L'idée d'une juridiction spécifique à la famille est née de la pratique judiciaire qui a voulu mettre fin à la dispersion de ce contentieux. Animées par cette même volonté, certaines dispositions des lois du 12 mai 2009 et du 9 juillet 2010 ont conféré au JAF de nouvelles attributions. Mais ces réformes, qui offrent une nouvelle approche juridique de la famille, s'avèrent relativement inefficaces du point de vue processuel.
I. 01 1. La loi du 12 mai 2009(1), en ce qu'elle accorde de nouvelles compétences au juge aux affaires familiales(2), était attendue. D'une part, elle s'inscrit dans une évolution commencée au milieu du siècle dernier. L'idée d'une juridiction spécifique à la famille est née de la pratique judiciaire qui a voulu mettre fin à la dispersion de ce contentieux entre de multiples juridictions, entraî nant des conflits de compétences et des contrariétés de décisions. D'autre part, en concentrant d'anciennes attributions du juge des tutelles et de la formation collégiale du tribunal de grande instance entre les mains du JAF, elle participe à la création d'un pôle famille tel que l'a préconisée la Commission de réflexion sur la répartition des contentieux(3). La même philosophie sous-tend la loi du 9 juillet 2010(4) qui confie au juge aux affaires familiales de veiller aux violences au sein des couples. Ce dernier a été préféré au juge délégué aux victimes pour éviter un conflit de compétences entre les mesures civiles provisoires prononcées par celui-ci et celles prononcées par le JAF sur le fondement de l'article 220-1 du Code civil(5). Ces deux textes sont également animés par une autre logique qui explique l'attribution au JAF des affaires des couples non mariés, et plus généralement le transfert de compétences du tribunal de grande instance au JAF. Il s'agit de considérations économiques qui conduisent à préférer un juge unique à une formation collégiale. Dans un contexte de crise de la justice, cette méthode permet de traiter plus de dossiers, sans augmentation ni du budget, ni du nombre de magistrats. Le problème réside dans la manière dont ces réformes ont été menées. La loi de 2009 est un texte fourre-tout qui ne compte pas moins de cent quarante articles couvrant des domaines extrêmement variés. La loi de 2010 est issue d'une proposition de loi présentée lors de la journée nationale de lutte contre les violences faites aux femmes et résulte d'une politique juridique avant tout compassionnelle(6). Ni l'une ni l'autre ne s'inscrit dans une réforme d'envergure et le législateur n'avait certainement pas prévu l'esquisse d'une nouvelle approche juridique de la famille et l'inefficacité partielle de la réforme processuelle qui en découlent.
2. Le visage de la famille évolue et il est difficile aujourd'hui de dire ce qui « fait famille »(7), en raison de la diversité et de l'instabilité de cette cellule. Juridiquement, aucun texte ne la définit. Toutefois l'article L. 211-1 du Code de l'action sociale et des familles est instructif. Celui-ci définit l'objet des associations familiales qui est la défense des intérêts de toutes les familles ou de certaines catégories et qui regroupent : « des familles constituées par le mariage et la filiation / des couples mariés sans enfant / toutes personnes physiques soit ayant charge légale d'enfants par filiation ou adoption, soit exerçant l'autorité parentale ou la tutelle sur un ou plusieurs enfants dont elles ont la charge effective et permanente ». A partir de telles dispositions, on comprend aisément les critères dégagés par la doctrine : « Hors mariage, ce sont les enfants qui fondent la famille. En mariage, c'est la célébration même de l'union qui constitue l'acte fondateur de la famille »(8). Partant du postulat que ce qui est confié au JAF relève par définition des affaires familiales, les récentes réformes obligent à nuancer le propos, rappelant les certitudes et les incertitudes. D'un côté, elles confirment que l'enfant peut, à lui seul, fonder la famille, de l'autre, elles révisent la notion de couple familial.
3. Alors qu'il était dénommé juge des affaires matrimoniales, celui qui allait plus tard devenir le juge aux affaires familiales connaissait déjà du contentieux relatif aux enfants. L'article 247 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 11 juillet 1975, énonçait que ce magistrat statuait « sur la garde des enfants et la modification de la pension alimentaire » après divorce, ayant préalablement précisé qu'il était « plus spécialement chargé de veiller à la sauvegarde des intérêts des enfants mineurs ». Quand la loi du 4 mars 2002(9) a supprimé cette dernière précision, on a pu se demander si le législateur n'avait pas dans l'idée de détourner l'office du JAF de l'enfant. Il n'en est rien comme en témoigne la loi du 12 mai 2009. Jusqu'au 1er janvier 2010, le juge des tutelles connaissait de l'émancipation, de l'administration légale, de la tutelle des mineurs et de la tutelle des pupilles de la nation(10). Une telle répartition pouvait sembler confuse pour le justiciable. De plus, il existait un risque, quoique limité(11), de contrariété entre les ordonnances rendues en matière d'autorité parentale et celles rendues au titre de l'administration légale des biens de l'enfant mineur. Les efforts pour améliorer la communication entre les différents juges ayant à connaî tre des contentieux des mineurs n'ont pas été suffisants. Ainsi, avec le décret du 10 avril 2009(12), la transmission de copie de pièces, du juge des enfants au JAF est suspendue aux investigations et requêtes de ce dernier(13). L'idée a alors été de permettre à un même magistrat de connaî tre de toutes les questions intéressant l'autorité parentale, tant relative à la personne qu'aux biens de l'enfant, et de mettre fin à la dualité de juridictions(14). Entre le juge des personnes - juge des tutelles - et le juge de la famille - JAF - c'est ce dernier qui l'a emporté. Depuis le 1er janvier 2010, le JAF exerce les fonctions de juge des tutelles des mineurs(15). Plus encore, la loi du 9 juillet 2010 lui confie de veiller aux incidences que les violences au sein des couples pourraient avoir sur les enfants(16). On peut alors se demander s'il n'y a pas là un empiètement sur les attributions du juge des enfants qui connaî t de l'organisation ou de la prolongation d'une action de protection judiciaire à l'égard des mineurs émancipés ou des majeurs âgés de vingt et un ans ou moins(17).
4. Parallèlement à ses attributions concernant les enfants mineurs, le juge aux affaires familiales n'a cessé de voir ses compétences en matière de séparation des couples mariés s'accroî tre, qu'il s'agisse du prononcé du divorce ou des conséquences de celui-ci. Toutefois, des pans entiers de la vie conjugale lui échappaient, notamment le fonctionnement des régimes matrimoniaux et les conséquences patrimoniales du divorce. Afin d'éviter des lourdeurs procédurales et des incohérences, la loi du 12 mai 2009(18) a fait entrer ces domaines dans les compétences d'attribution du JAF. Il devient « le juge du quotidien des questions patrimoniales »(19), c'est-à-dire le juge du fonctionnement des indivisions des époux, du partage et de la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux(20). Ces nouvelles attributions s'inscrivent dans une continuité. Le JAF connaî t déjà des questions de liquidation des intérêts patrimoniaux et, dans une moindre mesure, des questions de partage. Quand il homologue la convention avec le règlement complet des effets du divorce par consentement mutuel, son approbation porte sur l'état liquidatif du régime matrimonial qui doit y être inclus(21). Certes, homologuer une convention et procéder aux opérations de liquidation ne relèvent pas des mêmes logiques. Dans la première hypothèse, le JAF remplit davantage un rôle d'arbitre, tandis que dans la seconde, sa démarche demande une parfaite maî trise de la technique(22). Mais dans les deux cas, il est juge liquidateur. Il en est de même lorsque, en application du dernier alinéa de l'article 267 du Code civil, et après avoir désigné, dans le cadre des mesures provisoires, un notaire en vue d'élaborer un projet de liquidation, il statue sur les désaccords persistants entre les époux(23). Quant aux opérations de partage, le JAF en connaî t dans les divorces contentieux. Depuis la loi du 26 mai 2004(24), il peut, à défaut de règlement amiable par les époux de leurs intérêts patrimoniaux, statuer sur les demandes de maintien dans l'indivision ou d'attribution préférentielle(25). Il peut également accorder à l'un ou l'autre une avance sur sa part de communauté ou de biens indivis(26).
5. La véritable nouveauté est l'attribution au JAF des « affaires » des couples non mariés, à tel point qu'on peut se demander s'il n'est pas devenu le juge de toutes les formes de conjugalité. Cela s'inscrirait dans une évolution qui laisse transparaî tre un droit commun des couples et qui aboutirait [10] à la désignation d'un juge commun pour traiter des difficultés rencontrées par ceux-ci. En effet, petit à petit, le législateur a rapproché le statut des partenaires de celui des conjoints, sans toutefois les assimiler. Depuis la loi du 23 juin 2006, l'article 515-4 du Code civil énonce que « les partenaires liés par un pacte civil de solidarité s'engagent à une vie commune, ainsi qu'à une aide matérielle et une assistance réciproque ». En outre, la loi du 1er juillet 2010 complète cet article en reprenant mot pour mot le dernier alinéa de l'article 220 du même code. A partir du 1er mai 2011, un partenaire sera protégé contre les achats à tempérament et les emprunts contractés par son compagnon, sans son consentement. Il ne manque plus que la fidélité ! D'autres textes ont cherché à aplanir les différences entre les couples. Depuis la loi du 5 mars 2007, partenaires et concubins ont, au même titre que l'époux, un rôle à jouer, en matière de protection juridique de leur compagnon majeur(27). Depuis deux décrets adoptés en 2008, devant les juridictions d'exception de première instance, partenaires et concubins peuvent assister ou représenter leur compagnon, privilège accordé jusqu'à présent au conjoint, aux parents ou aux personnes particulièrement compétentes. Les exemples pourraient se multiplier. Un droit commun se dessine, une juridiction unique aussi. Depuis l'entrée de la loi du 12 mai 2009, le JAF connaî t des demandes relatives au fonctionnement des indivisions entre personnes liées par un pacte civil de solidarité ou entre concubins, de la liquidation et du partage des intérêts patrimoniaux de ces mêmes personnes et des actions liées à la fixation de la contribution aux charges du pacte civil de solidarité(28). Avec la loi du 9 juillet 2010, il protège de la même manière le conjoint, le concubin ou le partenaire des violences de son compagnon(29), notamment grâce à l'ordonnance de protection(30).
Or le fait que le législateur n'ait pas changé la dénomination de ce juge, comme il l'a fait en 1993 lorsque le juge aux affaires matrimoniales est devenu le juge aux affaires familiales, peut conduire à une autre conclusion. En confiant au juge en charge des affaires familiales les affaires des partenaires et des concubins, le législateur aurait incidemment ouvert la porte de la famille à ces couples non mariés. Jusqu'à présent, la situation de fait que constitue le concubinage et la situation contractuelle qui naî t de la conclusion d'un PACS n'entraient pas dans la conception traditionnelle de la famille. Concrètement, cela se traduit par l'absence de devoirs et d'obligations entre les concubins et les partenaires - initialement en tout cas - et par l'absence de droits dans la succession ab intestat de leur compagnon. S'agissant d'un mode de transmission des biens au sein de la famille, ils en sont privés. Enfin, c'est le juge de la responsabilité respectivement délictuelle et contractuelle qui connaissait jusqu'à présent des difficultés survenant lors de la séparation des concubins et des partenaires. Les réformes de 2009 et 2010 mettraient fin à cette exclusion. On pourrait objecter qu'il s'agit là de conclusions hâtives sur les intentions du législateur qui avait surtout en tête une meilleure organisation de la justice. Mais s'il avait voulu faire évoluer le cadre familial, il ne s'y serait pas pris autrement. Le choix d'une réforme judiciaire est habile et prudent. Parce que l'esquisse d'une nouvelle définition juridique de la famille n'est qu'une conséquence indirecte de la réforme, elle risque moins de se heurter à une levée de boucliers de la part des partisans de la conception traditionnelle de la famille qu'une réforme du droit substantiel. Si le législateur persiste dans cette voix, il devra alors songer à conférer aux partenaires et aux concubins un certain nombre de droits et de garanties qu'offre le cadre familial à commencer par des droits successoraux. Si en revanche, pour diverses raisons, il renonce à redéfinir la famille, il lui suffira simplement de consacrer un juge « de la famille et des couples » à qui il faudra confier, pour plus de cohérence, tout le contentieux de la séparation, quel que soit le lien qui unissait les personnes qui se séparent.
6. Parce que la réforme du contentieux familial ne résulte pas d'un texte spécifique qui aurait pu prendre en compte toutes ses implications, elle est en partie inefficace. Elle manque ainsi les objectifs de simplification et de clarification que s'était fixé la loi du 12 mai 2009. Ce n'est pas simplifier les choses que de préciser que le JAF est le juge des tutelles des mineurs et d'opérer ensuite un renvoi à ce qui peut sembler être un nouveau juge unique, alors qu'il ne s'agit que d'une nouvelle fonction du JAF. Ainsi, concernant la tutelle des pupilles de l'état, l'article L. 413 du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre a été modifié par l'ordonnance du 25 décembre 2009(31) et vise le juge des tutelles des mineurs. Pourquoi ne pas directement renvoyer au JAF puisque c'est de lui qu'il s'agit(32) ? En outre, un certain nombre de textes n'ont pas pris en compte les nouvelles attributions du JAF. Concernant l'émancipation des mineurs, aucun n'a été modifié après la loi du 12 mai 2009(33). A titre d'exemple, l'article 413-2 du Code civil, issu de la loi du 5 mars 2007(34), énonce toujours dans son alinéa 2 : « Après audition du mineur, cette émancipation sera prononcée, s'il y a de justes motifs, par le juge des tutelles, à la demande des père et mère ou de l'un d'eux ». Diverses techniques d'interprétation permettent de remédier aux apparentes contradictions. On peut considérer que la loi nouvelle qui contrarie le texte en vigueur, opère une abrogation tacite. De l'insertion de l'article 413-2 dans un titre X intitulé De la minorité et de l'émancipation, on peut également déduire, par une interprétation systémique, que le juge des tutelles dont il est question est celui des mineurs, et donc le JAF. Les mêmes remarques doivent être formulées concernant l'administration légale et la tutelle. Les articles 389-2 et 391 du Code civil énoncent encore que celles-ci sont placées sous [11] le contrôle du juge des tutelles. Même des textes postérieurs à la loi du 12 mai 2009 continuent à utiliser, sans plus de précision, l'expression « juge des tutelles » devenue polysémique(35). Mais le plus regrettable est que cette réforme du contentieux familial manque ses objectifs en matière d'organisation juridictionnelle et se heurte, sur certains points, aux garanties procédurales.
7. La principale difficulté tient au fait que le législateur n'a pas suffisamment étudié l'impact matériel de la redistribution des compétences en matière familiale. On imagine qu'en théorie, il a compté sur la malléabilité de ce corps, « dans chaque tribunal de grande instance, un ou plusieurs magistrats du siège [étant] délégué dans les fonctions de juge aux affaires familiales »(36). C'est d'ailleurs en raison de cette disposition que certains JAF connaissaient, avant même la réforme de 2009, des intérêts patrimoniaux des couples mariés. Il n'était pas rare que, comme à Paris, la formation collégiale du tribunal de grande instance soit entièrement composée de juges aux affaires familiales, que ce soit pour connaî tre des désaccords persistants ou même pour connaî tre des suites patrimoniales du divorce. Or, il suffisait que l'un des membres de cette formation, en tant que juge de la mise en état, tienne seul l'audience pour entendre les plaidoiries(37) pour que le contentieux se trouve, de facto, dévolu à un JAF. Il en était de même si le président du tribunal ou le président de la chambre à laquelle l'affaire était distribuée, décidait d'attribuer l'affaire à un juge unique comme l'y autorise l'article 801 du Code de procédure civile. La loi du 12 mai 2009 n'est donc qu'une officialisation de ce qui se pratiquait déjà. Il reste que les textes initialement prévus pour être mis en œuvre par une formation collégiale devront être adaptés au juge unique. Ainsi, la mise en œuvre du partage judiciaire(38) va s'avérer délicate, notamment dans la procédure « complète » applicable aux situations complexes(39). L'article 1364 du Code de procédure civile énonce que « le tribunal désigne un notaire pour procéder aux opérations de partage et commet un juge pour surveiller ces opérations ». Le JAF se substituant au tribunal de grande instance dans ce domaine, la question se pose de savoir quel juge doit être commis. Il faut commencer par préciser que le juge commis, tel qu'il a été conçu initialement, appartient à la formation de jugement. L'article 1373 alinéa 5 énonce qu'en cas de désaccord des copartageants sur le projet d'état liquidatif dressé par le notaire, le juge commis « est, le cas échéant, juge de la mise en état ». Dans ces conditions, il est naturel que ce soit le juge aux affaires familiales, juge unique, à qui l'on a confié le partage, qui remplisse toutes les fonctions des membres de la formation collégiale, y compris celle de juge commis. A ce titre, il peut tenter une ultime conciliation(40), dont l'intérêt doit être discuté(41). Si on en arrive à un partage judiciaire, c'est que les maintes tentatives de partage amiable, tout au long de la procédure de divorce, n'ont servi à rien(42). A défaut de conciliation, le juge commis doit faire un rapport au tribunal des points de désaccords subsistants. Monsieur le juge Buat-Ménard estime que le maintien de cette formalité en présence d'un juge unique dépend de la fonction que l'on donne à ce rapport. Il fait un parallèle avec le rapport fait par le juge de la mise en état au début de l'audience des plaidoiries devant le tribunal de grande instance, rapport dans lequel il précise l'objet de la demande, les moyens des parties et les questions de fait et de droit soulevées par le litige, mais sans donner son avis(43). Quand le tribunal siège à juge unique - soit sur le fondement de l'article 786 soit sur celui de l'article 801 du Code de procédure civile - ce rapport doit-il être maintenu ? La réponse doit être positive car il n'a pas pour seule fonction d'informer le reste de la formation collégiale mais bien de faire le bilan, à l'attention de tous, y compris des parties, de la façon dont se présente l'affaire. Il doit en être de même pour le rapport des difficultés subsistantes. Toutefois, un aménagement est indispensable. Puisque le JAF prend tour à tour le rôle de juge commis et de juge de la mise en état(44), ce rapport doit intégrer le rapport d'audience fait au titre de l'article 785.
Quant aux nouvelles attributions du JAF concernant les mineurs, les présidents de juridiction risquent bien d'user de leurs pouvoirs… pour ne rien changer. Dans les juridictions les plus importantes, « il est vraisemblable que le contentieux des tutelles des mineurs et administration légale sera regroupé et confié à un seul magistrat, et ce pour des raisons de commodité évidentes liées à l'organisation particulière que requiert le traitement de ce type de contentieux »(45). D'ailleurs, si l'esprit de la loi de 2009 milite pour que ce soit le même JAF qui connaisse tant des difficultés patrimoniales qu'extrapatrimoniales rencontrées par un même couple ou [12] un même mineur(46), rien dans le texte ne l'impose. Quant aux petites et moyennes juridictions, les présidents pourront être tentés « de déléguer comme JAF le juge d'instance, qui, […] est un juge du tribunal de grande instance affecté au tribunal d'instance, pour qui la charge des tutelles des mineurs est somme toute résiduelle par rapport aux mesures de protection des majeurs, et qui en maî trise parfaitement les rouages »(47). C'est d'ailleurs cette technique que suggère la circulaire du 4 août 2009, émanant du garde des Sceaux(48), le report préconisé de l'entrée en vigueur du transfert de la compétence en matière de tutelle des mineurs n'ayant pas eu lieu. Concernant les audiences, les dispositions de l'article R. 124-2 du Code de l'organisation judiciaire permettent de les tenir dans une commune autre que celle du siège de la juridiction. Elles peuvent donc être maintenues dans le siège du tribunal d'instance et dans ce cas, « il apparaî t souhaitable que le magistrat puisse continuer à bénéficier de l'assistance de son greffe habituel ». « En somme, on ne change rien et tout continue à fonctionner comme avant, dans le simulacre de l'application de la loi nouvelle »(49). La volonté de mettre fin à la dispersion du contentieux et aux contrariétés des décisions se trouve tenue en échec.
8. La rapidité avec laquelle le législateur a adopté les propositions de la commission Guinchard(50) explique qu'il n'ait pas eu le temps de prévoir toutes leurs implications. Ainsi, l'impartialité est la première garantie procédurale pouvant être remise en cause par la combinaison de deux instances, la première au titre des compétences traditionnelles du JAF, la seconde au titre de ses nouvelles attributions. En principe, il n'y aura pas de difficulté. Lorsque le juge rend des décisions successives sur le fond qui ne sont que la suite nécessaire, obligatoire, les unes des autres, sans que les mêmes points soient jugés, il n'y a pas violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales(51). Mais, si dans une première instance en divorce, le JAF statue sur le principe et le montant d'une prestation compensatoire, il doit prendre en considération « le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial »(52). Que se passe-t-il si, dans une procédure de partage consécutive au divorce, le même juge se rend compte qu'il a mal apprécié cette liquidation pour la fixation de la prestation compensatoire ? Ne doit-il pas se déporter au profit d'un autre juge ? Un magistrat préconise de procéder au partage du régime matrimonial dans le cadre de la procédure de divorce(53). Cette solution ne saurait être toujours satisfaisante, comme par exemple, lorsque le juge prononce dans une première instance une ordonnance de protection(54) au titre des violences au sein d'un couple marié, puis se rend compte, saisi dans une seconde instance d'une demande en divorce, que ces violences n'étaient qu'affabulation. Et cette situation pourrait être plus fréquente qu'on ne le pense. En effet, la délivrance de l'ordonnance de protection est soumise à la vraisemblance de la commission des faits de violence et au danger auquel la victime est exposée(55). Le risque de rendre dans l'urgence une ordonnance de protection alors que la personne accusée est innocente est bien réel, car la dénonciation des faits auprès des services de police ou de gendarmerie et quelques attestations peuvent suffire pour rendre vraisemblable la commission des faits.
9. La seconde garantie procédurale qui pourrait souffrir de ces nouvelles attributions est le principe du contradictoire, en raison de la possibilité d'éclipser une procédure écrite avec représentation obligatoire par une procédure orale sans représentation. L'article 1084 du Code de procédure civile énonce que « quand il y a lieu de statuer, après le prononcé du divorce, sur l'exercice de l'autorité parentale, la pension alimentaire ou la contribution à l'entretien et l'éducation de l'enfant, la demande est présentée » selon une procédure orale sans représentation obligatoire(56). Or les nouvelles attributions du JAF sont soumises à la procédure suivie devant le tribunal de grande instance, soit une procédure écrite avec représentation obligatoire(57), certainement en raison de la complexité et de la nature de ces affaires. Mais alors que décider si le JAF est saisi d'une demande principale visant une modification d'une pension alimentaire et d'une demande incidente touchant à la liquidation ? Procédure orale ou écrite ?(58) En droit, rien ne s'oppose à ce qu'il soit statué, à l'issue d'une procédure orale et sans représentation obligatoire, sur une demande incidente relative à la liquidation du régime matrimonial ou d'une indivision(59). Cette demande incidente est alors formée de la même manière que seraient présentés des moyens de défense(60) c'est-à-dire [13] oralement, à la barre, le jour de l'audience. Or l'évolution procédurale milite dans le sens d'une généralisation des procédures écrites en raison de l'insécurité qui découle des procédures orales(61). Seul l'échange de conclusions assure parfaitement le contradictoire et les droits des parties ne sauraient être mieux protégés que lorsque ces dernières sont représentées par un avocat. Il est donc regrettable que le législateur n'ait pas prévu de disposition qui permette d'éviter qu'une procédure orale l'emporte sur une procédure écrite. Et, concernant la publicité, faudra-t-il procéder dans un premier temps en chambre du conseil(62) et dans un second temps, en salle d'audience(63) ? Pour Monsieur Roth, juge aux affaires familiales à Evreux, la solution pratique la plus simple consiste à considérer que la demande incidente ne se rattache pas aux prétentions originaires par un lien suffisant et à la déclarer irrecevable. Mais cela va à nouveau à l'encontre de la rationalisation des contentieux souhaitée par la loi du 12 mai 2009.