La mention d'un « recours » dans l'acte de signification d'une ordonnance sur requête(1)

Marcel FOULON Président de Chambre honoraire (chambre des référés) à la Cour d'appel de Paris

Yves STRICKLER

Professeur agrégé à l'Université Nice Sophia Antipolis,

Directeur du Centre d'Etudes et de Recherches en Droit des Procédures (E.A. n° 1201)

La mention d'un « recours » dans l'acte de signification d'une ordonnance sur requête est parfois exigée par les juges de l'exécution sans, pour autant, que le fondement légal d'une telle exigence ait été questionné. C'est donc à l'existence même d'une telle obligation que les auteurs consacrent leur étude tout en rappelant que la rétractation n'est pas la seule voie du retour à la contradiction.

I. 09 1. Certains juges, notamment des juges de l'exécution, exigent, sous peine de la nullité de l'acte, que la signification d'une ordonnance sur requête, mentionne les termes de l'article 496, alinéa 2, du Code de procédure civile : « S'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance ». Il convient de se demander, si cette exigence louable est juridiquement fondée.

Dans aucune de nos études, consacrées à l'ordonnance sur requête, nous n'avons, il est vrai, abordé cette question(2). Nous avions seulement indiqué dans celle intitulée « Le constat sur requête avant tout procès - Quatre ans après »(3) que « L'ordonnance rendue et la requête qui l'a initiée doivent être signifiées ensemble. Cette obligation, qui est destinée “à faire respecter le principe de la contradiction”(4), résulte de l'article 495, alinéa 3 du Code de procédure civile. Ce texte impose de laisser “copie de la requête et de l'ordonnance (...) à la personne à laquelle elle est opposée” et ce, quand bien même l'ordonnance aurait été communiquée au cours des débats(5). Il faut rappeler que l'expression “laisser à la personne” utilisée par l'alinéa troisième du texte veut dire “signifier”(6) ».

2. Mais nous avions également dit, que la rétractation qu'il est possible de solliciter du juge « n'est pas une voie de recours »(7)&(8). Ce ne peut-être, en effet, une voie de recours puisque l'on sait que la décision sur rétractation pourra faire l'objet d'un appel, moment de la véritable apparition d'une voie de recours en la matière(9). Il s'ensuit que ne s'applique pas l'alinéa 1er de l'article 680 du Code de procédure civile, selon lequel « L'acte de notification d'un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l'une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ».

3. Le Code de procédure civile a prévu, sous peine de nullité, que l'acte de signification de l'ordonnance portant injonction de payer doit indiquer, outre les mentions [p. 215] prescrites pour les actes d'huissier de justice, « le délai dans lequel l'opposition doit être formée, le tribunal devant lequel elle doit être portée et les formes selon lesquelles elle doit être faite »(10). Il en est de même de l'article 1424-5 du Code de procédure civile à propos de l'injonction de payer européenne(11).

Mais aucun texte ne prévoit spécifiquement une telle obligation pour les ordonnances sur requête de « droit commun ». Est-ce à dire qu'aucune obligation ne pèse sur l'huissier de justice ? Pour répondre à cette question, il convient d'abord de préciser que la rétractation n'est pas la seule voie prévue pour parvenir à la procédure contradictoire (I). Nous pourrons alors et ensuite, nous attacher à vérifier si l'acte de signification des ordonnances sur requête doit ou non préciser le moyen d'accéder au juge (II).

I. Les voies de retour à la contradiction

4. La règle de principe est que celle-ci se fait par la rétractation. Mais il y a des exceptions et l'on relèvera que, parmi celles-ci, certaines prévoient l'obligation de mentionner la voie de retour à la contradiction alors ouverte. Les exceptions à la règle habituelle se manifestent devant le juge de l'exécution (A), en matière de propriété littéraire et artistique (B) et dans les cas où une « opposition » est substituée à la « rétractation » (C).

A. Devant le juge de l'exécution

5. La procédure n'est pas celle de la rétractation, mais celle de la « mainlevée »(12). Toutes les procédures devant le juge de l'exécution ne sont pas concernées et ainsi, on observe que, sur le point qui nous occupe, rien n'est prévu par les textes concernant les mesures conservatoires sous forme de suretés judiciaires (art. L. 511-1, CPCE). En revanche, les textes qui prévoient l'obligation de porter la mention de la voie de retour à la contradiction, apparaissent avec :

6.  La saisie conservatoire sur meubles corporels, pour laquelle l'article R. 522-1, 5° et 6° du Code des procédures civiles d'exécution (CPCE) indique que l'acte de l'huissier de justice « contient à peine de nullité : (...) 5° L'indication, en caractères très apparents, que le débiteur peut, si les conditions de validité de la saisie ne sont pas réunies, en demander la mainlevée au juge de l'exécution du lieu de son domicile ; [ainsi que] 6° La désignation de la juridiction devant laquelle seront portées les autres contestations, notamment celles relatives à l'exécution de la saisie ».

7.  La saisie conservatoire des créances, qui doit être dénoncée au débiteur par acte d'huissier de justice et ce, sous peine de caducité, dans un délai de huit jours (art. R. 523-3, al. 1er, CPCE). Le texte ajoute que l'acte doit contenir, à peine de nullité, tant « 3° La mention, en caractères très apparents, du droit qui appartient au débiteur, si les conditions de validité de la saisie ne sont pas réunies, d'en demander la mainlevée au juge de l'exécution du lieu de son domicile ; [que] 4° La désignation de la juridiction devant laquelle seront portées les autres contestations, notamment celles relatives à l'exécution de la saisie ».

8.  La saisie conservatoire des droits d'associés qui, « dénoncée au débiteur par acte d'huissier de justice » (art. R. 524-2 CPCE), contient, là encore à peine de nullité, « 3° La mention, en caractères très apparents, du droit qui appartient au débiteur, si les conditions de validité de la saisie ne sont pas réunies, d'en demander la mainlevée au juge de l'exécution du lieu de son domicile ; [comme] 4° La désignation de la juridiction devant laquelle seront portées les autres contestations, notamment celles relatives à l'exécution de la saisie ».

9.  La saisie conservatoire dans un coffre fort répond aux mêmes principes (cf. art. R. 525-2, CPCE) en ce que l'acte d'huissier de justice « est signifié au débiteur [et cet] acte contient à peine de nullité (...) 4° La mention, en caractères très apparents, du droit qui appartient au débiteur, si les conditions de validité de la saisie ne sont pas réunies, d'en demander la mainlevée au juge de l'exécution du lieu de son domicile ».

B. En matière de propriété littéraire et artistique, droits d'auteur et droits voisins(13)

10. Le retour à la contradiction résulte, en la matière, de l'article L. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle. Ce texte prévoit que, dans un certain délai(14), le saisi comme le tiers saisi « peuvent demander au président du tribunal de grande instance de prononcer la mainlevée de la saisie ou d'en cantonner les effets, ou encore d'autoriser la reprise de la fabrication ou celle des représentations ou exécutions publiques, sous l'autorité d'un administrateur constitué séquestre, pour le compte de qui il appartiendra, des produits de cette fabrication ou de cette exploitation ». On remarquera qu'aucun texte ne prévoit ici l'exigence d'une mention quelconque dans l'acte de signification. Ce qui ne veut pas dire qu'elle ne sera pas requise(15).

[p. 216] C. Cas où une « opposition » est substituée à la « rétractation »(16)

11. L'article 680 du Code de procédure civile mentionne expressément l'opposition(17). Aussi, chaque fois qu'une opposition est substituée à la rétractation, il faut appliquer l'exigence de ce texte et indiquer de manière très apparente le délai comme les modalités d'exercice de cette voie.

12. Tel sera le cas dans le cadre du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 relatif à l'application de la loi n° 789 du 4 janvier 1978 modifiant le Titre IX du Livre III du Code civil : De la société. En effet, la désignation du liquidateur, lorsque les associés ne sont pas parvenus à s'entendre sur ce point, intervient, aux termes de l'article 9 de ce texte, « à la demande de tout intéressé, par ordonnance du président du tribunal de commerce pour les sociétés commerciales ou du tribunal de grande instance dans les autres cas, statuant sur requête ». Ce texte poursuit en son alinéa second, en ouvrant une voie d'opposition à l'ordonnance alors rendue, au profit de tout intéressé qui a quinze jours à cet effet à compter de la date de la publication de l'acte de nomination des liquidateurs (qui doit elle même intervenir dans le délai d'un mois dans un journal habilité à recevoir les annonces légales dans le département du siège social et, en outre, si la société a fait publiquement appel à l'épargne, au Bulletin des annonces légales obligatoires, art. 27 du décret). L'opposition est portée devant le tribunal dont le président a rendu l'ordonnance et non devant le président qui a statué (même texte). Sur cette opposition, le tribunal peut désigner un autre liquidateur.

Le même mécanisme résulte des dispositions de l'article L. 237-19 du Code de commerce : « Si les associés n'ont pu nommer un liquidateur, celui-ci est désigné par décision de justice à la demande de tout intéressé, dans les conditions déterminées par décret en conseil d'État » auquel renvoie l'article R. 237-12 du même code : « Dans le cas prévu à l'article L. 237-19, le liquidateur est désigné par ordonnance du président du tribunal de commerce, statuant sur requête.

Tout intéressé peut former opposition à l'ordonnance dans le délai de quinze jours à dater de sa publication dans les conditions prévues à l'article R. 237-2. Cette opposition est portée devant le tribunal de commerce qui peut désigner un autre liquidateur ».

II. L'acte de signification des ordonnances sur requête doit-il préciser le moyen d'accéder au juge ?

13. La loi ne prévoyant rien, il serait tentant de répondre par la négative. La Cour de cassation n'a jamais eu, à notre connaissance, à se prononcer sur cette question. À la justification d'une réponse positive à apporter à l'interrogation posée (A), s'ajoutera la précision de la sanction de l'omission de la formalité attendue (B).

A. Une obligation justifiée

14. On commencera par la matière des saisies-contrefaçon, sachant qu'en ce domaine, il y a lieu d'isoler, pour la bonne compréhension de l'exposé, la propriété littéraire et artistique des autres situations. En effet, il n'existe pas ici de rétractation, mais une mainlevée(18). Pourtant les juridictions du fond (surtout parisiennes compte tenu de la matière) fournissent une jurisprudence relativement abondante, qui se caractérise par une assimilation, d'une part, entre rétractation et mainlevée et, d'autre part, entre rétractation et voie de recours. Ainsi :

Par un arrêt du 12 janvier 2005, la Cour d'appel de Paris(19) refusait de sanctionner la nullité de la procédure « dès lors que l'absence de recours en rétractation ne prive pas le saisi de la faculté de contester au fond la validité de la saisie ». Le commentateur s'en étonne en relevant une erreur selon laquelle « ce n'est pas l'indication d'un recours en rétractation qui manquait mais tout différemment et exclusivement celle des recours exceptionnels prévus par l'article L. 332-2 CPI »(20). Mais ce faisant, ne se trompe-t-il pas lui aussi dans la mesure où la rétractation comme la mainlevée ne forment pas un « recours »(21) ? D'ailleurs, l'article 680 du Code de procédure civile ne vise pas « les recours », ni « la mainlevée » mais, exclusivement « l'opposition, l'appel, le pourvoi en cassation ». Il ne s'applique pas à la rétractation, et pas davantage à la mainlevée.

Par une décision du 31 janvier 2012, le Tribunal de grande instance de Paris, reprenant les mots des conclusions du demandeur(22) se plaignant que « l'acte de signification de l'ordonnance ne mentionne pas les voies de recours alors que cette mention est prescrite à peine de nullité en application de l'article 693 du Code de procédure civile » estime que « force est de constater que ni l'ordonnance, ni l'acte de signification de l'ordonnance n'indique la voie de recours ouverte à tout intéressé, en l'occurrence le référé rétractation ».

La Cour de cassation l'a à plusieurs reprises rappelé : « la procédure de rétractation de l'ordonnance sur requête est sans application en matière de saisie-contrefaçon [des articles [p. 217] L. 332-2 et L. 332-4 du Code de la propriété intellectuelle] soumise au seul Code de la propriété intellectuelle »(23).

15. En revanche, en matière de propriété industrielle, à savoir : dessins et modèles (art. L. 521-4, L. 521-6, CPI), marques (art. L. 716-7, L. 716-6, CPI), brevets d'invention (art. L. 616-5, L. 615-3, CPI), obtention végétales (art. L. 623-27-1, L. 623-27, CPI), indications géographiques (art. L. 722-4, L. 722-3, CPI), c'est le droit commun des ordonnances sur requêtes qui s'applique pour toutes les saisies-contrefaçon.

16. Dans ce droit commun, et donc pour les autres ordonnances sur requête, la raison d'être de la procédure sur requête réside dans son principal effet recherché, à savoir, la mise en sommeil du principe de la contradiction. Mais la voie unilatérale produit un autre effet : l'interversion de l'ordre naturel des parties. En effet, si le requérant avait agi par voie contradictoire, qui est la voie normale, il aurait en sa qualité de demandeur assigné le défendeur. En agissant subrepticement, le requérant prend - dans la réalité des faits et - par cette voie procédurale, le costume d'un défendeur qu'il n'est pas. Le véritable défendeur, ne connaî t la procédure que par la signification de l'ordonnance sur requête, qui constitue pour lui une véritable assignation. Dans une procédure « normale » contradictoire, l'assignation mentionne bien évidemment « L'indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée » ; il serait aberrant que le « faux demandeur requérant », en réalité défendeur ignore devant quel juge il doive agir pour se défendre contre une mesure prise à son insu. Il nous semble donc que, conformément à l'article 56 du Code de procédure civile, la signification de l'ordonnance sur requête doit contenir l'indication de la juridiction devant laquelle la demande de rétractation doit être portée.

17. Ce raisonnement vaut pour toutes les formes de requêtes, y compris celles dont le retour à la contradiction ne se fait pas par la rétractation, mais par une opposition ou une mainlevée.

Cette règle doit, en conséquence s'appliquer aux procédures de mainlevée ou d'opposition, qui prévalent en matière de propriété littéraire et artistique(24).

18. En résumé l'acte de signification devrait mentionner :

1/ saisies contrefaçons en matière de propriété littéraire et artistique : « cette ordonnance sur requête est susceptible de mainlevée devant le juge signataire de ladite ordonnance dans le délai de vingt jours conformément à l'article R. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle ».

2/ saisies contrefaçons en matière de propriété industrielle : « cette ordonnance est susceptible de rétractation devant le juge signataire de ladite ordonnance, conformément à l'article 496 du Code de procédure civile ».

3/ nomination sur requête d'un liquidateur de société « cette ordonnance sur requête est susceptible d'opposition devant le tribunal du président signataire de l'ordonnance sur requête, dans le délai de quinze jours conformément à l'article 9 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 ».

4/ mesure conservatoire prise sous forme de sûreté judiciaire par le juge de l'exécution : « cette ordonnance est susceptible de mainlevée devant le juge signataire de ladite ordonnance ».

5/ saisies conservatoires sur meubles corporels : « cette ordonnance est susceptible de mainlevée devant le juge signataire de ladite ordonnance, conformément à l'article R. 522-1, 5° et 6° du Code des procédures civiles d'exécution ».

6/ saisie conservatoire des créances : « cette ordonnance est susceptible de mainlevée devant le juge signataire de ladite ordonnance, conformément à l'article R. 523-3, 3° et 4° du Code des procédures civiles d'exécution ».

7/ saisie conservatoire des droits d'associés : « cette ordonnance est susceptible de mainlevée devant le juge signataire de ladite ordonnance, conformément à l'article R. 524-2, 3° et 4° du Code des procédures civiles d'exécution ».

8/ saisie conservatoire dans un coffre fort : « cette ordonnance est susceptible de mainlevée devant le juge signataire de ladite ordonnance, conformément à l'article R. 525-2, 4° du Code des procédures civiles d'exécution ».

9/ rétractation des ordonnances sur requête de droit commun : « cette ordonnance est susceptible de rétractation devant le juge signataire de ladite ordonnance, conformément à l'article 496 du Code de procédure civile ».

B. La sanction de l'absence de mention du moyen d'accéder au juge dans l'acte de signification

19. L'omission de l'indication attendue dans l'acte de signification sera sanctionnée par la nullité pour vice de forme(25). En conséquence, le demandeur devra prouver le grief(26)(27).

Ce grief ne pourra être invoqué lorsque, et c'est souvent le cas en pratique, le juge des requêtes précautionneux aura précisé dans le dispositif de son ordonnance : « IV/ Rappelle que tout intéressé peut en référer au juge signataire de la présente décision »(28).

20. L'on peut regretter, encore une fois, la disparité des textes et une réponse casuistique à nombre de situations. C'est pourquoi nous suggérons la suppression de ces réponses particulières et l'instauration d'un texte unique exposant un principe, applicable à toutes ces situations.