CHARGES RÉCUPÉRABLES

 

Par Claude CIVERDON

 

 

‑ La loi du 6 juillet 1989 a consacré son article 23 aux charges récupérables qu'il définit « sommes accessoires au loyer principal exigibles en contrepartie de services rendus ». La liste en est fournie par le décret n' 87713 du 26 août 1987 pris en application de l'article 18 de la loi du 23 décembre 1986 ; ce décret, toujours applicable, avait lui‑même repris les dispositions du décret n' 82‑954 du 9 novembre 1982 pris en application de la loi du 22 juin 1982.

 

Cette liste est limitative et la constatation que l'on peut faire de la continuité des dispositions réglementaires qui la fixent, permet de déduire que la consistance des charges récupérables n'a guère évolué. On peut ajouter qu'il en est de même pour les modalités de leur récupération.

 

Et pourtant, si l'on se réfère aux décisions rendues et sans doute plus encore aux réponses ministérielles aux questions écrites de parlementaires, on doit constater que le caractère limitatif se concilie assez mal avec les dépenses qui doivent être exposées pour satisfaire aux exigences de plus en plus importantes en matière d'hygiène et de propreté, ou de sécurité. Il est donc permis d'émettre le voeu que la liste des charges récupérables soient complétée afin de tenir compte de ces exigences.

 

Cette démarche serait sans doute préférable à celle suivie dans ces dernières années qui va dans le sens d'une fiscalisation de certaines dépenses jusqu'alors considérées comme charges récupérables, par exemple le prélèvement opéré par l'Etat pour frais de gestion en matière d'enlèvement des ordures ménagères.

 

Sous le bénéfice de ces observations, on fera le point actuel de la question en examinant successivement la liste des charges récupérables et les modalités de leur récupération.

 

 LISTE DES CHARGES RÉCUPÉRABLES

 

‑Ainsi que la remarque vient d'en être faite, le caractère limitatif de la liste des charges récupérables donnée par le décret n' 87‑713 du 26 août 1987 (sur ce caractère, V CA Paris, 8' eh., 17 mars 1998.‑ Loyers et copr 1998), a pour résultat d'exclure certaines dépenses qui, cependant, doivent être engagées pour satisfaire aux besoins d'hygiène, de propreté, ou de sécurité.

 

De nouvelles exigences en matière d'hygiène et de propreté

 

‑ D'abord une précision, concernant les dépenses d'entretien des parties communes et d'élimination des rejets, il a été jugé qu'elles étaient récupérables sur les locataires même si les deux tâches n'étaient pas assurées par la même personne, gardien ou employé d'immeuble (CA Paris, 5' eh. B, 20 mars 1991 Loyers et copr 1991, comin. n' 283. ‑ CA Paris, 8'ch. C, 17 mars 1998 Loyers et copr. 1998). Ce serait, en effet, ajouter au texte que de dire que ces dépenses ne sont récupérables que si elles sont assurées cumulativement. En revanche, la rémunération d'un gardien qui effectue un travail administratif  de contrôle et de surveillance, mais n'intervient pas directement pour assurer l'entretien des parties communes et l'élimination des rejets, ne peut être récupérée (CA Paris, 17 mars 1998, préc.).

 

On précise également que les dépenses de personnel, lorsqu'elles sont récupérables s'entendent de la rémunération proprement dite et des charges sociales et fiscales (Rép. min. .‑ JOAN Q 31 déc. 1990 p. 5932 : ICP N 1991, Prat. p. 452).

 

- L’interprétation stricte qu'implique le caractère limitatif de la liste donnée par le décret du 26 août 1987 est appliquée ‑ à l'enlèvement des objets encombrants qui doit être distingué de l'élimination des rejets qui correspond au seul enlèvement des ordures (TI Villeurbanne, 7 nov. 1995 : .1uris‑Data n' 0‑13910) ‑ aux frais de location d'une poubelle (Cass. 3' civ., 5 oi ‑t. 1994 ‑ Loyers et copr. 1994, comm. n' 462. ‑ V cependant, CA Paris, 6'ch. B, 12 oct. 1995.‑ Iuris‑Data n' 023334, pour la location de containers à ordures). Toujours, sur le fondement du caractère limitatif de la liste donnée par le décret du 26 août 1987, la qualification de charges récupérables n'a pas été admise: ... pour les frais de ravalement (Cass. 3' civ., 21févr 1996 . Ami. loyers 1996, p. 552 ; Rej). min. n° 1493 : Loyers et copr. 1989, connu. n' 538)... aux frais de débouchage des vide‑ordures (Cass. 3ème civ, 10 mars 1999)... aux frais de location d'une citerne à gaz dès lors que cette location ne correspond pas à un service rendu au locataire, mais permet seulement à ce dernier de pouvoir chauffer son logement afin de le rendre habitable (CA Rennes, 4' ch., 23 avr. 1998 )... aux travaux de nettoyage des graffitis apposés sur les parties communes (Cass. 3 civ., 17 juill. 1997).

 

 

De nouvelles exigences en matière de sécurité

 

 ‑ Dans le sens de l'interprétation restrictive liée au caractère limitatif de la liste fixée par le décret du 26 août 1987, il faut relever une réponse du ministre délégué au logement à la question des frais de gardiennage, en particulier dans les immeubles HLM, réponse de laquelle il résulte que lorsqu'un gardien effectue uniquement des tâches de surveillance, les dépenses correspondant à sa rémunération restent à la charge du bailleur, saufsi un accord collectifest passé avec les locataires conformément à l'article 42 de la loi n' 86‑1290 du 23 décembre 1986 (Rep. min. n°' 43044 ~10AN Q 2 déc. 1996, p. 6331).

 

Il faut noter également un arrêt de la 3' chambre civile de la Cour de cassation qui estime qu'un tribunal a relevé, à bon droit, que les frais de gardiennage de nuit de l'aire de stationnement des véhicules ne faisaient pas partie des charges récupérables selon le décret du 26 août 1987 (Cass. 3ème civ. 8 oct. 1997).

 

MODALITÉS DE RÉCUPÉRATION

 

‑ Le principe, posé par le premier alinéa de l'article 23 de la loi du 6 juillet 1989, est que les charges récupérables sont exigibles sur justification. Il en résulte que toute évaluation forfaitaire des charges récupérables est prohibée  ; il n'est donc pas possible de stipuler un loyer « charges comprises ».

 

De l'obligation de justifier, la Cour de cassation (3' ch. ch~, 10 juin 1998.Bull. civ. III, n' 122 ‑ KP G 1998, [V, 2708) a estimé qu'un tribunal qui a constaté que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'apparaissait pas de façon indépendante dans le budget communal, qu'aucun taux d'imposition n'avait été établi pour le calcul de cette taxe et qu'elle ne donnait lieu à aucun produit et qui en a déduit que le bailleur ne justifiait pas de la réalité de la taxe, ajustement retenu qu'elle ne pouvait être réclamée an titre des charges. Les termes « justement retenti » expriment une approbation « chaleureuse » de la déduction tirée par le juge du fond.

 

‑ En général et notamment dans les immeubles collectifs, le recouvrement des charges s'effectue par le versement de provisions qui font, ensuite, l'objet de régularisations. Mais il s'agit la d'une faculté; dès lors, si la fixation de provisions n'a pas été prévue, le bailleur est non fondé dans sa demande en paiement d'arriérés de provisions (CA Paris, Ûch. B, 14 mai 1998.‑ .1uris‑Data n' 021106).

 

L'article 23, alinéa 2 et 3 de la loi du 6 juillet 1989 réglemente cette pratique par des dispositions directement reprises des lois de 1982 et de 1986. Spécialement, l'alinéa 3 prévoit qu'un mois avant la régularisation, le bailleur communique le mode de répartition entre les locataires, mais sans fixer de critère. Plusieurs possibilités sont ouvertes; généralement on adopte la méthode des millièmes de charges calculés en fonction de la surface des locaux et de l'utilité présentée par les équipements ou services communs. La seule exigence est que la méthode adoptée soit équitable ; on ajoute que la clé de répartition figure dans le contrat de location (J.Deruppé, ,I.Lafond. B. 1,'ialPedioletti, Code des bauv, éd. Litec 1999 : L. 1989, art.

 

Et il a été jugé que le décompte de charges fourni par le bailleur, qui ne précise pas le mode de répartition entre les locataires, ne satisfait pas aux dispositions de l'article 23 (CA Paris, 6' eh., 10 nov. 1998 : juris‑Data n' 02320‑1).

 

‑ Si l'immeuble est régi par le statut de la copropriété, les charges sont fixées par le règlement de copropriété et réparties selon les critères posés par la loi (L. 10 juill. 1965, art. 10). Mais il faut opérer une ventilation entre les charges à proprement parler locatives, récupérables sur les locataires et les autres qui restent à la charge du copropriétaire‑bai 1 leur.

 

Jugé, en effet. que le bailleur ne justifie pas les charges locatives, conformément aux dispositions de l'article 23 de la loi du 6 juillet 1989 si ces charges sont calculées à partir des charges de copropriété elles‑mêmes établies par le syndic et adressées aux divers copropriétaires (CA Montpellier, 1" ch. B, 26 mars /997: Juris‑Data n'034037). C'est pourquoi, les décomptes fournis par les syndics opèrent, en général, cette ventilation. (Sur les difficultés techniques qui peuvent se présenter, et répartition des charges locatives entre appartements d'un même immeuble).

 

 ‑ Pour satisfaire à l'obligation de justification, l'article 23, alinéa 3, de la loi du 6 juillet 1989 impose au propriétaire la communication au locataire d'un décompte avec cette précision que, durant un mois à compter de l'envoi de ce décompte, les pièces justificatives « sont tenues à la disposition des locataires ». Il faut entendre par là que les locataires doivent pouvoir accéder aux documents sans difficultés particulières. Le locataire ne peut imposer au bailleur la fourniture de photocopies de ces pièces. Une réponse du ministre du logement admet cependant que les locataires peuvent demander que des photocopies soient faites à leurs frais (Rép. min. n' 19043 : JOAN Q 9janv. 1995, p. 213). Cela paraft excessif.

 

En revanche, on peut approuver la décision du tribunal d'instance de Bobigny du 12 septembre 1995 (,ICP N 1997, Il, p. 10 14, note Ch. H. Gallet), qui déclare insuffisant le seul décompte informatique produit pour chaque locataire.

 

On précise, par ailleurs, que la mise à disposition par le bailleur des pièces justificatives des charges ne fait pas obstacle à l'exercice par le locataire d'une action en contestation de ces charges dans le délai de prescription de cinq ans (CA Paris, 6' ch. C, 30 juin / 998 : furis‑Data n' 022309).

 

 ‑A noter enfin qu'un accord conclu en application de l'article 42 de la loi du 2‑3 décembre 1986 maintenu en vigueur et modifié par la loi du 6 juillet 1989 peut porter sur la récupération des charges (CA Paris, 6' ch. C, 13 Janv. 1998 : furis‑Data n' 02009‑5).

 

CONCLUSION

 

 ‑ On aura retenu des observations précédentes que des améliorations de la réglementation existante seraient souhaitables sur deux points.

 

D'abord et surtout, si l'on entend maintenir le caractère limitatif de la liste des charges récupérables, il faudrait ajouter les dépenses que justifient aujourd'hui les impératifs de propreté, d'hygiène et de sécurité. Les conditions de la vie sociale dans les grands ensembles imposent que ces dépenses soient engagées ; normalement, elles doivent pouvoir être récupérées sur les locataires. En tout cas, une concertation s'impose ; la Commission nationale de concertation prévue par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1986, maintenu en vigueur, est l'organisme tout à fait indiqué à cet effet.

 

Ensuite, il ne serait pas inutile de réexaminer la question des modalités de répartition des charges locatives dans les immeubles collectifs et notamment dans ceux soumis au statut de la copropriété. La réflexion pourrait être menée dans le cadre de l'élaboration d'un plan comptable des « copropriétés » et dans celui de la réglementation de la comptabilité des syndics qui sont aussi administrateurs de biens.