Le droit patrimonial de la famille :
réformes accomplies et à venir
 
Actes du colloque organisé le 15 octobre 2004
à l’Université Robert Schuman de Strasbourg
par l’Association Henri Capitant des Amis
de la Culture Juridique Française
 
2006
Le droit patrimonial de la famille :
réformes accomplies et à venir
Journée nationale
Tome IX / Strasbourg
avec les contributions de :
Isabelle Dauriac    Nathalie Peterka
Frédérique Granet-Lambrechts    Philippe Simler
Marc Nicod    Alice Tisserand-Martin
Jean-Marie Ohnet    Georges Wiederkehr
 
 

© ÉDITIONS DALLOZ — 2006
 
Sommaire
VII Avant-propos
par Denis Mazeaud, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)
1    De quelques insuffisances du régime matrimonial légal
par Philippe Simler, professeur à l’Université Robert Schuman — Strasbourg III
13 Les réformes accomplies : le point sur les avantages matrimoniaux
par Frédérique Granet-Lambrechts, professeur à l’Université Robert Schuman — Strasbourg III
21 Les incidences de la réforme du divorce du 26 mai 2004
sur les libéralités entre époux et les avantages matrimoniaux
par Alice Tisserand-Martin, professeur à la Faculté de droit de Nancy
33 Les incidences de la réforme des successions du 3 décembre 2001 sur la pratique des libéralités entre époux
par Isabelle Dauriac, professeur à l’Université de Rouen
47 Le notaire dans les projets de réforme du droit des successions
par Jean-Marie Ohnet, membre de l’Institut d’études juridiques du Conseil supérieur du notariat, notaire
55 La réforme du droit des testaments
par Marc Nicod, professeur à l’Université de Toulouse I 71 La réforme des libéralités familiales
par Nathalie Peterka, professeur à la Faculté de droit de l’Université Paris 12
85 Rapport de synthèse
par Georges Wiederkehr, professeur à l’Université Robert Schuman — Strasbourg III
 
VI    Le droit patrimonial de la famille

97 Statuts de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française
103 Publications de l’Association Henri Capitant
109 Travaux des groupes de l’Association Henri Capitant
111 Composition du Conseil d’administration de l’Association 113 Composition du Bureau de l’Association
 
D. M.
Avant-propos
Lille, Nice, Limoges, Nantes, Toulouse, Aix-en-Provence, Bordeaux, Grenoble, autant d’Universités et de Facultés qui, depuis l’année 1997, ont successivement accueilli l’Association Henri Capitant et lui ont apporté leur concours en vue de l’organisation de sa traditionnelle journée nationale. Le 15 octobre 2004, ce fut au tour de la Faculté de droit de l’Université Robert Schuman — Strasbourg III, d’ouvrir ses portes à notre Association et d’œuvrer pour la réussite de cette neuvième édition.
Portant sur Le droit patrimonial de la famille : réformes accomplies et à venir, cette neuvième journée nationale a rassemblé de très nombreux participants, étudiants, praticiens et enseignants, et a donné lieu à de stimulants rapports et de riches débats, portant évolutions récentes et futures du droit des régimes matrimoniaux, des successions et des libéralités. Ont ainsi été au centre des exposés et des débats qui les ont suivis, les insuffisances du régime matrimonial légal, la pratique des avantages matrimoniaux, les libéralités entre époux, et les projets de réforme portant sur le droit des successions et des libéralités.
Ce sont les rapports présentés à l’occasion de cette journée strasbourgeoise qui sont reproduits dans le présent ouvrage.
L’organisation de cette nouvelle journée nationale n’aurait pas été possible sans le très précieux concours que nous a apporté le Centre de droit privé fondamental de la Faculté de droit, de sciences politique et de gestion de l’Université Robert Schuman — Strasbourg III. Qu’il nous soit permis, en outre, de rendre un amical hommage et d’adresser nos plus vifs remerciements à monsieur Philippe Simler, dont l’aide efficace et chaleureuse a très largement contribué à la réussite de cette manifestation!
  
De quelques insuffisances du régime matrimonial légal

Philippe Simler
Professeur à l’Université Robert Schuman — Strasbourg III

La réforme des régimes matrimoniaux opérée par la loi du 13 juillet 1965, parachevée par celle du 23 décembre 1985, a été unanimement saluée comme une grande réforme. Elle est en effet de celles portant la marque de Jean Carbonnier. Le régime légal proposé aux Français et plébiscité par eux, si l’on observe que 10 % à peine des époux s’en écartent — et encore, une bonne partie de ces derniers se contentent-ils de l’aménager, sans le récuser nullement — apparaît comme une belle construction, fondée sur les objectifs d’égalité des époux, dans un subtil équilibre entre indépendance et interdépendance.
Sans révoquer en doute ces indéniables qualités, il est tout de même possible de détecter quelques malfaçons et lacunes mineures dans le dispositif, dont l’une, issue de la loi du 23 décembre 1985, a été dénoncée d’emblée par quelques auteurs — il s’agit de l’article 1483 du Code civil —, et dont l’autre a été mise en lumière par une jurisprudence récente, s’agissant de la saisissabilité des revenus de l’époux caution ou emprunteur au sens de l’article 1415.
Il est même permis aujourd’hui de se demander si une pièce majeure du dispositif n’est pas aujourd’hui inappropriée, compte tenu de l’évolution du contexte économique et social actuel, et si le législateur n’a pas fait, en 1985 — car c’est cette dernière réforme qui a révélé l’ampleur du problème — un choix contestable, générateur aujourd’hui de profondes injustices : je veux parler de l’article 1413 du Code civil.
Le propos portera successivement sur ces trois textes et sur les interrogations critiques qu’ils suscitent.
 

I. L’ARTICLE 1483 ET LA QUESTION DE L’OBLIGATION À LA DETTE DU CONJOINT DU DÉBITEUR APRÈS DISSOLUTION DU RÉGIME

On sait qu’aux termes de l’article 1413 du Code civil, chacun des époux engage la totalité du patrimoine commun (pour le plus grand malheur de son conjoint, parfois : ce sera l’objet du troisième point), à l’exclusion des gains et salaires de l’autre (mais non des revenus de ses propres). On sait aussi qu’après le partage, chacun peut limiter son obligation au passif, s’agissant des dettes entrées en communauté du chef de son conjoint, à la mesure de l’émolument perçu lors de ce partage (art. 1483, al. 2). De tout temps, le législateur a ainsi voulu protéger la femme jusqu’en 1965, chacun des époux depuis la réforme, contre les dettes excessives de son conjoint contractées durant le mariage et non encore acquittées au jour du partage.
Restait la période intermédiaire entre la dissolution de la communauté et le partage. S’il y avait bien, dans la section du Code civil traitant de la dissolution de la communauté, après un premier paragraphe relatif aux causes de dissolution, un second consacré à la liquidation et au partage, celui-ci était muet sur le sort du passif. Quant au dernier paragraphe de cette section, tel qu’il était issu de la loi du 13 juillet 1965, il était intitulé « De l’obligation et de la contribution au passif après le partage ». Et l’on trouvait dans le premier alinéa de l’article 1483 la formule, irréprochable et non modifiée depuis, selon laquelle : « Chacun des époux ne peut être poursuivi que pour la moitié des dettes qui étaient entrées en communauté du chef de son conjoint ». Il peut l’être, dans cette limite, hier comme aujourd’hui, même sur ses biens personnels..., mais sous réserve du bénéfice d’émolument prévu au second alinéa du même article.
Mais voilà que le législateur s’est avisé, en 1985, de la lacune du dispositif s’agissant de la période intermédiaire entre la dissolution et le partage, période qui, comme chacun sait, peut durer fort longtemps et sur laquelle le législateur avait fait l’impasse en 1965. Pour combler cette lacune, il a cru pouvoir simplement modifier l’intitulé précité de ce troisième paragraphe, désormais ainsi libellé : « De l’obligation et de la contribution au passif après la dissolution ».
L’intention était louable. Mais il eût fallu, bien sûr, réfléchir préalablement aux effets du déplacement vers l’amont du champ d’application des textes subséquents. C’est ce qui n’a pas été fait, de sorte que, sans aucun doute involontairement1, le législateur a créé un véritable traquenard, pouvant causer aux époux, suivant les circonstances, un préjudice considérable et totalement injustifiable, ce que la doctrine n’a pas manqué de souligner.
L’article 1482 dispose que « Chacun des époux peut être poursuivi pour la totalité des dettes existantes au jour de la dissolution [et non plus au jour du partage], qui étaient entrées en communauté de son chef ». La solution est parfaitement logique et, en dépit
1. Les modifications des articles 1482 et 1483 ont été présentées, lors des travaux préparatoires de la loi du 23 décembre 1985, comme de simples ajustements rédactionnels (v. rapport Cacheux à l’Assemblée nationale, Doc. no 2646, p. 43, et rapport Dejoie au Sénat, Doc. no 360, p. 51).
 
De quelques insuffisances du régime matrimonial légal    3

du déplacement du point de départ de son application, rien n’était véritablement changé. En effet, le droit de l’indivision, indéniablement applicable à celle née de la dissolution de la communauté, permet aux créanciers visés de se payer sur l’actif indivis et aussi, bien sûr, sur le patrimoine personnel de leur débiteur. Il faut surtout souligner que le gage de ces créanciers reste, à peu de choses près2, le même que ce qu’il était au cours du mariage. L’article 815-17 dispose, en son 1er alinéa, que les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu’il y eût indivision sont payés par prélèvement sur l’actif avant le partage3. Ils peuvent donc saisir les biens indivis. Mais, comme ces mêmes créanciers sont nécessairement créanciers de l’un ou de l’autre époux, voire des deux, ils peuvent aussi poursuivre le paiement, pour l’intégralité de leurs créances, sur le ou les patrimoines personnels qui en répondaient avant la dissolution. Celui qui a payé en totalité — ou au-delà de sa part — une dette commune est en droit, sans attendre le partage, de recourir en contribution contre l’autre4.
Fort différente est à présent la situation du conjoint du débiteur visé à l’article 1482. Le 1er alinéa de l’article 1483, resté rigoureusement inchangé, dispose, en effet que « Chacun des époux ne peut être poursuivi que pour la moitié des dettes qui étaient entrées en communauté du chef de son conjoint ». Rien de choquant à première vue, d’autant que le texte est resté inchangé..., sauf que la solution qu’il édicte s’applique depuis 1985 dès la dissolution, alors qu’elle ne valait avant cette réforme qu’après le partage5. Il pouvait alors (et il peut toujours, s’il n’est poursuivi qu’après le partage) opposer le bénéfice d’émolument. Par hypothèse, avant le partage le béné
2. Les revenus des biens propres du conjoint, qui tombaient en communauté avant sa dissolution, cessent d’alimenter l’indivision post-communautaire. Avant l’entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 1985, la dissolution de la communauté emportait extension du gage de ces créanciers, puisque disparaissait la distinction entre biens communs ordinaires et réservés. De la disparition des biens réservés résulte une parfaite continuité par rapport à la situation antérieure à la dissolution. Il en va de même pour les gains et salaires de l’autre époux, insaisissables pendant la durée du régime en vertu de l’article 1414, après sa dissolution parce qu’ils n’alimentent plus la masse indivise.
3. V. Civ. 1re, 17 mars 1987, JCP G 1988, II, 21021, et N 1988, II, 73, note Simler; Civ. 1re, 9 juillet 1991, Bull. civ. I, no 235, D. 1992, somm. p. 372, obs. A. Honorat, JCP G 1992, I, 3567, no 15, obs. Tisserand, RTD civ. 1992, p. 437, obs. Lucet et Vareille; Civ. 1re, 21 mai 1997, Bull. civ. I, no 163, JCP G 1997, IV, 1452 (en l’espèce, la saisie est intervenue deux ans et demi après la transcription du jugement de divorce pour une créance antérieure).
4. Civ. 1re, 17 novembre 1999, Juris-Data no 004086, JCP G 2000, I, 245, no 17, obs. Simler. Ce recours en contribution avant partage est de nature, comme celui des créanciers, objet des développements suivants, de tenir en échec le bénéfice d’émolument opposable dans les rapports entre époux.

5. La question était, en réalité, discutée. Une partie de la doctrine estimait que l’action pour moi
tié contre le conjoint du débiteur était possible dès après la dissolution (v. en ce sens, Patarin et Morin, La réforme des régimes matrimoniaux, éd. Defrénois, no 344; Ponsard, sur Aubry et Rau, t. VIII, Régimes matrimoniaux, 7e éd., no 299 et note 4, et no 308 et note 48; Marty et Raynaud, Les régimes matrimoniaux, Sirey, 1978, no 329). Statuant encore sous l’empire de la rédaction antérieure à 1985, la Cour de cassation s’est, elle aussi, prononcée en ce sens (Civ. 1re, 1er mars 1988, Bull. civ. I, no 53, D. 1988, IR p. 74, JCP G 1988, II, 21158, note Simler, et N 1988, II, 318, note Arrault et Cornille, Defrénois 1988, art. 34289, p. 923, obs. Champenois). Une autre fraction de la doctrine considérait plus justement qu’elle n’était ouverte, conformément aux dispositions des articles 1482 et 1483, qu’après le partage (en ce sens, Colomer, Régimes matrimoniaux, 11e éd., Litec, 2002, no 907; Cornu, Régimes matrimoniaux, 9e éd., PUF, 2002, no 82, p. 422-423, et no 100, p. 518-519.; H., L. et J. Mazeaud et M. de Juglart, Leçons de droit civil, 5e éd., Domat-Montchrestien, t. IV, 1er vol., 1982, no 472 et 474).
 
fice d’émolument ne peut être invoqué, faute d’émolument connu. D’ailleurs, le second alinéa du même article est clair : « Après le partage et sauf le cas de recel, il n’est tenu qu’à concurrence de son émolument [...] ».
Est-ce si grave, peut-on se demander? La réponse ne peut qu’être clairement affirmative. La solution est juridiquement injustifiée et injustifiable. Elle peut avoir, concrètement, des conséquences dramatiques.
Rien ne justifie l’extension du gage de ces créanciers au patrimoine personnel du conjoint du débiteur, patrimoine qui était hors de leur atteinte avant la dissolution et qui le sera de nouveau après le parage, par l’effet du bénéfice d’émolument. Au contraire, dans la période intermédiaire, cet époux devra répondre sur son patrimoine personnel pour moitié des dettes entrées en communauté du chef de l’autre, sans être protégé par le bénéfice d’émolument, solution que la jurisprudence a retenue sans hésitation6.
Quant aux conséquences, est-il besoin d’insister? Dès après décès ou divorce, les créanciers de l’un des époux, s’ils sont bien informés, peuvent profiter de l’aubaine de ce droit de poursuite — pour moitié, certes, mais ce n’est pas négligeable — sur le patrimoine personnel du conjoint, qui n’est pas leur débiteur. Pire, un époux bien avisé, voyant la situation de son conjoint se dégrader, peut être incité à demander la séparation judiciaire des biens, mesure censée salutaire pour ses intérêts. L’article 1483 sera pour lui une véritable chausse-trappe, car il ouvrira aux créanciers de ce conjoint une action sur son patrimoine personnel, qu’il voulait précisément protéger.
Certes, l’article 1487 ouvre à l’époux qui a payé au-delà de son émolument un recours contre l’autre pour l’excédent. Mais ce recours sera le plus souvent illusoire. De plus, le texte suivant lui laisse la possibilité de se réserver un droit de répétition contre le créancier désintéressé, en spécifiant dans la quittance « qu’il n’entend payer que dans la limite de son obligation ». Mais qui connaît, parmi les juristes et, a fortiori, parmi ceux qui ne le sont pas, cette disposition? Et de quelle efficacité peuton la créditer?
La bévue législative a été vigoureusement dénoncée en doctrine. Un auteur l’a jugée si énorme qu’il a pensé qu’elle pourrait être corrigée sans nouvelle intervention législative : « Ce système serait absurde et il faut comprendre, malgré la lettre du texte, que c’est le droit de poursuite du créancier lui-même qui est subordonné à l’accomplissement du partage »7. Sans espérer pareille audace, le doyen Cornu a
6. En ce sens, Civ. 1re, 7 mars 1989 et CA Limoges, 27 février 1992, préc.; CA Dijon, 21 juin 1994, D. 1995, somm. p. 338, obs. Lucet; CA Grenoble, 23 juillet 1997, Juris-Data no 049646.
7. Grimaldi, « Commentaire de la loi du 23 décembre 1985 », Gaz. Pal. 1986, 2, p. 529, no 61.
V. aussi Simler, « Commentaire de la loi du 23 décembre 1985 », Éd. techniques, no spécial, no 135. Terré et Simler, Régimes matrimoniaux, 4e éd., Dalloz, 2005, no 626. Malaurie et Aynes, Les régimes matrimoniaux, éd. Defrénois, 2004, no 653, pour qui « la seule solution... est que l’époux oppose une exception dilatoire ». Mais sur quel fondement? V. cependant Flour et Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., A. Colin, 2001, no 654, qui, moyennant le correctif (illusoire?) de l’article 1488, approuvent finalement la solution issue de la rédaction actuelle des textes. La dernière proposition n’est pas conforme à la lettre de l’article 1483 alinéa 2, d’après laquelle, tant que le partage n’est pas intervenu, l’obligation pour moitié des dettes du conjoint doit être exécutée sans réserves.
 
porté un jugement très sévère sur ce « loupé » législatif : « anticipation exorbitante », « ouverture agressive (qui) n’est fondée ni en droit, ni en équité »8, ajoutant que « dans un combat bien réglé, on n’arme pas l’assaillant d’un glaive avant que le défenseur n’ait droit au bouclier »9.
La correction qui s’impose serait aisée : il suffirait de déplacer l’expression « Après le partage » de l’alinéa 2 vers l’alinéa 1er de l’article 1483 : « Après le partage, chacun des époux ne peut être poursuivi que pour la moitié des dettes qui étaient entrées en communauté du chef de son conjoint. (al. 1er). Sauf le cas de recel, il n’en est tenu que jusqu’à concurrence de son émolument... (al. 2) ». Encore faudrait-il que le législateur saisisse une occasion — elles ne manquent pas — d’adopter ce correctif. Il pourrait ne pas être le seul.

II. L’ARTICLE 1415 ET LA SAISISSABILITÉ DES REVENUS DE L’ÉPOUX CAUTION OU EMPRUNTEUR

Aux termes de l’article 1415 du Code civil, « Chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres ». La même question est d’ailleurs susceptible de se poser à propos de l’article 1411, relatif, au passif personnel d’un époux, qui permet à ses créanciers de saisir, outre ses biens propres, « les revenus de leur débiteur ». Mais c’est dans le contexte de l’article 1415 que la Cour de cassation a eu à y répondre. Les solutions peuvent ne pas être considérées comme satisfaisantes.
Concrètement, les revenus — ceux de l’industrie des époux, comme ceux de leurs biens propres — sont aujourd’hui très généralement versés sur divers types de comptes bancaires, ouverts au nom de l’époux créancier ou des deux époux (compte joint). Dans quelle mesure le solde créditeur de tels comptes est-il saisissable par les créanciers d’un époux qui s’est porté caution ou qui a emprunté sans l’accord de son conjoint?
La Cour de cassation a jugé que la solution ne pouvait être que celle du tout ou rien : un compte n’est saisissable par un tel créancier, sans qu’il y ait à distinguer entre compte personnel et compte joint, entre compte de chèques et compte d’épargne, que si ce compte a été exclusivement alimenté par les revenus de l’époux débiteur10, mais le solde de ce compte est alors saisissable sans limite. Elle a seu
8. Cornu, op. cit., p. 423.
9. Ibid; p. 519
10. V. Civ. 1re, 3 avril 2001, Bull. civ. I, no 92; JCP G 2002, I, 103, no 13, obs. Simler, et JCP G 2002, II, 10080, note Bourdaire; D. 2001, somm. p. 2933, obs. Nicod; Defrénois 2001, art. 37406, p. 1129, obs. Champenois. L’arrêt décide que, faute pour le créancier d’identifier les revenus de l’époux débiteur, le compte joint, alimenté par les revenus des deux époux, était insaisissable. Civ. 1re,
 
lement établi une distinction, à propos de l’épargne-logement, entre le compte d’épargne-logement, saisissable dans les mêmes conditions, et le plan d’épargnelogement (ou, a fortiori, un compte de titres), même exclusivement alimentés par les revenus de l’époux emprunteur ou caution, ces comptes devant être considérés comme constitutifs d’acquêts de la communauté11, non saisissables.
Cette dernière distinction révèle que la difficulté est en réalité double. Il s’agit d’abord de savoir quels comptes sont saisissables, à supposer qu’ils soient exclusivement alimentés par les revenus de l’époux caution ou emprunteur, et plus précisément si les comptes d’épargne doivent l’être (la solution étant évidente pour les comptes de titres, qui sont indéniablement des acquêts, non saisissables dans cette hypothèse). Mais les sommes figurant sur un compte d’épargne sont-elles encore des revenus? On peut sérieusement en douter. Ainsi que le terme « épargne » le suggère, elles méritent plus raisonnablement la qualification de « capital », économisé dans l’attente d’investissements futurs. Elles produisent d’ailleurs elles-mêmes des revenus, dont nul ne paraît avoir songé à déterminer la nature et le régime12. Par ailleurs, la distinction entre « compte » et « plan d’épargne logement », au motif que les fonds placés sur le premier sont disponibles à tout moment, alors qu’il en va différemment pour le second, n’est guère convaincante. Les fonds sont également disponibles dans le second cas, sous la seule précision que le bénéfice du taux d’intérêt le plus favorable est partiellement perdu, dans une proportion variable selon le moment de la « rupture » du plan.
Mais on aura compris que, si on raisonnait ainsi, les revenus perçus et placés sur un compte (ou, au moins, sur un compte d’épargne) ne seraient jamais saisissables. Les créanciers visés ne pourraient saisir que les revenus à percevoir (solution qui, compte tenu de la portée aujourd’hui reconnue à la saisie-attribution de créances périodiques, ne serait pas tellement pénalisante). Sans aller jusque-là, on pourrait raisonnablement admettre que les revenus ne restent des revenus que pendant la durée qui les a générés et qu’au-delà ils ont perdu cette nature du fait de leur capitalisation. N’est-ce pas très exactement ce que le législateur a admis, dans l’article 1414, pour les gains et salaires versés à un compte, qui, inversement, ne sont insaisissables par les créanciers du conjoint qu’à concurrence du dernier mois
14 janvier 2003, Bull. civ. I, no 2; JCP G 2003, I, 124, no 4, obs. Simler, et JCP G 2003, II, 10019, concl. Sainte-Rose; D. 2003, p. 2793, note Barabé-Bouchard; Defrénois 2003, art. 37712, p. 544, obs. Champenois; RTD civ. 2003, p. 534, obs. Vareille. Cet arrêt juge que « la cour d’appel, [...] après avoir relevé que le compte de dépôt, objet de la saisie, n’était alimenté que par les revenus de l’époux débiteur, a décidé à bon droit que ce compte était saisissable ». V. aussi, à propos d’un compte personnel non exclusivement alimenté par les revenus de son titulaire, CA Lyon, 28 février 1996, JCP G 1997, I, 4008, no 10, obs. Simler. 11. Civ. 1re, 14 janvier 2003, préc.

12. Les revenus des économies ne sont, à l’évidence, ni des revenus de l’époux débiteur, comme le sont les gains et salaires, ni des revenus de biens propres, puisque nul ne doute que lesdites économies sont communes. Les revenus générés par les économies sur revenus devraient donc être considérés comme biens communs ordinaires. Dès lors le solde global, formé par les économies elles-mêmes et les intérêts qu’elles ont produits, ne serait plus exclusivement constitué par des revenus saisissables par les créanciers des articles 1411 et 1415. Mais peut-être trouvera-t-on excessif pareil affinement du raisonnement. ou de la moyenne mensuelle du gain annuel ? Telle est la raison pour laquelle quelques audacieux avaient proposé de retenir par analogie une solution semblable pour l’hypothèse voisine de l’article 141513. Ils n’ont pas été suivis, l’analogie ayant été jugée insuffisante, voire inexistante14. Telle est aussi la solution retenue en dernier lieu par la Cour de cassation censurant, le 17 février 2004, un arrêt qui avait cru pouvoir mettre en œuvre une telle application par analogie de l’article 1414 alinéa 2 : « Attendu que le cantonnement prévu à l’article 1414 alinéa 2, du Code civil, qui protège les gains et salaires d’un époux contre les créanciers de son conjoint, n’est pas applicable en cas de saisie, sur le fondement de l’article 1415 qui protège la communauté, d’un compte bancaire alimenté par les revenus des époux; qu’en statuant comme elle l’a fait, après avoir relevé que le compte, objet de la saisie, était alimenté par les fruits des biens communs ainsi que par les revenus des époux et qu’il n’était pas établi que le solde créditeur saisi provenait des seuls revenus du mari, la cour d’appel a violé [l’article 1415 du Code civil] »15.
Toujours est-il que la situation actuelle n’est pas satisfaisante, à deux égards, et cela tant, redisons-le, dans l’hypothèse visée à l’article 1415 que dans celle de l’article 1411.
Il n’est pas raisonnable que des revenus économisés et capitalisés pendant de longues années soient soumis au même régime que les revenus échus et non encore perçus ou que les revenus à échoir.
Il est surtout profondément choquant que l’époux qui a soigneusement isolé, dans un souci de saine gestion, ses revenus des autres disponibilités du ménage, soit lourdement pénalisé par rapport à celui qui a laissé ses revenus tomber dans la caisse commune, ce qui paraît être le cas le plus courant. Le premier se mordra les doigts pour sa rigueur, tandis que le second se félicitera de son laxisme comptable.
Tant l’inconvénient du tout ou rien, résultant de ce que, au gré des situations, les revenus économisés sont encore ou non identifiables, que celui de la frontière incertaine entre l’économie et l’acquêt disparaîtraient si le législateur se résolvait à établir une limite quantitative de la saisissabilité, comparable — mais non forcément identique — à celle prévue à l’article 1414 alinéa 2, pour les gains et salaires. Telle est la solution qu’on voudrait proposer.
Si l’on peut sans doute nier l’analogie des situations visées aux articles 1414 et 1415, c’est cependant le même type d’argument qui justifie une solution symétrique. Si les salaires économisés ne sont plus des salaires et méritent d’être soumis au régime ordinaire du passif commun, les revenus économisés ne sont plus, symé
13. V., Grimaldi, commentaire, préc. no 49; Simler, commentaire, préc., no 50.
14. V., Champenois, op. cit., no 431, qui propose cependant de soustraire à la saisie les revenus « thésaurisés ». Dans le même sens, J. Sainte-Rose, concl. sur l’arrêt du 14 janvier 2003, préc.
15. Civ. 1re, 17 février 2004, Bull. civ. I, no 45; JCP G 2004, I, 176, no 16, obs. Simler; D. 2004, somm. p. 2260, obs. Brémond; Dr. fam. mai 2004, no 84, obs. Beignier; Banque et Droit mai-juin 2004, p. 41, obs. Jacob; RJDA 7/2004, no 899.
 
 
triquement, des revenus et doivent suivre le régime ordinaire de l’obligation aux dettes communes.
Une telle limitation de la saisissabilité, dans le cas de l’article 1415, aurait en outre pour avantage de supprimer l’irritante distinction entre comptes exclusivement ou non exclusivement alimentés par les revenus de l’époux caution ou emprunteur. Dès lors qu’un compte aurait encaissé des revenus de cet époux, il serait saisissable dans une certaine mesure. Resterait à déterminer cette mesure. La solution la plus simple serait évidemment de retenir la même que celle prévue à l’article 1414. Faut-il redire qu’elle ne serait pas exagérément pénalisante pour le créancier, qui, en pratiquant une saisie-attribution, étend son appréhension aux revenus périodiques non encore échus. Mais on pourrait aussi concevoir une limite différente : par exemple un trimestre au lieu d’un mois.
Il suffirait, pour ce faire, de compléter l’article 1415, comme aussi l’article 1411 — car la modification de l’un de ces textes ne pourrait logiquement se justifier sans celle de l’autre — par une disposition précisant que, « Lorsque les revenus sont versés à un compte, ils sont saisissables à concurrence d’une somme équivalant au montant des revenus perçus au cours du mois (ou trimestre) précédent ou au montant moyen mensuel (ou trimestriel) des revenus perçus au cours des douze mois précédant la saisie ».

III. L’ARTICLE 1413 ET L’ENGAGEMENT PAR CHACUN DES ÉPOUX DE LA TOTALITÉ DE L’ACTIF COMMUN

Il s’agit cette fois d’une question plus fondamentale, touchant une pièce maîtresse du dispositif du régime de communauté : celui du passif commun. Il est permis de penser que les solutions actuelles sont inappropriées et même franchement dangereuses, dans un contexte économique, sociologique et moral qui a profondément changé depuis 1965 ou même depuis 1985. Une majorité d’époux sont aujourd’hui professionnellement « bi-actifs », si l’on autorise ce néologisme, et aspirent à une certaine indépendance patrimoniale, même s’ils ont, volontairement ou, plus probablement par défaut, adopté le régime de la communauté.
On écartera d’emblée, précisément, l’objection tenant au choix possible d’un autre régime que la communauté. Certes, de tels époux peuvent choisir la séparation de biens ou la si délaissée participation aux acquêts, ce que tout le monde recommande. Le fait indéniable, c’est que, massivement, ils s’en abstiennent, pour toutes sortes de raisons qui, en cet instant, importent peu. Le régime légal est parfaitement satisfaisant tant que tout va bien : il est bien connu, comme l’a écrit le doyen Carbonnier et comme l’a chanté Brassens, que les gens heureux n’ont besoin ni de droit, ni de parchemin, ni, par conséquent, de régime matrimonial. Mais survient l’adversité pour l’un des époux, et ledit régime se referme comme un piège ruinant le conjoint et le frustrant, le cas échéant, du fruit de longues années de labeur et d’économies.
Il était normal, en 1804, que le mari engageât la totalité de la communauté, puisqu’il était le seul à l’alimenter et même à pouvoir, juridiquement, contracter. Il faut ici rendre hommage au législateur qui, lorsque le travail féminin a commencé à se développer, a très tôt perçu les conséquences néfastes de cette règle pour les femmes exerçant une profession séparée et a créé en 1907 la catégorie des « biens réservés », mis à l’abri des poursuites des créanciers du mari. Nul ne disconviendra que l’institution a été largement un échec. Mais le problème était réel et les intentions parfaitement louables.
Les « biens réservés » ont sombré, sans laisser des regrets excessifs, dans l’euphorie de la parfaite égalité parachevée le 23 décembre 1985. Chacun des époux ayant les mêmes pouvoirs sur les mêmes biens communs, il pouvait paraître naturel qu’il engageât désormais ces mêmes biens par ses dettes. Mais que le malheur survienne pour l’un, et le piège se referme sur l’autre. Tout ce qu’il aura édifié ou du moins contribué à édifier par sa propre activité professionnelle est emporté dans le naufrage de son conjoint.
Peut-on se contenter de compatir et d’observer que, mariés pour le meilleur et pour le pire, l’issue est inéluctable? Est-il raisonnable, alors que les tiers sont protégés contre toute remise en cause des opérations faites par un époux, y compris les donations (sauf fraude paulienne, bien sûr), mais que le conjoint se voie privé des fruits de son travail, sans restriction, ni limite? À une époque où le mariage est devenu extrêmement fragile et se trouve, au surplus, en situation de concurrence avec d’autres formes, moins contraignantes, de communauté de vie, est-il raisonnable d’admettre qu’il puisse produire des effets aussi pernicieux?
Sauf à opter pour un autre régime légal, ce qui est peu plausible et ne répondrait pas, au surplus, aux aspirations du plus grand nombre, qui reste à juste titre très attaché à l’idée de communauté, il paraît nécessaire en ce début du XXIe siècle d’envisager une refonte de cette aile de l’édifice bâti en 1985.
Mais, contrairement aux deux points précédemment traités, le remède ne peut procéder d’une simple retouche de détail. C’est une pièce majeure du dispositif qui est en cause. La « reprise en sous-œuvre » s’avère extrêmement périlleuse. Il n’est possible ici que d’esquisser quelques pistes de réflexion, sans prétendre affiner des plans de détails. Deux questions doivent être posées : est-il possible d’envisager une modification du seul article 1413 ou la remise en cause de la règle formulée par ce texte
implique-t-elle une refonte plus profonde du régime légal?
Une solution simple — trop simple? — pourrait consister dans la limitation du droit de poursuite des créanciers de l’un des époux à la moitié en valeur des biens communs. Outre qu’elle serait empreinte d’arbitraire, car il subsiste des ménages dans lesquels un seul a des revenus professionnels et beaucoup d’autres dans lesquels les revenus des deux époux sont très inégaux, cette idée séduisante soulève immédiatement une autre question : quel sort réserver, dans cette hypothèse, à l’autre moitié de l’actif commun? Plusieurs réponses pourraient être imaginées : soit l’attribution de cette moitié restant de l’actif à l’autre conjoint, ce qui se traduirait par une liquidation anticipée du régime ; soit son maintien en communauté, avec une seconde alternative : maintien pur et simple et sans restriction particulière ou maintien à titre de masse définitivement soustraite aux créanciers antérieurs de l’époux poursuivi, constitutive d’une nouvelle variété de « biens réservés ». Ces dernières solutions seraient sans doute très difficiles à mettre en œuvre, de sorte qu’une liquidation anticipée pure et simple, qui rapprocherait la situation des époux communs en biens de celle des époux séparés de biens disposant d’une masse indivise, serait une issue plus réaliste. Et l’on pourrait alors imaginer que le partage se fasse non par moitié, mais en proportion des revenus de chacun des époux ayant alimenté la masse commune.
Mais si l’on franchit ce pas, l’on se situe d’emblée bien au-delà de la seule remise en cause du principe posé par l’article 1413. Deux réflexions peuvent être faites à ce stade.
La première est qu’une telle dissolution anticipée n’aurait en soi rien d’aberrant. Elle s’apparenterait à une séparation judiciaire des biens, provoquée par les poursuites d’un ou plusieurs créanciers (mais avec des effets différents, bien sûr, de ceux de l’actuelle séparation judiciaire). On pourrait ainsi concevoir que l’ouverture contre un époux commun en biens de toute procédure collective, commerciale ou civile, emporterait de plein droit séparation de biens et partage anticipé de la communauté, opposable aux créanciers actuels. Cette issue devrait sans doute être assortie de quelques correctifs, afin de prévenir et de neutraliser des comportements frauduleux. Ainsi, les biens acquis pendant la période suspecte pourraient être (simplement ou même irréfragablement) présumés avoir été acquis avec des fonds provenant de l’époux défaillant. Plus généralement, une disposition semblable à l’article L. 621-112 du Code de commerce (anc. art. 112, L. 25 janv. 1985) pourrait permettre aux créanciers de l’époux défaillant ou à leur représentant de prouver par tous moyens que les biens communs acquis au cours des trois ou cinq dernières années l’ont été avec des valeurs provenant de cet époux.
On pourrait concevoir aussi — seconde réflexion — que le dispositif ci-dessus imaginé ne mette pas fin définitivement au régime de communauté et que, celle-ci une fois liquidée, le même régime reprenne, en quelque sorte, son cours pour l’avenir. La situation de ces époux se rapprocherait ainsi à nouveau de celle, plus satisfaisante, qui, pour les époux séparés de biens (ou pour des concubins), est consécutive au partage de leurs biens indivis, à l’initiative de l’un d’eux ou à la suite de poursuites engagées par des créanciers. Ils peuvent en effet librement alimenter une nouvelle masse indivise destinée à être partagée lors de la dissolution définitive de leur régime, par décès ou par séparation.
L’on voit donc que la seule modification de la règle de l’article 1413 est impossible et que le déplacement de cette pièce du dispositif en bouscule d’autres, non moins importantes. N’est-ce pas, dès lors, l’ensemble du régime de communauté qu’il serait possible ou opportun de reconstruire sur de nouvelles bases? À nouveau, deux voies paraissent pouvoir être explorées.
 
La première est celle d’une communauté à gestion séparée. L’idée n’est pas nouvelle. Elle existait en germe, avant 1985, pour les « biens réservés ». Sa généralisation signifierait que chacun administrerait et engagerait seul les biens par lui acquis, sans remise en cause des règles de cogestion actuellement en vigueur, tant pour le logement de la famille que pour certains actes graves portant sur des biens communs limitativement énumérés. Elle ne résoudrait cependant qu’une partie du problème et susciterait de considérables difficultés de preuve. Ainsi ne permettrait-elle certainement pas d’éviter la constitution d’une masse commune intermédiaire, soit faute de preuve de l’acquisition des biens par l’un ou l’autre des époux, particulièrement en matière mobilière, soit plus simplement en raison d’acquisitions faites conjointement par les deux époux, ne serait-ce que parce qu’ils n’auraient pu éviter de mettre en commun leurs ressources pour réaliser des investissements, au premier rang desquels on trouverait assurément le logement de la famille. De plus, cette gestion séparée des biens communs ne serait d’aucun secours pour les époux n’exerçant pas une profession séparée ou n’ayant pas un niveau de revenus leur permettant de réaliser séparément des investissements significatifs.
Une seconde voie, qui s’écarterait davantage encore du modèle traditionnel de la communauté, conduirait à un rapprochement avec l’idée fondatrice du régime de la participation aux acquêts et consisterait dans l’établissement d’une communauté différée, au sein de laquelle il n’existerait, pendant la durée du régime, que deux patrimoines, les acquêts faits pendant la durée du régime ayant cependant vocation à être partagés et donnant lieu, comme aujourd’hui, à une gestion contrôlée par le conjoint. Chacun des époux serait donc, pendant la durée du régime, seul propriétaire des biens de toute nature et de toute origine et répondrait seul de ses dettes sur l’intégralité de son patrimoine. En cas d’acquisitions communes ou à défaut de preuve de l’acquisition par l’un ou par l’autre, les biens en question seraient réputés indivis entre les époux et seraient soumis au régime qui est actuellement celui de l’indivision entre époux séparés de biens, c’est-à-dire qu’ils seraient partageables à tout moment, au gré des époux ou à la demande des créanciers de l’un d’eux, et ne répondraient corrélativement des dettes de chacun qu’à concurrence de moitié. Néanmoins, à la différence de l’actuelle participation aux acquêts, qui est d’essence séparatiste, les biens constitutifs d’acquêts au sens actuel du terme, ne relèveraient pas du pouvoir exclusif et discrétionnaire de leur propriétaire et resteraient soumis aux restrictions telles qu’elles sont actuellement prévues, notamment par les articles 1422 et suivants du Code civil. Un tel régime resterait ainsi d’essence communautaire. Son caractère mixte pourrait cependant être de nature à satisfaire ceux des époux ou futurs époux qui, en l’état actuel de la législation, choisissent la participation aux acquêts. Seule la séparation de biens pure et simple constituerait une véritable alternative.
Est-il permis au juriste de rêver? Alors rêvons d’un régime matrimonial qui satisferait à la fois les aspirations contradictoires, d’indépendance et néanmoins de communauté, que des époux peuvent ressentir.
  
Les réformes accomplies : le point sur les avantages matrimoniaux

Frédérique Granet-Lambrechts Professeur à l’Université Robert Schuman — Strasbourg III

Le Code civil n’énonce pas de définition de l’avantage matrimonial, mais il en détermine le régime juridique dans plusieurs dispositions qui sont inscrites dans un chapitre concernant les régimes de communauté : les articles 1516, 1525 et 1527.
Selon une acception très générale, un avantage matrimonial consiste en un gain procuré à l’un des époux par rapport à l’autre, par le jeu des règles du régime matrimonial qui emportent entre eux une rupture de l’égalité sur les biens communs. De façon plus précise, il s’agit, selon l’article 1527 alinéa 1er, des « avantages que l’un ou l’autre des époux peut retirer des clauses d’une communauté conventionnelle, ainsi que ceux qui peuvent résulter de la confusion du mobilier ou des dettes ». La notion d’ « avantage matrimonial » se rapporte ainsi essentiellement à la masse des biens communs dans un régime de communauté conventionnelle. Toutefois, elle peut aussi trouver place dans un régime de participation aux acquêts1.
Dans un régime de communauté, un avantage matrimonial peut être créé par divers procédés2. Il peut résulter d’une clause relative à la composition de la masse commune y incluant tous les biens mobiliers (communauté de meubles et acquêts), ou même tous les biens (communauté universelle).
Plus fréquemment, l’avantage matrimonial résulte d’une clause du contrat de mariage qui déroge au principe d’égalité dans le partage de la communauté. Il s’agira par exemple d’une clause de préciput (art. 1516 C. civ.) permettant à un époux de prélever un bien dans la communauté sans indemniser celle-ci, ou d’une stipulation de parts inégales favorisant un époux, ou a fortiori d’une clause attribuant l’intégra
1. V., J.-P. Storck, « Avantages matrimoniaux et régime de participation aux acquêts », JCP N 1981, p. 355.
2. V., M. Grimaldi, « L’avantage matrimonial : remarques d’ordre pratique sur la communauté universelle », JCP N 1999, p. 1083.
 
lité de la communauté à l’un des conjoints (art. 1525 C. civ.), ce dernier type de clauses pouvant se greffer sur une communauté universelle à des fins de transmission successorale au dernier vivant de tous les biens du ménage, exclusive qui plus est de taxation fiscale. Il s’agira aussi d’une clause d’évaluation conventionnelle d’une récompense grâce à des modalités plus profitables à un époux que dans le régime légal par la date ou par la méthode convenue, ou d’une clause supprimant un droit à récompense pour la communauté quant à telles ou telles dettes. On peut encore songer à l’hypothèse où, dans un régime conventionnel, les apports de chacun des époux à la communauté sont de valeur inégale.
Bien que l’article 1527 figure dans les dispositions relatives aux régimes de communauté, il est légitime d’en étendre l’application en tant que de raison, dans un régime de participation aux acquêts, aux clauses du contrat de mariage qui, à propos des modalités de la liquidation et du partage du régime et conformément à l’article 1581, dérogent aux règles légales de détermination de la créance de participation aux acquêts ou aux règles d’attribution des acquêts. L’avantage matrimonial est ainsi tiré d’une clause selon laquelle un époux bénéficiera d’une créance supérieure à la moitié de l’excédent net des acquêts réalisés par son conjoint. Une réponse ministérielle3 a repris cette interprétation proposée en doctrine, mais il faut noter que l’on ne trouve guère de jurisprudence sur ce point.
En revanche, la notion d’ « avantage matrimonial » ne peut trouver place dans le régime légal de la communauté réduite aux acquêts4, ni dans un régime de séparation de biens dans lequel une clause attribuant un bien personnel d’un époux à son conjoint constitue toujours une libéralité, sous réserve de l’hypothèse particulière où la séparation de biens est accompagnée d’une société d’acquêts qui comporte un avantage matrimonial comme l’attribution intégrale au dernier vivant des biens la composant.
Tout l’intérêt de la qualification d’avantage matrimonial tient, selon la lettre de l’alinéa 1er de l’article 1527, en ce qu’en principe, les avantages matrimoniaux « ne sont point regardés comme des donations », ni quant au fond, ni quant à la forme, mais comme des conventions de mariage et entre associés. La loi édicte là une présomption irréfragable de caractère onéreux, d’où des conséquences particulièrement importantes au regard du droit des successions et de la fiscalité :
— les biens concernés ne sont pas rapportables à la succession de l’époux prédécédé;
3. Réponse ministérielle Q.E. no 601, JOAN Q 17 octobre 1988 : « Selon les articles 1525 et 1527 du Code civil, les clauses de partage inégal ou d’attribution intégrale de la communauté ne sont point regardées comme des donations, sous réserve de l’action en réduction susceptible d’être exercée dans le cas où il y aurait des enfants d’un précédent mariage. Les époux choisissant le régime matrimonial de la participation aux acquêts peuvent convenir, en application de l’article 1581 du Code civil, d’une clause de partage inégal ou stipuler que le survivant d’eux, ou l’un d’eux s’il survit, aura droit à la totalité des acquêts nets faits par l’autre ».
4. C’est une différence par rapport à ce qui se passait avant la loi de 1965, sous l’empire de l’ancien régime légal de la communauté de meubles et acquêts (v. M. Storck, J.-Cl. Civil, Art. 1527, no 4 et réf. citées).
 
5. V., M. Storck, « Le statut juridique de l’enfant du premier lit », Petites affiches 24 et 26 juillet 1985.
— ils échappent à la réduction pour atteinte à la réserve et à la déchéance pour cause d’indignité successorale;
— même s’ils sont prévus en usufruit, ils sont cumulables avec les droits successoraux;
— enfin, ils ne sont pas assujettis aux droits de mutation à titre gratuit, mais seulement aux droits de partage de 1 %.
Cependant, en présence d’enfants qui ne sont pas communs aux deux époux, l’alinéa 2 de l’article 1527 modifie le régime juridique des avantages matrimoniaux, ouvrant alors à ces enfants l’action en retranchement destinée à les protéger dans leur qualité d’héritiers réservataires, au décès de leur parent, face à son conjoint survivant. Quant aux bénéficiaires de l’action en retranchement, la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 a innové en réécrivant cette disposition, ce qui a mis fin à une jurisprudence très contestée (I). Malheureusement, la mise en œuvre du nouvel alinéa 2 de l’article 1527 semble de nature à susciter des difficultés que le législateur ne paraît pas avoir pressenties (II).

I. LES BÉNÉFICIAIRES DE L’ACTION EN RETRANCHEMENT : LA FIN DES ERREMENTS JURISPRUDENTIELS

Avant sa modification par la loi du 3 décembre 2001, l’alinéa 2 de l’article 1527 était rédigé dans les termes suivants : « Néanmoins, dans le cas où il y aurait des enfants d’un précédent mariage, toute convention qui aurait pour conséquence de donner à l’un des époux au-delà de la portion réglée par l’article 1098, au titre “Des donations entre vifs et des testaments”, sera sans effet pour tout l’excédent; mais les simples bénéfices résultant des travaux communs et des économies faites sur les revenus respectifs quoique inégaux, des deux époux, ne sont pas considérés comme un avantage fait au préjudice des enfants d’un précédent lit ». Par exception à la règle posée par l’alinéa 1er, le second alinéa présumait irréfragablement le caractère à titre gratuit des avantages matrimoniaux en présence d’enfants nés d’une union antérieure de l’un des époux5, pour des raisons évidentes : les enfants que l’époux défunt avait pu avoir d’un précédent mariage ne venaient pas ab intestat à la succession du conjoint de leur auteur, à la différence des enfants communs. L’action en réduction des avantages matrimoniaux consentis par le de cujus à son conjoint, à concurrence de la quotité disponible entre époux, tendait à reconstituer les droits des enfants du précédent mariage sur leur réserve héréditaire. La lettre de l’article 1527, alinéa 2 était claire, ses motivations aussi. Chacun s’était accordé pour dire que l’action en retranchement devait très logiquement être ouverte aux descendants des enfants nés d’un précédent mariage de leur parent défunt quand ils étaient appelés à sa succession par représentation, ainsi qu’aux enfants légitimés par ce mariage. Elle devait l’être encore, en raison de leur assimilation à des enfants nés du mariage, aux enfants adoptés par l’époux défunt et par son conjoint durant une union antérieure, en cas d’adoption plénière ou même d’adoption simple6.
Toutefois, sur d’autres points relatifs aux titulaires de l’action en réduction, la portée du second alinéa de l’article 1527 avait généré des divergences d’opinions et une jurisprudence qui tout en étant fondée sur la maxime de l’interprétation stricte des exceptions, n’en était pas moins fort éloignée de l’esprit du texte. L’action n’était pas accordée d’une part aux enfants que le défunt avait adoptés avant son mariage ou son remariage, d’autre part à ses enfants naturels7 et cette dernière solution avait provoqué à juste titre une très vive hostilité doctrinale. En effet, les enfants naturels pouvaient se trouver privés de leur réserve, en dépit du caractère intangible de celleci, du fait de l’avantage matrimonial consenti par leur parent à son conjoint, l’hypothèse la plus caractérisée étant celle d’une communauté universelle avec attribution intégrale au conjoint et précisément, pour écarter ce risque, certaines décisions avaient refusé l’homologation d’une demande de changement de régime ayant un tel objet8. En outre, le principe d’égalité entre enfants légitimes et naturels, inscrit dans le Code civil par la loi no 72-3 du 3 janvier 1972, impliquait d’ouvrir aux enfants naturels l’action en retranchement. Il fallait remédier à ces errements jurisprudentiels, d’autant que si le législateur s’en était abstenu, la France se serait exposée à une possible condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme, après celle qui résulta de l’arrêt Mazurek rendu le 1er février 2000 en raison des discriminations fulminées par notre législation à l’encontre des enfants adultérins en droit des successions et des libéralités9. L’arrêt Mazurek provoqua l’intervention du législateur avec la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 qui, opérant une réforme d’ensemble du droit des successions, a modifié également le second alinéa de l’article 1527 du Code civil désormais rédigé dans les termes suivants : « Néanmoins, au cas où il y aurait des enfants qui ne seraient pas issus des deux époux, toute convention qui aurait pour conséquence de donner à l’un des époux au-delà de la portion réglée par l’article 1094-1, au titre “Des donations entre vifs et des testaments”, sera sans effet pour tout l’excédent; mais les simples bénéfices résultant des travaux communs et des économies faites sur les revenus respectifs quoique inégaux, des deux époux, ne sont pas considérés comme un avantage fait au préjudice des enfants d’un autre lit »10.
Les expressions « enfants qui ne seraient pas issus des deux époux » ou « enfants d’un autre lit » préservent bien sûr les acquis en ce qui concerne les enfants légitimés par le précédent mariage d’un époux ou les enfants adoptés par lui-même et par son conjoint durant une union antérieure, cette dernière solution ne pouvant d’ailleurs plus susciter aucun doute depuis que la loi no 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a retouché l’article 358 du Code civil qui dispose dorénavant que « l’adopté a, dans la famille de l’adoptant, les mêmes droits et les mêmes obligations qu’un enfant dont la filiation est établie en application du titre VII du présent Livre ». Et surtout, elles visent aussi les enfants naturels qu’un époux a eus avant son mariage ou son remariage actuel, solution que dans un arrêt rendu peu de temps après la publication au Journal officiel de la loi du 3 décembre 2001, la Cour de cassation a fini par consacrer sur le fondement de l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatif aux biens, combiné avec l’article 14 de la convention au motif enfin reconnu que « ... les enfants légitimes nés d’un précédent mariage et les enfants naturels nés d’une précédente liaison se trouvant dans une situation comparable quant à l’atteinte susceptible d’être portée à leurs droits successoraux en cas de remariage de leur auteur sous le régime de la communauté universelle, la finalité de la protection accordée aux premiers commande qu’elle soit étendue aux seconds, au regard du principe de non-discrimination selon la naissance édicté par la Convention européenne des droits de l’homme »11. L’action en retranchement est ainsi ouverte à tous les enfants naturels qu’un époux a eus avant le mariage pendant lequel il est décédé après avoir consenti un avantage matrimonial à son conjoint survivant et aux enfants adultérins qu’il a pu avoir pendant ce même mariage. Tous bénéficient de cette action en leur qualité d’héritiers réservataires de leur parent défunt. Du même coup, et précisément parce que leurs droits réservataires sont ainsi préservés face au conjoint survivant, ils ne peuvent plus prétendre faire obstacle à la demande émanant de leur parent et de son conjoint en changement de régime matrimonial en vue d’adopter une communauté universelle avec attribution intégrale au dernier vivant. La Cour de cassation s’est récemment prononcée en la matière dans les circonstances suivantes12 : par un arrêt
10. Les modifications apportées au texte sont soulignées.
11. Civ. 1re, 29 janvier 2002, Bull. civ. I, no 32; Dr. fam. 2002, comm. no 45, note B. Beignier; Defrénois 2002, p. 692, obs. J. Massip; D. 2002, jur. p. 1938, note A. Devers; RTD civ. 2002, p. 347, obs. B. Vareille.
12. Civ. 1re, 22 juin 2004, Juris-Data no 024320.
 
 rendu le 21 novembre 2001, la cour de Bordeaux avait, en présence de l’enfant issu d’un premier mariage de l’épouse, refusé l’homologation d’un tel changement de régime matrimonial sous le prétexte que l’action en retranchement ouverte à cet enfant ne lui procurerait « que des droits inférieurs à ceux qu’ils auraient été si le régime matrimonial de sa mère était demeuré la séparation de biens ». Au visa des articles 1397 et 1527, alinéa 2 du Code civil, cet arrêt est cassé pour violation de ces dispositions par fausse appréciation, au motif que « l’action en retranchement permet la réduction des avantages matrimoniaux, si ceux-ci dépassent la quotité disponible entre époux ». Une solution identique vaut désormais à l’égard d’un enfant naturel, contrairement à certaines décisions rendues sous l’empire du droit antérieur13 et elle vaut aussi d’ailleurs pour des enfants communs.
S’il y a lieu de se féliciter des apports ainsi réalisés en droit positif, il faut en revanche regretter certaines faiblesses inhérentes à la mise en œuvre du nouvel alinéa 2 de l’article 1527.

II. LES FAIBLESSES DU NOUVEL ARTICLE 1527 DU CODE CIVIL

Cette disposition est porteuse d’insécurité et d’incertitudes à un double point de vue.
En premier lieu, la jurisprudence rendue sous l’empire de la législation précédente offrait à l’époux bénéficiaire de l’avantage matrimonial une certaine sécurité en ce sens que « la situation était figée à la date du remariage d’un époux : seuls les enfants légitimes14 ou légitimés nés d’un précédent mariage pouvaient le cas échéant modifier le régime d’attribution des avantages matrimoniaux par le jeu d’une action en retranchement »15. En outre, la question avait été posée de savoir si les enfants communs issus du remariage de l’époux défunt pouvaient, eux aussi, exercer l’action en retranchement en cas d’inaction des enfants issus du précédent mariage, au motif que si ces derniers avaient agi en réduction des avantages matrimoniaux, les enfants nés de la dernière union en auraient aussi profité. Mais la Cour de cassation a exclu une telle interprétation en décidant fermement que la demande ne pouvait être formée que par les enfants d’un mariage antérieur en leur qualité d’héritiers réservataires16.
Dorénavant, la situation comporte une part d’incertitude et d’imprévisibilité, et corrélativement de précarité potentielle pour l’époux bénéficiaire, car l’action en retranchement est ouverte à tout enfant né d’un autre lit dès que sa filiation se trouve légalement établie à l’égard de l’époux défunt, notamment à un enfant adultérin conçu pendant le mariage. Il ne s’agira plus nécessairement d’un remariage. De
13. V. supra, note 7.
14. Et les enfants adoptés par les deux époux lors d’un précédent mariage (v. supra). 15. V., M. Storck, J.-Cl. Civil, art. 1527, préc., no 37.
16. Civ. 1re, 13 avril 1976, Bull. civ. I, no 128; Defrénois 1976, p. 1546, obs. G. Morin.
 
plus, cet enfant pourra avoir été reconnu devant notaire afin que sa filiation ne soit pas mentionnée en marge du registre des naissances du vivant de son auteur. C’est après le décès d’un époux que le conjoint survivant sera fixé sur l’étendue des avantages qu’il recueillera. La liquidation du régime matrimonial pourrait néanmoins avoir lieu selon les termes prévus par le contrat de mariage et la qualification d’avantage matrimonial, avec les conséquences en découlant; mais elle serait alors affectée par l’action en réduction engagée par l’enfant naturel. La mise en œuvre du nouvel article 1527, alinéa 2 provoque donc des risques pour le conjoint survivant, de même que pour des tiers qui auraient ignoré l’existence de l’enfant naturel.
En second lieu, cette disposition suscite encore en droit transitoire d’autres difficultés et d’autres incertitudes, comme un auteur a pu le démontrer17. Son entrée en vigueur n’ayant pas été différée au 1er juillet 2002, elle a eu un effet immédiat tant dans les successions à venir, bien sûr, que dans les successions en cours si elles étaient ouvertes au jour de la publication de la loi au Journal officiel, soit le 4 décembre 2001, et si elles n’avaient pas été partagées auparavant, sous réserve des accords amiables déjà intervenus et des décisions judiciaires irrévocables18. Or cette règle transitoire est maladroite. Par exemple, il peut y avoir eu partage partiel, ou même mieux aucun partage du tout comme en cas de maintien en indivision ou d’attribution de la totalité de la communauté universelle au conjoint survivant; il n’y aura pas alors de mise en concours entre des enfants naturels du défunt et l’époux qui recueille l’ensemble des biens du ménage, sauf à exclure cette dernière hypothèse en raison de l’absence de toute indivision. Il reste qu’au moins dans les autres cas, on a pu soutenir que dans le délai trentenaire de prescription, des enfants naturels du de cujus pourraient « à retardement » exercer l’action en retranchement sur le fondement de la disposition transitoire prise pour l’application de l’article 1527, alinéa 219.
Le législateur a certes réalisé l’égalité des filiations en droit successoral et a banni les discriminations qui auraient été susceptibles de heurter la Cour européenne des droits de l’homme, mais c’est au prix de la portée rétroactive attachée à ce texte.
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En définitive, si la loi du 3 décembre 2001 a bien opéré une indispensable modification de l’article 1527, alinéa 2, sonnant ainsi le glas d’une jurisprudence éminemment critiquable pour son incohérence et son caractère inéquitable, on est conduit à constater que des difficultés nouvelles sont apparues et qu’elles vont placer dans l’embarras les notaires qui s’y trouveront confrontés.
17. P. Delmas Saint-Hilaire, « Réforme des successions. Examen d’une difficulté de droit transitoire : l’action en retranchement », Defrénois 2002, p. 153 s.
18. Article 25-II-2o de la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001. 19. P. Delmas Saint-Hilaire, chron. préc.
 
 
Les incidences de la réforme du divorce du 26 mai 2004 sur les libéralités entre époux et les avantages matrimoniaux

Alice Tisserand-Martin
Professeur à la Faculté de droit de Nancy

« Un équilibre qui s’approche de la perfection »1. C’est en ces termes flatteurs que nous a été présenté le projet de réforme du divorce qui devait aboutir à la loi du 26 mai 20042. La réforme du divorce serait ainsi le fruit d’un consensus préparé de longue date.
L’enthousiasme suscité par ce projet, en général, explique peut-être l’adoption peu controversée du nouvel article 265 du Code civil.
Pourtant, ce texte, relatif au sort des donations entre époux et des avantages matrimoniaux à l’occasion du divorce, aurait dû susciter des échanges plus vifs, car la discussion est une saine source d’enrichissement pour le droit. Mais au-delà de cette disposition particulière, l’importance des modifications apportées au régime des donations entre époux et à celui des avantages matrimoniaux par la loi du 26 mai 2004 dépasse largement le cadre du divorce, et aurait sans doute justifié une
1. V. le compte-rendu des auditions publiques de la commission des Lois, mercredi 10 et mardi 16 décembre 2003, audition de madame le professeur F. Dekeuwer-Défossez, présidente du groupe de travail « Rénover le droit de la famille », document annexé au Rapport no 120 de monsieur Patrick Gélard, Sénateur, p. 229 s.
2. Loi no 2004-439 du 26 mai 2004, entrée en vigueur le 1er janvier 2005. La loi s’appliquera aux procédures de divorce introduites avant son entrée en vigueur, sous réserve de certaines exceptions v. art. 33 de la loi. V., A. Bénabent, « Les dispositions transitoires de la loi du 26 mai 2004 », AJ fam. 2004, p. 232.
À défaut de dispositions transitoires spécifiques, relatives aux donations entre époux et aux avantages matrimoniaux, l’application dans le temps de la loi nouvelle soulève de délicats problèmes. On peut en effet hésiter entre la survie de la loi ancienne, si l’on privilégie le caractère contractuel des donations entre époux et des avantages matrimoniaux et l’application immédiate de la loi nouvelle, si l’on estime que le régime des donations entre époux, de même que le sort des avantages matrimoniaux au moment du divorce relèvent du statut légal des époux.
 

réflexion plus approfondie. En effet, lorsqu’on examine les incidences de la réforme du divorce sur les libéralités entre époux et les avantages matrimoniaux, nous avons une parfaite illustration des imperfections auxquelles le consensus conduit parfois.
À première vue, dans ce domaine, la réforme s’est efforcée d’introduire dans notre droit des modifications souhaitées par tous, ou presque, depuis longtemps. Les intentions du législateur étaient sans doute bonnes, tout du moins si l’on en croit l’opinion majoritaire, c’est-à-dire celle qui est dans l’air du temps. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, le juriste ne le sait que trop bien...
Pour le démontrer une fois de plus, il convient tout d’abord de présenter les objectifs poursuivis par le législateur. Il s’agira là d’un conte optimiste, dans lequel le divorce, étape indispensable à la reconstruction, se déroule selon un mode serein, dans un climat d’entente cordiale. Puis, ensuite, nous essayerons d’entrevoir la partie immergée de l’iceberg, quitte pour cela à nous enfoncer dans les profondeurs glacées de la technique juridique. Et, au terme de ce chemin de croix, nous tenterons de cerner les objectifs atteints par le législateur.

I. LES OBJECTIFS POURSUIVIS, OU LES BONNES INTENTIONS DU LÉGISLATEUR

Les modifications apportées au régime des libéralités entre époux, ainsi qu’à celui des avantages matrimoniaux, répondent à deux préoccupations distinctes du législateur, l’une accessoire, l’autre centrale par rapport à la réforme du divorce. Pourtant lorsque l’on examine la question sous l’angle du droit patrimonial, il est préférable de s’intéresser en premier lieu à l’accessoire, le principal pouvant attendre...

A. LA PRÉOCCUPATION ACCESSOIRE : LE RETOUR AU DROIT COMMUN DES LIBÉRALITÉS

Soucieux de rappeler son attachement au mariage à l’heure où il consacrait la possibilité de s’en défaire unilatéralement, le législateur a voulu rompre avec d’anciennes règles qui témoignaient d’une certaine suspicion à l’égard des donations entre époux, et par conséquent, d’une certaine défiance vis-à-vis du conjoint, étranger à la famille par le sang.
Ces sentiments amers conduisaient à consacrer la libre révocabilité des donations entre époux3, ainsi qu’à frapper de nullité les donations déguisées entre conjoints4.
3. Anc. art. 1096 C. civ. al. 1er : « Toutes donations faites entre époux pendant le mariage, quoique qualifiée entre vifs, seront toujours révocables ».
4. Anc. art. 1099 C. civ. : « Les époux ne pourront se donner indirectement au-delà de ce qui leur est permis par les dispositions ci-dessus.
Toute donation, ou déguisée, ou faite par personnes interposées, sera nulle ».
 
Il faut dire que cette dernière nullité avait des effets particulièrement pervers lorsqu’elle se combinait avec les présomptions d’interposition de personnes irréfragables de l’ancien article 1100 du Code civil5. Elle nuisait alors au plein épanouissement de la famille recomposée, puisqu’elle empêchait un époux de gratifier les enfants que son conjoint avait eus d’un premier mariage6. Les présomptions de l’article 1100 ayant discrètement disparu à l’occasion de la réforme de l’autorité parentale7, il ne restait plus au législateur qu’à abroger la nullité des donations déguisées prévue par l’article 1099. C’est chose faite.
S’agissant de la libre révocabilité des donations entre époux, une simple abrogation ne pouvait faire l’affaire. En effet, cette règle permettait également d’expliquer une autre dérogation au droit commun des libéralités, mais cette fois favorable aux époux; il s’agit de la validité des donations de biens à venir, dont la forme la plus courante est l’institution contractuelle, exceptionnellement admise entre époux8.
Donation à cause de mort, l’institution contractuelle faite au cours du mariage s’apparente davantage à une disposition testamentaire qu’à une donation entre vifs. Il importe par conséquent qu’elle reste révocable, afin de préserver le pouvoir de disposer à titre gratuit de l’instituant.
Le législateur a donc sagement choisi de réécrire l’article 1096 du Code civil, en consacrant une franche opposition entre deux sortes de donations entre époux : les donations de biens présents et les donations de biens à venir.
Les donations de biens présents, consenties entre époux, seront désormais couvertes par le principe d’irrévocabilité spécial des donations9.
Les donations de biens à venir, faites au cours du mariage, beaucoup plus fréquentes en pratique, resteront au contraire toujours révocables, comme le sont les dispositions testamentaires10.
Cette distinction entre les donations de biens présents et les dispositions à cause de mort devait également inspirer le législateur pour fixer le sort des donations et des avantages matrimoniaux à la suite du divorce. Mais on rejoint ici ce qui a été l’une des préoccupations centrales de la réforme du divorce...
5. Anc. art. 1100 C. civ. : « Seront réputées faites à personnes interposées, les donations de l’un des époux aux enfants ou à l’un des enfants de l’autre époux issus d’un autre mariage, et celles faites par le donateur aux parents dont l’autre époux sera héritier présomptif au jour de la donation, encore que ce dernier n’est point survécu à son parent donataire ».
6. V., H. Fulchiron, « La transmission des biens dans les familles recomposées », Defrénois 1994, art. 35853, no 28 s.
7. Loi no 2002-305 du 4 mars 2002, art. 10; v. F. Sauvage, « La discrète abrogation des présomptions de l’article 1100 du Code civil », JCP N 2002, p. 879.
8. V. sur le lien existant entre la validité de l’institution contractuelle entre époux et la libre révocabilité des donations entre époux, v. M. Grimaldi, Droit civil, Libéralités, Partages d’ascendants, Litec,
2000, no 1621.
9. Art. 1096 al. 2 C. civ.
10. Art. 1096 al. 1er C. civ.
 

B. LA PRÉOCCUPATION MAJEURE : LA DISSOCIATION DES CONSÉQUENCES DU DIVORCE DE SA CAUSE

Dans le but de restaurer la vérité des procédures, mais également de les pacifier, le législateur a entendu mettre fin aux conséquences patrimoniales négatives que subissait l’époux aux torts exclusifs duquel le divorce était prononcé. De même, prenant acte de la banalisation du divorce, le législateur a souhaité expurger de notre droit toute disposition qui accréditerait l’idée d’une condamnation morale de l’époux voulant divorcer malgré l’opposition de son conjoint, c’est-à-dire de l’époux demandeur dans le nouveau divorce pour altération définitive du lien conjugal11.
Sous réserve du versement de dommages-intérêts12, protection minimum maintenue à titre exceptionnel au profit d’un conjoint victime, il n’y a plus aucune conséquence patrimoniale négative attachée au prononcé d’un divorce aux torts exclusifs ou d’un divorce pour altération définitive du lien conjugal.
Or, dans la loi de 1975, le sort des donations et des avantages matrimoniaux à la suite du divorce restait partiellement placé sous la dépendance de la cause du divorce. Ainsi, une déchéance s’abattait de plein droit sur l’époux aux torts exclusifs duquel le divorce était prononcé, de même que sur l’époux demandeur dans le divorce pour rupture de la vie commune13. Un tel système devait évidemment être réformé par une loi dont l’un des objectifs essentiels était de rompre tout lien entre les conséquences du divorce et sa cause.
Mais quel critère retenir pour décider du sort des donations et des avantages matrimoniaux à la suite du divorce?
Le projet initial proposait, assez logiquement, de reprendre la distinction précédemment évoquée entre les dispositions à cause de mort et les autres dispositions. Les dispositions à cause de mort méritaient d’être révoquées de plein droit à la suite du divorce, tandis que les autres dispositions auraient été maintenues14.
11. Prévu par les art. 237 et 238 du C. civ., le divorce pour altération définitive du lien conjugal a remplacé le divorce pour rupture de la vie commune (anc. art. 237 à 241 C. civ.).
12. Art. 266 C. civ. Ce texte précise que des dommages-intérêts peuvent être accordés à un époux en réparation des conséquences d’une particulière gravité qu’il subit du fait de la dissolution du mariage soit lorsqu’il était défendeur à un divorce prononcé pour altération définitive du lien conjugal et qu’il n’avait lui-même formé aucune demande en divorce, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de son conjoint.
13. Anc. art. 267 al. C. civ. : « Quand le divorce est prononcé aux torts exclusifs de l’un des époux, celui-ci perd de plein droit toutes les donations et tous les avantages matrimoniaux que son conjoint lui avait consentis, soit lors du mariage, soit après.
L’autre conjoint conserve les donations et avantages qui lui avaient été consentis, encore qu’ils aient été stipulés réciproques et que la réciprocité n’ait pas lieu ».
Anc. art. 269 C. civ. : « Quand le divorce est prononcé en raison de la rupture de la vie commune celui qui a pris l’initiative du divorce perd de plein droit les donations et avantages que son conjoint lui avait consentis.
L’autre époux conserve les siens ».
14. Dans le projet de loi initial, l’art. 265 était ainsi rédigé : « Le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui ne sont pas subordonnés au prédécès de l’un des époux et sur les donations de biens présents quelle que soit leur forme.
 
Et, par dispositions à cause de mort, il fallait entendre les donations de biens à venir, ainsi que les avantages matrimoniaux consentis au survivant des époux ou à l’un des époux, s’il survit. Au contraire, auraient été maintenus les donations de biens présents et les avantages matrimoniaux de toute sorte qui ne sont pas subordonnés au prédécès d’un époux15.
Cependant, au cours de la discussion parlementaire, certains ont fait observer que la portée du nouveau texte, s’agissant des avantages matrimoniaux, serait ainsi trop limitée. Il est vrai que la pratique notariale recommandait déjà de ne stipuler d’avantage matrimonial en faveur du conjoint survivant que pour le seul cas de dissolution du mariage par décès, de façon à éviter tout problème en cas de divorce. Mais il n’est pas nécessairement mal venu, de la part du législateur, de savoir rester humble et de se contenter d’entériner une pratique opportune...
Pourtant, les parlementaires ont préféré donner au nouvel article 265 du Code civil, une rédaction différente de celle qui leur était proposée16. De sorte que, s’agissant des avantages matrimoniaux, le texte finalement adopté nous dit la chose suivante : « Le divorce est sans incidence sur les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage. Le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l’un des époux ».
Cette dernière formule devait permettre, dans l’esprit du législateur, d’étendre la révocation de plein droit à des avantages comme la stipulation de parts inégales ou le prélèvement moyennant indemnité, même dans le cas où ils n’auraient pas été stipulés en faveur du conjoint survivant17.
Cette dernière formule, cependant, plonge l’interprète dans la perplexité. Et c’est ici que commence notre chemin de croix...

II. LES OBJECTIFS ATTEINTS PAR LE LÉGISLATEUR, OU LE CHEMIN DE CROIX DU JURISTE

Pour procéder cette fois à un examen plus précis des incidences de la réforme du divorce sur les donations entre époux et les avantages matrimoniaux, je vous propose
Le divorce emporte révocation de plein droit de toutes les dispositions à cause de mort, y compris les avantages matrimoniaux, accordées par un époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l’union, sauf volonté contraire de l’époux qui les a consenties. Cette volonté est constatée par le juge au moment du prononcé du divorce ». V. art. 16 du projet de loi relatif au divorce no 289, déposé au Sénat le 9 juillet 2003.
15. On observera que cette rédaction soulevait également un problème de définition de l’avantage matrimonial révocable, car elle reposait sur une nouvelle notion, celle « d’avantage matrimonial à cause de mort » dont le contenu précis restait à définir.
16. V., le rapport no 1513 fait au nom de la commission des Lois par M. Patrick Delnatte, député, p. 71 s.
17. V., M. Patrick Delnatte, rapport préc., p. 73.
 
de respecter une démarche graduelle. Nous nous intéresserons tout d’abord au sort globalement satisfaisant réservé aux donations de biens présents. Nous examinerons, avec davantage de circonspection, le nouveau régime des donations de biens à venir. Et, enfin, nous nous hasarderons à évoquer l’étrange statut des avantages matrimoniaux.

A. LES DONATIONS DE BIENS PRÉSENTS : LA SATISFACTION

Les donations de biens présents, faites entre époux au cours du mariage, seront désormais soumises au droit commun des libéralités. Elles seront donc régies par le principe d’irrévocabilité spécial des donations, et leur révocation ne pourra intervenir qu’en vertu des tempéraments habituellement associés à ce principe, c’est-à-dire soit aux termes d’un accord révocatoire, soit en vertu d’une cause légale de révocation comme l’ingratitude du donataire ou l’inexécution des charges18.
Il convient, cependant, d’exclure la révocation pour survenance d’enfant, qui, de façon traditionnelle, ne concerne pas les donations entre époux19.
Au moment du divorce, ces donations seront maintenues avec toutes leurs caractéristiques d’origine car le nouvel article 265 précise que le divorce est sans incidence sur les donations de biens présents, quelle que soit leur forme20.
Dans ces conditions, il me semble qu’une convention révocatoire est également envisageable, si les époux divorçants en sont d’accord, puisqu’une telle convention n’est pas contraire au principe d’irrévocabilité spéciale. Cette convention pourrait peut-être même être soumise à l’homologation du juge, conformément au nouvel article 268 du Code civil21.
En ce qui concerne les donations de biens présents faites, cette fois, par contrat de mariage, ces donations ne sont pas visées par le nouvel article 1096. Elles continuent, par conséquent, d’échapper au principe d’irrévocabilité spécial des donations. Cette solution est heureuse car elle permet d’admettre, dans le contrat de mariage, la validité de certaines clauses qui auraient été compromises sinon22. Ainsi, par exemple, la donation à charge de payer les dettes futures du donateur est valable lorsqu’elle est faite par contrat de mariage23.
18. Art. 1096 al. 2 C. civ. Le fait que l’art. 947 du C. civ. n’ait pas été modifié, à la suite de la réforme du divorce, permet même de douter de l’application du principe d’univocabilité spécial aux donations de biens présents entre époux. Mais, sans doute, faut-il considérer qu’il s’agit là d’un simple oubli de la part du législateur.
19. Art. 1096 al. 3 C. civ.
20. Art. 265 al. 1er C. civ.
21. Des hésitations sont cependant permises sur ce point car, à la lettre, le nouvel art. 268 ne prévoit de soumettre à l’homologation du juge que « des conventions réglant tout ou partie des conséquences du divorce ». Or, par hypothèse, le divorce est sans incidence sur les donations de biens présents.
22. L’irrévocabilité spéciale des donations, qui interdit toute condition potestative de la part du donateur, entraîne principalement la prohibition de la donation avec réserve du droit de disposer (art. 946 C. civ.), de la donation à charge de payer les dettes futures du donateur (art. 945 C. civ.), et de la donation de biens à venir (art. 943 C. civ.).
23. Art. 1086 C. civ.
 
Ces donations n’en sont pas moins irrévocables en raison de la force obligatoire du contrat, renforcée ici par l’immutabilité tempérée du régime matrimonial.
Au moment du divorce, le sort de ces donations est fixé par le nouvel article 265 : le divorce est sans incidence sur les donations de biens présents faites par contrat de mariage.
Celles-ci sont donc en principe maintenues, mais on peut sans doute imaginer que les époux décident d’un commun accord de les révoquer, à l’occasion de la liquidation anticipée de leur régime matrimonial.
Toutefois, on regrettera que le législateur n’ait pas souhaité définir plus précisément la notion de « donation de biens présents ». De ce point de vue, il aurait sans doute été opportun de s’interroger spécialement sur le sort que l’on entendait réserver à la clause de réversibilité d’usufruit, à la suite du divorce24.
Mais, dans l’ensemble, les solutions retenues pour les donations de biens présents sont donc à la fois souples et cohérentes, tant au cours du mariage qu’au moment du divorce.
Les choses se compliquent un peu, en revanche, lorsqu’on s’intéresse aux donations de biens à venir.

B. LES DONATIONS DE BIENS À VENIR : L’INCERTITUDE

Les donations de biens à venir échappent à l’irrévocabilité spéciale des donations.
Pour les donations entre époux, faites pendant le mariage, cette solution résulte expressément de la nouvelle rédaction de l’article 1096. L’alinéa 1er de ce texte sauve ces donations en énonçant clairement : « les donations de biens à venir, faites entre époux pendant le mariage, sont toujours révocables ».
Pour les donations faites par contrat de mariage, cette solution est admise de longue date et résulte, notamment, de l’article 947 du Code civil. Ces donations de biens à venir, par contrat de mariage, n’en sont pas moins irrévocables en raison de la force obligatoire du contrat, renforcée par le principe d’immutabilité du régime matrimonial. Cela explique d’ailleurs qu’elles soient plus ou moins tombées en désuétude, tant il est inopportun de conférer un caractère irrévocable à une disposition à cause de mort.
24. Dans un premier temps, la Cour de cassation a considéré que la clause de réversibilité de l’usufruit au profit du conjoint survivant, insérée dans une donation-partage, s’analysait en une donation de biens à venir, l’usufruit faisant l’objet de la libéralité ne prenant effet qu’au décès du donateur. V. Civ. 1re, 20 avril 1983, Bull. civ. I, no 124; D. 1986, p. 31, note Grimaldi; JCP 1984, II, 20257, note de La Marnierre; JCP N 1985, II, 30, note Rémy; RTD civ. 1984, p. 384, obs. Patarin. Mais un arrêt plus récent analyse la clause de réversibilité d’usufruit en une donation à terme de biens présents, le droit d’usufruit du bénéficiaire lui étant définitivement acquis dès le jour de l’acte et seul l’exercice de ce droit étant différé au jour du décès du donateur. V. Civ. 1re, 21 octobre 1997, Bull. civ. I, no 291; JCP 1997, II, 22969, note Harel-Dutirou; JCP 1999, I, 132, no 5, obs. Le Guidec; RTD civ. 1998, p. 721, obs. Patarin; RTD civ. 1998, p. 937, obs. Zénati.
 
À l’occasion du divorce, le nouvel article 265 soumet à un régime unique toutes les donations de biens à venir, sans distinguer selon qu’elles sont intervenues par contrat de mariage ou bien au cours du mariage. Ces donations de biens à venir seront révoquées de plein droit, sous réserve d’une manifestation de volonté contraire du disposant constatée par le juge. Et l’article 265 ajoute que cette volonté unilatérale constatée par le juge rend irrévocable la disposition maintenue25.
Par conséquent, le disposant, et lui seul, a la possibilité, au moment du divorce, de décider du maintien d’une institution contractuelle en faveur de son ex-conjoint.
Ainsi, une institution contractuelle faite par contrat de mariage, en principe irrévocable, sera révoquée de plein droit à la suite du divorce. Corrélativement, une institution contractuelle faite au cours du mariage, en principe toujours révocable, pourra devenir irrévocable si l’instituant décide de la maintenir au moment du divorce.
Lorsqu’on sait avec quel talent a été démontrée la dualité de l’institution contractuelle, selon qu’elle intervient ou non par contrat de mariage, ce qui a permis de clarifier son régime juridique26, on ne peut que s’alarmer de la facilité avec laquelle le législateur s’est efforcé de brouiller les pistes, sans s’inquiéter des difficultés que cela pourrait susciter.
Ainsi, par exemple, quel régime juridique devra-t-on associer à une institution contractuelle entre époux, révocable, devenue irrévocable à la suite du divorce? L’irrévocabilité va-t-elle rétroagir au jour de la formation de l’institution contractuelle, ou doit-on, au contraire, considérer qu’elle ne s’attache à celle-ci qu’à compter de la constatation par le juge de la volonté de l’instituant, au moment du prononcé du divorce ? Cette dernière solution semble bien sûre préférable, car elle évite une remise en cause des libéralités consenties par l’instituant à des tiers, entre le jour où l’institution est intervenue et le jour du divorce. Mais de quel disponible l’exconjoint va-t-il bénéficier? Du disponible spécial entre époux ou du disponible ordinaire? Quelle est l’ampleur de la transformation résultant du maintien de la libéralité au moment du divorce?
Il n’y a sans doute pas lieu de dramatiser. Il existe, en effet, une parade que les praticiens sauront mettre en œuvre. Elle consiste tout simplement à fortement déconseiller le maintien d’une institution contractuelle au moment du divorce.
Il n’est pas certain du tout qu’une échappatoire semblable existe en ce qui concerne les avantages matrimoniaux...

C. LES AVANTAGES MATRIMONIAUX : LA PERPLEXITÉ

C’est, en effet, à propos des avantages matrimoniaux que les parlementaires ont laissé libre cours à leur créativité. Le nouvel article 265 nous invite à opérer une
25. Art. 265 al. 2 C. civ.
26. V., M. Grimaldi, La nature juridique de l’institution contractuelle, thèse dactyl. Paris II, 1977; add. M. Grimaldi, Droit civil, Libéralités, Partages d’ascendants, Litec, 2000, no 1620 s.
 
distinction entre les avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage, sur lesquels le divorce n’aura pas d’incidence, et les avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial qui seront révoqués de plein droit sous réserve d’une manifestation de volonté de l’époux qui les a consentis, constatée par le juge au moment du prononcé du divorce.
Cette distinction laisse l’interprète perplexe car, jusqu’à présent, l’avantage matrimonial se définissait comme un profit, retiré par l’un des conjoints du fonctionnement de son régime matrimonial, profit qui se concrétisait lors du partage27. Techniquement, l’avantage matrimonial s’identifiait à un gain perçu par l’un des conjoints, en qualité de copartageant.
Ainsi, par exemple, même lorsque les époux décident d’adopter une communauté élargie, comme la communauté universelle, et qu’ils effectuent des apports inégaux, c’est le partage par parts égales de cette communauté qui est susceptible d’avantager l’un des conjoints, à la dissolution. De sorte que tous les avantages matrimoniaux ne prennent véritablement effet qu’à la dissolution. Et la catégorie des avantages qui prennent effet au cours du mariage semble vide de tout contenu...
Pour éviter cette conclusion absurde, on est alors tenté de considérer qu’un avantage matrimonial prend effet dès qu’il est irrévocable, c’est-à-dire, soit au jour de la convention matrimoniale des époux, soit encore au jour de leur convention modificative.
Mais cette date est pareillement identique pour tous les avantages matrimoniaux, de sorte que, cette fois, c’est la catégorie des avantages matrimoniaux révoqués de plein droit à la suite du divorce que l’on peine à définir. Le problème est inextricable, car le critère de distinction adopté par le législateur ne peut se concilier avec la définition classique que l’on associe aux avantages matrimoniaux.
Faisons preuve de bonne volonté cependant. En dépit de la rédaction maladroite du nouvel article 265, le but que l’on cherche à atteindre est intuitivement perceptible. Il s’agit de faire en sorte que le divorce ne remette pas en cause les stipulations du contrat de mariage relatives à la composition des masses propres et de la masse commune. Parce que ces stipulations ont une incidence sur la propriété des époux, leurs pouvoirs et sur le gage de leurs créanciers, on peut dire qu’elles ont commencé à prendre effet au cours du mariage et doivent, par conséquent, être maintenues à la suite du divorce. En revanche, les aménagements conventionnels de la liquidation ou du partage ne prennent effet qu’à la dissolution et seront révoqués de plein droit à la suite du divorce, sous réserve d’une manifestation de volonté contraire de l’époux qui les a consentis28.
27. V., F. Lucet, Des rapports entre régime matrimonial et libéralités entre époux, thèse Paris II, 1987, t. II, no 432.; Add. G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., Armand Colin, 2001, no 718.
28. Par soucis de simplification, et pour ne pas alourdir excessivement cet exposé, seuls des avantages matrimoniaux associés à un régime communautaire ont été pris en compte pour illustrer notre propos. La notion d’ « avantage matrimonial » peut cependant être transposée au régime de participation aux acquêts (v. J.-P. Storck, « Avantages matrimoniaux et régime de participation aux acquêts », JCP N 1981, I, p. 355 s.). Dans ce cas, un avantage matrimonial peut résulter d’un aménagement
 
Toutefois, si l’on accepte cette interprétation, il en résulte une définition tout à fait originale de l’avantage matrimonial révocable à la suite du divorce. Cet avantage révocable ne s’identifie plus à l’avantage matrimonial retranchable que l’on rencontre dans le cadre du règlement successoral. En effet, pour détecter une éventuelle atteinte à la réserve héréditaire, en présence d’un descendant non commun, comme nous invite à le faire l’article 1527, on est obligé d’avoir une approche purement comptable. L’avantage matrimonial doit être liquidé, c’est-à-dire chiffré, afin de procéder à son imputation sur le disponible entre époux. L’avantage matrimonial est donc nécessairement réduit à un profit chiffrable29. Concrètement, on procède par comparaison entre la part qu’aurait eue le conjoint en application du régime légal et celle qui lui est attribuée lors du partage de la communauté, en vertu des stipulations du contrat de mariage. La différence fait apparaître l’avantage matrimonial.
On fait donc masse de toutes les stipulations conventionnelles, car celles-ci peuvent se compenser entre elles. Ainsi, une clause de préciput peut contrebalancer une inégalité d’apports. De même, une clause de prélèvement n’est pas constitutive d’un avantage matrimonial lorsque l’indemnité prévue représente la contrepartie en valeur du bien prélevé.
À l’évidence, la notion d’« avantage matrimonial » qui figure dans le nouvel article 265 s’affranchit de cette conception.
D’une part, elle ne paraît aucunement liée à l’existence d’un profit chiffrable, de sorte que toute disposition avantageuse pour l’un des conjoints constitue un avantage matrimonial au sens de l’article 265. Par exemple, la clause de prélèvement moyennant indemnité devient un avantage matrimonial au sens du droit du
divorce30.
des règles légales supplétives relatives à la créance de participation (v. par ex. une clause de partage inégal des acquêts). Selon l’interprétation proposée du nouvel art. 265, ces aménagements ne prennent effet qu’à la dissolution, de sorte qu’ils seront en principe révoqués de plein droit à la suite du divorce. La question de savoir si l’on peut transposer la notion d’ « avantage matrimonial » au régime de la séparation de biens est en revanche plus controversée et sort largement de notre propos.
29. En ce sens, v. obs. B. Vareille, RTD civ. 2002, p. 134, à propos de : Civ. 1re, 12 juin 2001, cette décision, rendue en application de l’anc. art 267 du C. civ., laissait pressentir une définition original de l’avantage matrimonial révocable en admettant que le prononcé d’un divorce aux torts exclusifs du mari privait celui-ci de l’avantage matrimonial correspondant à l’apport d’un immeuble à la communauté effectué par l’épouse, alors que celle-ci conservait le bénéfice de l’avantage matrimonial que représentait pour elle la prise en charge, par la communauté, du passif afférent à ce bien. La solution a été très critiquée par la plus part des annotateurs v. not. G. Champenois, Defrénois 2001, obs. p. 1516; F. Vauvillé, AJ fam. 2001, obs. p. 28.
30. Antérieurement à la loi du 26 mai 2004, certains auteurs considéraient que la clause de prélèvement devait recevoir la qualification d’avantage matrimonial en raison du traitement préférentiel procuré v. G. Cornu, Régimes matrimoniaux, 9e éd., PUF, 1997, no 106. Mais d’autres rejetaient cette qualification ou se prononçaient en faveur de l’unité de la notion d’« avantage matrimonial ». V., Aubry et Rau, Droit civil français, t. VIII, par A. Ponsard, Litec, 1973, no 350; F. Lucet, thèse préc., no 437 s. Enfin, certains auteurs proposaient une distinction intéressante : si la clause de prélèvement ne pouvait être traitée comme un avantage réductible, il était en revanche possible de lui appliquer la déchéance ou la révocation prévue aux anc. art. 267 s. du C. civ. V., F. Terré et Ph. Simler, Droit civil, Les régimes matrimoniaux, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2001, no 762, note 4.

D’autre part, le nouveau texte invite à opérer une dissociation entre les différentes stipulations du contrat de mariage. Les stipulations relatives à la composition des masses seront maintenues, tandis que les aménagements conventionnels de la liquidation et du partage seront révoqués de plein droit, et cela, au risque de surprendre la volonté des époux, tout du moins celle qui était la leur lors de l’élaboration du contrat de mariage. Il faudra donc être particulièrement attentif aux conséquences du divorce, dès l’élaboration du contrat de mariage.
Ce pourrait d’ailleurs être là l’avenir, le contrat prénuptial à l’américaine prévoyant les conséquences de la séparation... Mais si tel est le souhait du législateur, il n’est pas certain que le nouvel article 265 permette de s’orienter dans cette voie.
Et, c’est ici que l’on prend conscience d’un dommage collatéral occasionné par la réforme du divorce. Le nouvel article 265 semble bien condamner la fameuse clause de sauvegarde, chère au notariat alsacien-mosellan31. Cette clause permet d’adopter une communauté élargie, dans le but de favoriser le survivant des époux, tout en anticipant sur les conséquences d’un divorce. La clause précise qu’en cas de dissolution du régime matrimonial pour une cause autre que le décès d’un époux, chacun des époux sera autorisé à reprendre les biens qu’il a apportés à la communauté. Ainsi, en cas de divorce, la masse partageable, après cette reprise des apports, se limite, comme en régime légal, aux seuls acquêts.
Cette clause organise un aménagement conventionnel du partage dont la validité a été admise par la Cour de cassation32. Mais, précisément, parce qu’elle correspond à un aménagement du partage, elle ne devrait pas résister au nouvel article 265. En cas de divorce, l’avantage que constitue désormais la reprise des apports sera révoqué de plein droit, tandis que l’élargissement conventionnel de la communauté ne sera pas remis en cause. Pour éviter cette révocation, il faudrait une double manifestation de volonté unilatérale, émanant de chaque époux séparément et constatée par le juge au moment du divorce. On imagine aisément les difficultés que cela ne manquera pas de soulever dans un contexte contentieux...33
Dans ces conditions, une clause opportune, visant à anticiper sur les conséquences d’une rupture, risque de perdre tout intérêt pratique.
Pour sauver cette clause, différentes voies méritent d’être explorées. On pourrait considérer que dans ce cas de figure, l’élargissement de la communauté voulu par les époux est indissociable de la reprise des apports prévue à la dissolution. Ainsi, on pourrait, comme sous l’empire du droit antérieur, admettre qu’en cas de divorce,
31. Sur cette clause v. F. Terré et Ph. Simler, op. cit., no 759.
32. V. Civ 1re, 16 juin 1992, JCP 1993, II, 22108 (1re espèce), note Simler ; Defrénois 1993, p. 34, note Forgeard; D. 1993, somm. 220, obs. Grimaldi; RTD civ. 1993, p. 187, obs. Lucet et Vareille.
33. V. notre art., « Réflexions autour de la notion d’avantage matrimonial », in Mélanges J. Béguin, Litec, 2005. En ce sens également v. F. Sauvage « Des conséquences du divorce sur les libéralités entre époux et les avantages matrimoniaux », Defrénois, 2004, art. 38038, p. 1425; J. Vassaux, « Les incidences de la réforme du divorce sur le rôle du notaire », Dr. et patr. fév. 2004, p. 26, contra v. Ph. Simler, « Plaidoyer pour la validité de la clause de liquidation alternative de la communauté universelle, qui serait ménacée par le nouvel article 265 du Code civil », JCP N 2005, 1264.

l’application des stipulations conventionnelles ne fait apparaître aucun avantage révocable. Mais, le problème est alors de savoir quelles seront les limites de ce raisonnement, car, après tout, on pourrait également considérer que l’adoption d’une communauté universelle est étroitement liée à la clause prévoyant son attribution intégrale au dernier vivant, tant il est vrai qu’en pratique, cette combinaison est souvent retenue pour favoriser une transmission universelle au profit du survivant des époux. Mais ne va-t-on pas alors directement à l’encontre du dispositif qui semble résulter du nouvel article 265?
Une autre solution consisterait à permettre à chaque époux, dès l’élaboration du contrat de mariage, de préciser sa volonté de maintenir l’avantage que représente pour son conjoint la reprise des apports en cas de divorce. Mais la validité de semblables stipulations paraît bien incertaine car, jusqu’à présent, on admettait que les déchéances relatives aux avantages matrimoniaux et aux libéralités entre époux à la suite du divorce étaient d’ordre public. Or, si le nouvel article 265 prévoit la possibilité d’une manifestation de volonté opposée à la révocation de plein droit, celle-ci doit être constatée par le juge et ne semble guère envisageable qu’au moment du prononcé du divorce.
Mais restons optimistes car, désormais, les divorces se dérouleront sereinement, en égrenant un chapelet de conventions et d’accords bénéfiques, ainsi que cela nous a été promis...
 
Les incidences de la réforme des successions du 3 décembre 2001 sur la pratique des libéralités entre époux

Isabelle Dauriac
Professeur à l’Université de Rouen

1.– L’onde de choc engendrée par la réforme successorale du 3 décembre 2001 continue de se faire sentir. En amont du règlement successoral proprement dit, l’impact de cette réforme sur la pratique des libéralités entre époux doit être mesuré.
En assurant la promotion successorale du conjoint survivant, la loi nouvelle aurait-elle pris le risque d’encourager une désaffection croissante des époux pour des libéralités qu’ils avaient pourtant le réflexe de se consentir? Si telle devait être la première question suggérée par ce sujet, aussitôt formulée, elle appellerait une réponse négative1. Affirmons-le immédiatement, les bouleversements que la pratique des libéralités entre époux connaît sont moins d’ordre quantitatif que qualitatif. Si le comportement des époux, inquiets du sort qui sera réservé à celui des deux que le destin désignera comme « le conjoint survivant » doit changer, ce changement se traduit moins par la raréfaction de leurs dispositions à cause de mort que par une modification du contenu et de la nature de ces dernières.
Craindre la ruine des libéralités entre époux relève, à bien y réfléchir, de l’erreur de perspective. Les données de la question permettent de s’en convaincre.
2.– Le fait est acquis : le mariage qui aura résisté jusqu’au décès d’un époux est désormais assorti d’assurances successorales au profit du conjoint survivant2. Dans toute
1. J. Hauser et Ph. Delmas Saint-Hilaire, « Vive les libéralités entre époux! », Defrénois 2002, art. 37465. J.-F. Pillebout, « Les donations entre époux après la loi du 3 décembre 2001 », JCP N 2002, no 1346.
2. S. Ferré-André, « Des droits supplétifs et impératifs du conjoint survivant dans la loi du 3 décembre 2001 », Defrénois 2002, art. 37572. B. Beignier « Les droits du conjoint survivant pour les successions ouvertes depuis le 1er juillet 2002 », Dr. et patr. mai 2003, p. 83.
 

succession ouverte après le 1er juillet 2002, et quel que soit l’ordre des héritiers avec lequel il est en concours, le conjoint survivant est par principe investi d’une vocation successorale ab intestat en propriété dont seule la quotité varie : un quart en présence de descendants, la moitié en présence d’ascendants privilégiés — père et mère du de cujus — voire trois quarts si l’un d’entre eux est prédécédé. La présence du conjoint survivant se solde aussi par l’éviction successorale, certes des collatéraux ordinaires, mais également aujourd’hui des ascendants ordinaires, voire des collatéraux privilégiés. Autrefois classés en ordre utile, les frères et sœurs du défunt sont désormais sacrifiés en faveur du mariage. Leur vocation se résume à une succession anomale incertaine sur les biens de famille dont la moitié en propriété est encore attribuée au conjoint3.
Institué héritier en propriété, le conjoint survivant peut cependant préférer, du moins en présence d’enfants communs, exercer un usufruit universel sur l’intégralité des biens existant au décès. Quels que soient les termes de cette première option, s’il le juge utile il peut aussi souhaiter exercer le droit viager que l’article 764 du Code civil lui octroie sur la résidence familiale.
Augmentée, parfois alternative, toujours composite, la vocation successorale « nouvelle version » du conjoint survivant consomme la rupture avec l’ancienne dévolution légale. L’énumération de ses droits nouveaux est en elle-même significative. Autrefois parent pauvre de la succession, le conjoint survivant est indiscutablement le grand gagnant de la réforme successorale.
3.– La promotion du conjoint provoque aussi un déplacement de la ligne de partage entre l’autorité de la loi et la souveraineté du de cujus4. Le temps où, en pratique, sa vocation successorale était quasiment abandonnée au seul bon vouloir d’un de cujus prévoyant est révolu.
Auparavant, le sort successoral du conjoint survivant dépendait quasi exclusivement d’une dévolution volontaire venue le gratifier dans la limite des quotités disponibles entre époux, qu’elle résulte d’un testament ou plus souvent, d’une donation au dernier vivant. Il est vrai que la vocation légale en usufruit n’était jusque-là qu’un remède illusoire dont l’efficacité économique était trop souvent contrariée. Les griefs formulés à son encontre étaient nombreux et bien connus : une assiette insuffisante et fragile qui, limitée à une quotité seulement du patrimoine successoral, était trop souvent absorbée par des libéralités faites à d’autres, des modalités liquidatives complexes et surtout peu favorables, quand cet usufruit subissait encore l’imputation des libéralités conjugales. Le bilan était clair : à défaut de pouvoir compter sur la loi, le conjoint survivant ne pouvait qu’espérer bénéficier d’une libéralité en sa faveur. Le changement de perspective est donc profond.
3. G. Goubeaux, « Réforme des successions : l’inquiétant concours entre collatéraux privilégiés et conjoint survivant », Defrénois 2002, art. 37519.
4. Cl. Brenner, « La succession », in 1804-2004 Le Code civil. Un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 477, no 24.
 
Pour résoudre la question des droits du conjoint survivant, deux vocations successorales, l’une légale, l’autre volontaire, sont désormais invitées à coexister. Pareillement habilitées à définir la consistance des droits transmis au conjoint, la loi et la volonté du de cujus sont mises en concurrence. Néanmoins, dans ce jeu concurrentiel, les libéralités conjugales conservent des utilités que la vocation successorale légale accordée au conjoint ne saurait éclipser.
4.– Vouloir établir une corrélation entre, d’une part, l’amélioration des droits légaux du conjoint survivant et, d’autre part, l’amoindrissement de l’utilité des libéralités conjugales serait, en effet, faire preuve d’un excès de confiance, dans une réforme qui, de l’aveu même du législateur, est destinée aux couples négligents ou simplement imprévoyants5.
Pareille corrélation n’existe pas pour une raison simple. Sous couvert d’une qualité unique, celle « de conjoint survivant », se cristallisent en réalité des situations familiales et patrimoniales fort diverses. À bien y regarder, le conjoint survivant désigne une multitude de personnages. De la veuve, âgée, parfois démunie, confrontée aux appétits successoraux de ses propres enfants, voire de ceux que son époux décédé aurait eus hors mariage à la veuve, jeune et joyeuse, prompte à convoler de nouveau non sans avoir au préalable retirer les fruits successoraux de sa précédente union, la galerie de portraits soutient un enseignement essentiel : la qualité de conjoint survivant synthétise, au plan successoral, toutes les péripéties de la vie affective et conjugale du de cujus.
L’éventualité d’un second mariage ou la présence d’enfants de lits différents, comme d’ailleurs l’existence d’un régime matrimonial — communautaire ou séparatiste —, et parfois même celle d’avantages para successoraux — prestations sociales d’assurance décès, pension, rente de réversion, voire encore bénéfice d’une assurance vie — sont autant de facteurs qui font que le conjoint survivant n’est jamais tout à fait un héritier comme les autres6. Placés dans des situations immanquablement différentes, les conjoints survivant ne sauraient se satisfaire d’une vocation successorale légale et par conséquent identique pour tous.
5.– Cette hétérogénéité remarquable des conjoints survivant est bien connue. Longtemps, elle expliqua, à défaut de les justifier, les retards et vicissitudes que connut la réforme. Aujourd’hui, elle commande la déclinaison d’options légales en cascade ouvertes au conjoint : propriété ou usufruit, usufruit ou conversion en rente viagère voire en capital, exercice ou non du droit viager au logement. Pourtant, malgré la souplesse d’une dévolution légale à la carte, l’utilité des libéralités conjugales n’est en rien démentie.
Pour coller au plus juste de configurations patrimoniales et familiales forcément variables en présence d’un conjoint survivant, testaments et institutions contrac
5. J. Hauser et Ph. Delmas Saint-Hilaire, « La loi du 3 décembre 2001 protège les époux négligents », Petites affiches 12 juillet 2002, no 139, p. 76.
6. M. Grimaldi, Droit civil — Successions, 5e éd., Litec, 1998, no 178.
 
tuelles sont inégalables7. Ils sont seuls capables d’asseoir une dévolution volontaire sur mesure en faveur du conjoint survivant. Reste que si cette situation concurrentielle nouvelle ne doit pas être redoutée, elle ne doit pas davantage être ignorée car elle lance immanquablement de nouveaux défis aux rédacteurs de libéralités.
6.– Partant du postulat que le conjoint est désormais institué héritier tant par la volonté du de cujus que par la loi, d’évidence, le succès des stratégies successorales supportées par les libéralités dépend étroitement de leur judicieuse articulation avec les droits légaux8. Or la loi du 3 décembre 2001 crée à ce sujet plus de questions qu’elle n’en résout. Cumul, rapport, imputation sont autant de questions techniques que les libéralités entre époux, de biens à venir comme de biens présents, ne peuvent ignorer sous peine que soient déjouées leurs prévisions.
Favorable aux libéralités conjugales, cette nouvelle donne concurrentielle (I) est aussi source de nouveaux défis qu’il leur appartient de relever (II).

I. UNE NOUVELLE DONNE CONCURRENTIELLE

7.– Quand d’une main le législateur offre une vocation successorale ab intestat améliorée au conjoint, on ne saurait le suspecter d’avoir voulu, de l’autre main, le priver des droits dont le de cujus pourrait encore vouloir le gratifier. La loi du 3 décembre 2001 n’a certainement pas, en effet, désarmé la volonté du de cujus. Certes, ce dernier ne construit plus véritablement ab initio la vocation héréditaire de son conjoint. Cependant organiser au plus juste du contexte familial la transmission successorale demeure toujours en son pouvoir.
La loi nouvelle ne dissuade pas le de cujus soucieux de transmettre au mieux des besoins de son conjoint et de ses héritiers. À tout prendre, la considération des droits légaux suggère plutôt un éventail renouvelé de libéralités (A), même si, une fois la succession ouverte, les volontés déclarées du de cujus souffrent encore parfois quelques amendements (B).

A. UN ÉVENTAIL RENOUVELÉ DE LIBÉRALITÉS CONJUGALES

8.– À l’exception de l’hypothèse particulière où, en l’absence de descendant comme d’ascendant, le conjoint survivant devient héritier réservataire9, le de cujus conserve, aujourd’hui comme hier, la maîtrise et le contrôle de la vocation suc
7. Ph. Potentier, « La nouvelle donation entre époux », Defrénois 2003, art. 37842.
8. A. Boitelle, « L’articulation des droits légaux avec les droits conventionnels du conjoint survivant », JCP N 2003, 1243.
9. V. art. 914-1 C. civ. D. Coiffard, « La réserve conjugale », Dr. et patr. avril 2004, p. 40.
 
cessorale conjugale10. Libre à lui de la contrarier en éliminant des droits successoraux ab intestat que le législateur n’a pas souhaité intangibles ou, au contraire, en disposant en faveur de son époux.
Les montants des quotités disponibles entre époux étant demeurés inchangés, la liberté de gratifier son conjoint ne subit aucune entrave. La permanence des articles 1094 et 1094 du Code civil dissimule tout au plus une restriction indirecte de la réserve des ascendants dont sont désormais exclus les ascendants ordinaires, que la seule présence du conjoint suffit à écarter purement et simplement de la succession. Dans ce contexte, un vaste domaine d’intervention s’ouvre aux rédacteurs de libéralités, soit qu’il s’agisse de donner mieux au conjoint, soit au contraire qu’il soit question de moins lui léguer.
9.– Donner mieux, l’objectif à atteindre commande encore de recourir aux libéralités conjugales. De surcroît, tant qu’il s’agit d’améliorer la situation successorale du conjoint, le support naturel de la volonté reste l’institution contractuelle. La donation de biens à venir au dernier vivant continuera d’être préférée au testament11 qui, s’il est possible, se pratique moins, par crainte de la prohibition des testaments conjonctifs ou des pesanteurs formalistes du testament authentique12. L’audit comparé de la vocation ab intestat revalorisée du conjoint et des quotités disponibles entre époux suffit à convaincre de l’intérêt qu’il peut y avoir pour le de cujus à faire usage de sa liberté de gratification.
10.– En présence de descendants, l’option légale (un quart en propriété ou l’usufruit universel des biens existant)13 est indiscutablement plus étroite et plus fragile que celle que permet d’orchestrer la donation entre époux conformément à l’article 1094-1 du Code civil (quotité disponible ordinaire ou un quart en propriété et trois quarts en usufruit ou usufruit universel). Quand la première est exclue par la présence de descendants issus d’un autre lit, la seconde demeure ouverte. Rien ne justifie alors que soient évincés les mérites d’une vocation conjugale en usufruit, en particulier quand la famille recomposée ne vérifie pas le postulat législatif selon lequel seraient forcément en présence un conjoint survivant et des enfants du premier lit, tous sensiblement du même âge. Sauf à considérer que les secondes noces sont forcément motivées par la quête d’un nouveau conjoint toujours plus jeune que le précédent, sauf à exclure que des liens d’affection puissent unir parfois les enfants du de cujus à leur beau-père ou belle-mère, il peut être évidemment souhaitable que la libéralité assure l’ouverture d’une option que le législateur avait exclue14.
10. E. Prieur, « La place de la liberté face aux nouveaux droits du conjoint survivant », JCP N
2003, no 1026.
11. J. Hauser et Ph. Delmas Saint-Hilaire, op. cit.
12. M. Nicod, « La réforme du droit des testaments », supra, p. 55. 13. Art. 757 C. civ.
14. Il peut être aussi utile de prévoir expressément, en présence de descendants, la faculté pour le conjoint de choisir entre une des quotités disponibles entre époux ou une quotité disponible inférieure, afin d’éviter les conséquences civiles et surtout fiscales d’une renonciation abdicative.
 
11.– « Donner mieux », c’est aussi parfois « donner plus ». Les exemples se multiplient. En présence de frères et sœurs du défunt non réservataires, une donation en faveur du conjoint comprenant les biens de famille neutralise leur éventuelle succession anomale, en la privant d’assiette. La donation entre époux avec choix de quotités est aussi le moyen parfois d’avantager le conjoint en augmentant ses droits légaux. En présence d’ascendants privilégiés réservataires, elle permet que soit attribuées au conjoint, outre la propriété du disponible, la nue-propriété de la réserve. En présence du premier ordre successoral, il n’échappe à personne qu’un quart en propriété et trois quarts en usufruit, c’est toujours plus qu’un usufruit universel ou un quart seulement en propriété. De même, lorsque l’enfant unique ou les deux enfants du de cujus sont appelés à la succession, les quotités disponibles ordinaires d’un tiers ou de la moitié en propriété sont toujours plus que le quart légal en propriété.
Prétendre que sur des quotités identiques, la libéralité en propriété est toujours plus performante que la vocation ab intestat en propriété15 mérite en revanche d’être nuancé.
Certes, ces quotités identiques (un quart) sont appliquées à des masses de calcul dont la première est plus large que la seconde. En effet, la masse de calcul de la réserve16 comprend l’ensemble des biens existant au décès, legs compris, augmenté de la réunion fictive de toutes les donations rapportables ou non, alors que la masse de calcul des droits légaux17 ne comprend que les biens existant à l’exception de ceux légués auxquels ne sont ensuite réunies que les seules libéralités rapportables. Cependant, l’argument n’emporte pas la conviction car il faut encore tenir compte de l’ordre d’imputation des différentes libéralités sur la quotité disponible. Or cet ordre n’est pas favorable à l’institution contractuelle. Cette dernière n’est imputée sur la quotité disponible qu’après toutes les donations entre vifs, et de manière concurrente au legs. C’est dire que, sauf l’hypothèse où le conjoint gratifié est concurrencé par un légataire, le quart en propriété qu’il reçoit par donation ne saurait excéder celui que la loi lui attribuait. Afin qu’un supplément d’avantage soit véritablement appréciable, encore faudrait-il que, de lege ferenda, le rang d’imputation de l’institution contractuelle soit reconsidéré et avancé18. Pour l’heure, et à cette réserve près, il est néanmoins acquis que l’institution contractuelle demeure un instrument utile pour le de cujus qui envisage d’améliorer la situation du conjoint.
Toutefois ce dernier pourrait, au contraire, désirer restreindre les droits légaux
15. J. Hauser et Ph. Delmas Saint-Hilaire, « Vive les libéralités entre époux! », Defrénois 2002, art. 37465.
16. Art. 922 C. civ.
17. Art. 758-5 C. civ.
18. L’Offre de loi de MM. Carbonnier, Catala, Saint-Affrique et Morin suggère d’abandonner l’imputation concurrente des legs et institutions contractuelles et propose de préférer pour ces dernières une imputation intercalaire entre donations et legs. « Des libéralités. Une offre de loi », Defrénois 2003, p. 98. Cl. Brenner, « Brèves observations sur la révocation des donations entre époux après la loi du 26 mai 2004 relative au divorce », Defrénois 2005, art. 38084, no 7.
 
de son conjoint. Gardons-nous d’ailleurs d’y voir le signe de quelque esprit chagrin, réservant à celui dont il n’a pas souhaité se séparer de son vivant un mauvais coup successoral en l’exhérédant.
La promotion légale du conjoint suggère en effet l’apparition de nouvelles libéralités « éliminatoires »19 hors de toute mauvaise querelle conjugale. Il ne s’agit pas à proprement parler d’exhéréder son conjoint (ce qui d’ailleurs demeure en principe possible) mais bien de lui léguer moins pour en réalité lui léguer autrement.
12.– Là encore, l’audit des droits légaux est significatif. Certaines situations familiales commandent que la volonté du de cujus s’exprime en vue de corriger l’option légale. En présence de descendants d’un autre lit, il peut paraître préférable de substituer au quart légal en propriété une vocation exclusivement en usufruit. De même, en présence d’enfants communs, le de cujus peut souhaiter exercer par avance l’option pourtant offerte à son conjoint entre usufruit et propriété, soit qu’il entende lui réserver des droits exclusivement en propriété ou, inversement, exclusivement en usufruit, pour une quotité plus ou moins étendue et, au besoin, en précisant les biens tenus de supporter cet usufruit volontaire20.
Dans tous ces cas, l’auteur de la libéralité exprime encore un souci d’organisation. Toutefois, il en vient immanquablement à priver le conjoint d’une partie de ses droits successoraux. La libéralité désirée ne saurait alors se couler dans le moule de la donation au dernier vivant. La prohibition des pactes sur succession future, reprise par l’article 722 du Code civil, s’y oppose. Avant l’ouverture de la succession, il est exclu que le conjoint puisse consentir à la donation qui certes le gratifie, mais le contraint aussi à renoncer par avance à certains de ses droits légaux. La pratique, pourtant jusque-là usuelle, des donations au dernier vivant avec choix d’une quotité doit être maintenant abandonnée au profit du testament, chaque fois qu’elle vient contrarier la dévolution légale. De même, un testament authentique sera préféré au testament olographe quand la libéralité écarte aussi la vocation spéciale que la loi réserve au conjoint sur son cadre de vie. L’exception à la liberté des formes testamentaires énoncée par l’article 764 du Code civil exclut toute autre solution21.
13.– Les libéralités entre époux confèrent aujourd’hui au conjoint des droits taillés sur mesure alors que sa vocation héréditaire légale, abstraitement définie, lui assure parfois trop, parfois pas assez. Personne mieux que le de cujus auteur de libéralités ne peut dire où vont ses préférences et quels sont les besoins. La loi peut se tromper et la succession manquerait son but; à condition de savoir privilégier, suivant les cas, testament ou institution contractuelle, le de cujus lui apporte les corrections nécessaires. Pourtant, une fois la succession ouverte, les prévisions de ce dernier ne sont pas à l’abri de tout aménagement ou correction.
19. J. Hauser et Ph. Delmas Saint-Hilaire, « Vive les libéralités entre époux! », Defrénois 2002, art. 37465.
20. Ph. Potentier, « La nouvelle donation entre époux », Defrénois 2003, art. 37842.
21. Infra, no 9.
 
B. DES LIBÉRALITÉS SUJETTES À AMENDEMENT

14.– Ce que le de cujus veut, ces héritiers, descendants et même parfois conjoint survivant, peuvent l’adapter. Si l’observation n’est pas nouvelle, son sens est en partie modifié sous l’empire de la loi du 3 décembre 2001.
Le législateur n’étend jamais la quotité disponible au bénéfice du conjoint sans observer une certaine prudence. Dans un souci de préserver les équilibres familiaux, il entend protéger les intérêts de certains héritiers contre certaines volontés déclarées du de cujus. L’élimination d’une libéralité en usufruit ou d’une libéralité en propriété est encore chose possible pour l’héritier autorisé à demander la conversion de la première ou à substituer l’usufruit de sa réserve à la seconde. Chacune de ces armes existait avant la loi du 3 décembre 2001. Elles suscitent néanmoins quelques interrogations nouvelles, l’une en raison des corrections qu’elle a subies, et l’autre en ce qu’elle demeure inchangée.
15.– Prévue par l’ancien article 1094-2 du Code civil aujourd’hui abrogé, la conversion de l’usufruit conventionnel était initialement conçue comme une arme à l’usage exclusif des descendants préoccupés de préserver leurs droits sur la réserve contre des libéralités en usufruit d’une certaine importance (plus de la moitié des biens). La mesure était radicale puisque la faculté d’éliminer l’usufruit conventionnel leur était ainsi accordée. L’objectif poursuivi imprimait à cette demande de conversion un régime à plus d’un titre distinct de celui prévu pour la conversion de l’usufruit légal.
L’article 759 du Code civil procède désormais à l’uniformisation du régime applicable à la conversion, excluant toute distinction suivant l’origine conventionnelle ou légale de l’usufruit concerné. Certaines des modifications ainsi opérées retiennent l’attention.
D’abord, la faculté de solliciter la conversion de l’usufruit conventionnel est désormais ouverte à tous les cohéritiers : elle est accordée aux descendants réservataires comme au conjoint bénéficiaire. L’opportunité est ainsi offerte à ce dernier de se libérer de l’usufruit dont il aura été gratifié. Il est quelque peu surprenant de voir ici octroyer au conjoint la faculté de déjouer les prévisions de son auteur en sollicitant la conversion de l’usufruit conventionnel. Contrairement aux descendants, il n’est pas réservataire. La conversion demandée ne saurait en conséquence se justifier par un éventuel rétablissement de droits intangibles.
Il apparaît ensuite que, sollicitée par les réservataires, la conversion de l’usufruit conventionnel n’est plus de droit. La formulation d’une opposition conjugale livre cette demande de conversion au pouvoir d’appréciation du juge. Les pouvoirs accordés au juge interdisent désormais de voir dans cette prérogative une mesure de protection de la réserve des descendants. À défaut, il faut y voir une arme offerte à tous pour lutter contre les inconvénients économiques de libéralités faites en usufruit. Reste que, décrochée des considérations tenant à l’ordre public successoral, la conversion de l’usufruit conventionnel réalise un affaiblissement inédit de l’autorité
 
dont devraient pourtant être dotées les dernières volontés exprimées22. Sans doute faut-il se rassurer puisque, dans le même temps, cette faculté ne peut plus être exercée qu’avant le partage définitif.
16.– C’est en revanche par son maintien que l’article 1098 étonne à son tour. Ce texte protège les enfants du premier lit contre les libéralités en propriété que le de cujus aurait pu consentir à son second conjoint. Une option est ainsi ouverte aux enfants d’un premier mariage. Il leur appartient de choisir entre, d’une part, une pleine propriété immédiate mais réduite en raison de l’attribution au conjoint de la propriété de la quotité disponible ordinaire et, d’autre part, une pleine propriété plus étendue mais différée s’ils décident d’abandonner au conjoint l’usufruit substitué de leur réserve.
À plus d’un titre cette protection spéciale des enfants légitimes issus d’un précédent mariage s’harmonise mal avec les impératifs qu’exprime la loi nouvelle. Anachronique et peu cohérente, elle leur permet d’abord de déjouer en partie les libéralités en propriété adressées au conjoint alors que, précisément, dans cette configuration familiale, la loi ne réserve à ce dernier qu’une vocation successorale en propriété. Ensuite et surtout, en ne bénéficiant qu’aux seuls enfants du premier lit, elle contredit l’impératif européen d’égalité des filiations23 que la réforme avait pourtant pour objectif de consacrer. De sorte qu’il faut probablement souhaiter qu’à l’avenir cette prérogative soit systématiquement écartée par une volonté contraire et non équivoque du de cujus ou par l’effet d’une libéralité conjugale en propriété augmentée de l’usufruit de la réserve24, à peine de voir s’élargir la liste des bénéficiaires, à l’occasion d’une chasse désormais ouverte contre les discriminations fondées sur la filiation25.
Reste que, même si les stratégies successorales élaborées par le de cujus ne sont pas à l’abri de tout aménagement voulu par ses héritiers, le risque le plus grave qu’elles encourent tient à leur articulation insuffisante avec les droits légaux du conjoint survivant.
22. À ce titre l’article 759-1 du Code civil, en ce qu’il affirme que les cohéritiers ne peuvent être privés de la faculté de conversion par la volonté du prédécédé, ajoute encore au désarroi. Tant que cette faculté demeure un instrument de sauvegarde de droits intangibles, en toute logique le prédécédé ne peut effectivement pas en priver les réservataires. Mais là ou la lettre du texte ne distingue plus, peut on encore admettre que le de cujus puisse en priver le conjoint? Une exigence de cohérence impose pourtant une réponse affirmative. Rien ne justifie qu’une telle entrave soit portée à la souveraineté du de cujus quand il est tout à la fois libre d’exhéréder son conjoint de l’usufruit légal et qu’il lui appartient seul de prendre l’initiative de le gratifier d’un usufruit conventionnel. Celui qui peut le plus, en ce qu’il maîtrise seul l’existence de principe de tout usufruit, conventionnel ou légal, pourquoi ne pourrait-il plus le moins, en décidant de son caractère convertible ou non? S’en tenir à la lettre du texte supposerait au contraire que le législateur ait entendu conférer une force tout à fait exemplaire et inédite à cet instrument de lutte contre les inconvénients économiques des libéralités en usufruit.
23. CEDH 1er février 2000, Mazureck, v. F. Granet, « Les réformes accomplies : le point sur les avantages matrimoniaux », infra, p. 13.
24. Civ. 1re, 3 décembre 1996, Bull. civ. I, no 437; Civ. 1re, 3 juin 1986, Bull. civ. I, no 154. 25. Civ. 1re, 29 janvier 2002, Bull. civ. I, no 32. 
26. A. Boitelle, « L’articulation des droits légaux avec les droits conventionnels du conjoint survivant », JCP N 2003, 1243, spéc. p. 528.

II. UN NOUVEAU DÉFI : L’ARTICULATION DES DROITS SUCCESSORAUX DU CONJOINT

17.– Si rien ne permet de craindre un ralentissement des libéralités entre époux, cette pratique usuelle produit sous l’empire de la loi du 3 décembre 2001 des résultats nouveaux à l’ouverture de la succession. La principale de ces nouveautés tient au fait que le conjoint est maintenant appelé à la succession à un double titre26.
Appelé à succéder en vertu d’une dévolution légale désormais favorable, le conjoint est également investi de la qualité d’héritier par les libéralités à cause de mort réalisées à son profit. En pratique, ce cumul de qualités se présente sous un jour inédit, car la loi nouvelle s’abstient d’imposer les modalités techniques, imputation et rapport, qui traditionnellement assurent l’articulation des dispositions volontaires et légales. Cette abstention législative doit encourager les auteurs de libéralités à se préoccuper de ces questions d’imputation et de rapport. Les abandonner au libre choix du conjoint survivant reviendrait en effet à lui offrir les moyens de contrarier certaines de leurs prévisions.

A. ADMINISTRER LE CUMUL

18.– On se souvient que l’ancien article 767 du Code civil consacré à l’usufruit légal du conjoint survivant organisait, sauf volonté contraire du disposant, l’imputation sur ses droits légaux de toutes les libéralités, rapportables ou non, dont il était bénéficiaire. Le conjoint cessait ainsi d’exercer l’usufruit légal chaque fois que par libéralités conjugales il recevait des assurances successorales au moins aussi performantes. Or cette règle de principe ne se retrouve pas dans la loi nouvelle.
Parce que l’usufruit légal est devenu universel, le maintenir n’aurait eu évidemment aucun sens. Reste que lorsque le conjoint reçoit une quotité de la succession en propriété, les modalités de liquidation de ses droits reprennent les principes autrefois énoncés pour la liquidation de l’ancien usufruit à l’exception précisément de celui imposant l’imputation des libéralités reçues. À défaut d’imputation prévue par la loi, rien ne s’oppose plus à ce que le conjoint survivant puisse désormais, par principe et sauf volonté contraire du de cujus, cumuler le bénéfice des droits qu’il retire des libéralités et de ceux dont la loi l’investit. Le principe du cumul ne fait pas difficulté. En revanche son étendue suscite la controverse. Par le cumul de ses droits, le conjoint peut-il s’affranchir des plafonds pourtant prévus par l’article 1094-1 du Code civil? Pourrait-il ainsi prétendre recevoir davantage que ce que le de cujus est autorisé à lui transmettre? L’enjeu de la question s’illustre parfaitement quand le conjoint, en concours avec un unique descendant, se trouve gratifié de la quotité disponible spéciale entre époux. La tentation est alors pour lui d’opter d’abord, au titre de la libéralité, pour la quotité disponible ordinaire et de souhaiter, en complément, exercer l’usufruit légal sur le surplus des biens existants. Si une telle revendication devait être admise il recevrait alors une moitié de la succession en propriété et exercerait son usufruit sur l’autre au mépris du plafond bien connu du quart en propriété et trois quarts en usufruit.
Par une réponse ministérielle en date du 3 mars 200327, le garde des Sceaux exclut cette interprétation de la loi et rappelle que le Code civil détermine une fraction maximale des biens qui peuvent être ainsi transmis au conjoint. Au soutien de cette opposition on peut également faire valoir l’argumentation développée par messieurs les professeurs Jean Hauser et Philippe Delmas Saint Hilaire28. La démonstration est a priori séduisante quand elle vient rappeler que les quotités disponibles entre époux sont le reflet d’un arbitrage global des intérêts familiaux en présence, de sorte qu’elles devraient demeurer un plafond, du moins tant que les héritiers réservataires désirent agir en réduction. Mais justement c’est ici que le bas blesse. Imaginons que précisément ces héritiers agissent en réduction. La libéralité n’est pas excessive et la réduction demandée ne saurait faire obstacle à l’exercice de droits que le conjoint tire de la loi et non de la libéralité29. Force est donc d’admettre que, confrontés aux appétits cumulatifs du conjoint, les réservataires sont démunis. On ne peut que se résoudre à observer la possibilité d’un cumul, y compris au-delà des quotités disponibles spéciales, quand aucune imputation n’interdit au conjoint de le solliciter et qu’aucune action ne permet aux réservataires de s’y opposer efficacement.
19.– Les résultats de l’équation sont suffisamment graves pour convaincre de la nécessité d’en anticiper les conséquences au sein même de la libéralité. Deux voies peuvent alors être empruntées.
La première, radicale et définitive, consiste évidemment à exhéréder le conjoint de ses droits légaux au moyen d’un testament authentique30. La seconde, moins radicale, pourrait consister à organiser conventionnellement l’imputation des libéralités consenties, pour suppléer le silence de la loi. Dans ce cas, rien n’interdit qu’au sein même de l’institution contractuelle soit stipulée une clause d’imputation31, que
27. R.M. 9142, JOAN, 3 mars 2003, p. 1643, JCP N 2003, p. 570.
28. J. Hauser et Ph. Delmas Saint-Hilaire, « Les quotités disponibles et la loi du 3 décembre 2001 », Defrénois 2003, art. 37749, p. 739. Dans le même sens Cl. Brenner « La succession », in 18042004 Le Code civil. Un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 477, no 24.
29. A. Boitelle, « L’articulation des droits légaux avec les droits conventionnels du conjoint survivant », JCP N 2003, 1243, spéc. p. 530. Rapprocher S. Ferré-André, « Des droits supplétifs et impératifs du conjoint survivant dans la loi du 3 décembre 2001 », Defrénois 2002, art. 37572, no 24.
30. Supra, no 12.
31. Y. Flour, « Les nouveaux droits ab intestat du conjoint survivant », Gaz. Pal. 2-3 octobre 2002, p. 27, note 4.
 
d’autres appelleront clause de rapport en « autre prenant »32. L’imagination créative des notaires ne manquera pas de proposer des rédactions pertinentes en ce sens33. Deux observations doivent néanmoins être immédiatement faites. L’une concerne l’application de ces clauses, l’autre leur autorité.
D’expérience34, on ne doit pas négliger les difficultés pratiques et les incertitudes qui seront inévitablement inhérentes à la mise en œuvre de l’imputation conventionnelle quand il s’agira inévitablement de procéder à l’imputation de droits donnés en propriété sur un droit légal en usufruit. L’opération pourrait en nécessité une seconde, à savoir la conversion de l’usufruit, dont il pourrait être utile de prévoir les modalités.
Il est évident ensuite que si ces clauses parviennent à neutraliser efficacement des appétits successoraux excessifs concrétisés par un cumul, elles laissent néanmoins une option ouverte au conjoint35. Celui-ci peut encore préférer exercer sa vocation légale et renoncer à la libéralité. Cette circonstance devrait être en conséquence utilement prévue, en stipulant dans ce cas la caducité et la résolution en toutes ses dispositions de l’acte libéral36. En un mot, c’est un appel à la vigilance qui doit être fait à ceux qui s’orienteraient, non sans péril, sur cette voie.

B. RÉGLER LA QUESTION DU RAPPORT

20.– La question du rapport, au sens strict du terme, ne se pose véritablement que pour les donations entre vifs. Car si ces dernières sont présumées rapportables37, c’est en revanche une présomption contraire qui régit les libéralités conjugales à cause de mort38, beaucoup plus fréquentes entre époux. Or, précisément, force était d’observer que toujours révocables39 et par conséquent fragiles et dangereuses40, les dona
32. F. Sauvage, « Les donations restrictives après la loi du 3 décembre 2001 », JCP N 2003, 1102, spéc. p. 210.
33. A. Boitelle, « L’articulation des droits légaux avec les droits conventionnels du conjoint survivant », JCP N 2003, 1243, spéc. p. 529.
34. L’imputation des libéralités en propriété qui étaient adressées par le de cujus au conjoint sur l’usufruit légal de ce dernier (anc. art. 767 C. civ.) donnait lieu à d’importantes hésitations méthodologiques, en doctrine comme en jurisprudence. M. Grimaldi, op. cit., no 215. Civ. 1re, 6 février 2001,
Bull. civ. I, no 28.
35. Baudry-Lacantinerie et Wahl, Traité théorique et pratique du droit civil des successions, t. 2, 3e éd., 1905, no 1038.
36. A. Boitelle, « L’articulation des droits légaux avec les droits conventionnels du conjoint survivant », JCP N 2003, 1243, spéc. p. 529.
37. Art. 843 al. 1 C. civ.
38. Art. 843 al. 2 C. civ.
39. Art. 1096 C. civ., abrogé par la loi du 26 mai 2004, relative au divorce.
40. La révocation de la donation opérait rétroactivement à la manière d’une condition résolutoire. Sur les incidences néfastes de la révocabilité des donations entre époux : Cl. Brenner, « Brèves observations sur la révocation des donations entre époux après la loi du 26 mai 2004 relative aux divorce », Defrénois 2005, art. 38084, spéc. no 3.
 

tions conjugales entre vifs demeuraient l’exception41. Mais sous les effets conjugués, tant de la réforme du divorce orchestrée par la loi du 26 mai 2004, que de la loi du 3 décembre 2001, la question du rapport des libéralités conjugales entre vifs devenues irrévocables42 pourrait se poser de manière plus quotidienne.
21.– Parce qu’elle appelle le conjoint, en concurrence avec les descendants ou ascendants privilégiés, à succéder en propriété, la loi du 3 décembre 2001 suggère a priori qu’il soit tenu au rapport des donations de biens présents que le de cujus a pu lui adresser. Nous savons en effet que les donations de biens présents sont présumées rapportables et que tout héritier venant à la succession en doit le rapport à ses cohéritiers. Demeurée inchangée, la lettre de l’article 843 du Code civil milite pour que soit soumis à cette obligation nouvelle le conjoint donataire et héritier en propriété. S’il est effectivement devenu un héritier comme les autres, le conjoint survivant ne saurait échapper au jeu de cette règle technique venue soutenir le principe d’égalité du partage successoral.
Pourtant, au-delà de l’apparence, il parait non moins évident que le législateur de 2001 a renoncé à faire du conjoint un héritier comme les autres43. L’article 758-5 du Code civil témoigne des signes d’un tel renoncement. En orchestrant des règles liquidatives spécifiques pour la vocation légale en propriété accordée au conjoint, ce texte exclut tout rapport d’équivalence entre cette dernière et celle revenant aux autres héritiers, descendants ou ascendants privilégiés. De la masse d’exercice des droits légaux en propriété du conjoint sont retranchées, outre la réserve, les libéralités rapportables faites à ses cohéritiers. C’est dire, pour faire simple, que le législateur n’a pas fait du conjoint un créancier direct du rapport.
Dans ces conditions, et parce que le rapport ne se comprend qu’au service du principe d’égalité successorale, il n’est certainement pas raisonnable de vouloir en faire un débiteur comme les autres du rapport de ses propres libéralités. Parce qu’une fois encore la loi de 2001 n’a pas gommé la spécificité de l’héritier appelé à revêtir la qualité de conjoint survivant, elle investit les auteurs de libéralités conjugales d’une nouvelle responsabilité. Là où le rapport n’est plus présumé, c’est à ceux-ci qu’il appartient de préciser leur volonté à ce sujet.
41. L’affirmation doit toutefois être nuancée quand, de manière fréquente, les époux se consentent des clauses de réversion d’usufruit au dernier survivant, que la jurisprudence qualifie de donation à terme de biens présents.
42. A. Tisserand, « Les incidences de la réforme du divorce du 26 mai 2004 sur les libéralités entre époux et les avantages matrimoniaux », infra, p. 21. C. Rieubernet, « Le nouveau régime des donations entre époux au lendemain de la loi du 26 mai 2004 relative au divorce », Petites affiches 21 juillet 2004, no 145, p. 10. S. Piédelièvre, « L’aménagement des libéralités entre époux par la loi du 26 mai 2004 », D. 2004, 2512. F. Sauvage, « Des conséquences du divorce sur les libéralités entre époux et les avantages matrimoniaux », Defrénois 2004, art. 38038.
43. H. Mazeron, « Le conjoint successible : un héritier comme les autres? », JCP N 2003, 1215 spéc. p. 436.
 

22.– En définitive, l’impact essentiel de la réforme du 3 décembre 2001 quant à la pratique des libéralités conjugales tient aux puissantes sollicitations qu’elle adresse aux époux aidés de leurs conseils naturels : les notaires. On retiendra qu’en les gratifiant d’une liberté importante, elle ne cesse de faire confiance à leur imagination, mais aussi à leur responsabilité, pour que la transmission successorale ne manque pas son but.
 
Le notaire dans les projets de réforme du droit des successions

Jean-Marie Ohnet
Membre de l’Institut d’études juridiques du Conseil supérieur du notariat, notaire

La loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 a modifié diverses dispositions de notre droit successoral, en clarifiant les règles d’ouverture et de transmission des successions, en modernisant les dispositions ayant trait aux qualités requises pour succéder, en légalisant la preuve de la qualité d’héritier et en réorganisant la présentation des principes de la dévolution successorale, supprimant par là même un certain nombre de dispositions jugées dépassées.
Cette loi n’est pas allée au-delà de ces modifications, certes importantes, alors qu’une refonte de la matière, envisagée par les travaux d’un groupe de travail animé par le doyen Carbonier et le professeur Catala et soutenue par de nombreux universitaires et praticiens, avait fait l’objet de trois projets de loi déposés à l’Assemblée nationale en 1988, en 1991 et en 1995 mais qui n’avaient jamais été inscrits à l’ordre du jour.
Le Sénat avait été amené à proposer, en première lecture de la loi du 3 décembre 2001, une réécriture complète du titre Ier du Livre troisième du Code civil relatif aux successions, mais cette réécriture avait été supprimée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale qui craignait de voir retarder la réforme des droits du conjoint survivant, considérée comme prioritaire ; en Commission mixte paritaire, le Sénat s’était contenté de proposer la seule réécriture des trois premiers chapitres dudit titre Ier.
C’est à l’effet de poursuivre la réforme du droit des successions, que les sénateurs Jean-Jacques Hyest et Nicolas Abou ont présenté au Sénat, en 2002, une proposition de loi reprenant en fait les dispositions qui avaient été adoptées par le Sénat en première lecture.
 
1. Au 15 octobre 2004, date du colloque qui s’est tenu à Strasbourg sur le thème du Droit patrimonial de la famille : réformes accomplies et à venir.
Cette réforme est restée en l’état, le gouvernement ayant décidé d’inscrire dans son programme de travail gouvernemental pour 2004 la simplification et la modernisation des règles du droit des successions et des libéralités, en engageant à cet effet une concertation avec les diverses professions concernées.
C’est ainsi qu’un questionnaire élaboré de concert entre la Chancellerie et le Conseil supérieur du notariat, a été adressé à l’ensemble des notaires qui y ont répondu massivement (3151 réponses); un document de synthèse des réponses au questionnaire a été remis le 11 juillet 2003 au garde des Sceaux, qui, après avoir souligné la richesse des enseignements tirés de ce questionnaire, a indiqué avoir demandé à ses services de procéder à de plus larges consultations, ajoutant que la réforme devait s’accompagner d’un volet fiscal très attendu par l’ensemble des familles, avant de conclure que son but était d’élaborer un projet de loi d’ici la fin de l’année 2003 pour un débat en 2004.
Quel rôle sera celui du notaire dans la refonte envisagée du droit successoral?
Faute de connaître à ce jour1 le contenu du projet de loi, le calendrier annoncé n’ayant pas été tenu, c’est par rapport aux dispositions de la proposition de loi HyestAbou que ce rôle sera abordé, en y confrontant le point de vue des notaires, tel qu’exprimé par les réponses apportées au questionnaire précité, ce parti pris s’autorisant :
– de la continuité dans laquelle se situe cette proposition de loi par rapport aux projets de loi adoptés à plusieurs reprises en Conseil des ministres après examen par le Conseil d’État, et du fait que ladite proposition de loi reprenait, comme déjà indiqué, les dispositions qui avaient été adoptées par le Sénat en première lecture;
– du nombre de réponses apportées par les notaires et de la richesse, soulignée par le garde des Sceaux, des enseignements tirés du document de synthèse.
Il va sans dire que les développements qui vont suivre n’auront pas pour objet d’aborder le rôle traditionnel et bien connu du notaire dans le règlement des successions mais simplement les modifications qui peuvent être envisagées sur la base de la proposition de loi et du rapport de synthèse dont il vient d’être question.
À cet égard, il y a lieu de constater un accroissement envisagé du rôle du notaire dans le règlement des successions, et ce tant pour ce qui a trait à l’administration temporaire (I) que pour ce qui concerne le partage amiable (II).

I. LE RÔLE DU NOTAIRE DANS LA PHASE DE L’ADMINISTRATION TEMPORAIRE

De nombreuses difficultés ont été constatées en pratique dans l’administration des indivisions successorales, s’agissant par exemple de la perception de fonds détenus
 
Le notaire dans les projets de réforme du droit des successions    49
par des tiers pour le compte de la succession (et en tout premier lieu des fonds déposés en comptes ou sur livrets dans des banques) ou de la gestion courante, notamment des portefeuilles de valeurs mobilières.
On sait en effet qu’en l’état actuel de la réglementation, l’accord de tous les héritiers est requis.
Faute d’un tel accord, l’administration de l’actif successoral, et notamment les premières mesures qu’il y aurait lieu de prendre, seront retardées, si ce n’est durablement bloquées, ce qui pourrait être source de dommages sérieux pour la succession.
Trois cas doivent être distingués.
A. Le premier a trait à l’existence d’héritiers connus mais en désaccord sur les premières mesures d’administration ou de conservation de la succession.
Dans ce cas, la proposition de loi Hyest-Abou prévoit que s’il n’a pas été fait application du 3e alinéa de l’article 815-6 du Code civil, c’est-à-dire à défaut de désignation antérieure, par le président du Tribunal de grande instance, d’un indivisaire comme administrateur (avec obligation pour lui de donner caution) ou encore de nomination d’un séquestre; ce même magistrat pourra désigner, à la demande du successible le plus diligent, un notaire ou toute autre personne qualifiée, à l’effet de représenter l’ensemble des héritiers et légataires, autres que les légataires particuliers, en vue d’accomplir les divers actes mentionnés ci-après.
C’est donc le mécanisme de la représentation que retient la proposition de loi (le représentant désigné par le tribunal étant alors soit un notaire, soit toute autre personne qualifiée — avocat, banquier, gérant de biens…).
On observera que dans ce texte, la représentation présente un caractère subsidiaire puisqu’elle ne pourra être mise en œuvre qu’à défaut d’application du 3e alinéa de l’article 815-6 du Code civil.
Dans le texte proposé, les pouvoirs du représentant se trouvent limités aux opérations suivantes :
1o le recouvrement des revenus des biens héréditaires, des fonds détenus pour le compte du défunt et des créances non contestées;
2o la gestion des valeurs mobilières de la succession, dans la limite prévue par le 4e alinéa de l’article 456 (soit concrètement les actes considérés comme actes d’administration par le décret no 65-961 du 5 novembre 1965 relatif au dépôt et à la gestion des fonds et des valeurs mobilières des mineurs);
3o la vente à l’amiable des biens périssables de la succession;
4o le paiement des impôts dus par le défunt, des dettes de la succession dont le règlement est urgent et de la pension alimentaire prévue par l’article 767 du Code civil, s’il apparaît toutefois que l’actif successoral dépasse manifestement le passif;
5o tous autres actes conservatoires que le tribunal spécifiera.
Cette mission ne pourra excéder un délai d’un an; elle cessera par ailleurs de plein droit par l’effet d’une convention d’indivision ou par la désignation d’un notaire pour préparer les opérations de partage, une telle convention ou une telle désignation rendant inutile la continuation de la mission du notaire ou de la personne qualifiée.
De surcroît le président du Tribunal de grande instance pourra mettre fin à tout moment à cette mission.
Afin d’éviter toutes interférences avec la mission de l’exécuteur testamentaire, la proposition de loi précise que si un tel exécuteur était institué, le représentant ne pourrait agir que dans la mesure compatible avec les pouvoirs de l’exécuteur testamentaire.
Les pouvoirs que la proposition de loi envisage d’accorder au représentant doivent se comprendre dans la logique des premières mesures conservatoires et d’administration; à ce titre, elles paraissent cohérentes et propres à remplir l’objectif poursuivi; simplement peut-on regretter le renvoi au 4e alinéa de l’article 456 du Code civil, le décret d’application dont il a été question ci-avant ne permettant que peu d’opérations sur les valeurs mobilières dépendant de la succession, alors pourtant que la nécessité d’arbitrages urgents en la matière se trouve vérifiée.
Pour ce qui a trait aux réponses des notaires, le document de synthèse établit que ceux-ci sont largement favorables à la mise en place d’un mandataire à l’effet d’administrer la succession, mandat qui pourrait leur être échu à raison de leur bonne connaissance de la matière; les notaires ont exprimé à ce sujet le souhait que les pouvoirs qui devraient être ainsi reconnus au mandataire lui permettent d’effectuer à titre principal le paiement des impôts et celui des dettes.
B. Le deuxième cas concerne l’existence d’héritiers connus mais restés inactifs (« taisants » comme dit la proposition de loi) avant l’expiration du délai pour prendre parti.
La proposition de loi prévoit que dans cette hypothèse, à la demande du ministère public ou de toute personne intéressée, le président du Tribunal de grande instance pourra désigner l’administration chargée du service des domaines ou encore un notaire pour accomplir les actes urgents concernant la succession, avec mission d’accomplir les actes conservatoires qu’il spécifiera, ainsi que de vendre à l’amiable les biens périssables de la succession.
Cette mission devra cesser de plein droit en cas d’acceptation de la succession ou à l’expiration du délai pour prendre parti.
C. Le troisième cas a trait aux successions vacantes ou non réclamées.
On sait que lorsque l’administration d’une succession n’est pas assurée par les héritiers, l’État peut être requis par la justice de suppléer leur défaillance, cette intervention de l’État relevant, en l’état actuel de la réglementation, de deux régimes distincts, à savoir celui des successions vacantes et celui des successions non réclamées; le service des domaines interviendra alors à des titres différents dans chacun de ces deux cas.
Une telle distinction, qui n’a pas réellement de pertinence, apparaît comme étant source de complications inutiles, largement dénoncées. C’est pourquoi la proposition de loi regroupe opportunément sous une nouvelle notion, celle de « curatelle des successions vacantes », l’ensemble des attributions conférées au service des domaines, qui devrait désormais être commis dans tous les cas par le président du Tribunal de grande instance et qui disposerait d’une plus grande autonomie dans le cadre défini par la loi et sous le contrôle de l’autorité judiciaire.
Les notaires ont pour leur part exprimé dans leurs réponses au questionnaire, le souhait de pouvoir être nommés administrateurs de successions vacantes avec divers pouvoirs à cet égard et notamment celui de liquider et de remettre l’actif net au Trésor public ou à la Caisse des dépôts et consignations ainsi que celui de vendre les biens de la succession aux enchères.
Ils ont estimé par ailleurs que dans le cas où la succession vacante présenterait un passif qui dépasserait l’actif, il conviendrait de les autoriser à payer les dettes sans passer par l’ensemble de la procédure d’une succession vacante, soulignant le fait que moins de frais seraient ainsi exposés et qu’il en résulterait corrélativement un gain d’économies qui profiterait aux créanciers.
Enfin les notaires ont été amenés à regretter la lenteur et la désorganisation de la procédure actuellement en vigueur, souhaitant notamment la diminution des délais d’autorisation pour la mise en vente des biens concernés.
Il y a donc de ce point de vue une certaine divergence entre la proposition de loi et le point de vue des notaires, qui doit toutefois être relativisé, ne serait-ce que parce que cette question des successions vacantes et non réclamées ne concerne guère actuellement que 6000 dossiers par an.

II. LE NOTAIRE ET LE PARTAGE AMIABLE DE LA SUCCESSION

On a pu dire que le partage est l’acte essentiel des règlements successoraux.
L’absence d’accord unanime exclut le partage amiable et impose de recourir au partage judiciaire, c’est-à-dire à la voie contentieuse, dont on connaît la lourdeur voire même, selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, le caractère « particulièrement archaïque ».
Devant un tel constat, deux positions peuvent être (cumulativement) envisagées, à savoir :
– promouvoir le partage amiable;
– passer par la modernisation de la procédure de partage judiciaire.

A. PROMOUVOIR LE PARTAGE AMIABLE

Cette promotion trouve un écho favorable aussi bien dans la proposition de loi Hyest-Abou que dans les réponses des notaires au questionnaire.
 
1. Proposition de loi Hyest-Abou

Alors que le droit positif actuel traite avant tout de l’action en partage judiciaire, la proposition de loi s’attache en premier lieu au partage amiable auquel elle consacre une nouvelle section et dont elle étend le domaine, le partage judiciaire ne devant plus être obligatoire que dans les cas où il existerait un véritable contentieux.
La proposition de loi prévoit à cet effet de recourir au partage amiable en présence d’un héritier acceptant qui, sans toutefois s’y opposer expressément, ne répond pas aux offres de partage faites par son ou ses cohéritiers; à l’avenir les cohéritiers ne seraient plus, dans cette hypothèse, tenus de recourir au partage judiciaire, dans la mesure où ils pourraient demander au juge des tutelles de désigner un notaire pour représenter au partage amiable le successible « taisant ».
Plus précisément, le texte nouveau prévoit que si parmi les héritiers acceptants, il en est qui ne soient pas présents, sans toutefois être dans l’un des cas prévus aux articles 116 et 120 du Code civil (présumés absents et personnes qui, par suite d’éloignement, se trouvent se trouvent malgré elles hors d’état de manifester leur volonté), les non-présents pourront à la diligence d’un cohéritier présent, être mis en demeure de se faire représenter au partage amiable.
Faute par ces non-présents d’avoir constitué mandataire dans les trois mois de la mise en demeure, un cohéritier présent pourra demander au juge des tutelles de désigner un notaire qui agira pour le compte de chacun de ces non-présents, jusqu’à la réalisation complète du partage.
Ce notaire ne pourra toutefois consentir au partage qu’avec l’autorisation du juge des tutelles.
En revanche, si l’un des héritiers déclare s’opposer au partage amiable, ou encore si la demande d’autorisation dont il a été question ci-avant est rejetée, le partage devra être fait en justice; on se retrouvera alors dans la procédure de partage judiciaire.

2. Document de synthèse du questionnaire des notaires

Les notaires ont, dans leurs réponses au questionnaire, souhaité une accélération des procédures de partage et à cet effet de pouvoir disposer de prérogatives accrues, notamment dans le cas où un héritier s’abstiendrait de participer au partage (le document de synthèse relève que les notaires voudraient pouvoir assurer le rôle de « juge ou d’arbitre » et avoir plus d’autorité en la matière).
Cette accélération du partage impliquerait un meilleur encadrement des délais pour sa réalisation et une simplification des opérations à accomplir, en particulier en présence d’héritiers faisant l’objet de mesures de protection ; c’est ainsi que les réponses au questionnaire dégagent largement le souhait qu’un partage amiable puisse intervenir avec le seul accord du juge des tutelles ou s’il y a lieu du conseil de famille, sans devoir recourir à la procédure d’homologation par le Tribunal de grande instance, dont on s’accorde à souligner la lenteur et le retard qui en résulte.
 
B. MODERNISER LA PROCÉDURE DE PARTAGE JUDICIAIRE

On l’a dit : la procédure de partage judiciaire apparaît comme archaïque, et en tout cas lourde et inadaptée.
Il y aurait donc lieu de la moderniser et de la rendre plus efficace.
L’un des moyens serait d’envisager l’élargissement du rôle du notaire commis et l’accroissement de ses pouvoirs, à l’effet notamment :
– de lui permettre de demander au juge compétent la désignation d’un mandataire ad hoc chargé de représenter le copartageant défaillant dans les opérations de partage;
– et de lui confier la mission de composer, dans les conditions qui seront définies à cet effet, les lots du partage.
Une telle modification relèverait d’une autre réforme, à savoir celle, qui serait à réaliser par décret, des articles 966 et suivants de l’ancien Code de procédure civile.
Pour autant, une telle réforme se situerait au diapason des préoccupations des notaires, qui dans leurs réponses au questionnaire, expriment très largement le souhait d’un accroissement de leur autorité et notamment de pouvoir assurer en la matière un rôle de juge ou d’arbitre.
Pourquoi à cet égard ne pas s’inspirer du droit local en vigueur dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, dont les dispositions prévoient que la procédure de partage judiciaire se déroule intégralement devant le notaire commis et sous sa direction, à partir de la transmission du dossier au notaire commis par le tribunal compétent, à savoir le Tribunal d’instance et jusqu’à l’établissement de l’acte de partage final?
C’est dire que le tribunal n’intervient dans une telle procédure qu’à titre exceptionnel, comme organe de juridiction gracieuse, avec pour rôle de surveiller le déroulement des différentes phases de la procédure, de nommer et d’assermenter les experts, mais exclusivement lorsque les parties ne se seront pas mises d’accord sur leur désignation, d’autoriser certaines opérations de vente et d’homologuer l’acte de partage, en effectuant les vérifications prescrites (vérifications du respect des prescriptions de la procédure et en outre, en présence de copartageants incapables et absents, de la sauvegarde de leurs intérêts patrimoniaux).
C’est souligner que dans une telle procédure, le notaire, délégué du tribunal, assure un rôle essentiel, à telle enseigne qu’il est devenu usuel de dire qu’il constitue en fait l’organe le plus important de la procédure.

CONCLUSIONS

Un consensus se dégage en faveur de l’accroissement du rôle du notaire dans le règlement des successions, notamment pour ce qui a trait à l’administration temporaire de la succession et au partage amiable, qui bénéficierait ainsi d’une réelle promotion au détriment du partage judiciaire.
 

Les modifications envisagées méritent à notre sens d’être soutenues, comme de nature à contribuer à un règlement accéléré et facilité des successions.
Il y a lieu toutefois de souligner l’efficacité limitée de ces modifications à raison d’une part de l’aspect précaire de l’administration temporaire et d’autre part du fait que le partage amiable viendra à s’échouer sur l’opposition déclarée d’un héritier.
On peut de surcroît déplorer certaines limites ou restrictions apportées par les modifications envisagées, telles par exemple :
– la définition des pouvoirs du représentant dans la phase d’administration temporaire et notamment le renvoi, pour ce qui a trait à la gestion des valeurs mobilières de la succession, au 4e alinéa de l’article 456 du Code civil;
– le délai d’un an assigné à la mission du représentant;
– ou encore la limitation, dans le cas d’un héritier « taisant », des pouvoirs du service des domaines ou du notaire à l’accomplissement des actes considérés comme urgents.
Ne conviendrait-il pas, par ailleurs, de soutenir la possibilité (largement souhaitée par les notaires dans leurs réponses au questionnaire) pour une personne de désigner de son vivant un mandataire chargé d’administrer la succession en attendant son partage?
On ne peut en conséquence que souhaiter que ces limites et restrictions soient revues et espérer que l’accroissement du rôle des notaires sera également concrétisé dans la réforme à intervenir de la procédure de partage judiciaire.
 
La réforme du droit des testaments

Marc Nicod
Professeur à l’Université de Toulouse I

Stabilité législative. L’histoire témoigne, du droit romain à nos jours, de l’exceptionnelle stabilité de la législation applicable aux testaments1. En cette matière, les codificateurs ont, pour l’essentiel, recueilli la leçon des siècles passés. Ils n’en n’ont, d’ailleurs, pas fait mystère. À de multiples reprises, au cours des travaux de codification, ils ont évoqué les solutions de l’Ancien droit (droit romain et ordonnance d’août 1735) et ont souvent décidé de les reproduire sans modification dans le Code civil des Français2. Lors de la présentation du titre « Des donations entre vifs et des testaments » devant le Corps législatif (le 22 avril 1803), Bigot de Préameneu a expliqué que les rédacteurs avaient puisé dans les règles anciennes « avec le respect qu’inspire leur profonde sagesse et le succès dont elles ont été couronnées »3.
Depuis 1804, force est de constater la rareté des interventions législatives : moins d’une dizaine en deux cents ans — en fait précisément huit — et principalement sur la forme des testaments privilégiés. Dans le chapitre V, « Des dispositions testamentaires », c’est-à-dire les actuels articles 967 à 1047 du Code civil, cinquante-trois textes sur quatre-vingt-un sont restés absolument inchangés. S’agissant des seules règles de fond du testament, cette constance est encore plus marquée puisque, pour les articles 1002 à 1047, on ne peut signaler que deux modifications :
1. « La loi testamentaire atteint un des sommets de la pérennité » : P. Catala et M. Grimaldi, à propos des successions : « Le droit de succéder a-t-il sa base dans la loi naturelle ou simplement dans les lois positives? », in Le discours et le Code; Portalis, deux siècles après le Code napoléon, Litec, 2004, no 20, p. 387.
2. C’est ainsi que, lors des débats au Conseil d’État en mars 1803, Cambacérès proposa avec succès « de conserver littéralement les dispositions par lesquelles l’ordonnance de 1735 règle la forme des testaments et les diverses espèces de testaments qu’elle établit » (P.-A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. XII, p. 380). De là, le sauvetage in extremis du testament olographe (futur article 970 du Code civil) que ne mentionnait pas le projet de la Commission du gouvernement (janvier 1801).
3. P.-A. Fenet, op. cit., t. XII, p. 543.
 
la réécriture de l’article 1007 (sur la procédure de dépôt post mortem des testaments olographe et mystique)4 et l’abrogation de l’article 1029 (relatif à l’exécution testamentaire) lors de la reconnaissance de la capacité juridique de la femme mariée5. Autrement dit, sur quarante-six textes, quarante-quatre n’ont pas été retouchés depuis le décret du 3 mai 18036.
On peut s’étonner de la pérennité de la législation testamentaire. Dans un domaine perméable aux évolutions de la société, comme le droit de la famille, elle
est même paradoxale. « Testamenti factio non privati sed publici juris est » écrivait, en son temps, Papinien7. La dimension publique du testament n’est pas seulement due à la présence — que rappelle l’étymologie latine — des témoins; plus fondamentalement, elle trouve son origine dans les répercussions politiques et sociales de toute manifestation de volonté posthume. Le testament est, par essence, un acte politique; la dévolution successorale des biens est une question qui dépasse la sphère privée, familiale, et qui intéresse plus largement la cité. Pourtant, les moments de tensions politiques n’ont pas toujours directement affecté le droit testamentaire. Figées au XVIIe siècle par les Cours souveraines — en particulier par le Parlement de Paris —, les règles gouvernant les testaments ont finalement traversé sans heurt, ou presque8, la période révolutionnaire. Même le célèbre et éversif décret du 17 nivôse an II (6 janvier 1794), dont l’article 61, alinéa 2, prévoyait pourtant que « Toutes lois, coutumes, usages et statuts relatifs à la transmission des biens par succession ou donation sont déclarés abolis », n’a pas fait disparaître l’œuvre de Daguesseau9. En vérité, l’essentiel est ailleurs. Comme le montre l’exemple des lois révolutionnaires, la seule chose qui importe, politiquement parlant, c’est le principe de la liberté de disposition à titre gratuit10. Une fois que la liberté de disposer gratuitement est acquise, sa mise en œuvre n’est plus qu’une question de technique juridique, c’est-à-dire une
4. Loi du 28 décembre 1966.
5. Loi du 18 février 1938.
6. Le titre II du Livre III du Code civil, relatif aux donations entre vifs et aux testaments, a été adopté par le décret du 13 floréal an XI (3 mai 1803).
7. Prince des jurisconsultes (princeps jurisconsultorum), Papinien appartenait à l’entourage de Septime-sévère; il fut notamment préfet du prétoire en 203 ap. J.C.
8. Il est vrai que, pendant un temps, le mot « testament » — jugé de « féodale mémoire » (on pense, par exemple, au « despotisme testamentaire » dénoncé par Mirabeau) — a été banni du vocabulaire juridique. On lui préférait alors l’expression de « donation à cause de mort », plus tard celle de « donation par testament » ou encore de « donation testamentaire », qui subsiste à l’article 711 du Code civil.
9. Suivant l’opinion de son rapporteur, Merlin de Douai, la Section civile du Tribunal de cassation expliqua que « soutenir que l’article 61 a effacé du Code de la législation française toutes les dispositions des ordonnances de 1731 et de 1735, c’est vouloir que pendant tout le temps qui s’est écoulé depuis la publication de la loi du 17 nivôse an II jusqu’à celle du 13 floréal an XI (vote du titre du Code civil consacré aux libéralités), les formes extérieures de donations et des testaments ont été absolument abandonnées au caprice des donateurs et des testateurs » : Civ., 25 fructidor an XI, jugement rapporté par Merlin, Recueil alphabétique des questions de droit, Vo « Don mutuel », 5, p. 411.
10. Principe qui recouvre deux questions distinctes : a) Quelle est la portion du patrimoine successoral qui est juridiquement disponible? b) Cette portion peut-elle être attribuée à n’importe quel bénéficiaire (y compris à un héritier)?
 
question qui intéresse les juristes et non ceux qui se sont donnés pour mission de créer un monde meilleur.
Justifications. La stabilité du droit testamentaire repose sur deux piliers principaux.
En premier lieu, la législation des testaments échappe, du fait même de son caractère technique, aux variations du temps et des passions. Ainsi que l’a pertinemment observé le doyen Carbonnier, « il y a toujours, dans un droit civil, des habitudes et des techniques qui ne se réinventent pas chaque fois qu’une nation change de régime politique »11. Assurément, les règles testamentaires sont du nombre.
On ne saurait trop insister, en second lieu, sur la grande qualité des textes gouvernant la matière et sur l’apport, parfois remarquable, de la jurisprudence12. Le droit des testaments — pris dans son ensemble — est un droit qui, depuis l’Ancien Régime, a fait ses preuves. Dans les grandes lignes, il a répondu, et répond sans doute encore, aux attentes des patriciens comme des particuliers. On n’y relève pas de défauts majeurs, de malfaçons qui en ruineraient l’harmonie générale. Ce qui ne veut pas dire, évidemment, que toute révision soit par principe inutile. Ici comme ailleurs, la législation mérite d’être amendée; elle appelle des modifications destinées soit à moderniser un droit devenu désuet, soit à remédier à des maladresses originelles.
L’Offre de loi. L’idée d’une refonte du droit testamentaire — ou peut-être seulement d’une réformation — est ancienne13. Ce travail de correction et d’éclaircissement a déjà été entrepris à plusieurs reprises. Au cours du XXe siècle, divers projets de réforme, plus ou moins aboutis, ont vu le jour. On rappellera, en particulier, les travaux de la Commission de réforme du Code civil (l’avant-projet rendu public en 1953) et de certains congrès des notaires de France.
En 2003, un nouveau projet complet de réécriture du titre II du Livre III du Code civil (« Des donations entre vifs et des testaments ») a été rendu public : « Des libéralités, une Offre de loi »14. Cette initiative privée — due aux plumes savantes et habiles de Jean Carbonnier, de Pierre Catala, de Jean Bernard de Saint-Affrique et de Georges Morin — renouvelle, en profondeur, la réflexion sur la transmission
11. J. Carbonnier, Droit civil, Introduction, no 13, p. 71.
12. « Ses variations sur le thème du testament, à partir et au service de la volonté, offrent un bel exemple d’harmonie entre la mélodie et le contrepoint » : P. Catala et M. Grimaldi, préc., no 21, p. 387.
13. Les propositions les plus diverses ont été émises, certaines assez déconcertantes. On signalera, par exemple, un projet de décret additionnel à la loi du 17 nivôse an II adressé, par un particulier resté anonyme, au Comité de législation de la Convention (Arch. Nat. D. III. 382; « Successions et donations et matières voisines : pétitions individuelles et collectives; mémoires concernant l’application des lois existantes en proposant des textes nouveaux »). L’auteur, vraisemblablement un homme de loi, s’inquiétait des captations dont sont parfois victimes les vieillards, notamment du fait de leurs domestiques. Afin de lutter contre ces détournements d’héritage, il proposait de soumettre les testateurs d’au moins quatre-vingt ans à un formalisme notarié renforcé. L’article 3 du projet prévoyait qu’avant de tester, l’octogénaire devrait se soumettre à l’interrogatoire de huit témoins chargés de s’assurer de sa « présence d’esprit, sanité de raison et de jugement ».
14. Éd. Defrénois, 2003, préface de J. Carbonnier.
 
libérale des biens15. Elle offre l’occasion de faire le point sur une réforme à venir du droit testamentaire. Mais avant d’envisager, à travers ce projet, ce qu’il paraît possible et même souhaitable d’entreprendre, sans doute convient-il de s’interroger sur l’esprit de la réforme. Faut-il en attendre une refonte complète des règles ou un simple toilettage des textes? En d’autres termes, s’agira-t-il d’un droit de rupture ou de continuité?

I. L’ESPRIT DE LA RÉFORME : RUPTURE OU CONTINUITÉ?

Dans une matière où l’enracinement historique est si fort, peut-on raisonnablement imaginer l’émergence d’un droit entièrement nouveau? Pour les auteurs de l’Offre de loi, la réponse est, sans hésitation, négative. C’est à une réforme en douceur, à une réécriture assurée mais prudente de la législation testamentaire qu’ils nous invitent. Pour l’illustrer, on peut revenir sur trois questions qui intéresse la notion même de « testament » : sa définition légale; la prohibition du testament conjonctif; la prohibition du testament verbal.

A. DÉFINITION DU TESTAMENT

Les ordonnances de Daguesseau ne comportaient aucune définition. Les codificateurs ont donc innové en introduisant les articles 894 et 895 du Code civil, qui définissent respectivement « la donation entre vifs » et « le testament ». Ce dernier texte enseigne que « le testament est un acte par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n’existera plus, de tout ou partie de ses biens, et qu’il peut révoquer ». Maladroite16, la définition légale suscite légitimement les foudres de ceux qui sont attachés à la précision du vocabulaire juridique.
Au cours des travaux de codification, l’article 895 a été victime d’un accident terminologique : la « donation à cause de mort », initialement visée par le projet de la Commission du gouvernement, s’est métamorphosée devant le Conseil d’État en « testament » 17 — ce qui est tout autre chose... Il en résulte une confusion fâcheuse
15. V. notamment, H. Lécuyer, « Panorama 2003 des libéralités », RLDC 2004, art. 217 ; M. Beaubrun, « Quelques observations sur une offre de loi dénommée “Des libéralités” », Defrénois 2004, art. 38039.
16. « Omni definitio in jure civil periculosa est », Digeste 50. 17. 202.
17. Le projet Jacqueminot (1799) prévoyait : « La donation à cause de mort est un acte par lequel le donateur, seul dispose de tout ou partie de ses biens, et qui n’a d’effet qu’autant que le donateur a persisté dans la même volonté jusqu’à sa mort »; P.-A. Fenet, op. cit., t. I, p. 369. Ce texte avait été reproduit sans changement dans le projet de la Commission du gouvernement (1801); P.-A. Fenet, op. cit., t. II, p. 274. Mais à la suite des observations des tribunaux de Caen et de Lyon (qui firent remarquer que « le Code emploie indifféremment les mots testaments, donations testamentaires, donations entre le contenant et le contenu. Contrairement à ce qu’indique l’article 895, le testament ne se confond nullement avec la libéralité testamentaire, c’est-à-dire avec le legs. Le testament est un acte cadre, qui peut naturellement servir de vecteur à une libéralité, mais qui peut également porter beaucoup d’autres dispositions de dernière volonté, aussi bien patrimoniales qu’extrapatrimoniales. Or c’est le legs que définit l’article 895 et non le testament.
L’Offre de loi18 reprend néanmoins, mot à mot, la définition retenue par le Code civil. Les auteurs de projet s’en sont expliqués : le texte proposé est un « décalque, et il y en aura d’autres : une fois pour toutes, nous avons résolu de ne pas modifier le Code civil pour le seul plaisir de le rajeunir »19.
La tonalité générale de l’Offre est ainsi donnée. Ses rédacteurs n’ont pas cherché à faire table rase du passé. Repoussant les audaces du moment, les effets de mode, ils ont, au contraire, souhaité conserver tout ce qui, à leurs yeux, méritait de l’être. Cette fidélité au Code de 1804 est révélatrice d’une volonté de prévenir les ruptures; mieux, elle témoigne sans doute d’une méthode législative : l’art de la nuance.

B. LE TESTAMENT CONJONCTIF

Dans le même esprit, l’Offre de loi (art. 953) réitère — dans les termes inchangés de l’actuel article 968 du Code civil — la prohibition des testaments conjonctifs20. Dans leur commentaire, les auteurs indiquent que « le projet n’a pas cru devoir retenir la suggestion, maintes fois formulée, de lever l’interdiction des testaments conjonctifs. Les raisons de cette interdiction [protection de la liberté de décision et liberté de révocation du testateur] sont toujours, en effet, d’actualité »21.
Aujourd’hui, la prohibition introduite par l’ordonnance d’août 1735 est pourtant généralement considérée comme plus gênante qu’utile22. Elle paralyse la pratique des testaments-partages23 et sanctionne, bien sévèrement, des époux communs
à cause de mort, donations par testament, pour n’exprimer un seul et même acte; il serait à désirer qu’il n’employât qu’un seul et même mot » : P.-A. Fenet, op. cit., t. III, p. 162), on substitua à l’expression « donation à cause de mort » celle de « testament » (P.-A. Fenet, op. cit., t. XII, p. 261), alors qu’il aurait fallu retenir celle de « legs », voire de « donation par testament ».
18. Art. 895 de l’Offre.
19. Des libéralités, une offre de loi, préc., p. 18.
20. Devant le Corps législatif, Bigot de Préameneu avait expliqué qu’il « fallait éviter de faire renaître la diversité de jurisprudence qui avait eu lieu sur la question de savoir si, après le décès de l’un des testateurs, le testament pouvait être révoqué par le survivant. Permettre de le révoquer, c’est violer la foi de la réciprocité; le déclarer irrévocable, c’est changer la nature du testament, qui, dans ce cas, n’est plus réellement un acte de dernière volonté. Il fallait interdire une forme incompatible, soit avec la bonne foi, soit avec la nature des testaments »; P.-A. Fenet, op. cit., t. XII, p. 553.
21. Des libéralités, une offre de loi, préc., p. 55.
22. Sur le recul de ses fondements, voir notamment, J. Flour et H. Souleau, Les libéralités, A. Colin, 1982, no 209, p. 136.
23. À la différence du Code civil, qui condamne le testament-partage conjonctif, l’ordonnance de 1735 exceptait « les actes de partage entre enfants et descendants » (art. 77).
 
en biens qui n’ont eu d’autres torts que de tester ensemble sans les conseils d’un notaire. Concrètement, la règle sert plus souvent à anéantir des volontés maladroitement manifestées qu’à protéger la libre révocabilité des testaments. Aussi ne doiton pas s’étonner de l’interprétation très réductrice qu’en donne la jurisprudence. Afin de limiter les risques d’annulation, les tribunaux ne retiennent la conjonctivité que si les deux volontés testamentaires s’expriment de manière indissociable, en un seul corps de texte. Pour contourner l’interdiction légale, il suffit simplement d’établir deux testaments ; ces actes sont valides quand bien même ils sont faits en contemplation l’un de l’autre, et dans des termes identiques24.
Bien sûr, l’admission du testament conjonctif n’aurait pas été sans quelques difficultés techniques. À l’instar du droit norvégien ou du droit allemand, il aurait notamment fallu que le droit français prenne position sur la possibilité ou l’impossibilité pour le survivant de révoquer l’acte testamentaire25. Mais il n’y a là en réalité — comme en témoigne le droit comparé — rien d’insurmontable.
Quoi qu’il en soit, il faut convenir que la position de l’Offre de loi, en faveur du statu quo, s’inscrit parfaitement dans la continuité des propositions antérieures. Déjà après-guerre, la Commission de réforme du Code civil s’était refusée, en dépit des fortes pressions doctrinales, à tout aménagement de l’interdiction légale (art. 904 avant-projet). Plus récemment, en réponse à un parlementaire qui souhaitait qu’après la reconnaissance des donations conjugales mutuelles 26, on permette aussi aux époux de tester par seul et même acte, le ministre de la Justice n’a pas craint de justifier son refus en renouant, trait pour trait, avec l’argumentation développée jadis par Bigot de Préameneu27.

C. LE TESTAMENT VERBAL

On connaît la prévention traditionnelle du droit français à l’encontre du testament verbal ou nuncupatif28. Depuis l’ordonnance de 1735, tout testament doit emprunter une forme écrite29. Bien que le Code civil ne le dise pas expressément, on déduit
24. Jurisprudence constante depuis Civ. 10 juillet 1849, DP 1849, 1, 253; S. 1849, 1, 547.
25. Sous l’Ancien droit, alors que le Parlement de Paris jugeait que le décès du premier testateur rendait l’acte intangible, les parlements méridionaux (d’Aix ou de Toulouse) autorisaient la révocation du testament conjonctif par le survivant. En cas de testament mutuel, ils ajoutaient, toutefois, que celui qui révoquait la libéralité devait alors restituer aux héritiers du prédécédé tout ce dont il avait profité « en fonds et en fruits ». H. Regnault, Les ordonnances civiles du Chancelier Daguesseau; Les testaments et l’Ordonnance de 1735, PUF, 1965, p. 463 s.
26. L’ancien art. 1097 C.civ. : « Les époux ne pourront, pendant le mariage, se faire, ni par acte entre vifs, ni par testament, aucune donation mutuelle et réciproque par un seul et même acte ». Texte abrogé par la loi du 6 novembre 1963.
27. Supra, note no 20.
28. Du latin nuncupatio (nomen, capio) : déclaration solennelle, c’est-à-dire devant témoins.
29. Article 1er de l’ordonnance de 1735 : « Toutes dispositions testamentaires ou à cause de mort, de quelque nature qu’elles soient, seront faites par écrit, déclarons nulles toutes celles qui ne seraient de la combinaison des articles 893 et 969 que les dispositions orales de dernières volontés sont entachées de nullité absolue30. Même en droit international privé, on doit rappeler que la France a, lors de son adhésion à la Convention de La Haye du 5 octobre 1961, retenu la réserve de l’article 10, qui permet à un État contractant « de ne pas reconnaître les dispositions testamentaires faites, en dehors de circonstances extraordinaires en la forme orale par un de ses ressortissants n’ayant aucune autre nationalité ». Il en résulte qu’un français à l’étranger ne peut, en temps ordinaire, user de la forme nuncupative; celle-ci ne lui est permise qu’en cas de situations exceptionnelles, telles qu’inondations, guerres ou épidémies31.
L’Offre de loi semble, à premières vues, se démarquer de cette réserve. Elle propose un paragraphe second (le premier étant consacré aux « testaments en la forme ordinaire »), intitulé « Des testaments en la forme orale » (art. 967 à 969 de l’Offre). On y trouve, d’abord, la consécration de la jurisprudence qui, depuis le début du XIXe siècle (arrêt de Lauzon de 1826)32, admet qu’il est loisible aux héritiers du testateur d’exécuter en connaissance de cause un testament verbal33. L’article 967 du projet énonce : « Si l’héritier exécute volontairement un legs verbal ou un désir exprimé par le défunt à titre de vœu, son acte d’exécution vaut comme acquittement d’une obligation naturelle sans emporter libéralité de sa part à l’égard du bénéficiaire ». Les articles suivants (art. 968 à 969 de l’Offre, soit sept textes) sont beaucoup plus originaux. À l’imitation d’expériences étrangères, ils substituent aux divers testaments dits « privilégiés » (testament des militaires; testament des pestiférés et des insulaires; testament des navigants) une forme testamentaire unique : le testament d’urgence, ou testament en cas de péril de mort.
Selon l’article 968 de l’Offre, « S’il est impossible à une personne en péril imminent de mort, de s’assurer à bref délai du ministère d’un notaire, elle peut demander que ses dernières volontés soient recueillies immédiatement par témoins ». La déclaration testamentaire devrait être reçue soit par deux témoins qualifiés (en principe un médecin et un gradé de gendarmerie), soit par un témoin qualifié et deux personnes majeures, soit — à défaut de tout témoin qualifié — par trois personnes majeures.
L’article 968-2 de l’Offre prévoit la rédaction d’un procès-verbal par l’un des
faites que verbalement, et défendons d’en admettre la preuve par témoins, même sous le prétexte de la modicité de la somme dont il aurait été disposé ».
30. Le premier de ces textes prévoit qu’on ne peut disposer de ses biens par testament que « dans les formes ci-après établies »; le second mentionne trois moules testamentaires, tous trois écrits. 31. G. Droz, J.-Cl. Droit international privé, fasc. 557-B, no 84.
32. Cass. req. 26 janvier 1826, S. 1827, I, 139. Solution reprise et développée par Cass. req. 19 décembre 1860, DP 1860, 1, 18; S. 1861, I, 370 : « cette transmission ne procède pas directement du légataire universel qui opère la délivrance, et qu’au contraire elle remonte à la personne même du testateur, dont ce légataire ne fait qu’exécuter les volontés ».
33. « Si une disposition de dernière volonté purement verbale est nulle de plein droit, elle peut cependant, comme constituant une obligation naturelle, servir de cause à une obligation civile valable » : Cass. req. 20 novembre 1876, DP 1878, 1, 376; S. 1877, 1, 70; en dernier lieu, Civ. 1re, 22 juin 2004, JCP 2004, II, 10165, note A. Sériaux; D. 2004, 2953, note M. Nicod.
 
témoins. Et c’est ce procès-verbal qui « vaudra comme testament » (art. 968-4, al. 1er de l’Offre). Le projet de réforme indique que le procès-verbal doit mentionner, outre les déclarations testamentaires du disposant, la date, le lieu et les circonstances de sa rédaction. Avant de le clore : « le témoin rédacteur donne lecture du contenu aux autres témoins, ainsi qu’au disposant, lequel est en outre averti du caractère provisoire de l’acte [durée de 6 mois, susceptible d’être prorogée] qui vient d’être établi ». Le procès-verbal est ensuite signé par tous les témoins et par le disposant lui-même, s’il est en état de signer (art. 968-2, al. 3); puis envoyé au procureur de la République du Tribunal de grande instance dans le ressort duquel il a été dressé (art. 968-3, al. 1er). On retiendra qu’il est également prévu qu’une expédition de l’acte est « rédigée séance tenante, également signée par tous les témoins » (art. 968-2, al. 4) et qu’elle est conservée par le témoin rédacteur (art. 968-3, al. 2).
On retrouve dans ces diverses dispositions la logique qui a conduit à l’instauration, dès le droit romain, des testaments privilégiés : à une situation exceptionnelle répond un formalisme testamentaire dérogatoire, notablement allégé. Cependant, l’appellation de « testament en la forme orale » nous semble quelque peu contestable. Plutôt que la reconnaissance d’un testament verbal, nous y voyons la résurrection d’une institution hybride de l’Ancien droit : le testament nuncupatif écrit34.
Le testament purement verbal suscite d’insurmontables difficultés probatoires, dues à la défaillance de la mémoire des témoins, voire à leur décès avant la mort du testateur. On comprend, dès lors, que la pratique méridionale ait rapidement eu recours au soutien de l’écrit. L’habitude s’est prise, dans les pays de droit écrit, de faire rédiger un procès-verbal des déclarations testamentaires par un témoin privilégié, le notaire. C’est cette pratique qu’entérina l’article 1er de l’ordonnance de 1735, qui imposa la rédaction d’un écrit pour tout acte de disposition à cause de mort. Le testament nuncupatif écrit est à l’origine de notre testament notarié (art. 971 et s. C. civ.), qui lui aussi est un testament sur dictée.
En définitive, le testament oral annoncé ne mérite guère son nom; il ne constitue qu’un nouvel avatar du testament par acte public35.

II. L’APPORT DE LA RÉFORME : LE POSSIBLE ET LE SOUHAITABLE

Il convient maintenant d’évoquer, plus précisément, certaines modifications de la législation consacrée aux testaments. Sans aucune prétention d’exhaustivité, on relèvera seulement ici quelques points sensibles qui touchent tant à la forme qu’à l’objet des dispositions testamentaires.
34. H. Regnault, op. cit., p. 134 s.
35. Sur la filiation des formes testamentaires depuis le droit romain, J.-Ph. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, Dalloz, 2002, no 900, p. 1216.
 
A. LE FORMALISME DU TESTAMENT

S’agissant des solennités testamentaires, la réforme à venir pourrait emprunter deux voies : la simplification et la valorisation.

1. La simplification des formes

En 1804, Bigot de Préameneu expliquait que « le plus grand défaut que la législation sur les testaments ait eu chez les romains, et depuis en France, a été celui d’être trop compliquée »; il ajoutait aussitôt qu’avec la législation nouvelle « on a cherché les moyens de la simplifier »36. En dépit de cette affirmation de principe, les codificateurs n’ont pas toujours su s’en tenir à l’essentiel. Le poids des traditions romaines et coutumières les a conduit à conserver dans le Code civil des solennités archaïques et, par suite, inadaptées. On rappellera, par exemple, que l’ancien article 976 imposait la présence, lors de la rédaction de l’acte de suscription du testament mystique, de six témoins en plus du notaire — et qu’un septième témoin était même requis dans l’hypothèse où le testateur se trouvait dans l’incapacité de signer (anc. art. 977). Il fallut attendre la loi du 8 décembre 1950 pour que la simplification des solennités testamentaires37 soit enfin à l’ordre du jour. Cinquante ans plus tard, on relève encore bien des exigences désuètes dans notre législation. L’allègement des formes reste à parachever.

a. Pluralité des formes testamentaires

L’alinéa 1er de l’article 957 de l’Offre reprend, à l’identique, l’article 969 du Code civil. On y retrouve l’annonce des trois formes testamentaires actuellement en vigueur (testament olographe, testament par acte public et testament mystique). Toutefois, actualisant la présentation de notre législation, l’alinéa 2 prend soin de mentionner la possibilité désormais offerte au testateur d’user de la forme internationale38.
On peut légitimement se demander s’il ne conviendrait pas, dans le cadre d’une réforme du droit testamentaire, de supprimer le testament mystique39. Celui-ci — dont le formalisme est encore très complexe — est un héritage du droit romain (le testamentum tripartitum de Justinien)40 recueilli successivement par l’ordonnance
36. P.-A. Fenet, op. cit., t. XII, p. 556.
37. Réécriture et modernisation des articles 971 à 974 C. civ. (testament par acte public), ainsi que des articles 976, 977, 979 et 980 C. civ. (testament mystique).
38. Depuis le 1er décembre 1994, il est permis de tester en France suivant la forme internationale. Son utilisation n’est nullement subordonnée à l’existence d’un élément d’extranéité.
39. « L’obsolescence des règles gouvernant le testament mystique montre, si besoin en était encore, la nécessité d’une intervention législative visant à les abroger » : J.-F. Montredon, La désolennisation des libéralités, LGDJ, 1989, no 356.
40. Les solennités du « testament tripartite » venaient à la fois de l’Ancien droit romain (il devait être fait en un seul trait de temps et devant témoins), du droit prétorien (sept témoins qui devaient apposer leur sceau) et du droit impérial (subscriptio des témoins). V. notamment, J.-Ph. Lévy et A. Castaldo, op. cit., no 878, p. 1193.
 
de Daguesseau, puis par le Code Napoléon. Une telle forme de tester est indéniablement utile dans certaines situations atypiques, en particulier au profit de testateurs handicapés41. Mais, de nos jours, le testament mystique fait double emploi avec le testament international créé, en 1973, par la convention de Washington42. Ce dernier n’est jamais qu’un testament mystique édulcoré43, dispensé notamment de l’apposition surannée du cachet de cire et du scellement. La loi Belge du 2 février 1983, qui a introduit la forme internationale en Belgique, a rationnellement supprimé le testament mystique44. Si l’on veut valoriser la forme internationale — jusqu’à présent totalement inusitée en France —, il y a là, nous semble-t-il, un exemple à suivre... Notre droit y gagnerait en simplicité.

b. Rénovation du testament notarié

Les articles 960 à 964 de l’Offre reproduisent fidèlement ceux que nous connaissons, depuis la loi de 1950, en matière de testament par acte public (art. 971 à 975 C. civ.). Une nouvelle fois, le sens de l’histoire, le respect des traditions et la prudence inhérente à l’activité législative l’ont emporté. Les rédacteurs de l’Offre n’ont pas suivi les invitations réformatrices, pourtant nombreuses, issues du monde notarial.
Les notaires, on le sait, délaissent la forme notariée au profit de la forme olographe, afin d’éviter de voir leur responsabilité civile engagée. Paradoxalement, les risques d’anéantissement d’un testament olographe sont moindres que ceux d’un testament notarié. Les solennités du premier (art. 970 C. civ.)45 sont en effet beaucoup plus faciles à respecter — et par suite à contrôler par le notaire — que celles du second. Au surplus, le secret des dispositions de dernières volontés est évidemment mieux garanti par un testament qui ne requiert pas la présence de témoins. Dans ces conditions, la simplification des rites imposés au testament authentique est des plus urgentes. D’autant que la loi du 3 décembre 2001 a revalorisé ce mode d’extériorisation de la volonté testamentaire, puisqu’il est désormais le seul permettant d’écarter le droit viager au logement du conjoint survivant (art. 764 C. civ.).
Est-il vraiment sérieux, s’il veut assurer au testament notarié le succès qu’il mérite, de conserver des solennités qui n’ont de raisons d’être qu’historiques — telles les mentions expresses46 requises à peine de nullité par l’article 972, aliéna 4, du
41. D. Lochouarn, « La capacité de tester des personnes atteintes de surdité, de mutité ou de cécité », JCP N 2000, p. 819.
42. Ch. Byk, « La forme internationale du testament », JCP N 1994, p. 331 ; L. Revillard, « Une nouvelle forme de testament : le testament international », Defrénois 1995, art. 36021.
43. Le testament international répond par là au souhait des notaires, qui réclament un allégement des rites imposés au testament mystique; 72e Congrès des notaires de France, La dévolution successorale, Deauville, 1975, p. 521.
44. P. Delnoy, Libéralités et successions, Liège, 1991, no 18, p. 37 s.
45. « Le testament olographe ne sera point valable, s’il n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur : il n’est assujetti à aucune autre forme ».
46. Sur les mentions relatives à l’accomplissement des formalités par le notaire, v. pour l’Ancien droit : H. Regnault, op. cit., p. 87 s.
 
Code civil? Ou encore, faut-il vraiment exiger la présence des témoins tout au long des opérations de rédaction? Le législateur espagnol, qui en 1991 a supprimé toute intervention des témoins instrumentaires, a judicieusement fait valoir qu’il fallait « permettre un plus haut degré de discrétion et de réserve pour un acte aussi intime que la disposition de dernière volonté »47. Dans le même esprit, l’Assemblée de liaison des notaires de France qui s’est tenue à Paris en décembre 2003 a, de nouveau, réclamé « que dans le cadre de la réforme du droit des successions actuellement en cours d’élaboration, le Conseil supérieur du notariat propose l’allègement des règles de forme du testament authentique, notamment par la suppression des témoins et du
second notaire »48.
Le législateur pourrait prendre pour base de travail les propositions qui ont été faites par le notariat. Déjà en 1975, le 72e Congrès des notaires de France avait émis l’idée d’un testament par acte public entièrement renouvelé : « Le notaire serait chargé de rédiger lui-même le testament sur les instructions précises du disposant, sans que celui-ci soit nécessairement présent... L’acte ainsi rédigé serait lu, soumis à l’approbation du testateur qui le signerait hors la présence des témoins. À la suite, les deux témoins instrumentaires seraient simplement requis de constater que telle personne a consigné ses dispositions à cause de mort »49. L’éviction des témoins de la phase de rédaction de l’acte dévolutif mérite l’approbation. Il n’est pas certain, en revanche, que la suppression de la dictée soit vraiment opportune. C’est une chose d’énoncer oralement sa volonté, c’en est une autre de se contenter de la lire sous la plume d’autrui. On court le risque d’une transposition moins fidèle des dernières volontés, d’une attention moins soutenue du testateur qui, souvent, s’en remettra à son conseil.

2. La valorisation de la forme olographe

Le testament olographe est, par excellence, l’instrument d’exercice de la liberté testamentaire. Mais il s’agit d’un acte éminemment fragile. Acte solennel, il est soumis à trois conditions de forme (écriture, signature et datation) qui ne sont pas toujours bien comprises des testateurs; d’où de sérieux risques d’annulation des dernières volontés. Acte sous seing privé, il est sujet à une éventuelle dénégation d’écriture, ou de signature, par les héritiers du disposant.
Afin de renforcer l’efficacité du procédé, l’Offre de loi propose d’introduire une formalité inédite et salvatrice (art. 958-1 de l’Offre). Lorsqu’un testament olographe préalablement clos sera déposé à l’étude d’un notaire, celui-ci devra mentionner la date du dépôt sur le document remis; « cette mention vaudra comme date du testament qui n’aurait pas été daté par le testateur ou qui l’aurait été imparfaitement ».
47. Cité par A.M. Morales Moreno, chron. de droit espagnol, RTD civ. 1993, p. 440; également
J. Picard, « De quelques réformes en droit espagnol », JCP N 1995, p. 527.
48. Proposition AL 2003 — 8 bis; Defrénois 2004, actualités, p. 4.
49. 72e Congrès des notaires de France, La dévolution successorale, Deauville, 1975, p. 519.
 
La nouvelle mission impartie à l’officier public devrait permettre de sauver quelques testaments olographes qui, en dépit des assouplissements jurisprudentiels50, restaient menacés d’une action en nullité.
Ce n’est pas la première fois que le dépôt volontaire retient l’attention des réformateurs. La Commission de réforme du Code civil avait proposé d’attribuer une force probante renforcée au testament olographe déposé personnellement par le testateur. L’article 908 de l’avant-projet prévoyait, en ce sens, que « si le testament avait été mis en dépôt par le testateur entre les mains d’un notaire, l’écriture sera réputée émaner du testateur, tant qu’une procédure de vérification n’aura pas abouti à la constatation du contraire ». Le 72e Congrès des notaires de France s’était à son tour, en 1975, prononcé en faveur d’une semblable innovation51.
On pourrait, sans abus, songer à combiner ces propositions : le dépôt notarié assurerait la datation et confèrerait une force probante renforcée à l’écriture.

B. LE CONTENU DU TESTAMENT

L’objet de cet acte de dernière volonté qu’est le testament est extrêmement varié52. Dès lors, de très nombreuses modifications de la législation pourraient être utilement envisagées. À titre d’illustrations, on s’intéressera à la classification des legs et aux pouvoirs de l’exécuteur testamentaire.

1. La classification des legs

Depuis le Code de 1804, le droit français admet une classification tripartite des libéralités testamentaires. Antérieurement, l’Ancien droit se contentait d’opposer le legs universel, qu’il appelait aussi « legs à titre universel », au legs particulier, dit encore « legs à titre particulier »; le premier portant sur une universalité, le second sur un bien ou sur un droit déterminé. Le projet de la Commission du gouvernement (1801) n’avait pas été au-delà53. Mais au cours des débats devant le Conseil d’État (mars 1803), en désaccord sur l’attribution de la saisine aux « héritiers institués » (c’est-à-dire aux légataires), les codificateurs ont eu l’initiative — vraisemblable
50. M. Grimaldi, « La jurisprudence et la date du testament olographe », D.1984, chron. 253; C. Feddal, « La date du testament olographe », JCP 1989, I, 3423.
51. Les notaires ont proposé que le testateur, muni d’une pièce d’identité, remette son testament à l’officier public qui lui en délivrerait reçu. Le notaire dépositaire, chargé de la conservation de l’acte, profiterait de l’occasion pour vérifier la validité des dispositions prises ou, si le testament lui est remis cacheté, avertir le testateur des cas d’annulation pouvant survenir. Ainsi l’acte serait protégé et il incomberait alors aux héritiers contestataires de rapporter la preuve qu’il s’agit d’un faux. 72e Congrès des notaires de France, La dévolution successorale, Deauville, 1975, p. 512-513.
52. V., notamment, M. Grimaldi, « Les dernières volontés », Écrits en hommage à Gérard Cornu, PUF, 1994, p. 177 s.
53. Le Code civil conserve encore quelques traces de ce dualisme originel. En particulier l’article 871, qui oppose le « légataire à titre universel » au « légataire particulier ».
 
ment à la demande de Tronchet ou de Cambacérès54 — d’établir une catégorie intermédiaire : le legs à titre universel (art. 1002 C. civ.).
Le périmètre de ce nouveau venu est aussi maladroit qu’arbitraire :
– d’une part, l’énumération de l’alinéa 1er de l’article 1010 témoigne d’une mauvaise compréhension de la catégorie créée. Dans le droit du Code civil55, les immeubles ou les meubles (voire une quotité fixe d’entre eux) ne constituent pas des universalités; à proprement parler le legs de la totalité des immeubles ou des meubles ne peut donc pas être « à titre universel »... Au reste, pourquoi limiter cette appellation extravagante aux seuls immeubles et meubles, pourquoi ne pas l’étendre alors à d’autres ensembles de biens?
– d’autre part, et plus fondamentalement, la vocation à une fraction du tout mérite-t-elle d’être traité différemment de la vocation au tout? Il est permis d’en douter56. Qu’il s’agisse de la saisine ou du passif, on pourrait, sans mal, faire l’économie de la notion de « legs à titre universel ».
En dépit de ces critiques bien connues, l’Offre de loi maintient le triptyque napoléonien. L’article 954 de l’Offre est le décalque de l’article 1002 du Code civil : « Les dispositions testamentaires sont ou universelles, ou à titre universel, ou à titre particulier ». Il convient, cependant, de signaler une innovation remarquable dans l’énumération légale des cas de « legs à titre universel ». Aux immeubles ou aux meubles (ou à une quotité fixe d’entre eux), l’article 971, alinéa 2, de l’Offre ajoute un nouvel ensemble de biens : « tout ou partie d’une exploitation agricole ou d’une entreprise commerciale, industrielle, artisanale ou libérale susceptible d’attribution préférentielle... ». Dans le prolongement de cette règle originale, le projet indique, quant à l’obligation au passif, que « le testateur peut... imposer au légataire d’une entreprise ou d’une exploitation de supporter tout le passif y afférent, à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à sa réserve » (art. 978 de l’Offre).

2. Les pouvoirs de l’exécuteur testamentaire

En 1804, les codificateurs n’ont accordé à l’exécuteur testamentaire que des pouvoirs modestes57. Selon le Code, il est seulement chargé de « veiller » à l’exécution des
54. Lors de la séance du 27 ventôse an XI (18 mars 1803), Tronchet, puis Cambacérès ont demandé et obtenu, à l’extrême fin de la discussion, qu’on renvoie à la Section (comité chargé de trancher les questions délicates) le sort de « l’héritier qui n’était institué que pour partie » : P.-A. Fenet, op. cit., t. XII, p. 397. Et dans un élan transactionnel, la Section a donné naissance au « legs à titre universel »...
55. Il en allait, il est vrai, différemment dans l’Ancien droit. L’article 1010 a subi l’influence de Pothier (« Des donations testamentaires », chap. II, sect. I, § 2) qui enseignait que l’ensemble des biens de chaque espèce (les meubles, les acquêts, les propres...et autres genera subalterna) formait des universalités patrimoniales.
56. En ce sens, Ph. Malaurie, Les successions, les libéralités, Defrénois, 2004, no 538. : la catégorie legs à titre universel « complique inutilement la théorie du legs car une fraction à la même nature que le tout ».
57. V. notamment, F. Letellier, « Les pouvoirs de l’exécuteur testamentaire — approche pratique », JCP N 2001, p. 1548 s.
 
dernières volontés (art. 1031, al. 4 C. civ.). N’ayant qu’une mission de surveillance58, il ne peut donc ni délivrer les legs, ni payer les dettes successorales.
Le testateur est en droit d’élargir ses prérogatives en lui accordant une saisine spéciale : mais celle-ci ne porte que sur les meubles et a une durée limitée à « un an et un jour » (art. 1026 C. civ.). Dans le silence des textes, la jurisprudence a heureusement permis au testateur d’étendre encore un peu plus les moyens de l’exécuteur testamentaire : il peut, par une clause spéciale, l’autoriser à vendre des immeubles59 ou à procéder au paiement du passif60, pourvu toutefois qu’il ne laisse pas d’héritier réservataire.
Après-guerre, la Commission de réforme du Code civil s’était prononcée en faveur d’un accroissement significatif des pouvoirs reconnus aux exécuteurs testamentaires (art. 971 à 983 av.-pr.). L’avant-projet proposait de permettre à l’exécuteur non saisi d’intervenir dans la délivrance des legs, soit en coordination avec les héritiers, soit seul si ceux-ci restent passifs. Quant à la saisine spéciale, l’avantprojet prévoyait de l’étendre aux immeubles et de l’accorder pour un maximum de deux ans, renouvelable par ordonnance du président du Tribunal. Il avait même été imaginé qu’en l’absence de toute disposition du testament, le président du Tribunal puisse, de lui-même, accorder cette saisine à l’exécuteur testamentaire.
L’Offre de loi reprend certaines de ces propositions (en particulier, le délai de deux ans, prorogeable une fois par ordonnance du président du Tribunal de grande instance — art. 1000 de l’Offre). Mais, sur ce terrain, le texte le plus intéressant est sans conteste l’article 999 de l’Offre. Il dispose : « En l’absence d’héritiers réservataires acceptants, le testateur peut, en outre, habiliter l’exécuteur testamentaire à disposer en tout ou partie des immeubles de la succession, recevoir et placer les capitaux, payer les dettes et les charges et procéder à l’attribution ou au partage des biens subsistants entre les héritiers et les légataires ».
Dans leur commentaire, les auteurs de l’Offre ont insisté sur l’importance des bouleversements proposés : « Il n’est pas exagéré de dire que ces derniers pouvoirs, que le testateur peut désormais conférer à l’exécuteur testamentaire constituent une véritable révolution dans notre droit successoral. Voici, par exemple, une succession dévolue à des frères et sœurs du de cujus, qui certes ne sont pas des héritiers réservataires, mais qui n’en ont pas moins la saisine légale; eh bien, de la même façon que le testateur aurait pu les écarter purement et simplement de la succession, il pourra, en les y laissant, les priver du droit de procéder eux-mêmes à la liquidation et au partage de la succession, et transférer ce droit à un exécuteur testamentaire »61.
58. Civ., 15 avril 1867, DP 1867, 1, 295 : « Ce droit d’intervention conféré par l’article 1031 du Code Napoléon à l’exécuteur testamentaire est exercé par lui dans un simple intérêt de surveillance ».
59. Cass. req., 8 août 1848, DP 1848, 1, 188; S 1849, 1, 66; req., 17 avril 1855, DP 1855, 1, 201; S 1856, 1, 253.
60. Civ., 23 janvier 1940, DC 1941, p. 104, note A. trasbot.
61. Offre de loi, préc., p. 74.
62. R. von Ihering, L’esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, trad. O. de Meuleneare, 1877, t. III, p. 196.

CONCLUSION

Le droit des libéralités n’est probablement pas une terre propice aux lois de rupture. Et en son sein, le droit des testaments fait figure de roc sur lequel se briseraient tous les projets trop radicaux, tous ceux qui prétendraient oublier les leçons du passé.
Les propositions de l’Offre de loi — même si quelques fois nous les aurions personnellement souhaitées plus audacieuses — présentent l’immense avantage d’une intégration aisée dans notre droit civil. On y retrouve, pour une large part, des idées de réforme qui sont dans l’air du temps depuis plus d’un demi-siècle.
Comme a pu le constater Ihering, « la sûreté et la fixité de tout progrès (en droit) reposent sur la continuité historique, sur la liaison intime du présent avec le passé »62.
 
 
La réforme des libéralités familiales

Nathalie Peterka
Professeur à la Faculté de droit de l’Université Paris 12


1.– Qui dit « libéralité » pense aussitôt « libéralité familiale », tant il est vrai que la famille apparaît comme le lieu privilégié — sinon naturel — de la générosité et de la solidarité. Et de fait, les rédacteurs du Code civil avaient envisagé les libéralités à l’aune des relations familiales. Ils les ont considérées tout à la fois comme un danger pour la famille du disposant et comme un bienfait, un stimulateur de l’affection filiale. Les libéralités représentent, d’abord, un danger pour la famille du disposant car elles sont avant tout le moyen de priver les héritiers de leur part dans la succession de leur auteur. Mais ce danger des libéralités en constitue également la force. Les libéralités apparaissent aussi comme un bienfait en ce qu’elles sont, pour l’ascendant, un moyen de « récompenser et de punir »1, afin d’asseoir son autorité au sein de la famille2.
2.– Si les libéralités et la famille forment un couple indissociable, il n’en demeure pas moins que l’expression de « libéralité familiale » mérite d’être précisée. De quelles libéralités et de quelles familles s’agit-il?
De quelles libéralités? Le Code civil ne comporte pas de définition de la notion de libéralité. L’article 893 se contente d’en énoncer deux modèles, sous la forme d’un numerus clausus. Le texte ouvre au disposant une alternative — unique — entre la donation entre vifs et le testament. L’une et l’autre constituent le support commun
* Le présent rapport est la reproduction de notre communication au colloque. Son style oral a été, pour l’essentiel, conservé. Depuis la rédaction de ce rapport, l’Assemblée nationale a été saisie d’un projet de loi portant réforme des successions et des libéralités. On regrettera que, dans sa version actuelle, le projet ne reprenne pas les propositions de l’Offre de loi relatives aux libéralités graduelles (Projet de loi portant réforme des successions et des libéralités, Ass. nat., no 2427, 29 juin 2005; AJ fam. no 5/2005, p. 167; D. 2005, act. p. 1799. Adde Ph. Malaurie, « Examen critique du projet de loi portant réforme des successions et des libéralités », Defrénois 2005, art. 38298, p. 1963).
1. J.-L. Halpérin, Le Code civil, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 1996, p. 52 (citant Portalis).
2. Portalis, Recueil Fenet, Paris, 1827, t. 12, p. 508, cité par X. Martin, « Nature humaine et Code Napoléon », Droits 1985, no 2, p. 117 s., spéc. p. 119, note 6.
 
des libéralités faites aux tiers et des libéralités familiales. Mais, en ce dernier domaine, le Code civil procède à une déclinaison — voire à une altération — des modèles. C’est le cas, tout d’abord, s’agissant des libéralités conjugales. L’article 1096 tolère, jusqu’au premier 1er janvier 2005, la révocation ad nutum des donations de biens présents entre époux3. Quant à l’article 1093 et au futur article 1096, ils consacrent expressément la donation de biens à venir entre époux. Et l’article 1082 en admet la validité lorsqu’elle est consentie, par contrat de mariage, aux futurs époux et aux enfants à naître du mariage.
Le Code civil comporte, ensuite, des dispositions spécifiques concernant les libéralités aux descendants. C’est la réforme de ces dernières qui sera ci-après explorée. S’agissant des libéralités aux descendants, le Code civil oscille, comme pour les libéralités en général, entre suspicion et faveur. La suspicion se porte nettement sur les libéralités en faveur du lignage. L’article 896 proclame la prohibition des substitutions fidéicommissaires4, comme étant tout à la fois constitutives d’un pacte
3. L’application dans le temps de l’article 21 de la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, abrogeant la révocabilité ad nutum des donations de biens présents entre époux (ancien art. 1096 C. civ.), n’est pas sans susciter des difficultés. S’agissant des donations consenties avant le 1er janvier 2005, il semble a priori que l’action de la loi nouvelle soit paralysée. Le principe de la survie de la loi ancienne, en matière contractuelle, commande de soumettre les effets à venir des contrats en cours à la loi en vigueur au jour de leur conclusion. Il en est spécialement ainsi des causes de résolution ou de résiliation des contrats qui « doivent être déterminées par la loi en vigueur au jour du contrat, parce que c’est sur la foi de cette loi que le contrat a été passé » (P. Roubier, Le droit transitoire, 2e éd., Dalloz et Sirey, 1960, no 75 et no 76, p. 367). Dans une telle analyse, les donations conjugales antérieures au 1er janvier 2005 demeurent librement révocables après cette date (en ce sens, J. Rubellin-Devichi, « Le nouveau droit du divorce », JCP G 2004, Act., 251. Adde, quoique plus nuancé, F. Sauvage, « Des conséquences du divorce sur les libéralités entre époux et les avantages matrimoniaux », Defrénois 2004, art. 38038, p. 1425, spéc. no 12, note 20). Roubier (op. cit., no 82 s., p. 413 s.) enseigne cependant que la survie de la loi ancienne doit être écartée, au profit de l’application immédiate de la loi nouvelle, toutes les fois que cette dernière régit, non pas seulement les conditions de validité et les effets du contrat, mais son statut légal. Il en est ainsi toutes les fois que les dispositions nouvelles reposent sur des exigences d’intérêt général et qu’elles visent des sujets de droit déterminés, non pas en qualité de contractants, mais en tant que catégorie de personnes soumises à un statut légal particulier (par exemple, les héritiers, les contribuables, les salariés). Il ne paraît pas excessif de soutenir que l’article 21 de la loi du 26 mai 2004 participe du statut légal du contrat et qu’il est, à ce titre, d’application immédiate. Le législateur a cherché, en effet, à atteindre les époux ès qualité et non pas en tant que donateur et donataire. La finalité poursuivie par la loi de mettre un terme au décalage entre, d’une part, les donations entre concubins ou partenaires liés par un PACS et, d’autre part, les donations entre époux milite en ce sens (v. rapport. P. Gélard, Doc. Sénat, no 120, 2003-2004, p. 133). Reste alors la question de l’application dans le temps de l’article 23 de la loi, abrogeant la nullité des donations déguisées entre époux ou faites par personnes interposées (ancien art. 1099 al. 2 C. civ.). Dans la mesure où les conditions de validité d’un contrat s’apprécient au jour de sa conclusion, les libéralités consenties avant le 1er janvier 2005 demeurent annulables après cette date (en ce sens, A. Bénabent, La réforme du divorce article par article, Defrénois, 2004, p. 33). La dissociation des domaines d’application dans le temps des dispositions des articles 21 et 23 de la loi nouvelle ne semble toutefois pas opportune, surtout si l’on songe que l’abrogation de la nullité des donations déguisées entre époux constitue le corollaire de celle de la révocabilité des donations conjugales de biens présents. Dans cette vue, il paraît légitime de rattacher l’abrogation de l’article 1099 alinéa 2 au statut légal de la donation et, par suite, de l’appliquer immédiatement aux donations en cours.
4. Cette prohibition connut une exception de courte durée, de 1807 à 1849, avec le rétablissement des majorats. V., G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil d’après le traité de Planiol, t. IV, LGDJ, Paris, 1959, no 3867.
 
sur la succession future du grevé, contraires à sa liberté de disposer à titre gratuit, à l’interdiction de gratifier les personnes futures et indéterminées et à l’égalité successorale5. La prohibition n’est cependant pas absolue. Les articles 1048 et 1049 autorisent le disposant à grever de substitution ses enfants ou ses frères et sœurs au profit de leurs enfants nés ou à naître, afin de protéger le patrimoine familial6.
La faveur à l’endroit des libéralités familiales transparaît, quant à elle, de la réglementation du partage d’ascendant, et notamment, de la donation-partage. Conçue comme un acte d’autorité parentale, cette dernière représente le parangon des libéralités aux successibles7. Initialement soumise aux règles du partage, la donation-partage fut réformée en profondeur par la loi du 3 juillet 19718. Il reste qu’en dépit de cette réforme, elle se révèle aujourd’hui largement inadaptée à la nouvelle physionomie de la famille.
3.– De quelles familles parlons-nous en effet? En 1804, la question aurait sans doute paru incongrue. Le modèle familial désignait invariablement un homme et une femme mariés et les enfants issus de cette union. En 2004, la structure de la famille a changé, sous l’influence d’un double phénomène. Le premier correspond à l’allongement de la durée de vie humaine9. Aujourd’hui, la famille regroupe non seulement les parents et les enfants, mais aussi les petits-enfants, voire les arrière-petitsenfants10. L’allongement de l’espérance de vie a modifié la donne successorale. La transmission héréditaire ne remplit plus son rôle d’établissement des enfants dans la vie active. En 1804, l’héritier était un jeune homme, dans la force de l’âge, à l’établissement duquel les parents devaient contribuer. La dévolution légale, doublée de la réserve héréditaire, permettait de remplir ce devoir familial. En 2004, l’héritier a vieilli. Il s’agit le plus souvent d’un cinquantenaire, parfois au seuil de la retraite. Le successeur recueille l’héritage à un moment où il n’en a, en principe, plus besoin, où l’héritage reçu sera thésaurisé. Aussi, est-il souvent judicieux de consentir une libéralité avec saut de génération, afin de gratifier ceux qui en ont économiquement besoin. « Les petits-enfants d’aujourd’hui sont les enfants d’hier »11. Le droit des libé
5. Bigot de Préameneu, « Exposé des motifs », in Arch. parlem., par Mavidal et Laurent, Recueil com
plet des débats législatifs et politiques des chambres françaises de 1800 à 1860, t. VII, 1re partie, 1866, p. 433. 6. Bigot de Préameneu, séance du 14 pluviôse an XI, in Arch. parlem., préc., p. 434. 7. Bigot de Préameneu, in Arch. parlem., préc., p. 599.
8. Cette dernière a reconnu au disposant la liberté de composition des lots, celle d’exclure un descendant de la donation-partage et de fixer la date d’évaluation des biens. La loi du 5 janvier 1988 a parachevé cette évolution libérale, en permettant au donateur d’inviter un tiers à la donation-partage, aux côtés des descendants, lorsqu’il s’agit d’organiser la transmission d’une entreprise individuelle (art. 1075 al. 3 C. civ.).
9. L’espérance de vie a gagné plus de 10 ans en moins d’un demi-siècle. Elle est de 75,2 ans pour les hommes et de 82,7 ans pour les femmes, L’Express 28 novembre 2002, « Petits-enfants. Pourquoi et comment les aider », par J. Joly.
10. Un Français sur deux a au moins un petit-enfant à 56 ans. À 66 ans, les trois-quarts en ont un. Sur 12,5 millions de grands-parents, 2 millions sont arrières grands-parents. V. L’Express 28 novembre 2002, art. préc.
11. La formule est de Ph. Renard. V. L’Express 28 novembre 2002, art. préc.

ralités ne répond pas à ce constat démographique. Il interdit aux grands-parents de gratifier les petits-enfants au-delà de la quotité disponible12. Il s’oppose également à ce que les petits-enfants soient appelés par leurs aïeux à une donation-partage, seraitce aux côtés de leurs parents13.
Le second phénomène auquel se trouve confrontée la famille, est celui des recompositions familiales. Les dispositions du Code civil ont été écrites pour la famille traditionnelle. La famille recomposée est exclue du bénéfice de la donationpartage, de même qu’elle l’est de celui des substitutions permises.
4.– La mise en adéquation du droit des libéralités avec la réalité démographique et sociologique implique ainsi l’élargissement de la donation-partage et des substitutions. En 2003, le Conseil supérieur du notariat a remis au garde des Sceaux une proposition de réforme des libéralités en ce sens. De son côté, la doctrine n’est pas en reste. Ses membres les plus éminents, en les personnes de Jean Carbonnier et de MM. Catala, de Saint-Affrique et Morin, ont rédigé une « Offre de loi » à l’adresse du législateur14. Cette offre propose, à son tour, de rénover, de manière substantielle, la donation-partage et les substitutions. Aussi, seront explorées, d’abord, la réforme de la donation-partage (I) puis celle des substitutions (II).

I. LA RÉFORME DE LA DONATION-PARTAGE

5.– La réforme de la donation-partage poursuit l’ajustement de cette dernière aux mutations de la société contemporaine. Les recompositions familiales et l’allongement de la durée de vie humaine conduisent à souhaiter la double ouverture de cette libéralité aux beaux-enfants (A), d’une part, et aux petits-enfants (B), d’autre part. On les envisagera les uns après les autres.
12. Même si le droit fiscal encourage les donations avec saut de génération. V. art. 790 B CGI prévoyant un abattement de 30 000 euros sur la perception des droits de mutation à titre gratuit entre vifs, pour les donations entre grand-parent et petit-enfant. Adde, loi no 2003-1311 du 30 décembre 2003, JO 31 décembre 2003, instaurant une réduction de droits de 50 %, quelque soit l’âge du donateur, sur les donations consenties en pleine propriété entre le 25 septembre 2003 et le 30 juin 2005. V. Instr. du 6 novembre 2003, BOI 7 G-5-03; Defrénois 2004, art. 37869, p. 164. La loi de finances pour 2005 (loi no 2004-1484 du 30 décembre 2004, JO du 31 décembre 2004) a prolongé ce dispositif jusqu’au 31 décembre 2005. Afin d’encourager les jeunes générations à consommer, la loi no 2004-804 du 9 août 2004, pour le soutien à la consommation et à l’investissement fait bénéficier les dons de sommes d’argent consentis en pleine propriété, entre le 1er juin 2004 et le 31 mai 2005, aux enfants et aux petitsenfants âgés de 18 ans révolus, d’une exonération totale des droits de mutation à titre gratuit dans la limite de 20000 euros. Cette mesure se cumule, le cas échéant, avec l’abattement de 30000 euros prévu par l’article 790 B du CGI. V. Instr. 8 juin 2004, BOI 7 G-2-04; JCP N 2004, en bref, p. 1023.
13. Exception faite de l’article 1075 alinéa 3 du Code civil.
14. J. Carbonnier, P. Catala, J. de Saint-Affrique, G. Morin, Des libéralités. Une offre de loi, Defrénois, 2003, préface J. Carbonnier. Sur laquelle, M. Beaubrun, « Quelques observations sur une offre de loi dénommée “Des libéralités” », Defrénois 2004, art 38039, p. 1439.
 

A. L’OUVERTURE DE LA DONATION-PARTAGE AUX BEAUX-ENFANTS

6.– L’ouverture de la donation-partage aux beaux-enfants se heurte, en l’état actuel du droit, aux dispositions de l’article 1075 alinéa 1er du Code civil. Le texte restreint le cercle des bénéficiaires de la donation-partage aux seuls successibles de l’ascendant donateur. Les beaux-enfants — qui n’ont pas de vocation ab intestat dans la succession de leur parâtre ou de leur marâtre — en sont donc exclus.
7.– Il en est du moins ainsi de la donation-partage simple, c’est-à-dire de celle qui est l’œuvre d’un seul ascendant. La donation-partage conjonctive est, en revanche, davantage perméable aux recompositions familiales. Ici, les époux font masse de leurs biens pour les partager entre leurs enfants. La doctrine admet majoritairement qu’un couple marié puisse appeler à la donation-partage non seulement les enfants communs mais aussi les enfants d’une précédente union15. Où se situe alors la difficulté? Elle tient à l’étendue des droits dont chaque enfant peut être alloti. La donation-partage étant un acte d’anticipation successorale, elle ne doit pas conduire à attribuer à un enfant des biens sur lesquels il n’a aucun droit en tant que successible. Aussi, la doctrine dominante enferme la donation-partage conjonctive incluant des enfants de lits différents dans une double limite. D’une part, le descendant ne doit être alloti que du chef de son auteur et, d’autre part, il ne doit pas recevoir des biens propres de l’autre époux16.
8.– Un arrêt de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 14 octobre 1981 est venu cependant jeter le trouble sur cette solution17. En l’espèce, un couple marié en troisièmes noces avait procédé à une donation-partage conjonctive entre ses quatre enfants, dont deux étaient issus d’un précédent mariage du mari. La donation-partage incluait à la fois les biens propres du mari et les biens communs du couple. La Cour de cassation censure les juges du fond ayant refusé de prononcer la nullité de la libéralité, au motif que l’« épouse en troisièmes noces n’étant pas l’ascendante des enfants du second lit, [elle] ne pouvait inclure ces derniers parmi les bénéficiaires d’une donation-partage, fût-elle conjonctive, portant indistinctement sur les biens des deux époux ». Une analyse exégétique de l’arrêt conduit à condamner la possibilité de former le lot des enfants d’un premier lit à partir des biens communs du couple18. Diversement interprété19, l’arrêt laisse planer un doute sur les
15. À la condition qu’il y ait une pluralité d’enfants à l’égard de chaque époux.
16. En ce sens, P. Catala, La réforme des liquidations successorales, 3e éd., Defrénois, préface J. Carbonnier, no 111; M. Grimaldi, Droit civil. Libéralités. Partages d’ascendants, Litec, 2000, no 1766.
17. Civ. 1re, 14 octobre 1981, JCP N 1982, II, p. 146, note M. Dagot ; D. 1982, IR p. 236, obs. D. Martin; Defrénois 1982, p. 431, obs. G. Champenois; RTD civ. 1982, p. 646; obs. J. Patarin; JCP N 1983, II, p. 54, obs. Ph. Rémy; Journ. not. 1983, art. 57071, obs. A. Raison. Adde, J.-M. Bez, « La donation-partage par deux époux en présence d’enfants de plusieurs lits », JCP N 1983, I, p. 283 s.
18. À l’égard de l’enfant non commun, la libéralité est une donation-partage simple, de telle sorte qu’elle renvoie à la controverse relative à la possibilité d’inclure un bien de communauté dans une pareille donation. V., M. Grimaldi, Libéralités. Partages d’ascendants, op. cit., no 1756, note 59.
19. V. supra, notes 16 et 17.
 
droits des beaux-enfants au sein d’une donation-partage conjonctive, ce qui préjudicie à la sécurité de la transmission.
9.– C’est pourquoi, le notariat20 et une partie de la doctrine21 appellent de leurs vœux l’insertion dans le Code civil, de dispositions spécifiques permettant d’inclure des enfants de lits différents dans une donation-partage conjonctive. Il serait opportun d’admettre que les époux puissent gratifier les enfants d’une précédente union, au moyen non seulement des biens propres de leur auteur, mais aussi des biens communs du couple voire des biens propres de l’autre conjoint. On pourrait d’ailleurs aller plus loin et autoriser la donation-partage conjonctive en l’absence d’enfants communs, voire la donation-partage simple incluant les enfants de l’autre conjoint22.
10.– Il reste que l’ouverture de la donation-partage aux beaux-enfants ne résoudrait pas toutes les difficultés. Tout d’abord, il serait indispensable de la combiner avec une réforme de la fiscalité. Les beaux-enfants sont actuellement traités comme des étrangers, à l’égard de leur parâtre ou de leur marâtre. Les libéralités que ces derniers leur consentent sont assujetties au taux de 60 %. La fiscalité est ici en décalage avec la réalité sociologique, si on songe au nombre d’enfants élevés par un beau-père ou une bellemère23. Ensuite, l’ouverture de la donation-partage aux beaux-enfants ne permettrait pas, à elle seule, de réaliser l’égalité patrimoniale entre les enfants de lits différents. En effet, l’égalité se heurte ici à l’obstacle de la réserve héréditaire. Prenons l’exemple d’un homme ayant trois enfants d’une première union24. Il se remarie, un enfant naît de cette seconde union. L’enfant commun doit recevoir sur les biens du couple, au titre de sa réserve, une part supérieure à celle de ses demi-frères et de ses demi-sœurs. L’intangibilité de la réserve interdit au nouveau couple de répartir les biens par portions égales entre tous les enfants, sauf à recourir à l’adoption25 ou à l’assurance vie qui permet de transmettre un capital hors succession26.
20. Le questionnaire relate que 77 % des notaires souhaitent des dispositions spécifiques permettant d’inclure des enfants de lits différents dans une donation-partage conjonctive. V., 100e Congrès des notaires, op. cit., p. 920, note 1311.
21. V., H. Fulchiron, « La transmission des biens dans les familles recomposées », Defrénois 1994, art. 35853, p. 833 s.
22. On relèvera que, pour l’heure, la loi no 2002-305 du 4 mars 2002, ayant abrogé l’article 1100 du Code civil, taille une brèche en faveur des donations simples aux beaux-enfants. Ces derniers ne sont plus présumés être des personnes interposées entre le donateur et son époux F. Sauvage, « La discrète abrogation de l’article 1100 du Code civil », JCP N 2002, 1347.
23. Parmi les enfants dont les parents sont séparés, 26 % résident avec un beau-père, 3 % avec une belle-mère et 22 % avec des demi-frères. Un enfant sur trois ne voit jamais son père. V., C. Villeneuve-Gkalp, « Les comptes d’une rupture », in « L’enfant séparé », revue Mutations oct. 2001; M. Gaillard et A. Leguy, Vivre en famille recomposée, Vuibert, coll. « Guid’Utile », 2002 cités in 100e Congrès des notaires, op. cit., p. 924, note 1319.
En Europe, l’Allemagne et la Suède font bénéficier les beaux-enfants du même statut que les enfants du couple. En France, le rapport au Sénat de M. Ph. Marini (no 65, session ord. 2002-2003) propose d’étendre aux familles recomposées le barème fiscal en ligne directe, après un abattement de 15000 euros. V. 100e Congrès des notaires, op. cit., p. 924.
24. V. 100e Congrès des notaires, ibid.
25. Adoption simple ou adoption plénière.
26. V. art. L. 132-12 et L. 132-13 C. assur.
 
11.– Pour remédier à ce déséquilibre, le notariat propose de consacrer la validité de certains pactes successoraux. Les enfants — ou l’un d’entre eux — pourraient renoncer, au moyen de ces pactes, à tout ou partie de leur réserve. L’enfant commun pourrait s’engager, par avance, à ne pas agir en réduction des libéralités faites à ses demi-frères et sœurs27. Ces pactes de renonciation fonctionnent en Suisse et en Allemagne28. En France, leur admission serait doublement révolutionnaire. Elle impliquerait, d’une part, de passer outre la réserve héréditaire et, d’autre part, de s’affranchir de la prohibition des pactes sur succession future. Mais il est vrai que l’une comme l’autre ne cessent de décliner29.
12.– Si l’aspiration à l’égalité patrimoniale est sans doute légitime, il convient néanmoins de tempérer l’enthousiasme que peuvent susciter les pactes de renonciation. L’égalité et la fraternité ne font pas toujours bon ménage dans les familles recomposées. Si les pactes de renonciation étaient consacrés, des précautions fondamentales devraient être prises de nature à protéger le renonçant. Les règles de capacité devraient être strictes. Il serait judicieux d’édicter à l’égard du mineur une incapacité de jouissance sur le modèle de celle qui existe en matière de donations entre vifs30. L’authenticité notariale constituerait également une garantie de l’intégrité du consentement du renonçant. De semblables précautions devraient pareillement entourer l’ouverture de la donation-partage aux petits-enfants.

B. L’OUVERTURE DE LA DONATION-PARTAGE AUX PETITS-ENFANTS

13.– L’ouverture de la donation-partage aux petits-enfants se heurte, à son tour, à l’article 1075 du Code civil. Comme il a été dit, ce texte restreint le cercle des bénéficiaires de la donation-partage aux héritiers présomptifs. Les petits-enfants ne peuvent ainsi être invités par leurs grands-parents à une donation-partage qu’en représentation de leur auteur prédécédé31.
14.– L’exclusion des petits-enfants de la donation-partage est en décalage avec l’allongement de l’espérance de vie humaine. Le droit fiscal l’a bien compris. Il multiplie les abattements accordés aux donations entre grands-parents et petits-enfants32. Pour sa part, le droit civil tarde à s’adapter au vieillissement de la famille. Plusieurs propositions — visant notamment à favoriser la transmission de l’entreprise fami
27. V. 100e Congrès des notaires, op. cit., p. 923 s.
28. 100e Congrès des notaires, op. cit., p. 911 et 914; J.-Cl. législ. comp. : Suisse, fasc. 3, no 119 s.
29. Y. Flour, « Libéralités et libertés. Libéralités et personnes physiques », Defrénois 1995, art 36142; F. Terré, Y. Lequette, Droit civil. Les successions. Les libéralités, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis »,
1997, no 616 s.
30. V. art. 903 et 904 C. civ.
31. Encore qu’il faille ajouter le cas dans lequel l’ascendant entend transmettre une entreprise individuelle. Dans cette hypothèse l’article 1075 alinéa 3 l’autorise à attribuer l’entreprise à un tiers, qui peut être son petit-fils.
32. V. supra, note 12.
 
liale — ont pourtant été émises en vue de remédier à ce divorce du droit et de la démographie33. La première d’entre elles tendait à introduire dans le Code civil la notion de « pacte de famille ». Il était proposé de permettre aux enfants de renoncer par ce pacte, de manière définitive, à leur part de réserve, tout en laissant au disposant la faculté d’aliéner les biens à titre onéreux. Le pacte de famille était ainsi conçu comme le moyen pour l’entrepreneur d’organiser, avec le concours de tous les membres de sa famille, la transmission de son patrimoine professionnel et personnel, sans pour autant le dessaisir de la pleine propriété de ses biens de son vivant. Cette proposition ne fut jamais adoptée, en raison des dangers qu’elle recelait pour les réservataires tout à la fois privés du bénéfice de l’égalité successorale et confrontés à la liberté exorbitante du de cujus de révoquer le pacte à tout moment34.
15.– Avec le changement de siècle, apparut une nouvelle idée, celle de la donation avec saut de génération. Cette dernière doit permettre à la première génération d’accepter que la donation consentie à la seconde soit imputée sur sa part de réserve. Le recours à la notion de donation, par préférence à celle de pacte de famille, présente l’avantage de lier définitivement toutes les parties à l’acte, y compris l’ascendant donateur, lequel se trouve actuellement et irrévocablement dessaisi des biens donnés. Défendue par le notariat35, la donation avec saut de génération est puissamment vivifiée par l’Offre de loi du doyen Carbonnier et de MM. Catala, de Saint-Affrique et Morin. Ces auteurs proposent d’étendre le cercle des bénéficiaires de la donationpartage aux petits-enfants et, par suite, de consacrer la notion de « donation-partage transgénérationnelle ». La finalité poursuivie est d’autoriser une double anticipation successorale36. Il s’agit tout à la fois d’anticiper la succession de l’ascendant donateur et celle du descendant donataire, en faisant participer à la donation-partage l’enfant du disposant et les petits-enfants de ce dernier. La donation-partage transgénérationnelle permettrait ainsi de gratifier simultanément plusieurs générations — les enfants et les petits-enfants — ou la génération subséquente seulement — les petitsenfants. Mieux encore, l’association de plusieurs générations pourrait autoriser le recours à une figure juridique peu banale, celle de la donation-partage au profit d’un fils unique et d’un petit-fils unique37!
33. Proposition de loi tendant à l’introduction du pacte de famille dans notre droit successoral, no 184, seconde session ordinaire 1977-1978; no 262, session extraordinaire 1980-1981; no 313, troisième session extraordinaire 1985-1986, citées in 100e Congrès des notaires, op. cit., p. 919, note 1306. Adde, 72e Congrès des notaires, Deauville 25-28 mai 1975 ; 79e Congrès des notaires, Avignon, 8-11 mai 1983, p. 172 s.; 86e Congrès des notaires, Lille 20-23 mai 1990, p. 560 s.
34. Rép. Min. Just., no 18740, G. Sprauer, du 19 octobre 1979, JOAN, 19 octobre 1979, p. 8600; Rép. Min. Just., no 32621, J.-H. Maujoüan du Gasset, du 30 mai 1983, JOAN, 5 septembre 1983, p. 3913; Rép. Min. Just., no 51205, R. Marcellin, JOAN, 3 septembre 1984, p. 3965; Rép. Min. Just., Deprez, du 2 mai 1989, JOAN, 3 juillet 1989, citée in 86e Congrès des notaires, Lille, 20-23 mai 1990, p. 561. V. également les critiques de P. Catala, Discours de clôture du 72e Congrès des notaires, Deauville, 25-28 mai 1975, JCP N, prat. 6068, spéc. p. 354.
35. 96e Congrès des notaires, Lille 28-31 mai 2000, Le patrimoine au XXIe siècle. 36. J. Carbonnier, P. Catala, J. de SaintAffrique et G. Morin, op. cit., p. 104 s. 37. Art. 1079-1 al. 1er de l’Offre de loi.
 
16.– L’ouverture de la donation-partage aux petits-enfants ne serait pas sans provoquer des remous. Elle implique, en effet, un bouleversement du droit des libéralités. La donation-partage transgénérationnelle suppose, pour déployer pleinement ses effets, que la première génération accepte de renoncer à tout ou partie de sa réserve au profit de la seconde38. Sa consécration s’attaquerait ainsi à deux piliers de l’ordre public successoral : la réserve héréditaire, mais aussi la prohibition des pactes sur succession future. Nous avons vu, cependant, à propos des beaux-enfants, que ces obstacles ne sont pas insurmontables. Qui plus est, il n’est pas question d’évincer la réserve, dont les racines sont fortement ancrées dans notre droit, mais seulement de l’apprécier différemment. Au lieu d’être mesurée par génération, comme c’est le cas actuellement, le projet propose de l’apprécier par souche39. Cette modification du droit des libéralités autoriserait les combinaisons les plus souples. Ainsi, dans l’hypothèse d’une famille nombreuse, comportant plusieurs enfants, le partage se ferait par souche, chaque enfant étant à la tête d’une souche. À l’intérieur de chacune d’entre elles, l’ascendant donateur serait libre de gratifier plusieurs générations ou une génération seulement40. Il conserverait, en outre, la liberté d’exclure de la donation-partage tous les descendants d’une souche, sauf à ces derniers de réclamer leur part de réserve conformément aux dispositions du Code civil41.
Prenons l’exemple d’un père de famille ayant trois enfants, Pierre, Paul et Jacques. Pierre a lui-même deux enfants, Paul en a trois et Jacques a un fils unique. Le patrimoine du père de famille se compose d’un portefeuille de valeurs mobilières, d’un appartement et d’une maison de campagne. L’ascendant se voit reconnaître par l’Offre de loi le droit d’attribuer le portefeuille à son fils Pierre, l’appartement à Paul et à ses trois enfants et la maison au fils de Jacques. L’ascendant peut également exclure de la donation-partage la souche représentée par Jacques, qui pourra alors réclamer sa réserve au décès du père de celui-ci.
17.– La donation-partage transgénérationnelle est encore plus largement ouverte lorsqu’elle opère la transmission d’une entreprise individuelle ou de titres sociaux. En pareil cas, l’article 1080 de l’Offre de loi prévoit la faculté d’appeler un tiers à la donation-partage, aux côtés des enfants et des petits-enfants. La proposition tend à élargir le domaine de l’actuel article 1075 alinéa 3 du Code civil, qui n’autorise à inviter un tiers à la donation-partage que dans le seul cas de l’entreprise individuelle. Elle doit être reliée à l’article 1832-6 de l’Offre de loi qui, débarrassant les pactes d’associés de leurs entraves actuelles42, valide les cessions de parts consenties, au moyen d’un seul et même acte, aux héritiers présomptifs d’un associé ou à certains d’entre eux ainsi qu’à d’autres personnes, physiques ou morales, et les répartitions de droits ainsi transférés. La liberté ouverte au disposant serait ici encore plus grande
38. Art. 1079-1 al. 2 de l’Offre de loi.
39. Art. 1079-2. 40. Art. 1079-2.
41. Art. 1077-1 et 1077-2 C. civ.
42. V. art. 1870 C. civ.; art. L. 221-15 et L. 222-10 C. com.
 

que dans le cadre du partage d’ascendant puisqu’il lui serait loisible de combiner, au sein d’un même pacte, des cessions gratuites et des cessions onéreuses, des cessions actuelles avec de simples promesses de cession43. Ces dispositions percent un chemin — timide — en direction de l’ouverture de la donation-partage aux beaux-enfants. L’Offre de loi n’y invite ces derniers que pour la transmission de l’outil de travail du disposant. Elle leur ouvre, en revanche, plus largement les portes des libéralités successives, en associant la famille recomposée à la réforme des substitutions.

II. LA RÉFORME DES SUBSTITUTIONS

18.– La réforme des substitutions participe, à l’instar de celle de la donation-partage, du souci d’ajuster le droit des libéralités aux attentes de la société contemporaine. L’objectif poursuivi est de gratifier, au moyen de libéralités successives, deux personnes différentes, en imposant au premier bénéficiaire (le grevé) la charge de conserver les biens et de les transmettre à son décès au bénéficiaire en second (l’appelé). En l’état actuel du droit, ces libéralités successives se heurtent à la prohibition des substitutions fidéicommissaires. Ces dernières ne sont tolérées par le Code civil qu’en ligne directe ou en ligne collatérale. Reposant sur un mécanisme fiduciaire, l’ouverture des substitutions (A) fournit l’occasion de s’interroger sur la reprise des travaux sur la fiducie (B). On envisagera l’une puis l’autre.

A. L’OUVERTURE DES SUBSTITUTIONS

19.– L’ouverture des substitutions constitue l’une des innovations remarquables de l’Offre de loi. De fait, la prohibition des substitutions fidéicommissaires, perçues en 1792 et en 1804 comme le bras armé des idées contre-révolutionnaires, paraît aujourd’hui anachronique44. Quant aux substitutions exceptionnellement permises, il semble qu’elles soient tombées en désuétude, faute de répondre aux préoccupations des disposants et aux nouveaux modèles familiaux45. Outre leur restriction aux seules lignes directes et collatérales, elles ne fonctionnent, en effet, qu’à hauteur de la quotité disponible. Il en est d’ailleurs de même de leurs succédanés, tels que le legs
43. V. art. 1832-6 al. 2 à 5 de l’Offre de loi.
44. Les substitutions fidéicommissaires étaient conçues dans l’Ancien droit comme l’instrument du droit d’aînesse et de masculinité. Le Code civil les prohiba, à la suite du droit intermédiaire (décrets des 25 octobre et 14 novembre 1792), comme étant un « acte de législation » privé contraire à l’égalité successorale. Bigot de Préameneu, « Exposé des motifs », in Arch. parlem., op. cit., p. 433. Adde, F. Terré, Y. Lequette, op. cit., no 562.
45. Ph. Malaurie, L. Aynès, Les successions. Les libéralités, par Ph. Malaurie, Defrénois, 2004, no 779.
 
de residuo46 que l’Offre de loi consacre sous le nom de « libéralités résiduelles » et élargit aux donations47. Le projet entreprend l’ajustement des substitutions fidéicommissaires aux aspirations de la société et de la famille contemporaines, en les dotant de règles nouvelles applicables, pour la plupart, aux libéralités résiduelles48.
20.– Le rajeunissement souhaité des substitutions commence, d’abord, par un changement de dénomination. L’Offre de loi tire un trait sur les anciennes substitutions, chargées d’un passé historique trop lourd, pour les désigner sous le nom — sans doute jugé plus neutre — de « libéralités graduelles »49.
21.– Il se manifeste, ensuite, par une triple ouverture de ces libéralités. Celle-ci a trait, au premier chef, aux personnes qui peuvent y être invitées. Les libéralités graduelles sont ouvertes à quiconque, que ce soit en qualité de grevé ou d’appelé. Leur validité n’est pas subordonnée à l’existence de liens de parenté entre les parties aux libéralités successives. L’Offre de loi autorise ainsi le disposant à grever un tiers au bénéfice d’un enfant fragilisé par un handicap. La levée des frontières familiales permet également aux familles recomposées de trouver, dans la libéralité graduelle, un instrument de transmission adapté à leur structure. Elle fournit au disposant le moyen de gratifier son conjoint en pleine propriété, à charge pour ce dernier de transmettre les biens reçus à son décès, aux enfants issus d’une précédente union du disposant. En l’état actuel du droit, seule la stipulation d’un quasi-usufruit permet d’approcher ce résultat.
22.– L’ouverture des libéralités graduelles se manifeste, ensuite, sur le terrain des obligations du grevé. L’article 1028 les assouplit de manière significative. Le droit positif soumet les biens à une inaliénabilité de fait dans le patrimoine du grevé50. L’Offre de loi débarrasse les substitutions de cet inconvénient économique. Elle n’impose au grevé, sauf stipulation contraire, que l’obligation de conserver la valeur des biens reçus. Ainsi, est-il seulement interdit au grevé de disposer des biens à titre gratuit ou de les consommer en pure perte.
Il reste que le statut des biens dans le patrimoine du grevé ne va pas sans soulever des difficultés. Est-il encore possible de soutenir que ces biens sont l’objet d’un droit de propriété alors que leur titulaire est privé du droit d’en disposer à titre gratuit et d’en consommer la valeur comme il l’entend?
Par ailleurs, la libéralité graduelle n’est pas dépourvue de risques pour l’appelé. À défaut de garanties et de sûretés efficaces, ce dernier est livré à la merci des créanciers du grevé, dont il subit l’insolvabilité51. Les créanciers pourront saisir les biens
46. Ce dernier désigne « la disposition par laquelle le testateur lègue ses biens à une personne en stipulant que ce qui en restera à la mort de celle-ci sera attribué à une seconde personne qu’il désigne » : F. Terré, Y. Lequette, op. cit., no 575.
47. V. art. 1040 s. relatifs aux « libéralités résiduelles ».
48. Art. 1043 de l’Offre de loi.
49. Comp. Ph. Malaurie et L. Aynès, op. cit., no 788.
50. M. Grimaldi, Libéralités. Partages d’ascendants, op. cit., no 387.
51. J. Carbonnier, P. Catala, J. de SaintAffrique et G. Morin, op. cit., p. 84.
 

destinés à l’appelé à proportion de la part qu’ils représentent dans le patrimoine
du grevé52.
Ces objections pourraient être levées si on se résolvait à consacrer, de manière ponctuelle, la notion de patrimoine d’affectation. Celle-ci devrait s’accompagner d’un système de publicité. Seraient ainsi préservés tout à la fois les intérêts de l’appelé et ceux des créanciers du grevé.
23.– L’ouverture des libéralités graduelles se traduit, enfin, par la libération de leur montant. Ce dernier se trouve affranchi des frontières de la quotité disponible. La libéralité graduelle est assortie, à l’instar de la donation-partage transgénérationnelle, d’un recul de l’institution de la réserve. Les auteurs de l’Offre de loi autorisent le grevé à consentir, au moyen d’un pacte sur succession future, à ce que la charge porte sur tout ou partie de sa réserve53. Celle-ci ne se trouve pas pour autant évincée. Elle réapparaît au degré subséquent où elle bénéficie de plein droit aux enfants du grevé, afin de protéger les membres de la souche. Pareil allègement de l’ordre public successoral permettrait tout à la fois d’insuffler plus de liberté dans les libéralités familiales et de préserver les intérêts des réservataires. Raisonnons sur l’exemple d’une famille recomposée. Soit un couple — Paul et Paulette — marié en secondes noces. Paulette est de trente ans la cadette de son mari. Ils ont une fille Pierrette. Paul a par ailleurs un fils d’un précédent mariage, Jacques, qui a environ l’âge de sa femme. Compte tenu de leur différence d’âge, Paul souhaite consentir à ses enfants deux libéralités successives. Le recours à la libéralité graduelle lui permet de gratifier Jacques, à charge pour ce dernier de transmettre les biens à son décès à sa demi-sœur. Jacques pourra accepter que la charge grève tout ou partie de sa réserve mais, à son décès, cette dernière bénéficiera de plein droit à ses propres enfants. Pierrette ne pourra réclamer le bénéfice de la libéralité graduelle qu’à concurrence de la quotité disponible54.
24.– Si elles étaient consacrées, ces propositions réaliseraient, sans conteste, une avancée importante du droit des libéralités. Elles fournissent cependant l’occasion de se demander s’il convient de pousser davantage la réforme. Ne serait-il pas opportun, par exemple, d’admettre que le disposant puisse confier à un tiers non gratifié la gestion de son patrimoine à son décès, à charge d’en opérer la transmission à ses enfants à l’échéance d’un terme stipulé, tel que le jour de leur vingt-cinquième anniversaire, par exemple? Quid de la possibilité de différer l’attribution de la réserve? Pareille proposition n’est pas envisagée par l’Offre de loi55. Il est vrai qu’elle ferait tomber le masque de la libéralité graduelle pour révéler crûment le visage de la fiducie56.
52. Art. 1039-1 de l’Offre de loi.
53. Art. 1032 et 1032-1 de l’Offre de loi.
54. L’appelé tient ses droits directement du disposant. V. art. 1038 de l’Offre de loi.
55. En l’état actuel du droit, la règle selon laquelle la réserve doit être transmise libre de toute charge interdit d’en conférer la gestion à un tiers. V., M. Grimaldi, Successions, op. cit., no 335. Adde,
Civ. 1re, 22 février 1977, Bull. civ. I, no 100.
56. L’avant-projet de loi sur la fiducie (art. 2) prévoyait que « la fiducie ne peut porter atteinte aux droits des héritiers réservataires ». V., M. Grimaldi, « La fiducie : réflexions sur l’institution et sur
 
B. LA REPRISE DES TRAVAUX SUR LA FIDUCIE

25.– La reprise des travaux sur la fiducie constituerait, sans doute, le prolongement de la renaissance des libéralités graduelles. Ces dernières mettent, en effet, en œuvre un mécanisme fiduciaire. On ose à peine rappeler, devant cette illustre assemblée, que la fiducie s’analyse comme un acte juridique par lequel une personne, le fiduciant, transfère des biens à une autre personne, le fiduciaire, à charge de les transmettre à son tour, à un bénéficiaire désigné, à l’échéance d’un terme. Sous-jacente dans notre droit, la fiducie y vit, de manière innommée. Sa clandestinité ne lui permet cependant pas de connaître le développement que lui réservent certaines législations étrangères (Allemagne, Suisse, Luxembourg) ni celui dont bénéficie son homologue anglo-saxon, le trust57. On se souvient qu’un avant-projet de loi visait à insérer, dans le Code civil, un titre consacré à la fiducie. Enterrée pour des raisons fiscales, elle refait aujourd’hui surface sous les traits de la libéralité graduelle.
26.– Quoique leur ressemblance soit frappante, les deux notions ne sont pas, pour autant, jumelles. Il y a certes, dans les deux cas de figure, un double transfert de propriété. Comme la libéralité graduelle, la fiducie emporte un transfert de propriété du fiduciant au fiduciaire, d’abord, et du fiduciaire au bénéficiaire, ensuite. La libéralité graduelle se trouve, en réalité, à la croisée de la fiducie et des substitutions du Code civil. À l’instar des secondes, elle est destinée à s’ouvrir, en principe, au décès du grevé58, ce qui n’est pas nécessairement le cas de la transmission fiduciaire. Mais tout comme cette dernière, la libéralité graduelle n’a pas pour vocation d’établir un ordre successif. Dans un cas comme dans les autres, le bénéficiaire final tient directement ses droits du disposant59. C’est, en définitive, sur le terrain de la cause des transferts successifs que la libéralité graduelle et les substitutions, d’une part, et la fiducie, d’autre part, se séparent. Tandis que les premières procèdent d’une double intention libérale, à la fois envers le grevé et l’appelé, la seconde obéit à un animus donandi unique. Le tiers bénéficiaire est ici la seule personne que le fiduciant entend gratifier. Le fiduciaire ne joue que le rôle d’intermédiaire de transmission60.
Le schéma de la fiducie correspond ainsi aux transferts successifs justifiés par un souci de protection du bénéficiaire ou par la volonté de gratifier un tiers indéterminé. On pense ici, notamment, aux libéralités consenties par l’intermédiaire de la Fondation de France. Il reste que la fiducie soulève, à l’instar des libéralités gra
l’avant-projet de loi qui la consacre », Defrénois 1991, p. 897 s. et p. 961 s. Certaines législations accueillant la fiducie admettent qu’elle englobe la réserve. V., C. Witz, « Rapport introductif. Les traits essentiels de la fiducie et du trust en Europe », in La fiducie et ses applications dans plusieurs pays européens, Colloque organisé le 29 novembre 1990, Bull. Joly 1991, no 4 bis, p. 9.
57. V., R. Demogue, « Rapport général », in La fiducie en droit moderne, Association Henri Capitant, Travaux de la Semaine internationale de Paris, Sirey, 1937, p. 1 s.; C. Witz, rapport, préc.
58. Art. 1036 de l’Offre de loi.
59. Art. 1038 de l’Offre de loi. Pour une comparaison de la fiducie et des substitutions, V. not. R. Savatier, « La fiducie en droit français », in La fiducie en droit moderne, op. cit., p. 57. 60. M. Grimaldi, Successions, op. cit., no 366.
 
duelles, la question du statut des biens dans le patrimoine du fiduciaire. Comme ces dernières, elle conduit à s’interroger sur l’opportunité de consacrer la notion de patrimoine d’affectation61.
27.– Au-delà de l’arbitrage entre des conceptions opposées du patrimoine, l’insertion de la fiducie dans le Code civil implique une réflexion sur la nature des droits du fiduciaire. Ces derniers ne cadrent pas avec le droit de propriété du Code civil. Le fiduciaire peut certes bénéficier du triptyque des prérogatives du droit de propriété mais leur exercice lui est dicté par l’acte constitutif de la fiducie. Aussi, la reconnaissance de cette dernière ouvre-t-elle le débat sur la consécration d’une nouvelle catégorie de droit réel62. Ce sera, peut-être, l’objet d’une autre réforme à venir du droit patrimonial de la famille.
Décembre 2004
61. Le législateur ne semble prêt à accueillir ni l’une ni l’autre. Dans une réponse ministérielle du 30 avril 2004, le garde des Sceaux précisait que le gouvernement n’a pas prévu de proposer au Parlement un projet de loi sur la création de la fiducie. Le ministre invoquait, notamment, les difficultés liées à la conception française du patrimoine ainsi que les risques de contournement des règles des tutelles, des successions, des procédures collectives, des sûretés, et d’utilisation de la fiducie à des fins de blanchiment. Rép. Min. Justice Vo « Pecresse », no 27670, JOAN, 30 avril 2004, p. 3064.
62. R. Libchaber, « La recodification du droit des biens », Le Code civil. 1804-2004. Livre du Bicentenaire, Dalloz, Litec, 2004, p. 297 s., spéc. no 65.
 
Rapport de synthèse

Georges Wiederkehr
Professeur à l’Université Robert Schuman — Strasbourg III

« Le droit patrimonial de la famille », l’intitulé donné au thème de cette journée, quoique traditionnel, n’est sans doute pas rigoureusement exact. Les libéralités, en tout cas, ne supposent pas nécessairement un lien de famille entre gratifiant et gratifié, même si la famille en constitue, bien sûr, le domaine d’élection.
Dans certaines législations, d’ailleurs, si la réglementation des régimes matrimoniaux est intégrée au Code de la famille, libéralités et successions prennent place dans ce Code civil ce qui n’est pas sans poser de réels problèmes tant les correspondances, voire les dépendances entre régimes matrimoniaux, libéralités et successions sont fortes.
C’est en quoi l’intitulé « droit patrimonial de la famille » est, en définitive, heureux, malgré son caractère un peu approximatif, puisqu’il a le mérite de mettre l’accent sur l’interdépendance de ses branches : interdépendance évidente dont Mme Dauriac1 a éclairé un nouvel aspect, en dévoilant tout un jeu de correspondances, chacune des institutions en cause c’est-à-dire non seulement les libéralités et les successions, mais aussi le régime matrimonial se prêtant à des variables que les parties concernées doivent savoir harmoniser; interdépendance et parfois superposition qui se manifeste tout spécialement dans l’institution des avantages matrimoniaux dont il est impossible de dire si elle relève plus particulièrement des successions, des libéralités ou des avantages matrimoniaux2.
Il faudrait cependant ajouter que le droit patrimonial de la famille ne peut pas non plus être dissocié de ce qu’il est convenu d’appeler le droit extrapatrimonial, celui-ci ne manquant jamais d’avoir des conséquences patrimoniales. Il était donc
1. V. « Les incidences de la réforme des successions du 3 décembre 2001 sur la pratique des libéralités entre époux ».
2. V. Mme Granet, « Le point sur la pratique des avantages matrimoniaux ». 
3. V. Mme Tisserand. 4. V. M. Nicod.
opportun d’envisager les incidences de la réforme du divorce du 26 mai 2004 sur les libéralités entre époux et les avantages matrimoniaux3.
La question qu’on peut alors se poser est de savoir s’il est bien raisonnable de procéder à des réformes partielles pour chacune des branches du droit patrimonial et même extrapatrimonial de la famille, alors qu’elles sont si étroitement dépendantes les unes des autres. Le statut du conjoint survivant n’est-il pas le plus souvent en jeu dans toutes ces réformes? Et lorsque ce n’est pas vraiment le cas, comme dans la réforme du divorce, celle-ci n’a-t-elle pas cependant une incidence évidente sur le droit des libéralités, mais aussi sur le régime matrimonial et les successions? Il serait donc nécessaire que chaque réforme, aussi particulière soit-elle, soit prise en considération de l’ensemble des relations patrimoniales de la famille.
Il faut cependant relativiser ces observations ou, au contraire, leur donner une extension incommensurable. En matière de droit, en effet, tout se tient : la théorie générale des obligations est toujours en œuvre. C’est ainsi qu’on peut évoquer à travers les projets de réforme des libéralités4 l’épineuse question de clauses pénales accompagnant l’exhérédation. Or, bien entendu, on ne peut pas réformer d’un seul coup l’ensemble du droit. Encore faudrait-il éviter les contradictions ou encore les superpositions de règles dont on pourrait trouver une illustration (guère évoquée à l’occasion de cette journée, parce qu’elle relève, malgré ses aspects patrimoniaux, plutôt du droit extrapatrimonial) dans les différentes règles fixant le droit du logement familial à la dissolution du mariage.
Le plan selon lequel a été constituée cette journée (en deux parties, comme il se doit!) a l’avantage de traiter le droit patrimonial comme un ensemble et d’éviter la classique division entre régime matrimonial, libéralités et successions. On a eu l’ingénieuse idée de partager la journée entre réformes faites et réformes à faire ou, plus exactement, à venir. Il faut cependant reconnaître que le plan est circonstanciel. L’ensemble du droit de la famille a déjà subi d’importantes réformes, à l’exception notable d’un grand nombre de dispositions relatives aux libéralités qui perdurent dans leur version d’origine ou dont les modifications (résultant principalement de la loi du 8 juin 1893) sont très anciennes et qui font aujourd’hui l’objet d’une « offre de loi », c’est-à-dire d’une proposition de projet. Hormis ce domaine qui a jusqu’à présent échappé aux réformes récentes et qui relève donc uniquement des réformes à venir, tous les autres ont fait l’objet de réformes en des temps qu’on ne peut qualifier d’anciens.
Or une réforme faite appelle presque toujours une réforme à faire. M. Simler en a fait la démonstration, en évoquant quelques insuffisances du régime matrimonial légal et en suggérant des réformes destinées à les corriger (j’ose espérer que la place de son intervention dans la partie consacrée aux réformes accomplies, plutôt que dans celle des réformes à venir ne vaut pas condamnation de ses propositions!).
 
On pourrait songer à distinguer deux types de réforme : les réformes de fond qui ont pour fin d’adapter le droit à l’évolution de la société et les réformes techniques qui visent à corriger quelques défauts que la pratique a fait apparaître dans la réalisation des textes ou à répondre à quelques problèmes particuliers que le législateur avait précédemment négligés (relevons, en passant, la bonne qualité de rédaction de la plupart des réformes du droit patrimonial familial très favorisé de ce point de vue, par rapport à d’autres domaines du droit, ce qui ne veut pas dire qu’elles n’encourent aucune critique de fond!). En réalité, une telle distinction entre réformes de fond et réformes purement techniques n’est guère pertinente. Des réformes d’apparence technique qui semblent ne porter que sur des points de détail entraînent parfois des bouleversements considérables, en raison même de l’interdépendance des règles du droit patrimonial de la famille, alors que des réformes portant sur le fond se contentent quelquefois de consacrer une solution jurisprudentielle ou d’imposer une solution que la jurisprudence aurait déjà dû adopter sous l’empire des anciens
textes5.
Une seule journée n’est bien sûr pas suffisante pour faire le tour de l’ensemble du droit patrimonial de la famille, ni des réformes déjà accomplies, ni de celles à venir. À vrai dire c’est surtout d’avenir qu’il a été question, d’avenir souhaité et d’avenir redouté. Même les intervenants qui ont traité des réformes accomplies ont porté leurs regards vers l’avenir, en proposant6 une stratégie des libéralités entre époux pour tenir compte de la réforme des droits successoraux du conjoint survivant, en portant un regard critique sur certaines dispositions de la dernière loi sur le divorce7, ce qui, implicitement, suggère de la réformer, ou en relevant quelques imperfections dans le dernier avatar de l’action en retranchement8, ce qui devrait conduire à les corriger. Plus directement, M. Simler propose de réformer, de manière substantielle et même, en définitive, assez radicale, la communauté légale. Les intervenants de l’après-midi en nous exposant projets de réforme et offres de lois n’ont pas manqué d’apporter une vue critique encore que largement positive et de faire quelques propositions en vue d’améliorer ces projets.
Les réformes ne sont plus, semble-t-il, conçues aujourd’hui pour durer. Le droit est un chantier permanent où le présent n’est qu’un instant incertain de la lutte entre le passé et le futur. C’est pourquoi je proposerais volontiers une autre lecture de la distribution du programme de cette journée entre le matin et l’après-midi, une lecture différente du même plan. Je constate, en effet, que la matinée a été toute entière centrée sur le mariage : régime matrimonial légal, avantages matrimoniaux, libéralités entre époux. L’après-midi a, elle, élargi le sujet : elle a été beaucoup moins matrimoniale puisque les perspectives de réforme du droit des successions et des libé
5. V. la loi du 26 mai 2004 et les donations de biens à venir que se font les époux pendant le mariage.
6. V. Mme Dauriac.
7. V. Mme Tisserand.
8. V. Mme Granet.
 
ralités ont été soulignées d’un point de vue notarial d’abord, mais, ensuite, dans une perspective tout à fait générale.

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Mais venons-en d’abord à l’aspect matrimonial.
M. Simler s’est attaqué à des dispositions particulières du régime matrimonial légal avant que la mise en cause de l’article 1413 ne le conduise à proposer de modifier toute la structure de la communauté légale. Le tout s’inscrit dans la geste de l’éternel combat du créancier et du débiteur. Comment équilibrer la protection du débiteur et les droits du créancier? Comment donner des armes au débiteur, sans qu’elles se retournent contre lui, en ruinant son crédit?
Je ne reviendrai pas sur l’article 1483 et l’obligation à la dette du conjoint du débiteur entre la dissolution du régime et le partage de la communauté. Il n’y a rien à ajouter aux propos de M. Simler. La cause est entendue... du moins en doctrine.
Mais les deux autres points évoqués par lui me paraissent appeler quelque débat.
M. Simler estime qu’en disposant que l’époux, marié sous le régime légal, lorsqu’il contracte un cautionnement ou un emprunt, engage, outre ses propres, ses revenus, l’article 1415 pose problème. Le texte, en effet, ne prévoit pas de limites à la notion de « revenus ». M. Simler propose donc de compléter l’article 1415, mais aussi l’article 1411, par une disposition inspirée de celle qui figure à l’article 1414 et qui revient à restreindre la notion de « revenus » au montant des revenus perçus par l’époux en un mois ou en un trimestre. S’agissant des contrats particulièrement risqués visés par l’article 1415 (on est un peu moins convaincu en ce qui concerne les dettes de l’article 1411), on est enclin à approuver la suggestion, d’autant qu’elle ne concernera pas les emprunts modestes nécessaires aux besoins de la vie courante du ménage qui échappent à l’emprise de l’article 1415 et relèvent de la solidarité de l’article 220. Mais pour les autres emprunts et pour le cautionnement, nul doute que les créanciers seront encore davantage incités à exiger l’accord du conjoint et, tant qu’à faire, l’engagement solidaire de ce dernier. Cela ne met pas en cause les propositions de M. Simler : après tout, il est bon qu’une opération aussi grave qu’un emprunt ou un cautionnement ne se réalise qu’avec le consentement du conjoint et, en cas de mésentente ou de désunion des époux, l’accord sera refusé et la protection du conjoint jouera alors effectivement.
Une interrogation subsiste cependant. Les revenus, ce sont, d’une part, ceux des propres et, d’autre part, les gains et salaires. Or ces derniers relèvent du principe d’ordre public de libre disposition formulé par l’article 223 du Code civil. À ce propos, les mêmes questions de limites de la notion de « revenus » se posent. Les sommes, une fois économisées, cessent-elles d’être des gains et salaires? Certes trois autres règles réduisent en pratique la portée du problème : sous le régime légal, les sommes en question restent biens communs, de sorte que l’époux continue, au titre de l’article 1421, d’avoir des pouvoirs suffisants pour en disposer seul, si ce n’est à titre gratuit, même si elles ne sont plus qualifiées de gains et salaires. Mais l’article 1421 accordant des pouvoirs concurrents aux deux époux, chacun d’eux ne pourrait-il prétendre également disposer seul des sommes économisées provenant des gains et salaires de son conjoint? C’est là qu’intervient la présomption bancaire de l’article 221, confortée par la jurisprudence de la Cour de cassation qui condamne le banquier, si celui-ci a exécuté les opérations ordonnées par le conjoint du titulaire du compte9. Reste cependant le cas des donations qu’un époux, même commun en biens, peut faire seul, si elles portent sur ses gains et salaires, l’article 223 l’emportant sur l’article 1422. Faut-il en ce qui les concerne également adopter la limitation préconisée par M. Simler pour l’application de l’article 1415? En considérant les affaires qui ont donné lieu à jurisprudence, certains seront tentés de répondre par l’affirmative. La plupart des litiges se rapportent à des donations faites, bien sûr, sans le consentement de la femme légitime, par un mari à sa concubine. On peut en tout cas, estimer qu’un arrêt de la cour de Nîmes du 24 février 200410 est allé un peu trop loin en sens opposé, en affirmant que les sommes données par l’époux à sa concubine en vue de l’acquisition de la nue-propriété d’un immeuble sont présumées provenir de ses gains et salaires. Sans aller jusqu’à approuver la reconnaissance d’une telle présomption, on peut tout de même penser qu’une limitation trop stricte de la notion de « gains et salaires », même si les conséquences ne s’en feraient pas toujours sentir en pratique, serait une atteinte au principe de la libre disposition posée par l’article 223.
On peut aussi se demander si cette proposition, même limitée à l’article 1415, est en harmonie avec le bouleversement du régime légal souhaité par M. Simler pour mettre à l’abri des poursuites du créancier le conjoint de l’époux qui a engagé la dette. M. Simler veut éviter que chacun des époux engage par ses actes la totalité de l’actif commun. Il est vrai que le problème est crucial, lorsqu’un époux est l’objet d’une procédure collective. Ne pourrait-on pas alors songer à des règles spécifiques, imaginer, par exemple, que l’ouverture d’une telle procédure emporte de plein droit avec un certain effet rétroactif dissolution de la communauté? M. Simler va beaucoup plus loin et propose de transformer notre régime légal en un régime de communauté différée. Certes, à la proposition selon laquelle la communauté ne commencerait qu’à sa dissolution, M. Simler ajoute d’importants tempéraments. Il envisage de maintenir la part de cogestion instaurée par les articles 1422 et suivants et peut-être souhaite-t-il également conserver l’article 1415 avec la modification qu’il préconise, bien qu’il ne soit pas vraiment en accord avec le principe d’une communauté différée.
Observons que l’époux qui n’aurait que peu ou pas de revenus verrait ses pouvoirs indépendants fort restreints en fait, puisqu’il ne bénéficierait d’aucun crédit. Il n’aurait de véritables pouvoirs que ceux que lui donne l’article 220 qui lui permet d’engager solidairement son conjoint par ses dettes ménagères. La proposition de
9. Com., 11 mars 2003, D. 2004, 1979, note Laugier, JCP 2004, I, 128, no 9, obs. G. Wiederkehr, adde. CA Paris, 5 décembre 2003, JCP 2004, I, 176, no 9, obs. G. Wiederkehr. 10. JCP 2004, I, 176, no 10, obs. G. Wiederkehr.
 
M. Simler serait donc surtout intéressante pour les ménages dont chaque époux dispose de revenus convenables. Elle aurait alors un effet de banalisation du mariage dans les relations patrimoniales d’un époux avec les tiers. Sauf pour les biens relevant de la cogestion, les tiers en contractant avec un époux pourraient faire abstraction du mariage de leur cocontractant.
C’est une voie dans laquelle le législateur s’était déjà engagé avec certaines règles du régime primaire. N’a-t-on pas parlé de présomption de célibat à propos des présomptions de pouvoirs des articles 221 et 222? N’a-t-on pas assisté à une banalisation du mariage avec la disparition de toutes les restrictions concernant les contrats entre époux? Cette banalisation par alignement sur le droit commun, on peut aussi la découvrir, dans une certaine mesure, dans certaines des dispositions de la loi du 24 mai 2004 relatives aux donations entre époux.
En instaurant l’irrévocabilité des donations de biens présents entre époux, sous la seule réserve des articles 953 à 958, le nouvel alinéa 2 de l’article 1096 les soumet au droit commun des donations. Même le divorce est désormais sans incidence sur elles, puisque même alors elles restent irrévocables, selon la nouvelle version de l’article 268. Mme Tisserand parle à ce propos de banalisation du divorce. Constatons que la banalisation du mariage ne s’arrête pas au divorce. L’alignement des donations entre époux sur le droit commun se manifeste encore par la suppression de l’interdiction des donations déguisées ou par interposition de personnes.
Si la banalisation du mariage ne s’arrête pas au divorce, en revanche, elle s’arrête à la mort d’un époux. C’est alors tout au contraire un renforcement au bénéfice du conjoint survivant des effets du mariage qui résulte des nouvelles dispositions. Non seulement le mariage perdure au-delà de la mort, mais, du moins dans ses conséquences patrimoniales, il n’est jamais aussi fort qu’à sa dissolution par la mort.
Cela se vérifie d’abord a contrario par la distinction critiquée par Mme Tisserand et, en effet, fort délicate, des avantages matrimoniaux qui prennent effet au cours du mariage et qui restent acquis malgré le divorce et des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu’à la dissolution du régime matrimonial et dont le divorce emporte révocation (art. 265). Cela se vérifie encore, mais toujours a contrario par la disparition de plein droit des donations de biens à venir consentis par un époux au profit de l’autre, lorsque le mariage est dissous par divorce, sauf volonté contraire exprimée à cette occasion par le gratifiant. Assez curieusement, la manifestation d’une telle volonté contraire rendrait irrévocable la donation de biens à venir, ce qui a été justement critiqué : le législateur n’a même pas pensé à préciser si cette irrévocabilité est atténuée par les exceptions des articles 933 et suivants; et l’article 1096 que l’on pouvait songer à appliquer en la matière (sauf en son alinéa 1, qui, disposant que la donation de biens à venir faite entre époux pendant le mariage sera toujours révocable, est contredit par la disposition de l’article 265 qui prévoit l’irrévocabilité de la donation des biens à venir si elle est maintenue après divorce), ne prévoit — et pour cause — d’exceptions à l’irrévocabilité que pour les donations de biens présents et exclut expressément que la survenance d’enfants entraîne la révocation des donations qu’elles soient de biens présents ou de biens futurs.
 

11. V. Mme Granet.
Cette possibilité de maintien de la donation de biens à venir était-elle vraiment nécessaire ? Après tout, si en dépit du divorce, le donateur continue à avoir la volonté de gratifier son ex-conjoint rien ne l’empêche de le faire par testament. Le mariage est une condition de la donation de biens à venir : celle-ci (hors le cas du contrat de mariage) ne peut exister qu’entre époux : le divorce est donc moins une cause de révocation que de caducité.
La faveur pour le conjoint survivant se manifeste de manière très indirecte et même paradoxale dans la modification apportée par la loi du 3 décembre 2001 à l’alinéa 2 de l’article 152711. Le nouveau texte paraît à première vue plutôt sacrifier l’intérêt du conjoint survivant à celui des enfants du seul prémourant puisqu’il ouvre à tous ces derniers, et non plus seulement à ceux issus d’un précédent mariage, l’action en retranchement qui permet d’inclure dans le calcul de la quotité disponible en faveur du conjoint survivant et, par voie de conséquence, de la réserve des descendants des avantages matrimoniaux comme s’ils avaient été des libéralités. Mais il en est résulté que la jurisprudence considère aujourd’hui que les enfants de l’un seul des époux sont suffisamment protégés par cette action et que, même en leur présence, l’adoption en cours de mariage d’un régime de communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au survivant, dans le but d’assurer le sort de ce dernier, reste conforme à l’intérêt de la famille et qu’en conséquence le changement de régime matrimonial doit être homologué.
L’adoption d’une communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au survivant, même dans le cas où l’action en retranchement est intentée, est de nature à assurer un sort favorable au conjoint survivant (à la mesure des moyens du ménage). Mais, malgré le succès de ce régime auprès des ménages de longue durée, il n’est qu’une toute petite minorité d’époux qui l’adopte. La nette amélioration de la condition successorale du conjoint survivant, elle-même, ne suffit pas toujours à assurer une place convenable au conjoint survivant, car celle-ci dépend de la composition de la famille du défunt. Mme Dauriac a pu montrer que les libéralités entre époux, loin de disparaître, garderont en pratique un rôle essentiel qu’il faut cependant combiner avec le rôle joué, d’une part, par le régime matrimonial et, d’autre part, par le régime successoral. Il y a donc trois variables principales entre lesquelles il convient de chercher un équilibre, en tenant compte d’autres éléments encore tels que les prestations sociales d’assurances décès, pension ou rente de réversion, assurance vie..., dont dépend également la situation du conjoint survivant. C’est un jeu assez complexe que Mme Dauriac a éclairé et on se référera volontiers à son étude stratégique des libéralités, qui, si « la loi pose plus de questions qu’elle n’apporte de solutions » fournit, pour sa part, nombre de bonnes recettes.
 
Mais si le régime matrimonial est réservé aux époux, il n’en va pas de même ni des libéralités, ni des successions où, malgré la réforme, le conjoint survivant ne tient pas toujours la première place et n’est d’ailleurs toujours pas un héritier comme les autres.
C’est pourquoi les intervenants de l’après-midi ont... j’allais dire... dépassé le mariage, mais le mariage est indépassable à en croire les revendications en faveur du mariage homosexuel... se sont intéressés aux héritiers et aux gratifiés en général et non plus aux seuls époux.
Contrairement à toutes les promesses, nous a avertis Me Ohnet, la réforme annoncée du droit des successions n’est peut-être pas tout à fait pour demain. Dans le projet, tel qu’il existe aujourd’hui, Me Ohnet a relevé deux points qu’on peut juger, avec lui, très positifs, malgré leur timidité. L’un concerne la période qui se situe entre l’ouverture de la succession et le partage, le second se rapporte à ce dernier.
L’ouverture d’une succession à laquelle plusieurs héritiers ont droit doit conduire au partage. Avant d’y parvenir, s’écoule une période, plus ou moins longue, pendant laquelle le patrimoine successoral doit être administré selon les règles de l’indivision. Il pourra en résulter un certain nombre de difficultés. La possibilité prévue par le projet de désigner, en cas de besoin, un administrateur provisoire qui sera naturellement, quoique non nécessairement, un notaire est une proposition bienvenue. Il en est de même de celle qui consiste, comme c’est déjà le cas en droit local des départements du Rhin et de la Moselle, dont Me Ohnet souhaiterait qu’il serve de modèle, à mettre en premier plan le partage amiable qui deviendrait possible même en présence d’héritiers incapables ou si certains héritiers sont absents.
Ce sont des réformes qui peuvent paraître limitées et, à première vue, plus techniques que politiques. Elles auront néanmoins, si elles se réalisent, des conséquences importantes et sont donc, tout compte fait, encore plus politiques que techniques.
Peut-on en dire de même des réformes envisagées du droit des libéralités? Il s’agit cette fois, du moins en est-il ainsi d’un certain nombre d’entre eux évoqués par M. Nicod, de rénover des textes fort anciens, puisqu’une proportion considérable d’entre eux existe toujours dans leur version d’origine. La réforme ne peut donc pas être mineure, si tant est qu’il puisse, en matière de droit patrimonial de la famille, y avoir des réformes vraiment mineures. Donations-partages, substitutions, testaments, ce ne sont pas des petites questions qui ont été abordées par M. Nicod et Mme Peterka.
La réglementation actuelle de la donation-partage ne date, elle, que de 1971. Mais il semble que les lois vieillissent vite aujourd’hui. Au fur et à mesure que s’allonge la durée de vie de ceux auxquels elles s’appliquent, celle des lois diminue. Mme Peterka a démontré qu’en effet les deux phénomènes sont liés. Si la réglementation des donations-partages paraît déjà obsolète, de même que celle de substitutions, beaucoup plus ancienne, il est vrai, puisqu’elle remonte à 1804, l’allongement de la durée de vie qui aboutit à mettre en présence plusieurs générations en est l’une des deux causes, l’autre résidant dans la multiplication de ce qu’il est convenu d’appeler les familles recomposées, qui n’est d’ailleurs elle-même pas étrangère à l’augmentation de la durée de vie. Pour répondre à ces deux faits sociaux, il convient, aussi bien selon le Congrès des notaires, que selon l’Offre de loi de Carbonnier et de M. Catala, d’élargir le domaine des donations-partages. Mme Peterka débordant les projets présentés, estime que l’élargissement doit s’étendre aux substitutions.
Pour les familles recomposées, la suggestion consiste à permettre des donationspartages conjonctives, les époux faisant masse de leurs biens pour les répartir entre leurs enfants. Les conséquences dépassent le cadre strict de la donation-partage. Celle-ci ne faisant en principe qu’anticiper l’ouverture de la succession, chacun des enfants ne devrait recevoir que des biens dont il était susceptible d’hériter. Or si les biens des deux époux sont confondus dans la donation-partage conjonctive, de sorte que chacun des époux gratifie non seulement ses propres enfants, mais aussi ceux de son conjoint, on ne satisfait plus à cette condition. La donation-partage conjonctive suppose donc que soient autorisés des pactes de renonciation par lesquels les enfants renonceraient à tout ou partie de la réserve.
À peine moins audacieuse, encore que largement partagée, est l’idée que la donation-partage doit pouvoir se faire non plus seulement au profit des enfants, mais également des petits-enfants et devenir ainsi transgénérationnelle, permettant de gratifier plusieurs générations de descendants. La proposition paraît judicieuse, mais implique elle aussi une importante révision de la conception même de la réserve successorale. La première génération devrait, en effet, renoncer à tout ou partie de la réserve, qui, sans disparaître pour autant, deviendrait une réserve par souche.
La proposition est encore faite d’ouvrir la donation-partage, par-delà le cercle familial, à un tiers en ce qui concerne, du moins, l’outil de travail du disposant.
Ces réformes de la donation-partage auraient l’avantage d’adapter l’institution à l’évolution de la société. Mais on voudrait aller plus loin encore et rénover par la même occasion les textes, beaucoup plus anciens, à vrai dire, que le Code civil consacre aux substitutions. Celles-ci, prohibées en principe, ne sont exceptionnellement permises qu’en faveur des petits-enfants du gratifiant ou des enfants de ses frères et sœurs. Mme Peterka observe que cette prohibition est anachronique et souhaite en conséquence, pour permettre des libéralités successives à des personnes différentes, une complète ouverture des substitutions rebaptisées libéralités graduelles qui ne seraient plus limitées au cercle familial. La levée de frontières familiales conviendrait tout spécialement au cas des familles recomposées. Le montant n’en devrait plus être restreint à la quotité disponible. Il faudrait donc là encore accepter un recul de l’institution de la réserve. Enfin serait mise en cause la pesante inaliénabilité des biens frappés d’une charge de substitution, qui, sinon, avec la double ouverture préconisée, deviendrait encore plus importante. L’obligation du grevé serait seulement de conserver la valeur des biens et, pour parer aux menaces que les créanciers du grevé pourraient faire peser sur cette conservation, la solution consisterait en un recours à la notion de « patrimoine d’affectation ». Mme Peterka envisage même la possibilité de libéralités ponctuelles avec substitution au bout d’un temps déterminé. Une telle évolution des libéralités avec charge de substitutions en change la nature et les rapproche de la fiducie. La différence est que la fiducie-libéralité n’est faite qu’en faveur du seul tiers bénéficiaire alors que la libéralité graduelle suppose la volonté de gratifier deux bénéficiaires successifs. Mme Peterka n’y voit pas moins l’occasion de reprendre les travaux sur la fiducie.
Ainsi constate-t-on qu’on ne peut envisager la réforme sérieuse d’une institution de manière isolée et qu’elle entraîne d’inévitables répercussions sur d’autres institutions. Si la reprise de la fiducie n’est pas une conséquence vraiment inéluctable de la modification du régime de la donation-partage, celle-ci, entre autres, implique des changements importants dans la réglementation de la réserve et donne une dimension nouvelle à la nature du patrimoine d’affectation. L’intervention de Mme Peterka bouscule des principes traditionnels et nous invite à la conquête de nouveaux territoires du droit.
Avec M. Nicod, nous revenons vers des eaux plus calmes et même un peu stagnantes. Certes la place du testament et la plus ou moins grande liberté du testateur sont affaires de politique, mais, à cet égard, les véritables droits s’expriment dans des institutions telles que la réserve et la quotité disponible plutôt que dans la réglementation proprement dite du testament qui relève essentiellement de la pure technique juridique. Ainsi s’explique la grande stabilité de la législation en ce domaine : depuis 1804, les réformes, visant d’abord à protéger le testateur âgé, ont été peu nombreuses et n’ont touché qu’une minorité d’articles du Code.
Mais, le temps passant, le moment ne serait-il pas venu d’un grand changement et d’une rupture avec le passé? L’Offre de loi répond clairement par la négative à cette question. Elle opte pour la continuité et ne propose qu’une prudente actualisation de dispositions, ainsi que la sage correction de quelques imperfections d’origine. Aussi peut-on avoir l’impression que ce qui nous est offert est une non-réforme plutôt qu’une réforme. Mais, après tout, il ne faut pas réformer pour réformer : si les lois anciennes restent adaptées, il vaut mieux les conserver. Néanmoins la circonspection dont font preuve les auteurs de l’Offre de loi peut apparaître un tant soit peu excessive.
M. Nicod regrette que l’Offre de loi ne corrige pas la définition du testament qui figure à l’article 895 du Code civil et qui correspond, en réalité, plutôt au legs. Pour une fois que le Code civil donne une définition, celle-ci serait fausse! Mais est-il bien nécessaire que le Code civil définisse le testament? Les définitions légales, surtout si elles sont précises, figent le sens des mots et ne laissent plus place à une interprétation évolutive de la jurisprudence : elles entraînent une obsolescence rapide des textes.
M. Nicod aurait aussi souhaité la disparition du testament mystique rendue inutile par la reconnaissance du testament international. Mais peut-être, en raison même de son inutilité, le testament mystique mourra-t-il, de toute façon, de sa belle mort... par désuétude.
Plus significatif est le maintien, dans l’Offre de loi, de la prohibition des testaments conjonctifs. Cette prohibition constitue parfois un piège pour des époux qui l’ignorent. Mais son abandon soulèverait un problème évoqué par M. Nicod : que se passerait-il si le conjoint survivant décidait de révoquer le testament? La solution du droit allemand qui interdit la révocation après la mort du prémourant pourrait-elle être accueillie? Ne met-elle pas trop directement en cause le principe fondamental de la liberté testamentaire?
La prudence de l’Offre de loi se manifeste encore dans le maintien de la prohibition des testaments verbaux, même si elle fait place à un testament « en forme orale », celui-ci supposant, conformément à l’actuelle solution prétorienne, confirmation par les héritiers. Le testament d’urgence, également prévu, nécessitera pour sa part un écrit, puisque procès-verbal doit en être dressé par un témoin.
L’Offre de loi ne reprend pas non plus les propositions, d’origine notariale notamment, en vue de l’allègement du formalisme du testament authentique, mais fait tout de même un pas vers la valorisation du testament olographe par dépôt dans une étude de notaire.
Sur le fond, M. Nicod reprend deux questions évoquées par l’Offre de loi. La première porte sur la classification des legs. L’offre s’en tient à la classification tripartite, malgré les critiques souvent adressées à la catégorie des legs à titre universel. Du moins propose-t-elle d’en rénover et d’en clarifier la nature, en prenant spécialement en compte les universalités. La seconde question est celle pour laquelle l’offre, s’inspirant, il est vrai fortement de quelques projets antérieurs, se montre plus hardie. Il s’agit de faire de l’exécution testamentaire une institution dotée d’une véritable fonction : l’exécuteur testamentaire pourrait voir ses pouvoirs considérablement élargis par la volonté du testateur, en l’absence d’héritiers réservataires.
Pour judicieuse qu’elle soit, une telle réforme ne constituerait cependant pas une révolution. Si on les compare aux propositions relatives aux donations-partages et aux substitutions, les innovations préconisées par l’Offre de loi en matière de testament paraissent dans l’ensemble fort modestes.
Certes, cette branche du droit est réfractaire aux bouleversements. Mais, comme le suggère M. Nicod, on devrait peut-être profiter d’une éventuelle réforme pour faire un toilettage un peu plus poussé.

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En guise de conclusion, deux remarques à partir d’une constatation.

Cette dernière est, on ne peut plus banale : depuis quelques années, les réformes du droit, notamment patrimonial, de la famille, dont certaines sont excellentes, se multiplient.
La première observation est que le succès des réformes dépend souvent beaucoup moins de leur qualité que du régime fiscal qui les accompagne. M. Grimaldi a fort bien relevé que le choix parmi les techniques offertes aux intéressés se fait, non pas selon les avantages propres qu’elles présentent, mais en fonction de leur régime fiscal. Ainsi la solution qui serait la meilleure pour les intéressés, qui serait la plus adaptée à leur situation ou à leurs besoins sera sacrifiée, parce que fiscalement défavorisée, au profit d’une autre solution techniquement moins bonne, mais fiscalement moins lourde. N’y a-t-il pas là un gâchis néfaste pour la qualité de notre droit?
 
On rêverait volontiers d’une neutralité fiscale, c’est-à-dire d’une égalité de traitement qui permettrait aux parties, avec les conseils de leur notaire, d’opter pour la voie la plus conforme aux fins qu’elles recherchent.
Une seconde remarque est que les lois sont comme les chaussures. Il faut qu’elles soient utilisées pendant un certain temps pour qu’elles deviennent confortables. Le sens de la loi se fixe peu à peu. Les problèmes qu’elle doit permettre de résoudre ne se présentent pas tous en même temps. C’est au juge de les résoudre, en interprétant, pour ne pas dire en adaptant, la loi selon les nécessités. Il n’y a certes aucune originalité à rappeler l’extrême importance du rôle de la jurisprudence — et aussi de la doctrine, quoiqu’on dise. Même si le philosophe Alain exagérait un tantinet lorsqu’il prétendait que le véritable législateur n’est pas le Parlement, mais le juge, il faut bien reconnaître qu’à sa naissance la loi est une coquille vide et qu’il appartient à la jurisprudence de la remplir.
Mais, pour cela, il faut du temps. Il faut laisser aux lois le temps de vivre. Alors accueillons avec sympathie les réformes, mais souhaitons aussi que la sympathie leur soit conservée le temps d’une durée raisonnable de vie.