La reprise des locaux abandonnés après le décret du 10 août 2011 : « heureux » propriétaires ?(1)

Loïc CHOQUET Huissier de justice Arnaud LÉON

La loi du 22 décembre 2010 et le décret du 10 août 2011 sont venus pallier une carence du dispositif normatif relatif à la reprise de locaux à usage d'habitation abandonnés par leur locataire. Bien qu'instaurant une procédure spécifique plus adaptée que l'exercice traditionnel de la procédure d'expulsion, la nouvelle réglementation suscite quelques interrogations pratiques pouvant permettre, in fine, d'améliorer encore l'efficacité de cette nouvelle procédure à l'utilité, d'ores et déjà avérée.

I. 10 1. Avant la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010(2), le droit positif n'envisageait pas la situation d'un départ clandestin de locaux à usage d'habitation. Le propriétaire devait alors engager une procédure d'expulsion, lourde, tant par sa durée que par sa charge formelle. Il était alors difficile à l'huissier de justice d'expliquer à un propriétaire qu'il n'entrerait en pleine possession de son bien que dans plusieurs semaines, voire plusieurs mois… Et ce, alors que ce dernier vous certifie que ses locataires étaient partis furtivement, au désagréable son de la cloche de bois.

La loi du 22 décembre 2010 est venue créer, au cœur d'un ensemble de dispositions destinées à faciliter et rationnaliser les voies d'exécution, une procédure spécifique qui vise à la reprise des locaux abandonnés.

Le décret n° 2011-945 du 10 août 2011(3) complète le dispositif et intègre un nouveau Chapitre II au Titre IX du décret n°92-755 du 31 juillet 1992(4) sur les mesures d'expulsion, intitulé : « Dispositions propres à la reprise des lieux ».

2. L'apport de la loi en la matière est succinct : son article 4 fixe uniquement la procédure applicable préalablement à l'obtention de la résiliation du bail par le juge. Quant à la procédure postérieure (qui vise à récupérer le bien), il est fait renvoi aux dispositions réglementaires.

S'agissant du domaine d'application, l'article 4 de la loi du 22 décembre 2010 vient introduire une disposition (article 14-1) dans la loi du 6 juillet 1989(5). L'article 2 liste, quant à lui, avec précision les locaux pour lesquels la loi du 22 décembre 2010 a vocation à s'appliquer. Ainsi, outre les locaux à usage d'habitation principale ou à usage mixte professionnel et d'habitation principale, elle s'étend aux garages, places de jardins et aux locaux accessoirement loués au local principal par le même bailleur.

Seront ainsi exclus du bénéfice de cette nouvelle procédure, les locaux commerciaux, les fonds ruraux, les locations à caractère saisonnier, les logements foyers, les locaux meublés ainsi que les logements attribués ou loués en raison de l'exercice d'une fonction ou de l'occupation d'un emploi ainsi que les locations consenties aux travailleurs saisonniers.

3. Comme nous venons de l'évoquer, la procédure ainsi créée n'a pas vocation à s'appliquer à l'ensemble des locaux susceptibles d'être loués. Elle suppose que soient préalablement réunies certaines conditions (I) permettant à l'huissier de justice d'engager une procédure visant à la reprise des lieux et à la libération de ceux-ci (II) et qu'il soit aussi statué sur le sort des meubles subsistants sur place.

I. Les conditions préalables à la procédure 

4. La procédure spécifique mise en place par le décret du 10 août 2011 nécessite la réunion préalable de trois conditions successives : tout d'abord, le constat d'éléments laissant supposer que le logement a été abandonné par ses occupants (A) ; ensuite, la délivrance d'une mise en demeure (B) ; enfin, l'établissement d'un procès verbal (C).

A. Des éléments laissant supposer que le logement est abandonné par ses occupants

5. Pour mettre en œuvre la procédure de reprise, des éléments doivent laisser supposer que le logement est abandonné par ses occupants.

Cette condition préalable soulève inévitablement les questions suivantes : quels peuvent-être les éléments qui laissent  supposer que le logement est abandonné par les occupants ? Comment le savoir ? Qui peut être certain que les occupants ne sont pas tout simplement absents pour quelques mois ?

La mise en évidence de ces éléments suppose nécessairement un passage préalable de l'huissier de justice qui procédera au recueil d'informations pouvant venir de tiers (voisins, gardien, propriétaire…). Nous pouvons être sûrs que ce professionnel de terrain sait s'entourer de toutes les garanties nécessaires pour établir cet état de fait : il peut s'agir de témoignages, d'un compteur électrique en façade qui ne tourne plus, de volets fermés, d'une boîte aux lettres pleine, d'un jardin en friche...

B. La délivrance d'une mise en demeure préalable

6. Une fois cette condition acquise, le locataire est mis en demeure par acte d'huissier de justice d'avoir, dans un délai d'un mois, à justifier qu'il occupe le logement. Le texte prévoit que cette mise en demeure peut aussi être intégrée dans le commandement des articles 7 ou 24 de la loi du 6 juillet 1989 (c'est-à-dire lorsque le locataire est poursuivi pour défaut d'assurance ou arriérés locatifs).

Nous pouvons dès lors imaginer, par souci d'efficacité mais aussi par précaution, que l'huissier de justice ne se contente pas de délivrer uniquement la mise en demeure, mais qu'il en profite aussi pour signifier le commandement idoine dans l'hypothèse, où, malgré les éléments qui laissent supposer que le logement est abandonné, la personne prendrait finalement contact avec l'étude. La pratique montre, en effet, qu'il est rare qu'un locataire quitte les lieux loués en étant à jour de ses loyers (la délivrance du commandement suppose nécessairement un arriéré locatif). C'est, d'ailleurs, cet arriéré locatif qui peut être un premier indicateur pour l'huissier de justice lorsqu'il se déplace sur les lieux pour délivrer son acte (c'est à ce moment qu'il peut s'apercevoir le plus souvent que le logement semble inoccupé).

A contrario, il revient à l'huissier de justice de faire preuve d'une vigilance supplémentaire lorsque le locataire est à jour de ses loyers et que le logement semble abandonné car, de facto, nous pourrions considérer qu'un locataire qui respecte son obligation de paiement fait état d'une volonté manifeste de ne pas vouloir quitter les lieux (ou de ne pas les abandonner).

C. L'établissement d'un procès verbal

Conditions de pénétration

7. En l'absence de réactions à la mise en demeure dans un délai d'un mois - constitutive d'une sorte de présomption d'abandon(6) - l'huissier de justice peut pénétrer dans les lieux, accompagné des témoins de l'article 21 de la loi n°91-650 du 9 juillet 1991.

Aucune autorisation supplémentaire n'est nécessaire : la simple absence de manifestation de l'occupant justifie que l'huissier de justice procède à l'ouverture forcée des portes.

Contenu du procès verbal

8. Une fois dans les lieux, l'huissier de justice dresse un procès verbal avec un inventaire des biens laissés sur place, en indiquant si ceux-ci ont une valeur marchande ou non, et demande la reprise du logement si celui-ci lui paraît abandonné.

Notons que si le procès verbal de l'huissier de justice indique des biens à valeur marchande, le juge d'instance n'a pas la possibilité de statuer sur leur sort(7). Ce pouvoir d'appréciation relève de la seule compétence du juge de l'exécution lequel sera saisi ultérieurement, au moment de la procédure de reprise. Concrètement, cela signifie que s'il existe des biens de valeur, le créancier devra attendre le nouvel inventaire fait par l'huissier de justice au moment des opérations de reprise et, par voie de conséquence, la décision du juge de l'exécution sur leur sort.

Cela nous paraît regrettable notamment en ce que cela allonge inutilement le délai de reprise des lieux. En effet, rien ne justifie ce choix procédural en deux temps : pourquoi si le juge d'instance peut déclarer certains biens abandonnés dans son ordonnance, ne peut-il pas aussi ordonner la vente aux enchères de ceux qui pourraient désintéresser pour partie le créancier ? Au-delà du souhait du législateur d'avoir une procédure de reprise efficace, cela éviterait un encombrement inutile de la juridiction de l'exécution et répondrait au souci d'une bonne administration de la justice.

9. Dès lors, la reprise peut être sollicitée alors même que des biens se trouvent encore sur place. Ceci est efficace mais présente, néanmoins, un risque. Souvent, les lieux sont dans un état indescriptible (meubles détruits, denrées alimentaires périmées...) et pourtant les locataires continuent d'occuper leur logement... L'huissier de justice doit donc être particulièrement vigilent lors de la rédaction de son acte pour déterminer si les lieux sont véritablement abandonnés. Comme il a pu l'être écrit(8), cet abandon supposé du logement par les occupants (et pas seulement par le locataire) ne doit pas être confondu avec l'abandon de domicile de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989. Sa preuve est beaucoup plus souple et repose sur un faisceau d'indices (courrier non relevé, attestation de voisins, résiliation des abonnements, mutation du locataire, volets toujours fermés, jardin en friche, etc.). La jurisprudence à venir nous éclairera certainement sur le nombre d'éléments et d'indices à retenir pour autoriser la reprise du logement (comme elle a pu le faire pour la motivation du procès verbal de signification selon les modalités de l'article 659 du Code de procédure civile).

10. Fort de son descriptif et des éléments probatoires trouvés sur place, il obtiendra par la suite la résiliation du bail.

II. La procédure visant à l'obtention de la résiliation du bail et le sort des meubles

11. Celle-ci se décompose en trois temps distincts : une requête doit être adressée au juge d'instance (A), qui devra, alors, rendre une ordonnance de résiliation du bail et de reprise des locaux (B). Enfin, viendra la temps de la reprise effective desdits locaux (C). Il peut, néanmoins, se trouver que des incidents de procédure (D) surviennent mais dont le sort est réglé par le décret.

A. Une requête adressée au juge d'instance

12. Elle résulte du décret n° 2011-945 du 10 août 2011 lequel prévoit que la procédure de reprise est formée par requête (où la condamnation du locataire au paiement des sommes dues au titre du contrat de bail peut aussi être sollicitée), remise ou adressée au greffe par le bailleur ou tout mandataire. Outre les mentions prescrites par l'article 58 du Code de procédure civile(9), elle est accompagnée des pièces justificatives, dont le procès-verbal d'huissier de justice visant à établir l'abandon.

13. C'est le juge du tribunal d'instance qui est compétent pour constater la résiliation du bail et ordonner la reprise des lieux s'il ressort manifestement des éléments fournis par le requérant, notamment du constat d'inoccupation des lieux et d'un défaut d'exécution par le locataire de ses obligations, que le bien a été abandonné par ses occupants (le cas échéant, il statue sur la demande en paiement).

B. L'ordonnance constatant la résiliation et prononçant la reprise

Contenu

14. S'il résulte de l'inventaire dressé par l'huissier de justice que des biens sont laissés sur place (ce qui n'est pas forcément le cas) le juge déclare abandonnés ceux qui n'apparaissant pas avoir de valeur marchande (à l'exception des papiers et documents de nature personnelle qui sont placés sous enveloppe scellée et conservés pendant deux ans par l'huissier de justice).

15. Il est important de noter que si le juge rejette la requête, sa décision est sans recours pour le bailleur sauf, pour celui-ci, à procéder selon les voies de droit commun (nous retombons alors dans l'hypothèse de l'assignation aux fins d'expulsion et de tous les délais qui s'y attachent).

Si la décision du magistrat fait droit à la demande, une expédition de l'ordonnance revêtue de la formule exécutoire est signifiée, à l'initiative du bailleur, au locataire et aux derniers occupants du chef du locataire connus du bailleur. La signification se fera ici vraisemblablement en respectant les modalités de l'article 659 du Code de procédure civile car il est rare qu'en cas de départ de l'occupant, l'huissier de justice connaisse sa nouvelle adresse.

La signification de l'ordonnance

16. La signification de l'ordonnance contient à peine de nullité (outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice) :

- l'indication qu'il peut être fait opposition à l'ordonnance par le destinataire qui entend la contester,

- l'indication du délai dans lequel l'opposition doit être formée,

- le tribunal devant lequel elle doit être portée et les formes selon lesquelles elle doit être faite,

- l'information que le destinataire peut prendre connaissance au greffe des documents produits par le bailleur,

- l'avertissement qu'à défaut d'opposition dans le délai indiqué, il ne pourra plus exercer aucun recours et que le bailleur pourra reprendre son bien.

En outre, la signification précise que si l'ordonnance statue sur le sort de meubles laissés sur place, il est fait avertissement qu'à défaut d'opposition dans le délai indiqué, aucun recours ne pourra être exercé et qu'il pourra être procédé à l'évacuation desdits meubles. De plus, il est fait sommation d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois suivant la signification de l'ordonnance et rappel des dispositions de l'article 207 du décret du 31 juillet 1992(10).

Si la signification n'est pas faite à personne, l'huissier de justice doit porter verbalement à la connaissance du locataire les indications mentionnées précédemment.

L'huissier de justice dispose, par ailleurs, d'un délai de deux mois pour signifier l'ordonnance rendue, à défaut, elle est non avenue. Cela procède de la logique de célérité attachée à ladite procédure.

17. Comme indiqué, le juge d'instance statue par voie d'ordonnance sur le sort des meubles dénués de valeur et laissés sur place. Le défaut d'opposition dans le délai d'un mois en permet donc l'évacuation. S'il est fait sommation à l'occupant d'avoir à les retirer dans ce délai (au risque qu'à défaut de manifestation de sa part, les biens sans valeur soient déclarés abandonnés à l'expiration du délai - à l'exception des papiers et documents de nature personnelle qui seront placés sous enveloppe scellée et conservés pendant deux ans par l'huissier de justice -), nous pouvons nous interroger sur l'utilité de cette mesure alors que l'occupant ne se trouve plus dans les lieux. En effet, la logique voudrait que si un occupant abandonne son local d'habitation, il abandonne parallèlement les biens qui s'y trouvent. Procédant de cette logique, il aurait été plus rapide que l'ordonnance prévoit immédiatement l'enlèvement des biens sans avoir à sommer l'occupant de le faire dans un délai d'un mois. Néanmoins, deux raisons peuvent expliquer cette volonté du législateur :

- il est possible que l'huissier de justice ou le bailleur connaissent la nouvelle adresse du débiteur. Dès lors, ce dernier doit avoir la possibilité de récupérer ses biens (en effet, la pratique montre que ceux-ci peuvent « se réveiller » tardivement et attacher une valeur subite à un bien qu'ils avaient pourtant laissé à l'abandon) ;

- cela peut, par ailleurs, représenter une économie substantielle pour le bailleur dans la mesure où, si les biens n'ont aucune valeur marchande, il sera fait l'économie des déménageurs (ou toutes autres entreprises) pour avoir à évacuer les biens déclarés abandonnés. En effet, même si la loi prévoit que le coût de la procédure est à la charge du débiteur, il n'est pas rare, en pratique, que ce dernier soit totalement insolvable et que le coût final incombe finalement au bailleur.

Le recours contre l'ordonnance

18. Le locataire ou tout occupant de son chef peut former opposition à l'ordonnance dans le délai d'un mois suivant la signification par déclaration remise ou adressée au greffe (l'exécution de l'ordonnance est suspendue pendant le délai d'opposition ainsi qu'en cas d'opposition formée dans ce délai).

Si le locataire s'oppose à l'ordonnance, le greffier en avise sans délai l'huissier de justice ayant dressé le procès-verbal et convoque les parties à l'audience. La convocation est alors adressée à toutes les parties, même à celles qui n'ont pas formé opposition.

19. Le tribunal statue sur les demandes présentées par le bailleur et connaît des demandes incidentes ou moyens de défense au fond qui ne soulèvent pas une question relevant de la compétence exclusive d'une autre juridiction.

Le jugement du tribunal se substitue alors à l'ordonnance.

C'est pourquoi nous invitons l'huissier de justice à un maximum de prudence lors de la mise en place de cette procédure spécifique car si le juge constate que la requête a été présentée de manière abusive (ce qui relève de son pouvoir discrétionnaire), il peut condamner le demandeur à l'amende civile prévue par l'article 32-1 du Code de procédure civile lequel dispose que : « celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 3 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés »

20. Si le locataire ne s'oppose pas à l'ordonnance dans le mois de la signification (ce qui sera, à notre avis, le cas le plus fréquent puisque les lieux sont abandonnés et que la signification sera vraisemblablement délivrée selon les modalités de l'article 659 du Code de procédure civile), ou en cas de désistement de la partie qui a formé opposition, l'ordonnance produit tous les effets d'un jugement passé en force de chose jugée et le bailleur pourra reprendre son bien. Toutefois, un relevé de forclusion peut être demandé dans les conditions prévues à l'article 540 du Code de procédure civile. Cela semble parfaitement logique au vu de ce que nous avons supposé supra, le locataire n'étant au courant de la procédure que tardivement si l'acte est signifié selon les modalités de l'article 659 du Code de procédure civile.

C. La reprise des lieux

La reprise des lieux lorsque le local est vide de tous biens

21. Il s'agit de l'hypothèse « idéale ». Cela signifie que l'huissier de justice indique dans son procès verbal (joint à la requête aux fins de reprise) qu'il n'existe aucun bien dans le local. Le juge d'instance rend alors une ordonnance aux fins de reprise, qui, à l'expiration du délai d'opposition d'un mois, produit tous les effets d'un jugement passé en force de chose jugée.

L'huissier de justice reprend alors les lieux au visa de l'article 208-2 nouveau du décret du 31 juillet 1992 lequel prévoit que « l'huissier de justice chargé de l'exécution dresse un procès-verbal des opérations de reprise des lieux dans les conditions prévues par l'article 199 (?) » du décret du 31 juillet 1992.

Notons que ce nouveau texte évoque « un procès verbal de reprise » alors qu'il s'agit en réalité d'un procès verbal d'expulsion. D'ailleurs, le texte de l'article 199 (auquel il est fait renvoi) du décret du 31 juillet 1992 dispose que : « L'huissier de justice dresse un procès-verbal des opérations d'expulsion qui contient, à peine de nullité :

1° La description des opérations auxquelles il a été procédé et l'identité des personnes dont le concours a été nécessaire ;

2° La désignation de la juridiction compétente pour statuer sur les contestations relatives aux opérations d'expulsion (…)».

La reprise des lieux en présence de biens sans valeur marchande sur lesquels le juge d'instance a statué

22. Il s'agit de l'hypothèse dans laquelle l'huissier de justice dresse un inventaire des biens se trouvant sur place et aucun d'eux n'ont de valeur marchande. Le juge d'instance saisi peut alors les déclarer abandonnés.

Dans ces conditions, le débiteur dispose d'un délai d'un mois pour les retirer (même délai que pour former opposition) à compter de la signification de l'ordonnance. A défaut, ces biens seront déclarés abandonnés et l'huissier de justice procédera à leur évacuation.

L'huissier de justice reprend alors les lieux sur le fondement de l'article 208-2 nouveau du décret du 31 juillet 1992 précité.

La reprise des lieux en présence de biens avec ou sans valeur marchande sur lesquels le juge d'instance n'a pas statué

23. L'article 208-4 nouveau du décret du 31 juillet 1992 prévoit l'hypothèse suivante : « (…) s'il reste sur place des meubles sur le sort desquels il n'a pas déjà été statué, il est fait application des dispositions des articles 200, 201, à l'exception de son deuxième alinéa, et 203 à 207 [du Décret] ; toutefois, le délai prévu au 3° de l'article 201 et à l'article 203 est de quinze jours ».

Cela signifie que si le juge d'instance n'a pas statué sur le sort des biens dans son ordonnance, l'huissier de justice dressera un inventaire des biens laissés sur place dans son procès verbal de reprise à l'expiration du délai d'opposition d'un mois.

24. Dès lors, sur quels biens le juge d'instance doit-il statuer dans son ordonnance aux fins de reprise ? Comme évoqué précédemment, le texte du décret du 10 août 2011 prévoit que le juge peut déclarer, dans son ordonnance, comme abandonnés, les biens n'apparaissant pas avoir de valeur marchande. A contrario, cela signifie que le juge ne statue pas sur les biens ayant une valeur marchande (ou encore sur les biens ayant fait l'objet d'une saisie antérieure). De plus, le texte de l'article 5 du décret du 10 août 2011 prévoit, dans son 5°, que si l'ordonnance statue sur le sort de meubles laissés sur place, à défaut d'opposition dans le délai d'un mois ou du débiteur de les retirer, il peut être procédé à leur évacuation. Soulignons que le texte ne prévoit pas la vente aux enchères de ces biens mais bien leur évacuation ! 

En conséquence, et s'agissant des biens ayant une valeur marchande, il doit alors être fait renvoi aux dispositions propres à la procédure d'expulsion « classique » : il appartient au juge de l'exécution de statuer sur leur sort.

C'est pourquoi il est important que l'huissier de justice, au moment de la rédaction de son procès verbal d'inventaire, soit particulièrement précis dans l'indication de la valeur marchande ou non des biens laissés sur place car de ce procès verbal dépend la compétence du juge pour statuer sur leur sort.

25. L'article 200 du décret du 31 juillet 1992 précise que « lorsque les biens situés dans un local sont indisponibles en raison d'une saisie antérieurement pratiquée par un autre créancier, ils sont remis à un séquestre, à moins que la personne expulsée n'indique le lieu où ils seront transportés. Il en est dressé inventaire dans le procès-verbal d'expulsion, avec l'indication du lieu où ils seront déposés. 

Le procès-verbal est dénoncé au créancier saisissant. Si le propriétaire du local entend se joindre à la saisie, l'opposition est faite avec la dénonciation du procès-verbal. »

La logique du texte nous échappe ici : lors de cette procédure de reprise spécifique, nous imaginons mal comment le locataire peut indiquer un endroit où les biens sont transportés puisqu'il n'est logiquement plus dans les lieux. Sauf à supposer que sa nouvelle adresse soit connue ; mais alors le texte perd toute sa cohérence en imposant un « déplacement » à l'huissier de justice pour recueillir la déclaration de « l'expulsé » ! (le procès verbal d'expulsion se rédige sur les lieux de l'expulsion).

26. L'article 201 prévoit, quant à lui, l'hypothèse où des biens ont été laissés sur place ou déposés par l'huissier de justice en un lieu approprié. Concrètement, l'huissier de justice obtient son ordonnance, se transporte sur les lieux pour reprendre possession du bien au nom de son mandant et il reste encore des biens sur place (à valeur marchande ou non).

Dès lors, le procès-verbal d'expulsion doit contenir l'inventaire de ces biens avec l'indication qu'ils paraissent avoir ou non une valeur marchande (ne l'avait-il pas déjà fait lors de son procès verbal d'inventaire au moment du dépôt de la requête ?); sommation à la personne expulsée, d'avoir à les retirer dans le délai d'un mois non renouvelable à compter de la signification de l'acte, faute de quoi les biens qui n'auront pas été retirés seront, sur décision du juge, vendus aux enchères publiques ou déclarés abandonnés selon le cas. Il est important de rappeler, ici, que, dans le cas de la procédure de reprise du local abandonné, le délai de la sommation d'avoir à retirer les biens est porté à 15 jours.

Enfin, le procès verbal emporte convocation de la personne expulsée d'avoir à comparaî tre devant le juge de l'exécution du lieu de la situation de l'immeuble afin qu'il soit statué sur le sort des biens qui n'auraient pas été retirés avant le jour de l'audience.

Relevons que l'huissier de justice doit indiquer dans son procès verbal d'expulsion si les biens ont une valeur marchande ou non. En outre, le texte laisse donc explicitement compétence au juge de l'exécution pour statuer sur le sort des biens à valeur marchande.

Comme nous l'avons vu, le juge d'instance ne statue que sur les biens qui n'ont aucune valeur. Pourtant l'article 201 du décret prévoit que l'inventaire dressé par l'huissier doit indiquer aussi les biens à valeur non marchande ! Cela ne fait-il pas double emploi avec le procès verbal d'inventaire joint à la requête pour la reprise des lieux ?

27. L'article 203 précise que le délai prévu par l'article 65 de la loi du 9 juillet 1991(11) est d'un mois non renouvelable à compter de la signification du procès-verbal d'expulsion. Pour la procédure du logement abandonné, ce délai passe à 15 jours.

28. L'article 204 du décret du 31 juillet 1992 prévoit qu'en vue de l'audience pour le cas où tous les biens de la personne expulsée n'auraient pas été retirés du lieu où ils ont été entreposés, le juge est saisi par le dépôt d'une copie du procès-verbal d'expulsion. Au cours de cette audience, l'huissier de justice peut être entendu.

Si tous les biens ont été retirés avant le jour prévu pour la date de l'audience, le propriétaire du local est tenu d'en informer le juge par tout moyen écrit ou par déclaration au greffe (article 205 du décret du 31 juillet 1992). Comme nous l'avions évoqué supra, cela suppose non seulement que l'huissier de justice ait pu joindre l'ancien occupant à sa nouvelle adresse mais aussi que ce dernier soit venu retirer ses biens.

Si les biens laissés sur place ou déposés en un lieu approprié ont une valeur marchande, le juge décide qu'ils seront mis en vente aux enchères publiques, y compris ceux qui sont insaisissables de par leur nature.

Après inventaire de ces biens, il est procédé à leur vente forcée comme en matière de saisie-vente.

Le produit de la vente, après déduction des frais et s'il y a lieu du montant de la créance du bailleur, est consigné au profit de la personne expulsée qui en est informée par l'officier ministériel chargé de la vente au moyen d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée à sa demeure actuelle ou, si celle-ci est inconnue, au lieu de son dernier domicile (article 206 du décret du 31 juillet 1992).

Enfin, les biens n'ayant aucune valeur marchande sont déclarés abandonnés, à l'exception des papiers et documents de nature personnelle qui sont placés sous enveloppe scellée et conservés pendant deux ans par l'huissier de justice. Avis en est donné à la personne expulsée, comme il est dit au dernier alinéa de l'article 206. A l'expiration du délai prévu au premier alinéa, l'huissier de justice détruit les documents conservés et dresse un procès-verbal qui fait mention des documents officiels et des instruments bancaires qui ont été détruits (article 207 du décret du 31 juillet 1992).

D Les incidents de la procédure

29. L'article 208-4 du décret du 31 juillet 1992 prévoit que « (?) 2° S'il s'avère, à l'occasion des opérations de reprise des locaux, que ceux-ci sont à nouveau occupés par la personne expulsée ou toute personne de son chef, l'huissier de justice procède conformément aux dispositions du chapitre Ier, sans qu'il ait à obtenir un nouveau titre d'expulsion ». Cela suppose alors la délivrance d'un commandement de quitter les lieux et le respect de la procédure d'expulsion « classique ».

30. Le 3° de ce même article envisage quant à lui l'hypothèse de réinstallation sans titre de la personne expulsée postérieurement aux opérations de reprise des locaux. Celle-ci est alors constitutive de voie de fait et la signification de la décision de justice, passée en force de chose jugée, autorisant la reprise des lieux, tient lieu de commandement d'avoir à libérer les locaux. L'huissier de justice pourra, dès lors, procéder immédiatement à l'expulsion.

Observations conclusives

31. La procédure de reprise des logements abandonnés ainsi créée est venue remédier à une incohérence sociale qui supposait qu'un propriétaire use de la longue et fastidieuse procédure d'expulsion pour pouvoir récupérer un bien dont on avait souvent la certitude qu'il était abandonné. Par ses dispositions, cette procédure contribue à une remise sur le marché plus rapide de biens mis à la location et empêche également la détérioration potentielle d'un bien immobilier inoccupé pendant la longue période de procédure d'expulsion.

32. Toutefois, plusieurs questions doivent être soulevées afin de rendre plus efficace le dispositif. Si l'on excepte la problématique tarifaire à laquelle sont confrontés les praticiens, on peut regretter que le temps procédural ne tienne pas compte de certaines réalités de terrain et plus encore de réalités économiques.

Ainsi, il est fréquent qu'une nouvelle adresse du locataire ait été retrouvée avant même la délivrance de la mise en demeure, l'attente du délai d'un mois dans ce cas paraît alors être une éternité pour le propriétaire avisé de la situation et dont la certitude de la réalité du nouveau domicile est confortée par les confirmations de l'huissier de justice ou de son clerc significateur chargé de la signification de la mise en demeure.

Par ailleurs, si les compétences naturelles du juge d'instance et du juge de l'exécution peuvent permettre de comprendre le recours à ces deux juridictions pour le même litige, on peut, toutefois, s'interroger sur la cohérence du maintien de deux phases relatives au sort des biens que ceux-ci, aient, une valeur marchande ou non.