Le décret n° 2012-366 du 15 mars 2012 Entre équilibre et modernité, la sécurité juridique au cœur de la communication électronique judiciaire

Thierry GHERA Président du Tribunal de grande instance de Valence Président de la commission dématérialisation des procédures judicaires, Institut sur l'évolution des professions juridiques (IEPJ)

C. 03 1. Le décret du 15 mars 2012 relatif à la signification des actes d'huissier de justice par voie électronique et aux notifications internationales(1) signe une étape majeure de la modernisation de la procédure.

Ce nouveau progrès de la communication électronique judiciaire est conforme à la politique de déploiement observée jusqu'ici par le législateur et ce décret constitue un grand texte d'équilibre de la procédure civile.

Il convient de mesurer la force de l'évolution des pratiques juridictionnelles et professionnelles qu'implique ce dispositif dont l'un des apports essentiels est de replacer la sécurité juridique au cœur des échanges judiciaires.

2. Une étape majeure de la modernisation de la procédure. Ainsi donc, une nouvelle profession et de nouvelles juridictions sont concernées par la modernisation des circuits de procédure grâce à l'emploi des nouvelles technologies.

Le protocole de communication électronique entre les tribunaux de grande instance puis les cours d'appel et les avocats avait ouvert cette voie nouvelle. Cependant, une seule profession, celle d'avocat et une seule procédure, la procédure ordinaire, étaient concernées, même si bien entendu, le périmètre de ce protocole est considérable et si de nouveaux services sont venus s'ajouter au projet initial. Cette première expérience de dématérialisation des échanges entre juridictions et auxiliaires de justice, pour essentielle qu'elle soit, devait être suivie par de nouveaux déploiements de l'outil électronique(2). La justice ne peut être rendue à deux vitesses différentes y compris dans ses aspects procéduraux. On ne peut imaginer la persistance d'un double système : sur support papier pour certaines juridictions, par voie électronique pour d'autres ; parfois même, des procédures sur supports différents au sein de la même juridiction. Pas davantage, ne pourrait-on admettre que certaines professions du droit soient admises à ces nouveaux modes d'échanges et d'autres non.

La signification par voie électronique ouvre grandes les portes électroniques du prétoire à une nouvelle profession d'auxiliaires de la justice. Elle élargit de façon conséquente le champ de la dématérialisation de la procédure puisqu'il s'agit d'un acte susceptible d'être notifié devant toutes les juridictions et dans toutes les procédures(3). Ainsi, l'assignation permet de lier le contentieux, la signification de la décision de justice est bien souvent indispensable et la plupart des mesures d'exécution sont communes à toutes les condamnations. Même s'agissant de la procédure ordinaire, dématérialisée depuis 2005, tout a pu être dématérialisé, sauf le début et la fin. Par exemple, les avocats peuvent inscrire une affaire directement sur la chaî ne bureautique de la juridiction, WinCi TGI, sans toutefois, disposer de l'acte introductif d'instance dématérialisé.

De son côté, la profession d'huissier de justice avait déployé des efforts considérables depuis la fin des années 1990 pour mettre en oeuvre des échanges dématérialisés. Elle s'est au préalable, dotée de l'Association Droit, Economie et Communication (ADEC), plate-forme de ses échanges électroniques(4). La concrétisation de ceux-ci s'était jusqu'à présent, orientée vers des justiciables institutionnels et des organismes publics.

Une réflexion commune s'est engagée entre le Ministère de la Justice et des Libertés et la profession pour instaurer des échanges dématérialisés, cette fois-ci avec le juge et les autres professionnels du droit. Dans cette intention, la Chambre Nationale des Huissiers de Justice a doté la profession d'un outil d'échanges comparable au RPVJ et au RPVA, le Réseau Privé Sécurisé Huissier, créé en 2011 et couplé à la plate-forme métier de la profession, qui lui permettra de communiquer par voie électronique(5).

3. Conformité à la politique de déploiement observée par le législateur. Il est intéressant de remarquer que la stratégie de création de la signification électronique est la même que celle employée jusqu'ici par le législateur et que les conditions de mise en œuvre du dispositif sont également conformes aux principes édictés par le législateur.

Notre système judiciaire est pragmatique : ce n'est qu'après qu'un protocole de communication électronique entre les tribunaux et les avocats (i.e. ComCi TGI) ait été créé praeter legem, par convention entre la Chancellerie et cette [p. 115] profession le 4 mai 2005 et expérimenté, que le principe de la voie électronique a été validé par le décret du 28 décembre 2005(6) qui a instauré un titre XXI au sein du premier livre du Code de procédure civile qui dans ses articles 748-1 et suivants autorise la dématérialisation de la procédure pour toutes les juridictions.

Parallèlement à la construction du RPSH, le Garde des Sceaux et le Président de la Chambre Nationale des Huissiers de Justice ont, à l'instar de ce qui a été fait précédemment, conclu le 15 décembre 2011 une convention relative à la communication électronique entre les juridictions ordinaires du premier degré et les huissiers de justice, qui inclut le placement de l'assignation électronique et l'acte du palais dématérialisé(7).

Après que loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010(8) ait consacré le principe de la signification par voie électronique, le décret du 15 mars 2012 vient organiser la mise en œuvre de cette nouvelle modalité de signification. Le premier article de la section du Code de procédure civile relative à la signification, l'article 653, peut donc être remplacé pour que soit instituée une signification par voie électronique à côté de celle sur support papier(9). Le nouvel article 662-1 alinéa premier du code(10) prescrit que « la signification par voie électronique est faite par la transmission de l'acte à son destinataire dans les conditions prévues par le titre XXI » du livre premier du Code de procédure civile.

De fait, les deux conditions essentielles posées par le législateur à l'échange par voie électronique s'appliquent bien à la signification. D'une part, l'alinéa 2 du même article précise que « l'acte de signification porte mention du consentement du destinataire à ce mode de signification », en conformité avec l'article 748-2 du Code de procédure civile. D'autre part, l'entrée en vigueur du dispositif est conditionnée par celle de l'arrêté du Garde des Sceaux pris en application de l'article 748-6(11), définissant les garanties que doivent présenter les procédés utilisés par les huissiers de justice pour signifier les actes par voie électronique, propres à assurer la fiabilité, l'intégrité et la confidentialité de la transmission.

S'agissant de la première de ces conditions, la Chambre Nationale des Huissiers de Justice joue un rôle essentiel. Elle est chargée de recueillir le consentement de la personne qui accepte ce nouveau mode de signification, exprimé par voie électronique selon un modèle type qui précise la durée pour laquelle le consentement est donné. Elle a la responsabilité de dresser et tenir à jour la liste des personnes ayant consenti à la signification électronique. Ces données bénéficient de garanties d'oubli cinq ans après la date de la révocation du consentement et bien sûr de confidentialité : seuls les huissiers de justice, pour les besoins de l'efficacité de leur acte et l'autorité judiciaire pour s'assurer de la réalité du consentement en cas de contestation, y ont accès(12).

Le pragmatisme du déploiement de ce nouvel outil de transmission de l'information judiciaire et extra-judiciaire et sa conformité aux principes instaurés par le législateur de 2005, sont des gages de sa réussite. L'équilibre du nouveau dispositif en est un autre.

4. Un grand texte d'équilibre de la procédure civile. Equilibré, le procédé de signification électronique l'est au regard de la participation de tous les acteurs judiciaires à l'accomplissement du procès. Il n'était, en effet, pas concevable de cantonner les nouvelles technologies aux seuls cours d'appel et tribunaux de grande instance et à une seule profession. Le décret permet désormais aux huissiers de justice de jouer pleinement leur rôle traditionnel et indispensable de tiers de confiance dans la transmission de l'information, mais à l'aune des exigences de notre XXIe siècle. De même, les juridictions sont désormais toutes accessibles à la dématérialisation par le biais de la signification.

Au sein même de la profession d'huissier de justice, l'équilibre est préservé par les nouveaux articles 5-1 et 5-2 du décret du 29 février 1956 qui confient la compétence pour signifier par voie électronique à l'huissier de justice du ressort du tribunal de grande instance où l'un quelconque des destinataires de l'acte a son domicile ou sa résidence et pour ce qui concerne les actes signifiés à un tiers dans le cadre d'une mesure d'exécution ou d'une mesure conservatoire, à celui du ressort du tribunal de grande instance où le débiteur a son domicile ou sa résidence sauf lorsque ceux-ci sont situés à l'étranger(13). Ainsi, évite-t-on une redistribution des compétences qui serait résultée d'une application des nouvelles technologies à droit absolument constant.

Enfin, les garanties offertes au justiciable qui se voit signifier un acte de façon électronique participent de l'équilibre dans le procès et du respect de ses droits.

Par hypothèse, la personne destinataire de l'acte a consenti, de manière expresse et formelle, à la signification par voie électronique. Il s'agira bien entendu, dans un premier temps, des grands organismes bancaires, d'assurance ou de crédit.

De surcroî t, si l'alinéa premier du nouvel article 662-1 du Code de procédure civile fixe le principe suivant lequel la signification par voie électronique est faite par la transmission de l'acte à son destinataire et si logiquement l'article 664-1 alinéa 2 dispose que la date et l'heure de ce nouveau type de signification sont celles de l'envoi de l'acte(14), trois garanties assortissent, cependant, cette nouvelle modalité. Les conditions visées aux articles 748-1 et suivants du Code de procédure civile sont applicables, ce qui exclut celles des articles 654 à 662. L'acte doit expressément mentionner le consentement du destinataire à ce mode de signification, à charge donc pour l'huissier de justice de s'en assurer en se [p. 116] référant à la liste tenue par la Chambre Nationale(15). Surtout, la signification n'est faite à personne qu'autant que le destinataire en a pris connaissance le jour de la transmission de l'acte ; et alors la date et l'heure de cette prise de connaissance sont mentionnées sur l'original. Dans le cas contraire, il ne peut s'agir que d'une signification à domicile(16). Cette distinction est essentielle pour la qualification des jugements. Dans le cas d'une signification à domicile, le support papier vient renforcer l'information due au justiciable qui se voit avisé le premier jour ouvrable suivant par lettre simple mentionnant la délivrance de la signification, la nature de l'acte et le nom du requérant. Au démarrage d'une nouvelle culture des échanges d'information, le support papier semble demeurer une garantie légale de la transmission effective d'un acte électronique. Enfin, il est prévu qu'une copie de l'acte dématérialisé soit remise sur support papier au destinataire qui n'a pas consenti à ce nouveau mode de signification(17).

5. La sécurité juridique au cœur des échanges judiciaires. Equilibré, prudent, mais résolument novateur, le décret du 15 mars 2012 ouvre à la profession d'huissier de justice l'accès aux nouvelles technologies dans leurs relations avec le juge, l'avocat et le justiciable. Le déploiement de la signification par voie électronique aura des conséquences importantes pour tous les utilisateurs.

L'huissier de justice se voit ainsi doté d'un nouveau mode de signification qui lui permet d'authentifier l'information judiciaire et extra-judiciaire de façon dématérialisée.

Le grand organisme institutionnel pourra gérer deux sortes de portefeuilles de significations dématérialisées: celles qui lui seront destinées, puis celles dont il aura pris l'initiative. On imagine qu'à terme, nombre de leurs difficultés liées à la conservation des données et à l'archivage seront résolues au moins pour partie.

L'avocat verra également son travail facilité puisqu'il pourra recevoir sans délai copie de l'assignation délivrée par voie électronique à son client. De la sorte, il sera davantage en mesure de faire face aux délais légaux de comparution, comme le délai de constitution de quinze jours devant le tribunal de grande instance. Le fichier contenant la signification dématérialisée pourra facilement intégrer l'outil de traitement bureautique de ses dossiers.

L'avocat ou l'huissier, selon la nature de la procédure, pourra placer l'assignation par l'envoi d'un fichier contenant la signification dématérialisée et la juridiction bénéficiera mécaniquement d'un gain de temps sur l'enregistrement des affaires.

Pour tous, l'information sera transmise en temps réel.

Ce dispositif complète donc harmonieusement les efforts déjà entrepris par l'autorité judiciaire pour dématérialiser la procédure et ouvre la porte du procès “tout électronique”, chacun des professionnels judiciaires étant désormais doté pour ce faire.

Surtout, la sécurité juridique des échanges redevient une préoccupation centrale dans la mise en œuvre des nouvelles technologies. Lors des premières expériences de dématérialisation, les exigences de sécurité technique - confidentialité, fiabilité de l'information, identification des parties à l'échange, conservation des données - étaient un objectif récurrent. Ce qui était parfaitement logique puisque la promotion du nouvel outil d'échanges, après l'usage du support papier depuis un temps immémorial et de l'imprimé depuis cinq siècles, supposait la confiance des utilisateurs. Cette exigence perdure bien entendu et le décret du 15 mars 2012 satisfait aux conditions de l'article 748-6 du Code de procédure civile en conditionnant son entrée en vigueur à celle de l'arrêté pris en application de ce texte.

Mais la sécurité juridique dans l'échange judiciaire par voie électronique devient un objectif premier pour le législateur. La signification par l'huissier de justice représente, en effet, une garantie pour le justiciable. Le statut d'officier public et ministériel de l'huissier et sa position de tiers de confiance donnent toute son authenticité à la transmission de l'information et est conforme aux exigences du débat contradictoire. Cette sécurité d'ordre juridique se surajoute aux garanties techniques préexistantes. D'autant que la signification par voie électronique est seulement l'un des outils dont sont désormais équipés les huissiers de justice car le Réseau Privé Sécurisé Huissier ouvre également le champ à la dématérialisation de l'injonction de payer, au dépôt de la requête et au placement de l'assignation électronique.

En outre, la nouvelle modalité de signification concerne aussi la notification entre avocats prévue à l'article 672 du Code de procédure civile. L'avocat aura donc désormais le choix de notifier électroniquement un acte à ses confrères constitués soit par la voie du Réseau Privé Virtuel Avocat, ce qui équivaut à la notification directe de l'article 673, soit par huissier de justice, la signification par voie électronique se substituant alors au traditionnel acte du palais.

6. En définitive, le décret du 15 mars 2012 s'inscrit dans un mouvement de fond de la dématérialisation de la procédure engagée depuis une dizaine d'années qui étend progressivement, minutieusement, mais sans retour, le périmètre des nouvelles technologies. Il fera date puisque cette fois-ci, c'est l'acte de signification lui-même qui est dématérialisé.