SAISIE ATTRIBUTION

Civ. 2e, 6 décembre 2007
L'ESSENTIEL

N'est pas nul le PV de saisie-attribution signé par un huissier de justice, dont il n'est pas démontré qu'il ait été signifié par un clerc.

La méconnaissance de l'objet du litige par la cour d'appel qui invite les parties à s'expliquer sur le moyen relevé d'office, tiré de l'application de l'article 60 alinéa 2 du décret du 31 juillet 1992, ne constitue pas un excès de pouvoir.

La caducité de la saisie-attribution, non dénoncée au débiteur dans les huit jours, prive celle-ci de tous ses effets. Le tiers saisi ne peut donc être tenu rétroactivement aux obligations imposées par la loi ni être condamné sur le fondement de l'article 60 alinéa 2 du décret du 31 juillet 1992.

Saisie-attribution - Acte de saisie - Auteur de la signification - Huissier de justice - Preuve - Pourvoi en cassation - Excès de pouvoir - Notion - Saisie-attribution - Absence de dénonciation dans le délai légal - Rétroactivité

J. 30 Attendu, selon les arrêts attaqués, que suivant procès-verbal de la SCP d'huissiers de justice, M. et Mme X… ont fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains de la Société générale (la banque) au préjudice de la société Euro conseil patrimoine ; que cependant, cette saisie n'a pas été dénoncée à la débitrice ; que M. et Mme X… ont ensuite assigné la banque devant un juge de l'exécution en paiement des causes de la saisie ; qu'un arrêt du 1er mars 2006 a rejeté « l'exception de nullité » de l'acte de saisie, soulevée par la banque, a sursis à statuer sur les autres demandes, a invité les parties à s'expliquer sur l'application de l'alinéa 2 de l'article 60 du décret du 31 juillet 1992 et sur l'éventuel préjudice subi par M. et Mme X… et a enjoint à la banque de produire aux débats un certain nombre de pièces ; qu'un arrêt du 16 novembre 2006 a ensuite condamné la banque à payer à M. et Mme X… une certaine somme à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 60, alinéa 2, du décret du 31 juillet 1992 ;

(…)

Sur le premier moyen du pourvoi n° 06-15.178 :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt du 1er mars 2006 d'avoir rejeté l'exception de nullité de l'acte de saisie-attribution, alors, selon le moyen :

1/ que les procès-verbaux de constat et d'exécution et les ventes mobilières judiciaires ou volontaires relèvent de la compétence exclusive des huissiers de justice ; que si le procès-verbal de signification de la saisie-attribution pratiquée le 22 août 2002 est effectivement revêtu de la signature de M. Y…, huissier de justice associé, il précise que le procès-verbal de saisie-attribution « a été remis par huissier de justice ou par clerc assermenté dans les conditions ci-dessous indiquées » ; que le procès-verbal de saisie mentionne dans un document intitulé « avis de passage » : « Z… significateur » suivi de la déclaration du tiers saisi ; qu'ainsi, ces mentions ne permettant pas de s'assurer que l'huissier de justice a effectivement exercé personnellement son office, si bien l'acte ne répond pas aux exigences de l'article 6 de la loi du 27 décembre 1923, violé ;

2/ que dans un délai de huit jours à peine de caducité, la saisie est dénoncée au débiteur par acte d'huissier de justice ; que la caducité prive la saisie rétroactivement de tous ses effets ; qu'en statuant comme elle l'a fait, à l'aide de considérations inopérantes, cependant qu'il était soutenu que la saisie-attribution du 22 août 2002 n'avait pas été dénoncée dans le délai de huit jours, la cour d'appel prive son arrêt de base légale au regard des articles 42 de la loi du 9 juillet 1991 et 58 du décret du 31 juillet 1992 ;

Mais attendu que l'arrêt retient que le procès-verbal de saisie comporte le tampon de la SCP d'huissiers de justice, qu'il est signé par M. Y…, huissier de justice, et qu'il n'est pas démontré qu'il ait été signifié par un clerc ; que par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de rejeter « l'exception » de nullité de l'acte de saisie ;

Sur le second moyen du même pourvoi :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt du 1er mars 2006 d'avoir invité les parties à s'expliquer sur l'application de l'article 60, alinéa 2, du décret du 31 juillet 1992 et sur l'éventuel préjudice subi par M. et Mme X… et d'avoir enjoint à la banque de produire certaines pièces aux débats, alors, selon le moyen :

1/ que commet un excès de pouvoir, ensemble viole les articles 4 et 954 du nouveau Code de procédure civile, la cour d'appel qui modifie les termes du litige dont elle était saisie en décidant y avoir lieu d'inviter les parties à s'expliquer sur l'application de l'article 60, alinéa 2, du décret du 31 juillet 1992, cependant que dans leurs conclusions récapitulatives du 18 janvier 2006 qui, seules, saisissaient la cour d'appel, M. et Mme X… demandaient la confirmation du jugement qui s'était déterminé sur l'unique fondement de l'article 60, alinéa 1er, du décret du 31 juillet 1992 et avait, en conséquence, condamné la banque à payer la somme de 297 230,32 euros due par la société Euro conseil patrimoine au jour de la saisie ;

2/ que l'alinéa 1er de l'article 60 du décret du 31 juillet 1992 édicte une peine privée, obéissant à un régime juridique spécifique en ce qu'elle ne peut être prononcée que lorsque le tiers saisi est effectivement débiteur du saisi et qu'elle ne permet pas au juge de modérer son montant tout en réservant au tiers saisi un recours intégral contre le saisi, tandis que l'alinéa 2 du même texte édicte un cas de responsabilité du fait personnel du tiers saisi, obéissant au régime de responsabilité de droit commun pour faute, distinct du premier, sanctionné par des dommages-intérêts compensatoires interdisant au tiers saisi tout recours contre le saisi ; qu'ainsi, en statuant comme elle le fait, la cour d'appel méconnaî t la portée de ces dispositions qu'elle viole, puisqu'elle ne pouvait statuer sur le fondement de l'article 60, alinéa 2, qu'en étant saisie d'une demande indemnitaire, ce qui n'était pas le cas, M. et Mme X… n'ayant sollicité que l'application de la sanction prévue par l'alinéa 1 du même texte ;

Mais attendu que la méconnaissance de l'objet du litige et la violation de la loi par erreur de droit ne constituent pas des cas d'excès de pouvoir ; que dès lors, le moyen, qui est dirigé contre les seuls chefs de l'arrêt non susceptibles de pourvoi immédiat, n'est pas recevable ;

Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° 07-13.964 :

Vu les articles 44 de la loi du 9 juillet 1991,58 et 60, alinéa 2, du décret du 31 juillet 1992 ;

Attendu que dans un délai de huit jours à peine de caducité, la saisie-attribution est dénoncée au débiteur par acte d'huissier de justice ; que la caducité, qui prive la saisie rétroactivement de tous ses effets, s'oppose à ce que le créancier saisissant puisse faire condamner le tiers saisi, sur le fondement de l'article 60, alinéa 2, du décret du 31 juillet 1992, au paiement de dommages-intérêts ;

Attendu que pour condamner la banque à payer à M. et Mme X… une certaine somme à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 60 du décret du 31 juillet 1992, l'arrêt du 16 novembre 2006, après avoir constaté la caducité de la saisie, retient que c'est en raison des déclarations inexactes de la banque que l'huissier de justice s'est abstenu de dénoncer cette mesure au débiteur ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la caducité de la saisie privant celle-ci de tous ses effets, le tiers saisi ne pouvait être tenu rétroactivement aux obligations qui lui sont imposées par la loi et ne pouvait, dès lors, être condamné, sur le fondement de l'article 60, alinéa 2, du décret du 31 juillet 1992, au paiement de dommages-intérêts, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du troisième moyen du pourvoi n° 07-13.964 :

REJETTE le pourvoi n° 06-15.178 ;

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 novembre 2006, entre les parties, par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
SA Société Générale c./ Epoux X… et autre
Pourvoi n° 06-15.178 et pourvoi n° 07-13.964 (jonction)

OBSERVATIONS
Emmanuel PUTMAN
Professeur à l'Université d'Aix-Marseille III

1. Le présent arrêt donne à la deuxième Chambre civile l'occasion de revenir sur un certain nombre de questions dont l'une intéresse de façon générale la procédure civile – il s'agit de la recevabilité du moyen de cassation invoquant l'excès de pouvoir – et les autres, la procédure de saisie-attribution.

2. S'agissant du pourvoi en cassation pour excès de pouvoir, il importe de préciser dans quelles limites il est recevable, car c'est le seul cas de cassation qui permette de déroger aux règles interdisant ou différant le pourvoi, en particulier aux règles des articles 606 à 608 du Code de procédure civile, qui distinguent entre d'une part les jugements sur le fond ou mixtes(1) et ceux mettant fin à l'instance(2), susceptibles de pourvoi immédiat, et d'autre part les jugements avant-dire droit, qui ne peuvent être frappés de pourvoi qu'avec le jugement sur le fond(3). Or en l'espèce, le demandeur au pourvoi contestait un chef de l'arrêt d'appel l'ayant invité à s'expliquer sur un important moyen que la cour d'appel avait relevé d'office, celui de l'application en la cause de l'article 60, alinéa 2, du décret du 31 juillet 1992 – condamnation du tiers saisi à des dommages et intérêts en cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte ou mensongère. La banque tiers saisi, demanderesse au pourvoi, estimait que ce chef de la décision attaquée excédait les pouvoirs de la cour d'appel car il modifiait l'objet du litige, les créanciers saisissants n'ayant demandé que l'application de l'article 60 alinéa 1 du décret – condamnation du tiers saisi aux causes de la saisie en cas de non fourniture des renseignements. Dès lors, la banque pensait pouvoir frapper de pourvoi immédiat ce chef de l'arrêt d'appel, qui pourtant ne tranchait pas le principal et n'aurait donc dû, en vertu de l'article 608 du Code de procédure civile, être attaqué qu'avec le jugement sur le fond.

3. La question qui se posait était par conséquent de savoir si la méconnaissance de l'objet du litige constitue un cas d'excès de pouvoir. Ni cette méconnaissance, ni la violation de la loi pour erreur de droit, ne rendent recevables le pourvoi pour excès de pouvoir, répond la Cour de cassation, fidèle à la conception restrictive de l'excès de pouvoir, adoptée par un arrêt en Chambre mixte du 28 janvier 2005, qui a été approuvé en doctrine non sans certaines réserves(4), mais qui fixe la jurisprudence. On se souvient que cet arrêt avait affirmé que la violation du principe de la contradiction ne constituait pas un excès de pouvoir, ce qui était déjà la position de la première Chambre civile(5). Jadis défini assez largement comme la transgression par le juge d'une règle par laquelle la loi circonscrit son autorité(6) ou comme l'acte par lequel le juge « a cessé de faire œuvre juridictionnelle »(7), l'excès de pouvoir se rétrécit désormais considérablement.

4. Les autres questions tranchées par l'arrêt commenté concernent la procédure de saisie-attribution. La régularisation de celle-ci était, en l'espèce, contestée au prétexte que le PV de saisie n'aurait pas permis de s'assurer que l'huissier de justice avait personnellement exercé son office et ne l'avait pas confié à un clerc, alors que l'acte portait non seulement le tampon de la SCP d'huissiers de justice, mais la signature d'un des huissiers associés. La Cour d'appel avait estimé qu'il n'était nullement démontré que l'acte eût été signifié par un clerc. La Cour de cassation l'en approuve, ce qui ne saurait surprendre, puisqu'elle laisse aux juges du fond l'appréciation souveraine des preuves permettant de retenir si un acte a été signifié par un huissier ou un clerc(8).

5. Restait une dernière précision demandée à la deuxième Chambre civile, quant aux effets de la caducité de la saisie non dénoncée au débiteur saisi dans le délai de huit jours prévu par l'article 58 du décret de 1992. La question était de savoir si cette caducité ne privait la saisie de son efficacité que pour l'avenir ou si elle anéantissait rétroactivement tous ses effets, s'opposant donc à ce que le tiers saisi soit condamné pour manquement à ses obligations sur le fondement de l'article 60 du décret. La deuxième Chambre civile s'était déjà montrée favorable à l'effet rétroactif de la caducité(9) et réaffirme cette solution. En droit civil une doctrine a soutenu que la caducité pouvait rétroagir(10) et la Chambre commerciale a consacré cette solution pour la caducité d'un contrat entièrement exécuté(11). Dans la procédure de saisie-attribution, la justification de la caducité est très différente, puisque la sanction prévue par l'article 58 du décret de 1992 frappe, par hypothèse, une saisie qui n'a pas été entièrement menée à bien dans le délai réglementaire. Au demeurant, la Cour de cassation décide aussi en matière de saisie conservatoire que la caducité prive la saisie de tous ses effets, autrement dit qu'elle opère comme une nullité, en obéissant à l'adage « quod nullum est, nullum producit effectum »(12).

6. Cette assimilation de la caducité à une espèce d'annulation, sans doute explicable par la fonction sanctionnatrice de la caducité lorsqu'elle fustige la négligence du poursuivant, a été regrettée par certains(13). Elle fait de la procédure de saisie-attribution un tout indivisible : si la dénonciation au saisi n'a pas lieu dans le délai, tout tombe, alors qu'un anéantissement partiel pourrait se concevoir pour une série d'actes effectués par étapes, une procédure à exécution successive en quelque sorte. On pourrait aussi séparer le sort des obligations du tiers saisi, qui y est tenu en vertu de la loi, des effets de la saisie dans le patrimoine du débiteur – attribution de la créance saisie au poursuivant – que la caducité fait disparaî tre. Au contraire, la Cour de cassation voit la saisie comme un ensemble non sécable, ratione operis et ratione personae.