne résorbe ni la nature formaliste du droit de l'exécution forcée, ni sa mise en œuvre par un auxiliaire de justice exclusivement habilité à cet effet(7). Aussi, bien qu'elle ne donne pas toujours lieu à un procès, la phase d'exécution laisse tout de même place à une procédure dans laquelle les actes « déjudiciarisés » puisent un héritage judiciaire. Autrement dit, l'acte judiciaire n'est pas nécessairement un acte processuel(8).

2. En tant qu'acte d'huissier de justice, l'acte de saisie se trouve pleinement soumis à l'article 649 du Code de procédure civile, en vertu duquel : « La nullité des actes d'huissier de justice est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure ». Il s'en infère que son annulation doit être sollicitée selon le régime prévu par les articles 112 à 121 du Code de procédure civile (CPC). L'article R. 121-5 du Code des procédures civiles d'exécution, qui déclare les dispositions du livre Ier du Code de procédure civile subsidiairement applicables devant le juge de l'exécution, vient conforter cette règle(9). La clarté de ces fondements ne suffit cependant pas à dissiper totalement la sensation que les mesures d'exécution forcée se plient mal à un tel exercice. Un bref retour sur les nullités de procédure permettra d'identifier le problème. Leur mission primordiale consiste à éliminer de l'ordre juridique les actes incompatibles avec une bonne administration de la justice. C'est là une différence cardinale avec leurs parentes, les nullités de droit commun, qui évoluent dans un environnement essentiellement consensuel. Le formalisme, dont l'irruption est [p. 79] inévitable lorsque l'accord de volontés n'a pas - ou n'a plus - de place, se change alors en condition principale - sinon unique - de validité des actes composant la procédure. Cette corrélation légitime la règle de l'article 649 Code de procédure civile en donnant aux nullités de procédure une vocation naturelle à sanctionner les formes dans lesquelles s'incarnent les actes d'exécution forcée. Historiquement, la législation a prêté deux visages à ces nullités. Tantôt sévères, sur le mode pointilleux des legis actiones romaines(10), elles ont réprimé mécaniquement le moindre manquement à la règle de forme, si minime soit-il. Un tel dogmatisme assure, de manière simple et prévisible, le respect d'une pratique correcte, mais laisse toute latitude à la chicane pour entraver le déroulement du procès. Tantôt badines, elles s'abandonnent à la discrétion du juge, sur un mode comminatoire. Le règlement rapide du litige au fond prend alors le pas sur la sécurité juridique et la police des formes. Afin de tempérer ces sauts d'humeur, deux maximes ont été devisées. La première - « pas de nullité sans texte » - en appelle au principe de légalité pour tenir en échec l'annulation quand elle n'est pas expressément prévue par la loi(11). Les inéluctables lacunes rédactionnelles ont toutefois conduit la jurisprudence à exclure de cette règle l'inobservation de formalités essentielles ou substantielles, entendues comme celles qui tiennent à la raison d'être de l'acte et lui sont indispensables pour remplir son objet(12). La seconde repose sur l'idée que l'annulation d'un acte de procédure est inutile - voire dangereuse - lorsque l'irrégularité commise ne porte pas atteinte aux droits de la partie concernée. Elle se formule par les adages « pas de nullité sans grief » ou « nullité sans grief n'opère rien », selon que le grief est érigé en condition d'existence ou de mise en œuvre de la nullité(13). La configuration positive exprimée par les articles 112 à 121 du Code de procédure civile s'est développée sur la base d'une synthèse articulant ces quatre paramètres dans une architecture complexe, dont la clef de voute maintient une stricte séparation entre les irrégularités de forme - qui concernent l'instrumentum de l'acte de procédure - et de fond - qui affectent son negotium(14). Celles-ci emportent péremptoirement l'annulation lorsqu'elles ressortent de l'inventaire de l'article 117 du Code de procédure civile, qui rassemble le défaut de capacité d'ester en justice, le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice, ainsi que le défaut de pouvoir du mandataire ad litem. Celles-là composent un ensemble ouvert au sein duquel la sanction dépend de la satisfaction de deux conditions d'inégale valeur. L'une est relative, voici l'exigence d'un texte prévoyant expressément la nullité, qui cède en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. L'autre est absolue, voilà la nécessité du grief, conçu comme le préjudice éprouvé par la partie dont la défense est parasitée du fait de l'irrégularité commise par son adversaire(15).

3. Par un arrêt remarqué du 7 juillet 2006, la Chambre mixte de la Cour de cassation a placé l'économie des nullités de procédure sous le signe du protectionnisme en énonçant le principe suivant : « quelle que soit la gravité des irrégularités alléguées, seuls affectent la validité d'un acte de procédure, soit les vices de forme faisant grief, soit les irrégularités de fond limitativement énumérées à l'article 117 du nouveau Code de procédure civile »(16). Deux verrous sont apposés sur le système. Le premier condamne le rôle correcteur de l'inexistence intellectuelle en droit judiciaire privé(17). En conséquence, toutes les irrégularités susceptibles d'entacher les actes de procédure doivent désormais circuler dans l'enceinte fermée des nullités prévues par le Code de procédure civile. Le second clôture solennellement la nomenclature de l'article 117 du même code(18). Partant, les anomalies étrangères à la capacité ou au pouvoir des parties ou de leurs représentants tombent dans la catégorie résiduelle des vices de forme. La construction, d'un abord harmonieux, n'est pas si solide qu'il parait. Elle comprime à l'excès la théorie des nullités en la privant du jeu nécessaire pour qu'elle soit à même d'assurer efficacement la sanction des irrégularités qui, en dépit de leur gravité, ne peuvent être qualifiées de vice de fond et ne provoquent aucune atteinte aux droits de la défense(19). Ceci explique sans doute que la vision prônée par la chambre mixte peine à s'imposer auprès de la doctrine majoritaire, attachée à la souplesse procurée par l'élasticité des nullités de fond(20). Pourtant, la doxa connaî t une réelle diffusion en jurisprudence et met progressivement au pas les solutions dissidentes, ce qui témoigne de sa viabilité(21).

[p. 80] 4. Si le verrouillage des nullités de procédure suscite de telles résistances en procédure civile, comment pourrait-il s'adapter aux rigueurs de l'exécution forcée, où le formalisme prend un relief particulier ? Quitte à faire preuve d'un goût immodéré pour le sophisme, nous croyons plutôt qu'une telle intransigeance rapproche les deux matières plus qu'elle ne les oppose. Il ne s'agit pas ici de vanter les mérites d'une contrainte oulipienne, mais d'avancer l'idée qu'en ce qui concerne l'exécution, la discipline vaut toujours mieux que l'entropie. Aussi, nous proposons nous de partir du postulat selon lequel l'annulation des actes d'exécution forcée n'implique aucun aménagement de la théorie procédurale. Écartons d'emblée les considérations de régime. En raison de l'inversion du contentieux devant le juge de l'éxécution, le débiteur assume généralement la position de demandeur à l'instance et oppose la nullité de l'acte de saisie à titre principal. N'étant pas défendeur, il serait absurde de considérer qu'il fait valoir un moyen de défense au sens des articles 71 et suivants du Code de procédure civile. En dépit de ce renversement, la nécessité de soulever les vices de forme in limine litis conserve son empire et l'oblige, sous peine d'irrecevabilité, à solliciter l'annulation pour vice de forme de la saisie avant tout autre moyen(22). Dans ces conditions, il suffit d'apprécier la propension de la conception dualiste à garantir le respect du formalisme régissant l'exécution forcée par rapport à chacun de ses axiomes : d'une part, l'exhaustivité des vices de fond (I) ; d'autre part, la faculté des nullités de forme à assurer subsidiairement la sanction de toutes les autres irrégularités (II).

I. La nullité de l'acte de saisie face au caractère limitatif des vices de fond

5. L'inventaire de l'article 117 du Code de procédure civile doit souffrir d'un ajustement structurel pour tenir compte de la déjudiciarisation de l'exécution forcée. Lorsqu'aucune action en justice n'est intentée, la capacité visée ne peut s'entendre que de celle requise pour effectuer des actes d'administration (art. L. 111-9, CPCE)(23). Les irrégularités de fond se réduisent alors à l'absence d'une telle capacité en la personne du créancier saisissant ou du débiteur saisi, ainsi qu'au défaut de pouvoir de leurs représentants respectifs. Sous cette réserve, la conception stricte des nullités de procédure ne soulève pas de problème particulier. Les difficultés commencent à poindre en présence d'une anomalie affectant, soit l'huissier de justice instrumentaire (A), soit les conditions de formation substantielles de l'acte de saisie (B).

A. Vice de fond et statut de l'huissier de justice instrumentaire

6. La situation dans laquelle l'auteur de l'acte de saisie ne justifie pas de la qualité d'huissier de justice(24) ou instrumente en dehors de son ressort de compétence territoriale(25) est classiquement traitée comme un défaut de pouvoir constitutif d'un vice de fond. À première vue, cette interprétation va de soi car l'agent d'exécution ne remplit pas les conditions requises pour exercer ses fonctions, ce qui lui interdit de recevoir valablement tout mandat de recouvrement du créancier. Pour autant, est-on en face d'un vice relatif au pouvoir du représentant au sens de l'article 117 du Code de procédure civile ? Il est possible d'en douter car l'huissier de justice agit selon les instructions du saisissant mais ne le représente pas(26). Son office se limite à l'accomplissement des actes nécessaires à l'exécution, dans le respect des obligations qui lui incombent en vertu de son statut. Il est ainsi astreint, notamment, à une neutralité résultant de la prise en considération des droits du débiteur(27). Corrélativement, l'officier public et ministériel se voit reconnaî tre les prérogatives indispensables à une mise en œuvre licite de la contrainte étatique. Or, la violation des dispositions statutaires engage ces mêmes prérogatives, de sorte que le « défaut de pouvoir » dont il est question désigne le pouvoir que l'huissier de justice tire de sa qualité. Une telle paronomase conduit à une extension du champ de l'article 117 du Code de procédure civile qui ne dit pas son nom. La diversion, astucieuse, consiste à concentrer l'attention sur le mandat donné par le créancier pour faire oublier que l'huissier de justice joue le rôle de vecteur de la procédure d'exécution, mais n'y est pas partie. On crée ainsi l'illusion que tout défaut de pouvoir s'assimile à un vice de fond(28) et que les règles d'organisation judiciaire peuvent être sanctionnées comme si elles déterminaient le negotium de l'acte de saisie.

7. L'artifice dissimule sous une même dénomination deux irrégularités différentes. Lorsque la mesure d'exécution a été pratiquée par une personne n'ayant pas la qualité d'huissier de justice, tel un clerc assermenté, l'atteinte porte sur l'habilitation législative édictée aux articles 1er de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945(29) et L. 122-1 du Code des procédures civiles d'exécution. En revanche, lorsque les règles de compétence géographique des articles 5 et suivants du décret n° 56-222 du 29 février 1956(30) ne sont pas observées, l'acte a nécessairement été établi par un officier public et ministériel, sans quoi l'on retombe dans l'hypothèse précédente. Dans un cas, l'irrégularité met en cause, sur un plan exogène, le [p. 81] monopole reconnu aux huissiers de justice ; dans l'autre, elle engage la coordination endogène de leurs activités respectives sur le territoire national. Cette nuance parait de nature à justifier que la sanction retenue dans chacune de ces situations prenne une coloration différente. Après tout, le rempart érigé pour garantir l'accomplissement de mesures d'exécution forcée par les huissiers de justice n'a pas la même épaisseur que la cloison séparant leurs offices. Un tel argument ne saurait prospérer car la brèche ainsi créée ouvre la voie à un insidieux cheval de Troie risquant d'ébranler l'entier système de l'exécution forcée. Il a été fait état du zèle avec lequel les différentes chambres de la Haute juridiction appliquent les préceptes enseignés par la Chambre mixe et réintègrent progressivement toutes les irrégularités insusceptibles d'être rattachées à l'article 117 du Code de procédure civile dans le giron des vices de forme(31). La violation des règles de compétence territoriale a, elle aussi, vocation à passer à ce crible. En voici les prémisses à l'occasion d'un arrêt rendu par la deuxième Chambre civile en date du 27 septembre 2012. Dans cette affaire, l'irrégularité résultant de la délivrance d'une assignation par un huissier de justice incompétent subit les foudres du caractère limitatif de l'article 117 du Code de procédure civile pour être reléguée à un simple vice de forme(32). Rien n'interdit ici l'analogie avec les actes d'exécution forcée qui font l'objet d'une signification selon les modalités du droit commun. Un trompe l'œil se cache derrière cette traduction, en apparence fidèle, de la conception dualiste qui, par principe, refuse de discriminer les irrégularités selon leur gravité, pour retenir le rattachement à l'inventaire limitatif des vices de fond comme seul critère de qualification. Or, pas plus que son incompétence, le défaut de qualité de l'agent d'exécution ne figure pas dans cette liste. Par conséquent, on ne peut soutenir que le verrouillage des nullités de procédure commande d'assimiler l'incompétence de l'officier public et ministériel à un vice de forme, sans suivre la même logique lorsque l'acte a été accompli par une personne n'ayant pas la qualité d'huissier de justice. La position n'est pas tenable. Elle relativise à l'excès la sanction du formalisme au point d'admettre, quand aucun grief n'est causé au débiteur, la persistance dans l'ordre juridique des actes qui s'en affranchissent. À l'horizon, une remise en cause totale du fonctionnement du droit de l'exécution forcée se profile fatalement. Cette dérive interdit, non seulement, de reconnaî tre une portée supérieure au cas espèce à l'arrêt du 27 septembre 2012, qui n'a d'ailleurs pas - c'est heureux - reçu les faveurs d'une publication au Bulletin ; mais encore, de se baser sur la théorie des nullités de procédure pour déterminer la sanction appropriée. Tout au plus, la discipline stricte met-elle en exergue l'exigence d'un traitement uniforme de toute violation des dispositions régissant le statut de l'huissier de justice.

8. Faut-il alors se résoudre à étirer la nomenclature des vices du fond pour satisfaire à l'impérieuse nécessité de garantir la police des formes ? Une incartade vénielle, pensera-t-on. Pourtant, la question est appelée à connaî tre un regain de vitalité avec l'introduction en droit positif de la signification par voie électronique par le décret n° 2012-366 du 15 mars 2012(33), dans le cadre de laquelle, afin de survivre à la dématérialisation, le régime de compétence territoriale des huissiers de justice a subi d'importants aménagements. L'exécution forcée n'a pas été épargnée puisque les actes de saisie délivrés par ce biais à des tiers sont désormais effectués par l'officier public et ministériel du lieu du domicile du débiteur(34). Surtout, la mise en place d'un régime dérogatoire éclipse la problématique sous-jacente de la manière d'assurer le caractère impératif du formalisme destiné à garantir le fonctionnement institutionnel des procédures civiles d'exécution, lequel - on l'a dit - a horreur du vide. À cet égard, il a été justement observé que, depuis la déjudiciarisation, l'huissier de justice tient le rôle de « véritable ordonnateur de l'exécution »(35). Dès lors, les dispositions statutaires ne définissent pas de simples modalités de mise en œuvre de l'exécution forcée, mais deviennent une de ses composantes structurelles. Autrement dit, lorsqu'une irrégularité affecte, en amont, les pouvoirs de l'auteur de l'acte de saisie, ce dernier ne mérite pas le nom d'acte d'huissier de justice(36). Au plan technique, ceci signifie que les conditions de l'article 649 du Code de procédure civile n'étant pas réunies, les nullités de procédure n'ont pas vocation à s'appliquer. Le raisonnement n'a rien de farfelu, il est d'ailleurs tenu depuis longtemps pour les congés donnés par lettre recommandée avec accusé de réception alors qu'ils aurait du l'être par acte extrajudiciaire(37). Ce constat démontre la vanité de la discussion relative au point de savoir si la violation des dispositions déterminant le statut de l'huissier de justice constitue un vice de forme ou de fond. L'aporie, qui résulte de la croyance erronée dans la pertinence de l'article 649 du Code de procédure civile, ne peut être dépassée qu'en recherchant le fondement de la sanction hors du périmètre des nullités de procédure. Nous y reviendrons.

B. Vice de fond et nullité de droit commun

9. Le Doyen Cornu a démontré de longue date que l'acte de procédure, malgré son particularisme, demeure un acte juridique dont la validité est subordonnée à la satisfaction des conditions prévues aux articles 1108 et suivants [p. 82] du Code civil (C. civ.)(38). Quelle expression procédurale doit alors prendre la demande de nullité présentée sur ce fondement ? Nous voici confronté au débat séculaire relatif à la manière dont les nullités de droit commun interfèrent avec les nullités de procédure. En temps normal, s'agissant d'un moyen dirigé contre le bien-fondé de la prétention adverse, il convient d'opter pour la qualification de défense au fond(39) - voire de demande reconventionnelle lorsque des restitutions sont nécessaires(40). Toutefois, ce raisonnement ne peut être étendu aux actes d'huissier de justice dont la contestation emprunte obligatoirement le chemin d'une exception de procédure (art. 649, CPC). La tentation devient grande d'adouber les irrégularités relatives aux conditions de formation substantielles de l'acte de saisie au rang de vices de fond(41). Y succomber rejetterait dans les limbes notre postulat initial, aussi nous faut-il faire tout notre possible pour y résister. L'effort est adouci par l'insertion du défaut de capacité dans le catalogue de l'article 117 du Code de procédure civile et par l'éviction des vices du consentement par le formalisme. Le supplice porte donc uniquement sur l'annulation d'un acte de saisie dénué d'objet ou de cause.

10. L'acte de saisie a pour objet l'un des éléments du patrimoine du débiteur (art. L. 112-1,CPCE), qu'il frappe d'indisponibilité (art. L. 141-2,CPCE). Lorsque l'assiette de la mesure d'exécution intègre un bien insaisissable ou appartenant à un tiers, l'illicéité de l'objet doit ainsi être admise comme source d'annulation. Intuitivement, l'on est enclin à penser que, parmi l'arsenal procédural, l'exception de nullité pour vice de fond est la plus idoine pour faire valoir un tel moyen. En matière de saisie-vente, la lettre de l'article R. 221-54 du Code des procédures civiles d'exécution conforte cette thèse en opérant une référence à « la nullité de la saisie pour vice de forme ou de fond autre que l'insaisissabilité (?) ». De même, l'article R. 221-50 du Code des procédures civiles d'exécution, qui autorise le débiteur à « demander la nullité de la saisie portant sur un bien dont il n'est pas propriétaire », suppose, en apparence, de considérer cet incident comme une nullité de fond, car le préjudice étant éprouvé par le tiers et non par le débiteur, la nullité de forme s'avère impuissante à garantir la sanction faute de grief. Néanmoins, si l'on se tient à distance de la lettre de ces textes pour se placer dans une perspective purement procédurale, il devient possible de faire le constat de la discordance des incidents cités avec les hypothèses énumérées par l'article 117 du Code de procédure civile. En réalité, la dérogation se déploie en marge, non seulement des nullités de forme, mais également des nullités de fond. On identifie alors, non pas un élargissement de la nomenclature légale, mais une entorse à la règle de l'article 649 du Code de procédure civile, l'annulation du procès-verbal de saisie-vente n'étant pas opposée au moyen d'une exception de procédure, mais d'une demande soumise à un régime spécial étrangement similaire à celui de l'action en nullité de l'article 1304 du Code civil. Une observation semblable peut être faite à propos du système de mise à disposition des créances alimentaires portées sur un compte bancaire, qui n'engendre pas d'incidence sur la validité de la saisie-attribution(42).

11. Ceci laisse entier le problème de la qualification procédurale du moyen tendant à faire prononcer la nullité de la saisie d'un objet illicite lorsqu'aucun régime particulier n'est mis en place. Une difficulté similaire se rencontre en présence d'un acte d'exécution forcée privé de cause. Au fond, cette dernière se situe dans l'existence d'une créance liquide et exigible ; en la forme, elle réside dans la justification d'un titre exécutoire délivré à l'encontre de la personne tenue de s'exécuter(43). Une cohorte d'avatars s'y agrège. On y compte les poursuites dirigées contre une personne autre que le débiteur, pour le recouvrement d'une obligation au montant indéterminé et indéterminable, sur le fondement d'un titre invalidé ou dont le caractère exécutoire fait défaut… Autant d'anomalies théoriquement punies de nullité ne pouvant être raccrochées à la liste de l'article 117 du Code de procédure civile. Un parcours des décisions rendues sur le sujet n'apporte pas de réponse vis-à-vis du problème qui nous occupe. Seule la nature de la sanction applicable au titre exécutoire fait l'objet d'une attention(44). Au mieux, lorsque la nullité de la saisie est envisagée, le juge se borne à la déclarer « nulle et de nul effet »(45), ce qui ne renvoie à aucune catégorie familière. Laissons de côté, pour l'instant, cette curiosité pour nous intéresser à la notion à laquelle recourent la quasi-totalité des solutions : la mainlevée judiciaire(46). Parfois, lorsque le titre exécutoire a disparu postérieurement à l'exercice des poursuites, la référence est poussée jusqu'à la mainlevée de plein droit. Ceci se produit, par exemple, quand [p. 83] la saisie a été pratiquée sur la base d'un jugement assorti de l'exécution provisoire infirmé en cause d'appel(47). Cette ressource propre au droit de l'exécution forcée, rarement définie(48), est reconnue par les dispositions du Code des procédures civiles d'exécution comme sanction des manquements aux conditions spécifiques des mesures conservatoires (art. R. 512-1, CPCE), ainsi que des mesures inutiles ou abusives (art. L. 121-2, CPCE). Ici, l'intrusion de cette technique de relâchement de la préhension attachée à la saisie fournit une alternative salutaire à l'application des articles 112 suivants du Code de procédure civile. Plus précisément, elle opère un contournement en faisant glisser le curseur de la qualification au régime. Une telle translation est rendue possible car l'anéantissement d'un acte ayant pour conséquence de le priver de ses effets, la mainlevée se situe dans le sillage de la nullité, dont elle est l'un des résultats(49). Comme précédemment, le droit de l'exécution, en se focalisant sur l'objectif à atteindre, prodigue un remède empirique permettant de traiter le mal sans qu'il soit nécessaire de lever l'exhaustivité des vices de fond. C'est pourquoi, selon nous, la contamination substantielle de l'article 117 du Code de procédure civile provoque une embolie superflue. Dès lors, la prise en charge des irrégularités qui ne relèvent pas de ce texte doit être examinée au travers du seul prisme des nullités de forme.

II. La nullité de l'acte de saisie face au régime restrictif des vices de forme

12. En vertu du dogme prôné par la Chambre mixte, les vases élémentaires des nullités de procédure communiquent dans une seule direction : toute irrégularité ne relevant pas du répertoire limité des vices de fond tombe irréversiblement dans la catégorie résiduelle des vices de forme. L'annulation dépend alors de la satisfaction des exigences de l'article 114 du Code de procédure civile, qui se voient quelque peu bousculés par la spécificité des voies d'exécution (A). Malgré tout, ce régime subsidiaire revêt parfois un caractère trop restrictif, ce qui nous conduira à chercher secours dans la notion d'irrecevabilité (B).

A. Régularité de la saisie et nullités de forme

13. En tant que telle, l'exigence d'un texte s'applique pleinement à l'annulation des actes d'exécution forcée pour vice de forme. Aussi, les mentions devant obligatoirement figurer sur le procès-verbal de saisie prévoient presque toutes la nullité(50), l'article 693 du Code de procédure civile, quant à lui, joue ce rôle pour sa signification. Dès lors, l'inobservation des formalités n'étant pas prescrites à peine de nullité n'entraî ne pas l'anéantissement de l'acte. Il en va ainsi, par exemple, de l'absence d'horodatage ou de l'erreur sur le montant des sommes réclamées dans procès-verbal de saisie-attribution(51). On peut alors s'étonner que certaines dispositions n'envisagent pas expressément la nullité, en particulier celles qui encadrent ratione temporis et loci le déroulement des opérations d'exécution (art. L. 141-1 et s., CPCE). Ce serait oublier que la nécessité d'un texte est écartée lorsque la formalité méconnue revêt un caractère d'ordre public. Or, les jours et les heures légaux, comme les modalités de pénétration forcée dans les locaux, relèvent manifestement d'un ordre public protecteur des droits du débiteur(52). C'est pourquoi, l'absence de prévision textuelle ne s'oppose pas à l'annulation pour vice de forme d'un acte de saisie établi un jour férié sans autorisation judiciaire ou faisant suite à une pénétration forcée dans les locaux irrégulière.

14. Le droit de l'exécution forcée impose au grief des contorsions beaucoup plus importantes. D'une part, la dimension coercitive de la saisie incite à une souplesse accrue dans la caractérisation du préjudice éprouvé par le débiteur(53). Les juges du fond tendent ainsi à mâtiner d'abstraction leur appréciation souveraine, normalement opérée in concreto. Ceci ne saurait néanmoins les dispenser d'une évaluation circonstanciée du grief, que la Cour de cassation défend fermement en matière d'exécution comme ailleurs(54). D'autre part, et surtout, l'acception de la notion, limitée en principe à la sphère processuelle, connait une mutation pour s'acclimater au milieu extrajudiciaire. La sémantique se fait plus compréhensive pour englober les atteintes à certains droits substantiels(55). Si l'on revient aux exemples précédents, la saisie pratiquée en dehors des heures légales manifeste une atteinte à la vie privée du débiteur, tandis qu'une ouverture forcée irrégulière remet en cause l'inviolabilité de son domicile. Aussi, à l'instar de l'exigence d'un texte, la mise en [p. 84] évidence d'un grief n'élève pas d'obstacle dirimant au prononcé de l'annulation. Le trouble, suscité de prime abord par l'incertitude liée au pouvoir d'appréciation des juridictions, se dissipe s'il est mis en balance avec la radicalité - à l'égard du créancier - de l'anéantissement de la saisie quand aucun dommage n'a été causé au débiteur. Pas plus qu'en droit judiciaire privé, le formalisme régissant les procédures civiles d'exécution ne justifie une répression aveugle. Il doit être rattaché soit à l'organisation judiciaire, soit à la sauvegarde des droits des justiciables. Ceci d'autant plus que, du fait de la déjudiciarisation, la police des formes de l'exécution forcée est investie d'une transcendance moindre et s'oriente avant tout vers les relations immanentes des parties.

15. Le spectre des irrégularités sanctionnées efficacement par la nullité de forme apparaissant extrêmement large, les motifs d'étirer la toile de vices de fond se rétractent comme une peau de chagrin dont seule la fibre conservatrice perpétue l'existence. Le système finit, toutefois, par atteindre ses limites. Schématiquement, la gaine dans laquelle les nullités de procédure sont enserrées se file lorsque l'accroc a pour origine une omission d'acte(56) ou porte atteinte à une règle destinée à assurer le bon fonctionnement de la justice(57). Ces deux hypothèses, non visées par l'article 117 du Code de procédure civile, ont comme point commun de buter sur l'exigence du grief. Sous l'angle de l'exécution forcée, compte tenu de ce que l'acte de saisie est presque tout entier tourné vers l'information du débiteur, on peine toutefois à imaginer des cas dans lesquels son remplacement pourrait n'engendrer aucun préjudice. Reste la violation du formalisme édicté dans le seul intérêt de l'organisation judiciaire, dont l'illustration topique est ici l'établissement de l'acte de saisie par un huissier de justice incompétent. En effet, la règle revêt une certaine transparence pour le débiteur, à qui l'irrégularité peut fort bien ceteris paribus n'avoir causé aucun grief(58). Cette difficulté impose de revenir sur la controverse téléologique à laquelle donne naissance la soumission des nullités de procédure à une discipline rigoureuse, ce qui les condamne à ne plus être à même de préserver la conformité des pratiques lorsque les droits des parties ne sont pas en cause.

B. Régularité de la saisie et fins de non-recevoir

16. Seul un magicien semble être en mesure de s'extirper du carcan dans lequel les nullités sont enserrées sans en faire sauter les serrures, à savoir le refus de l'inexistence, l'exhaustivité de l'article 117 du Code de procédure civile et l'impératif d'une appréciation concrète du grief. Avant de se résigner, il faut tout de même tenter une percée dans l'argile malléable des fins de non-recevoir. L'échappatoire parait téméraire car elle suppose d'appliquer un concept de maniement difficile, caractérisant en principe un défaut de droit d'agir au sens de l'article 30 du Code de procédure civile, à la sanction de règles de forme(59), afin de ne pas distendre les nullités. Cependant, le recours à un tel expédient est d'ores et déjà très fréquent(60). Il n'implique donc aucune altération excessive de cet ensemble extensible et hétéroclite, qui se comporte comme un golem que la loi, la jurisprudence ou les conventions peuvent manipuler à l'envi (61). La charge de garantir le respect des règles d'organisation judiciaire est ainsi transférée aux fins de non-recevoir, ce qui permet un recentrage des nullités autour de la protection des parties, dans les limites du verrouillage opéré par la Chambre mixte. En outre, le gambit se révèle ici parfaitement valide puisque, la procédure civile connaissant la notion, l'étanchéité entre la forme et le fond est conservée.

17. Mais que vient faire l'irrecevabilité dans le secteur des voies d'exécution ? Elle n'y a pas droit de cité, tout du moins lorsque la mise en œuvre de la saisie n'implique l'exercice d'aucune action en justice ! Un œil attentif permet, toutefois, de s'apercevoir qu'elle se cache déjà là. Il est, en effet, admis que les immunités d'exécution ne tiennent pas seulement en échec les mesures diligentées à l'encontre de leur bénéficiaire, mais privent le créancier de son droit à l'exécution(62). Ce dernier, s'il ne s'assimile pas au droit d'agir, ne s'amalgame pas non plus avec le droit de créance, si tant est qu'il soit vrai qu'un paiement volontaire ne se confond pas avec un paiement forcé. On doit donc convenir que cette prérogative possède une nature, non pas substantielle, mais formelle et sous-tend une sorte d'action, ce qui l'autorise à être appréhendée par le système procédural. Dans cette perspective, un défaut de droit de saisir ne peut s'analyser qu'en une fin de non-recevoir. Or, une immunité d'exécution intéresse au premier chef [p. 85] l'organisation judiciaire, puisqu'elle protège objectivement le débiteur indépendamment de sa situation personnelle concrète(63). Dans ces conditions, la garantie de l'établissement de l'acte de saisie par un huissier de justice compétent, qui relève également du formalisme institutionnel, trouve symétriquement sa sanction dans une irrecevabilité affectant le droit à l'exécution forcée du créancier débouchant sur la mainlevée de la mesure. Elle ne doit pas être considérée ni comme une irrégularité de fond ni comme une irrégularité de forme, mais comme un anéantissement de l'acte par voie de conséquence. De plus, le concept possède une vertu explicative relativement à l'annulation d'un acte de saisie privé de l'une de ses conditions substantielles(64), qui n'affectent pas son instrumentum ou ses modalités d'accomplissement mais son support, c'est-à-dire le droit à l'exécution forcée du saisissant. Les dispositions du Code des procédures civiles d'exécution elles-mêmes incitent à cette analyse par la référence à l'impossibilité de pratiquer une saisie sans titre exécutoire (art. L. 111-2, CPCE) ou sur un bien insaisissable (art. L. 112-1, CPCE). Il est ici question de la titularité d'une prérogative attachée à la qualité de créancier, non de la régularité des actes qu'il requiert(65). La situation devient alors comparable à celle dans laquelle les actes de procédure effectués par un plaideur privé de son droit d'agir sont accessoirement déclarés « nuls et de nul effet » sans qu'il soit besoin d'appliquer le régime des articles 112 et suivants du Code de procédure civile(66). Dans toutes ces hypothèses, ce que le sens commun désigne comme une nullité prend le nom de fin de non-recevoir dans le jargon procédural car, techniquement, le moyen n'est pas dirigé contre l'acte lui-même dont l'élimination est obtenue par ricochet.

18. En somme, le verrouillage des nullités de procédure ne créée pas de solution de continuité en matière de saisie. La projection du système procédural sur le plan du droit de l'exécution forcée se doit ainsi d'être complète et fidèle pour faire apparaî tre non seulement les nullités de forme et de fond, mais également les fins de non-recevoir. Certes, il peut paraitre saugrenu de déclarer un acte de saisie irrecevable ; néanmoins, cette politique du tout ou rien n'appelle pas nécessairement une évolution des mœurs car elle peut continuer à avancer masquée derrière la notion de mainlevée. En revanche, elle constitue une condition sine qua non d'une sanction efficace du formalisme édicté pour garantir le fonctionnement institutionnel de l'exécution forcée. Ce dernier doit, en effet, trouver une sanction péremptoire puisqu'en dehors du cadre qu'il délimite, le créancier ne se voit reconnaî tre aucun droit de saisir. Que l'on soit ou non adepte du stoïcisme aujourd'hui professé par la Cour de cassation, l'essentiel réside dans la conviction - que nous espérons avoir suscité - de l'absence d'obstacle théorique à sa propagation dans le domaine des procédures civiles d'exécution. Dès lors, l'instauration d'un traitement différencié entre les actes d'exécution forcée et les actes de procédure perd toute justification. Le contentieux de l'annulation devant le Juge de l'exécution devrait y gagner en clarté et en rationalité. Dans cette optique, on peut s'interroger sur l'opportunité de prolonger un tel ascétisme à tous les actes extrajudiciaires, en particulier aux congés. Mais c'est là un tout autre débat.