Si le juge a l'obligation d'assurer l'efficacité du principe selon lequel le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat, il apparaî t que la demande d'aide juridictionnelle est, per se, de nature à perturber le cours normal de la procédure et conduit également à encadrer le pouvoir de statuer du juge.
I. 12 1. Malgré le principe de gratuité de la justice, posé pour la première fois par l'article 11 de la loi des 16 et 24 août 1790, certaines charges financières pèsent sur les plaideurs, qui doivent payer les honoraires de leur avocat et faire l'avance des frais qui constitueront les dépens, tels les émoluments des auxiliaires de justice qui leur ont apporté leur concours, l'indemnisation due aux témoins entendus, etc. L'accès au juge risque alors d'être entravé par la perspective des frais à débourser. Pour éviter que ces questions financières forment un obstacle au droit du justiciable à accéder utilement à un juge, il faut lui donner une assistance pécuniaire pour qu'il puisse être défendu par un avocat. La Cour de Strasbourg a eu l'occasion de dire que « La Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (...). La remarque vaut en particulier pour le droit d'accès aux tribunaux, eu égard à la place éminente que le droit à un procès équitable occupe dans une société démocratique »(1). Il s'ensuit qu'un système d'aide juridictionnelle, dans lequel l'État prend à sa charge les frais du procès afin de permettre aux personnes les plus démunies de saisir le juge, doit être constitué et que toutes les parties à une procédure doivent pouvoir en bénéficier.
2. Certes, « la Convention n'oblige pas à accorder l'aide judiciaire dans toutes les contestations en matière civile. En effet, il y a une nette distinction entre les termes de l'article 6 § 3 c), qui garantit le droit à l'aide judiciaire gratuite sous certaines conditions dans les procédures pénales, et ceux de l'article 6 § 1, qui ne renvoie pas du tout à l'aide judiciaire »(2), de sorte que les États peuvent subordonner l'octroi de l'aide juridictionnelle à un plafond de revenus, comme à l'existence d'une demande en justice sérieuse(3).
3. Mais, lorsque le justiciable peut y prétendre, il appartient à la juridiction d'assurer l'efficacité du principe selon lequel le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat(4) (I). Il a déjà été possible d'observer que la demande d'aide juridictionnelle est de nature à remettre en cause des délais pourtant strictement énoncés par la loi(5). Elle est également de nature à perturber gravement le cours d'une procédure civile (II).
4. Le juge a le devoir d'assurer l'efficacité du principe selon lequel le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat. C'est pourquoi l'on remarquera que le président peut accorder l'aide juridictionnelle provisoire (A). Mais c'est surtout la raison pour laquelle la Cour de cassation insiste sur l'importance de ce principe (B).
5. La simplicité de la procédure domine en la matière. C'est ainsi que la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle ne fait l'objet d'aucune forme particulière, [p. 268] lorsque le justiciable la demande au président du bureau ou de la section ou au président de la juridiction saisie (art. 62 décr. n° 91-1266 du 19 déc. 1991). Cette absence de formalité se retrouve une fois la décision prononcée par le bureau ou la section du bureau, puisque, d'une part, copie de cette décision est alors adressée par le secrétaire du bureau au greffier ou au secrétaire de la juridiction compétente afin que celui-ci classe la décision rendue au dossier de procédure, ainsi que -si elle est positive pour le demandeur- au bureau ou à la section du bureau compétent et ce, accompagnée, le cas échéant, des pièces produites (art. 64 décr. n° 91-1266). D'autre part, la décision sur l'admission provisoire est immédiatement notifiée à l'intéressé, selon le cas, par le secrétaire du bureau ou de la section, ou par le secrétaire ou le greffier de la juridiction (art. 63, al. 1er décr. n° 91-1266), sauf hypothèse de la présence de l'intéressé, auquel cas la décision peut lui « être notifiée verbalement contre émargement au dossier » (al. 2).
La volonté d'accélération de la procédure, en la circonstance, se révèle également à la lecture de l'article 63, alinéa 4 du décret n° 91-1266, puisque l'on notera que « La décision statuant sur la demande d'admission provisoire est sans recours ».
La simplicité constatée s'accompagne aussi d'un office particulier du juge, qui doit porter attention au respect des droits de la défense puisqu'il peut prononcer d'office l'admission provisoire, dès que « l'intéressé a formé une demande d'aide juridictionnelle sur laquelle il n'a pas encore été définitivement statué » (art. 62, dern. al.).
6. Mais, la décision d'admission demeure provisoire et dépend de ce qui sera tranché ultérieurement par le bureau ou par la section du bureau compétent. La décision finale de ce bureau qui refuse l'aide juridictionnelle produit les mêmes effets qu'une décision de retrait (art. 65 décr. n° 91-1266).
7. L'article 25 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 affirme que « Le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat et à celle de tous officiers publics ou ministériels dont la procédure requiert le concours ». La Cour de cassation insiste sur l'importance de ce principe : « Vu l'article 25 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique ; Attendu que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat »(6).
8. La demande d'aide juridictionnelle a un effet immédiat sur le déroulement de l'instance (art. 43-1 décr. n° 91-1266 du 19 décembre 1991 mod. décr. n° 2011-272 du 15 mars 2011). La juridiction, dès qu'elle est avisée du dépôt de ladite demande, « est tenue de surseoir à statuer dans l'attente de la décision statuant sur » elle. La même solution s'impose bien évidemment « lorsqu'elle est saisie d'une telle demande, qu'elle transmet sans délai au bureau d'aide juridictionnelle compétent » (art. 43-1, al. 2 décr. n° 91-1266).
C'est pourquoi a encouru la cassation l'arrêt d'une cour d'appel qui, alors que l'appelant avait sollicité, avant la date d'audience, l'attribution de l'aide juridictionnelle et présenté une demande tendant au renvoi de l'affaire, a néanmoins statué sur l'appel dont elle était saisie et ce, sans attendre la décision du bureau d'aide juridictionnelle(7). On insistera sur le fait que l'arrêt de cassation exclut le critère de mauvaise foi, et casse la décision des juges d'appel qui avaient énoncé « que la demande de M. X... tendant au renvoi de l'affaire dans l'attente de la décision du bureau d'aide juridictionnelle est tardive et révèle une intention dilatoire ».
9. Le souci d'assurer le droit d'accès au juge et d'éviter qu'il ne soit perturbé pas des obstacles de nature financière, n'écarte cependant pas l'approche du dossier de toute vérification et, spécialement, l'effet suspensif prévu par le texte est écarté lorsqu'il apparaî t que l'action du demandeur à l'aide est manifestement irrecevable (art. 43-1, al. 3 décr. n° 91-1266).
10. Il reste toutefois que la demande d'aide juridictionnelle est de nature à perturber le cours de la procédure.
11. La demande d'aide juridictionnelle produit en effet un effet interruptif sur les délais d'action et de péremption (A). Elle conduit aussi à encadrer le pouvoir de statuer du juge (B).
12. Devant les juridictions du premier degré, il est certain que la demande d'aide juridictionnelle produit une interruption des délais pour agir. En effet, l'article 38 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 prévoit expressément ledit effet, pour peu que deux conditions soient réunies.
13. La première condition est que la demande d'aide juridictionnelle se rapportant à l'action en cause doit être adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration du délai prévu pour agir, et ce, tant « devant la juridiction du premier degré, devant le premier président de la cour d'appel en application des articles 149-1 et 149-2 du Code de procédure pénale [que] devant la Commission nationale de réparation des détentions provisoires ».
[p. 269] De sorte que l'article 38 du décret s'applique : en matière de nullité de mariage(8) ; en matière de filiation(9) ; au délai pour agir en garantie des vices cachés(10). Il convient cependant de noter « que les dispositions de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991 (?) ne peuvent, étant de nature réglementaire, trouver application devant les juridictions répressives »(11).
Par ailleurs, « la caducité de la décision d'admission à l'aide juridictionnelle lorsque la juridiction n'a pas été saisie dans l'année de sa notification n'a d'effet qu'en ce qui concerne le bénéfice de l'aide juridictionnelle et n'a pas d'incidence sur l'interruption des délais résultant de l'aide juridictionnelle »(12). Quant à la décision d'incompétence d'un bureau d'aide juridictionnelle, elle « ne met pas fin à la procédure d'attribution d'aide juridictionnelle » et n'a donc aucun effet sur l'interruption du délai pour agir(13).
14. À cette première condition d'une demande d'aide introduite avant l'expiration du délai pour agir, s'en ajoute une seconde, prévue par le même texte : la demande en justice doit être introduite dans un nouveau délai de même durée que celui qui a été interrompu, et ce « à compter :
a) De la notification de la décision d'admission provisoire ;
b) De la notification de la décision constatant la caducité de la demande ;
c) De la date à laquelle la décision d'admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ;
d) Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné ».
On remarquera que cet article est applicable au recours en révision(14), à l'opposition à injonction de payer(15) comme à une demande en référé préalable à une action au fond(16).
15. Devant la cour d'appel, il est prévu que la demande d'aide juridictionnelle n'interrompt pas le délai d'appel. Il s'agit néanmoins là de la solution qui résulte des textes de droit interne, suivis en cela par la Cour de cassation. Une décision courageuse d'un conseiller de la mise en état de la Cour d'appel de Toulouse prend cependant le contrepied de cette jurisprudence, en s'appuyant avec bonheur, sur le droit conventionnel(17).
16. Devant la Cour de cassation, l'article 39 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 prévoit que la demande d'aide juridictionnelle produit un effet interruptif du délai imparti pour le dépôt du pourvoi ou des mémoires, et fixe un nouveau délai qui va courir(18). Il faut signaler qu'un arrêt de la première Chambre civile avait, en 1999, jugé qu'« [u]ne demande d'aide juridictionnelle formée dans le seul but de prolonger artificiellement le délai de dépôt du mémoire ampliatif constitue une fraude à la loi et la déchéance du pourvoi est, dès lors, encourue »(19). Cette solution n'est pas celle de l'arrêt rendu le 18 janvier 2007 par la deuxième Chambre civile à l'encontre d'une décision d'appel(20). On peut donc considérer que la solution de 1999 est obsolète, à moins qu'elle n'établisse une règle particulière pour la seule Cour de cassation…
17. En 1998 la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation décidait « qu'une demande d'aide juridictionnelle ne constitue pas une diligence au sens de l'article 386 du nouveau Code de procédure civile »(21), autrement dit qu'une demande d'aide juridictionnelle n'interrompait pas le délai de péremption. Moins d'un an après la Chambre sociale jugeait le contraire(22). Et onze mois plus tard, la chambre de la procédure mettait fin à la confusion : « la demande d'aide juridictionnelle interrompt le délai de péremption »(23).
18. Le président de la juridiction saisie qui reçoit une lettre de la partie l'informant de ce qu'elle sollicite l'aide juridictionnelle, doit transmettre cette lettre au Bureau d'aide juridictionnelle (BAJ)(24). Par suite :
[p. 270] a) Viole le principe du respect des droits de la défense, ensembles les articles 14 et 16 du Code de procédure civile et la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, le tribunal qui statue sur la demande dont il était saisi, alors que le défendeur avait sollicité, avant la date de l'audience, l'attribution de l'aide juridictionnelle(25) ;
b) Le juge ne peut pas statuer tant que le Bureau d'aide juridictionnelle instruit la demande et ce, quand bien même il estimerait que la demande est tardive ou dilatoire(26) ;
c) Le juge ne peut statuer, même quand l'aide juridictionnelle a été accordée seulement pendant le délibéré(27) ;
d) Le juge ne peut statuer, même quand l'aide juridictionnelle a été accordée, si l'avocat n'est pas encore désigné(28).
19. Après sa désignation au titre de l'aide juridictionnelle, il relève de la responsabilité de l'avocat de se présenter à l'audience. À défaut, c'est-à-dire si cet avocat n'est pas présent à l'audience, le juge peut statuer sans qu'on puisse lui imposer le sursis à statuer(29).
20. Deux moments peuvent être pris en compte s'agissant des demandes d'aide juridictionnelle faites après l'audience. Soit l'aide juridictionnelle est accordée pendant le délibéré, auquel cas le juge ne peut statuer, même quand l'aide juridictionnelle a été accordée seulement pendant le délibéré(30). Encore faut-il, cependant, que le juge en soit averti : « C'est sans méconnaî tre les règles régissant l'aide juridictionnelle et les exigences du procès équitable qu'une cour d'appel statue, en procédure orale, sur l'appel dont elle est saisie, dès lors que l'appelant, régulièrement convoqué, ne s'était pas présenté à l'audience et que n'ayant sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle que pendant le cours du délibéré, il ne l'avait obtenu qu'après le prononcé de la décision »(31).
Soit l'aide juridictionnelle n'est pas accordée pendant le délibéré. Et dans cette occurrence, le juge peut statuer, sans avoir à attendre la décision du Bureau d'aide juridictionnelle(32).
21. Le législateur a confié, à juste titre, un rôle fondamental et une lourde responsabilité à l'avocat. Il appartient donc à celui-ci de mériter cette confiance, afin qu'un Scapin ne puisse plus dire à un Argante : « Quand il n'y aurait à essuyer les sottises que disent devant tout le monde de méchants plaisants d'avocats, j'aimerais mieux donner trois cents pistoles que de plaider »(33).